2.2. L’habitat des Longues Raies à Jablines (Seine‑et‑Marne)
2.2 The settlement of Longues‑Raies at Jablines
p. 41‑62
Résumés
La fouille de sauvetage menée en 1978‑1979 dans une carrière implantée dans la vallée de la Marne à Jablines (Seine‑et‑Marne) a permis l’étude des vestiges d’un grand bâtiment néolithique accompagné de fosses et d’une sépulture. Malgré une très forte érosion, l’analyse sur plan d’ensemble des diverses structures permet d’identifier un habitat de tradition danubienne : une cinquantaine de trous de poteaux dessinent un tracé légèrement trapézoïdal long de 28 m pour une largeur variant de 4,50 m à 6 m, compartimenté par 10 tierces et longé de fosses résiduelles. Bien que pauvre et fragmenté, le mobilier recueilli (industrie lithique, céramique, faune domestique et sauvage) permet une attribution culturelle au Villeneuve‑Saint‑Germain, peut‑être dans une phase tardive si l’on considère une datation radiométrique de 5510 ± 140 ans (GIF 5002). La sépulture est rattachable à ce même groupe, notamment par la nature des parures portées par l’inhumé, d’une remarquable qualité : 4 bracelets dont 2 en calcaire et 2 en roche dure à fracturation sans doute volontaire, coquillages perforés disposés autour de la tête et en pendeloque, grande perle en craie. Malgré des conditions de conservation médiocres, cet ensemble structuré ‑le premier attribuable au V.S.G. à avoir été découvert en Ile‑de‑France‑ contribue à l’étude des habitats néolithiques en périphérie de l’importante minière du Haut Château.
During 1978‑1979 a rescue excavation carried out in a quarry situated near Jablines in the Marne Valley (Seine‑et‑Marne) led to the excavation of a large neolithic building with associated pits and an inhumation. Despite heavy erosion, the interpretation of the general plan of the various structures has permitted the identification of a building of the danubian tradition: about fifty post‑holes outline a plan slightly trapizoidal, 28 m long, varying in width from 4,50 m to 6 m, divided into 10 bays and surrounded by refuse pits. Although poor and fragmented, the artifacts recovered (lithic industry, ceramic, wild and domesticated fauna) indicates an attribution to the Villeneuve‑Saint‑Germain culture, perhaps in the latest phase if the radiocarbon date 5510 ± 140 (GIF 5002) is taken into consideration. The inhumation can be associated to this group, notably by the nature of the associated grave goods of remarkable quality: 4 bracelets, 2 in limestone and 2 in an extracted hard stone, pierced sea shells (placed around the head) and a chalk pearl pendant. Regardless of the mediocre conditions of conservation, the structured ensemble ‑the first attributed to the VSG to have been discovered in the Ile‑de‑France‑ contributes to the study of neolithic settlements on the periphery of the mine of the Haut Chateau.
Texte intégral
2.2.1 Circonstances de l’intervention
1Le site fut découvert en 1978 à l’occasion de la prospection systématique d’une zone de carrières sur le territoire de Jablines (Seine‑et‑Marne). Au lieu‑dit Les Longues Raies, dans la partie orientale de la carrière Katchoura dont l’exploitation avait été provisoirement suspendue, apparaissaient en effet, sur une bande de terrain orientée est‑ouest anciennement décapée d’environ 160 m sur 20 m, deux larges taches de sédiment plus sombre associé à des vestiges lithiques et céramiques (parcelle 118, section C1, cadastre 1953 ; coordonnées Lambert : 630,275 ; 134,450 ; altitude : + 48,5 m ; n° de site : 77 234 013 AP). Un nettoyage de surface, réalisé par l’équipe du groupe archéologique de Lagny‑sur‑Marne qui avait fait la découverte, révéla également plusieurs trous de poteaux aux abords immédiats. Une fouille de sauvetage fut alors engagée conjointement avec le personnel de la direction des Antiquités ; elle s’échelonna de décembre 1978 à juillet 1979, portant sur une superficie d’environ 800 m2 d’un terrain décapé inégalement et parfois profondément (jusqu’à plus de 50 cm) et en légère déclivité vers le sud‑ouest (Tarrête 1981).
2.2.2 Situation du gisement
2A une trentaine de kilomètres à l’est de Paris, au sein d’un vaste méandre géminé de la Marne et à 600 m de la rivière, la partie de l’habitat étudiée est implantée sur les alluvions de la basse terrasse (10‑15 m.) qui occupent la majeure partie de la boucle (fig. 27). Elles sont constituées de matériaux sablo‑graveleux intensément exploités dans plusieurs carrières : à une fraction sableuse largement dominante se mêlent d’abondantes formations calcaires et des éléments siliceux accessoires. Ces dépôts présentent de fréquentes plications et des festons observés sur les fronts de taille à 150 m au nord et surmontent un conglomérat calcaire (calcin) inégal (présence de lentilles discontinues). Hétérogénéité et déformations du substrat –fréquentes en vallée de Marne– compliquent la mise en évidence, après décapage des terres superficielles, des éventuels creusements d’origine anthropique. Ceci d’autant lorsqu’il s’agit, comme ici, d’un décapage réalisé au chargeur hors de tout contrôle archéologique.

FIG. 27 – Situation de l’habitat des Longues Raies. 1 dans son contexte archéologique ; 2 habitats et sépultures VSG de Jablines/La Pente de Croupeton ; 3 minière de silex de Jablines/ Le Haut Château ; 4 habitat et sépulture VSG de Fresnes‑sur‑Mame/Les Sablons ; ★ Lagny‑sur‑Marne.
2.2.3 Les structures domestiques
Morphologie
3Plus de 90 structures excavées simples ont été fouillées (fig. 28), comprenant près de 70 trous de poteaux, une quinzaine de fosses de dimensions diverses (dont une sépulture, voir infra § 2.2.4), quelques cavités naturelles et une tranchée récente (no 88). De ces structures, fortement entamées par le décapage des carriers mais sans doute aussi par l’érosion naturelle, ne subsiste plus que la base : trous de poteaux réduits à un creux excédant rarement 0,20 m –quand ce n’est pas une simple trace–, restes de fosses dont la profondeur atteint exceptionnellement 0,50 m. On ne pourra donc exclure l’existence de structures originellement moins profondes qui auraient alors disparu, ni la déformation d’une partie de celles qui ont subsisté (par exemple, partition sans doute artificielle des fosses 74 et 77). Toutefois, il apparaît aisément une organisation de la majorité des trous de poteaux qui dessinent le plan d’un bâtiment orienté approximativement est‑ouest, ainsi que, de part et d’autre, l’alignement de plusieurs fosses.

FIG. 28 – Plan général des structures mises au jour, a trou de poteau ; b fosse ; c structure probable ; d traces diffuses avec mobilier ; e cavité naturelle ; f fossé récent ; g zone remaniée ; h affleurement calcaire : 1 connu, 2 présumé ; i rigole
dessin J.‑M. Cointin
Le bâtiment
453 trous de poteaux (dont 8 incertains) disposés en 12 rangs transversaux espacés de 2,20 m à 3,60 m organisés en 5 lignes longitudinales (dont la septentrionale mal conservée) dessinent une structure très légèrement trapézoïdale longue d’environ 28 m pour une largeur variant de 4,50 m à presque 6 m, selon une orientation sud‑ouest/nord‑est de 72°. De manière générale, les trous de poteaux sont conservés sur une très faible profondeur (0,09 m en moyenne, 0,30 m pour le plus creux) et repérables à leur remplissage de terre brune plus ou moins foncée, sableuse pour les moins profonds (fig. 29). Leur fond entame rarement le calcaire sauf le no 19 qui y est creusé. De plan presque toujours circulaire, ils présentent un fond le plus souvent plat, parfois en cuvette. L’examen de leurs coupes montre des excavations plus profondes sur les trois lignes longitudinales internes comme il est habituel aux tierces transversales, destinées au soutien de la toiture du bâtiment, comprises entre les deux rangs longitudinaux externes constituant l’ossature des parois. Ceci est particulièrement net pour la 2e tierce (poteaux 8, 9 et 10), la 5e (poteaux 19, 20 et 21) et la dernière (poteaux 49, 50 et 51) où la profondeur des trous de poteaux excède de 0,10 à 0,25 m celle des trous des tierces environnantes. De même, le diamètre des trous de poteaux des tierces est plus fort que celui des parois : de 0,25 m à 0,80 m soit une moyenne de l’ordre de 0,55 m contre 0,25 m à 0,60 m soit environ 0,40 m en moyenne. Des traces circulaires d’une vingtaine de centimètres de diamètre ont été observées dans la partie centrale des trous nos 6 et 7, correspondant vraisemblablement aux vestiges des poteaux disparus. Enfin, 6 trous de poteaux contenaient du matériel : nos 34 (tesson), 35 (silex), 42 (tesson), 47 (silex et tesson), 50 (os et dent), 51 (lame et éclat).

FIG. 29 – Profondeur relative des trous de poteaux et type de remplissage. Les cotes d’altitude, variant de 100 à 130, traduisent la déclivité du terrain après décapage, a terre brun clair ; b terre brune ; c terre brun foncé ; d sable brun clair ; e sable brun ; f sable brun foncé ; g terre grise calcaire ; h trace ; i zone perturbée
dessin J.‑M. Cointin
5On relève par ailleurs, ainsi que le montre le tableau vi, plusieurs anomalies entre la 3e et la 6e tierce (poteaux supplémentaires, obliquité de la 5e tierce, poteau central 23 isolé) ainsi que sur la 9e (absence de poteau central, trou 34 décentré vers l’extérieur). Si la dimension des travées est relativement constante, on observe en revanche un rétrécissement de la largeur des tierces d’est en ouest, passant de plus de 3 m à 2 m. En outre, l’altitude absolue des fonds des trous de poteaux décroît longitudinalement selon la même orientation ainsi que transversalement, du nord au sud (fig. 29) : cette déclivité atteint une cinquantaine de centimètres sur les 27,50 m séparant le trou no 4 de la première tierce du trou no 51 de la dernière. La pente du terrain, qui n’atteint guère plus de 1 %, ne peut seule rendre compte de ce phénomène. L’emplacement des murs extérieurs n’est marqué ni par une ligne de poteaux rapprochés, ni par un fossé continu (si l’on excepte la tranchée 90, de toute façon limitée, et qui paraît diachrone, cf. infra) ; leur trace est même particulièrement faible puisqu’elle n’est révélée que par 11 trous de poteaux (dont 2 incertains), tous placés uniquement dans l’alignement des tierces, à une distance de 1,10 m à 1,20 m. Côté nord, seuls 2 trous de poteaux sont conservés (nos 17 et 24) sur les 4e et 6e tierces ; côté sud, ils sont plus nombreux : nos 7, 11, 15 ou 16 sur les tierces 1 à 3 ; nos 22, 84, 28 et 32 sur les tierces 5 à 8 et le no 61 sur. la dernière tierce. A côté de cette rareté et de cette disposition particulière dans l’alignement des tierces qui ne peut être fortuite, une autre singularité s’observe de part et d’autre de la 10e tierce : ce sont deux séries de 4 trous de poteaux formant deux arcs de cercle symétriques enserrant deux travées et se refermant sur les 9e et 11e tierces. Ce dispositif comprend au nord les trous 48, 46, 47 et 85 (incertain) écartés de 1,20 m à 1,50 m l’un de l’autre et, au sud, les trous 38, 39, 40 et 52 d’écartement plus variable (0,70 m à 1,50 m).

TABL. VI – Largeur des tierces et des travées du bâtiment (en mètres, entre axes des trous de poteaux extrêmes).
Trous de poteaux divers
6Situés en majorité vers l’extrémité ouest du bâtiment, ce sont les nos 62, 66 (incertain), 63, 64, 57, 56 (incertain), 55, 67, 53 et 54. D’un diamètre de 0,35 m à 0,75 m pour une profondeur n’excédant pas 15 cm, ils ont un profil en cuvette. Si les 53 et 54, en raison de leur plus forte dimension, pourraient être interprétés comme de petites fosses bien qu’ils n’aient livré aucun matériel, il est difficile d’identifier la fonction des autres si ce n’est suggérer qu’ils ont pu jouer un rôle annexe dans l’agencement du bâtiment ‑ en admettant qu’ils lui soient contemporains. Enfin, les 6 restants se répartissent en deux groupes : 3 trous (nos 2, 71 et 69) sont dispersés aux abords de l’extrémité est du bâtiment, sans lien apparent avec lui ; les 3 autres (nos 58, 59 et 60), plus au sud, sont alignés dans l’axe de deux fosses allongées, 75 et 76 : si l’on peut y voir les restes ultimes d’un second bâtiment, il semble toutefois que la tangence du trou 58 avec l’extrémité est de la fosse 75 implique le diachronisme de ces structures.
Rigoles et tranchées
7Deux rigoles, conservées sur quelques centimètres de profondeur seulement, constituent des aménagements en probable relation avec le bâtiment. La première (no 80), située à proximité immédiate de l’extrémité est, s’allonge sur 3,50 m en légère oblique par rapport au nord de la première tierce dont elle n’est distante que de 1 m à 1,50 m ; elle s’interrompt au sud au niveau de l’espace séparant les trous 5 et 6 de cette tierce. Sa largeur subsistante varie de 0,15 m à 0,25 m. La seconde (no 86) jouxte au nord les trous 46 et 47 qui paraissent relever d’un dispositif spécifique vers l’arrière du bâtiment. Un peu moins large (0,10 m à 0,15 m), elle a pu être suivie sur un peu plus de 2 m de longueur ce qui ne préjuge toutefois pas de ses dimensions initiales.
8Deux structures allongées sont de nature imprécise. La structure 90, parallèle à l’extrémité nord‑ouest du bâtiment, était à fond plat et emplie de terre brune sur 0,08 m d’épaisseur. La présence dans son remplissage de la trace circulaire 85, probable trou de poteau d’un diamètre de 0,45 m, incite à considérer cette tranchée d’un mètre de large sur plus de 4 m de long comme antérieure à la partie du bâtiment avec laquelle elle interfère (tout comme la fosse 44, en vis‑à‑vis). Il semble en tout cas difficile de la mettre en relation directe avec l’implantation du mur septentrional du bâtiment. A environ 5 m au sud du bâtiment et parallèlement à lui se développe sur une dizaine de mètres une traînée de terre brunâtre associée à quelques vestiges archéologiques (structure 89) ; on peut y voir les derniers restes du fond d’une fosse allongée complètement arasée. Ce même phénomène se retrouve entre les fosses 77 et 74, suggérant qu’il s’agissait initialement d’une structure unique.
Cavités naturelles et fosses anthropogènes
9Plusieurs cavités (72, 87) ou parties de cavités (dans 73 et 91) ne semblent pas anthropogènes. Leur remplissage de matériau alluvionnaire et de fragments calcaires témoigne plutôt d’une désagrégation, sous l’effet des eaux, du conglomérat dans lequel elles apparaissent. Ces cavités présentent d’ailleurs un fond en V formant, très nettement pour 73 et 87, un sillon dans le sens de la pente du terrain.
10Les fosses anthropogènes, emplies de terre brune, révèlent un profil plus doux, en cuvette. Leur fond n’entame pas, ou fort peu, le conglomérat calcaire, sauf la fosse 3 qui y est creusée. Elles ne subsistent plus, dans l’ensemble, que sur une faible épaisseur dépassant rarement 30 cm.
11Fosse 1 : subcirculaire, de petites dimensions (diamètre : environ 0,90 m), remplissage de terre brun foncé formant cuvette de quelques centimètres de profondeur sur le calcaire affleurant. Aucun matériel.
12Fosse 3 : creusée de 0,44 m dans le calcaire, emplie de terre brun clair ; au fond, elle présente une forme en ovale irrégulier (1,10 m x 0,70 m) et un profil en V adouci. Un tesson de céramique modelée.
13Fosse 44 : petite fosse allongée de 1,40 m x 1 m dont la partie nord doit interférer avec la paroi sud du bâtiment (diachronisme probable), profondeur : 0,25 m, fond en cuvette. Peu de matériel : 5 silex, un fragment osseux et un petit fragment de roche schisteuse.
14Fosse 45 : proche de la paroi nord, cette petite fosse ovalaire (environ 1,50 m x 1,20 m), de faible profondeur conservée (0,07 à 0,15 m), présente un fond plat étagé sur deux niveaux. Remplissage de terre brune, aucun matériel.
15Fosse 65 : petite fosse subcirculaire (environ 1,05 m x 0,90 m), à fond presque plat et parois subverticales tapissées de pierres (fragments calcaires ne dépassant pas 0,10 m). Remplissage de terre brun noir sur ses 0,25 m de profondeur. Dans un espace restreint étaient regroupés des restes osseux appartenant quasi uniquement au crâne de divers animaux : deux molaires supérieures, un éclat de molaire et deux fragments indéterminés de dents de Bœuf ainsi que deux fragments de crâne, un de cheville osseuse et un de scapula ; six dents et un fragment de mandibule de Porc ; un fragment de crâne de Mouton et quinze fragments de crâne de grand ruminant non déterminé. S’y ajoutaient un grand fragment de bord de vase décoré (fig. 32, no 9) et deux silex. De nombreuses pierres surmontaient ces restes.
16Fosse 68 : petite fosse ovalaire de 1,20 m x 0,80 m, à fond en cuvette peu profonde (0,17 m), emplie de terre brune. 1 silex.
17Fosse 70 : sépulture (cf. infra. § 2.2.4).
18Fosse 73 : grande cavité s’allongeant sur plus de 5 m comprenant une partie centrale anthropogène en forme de fosse ovalaire d’orientation est‑ouest large d’environ 1,40 m pour 2,50 m de longueur. Sur une profondeur de plus de 0,40 m s’y succédaient de haut en bas une couche de terre sableuse brune avec de petits blocs de grès et de calcaire parfois brûlés, puis une couche de terre grise graveleuse et enfin du sable jaune. Mobilier très rare (2 silex débités).
19Fosse 74 : grande fosse s’allongeant sur plus de 5,50 m parallèlement et à environ 1,50 m de la paroi sud du bâtiment ; de contour irrégulier, elle présente un lobe au sud. Sa profondeur atteint 0,35 m dans la partie principale et presque 0,50 m au fond du lobe sud. C’est la fosse qui comporte le plus de témoins d’occupation (matériel lithique, osseux et céramique représentant plus de la moitié de Celui de l’ensemble du gisement). Elle a également livré un fragment de bracelet (fig. 30, no 13).
20Fosse 75 : fosse allongée (orientation nord‑ouest‑sud‑est différente de celle du bâtiment et des fosses 74 et 77 le bordant) de dimensions moyennes (2,50 m x 1 m) au contour irrégulier et à fond en cuvette (profondeur maximale : 0,40 m environ). Son remplissage de terre brune n’a livré que quelques silex et fragments osseux. Le trou de poteau 58 est contigu à son extrémité sud‑est.
21Fosse 76 : grande fosse allongée (5 m x 2 m au plus), peut‑être constituée de deux excavations sécantes, dont la partie principale est située dans le prolongement de la fosse 75 (même orientation). La terre brune emplissant sur moins de 0,20 m le fond de cette fosse contenait des vestiges osseux, du matériel lithique et peu de tessons de céramique.
22Fosse 77 : grande fosse allongée, d’environ 5 m x 1,20 m au plus, située dans le prolongement de la fosse 74 et bordant comme elle la paroi sud du bâtiment. Fond en cuvette assez plat. Remplissage de terre brune avec silex, fragments céramiques et ossements animaux.
23Fosse 78 : reste d’une fosse coupée par l’exploitation de la carrière, située à 8 m au sud‑ouest de l’extrémité occidentale du bâtiment ; partie subsistante de contour presque semi‑circulaire, dotée d’une petite excroissance, probablement naturelle, au nord‑nord‑ouest. Fond assez plat formant cuvette sur les bords. Matériel lithique, osseux et céramique peu abondant.
24Fosse 91 : grande fosse (probablement composée de plusieurs lobes et, pour une part, d’une cavité naturelle) dont une extrémité au sud n’est distante que de 1,30 m de la paroi nord du bâtiment. Dimensions maximales de la partie anthropogène : 4,30 m x 2,40 m ; profondeur ne dépassant pas 0,25 à 0,30 m. Fond en cuvette assez plat. Le matériel, totalement absent de la partie nord non anthropogène, est peu abondant dans le reste de la fosse (lithique et céramique) ; la faune est pratiquement absente (un fragment).
25Fosse 92 : fosse subcirculaire d’environ 1,30 m de diamètre, à fond en cuvette assez plat et bords abrupts, creusée dans un sable fin à fraction graveleuse. Son remplissage est constitué, sur les quinze centimètres supérieurs, d’une terre brune qui surmonte une terre grise d’égale épaisseur. De nombreuses pierres apparaissent au niveau intermédiaire et, pour une moindre part, dans la couche inférieure. Aucun vestige mobilier.
Le mobilier archéologique
26Les structures d’habitat ont livré 423 produits de débitage du silex, 197 tessons de céramique, 929 fragments osseux animaux et quelques fragments de roches diverses travaillées (grès, schiste). Exceptionnel dans les trous de poteaux et rare en surface du décapage (matériel déplacé par les engins), ce mobilier provient essentiellement des fosses ; dans la majorité des cas (grandes fosses 76, 77, 78 et 91), il était assez clairsemé et occupait le haut de la partie subsistante. En revanche, dans la grande fosse 74 qui comprenait plus de la moitié des vestiges, ceux‑ci se concentraient dans toute l’épaisseur du comblement de deux dépressions médianes. Les fosses de petites dimensions n’ont livré aucun matériel (fosses 1 et 45) ou très peu d’objets (fosses 3, 44, 68). La fosse 65 fait exception et apparaît d’ailleurs particulière à plus d’un titre (aménagement et contenu mobilier). L’une des raisons du peu d’abondance du mobilier est sans doute le degré avancé d’arasement du site comme le montrent, par exemple, la très faible profondeur des trous de poteaux ou la partition en deux dépressions distinctes (fosses 77 et 74) de ce qui devait être une unique fosse latérale du bâtiment. Nous nous contenterons donc de présenter quelques observations d’ordre qualitatif, en donnant des chiffres et pourcentages à titre indicatif, mais sans mener une véritable étude qui n’aurait pas de signification à partir d’un échantillon aussi faible : la fouille maintenant bien avancée du site proche de La Pente de Croupeton devrait permettre prochainement d’effectuer un tel travail, par la très grande abondance des vestiges de toute nature qui y a été rencontrée (Bostyn et al. 1991).
L’industrie lithique
Le débitage
27Le total de l’ensemble des produits travaillés en silex recueillis sur le site est de 423. Ils proviennent essentiellement de 4 unités, par ailleurs groupées au sud du terrain : secteur 89 (36 pièces), fosses 77 (69), 74 (233) et 76 (44). Si l’on met à part quelques produits brûlés, au nombre de 18, un examen sommaire permet de classer l’ensemble des produits, soit 405, en trois groupes selon l’aspect du silex. La majorité (321 pièces soit environ 80 %) présente une patine blanche profonde, une texture souvent assez grenue et un cortex blanchâtre. Elle est parcourue d’irrégularités (petites cavités géodiques, vacuoles s’organisant en traînées, nodules...) ; sur cassure, le silex est brun beige. Le deuxième groupe (29 pièces) a les mêmes imperfections mais est de type zoné, variant du brun au violacé plus ou moins clair entrecoupé de bandes blanches. Le troisième (55 pièces) n’est pas non plus de teinte ni de texture homogène, passant du gris au bleuté ou au beige, mais est beaucoup plus lisse et comporte moins d’accidents de formation. Cette médiocrité générale de la matière première est à mettre en relation avec un débitage irrégulier, qui ne « file » pas. On constate la fréquence de gros éclats de grand module, larges et épais, à plan de frappe obtus et à conchoïde bien développé, parfois à bulbes géminés ou, en revanche, l’absence de talon sur des éclats de module plus courant et souvent la présence de fractures diamétrales. Dans un tel ensemble, les lames et lamelles (L ≽ 3 l) ou même les éclats laminaires (2 l L ˂ 3l) sont rares, respectivement 20 et 39 pour 325 éclats ; les cassons ne sont toutefois pas très nombreux (13). On compte par ailleurs 15 blocs nucléiformes et nucléus ainsi que 7 percuteurs. Les deux plus gros nucléus (5 à 7 cm dans la plus grande dimension) sont globuleux ainsi que le plus petit (4 cm), en silex à grain fin ; le dernier est à plans de frappe croisés. Les percuteurs comprennent deux blocs sphériques réguliers d’un diamètre d’environ 8 et 7 cm pour un poids respectif de 800 g et 500 g ; deux autres, de morphologie analogue mais beaucoup plus petits, atteignent seulement 200 g et 100 g ; les trois derniers, de taille intermédiaire, sont de forme irrégulière et portent quelques plages de percussion limitées.
L’outillage
28Hormis les percuteurs, on dénombre 52 outils soit un peu plus de 12 % des produits recueillis : ils proviennent majoritairement des fosses 74 (29 outils) et 77 (12 outils). Les grattoirs (fig. 30, nos 1 à 6), au nombre de 15, sont surtout faits sur des éclats épais conservant fréquemment des plages corticales ; ils ont un front plus ou moins régulier, souvent surélevé, avec une retouche abrupte à semi‑abrupte. Seuls quatre ont un front mince et soigné ; encore l’appartenance de l’un d’eux à l’ensemble, trouvé en surface du décapage, est‑elle peu assurée. Il faut mentionner une pièce à front sinueux sur petit éclat en silex gris‑bleuté, une autre sur éclat laminaire dont les retouches se développent largement sur le côté droit et un unique petit grattoir sur lame à dos cortical. C’est également sur des supports souvent épais et irréguliers que l’on retrouve 9 denticulés (fig. 30, nos 8, 9 et 11) dont la retouche tend à envahir tout le pourtour de la pièce ; certains sont façonnés sur de petits blocs ou des plaquettes, où se lit difficilement l’origine du débitage. Un seul vrai racloir (fig. 30, no 12) est présent, obtenu par retouches bilatérales alternes, partielles sur le bord droit. Cinq burins sur lame plus ou moins régulière ou fragment sont vraisemblables (fig. 31, nos 1 à 4 et 8 ), malgré parfois le peu de netteté de l’enlèvement du coup de burin recoupant une fracture dans trois cas et une troncature dans les deux autres. Tous présentent sur presque toute la longueur du bord opposé à l’enlèvement du burin des stigmates d’usage bien marqués ; l’un d’eux porte à son extrémité active un fort émoussé (no 2). On observe 3 pièces à dos laminaires de morphologie variée. L’une présente une pointe axiale dégagée par retouches directes bilatérales, partielles du côté droit (fig. 30, no 7), une autre un peu plus grande présente une courte retouche semi‑abrupte sur le bord droit convexe opposé au gauche vif d’éclatement et rectiligne (pièce recueillie en surface du décapage) et la troisième, qui atteint à peine 3 cm de long, a la moitié distale du bord gauche reprise par une courte retouche : on pourrait y voir un élément de faucille (fig. 31, no 7). Un micro‑burin et deux petites armatures sont également présents : ces dernières ont un bord vif délimité par deux autres à retouches marginales, convexes ou concavo‑convexes (fig. 31, nos 5, 6). La détérioration de leur extrémité avait conduit à interpréter l’une d’elles comme une pièce à tranchant transversal (Bulard, Tarrête 1980) : il s’agit plutôt dans les deux cas de pointes asymétriques. Deux blocs allongés, de dimensions similaires (environ 6 cm x 3 cm x 2 cm), à retouches multiples, peuvent être interprétés comme de petits pics. Deux lames de haches polies proviennent du site : l’une est très courte (4 cm pour un tranchant large de 3,7 cm), à bords équarris et à talon tronqué (fig. 30, no 10) ; l’autre, recueillie en surface du décapage, est très altérée sur sa face la plus plane : longue de 7 cm pour une largeur de 4 cm et une épaisseur de 2 cm, elle est de morphologie assez proche malgré des flancs plus arrondis et un talon ogival. Enfin, douze pièces diverses portent des retouches sur un secteur plus ou moins important de leur bord ou tout au moins des stigmates d’usage bien nets : ce sont 5 lames ou éclats laminaires dont l’un avec dégagement d’un piquant latéral et 7 éclats ou blocs, pour certains fracturés, dont on ne peut préciser la typologie.

FIG. 30 – Mobilier lithique. 1 à 6 grattoirs ; 7 pointe ; 8, 9 et 11 denticulés ; 10 lame de hache polie ; 12 racloir ; 13 fragment de bracelet en schiste (les pièces 2 à 4, 10, 11 et 13 proviennent de la fosse 74 ; 1, 5 à 9 de la fosse 77 et 12 de la fosse 91.
dessin J.‑M. Cointin

FIG. 31 – Mobilier lithique. 1 et 2 burins sur troncature ; 3, 4 et 8 burins sur cassure ; 5 et 6 armatures ; 7 petite pièce à dos (les pièces viennent de la fosse 74, hormis le 1 de la fosse 77 et le 6 du secteur 89).
dessin J.‑M. Cointin
29A côté de cet ensemble en silex, quatre autres pièces sont de roche différente. Il s’agit d’abord, provenant de la fosse 74, d’un gros fragment de bracelet en roche schisteuse verdâtre de section rectangulaire à angles arrondis (2,5 cm x 1,2 cm) ; il porte de multiples stries en tous sens sur ses deux faces limitées par des arcs de cercle concentriques ainsi que des esquillements sur le bord externe irrégulier, toutes traces qui indiquent un élément de parure fracturé au cours de son façonnage (fig. 30, no 13). Une esquille de section semi‑convexe en roche de même nature recueillie dans la fosse 44 provient vraisemblablement d’un autre bracelet. Enfin, un petit bloc de grès (3,5 cm x 3,5 cm x 2 cm), dont l’une des faces est polie, peut avoir appartenu à un instrument de mouture, de même que, trouvé en surface et déplacé par les engins mécaniques, un autre bloc plus important (15 cm x 15 cm x 10 cm) qui présente sur des faces opposées deux plages polies irrégulières.
La céramique
30Les 197 tessons recueillis sur le site sont dans l’ensemble de petite taille, exception faite de grands fragments de trois vases qui, toutefois, ne permettent que des restitutions graphiques très partielles. La céramique provient essentiellement de la fosse 74 (125 tessons), et, en moindre quantité, des fosses 76 (12 tessons), 77 (27 tessons) et 78 (10 tessons). La majorité des fragments appartient à des récipients à paroi fine à moyenne (épaisseur n’excédant pas 0,7 cm). Les récipients plus volumineux sont à paroi épaisse, de l’ordre de 1 cm. La gamme des couleurs des surfaces va du gris‑beige au gris foncé. Le dégraissant est d’une manière générale assez fin et constitué majoritairement de quartz et de calcaire. On observe toutefois quelques cas de coquilles pilées et de fragments osseux. Les éléments caractéristiques (bords, éléments de préhension et décors) permettent d’individualiser au moins 14 vases, parmi lesquels :
– une grosse marmite globulaire (fosse 74) à bord épaissi légèrement rentrant, d’un diamètre à l’ouverture d’une trentaine de centimètres (fig. 32, no 1). Le haut de la panse est pourvu d’au moins deux éléments de préhension à perforation horizontale situés à une hauteur différente par rapport à la lèvre et alternant avec un décor de mamelons jumeaux rapportés juste sous le rebord. Pâte grise sur cassure, dégraissant fin à moyen (quartz prédominant, calcaire, silice). Surfaces gris‑beige. Epaisseur de la panse : 0,8 cm ;
– un petit fragment d’une autre marmite présentant un gros bouton rapporté au ras du rebord (fosse 91) (fig. 32, no 5) ;
– trois fragments de la partie supérieure d’un vase à col resserré et à mamelons perforés horizontalement, en céramique noire (fosse 74). Le dégraissant apparaît seulement sur cassure sous la forme de quelques particules siliceuses. La surface extérieure, soigneusement lissée, porte un décor au peigne (à 4 dents ?) dans lequel subsistent de rares traces d’incrustations blanches : triangles (?) sous le bord et bandeaux courbes sur la panse (fig. 32, no 8) ;
– partie supérieure d’un vase à ouverture rétrécie (fig. 32, no 9) décoré sous le bord d’une ligne irrégulière de petites incisions courbes (à l’ongle ?) et de l’amorce d’une ligne oblique pincée aux doigts (fosse 65). Pâte grise sur cassure, dégraissant fin à moyen ;
– petit fragment de panse (fosse 77) décoré d’incisions parallèles disposées en épi de part et d’autre d’une double ligne. Paraît constituer le hachurage de triangles opposés (fig. 32, no 2) ;
– petit fragment de panse (fosse 78) avec décor de légères stries irrégulières parallèles (partie de motif en arêtes de poisson ?) (fig. 32, no 3) ;
– un fragment de panse d’un vase à paroi mince (épaisseur 0,5 cm) (fosse 74) décoré de trois rangs de coups de poinçon encadrés de deux lignes obtenues au poinçonné‑traîné (fig. 32, no 4). Pâte fine, grise sur cassure, avec abondant dégraissant fin de calcaire. Surface intérieure rouge orangé, extérieur gris.

FIG.32 – Mobilier céramique. 1, 4 et 8 fosse 74 ; 2 fosse 77 ; 3 fosse 78 ; 5 fosse 91 ; 6 et 7 fosse 70 ; 10 sondage au nord du bâtiment
dessin J. M. Cointin
La faune
31r.‑m. arbogast
32Les restes osseux proviennent des fosses 65, 74, 76 et 77 qui ont livré un peu moins d’un millier de pièces, dont 114 ont pu faire l’objet d’une détermination. Ces restes sont très mal conservés. Ils présentent une surface érodée, marquée de nombreuses vermiculures. Ces altérations dues à différents agents taphonomiques les ont fragilisés au point que certaines pièces n’ont pu être prélevées que sous forme d’innombrables esquilles ce qui n’en a pas facilité la détermination spécifique et le dénombrement. Le taux élevé de restes indéterminés (près de 88 %) y trouve également son origine. D’autres détériorations relèvent plus spécifiquement d’activités humaines et sont liées à l’exploitation bouchère des animaux. Il s’agit en effet d’ossements isolés, dissociés et fragmentés, qui présentent toutes les caractéristiques de rejets culinaires. Il va sans dire que dans de telles conditions il faut s’attendre à une conservation différentielle importante de sorte que l’étude de cet échantillon risque fort de livrer une image fortement biaisée de l’économie alimentaire. Par ailleurs, du fait de la taille réduite de l’échantillon, les résultats ne présentent qu’une fiabilité relative et sont donc à considérer avec la plus grande prudence. Une approche de l’économie alimentaire sur une telle base ne peut pas non plus être très détaillée. En effet, les données présentent un caractère trop lacunaire pour qu’une étude des structures d’abattage ou des caractéristiques ostéométriques des principales espèces représentées puisse être envisagée.
33Les restes osseux déterminés proviennent en majorité d’espèces domestiques (tabl. vii). Ceux d’animaux sauvages représentent environ 13 % de l’échantillon. La chasse semble surtout orientée vers les grands mammifères sauvages. L’Aurochs semble être l’espèce qui a subi le taux de prédation le plus important. L’élimination des Cervidés semble peu développée. Elle n’est représentée que par un reste de Cerf et un de Chevreuil. Cette image du tableau de chasse diffère sensiblement de celle qui se dégage de l’étude de l’ensemble faunique du site proche de Jablines/La Pente de Croupeton au sein duquel les restes de mammifères sauvages, proportionnellement moins bien représentés, attestent une prédation plus intense des Cervidés, ainsi que la pratique d’une chasse relativement diversifiée aux petits mammifères à fourrure (Bostyn et al. 1991). Ces divergences tiennent vraisemblablement à la faible représentativité des échantillons qui font l’objet de cette étude et ne peuvent, de ce fait, être tenues pour significatives.
Nb | Nb en % | |
Bœuf Bos taurus | 49 | 58,3 |
Total domestiques | 73 | 86,9 |
Aurochs Bos primigenius | 9 | 10,7 |
Total sauvages | 11 | 13,1 |
Grands ruminants | 29 | |
Total déterminés | 114 | |
Total | 929 |
TABL. VII – Décompte des restes osseux animaux par espèce.
34L’essentiel des ressources de l’économie alimentaire provient de l’exploitation du cheptel domestique et plus particulièrement de l’élevage du Bœuf (fig. 33). Plus de la moitié des restes ont en effet été attribués à cet animal. L’élevage du Porc est bien développé et semble représenter une ressource plus importante que celui des petits ruminants. Aucun reste de chien n’a été découvert. D’autres indices de sa présence sur le site, comme des traces de mâchonnement ou de morsures sur les ossements, qui lui seraient attribuables, n’ont pas non plus été relevés et risquent fort d’avoir été complètement oblitérés par l’intense érosion qui affecte les os. L’importance relative des différentes espèces domestiques est comparable à celle mise en évidence par l’étude du site de Jablines/La Pente de Croupeton (Bostyn et al. 1991). Entre les deux séries de données, quelques différences de détail s’observent, moins importantes toutefois que celles relevées à propos du rôle et des caractéristiques de la chasse. Le trait le plus marquant qui caractérise les deux ensembles fauniques réside dans l’importance des ressources de l’élevage du Porc qui semble nettement plus sollicité que sur l’ensemble des sites du Rubané récent du Bassin parisien (Méniel 1984). Par cette caractéristique, ils peuvent être rapprochés des échantillons de faune d’autres sites du Villeneuve‑Saint‑Germain comme celui de Maisse, L’Ouche de Beauce (Essonne) (Arbogast, en cours), celui de Trosly‑Breuil, Les Obeaux (Oise) (Arbogast, en cours) et comme celui de Longueil‑Sainte‑Marie/La Butte de Rhuis (Oise) (Prodéo et al. 1990) qui traduisent la même tendance. Dans l’état actuel de la recherche et à défaut de données sur l’évolution de l’environnement des sites entre le Rubané et le Villeneuve‑Saint‑Germain, on ne peut que supposer que cette modification est en résonnance avec celle des modes de faire‑valoir des agro‑systèmes et reflète une tendance évolutive plus générale.

FIG. 33 – Fréquences relatives des restes des différentes espèces domestiques.
35Il est intéressant de relever que l’étude d’un échantillon aussi réduit a permis d’identifier quelques‑uns des principaux traits de l’économie alimentaire des communautés du Villeneuve‑Saint‑Germain du Bassin parisien. Il n’en demeure pas moins que des résultats établis sur un nombre aussi réduit de données ne prennent de sens que dans la confrontation avec ceux fondés sur une base statistique plus fiable.
2.2.4 La sépulture (st. 70)
36Située à 5 m au sud/sud‑est de l’extrémité orientale du bâtiment, la fosse 70 se présentait comme une excavation ovalaire de contour irrégulier d’environ 1,50 m sur 1,20 m, creusée dans le calcaire. Au nord‑est et, dans une moindre mesure, au sud‑ouest, le conglomérat rocheux formait deux banquettes bordant une partie centrale oblongue plus profonde. Cette fosse proprement dite, orientée nord‑ouest/sud‑est, mesure 1,40 m sur 0,85 m et possède un fond presque horizontal avec une légère dépression centrale (profondeur maximale : 0,35 m). Les restes d’une inhumation en position fléchie y furent découverts dans une terre assez noire (fig. 34 et 35). Le mobilier était constitué uniquement de parures : trois bracelets au dessus du coude droit, un autre en position similaire à gauche, accompagné d’un groupe de coquillages perforés et une autre série de coquilles formant un ornement de tête. Quelques coquilles ainsi qu’une perle cylindrique en craie, apparemment déplacées, complétaient cet ensemble. Par ailleurs, le sédiment de remplissage contenait 16 éclats sur silex dont l’un, épais, présente un bord denticulé, 1 fragment de côte de ruminant et 10 tessons. Parmi eux se trouvaient un fragment de bol à ouverture rétrécie et mamelon perforé qui était situé de champ devant le crâne et deux tessons d’un petit bol dispersés à chaque extrémité de la fosse (fig. 32, nos 6 et 7). La nature de ces vestiges et leur répartition dans le remplissage ne permettent toutefois pas de les considérer comme des éléments du mobilier funéraire.

FIG. 34 – Sépulture (str. 70). Les restes de l’inhumé avec ses parures : en noir, les parties osseuses subsistantes ; le matériau encaissant est en trame sombre, en plus clair les banquettes bordant la fosse proprement dite
dessin J.‑M. Cointin

FIG. 35 – Vue d’ensemble de la sépulture.
Les vestiges humains
37h. duday
38Le squelette est dans l’ensemble fort mal conservé (fig. 36). Les os sont souvent fragmentés ou écrasés et déformés ; ces dommages s’expliquent par une très forte déminéralisation qui est sans nul doute d’origine taphonomique (sécrétion d’acide citrique par les racines) et non pathologique ; les épiphyses ont subi une lyse totale et les corticales diaphysaires sont amincies par érosion de la face circonférentielle.

FIG. 36 – Etat de conservation du squelette.
Détermination de l’âge et du sexe
39Il s’agit d’un sujet adulte : la troisième molaire inférieure gauche était fonctionnelle et avait même atteint un stade d’usure assez avancé au moment du décès (stade 3). La destruction des épiphyses interdit toute considération sur l’état des zones métaphysaires ou sur l’aspect de la trame spongieuse, et la plupart des structures crâniennes ne peuvent être observées ; on notera seulement que les segments L2 et L3 de la lambdoïde (pars media et pars aslenca) et le segment C2 de la coronale (pars complicatd) sont entièrement libres sur la face exocranienne.
40La diagnose sexuelle ne peut s’appuyer sur la morphologie des os coxaux, qui ont totalement disparu. Le seul indice qui puisse être retenu réside dans la gracilité générale du squelette : la plupart des diamètres et périmètres relevés sur les os longs des membres sont faibles. Mais il est bien connu que les populations danubiennes ont souvent un aspect » pédomorphe » qui, à lui seul, peut expliquer la faible robustesse (Riquet 1970 : 46). Par ailleurs cette constatation, qui pourrait dans d’autres milieux être tenue pour un indice de féminité, est contredite par le développement assez important de nombreux reliefs d’insertion musculaire (processus mastoïde du temporal, ptère sus‑épicondylienne de l’humérus, ligne âpre des fémurs...). Malgré tout l’intérêt qu’aurait revêtu la détermination du sexe, notamment en raison de la richesse de la parure qui accompagnait le défunt, il nous paraît préférable de ne pas conclure sur des critères aussi fragiles et contradictoires.
Analyse ostéométrique et ostéoscopique
41Comme nous l’avons précédemment souligné, le squelette est fort mal conservé, ce qui limite évidemment les observations d’ordre morphologique. Nous avons utilisé les techniques ostéométriques classiques ; chaque mesure est désignée par la lettre M suivi du numéro sous lequel la mesure est présentée dans la dernière édition de l’ouvrage de référence (Martin 1957 ; Knussmann 1988).
Squelette axial
42Le crâne (G 13‑65) est écrasé et déformé, avec une diminution majeure du diamètre transversal, et il n’a pas été possible de le reconstituer. Nous nous bornerons donc à préciser l’aspect des quelques reliefs observables : les processus zygomatiques du frontal sont bien dégagés, plutôt forts ; le processus mastoïde droit est puissant, assez mouluré, surmonté par une crête supra‑mastoïdienne moyenne ; les tubercules zygomatiques postérieurs sont nettement marqués, mais courts. Sur l’écaille occipitale, les lignes nuchales supérieures sont très saillantes, et le tuberculum linearum apparaît sous la forme d’un petit bec bien dégagé. De la mandibule subsiste seulement une portion de la branche montante et de l’hémicorps gauches. Dix dents permanentes ont été retrouvées : nous avons reconnu la deuxième prémolaire (G 13.34), les première (G 13.65) et deuxième (G 13.36) molaires supérieures gauches, la canine (G 13‑19), les deux prémolaires (G 13.20 et G 13.35) et la troisième molaire (G 13‑14) inférieures gauches ; elles sont toutes très usées (stade 3) à l’exception de la deuxième molaire supérieure gauche (stade 1‑2) ; l’identification des autres dents est beaucoup plus aléatoire, voire impossible, en raison d’une abrasion occlusale trop importante (stade 4) et d’altérations survenues post mortem : une monoradiculée (G 13.15),une biradiculée aux racines coalescentes (G 13‑65) et une monoradiculée qui, sous toute réserve, pourrait être une canine supérieure (G 13.18). Le tableau viii regroupe les dimensions que nous avons pu relever.
Dent | Côté | MD | VL |
P2 | G | 6,0 | 9,3 |
M1 | G | 9,5 | 11,7 |
M2 | G | 8,1 | 12,0 |
C | G | 5,6 | 7,2 |
P1? | G | 6,1 | 7.6 |
M3 | G | 8,9 | 9,4 |
TABL. VIII – Sépulture, caractères métriques des dents.
43La deuxième molaire supérieure gauche présente deux énormes caries, l’une sur la face mésiale, l’autre sur la face distale ; elles sont séparées au centre de la couronne par une cloison fenêtrée. Cette dent est, nous l’avons vu, nettement moins usée que les autres ; les phénomènes algiques liés à la carie sont peut‑être à l’origine de cette différence. La première molaire supérieure gauche est également affectée par une carie dans la région disto‑linguale, donc en regard de la lésion mésiale que nous avons décrite sur la deuxième molaire ; sur la face occlusale, un petit orifice s’ouvre vers la cavité néo‑formée.
Squelette appendiculaire
44L’épine de la scapula gauche (G 13.75) paraît peu robuste. La partie moyenne de la clavicule droite (G 13‑33) montre un très fort aplatissement dans le sens vertical : les diamètres vertical (M4) et sagittal (M5), relevés sensiblement au milieu de l’os, sont respectivement de 9,5 et 13,0 mm (indice diaphysaire 73,1). La portion préservée de la clavicule gauche (G 13.21) n’autorise aucune mesure, mais elle paraît très grêle.
45Les deux diaphyses humérales ont été retrouvées. La droite (G 13.32) mesure actuellement 217 mm de long, et il est manifeste que la longueur maximale de l’os ne devait pas excéder 280 mm ; cette valeur est relativement basse, puisque les diverses tables donnent pour cette longueur des statures estimées comprises entre 149 et 157 cm. Le bord latéral est cependant renforcé près de l’extrémité distale : il s’ourle vers l’avant et il semble même avoir existé une véritable ptère sus‑épicondylienne. Le tableau ix résume les dimensions des deux humérus. Outre les mesures classiques, nous avons aussi relevé les diamètres sagittal et transversal au niveau où l’on prend habituellement le périmètre minimal (à la partie inférieure de la gouttière radiale), car les diamètres au milieu ne peuvent être définis sur l’humérus gauche (G 13.52‑G 13‑21).
Droit | Gauche | |
Diamètre maximal au milieu M5 | 18 | |
Diamètre minimal au milieu M6 | 16 | |
Périmètre au milieu M7a | 55,5 | |
Périmètre minimal M7 | 53 | 53 |
Diamètre sagittal au niveau du P. min | 17 | 18 |
Diamètre transversal au niveau du P. min. | 15,5 | 15,5 |
Indice diaphysaire | 88,9 (eurybrachie) |
TABL. IX – Sépulture, caractères métriques des humérus.
46La portion moyenne du radius droit (G 13‑71) montre une crête interosseuse extrêmement développée : le périmètre minimal est de 32 mm, le diamètre transversal maximal (M4) de 17 mm, le diamètre sagittal (M5) de 10 mm (indice diaphysaire très bas : 58.8). Nous avons également reconnu quelques fragments de l’ulna droite (G 3.72), non mesurables.
47Les diaphyses des fémurs droit (G 14.11) et gauche (G 14.9) sont arquées sur leur face antérieure, plus rectilignes sur leur face postérieure : les lignes âpres sont en effet très dégagées et fortement saillantes, bien que leurs reliefs soient peu moulurés (mais il existe une érosion post mortem) ; l’indice pilastrique est moyen à gauche, fort à droite (tabl. x). La région hypotrochantérienne est beaucoup plus aplatie à droite (hyperplatymérie) qu’à gauche (eurymérie) ; des deux côtés, on voit nettement l’amorce d’une gouttière hypotrochantérienne.
Droit | Gauche | |
Diamètre sous‑trochantérien transversal M9 | 30 | 29 |
Diamètre sous‑trochantérien sagittal M10 | 21 | 25,5 |
Diamètre transversal au milieu M7 | 22,5 | 23,5 |
Diamètre sagittal au milieu M6 | 28 | 27,5 |
Périmètre au milieu M8 | 77 | 77 |
Indice de platymétrie | 70,0 | 87,9 |
Indice pilastrique | 124,4 | 117,0 |
TABL. X – Sépulture, caractères métriques des fémurs.
48Les diaphyses tibiales droite (G 14.12.) et gauche (G 14.13) sont très incomplètes. Seuls ont pu être relevés à gauche le périmètre (M10 : 69 mm) et les diamètres sagittal (M8 : 25 mm) et transversal (M9 : 18 mm) au milieu ; l’indice diaphysaire est de 72,0. Enfin deux fragments des diaphyses fibulaires droite (G 13.4) et gauche (G 14.14) ont une section cannelée.
49Il serait évidemment illusoire de prétendre effectuer des comparaisons à partir d’observations aussi partielles. Il nous a cependant paru utile d’indiquer les mesures que nous avons pu relever, afin qu’elles puissent éventuellement être intégrées à une étude de synthèse. Le seul élément remarquable que nous puissions souligner réside dans le contraste entre la faiblesse des dimensions absolues et la robustesse de certaines structures d’insertion musculaire.
Analyse de la disposition du corps
50La tête repose à l’est de la fosse ; le crâne apparaît par sa face latérale droite, avec semble‑t‑il une composante supérieure assez marquée correspondant à une inclinaison céphalique vers la droite ; cette particularité explique sans doute la disposition asymétrique de la parure de coquillages : celle‑ci se trouve près du sommet de la tête du côté gauche (certains éléments débordant même à l’est du crâne), alors qu’à droite, elle décrit un arc légèrement concave vers le bas qui va de la glabelle à la région sus‑auriculaire. L’axe antéro‑postérieur du crâne est dirigé du sud‑ouest au nord‑est. Les dents ont été trouvées dispersées à l’ouest du crâne.
51La clavicule droite, qui apparaît par sa face supérieure, est en situation sensiblement normale par rapport à l’humérus ; ce dernier se présente par sa face latérale et les bracelets entourent son tiers distal, juste au‑dessus du coude. Les fragments diaphysaires des deux os de l’avant‑bras droit sont parallèles, le radius en position crâniale par rapport à l’ulna : on peut donc préciser que le coude droit était légèrement fléchi, formant un angle d’environ 120°, et que la paume de la main droite venait s’appuyer sur le flanc gauche.
52L’agencement des os du membre supérieur gauche est plus étonnant : la moitié distale de l’humérus (G 13.52), engagée dans une parure composite dont la plupart des éléments sont restés en connexion stricte, se trouve approximativement à 30 cm au sud de l’humérus droit mais sa partie proximale (G 13.21), en connexion avec la clavicule et sans doute avec un fragment de scapula, est située au contact de la base du crâne, au nord du processus mastoïde droit ; la distance entre les extrémités jointives des fragments huméraux est de 16 cm.
53Le fémur droit, dirigé du nord/nord‑est au sud/sud‑ouest, apparaît par sa face antérieure ; le genou droit est assez fortement fléchi, l’angle entre les diaphyses fémorale et tibiale étant d’environ 60°. Le fémur gauche, dirigé du nord‑ouest au sud‑ouest, se présente en vue médiale ; le genou est un peu plus ouvert qu’à droite (angle tibio‑fémoral : 70°) ; les portions distales des deux os de la jambe sont en connexion ; le tibia apparaît par sa face postéro‑médiale, de sorte que la fibula est naturellement située à l’est du tibia.
54Bien qu’aucune connexion labile n’ait été mise en évidence, il semble bien que cet ensemble corresponde à une sépulture primaire, car les pièces osseuses retrouvées sont pour la plupart en situation concordante. S’il s’agissait en fait d’un dépôt secondaire, il faudrait admettre que la décomposition aurait été très partielle, préservant des contentions articulaires qui ne figurent pourtant pas parmi les plus persistantes de l’organisme (notamment au niveau de l’épaule...), ou alors que les Néolithiques auraient su restituer la silhouette générale d’un corps à partir d’os disjoints sans commettre la moindre erreur anatomique. Cette dernière hypothèse n’est évidemment pas impossible, comme pourraient le suggérer les deux dépôts mis au jour dans l’ensemble A 185 de Saint‑Michel‑du‑Touch (Méroc, Simonnet 1979) ; mais dans ce cas particulier, c’est justement la constatation d’erreurs anatomiques qui a permis d’étayer la démonstration...
55Reste à définir la disposition originelle du corps. Les membres inférieurs sont manifestement en place ; seule, la jambe gauche a subi une augmentation de sa rotation latérale, sans doute sous la pression des sédiments après destruction des ligaments du genou. La distance qui sépare les extrémités proximales des fémurs (environ 20 cm) indique que le bassin n’apparaissait pas de profil, mais en trois quarts antérieur droit ; les membres inférieurs, fléchis, étaient donc rabattus vers la gauche. Le membre supérieur droit est également en position. En revanche, il est évident qu’un déplacement a affecté l’un au moins des fragments de la diaphyse humérale gauche, mais l’interprétation est délicate : d’une part, le fragment proximal est en connexion avec la clavicule et sans doute la scapula, d’autre part les éléments de parure entourant le fragment distal sont eux aussi restés en connexion, alors que certains étaient vraisemblablement maintenus par des fils ou des liens périssables. En fait, l’emplacement qu’occupent les os de l’épaule gauche est incompatible avec celui de l’épaule droite et du crâne ; il paraît donc logique de considérer que la partie distale de l’humérus est bien en place ; le tronc devait ainsi reposer presque à plat sur le fond de la fosse, avec une faible composante de rotation vers la gauche. Le déplacement des éléments de l’épaule droite a respecté les connexions ; or, il est nécessairement postérieur à la disparition des parties molles du bras et à la fracture de l’humérus, L’hypothèse la plus vraisemblable nous semble être un déplacement en masse à l’intérieur d’une motte, vraisemblablement lors de l’éboulement d’un terrier. Celui‑ci pourrait également être attesté par la dispersion des dents et l’égrènement de plusieurs coquillages tout le long du tronc, de la base du crâne jusqu’à gauche du bassin. L’inclinaison de la tête vers la droite peut être due à la remontée du fond de la fosse, mais aussi à la présence de ce terrier.
56A l’exception de ceux qui sont susceptibles d’avoir été déplacés par le terrier, aucun os n’est sorti du volume originel du cadavre. L’humérus droit est de toute évidence à distance de la paroi de la fosse ; s’il avait existé un espace vide autour du corps, cet os aurait dû basculer vers le nord : il se trouvait en effet en position de déséquilibre sur la partie latérale droite de la cage thoracique, et les lourds bracelets qui l’entourent l’auraient nécessairement entraîné en contrebas. Son maintien en place, attesté par ses connexions avec la clavicule et les os de l’avant‑bras, démontre donc que la décomposition du corps s’est opérée dans un espace colmaté. La fosse a sans doute été recomblée très rapidement après la mise en place du cadavre.
La parure
57fig. 37
58Y. TABORIN, avec la collaboration, pour l’étude pétrographique, d’A. BOUQUILLON et G. QUERRÉ
Les bracelets
59fig. 38 et 39
60L’inhumé portait quatre bracelets, trois au‑dessus du coude droit et un au‑dessus du coude gauche. Les trois bracelets du bras droit étaient en contact, le plus près du coude était intact, les deux autres brisés, composés chacun de deux demi‑couronnes ajustées par leurs extrémités percées. Le bras gauche était orné d’un unique bracelet non brisé. Le bracelet intact du bras droit est appelé B1, l’autre bracelet intact du bras gauche est dit B2. Les deux bracelets brisés du bras droit sont nommés B3 et B4 .

FIG. 37 – Eléments de parure de la sépulture : bracelets, perle de craie et coquillages.
Étude pétrographique
61Les deux bracelets intacts B1 et B2 montrent un état de surface très altéré : zones tavelées, nombreux encroûtements, parties émoussées... Des petits filonnets blanchâtres sont mis en évidence dans le bracelet B2. Des micro‑prélèvements ont été faits à différents endroits sur chaque bracelet. Un test à l’acide chlorhydrique a été fait sur la poudre recueillie : la réaction étant positive, nous en concluons que le matériau est un calcaire. Les observations visuelles ou à la loupe ne sont pas contradictoires avec cette hypothèse ; en effet, dans certaines parties on peut voir une roche noire, compacte qui peut correspondre à un calcaire microcristallin. Contrairement aux types de roche des bracelets B3 et B4, les calcaires sont représentés dans la région parisienne. La roche du bracelet B3 est sombre ; au sein de la matrice noire, on remarque néanmoins des grains verts plus clairs et plus transparents. De fins filonnets gris à vert existent dans l’une des deux moitiés. L’analyse par diffractométrie des rayons X effectuée sur l’autre moitié révèle que l’on a un assemblage d’amphiboles calciques (homblendes et trémolites) associées à de faibles quantités de feldspaths. Cette composition est typique des amphibolites, roches métamorphiques inexistantes dans la région parisienne.
62Le bord intérieur du bracelet B4 ainsi que les zones usées proches des perforations sont marqués par une couleur turquoise, alors que le reste de l’objet est de couleur verte. Il est constitué par une roche verte, semblant translucide où l’on ne reconnaît pas de réelles structures à la loupe. L’analyse par diffractométrie des rayons X montre que cette roche contient de l’antigorite, minéral magnésien se présentant sous forme de lamelles, et probablement aussi de la chrysolite, équivalent de l’antigorite mais avec une forme fibreuse. Ces deux minéraux sont souvent associés dans les serpentinites. Ces roches résultant de l’altération ou du métamorphisme des roches magmatiques sont également absentes dans la région parisienne.
63Les roches constituant les bracelets sont donc de deux origines : sédimentaire pour les calcaires, métamorphique pour les amphibolites et les serpentinites. Les premières peuvent provenir de gisements régionaux, les secondes sont caractéristiques de massifs cristallins tels qu’on en rencontre en Bretagne, dans les Alpes ou dans les Pyrénées.
Analyse morphologique
64Selon une habitude commune à plusieurs groupes à cette époque, les quatre bracelets ont la forme d’un anneau à large couronne. Des études récentes (Constantin 1985 ; Auxiette 1989) ont défini les caractères principaux sur lesquels sont fondées les classifications typologiques des bracelets, à savoir la largeur, l’épaisseur (ou hauteur) et la section de la couronne, le diamètre de l’orifice intérieur et la qualité de régularité du façonnage. Les mensurations ont été prises en plusieurs points sur chacun des quatre bracelets afin d’apprécier la régularité (tabl. xi). Des différences de l’ordre de 2 à 3 mm interviennent tant dans la largeur de la couronne que dans son épaisseur et sa section ; au contraire, les diamètres intérieurs (ceux de l’orifice) restent assez constants sur un même bracelet. Grâce à ces mensurations, on peut chercher où se placent ces quatre bracelets dans les séries comparées des anneaux des groupes de Villeneuve‑Saint‑Germain et de Blicquy établies par C. Constantin (Constantin 1985 : tabl. no 73). Bien qu’il s’agisse d’anneaux en schiste, cette étude souligne les différences dimensionnelles entre les deux groupes, notamment en ce qui concerne la largeur de la couronne. La largeur des couronnes de B1, B2 et B4 placent ces trois bracelets parmi les plus grands « anneaux‑disques », forme originale du groupe V.S.G., qui, d’après C. Constantin, est caractérisée par une couronne dont la largeur est comprise entre 19 et 28 mm. Par contre, B3 dont la couronne est plus étroite rentre dans les normes classiques des bracelets mais à leur limite supérieure.
B1 | B2 | B3 | B4 | |
Largeur couronne | ||||
au point nord | 24 | 24 | 19 | 24 |
au point sud | 22 | 22 | 16 | 23 |
au point est | 24 | 25 | 19 | 24 |
au point ouest | 20 | 23 | 18 | 23 |
au point sud‑ouest | 21 | 23 | 16,5 | 22,5 |
au point nord‑est | 24 | 25,5 | 19 | 25,5 |
Epaisseur couronne | ||||
au point nord | 13,5 | 12 | 11,5 | 8,5 |
au point sud | 13 | 11 | 10 | 8 |
au point est | 13 | 10 | 12 | 8,5 |
au point ouest | 12,5 | 12 | 11 | 7,5 |
au point sud‑ouest | 13,5 | 12 | 10 | 7 |
au point nord‑est | 13 | 10 | 12 | 9 |
Diamètre intérieur | ||||
nord‑sud | 62 | 62,5 | 67 | 77,5 |
est‑ouest | 62 | 60 | 63 | 78 |
nord‑est/sud‑ouest | 61 | 60 | 65 | 77,5 |
Dimensions moyennes | ||||
diamètre extérieur | ||||
nord‑sud | 108 | 108 | 102 | 124,5 |
est‑ouest | 106 | 108 | 102 | 125 |
largeur couronne | 22,5 | 23,9 | 17,9 | 23,6 |
épaisseur couronne | 13 | 11,6 | 11 | 8 |
diamètre intérieur | 61,6 | 60,8 | 66 | 77,6 |
TABL. XI – Mensurations en millimètres des bracelets de la sépulture.
65B1 et B2 sont au‑delà des normes d’épaisseurs des bracelets en schiste, ce qui paraît normal puisqu’ils sont en calcaire. B3 est également très épais, mais il est en amphibolite ; seul B4, en serpentinite, s’intègre par son épaisseur à la masse des bracelets fréquents en schiste., mais il s’en sépare par son diamètre intérieur, trop grand, tandis que B1, B2 et B3 ont des diamètres intérieurs comparables à ceux des nombreux bracelets en schiste.
66De ce rapprochement dimensionnel, on pourrait suggérer que la contrainte fonctionnelle intervient dans les dimensions du diamètre intérieur, alors que les autres caractéristiques de la forme dépendraient en grande partie de la matière première. Il manque encore quelques études pour entrevoir la part de liberté laissée à l’artisan dans le choix des formes.
Les sections
67B 1 : la section de la couronne varie dans la région sud‑ouest où elle présente une forme plus amincie. La face recto est plate, la face verso est légèrement convexe. La tranche interne est assez verticale et bordée, sur les deux faces, par une arête, partiellement adoucie par un léger méplat.
68B 2 : la grande différence entre B1 et B2 tient au profil interne, lequel est convexe sur B2. De même que sur B1, une face est plus plate que l’autre qui reste faiblement convexe. La section est plus aplatie dans la région est qui est également plus large.
69B 3 : les deux faces sont à peine convexes. Le profil interne est vertical par rapport aux deux faces. Le pourtour extérieur est très régulier vers l’est.
70B 4 : la couronne est plate sur les deux faces. Le pourtour interne est à 90°, bordé d’une arête franche. Le pourtour extérieur est régulièrement convexe.
71Les sections montrent que la mise en forme tend à être régulière, mais n’y parvient pas toujours. Les contingences techniques liées à la matière première interviennent certainement. Ici, les deux bracelets les plus réussis quant à la régularité de la forme sont B3 en amphibolite et B4 en serpentinite. Mais B1 ressemble plus à B3 par la forme, qu’à B2 pourtant façonné dans un calcaire comparable sinon identique. L’aplatissement de la section dans une région de la couronne est sensible sur B1, B2, et B3. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’un état d’usure, mais l’étude tracéologique reste à faire.
Les perforations
72Deux bracelets, B3 et B4, ont été ouverts par fracture de la couronne dans l’axe d’un diamètre. Chaque extrémité des deux demi‑couronnes de B4 est également perforée en une extrémité et biforée sur l’autre. La désignation de ces perforations est faite en considérant la face recto du bracelet (arbitrairement celle qui est opposée à la face numérotée) et en analysant séparément chaque demi‑couronne (a et b). Les perforations sont situées d’après les points cardinaux (n, s, e, w) de la face recto, la même situation est conservée pour nommer le verso des perforations.
Le bracelet B3 (fig. 38)
73Il porte quatre perforations, une à chaque extrémité des deux demi‑couronnes mais chaque perforation est le résultat de deux percements opposés. L’artisan a usé huit fois de son foret en choisissant l’emplacement en fonction de quelques impératifs qui se laissent entrevoir (tabl. xii). L’emplacement choisi pour la perforation est près du bord extérieur, là où l’épaisseur de la couronne est réduite. Pourtant bw est presque médian tandis que aw est très près du bord extérieur. La finalité de ces percements était d’établir un moyen de fixation des deux demi‑couronnes en ajustant étroitement les deux plans de la fracture. La recherche de la symétrie est sensible dans les perforations situées à l’est où la situation de ae, à 7 et 5 mm des deux bords, correspond à celle de son vis‑à‑vis, l’orifice be, placé à 5 et 7 mm des bords. Le percement a été effectué à partir des deux faces, ce qui donne une section biconique aux perforations. Les lumières paraissent circulaires mais l’ouverture de l’entonnoir est légèrement étirée. La technique de percement laisse peu de traces. Pourtant les perforations sont, sauf aw et bw recto, en partie cernées par des zones d’écaillures qui pourraient correspondre à des préparations de calage de foret. Les parois internes suggèrent une abrasion de type circulaire.

FIG. 38 – Croquis d’analyse des divers types de traces relevés sur les bracelets B4 (à gauche) et B3 (à droite), a poli accentué sans dépression ; b poli accentué, dépression ; c écaillure, piquetage ; d stries
dessin J.‑M. Cointin

TABL. XII – Mensurations en millimètres des perforations du bracelet B3.1 distance au plan de fracture ; 2 distance au bord extrême ; 3 diamètre longitudinal ; 4 diamètre transversal de l’orifice ; 5 diamètre de la lumière/profondeur.
Le bracelet B4 (fig. 38)
74Les perforations de B4 ont été exécutées à partir d’une seule face. Elles présentent une section conique (tabl. xii). Le bracelet B4, qui a été soigneusement façonné dans une belle matière première, porte six perforations : une sur chaque extrémité des demi‑couronnes a et b à l’ouest et deux, situées côte à côte, sur chaque extrémité est. L’épaisseur régulière de la couronne a permis de placer les orifices en position médiane ou latérale par rapport aux bords extérieur et intérieur. A l’ouest, les deux orifices sont pratiquement en vis‑à‑vis, ce qui n’est pas le cas des orifices no 1 de l’est qui ne sont pas situés rigoureusement face à face. La technique de percement n’a pas laissé beaucoup de traces. La régularité des cônes suggère le mouvement circulaire d’un foret avec un abrasif.
L’origine des fractures et l’usage des perforations
75La fracture des bracelets B3 et B4 a deux origines possibles. Elle peut être accidentelle et se propager sur l’axe d’un diamètre. L’artisan répare alors le bracelet en perçant des trous symétriques qui permettent un assemblage des deux demi‑couronnes. La fracture peut aussi être volontaire et adroitement obtenue pour aboutir au partage du bracelet en deux moitiés non abîmées. Quelques détails observés paraissent en faveur d’une fracture volontaire, notamment sur B4. En effet, sur la face verso de B4, en ouest, une strie borde la ligne de fracture et s’achève par une forte écaillure qui empiète sur l’arête interne des deux demi‑couronnes a et b. Ne s’agirait‑il pas d’une trace de rainurage ? Toujours sur la face verso de B4, mais à l’est, une plage piquetée s’étend autour des orifices sur les deux extrémités a et b, de part et d’autre de la fracture. Cette plage a donc été creusée avant la fracture. Le bracelet B3 porte également, sur la face verso, à l’ouest, une plage piquetée qui, bien que plus restreinte que celle de B4, affecte les deux extrémités a et b des deux demi‑couronnes, face à face. Elle témoigne d’une préparation de la surface avant la fracture. Ces quelques détails suggèrent une recherche propre à guider la fracture sur un axe et à obtenir des facettes de cassure nettes.
76Quelles seraient les raisons qui détermineraient l’artisan à fracturer les deux bracelets façonnés avec beaucoup de soin à partir de matériaux rares tandis que les deux bracelets en calcaire sont laissés intacts ? Il me paraît possible que l’explication soit d’ordre individuel, en relation avec la position des bracelets sur le bras droit de l’inhumé. Le bracelet en calcaire est placé juste au‑dessus du coude, comme son homologue du bras gauche. Les diamètres de l’orifice intérieur oscillent entre 60 et 62 mm, ce qui est étroit pour un bras d’adulte. Si le bracelet en calcaire ne pouvait plus être retiré, il était impossible d’enfiler les deux bracelets en pierre rare malgré les dimensions plus larges de leur orifice intérieur (67 et 77 mm). Ils sont situés plus haut sur le bras et devaient alors être ouverts puis ajustés directement sur la personne.
77L’assemblage des deux demi‑couronnes a laissé dès traces sur les parties en contact, sur les lèvres des perforations et sur les zones proches des orifices.
78Les plans de fracture ont été polis d’une façon assez prononcée sur le bracelet B3, mais sans atteindre le degré de finition des faces extérieures. Quelques ébréchures sur les bords internes peuvent être en relation avec les frottements des deux moitiés du bracelet, sans doute mal ajustées. Les surfaces de fracture du bracelet B4 n’ont pas été polies : elles présentent un léger adouci des reliefs qui témoigne de rares mouvements de frottement. Les deux moitiés du bracelet B4 étaient montées de façon beaucoup plus solidaire car les reliefs conservés de la surface de fracture bloquaient l’ajustement. Il faut rappeler que le diamètre intérieur de 77 mm est plus confortable que celui de B3 (65‑67 mm).
79Les lèvres de perforations conservent deux types de traces qui interfèrent, celles qui proviennent du percement, et celles que laissent les liens.
80Sur le recto de B3, l’orifice aw est prolongé par une légère gorge vers le plan de fracture ; la perforation bw, qui lui fait face, est également déformée par une courte plage polie. Les deux zones affectées sont situées dans le prolongement l’une de l’autre. Cette description est valable pour les orifices ae et be, de la même face du bracelet B3. Au verso de B3, les orifices sont en relation avec des plages de poli, situées de façon très symétrique entre ceux‑ci et le bord de la fracture. Ces stigmates ont été créés par le passage du lien d’un orifice à l’autre. On peut se poser la question de l’exactitude de l’ajustement. Il est possible qu’il y ait eu un jeu dans l’articulation des deux moitiés du bracelet B3. Cette hypothèse peut expliquer le polissage des plans de la fracture, plans devenus visibles si les demi‑couronnes n’étaient pas en contact.
81Les deux orifices a et bw de B4 ont conservé des traces mixtes ; les unes sont assez semblables à celles vues sur B3 : zones adoucies entre les trous et le bord de la fracture ; les autres, lisibles recto et verso, mettent en relation les trous et le bord intérieur du bracelet. On pourrait supposer l’existence d’une ligature.
82Les quatre perforations, situées à l’est de B4, ne sont lisibles, quant à leur usage, que sur la face recto, c’est‑à‑dire la face opposée à celle de l’origine de leur ouverture, ae1 et plus faiblement ae2 sont en relation symétrique avec be1 et be2 par de courtes zones luisantes.
83On peut se poser la question de l’utilité de percer deux orifices jumeaux de chaque côté de la fracture en est du bracelet B4. Le trou ae 1, près du bord intérieur, a conservé un léger émoussé en relation avec be1 ; au contraire ae2 et be2 ne sont pas liés par des traces communes. Peut‑on supposer l’existence d’une parure complexe attachée aux orifices ae1 et be1 ? Cette hypothèse prend naissance en considérant la parure du bras gauche composée du bracelet en calcaire B2 et d’une série groupée de Nucella lapillus et de dentales. Le bracelet recouvrait les coquillages qui avaient été enfilés sur un lien formant un second bracelet, ou attachés en pendants au bracelet en calcaire (fig. 40).
84Quelques Nucella lapillus et une perle cylindrique en craie occupent une position secondaire entre le bras droit et les cuisses. On ne peut écarter la possibilité d’une suspension à partir des orifices ae1 et be1 de B4.

FIG. 40 – Disposition de l’assemblage de coquillages (Nucella lapillus et Dentalium) trouvés au contact du bracelet B2.
dessin J.‑M. Cointin
Les coquillages
85Une belle série de grandes Nucella lapillus L. ornait la tête de l’inhumé, quelques autres Nucella lapillus et une demi‑douzaine de Dentalium s’ajoutaient au bracelet en calcaire B2 pour former la parure portée au‑dessus du coude gauche. Une Nucella lapillus était proche du fémur gauche, une autre du genou droit et enfin, une autre près de l’omoplate.
86Nucella lapillus L. est une espèce d’origine récente, abondante sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique, mais qui ne s’est pas implantée en Méditerranée. Les spécimens de la tombe 70 sont de grandes dimensions, en particulier ceux qui ont été choisis pour orner la tête. Ils ont probablement été récoltés vivants d’après l’état de leur test qui ne paraît pas avoir souffert du ressac mais plutôt de l’enfouissement.
La parure de la tête
87Sur le côté droit du crâne étaient alignées sept Nucella lapillus L., sept autres ont été retrouvées sous le crâne. Celles‑ci semblaient se situer en prolongement des premières, sans que l’on puisse l’affirmer. L’ensemble pouvait correspondre à une disposition en bandeau. Deux autres Nucella lapillus pouvaient appartenir à cette parure par leur emplacement, l’une à droite de la tête, l’autre vers l’oreille. On a choisi des Nucella lapillus de grandes dimensions pour composer cette parure : 6 d’entre elles ont une hauteur comprise entre 33 et 35 mm et 9 autres sont supérieures à 28 mm. Ce choix est encore plus évident par comparaison avec les dimensions des Nucella lapillus qui étaient disposées sur d’autres parties du corps :
– moyenne des hauteurs des 15 Nucella entières portées sur la tête = 32 mm ;
– moyenne des hauteurs des 10 Nucella portées sur d’autres régions du corps = 28 mm.
Mode de suspension
88Les sept Nucella lapillus alignées sur le côté droit de la tête avaient conservé leur position primaire. L’ouverture naturelle des coquillages était plaquée contre le crâne et dirigée vers la face. Cette position est pratiquement celle de l’animal vivant lorsqu’il rampe sur un plan horizontal. Elle a été obtenue par l’abrasion de la convexité ventrale afin d’assurer une bonne stabilité de la coquille posée sur son ouverture naturelle. Il suffisait alors de fixer la coquille sur un support, bandeau de cuir par exemple, par un lien passant dans l’ouverture naturelle et ressortant par un orifice artificiel. Pour conserver au coquillage son apparence naturelle, il était habile de percer la face ventrale, invisible dans la position choisie, et amincie par l’abrasion. Toutes les Nucella lapillus sont ainsi perforées sous l’ouverture naturelle d’un orifice de forme arrondie et de dimension variant entre 6 et 10 mm de diamètre. L’abrasion était nécessaire à l’obtention de la stabilité ; elle ne paraît pas indispensable pour percer puisqu’elle n’a pas été poursuivie dès lors que la convexité ventrale était réduite. Les percements ont probablement été exécutés par percussions.
89Une des coquilles alignées sur la tête est affectée de deux perforations, l’une sur la face ventrale, l’autre sur la première spire, près du labre. Sans pouvoir l’affirmer, il semble possible que ce second trou soit le résultat d’une dissolution accidentelle.
Traces d’usure
90Les perforations ont des lèvres irrégulières, mais la partie du pourtour de l’orifice proche de l’ouverture naturelle est souvent légèrement émoussée ou échancrée. Cette modification du bord de la perforation est sans doute en relation avec la tension du lien de fixation. Dans la direction opposée à celle de la columelle, on peut observer, sur quelques exemplaires, une écaillure de la lèvre extérieure de la perforation. Cette trace est orientée vers la coquille voisine dans ce type de montage en ligne. Ainsi, ce stigmate existe sur le spécimen no 39 en direction du no 40, qui, lui‑même, l’a conservé en direction du no 41 vers le no 42. Si le no 43 est trop abîmé pour être lisible, le no 44 porte, lui, cette légère déformation. Ces constatations incitent à proposer un mode d’attache au moyen d’un lien qui passe d’une coquille à l’autre par l’ouverture naturelle et ressort par la perforation. Par ailleurs, l’aplatissement de la surface ventrale et l’usure fréquente du bord columellaire jusqu’au canal siphonal suggèrent une fixation sur un support, fixation du type cousu (voir hypothèse de fixation, fig. 41).

FIG. 41 – Hypothèse de fixation des Nucella lapillus.
dessin J.‑M. Cointin
Les autres coquillages
91Les huit Nucella lapillus retrouvées sous le bras gauche, à la hauteur du bracelet B2, sont également perforées sur la face ventrale au moyen, probablement, de percussions. Les dimensions de ces perforations sont également comparables à celles des Nucella lapillus ornant la tête. Elles varient peu, entre 5 et 9 mm.
92Toutefois, deux aspects sont différents par rapport à la parure frontale : les Nucella du bracelet sont plus petites, sauf la no 56, et la technique d’abrasion de la convexité ventrale a rarement été pratiquée. Les exemplaires nos 56, 57, 61, et 59 ne portent pas de traces d’aplatissement. Les numéros 60, 58 et 48 ont été légèrement abrasés dans la zone de la perforation. Outre leur perforation normale, les coquillages 60 et 64 portent un trou dans la région dorsale. Il semble à nouveau s’agir d’un accident, dissolution ou cassure naturelle.
93Le mode d’attache des Nucella lapillus retrouvées groupées sous le bracelet du bras gauche est peu évident. La position des perforations permet l’enfilage sur un lien ou un montage cousu sur un support. Le groupement peut résulter du glissement des coquillages enfilés sur un second bracelet ou bien d’un montage en breloque à partir du bracelet en calcaire.
94La présence de sept Dentalium, sous le même bracelet, dont certains sont alignés renforce l’hypothèse d’un enfilage sur un lien, d’autant qu’un des dentales a conservé un spécimen plus petit que lui à l’intérieur de sa cavité. Ce fait se produit fréquemment dans le cas de dentales librement enfilés sur un lien. Ces dentales sont en réalité des fragments de dimensions moyennes et petites. Les deux extrémités ne sont pas intactes, la plus large varie de 5 à 3 mm, la plus petite de 3 à 2,5 mm. Les longueurs semblent fonction des épaisseurs. Elles varient entre 26 et 20 mm pour le diamètre 5 mm, et 15 à 10 mm pour le diamètre 3 mm. Cela signifie que ces dentales n’ont pas été raccourcis pour obtenir des perles de longueur semblable mais simplement pour faciliter le passage du lien dans leur cavité interne.
La composition de la parure
95L’inhumé de la tombe 70 portait une parure composée d’éléments différents, bracelets en calcaire et en pierre dure, coquillages entiers et une perle façonnée du type cylindrique. Sans tenter une approche systématique de la répartition de ces divers éléments, on peut rechercher quelques aspects comparatifs grâce aux travaux récents, en particulier ceux de C. Constantin (1985), G. Auxiette (1989), P A. de Labriffe (1985).
Les bracelets en calcaire
96Ils ont été retrouvés dans les sépultures de La Croix Maigret à Berry‑au‑Bac (Aisne), des Longues Raies à Cys‑la‑Commune (Aisne), du Bas des Vignes à Vert‑la‑Gravelle (Marne), ainsi qu’en fosse à Champigny‑sur‑Marne/Le Buisson Pouilleux (Val‑de‑Marne), à Villeneuve‑Saint‑Germain/Les Grèves (Aisne)...
97Leur présence dans le groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain ne fait aucun doute mais on ne peut exclure l’éventualité de convergence d’une forme aussi simple façonnée en matière première moins rare dans des groupes différents où le goût du bracelet en anneau est développé, d’autant que G. Auxiette souligne la diversité des sections des bracelets en calcaire connus dans le Bassin parisien. Cette réflexion engage à penser que le type n’est pas stabilisé et donc peut apparaître dans des groupes à bracelets en autres matériaux comme un complément, s’inspirant des formes en schiste ou en céramique. Il semble que le bracelet B1 de la tombe 70 s’apparente au type A des bracelets en schiste défini par G. Auxiette tandis que B2 est plus proche du type A2 de la classification des bracelets en calcaire de cet auteur.
98A Cys‑la‑Commune, la jeune femme inhumée portait un bracelet en calcaire à la base de l’humérus gauche. A Vert‑la‑Gravelle, le bracelet ornait le bras gauche d’un adulte. A Berry‑au‑Bac, le bracelet ornait le bras gauche d’un adulte. Dans ces trois exemples, le bracelet en calcaire s’intégrait dans un ensemble où figuraient de nombreuses perles : perles discoïdes et perles à rétrécissement médian à Berry‑au‑Bac, perles discoïdes et perles tubulaires à Cys‑la‑Commune, perles discoïdes et perles quadrangulaires à Vert‑la‑Gravelle. Ces perles peuvent être façonnées en test de coquillage, mais les perles discoïdes sont souvent en calcaire. Il serait intéressant de comparer les matériaux constitutifs du bracelet et des perles dont les origines ne sont pas nécessairement identiques.
Les bracelets en roche dure
99Les bracelets en forme d’anneau, taillés en roche métamorphique, verte ou non, sont nombreux ; beaucoup sont hors contexte. Ceux qui peuvent être attribués appartiennent à des groupes du Néolithique ancien, plus ou moins contemporains, mais pas nécessairement en relations culturelles. Ils sont notamment fréquents en Bretagne, souvent hors contexte. Ils sont rares dans le Bassin parisien. On peut citer à nouveau la sépulture de Cys‑la‑Commune où un bracelet en roche verte (grès micacé d’après C.‑T. Le Roux) ornait le bras droit de l’inhumée. A Passy‑sur‑Yonne/La Sablonnière (Yonne), l’adulte no 1 possédait deux bracelets en roche dure au‑dessus du coude droit, un bracelet en schiste sous le coude gauche et des perles discoïdes au niveau du cou et du poignet.
100La qualité du façonnage et de la finition est un point commun à de nombreux bracelets en pierre dure, et les séries se regroupent autour de quelques types. La largeur de la couronne varie de 10 à 40 mm ; elle dépasse très rarement 50 mm d’après G. Auxiette. Les deux bracelets de la tombe 70 se placent dans la moyenne des largeurs avec 18 et 23,5 mm. Par contre le diamètre intérieur de B4 est 77,6 mm, ce qui est très grand. La section de B3 ressemble au type B2 de G. Auxiette qui appartient aux bracelets en schiste du post‑Rubané du nord de la France. La section de B4 de la tombe 70 n’a pas d’équivalent.
101Ainsi, le bracelet B4 est différent des exemplaires communs par ses dimensions, son diamètre intérieur et sa section. Mais il est associé à un autre bracelet en roche dure B3 dont la section et les dimensions sont normales. Il est possible qu’il faille faire intervenir d’autres explications d’ordre technologique, des styles d’atelier en relation avec la matière première, pour expliquer les variantes du type de bracelet en forme d’anneau.
102Les bracelets en roche dure sont associés, non seulement aux bracelets en schiste (Passy‑sur‑Yonne, déjà cité, Compiègne, Royalieu) mais également aux bracelets en céramique (Breuilpont‑Oise) et aux bracelets en bois de Cerf (Worms‑Rheingewann‑Allemagne) ainsi qu’aux bracelets en calcaire (Cys‑la‑Commune et Jablines). L’élément commun paraît bien être le goût pour les bracelets rigides en forme d’anneau large, portés au‑dessus du coude. La diversité de la matière première est en partie dépendante de l’approvisionnement. On souhaiterait l’établissement des cartes de répartition des zones d’origine avec assez de précision pour tracer les axes de cheminement et les aires de distribution.
Les perles cylindriques
103Elles sont fréquentes dans les groupes danubiens où elles sont souvent associées aux valves de Spondyle. Elles‑mêmes sont taillées parfois en test de Spondyle ou de grands coquillages. Mais il est concevable d’obtenir des perles de même forme en calcaire, d’autant que les artisans se servaient communément de ce matériau pour fabriquer les perles discoïdes en grand nombre. Il n’est pas facile de déterminer la matière première constitutive de ces perles si les traces particulières au test ont disparu. Ainsi, la perle cylindrique de la tombe 70 de Jablines est en craie et non en spondyle bien que sa forme et sa finition par polissage soient comparables à celle des perles en test (fig. 39). Longue de 33,5 mm, épaisse de 10 mm, elle a été perforée dans sa longueur, de façon régulière, les orifices des deux extrémités ont des diamètres qui varient entre 7 et 8 mm. Ses sections sont faiblement quadrangulaires. Comme sur les grandes perles cylindriques en test de Frignicourt ou d’Osthoffen, les deux extrémités sont échancrées pour s’adapter à une disposition en arc‑de‑cercle. Ici toutefois, il semble que le lien de suspension ait accusé l’étirement des orifices.

FIG. 39 – Les bracelets en calcaire B2 (en haut) et B1 (en bas) ; à droite, restitution possible des ligatures d’assemblage des bracelets B4 (en haut) et B3 (en bas) et perle cylindrique en craie.
dessin J.‑M. Cointin
104On peut citer, dans le Bassin parisien, les perles cylindriques de Cys‑la‑Commune/Frignicourt, Vignely, Menneville, Maizy/Les Grands Aisements... Elles sont accompagnées de nombreuses perles discoïdes ou quadrangulaires. Rappelons qu’elles s’associent également aux bracelets en calcaire et en roche dure à Cys‑la‑Commune, et, en schiste, à Frignicourt.
Nucella Lapillus L.
105Cette espèce constitue la base de la parure de l’inhumée de Frignicourt (817 exemplaires). A Chichery/L’Etang David (Yonne), quelques Nucella lapillus ont été recueillies dans la sépulture no 2 et une autre dans la sépulture no 7 où elles étaient accompagnées d’une grande série de perles discoïdes en calcaire. A Cuiry‑lès‑Chaudardes/Les Fontinettes, l’enfant de la sépulture no 1 était orné d’une parure de coquillages associés où figuraient Natica, Trivia et Nucella lapillus, et quelques lamellibranches. Nucella lapillus est acheminée jusqu’en Alsace, à Hoenheim‑Souff., à Ensisheim (Haut‑Rhin).
Dentalium
106Les dentales sont très nombreux lorsqu’ils sont montés en assemblage cousu avec d’autre éléments de parure. C’était le cas constaté à Vert‑la‑Gravelle où les dentales étaient groupés à la hauteur de l’épaule et associés aux perles discoïdes et quadrangulaires, ainsi qu’à un bracelet en calcaire. A Vinneuf/Les Presles, dans les sépultures nos 2 et 5, quelques dentales accompagnaient des perles en calcaire. A Maizy/Les Grands Aisements, des dentales ornaient le poignet gauche de l’inhumé, tandis que les perles tubulaires et quadrangulaires formaient un collier.
Interprétation
107La composition de la parure de la tombe 70 de Jablines est en soi plus originale que les éléments qui la compose. L’association bracelet en calcaire‑bracelet en roche dure a été constatée dans la tombe de Cys‑la‑Commune, celle de Nucella lapillus‑bracelet en schiste à Frignicourt et dentales‑bracelet en calcaire à Vert‑la‑Gravelle. Les perles cylindriques s’associent plus volontiers aux autres perles, discoïdes ou quadrangulaires, qu’aux coquillages (sauf les valves de Spondyle) ou aux bracelets en roche dure (un exemple à Cys‑la‑Commune). La présence de Nucella lapillus paraît donner un style assez original à la parure de l’inhumé n° 70 bien que ce coquillage soit trop peu représenté dans les sépultures connues pour permettre une approche systématique des éléments qui lui sont associés.
108Si l’on considère l’usage des coquillages dans la parure, les meilleures références sont les sépultures de Frignicourt et de Vert‑la‑Gravelle. J’ajouterais, bien qu’il ne s’agisse pas de Nucella lapillus mais de Columbella rustica, la tombe no 13 d’Ensisheim. Ces sépultures ont livré des coquillages marins non fossiles associés à une parure façonnée, bracelet et perles cylindriques à Frignicourt, bracelet en calcaire et perles plates à Vert‑la‑Gravelle, perles cylindriques et petits disques à Ensisheim. Cette composition mixte, coquillages entiers et objets façonnés, se retrouve à Cys‑la‑Commune mais avec deux valves de Spondyle biforées, un bracelet en calcaire, un autre en grès, des perles cylindriques et des disques en calcaire. Cette association est proche de celle de Jablines tombe 70 bien que le coquillage soit, ici, le Spondyle. Peut‑on parler de parenté culturelle ? C. Constantin n’est pas loin de rassembler les sépultures de Vert‑la‑Gravelle, Frignicourt et Cys‑la‑Commune dans la sphère culturelle du Villeneuve‑Saint‑Germain où prend très probablement place la tombe 70 de Jablines.
109Si la parure est chargée d’une signification qui s’attache à certains éléments, la composition globale est sans doute le reflet d’habitudes qui ne sont pas nécessairement immuables. On peut penser que le sens général qui relève de la tradition ancestrale peut s’exprimer au moyen d’éléments nouveaux qui s’incorporent dans le contexte signifiant. Qu’arrive‑t‑il lorsqu’il devient difficile de se procurer des Spondyles ? Les grandes perles cylindriques, les disques sont façonnés en craie blanche, les bracelets sont en pierre. L’extension territoriale vers l’ouest du groupe Villeneuve‑Saint‑Germain lui permet d’établir des réseaux d’acheminement de coquillages atlantiques. La composition de la parure de la tombe 70 de Jablines a encore des réminiscences danubiennes mais elle s’exprime à l’aide d’éléments occidentaux.
2.2.5 Interprétation et comparaisons
Étendue originelle du site
110La question se pose de savoir si le bâtiment et la sépulture présentés ici étaient originellement isolés ou bien si, au contraire, ils appartenaient à un ensemble plus vaste qui pouvait notamment se développer au sud à l’emplacement de la zone déjà extraite. A l’est, la présence des installations de traitement des granulats a empêché toute observation. Au nord du bâtiment, des sondages manuels et mécanisés n’ont mis au jour aucune structure probante ; seuls quelques éléments mobiliers épars ont été recueillis au décapage, dont un fragment de vase à décor de pastilles et cordon lisse (fig. 32, no 10). A l’ouest, où la carrière s’est étendue, le contrôle des décapages n’a permis que le repérage d’un groupe de 5 trous de poteaux sans agencement notable, à 60 m de l’arrière du bâtiment. Rien n’a permis de les dater. En résumé, l’impression d’isolement de ce bâtiment ne pourra vraiment être vérifiée qu’après des décapages extensifs plus systématiques dans les parties nord qui seules subsistent encore.
Interprétation du bâtiment
111Malgré le mauvais état de conservation du bâtiment, on y retrouve des traits architecturaux qui se rencontrent d’ordinaire sur les constructions du groupe Villeneuve‑Saint‑Germain : orientation, dimensions, légère trapézoïdalité associée à une fondation plus importante des poteaux à l’arrière, disposition oblique d’une des tierces. Mais dans le détail, quelques particularités sont à souligner :
– rigole 80 disposée parallèlement au côté avant et qui pourrait participer au système d’accès au bâtiment ;
– entre les 5e et 6e tierces, renforcement apparent du centre du bâtiment (poteaux 83 et 23) ;
– poteaux conservés des parois latérales disposés uniquement dans l’axe des tierces ;
– vers l’arrière, dispositifs en arc de cercle de part et d’autre de la 10e tierce ; celui du nord est associé à une rigole oblique (no 86) qui renforce le caractère un peu particulier de cette partie du bâtiment (superstructure annexe, accès...); cet agencement n’est pas sans rappeler celui observable vers l’arrière de la maison 10 de Menneville/Derrière le Village, rapportée au Rubané récent du Bassin parisien (Coudart, Demoule 1982).
112Les fosses latérales sont fortement érodées et le plan relevé est certainement assez éloigné de la situation originelle. Ainsi, il est très vraisemblable que les structures 74 et 77, d’ailleurs reliées par un épandage de vestiges en surface du décapage, constituent les parties les plus profondes, et de ce fait seules conservées, d’une unique fosse latérale. Il n’est pas exclu que la structure 68 en soit le prolongement. En revanche, le contenu un peu particulier de la cuvette 65 (quasi uniquement des fragments crâniens de plusieurs animaux, cf. supra § 2.2.3) incite plutôt à la considérer comme distincte de la fosse latérale et même peut‑être à lui prêter une autre destination qu’une simple zone de rejets domestiques. Côté nord, les conditions de fouille n’ont pas permis un décapage extensif, et seule la structure 91 pourrait correspondre à la partie résiduelle de la fosse latérale.
113Aux abords du front de carrière, quelques structures peuvent laisser envisager l’existence initiale d’un autre bâtiment parallèle ; auquel cas, les structures 75 et 76 seraient les vestiges de sa fosse latérale nord.
114La sépulture (structure 70) est dans l’environ tout à fait proche des structures domestiques, qu’il s’agisse du bâtiment ou de ses fosses périphériques. Elle est disposée selon la même orientation. Des associations similaires s’observent assez régulièrement sur d’autres sites V.S.G. dont certains à proximité (voir infra). Toutefois, bien que l’ensemble appartienne incontestablement au même groupe culturel, aucun élément ne permet de déterminer si l’inhumation s’est faite pendant la phase d’utilisation du bâtiment ou en est diachrone.
La sépulture
115Les diverses caractéristiques de la tombe la situent parfaitement dans le groupe des sépultures attribuées au V.S.G. (Labriffe 1985) : fosse ovalaire, de dimensions restreintes et orientée est‑ouest ; corps disposé tête à l’est, jambes fléchies sur le côté gauche. Localement, des sépultures similaires ont été étudiées à Jablines/La Pente de Croupeton (Bostyn et al. 1991) et Fresnes‑sur‑Mame/Les Sablons (fouille du Service régional d’archéologie d’Ile‑de‑France, inédite).
116Cette inhumation se distingue toutefois par l’abondance, la qualité et la diversité des parures qui l’accompagnent. Seuls deux autres exemples s’en rapprochent, à La Pente de Croupeton à Jablines, sépulture 40 (Bostyn et al. 1991), et à Passy‑sur‑Yonne/La Sablonnière, (Yonne) (Thévenot 1985). Dans les trois cas, il s’agit d’individus adultes portant au niveau du coude des bracelets de roches dures. En outre, tant à La Pente de Croupeton qu’aux Longues Raies, subsistaient des éléments de parures de tête en Nucella lapillus, tandis qu’à Passy‑sur‑Yonne un collier, et peut‑être un bracelet, étaient composés de perles discoïdes en test de coquillages. Cependant, contrairement aux deux autres tombes, celle des Longues Raies ne contenait, du moins en l’état à la découverte, aucun dépôt de céramiques.
117Si la présence d’éléments de parures en coquillages et de bracelets en schiste ou calcaire dur est courante dans les habitats et les tombes de ce groupe post‑rubané, en revanche, la matière première des deux bracelets bipartites des Longues Raies est beaucoup plus inhabituelle. Quel que soit son lieu d’origine, difficile à déterminer précisément, il ne peut se situer à moins de 200 km.
L’industrie lithique
118Le faible nombre de produits lithiques n’a pas permis d’effectuer une réelle étude technologique. Rappelons simplement la présence de silex d’au moins deux origines différentes –dont l’une très largement majoritaire–, un abondant débitage d’éclats dont la facture s’apparente à celle des sites d’extraction et la très faible représentation des éléments laminaires (les deux types de produits étant d’ailleurs majoritairement liés à l’usage différentiel des types de matière première). Quant à la cinquantaine d’outils recueillis, si les grattoirs dominent comme sur l’ensemble des habitats d’époque néolithique, on relève toutefois une bonne représentativité des pièces denticulées, puis des burins et la présence d’armatures asymétriques et de petites lames de haches polies. Cette composition prend parfaitement place dans les ensembles décrits pour la phase Villeneuve‑Saint‑Germain et dont les données ont été synthétisées par M. Plateaux (1986, 1990). On peut y ajouter des indices de fabrication locale de bracelets en schiste également connus dans plusieurs habitats de cette époque.
119De manière plus ponctuelle, il est intéressant d’établir un parallèle avec le site voisin de La Pente de Croupeton (Bostyn et al. 1991). Au premier examen, on y retrouve exactement les mêmes tendances, beaucoup plus affirmées sur ce dernier emplacement étant donné l’abondance en matériel, à tel point que l’on peut envisager, du fait de leur proximité, qu’ils appartiennent tous deux à un même ensemble. Si l’on cherche d’autres comparaisons avec des sites récemment étudiés, les affinités sont moins nettes avec La Butte de Rhuis à Longueil‑Sainte‑Marie (Oise) où la composante laminaire apparaît beaucoup plus marquée (Prodéo et al. 1990) mais en revanche sans doute plus étroites avec Les Réaudins à Balloy (Seine‑et‑Marne) selon les premières observations qui y ont été faites (Augereau et al. 1993).
La céramique
120Les quelques profils partiellement restituables (vase à col court resserré et récipients ouverts de plus grande taille), ainsi que les techniques et thèmes des décors (bandeaux imprimés au peigne, décor en V d’impressions ongulées, mamelons jumeaux rapportés sous la lèvre) permettent d’attribuer au V.S.G. le petit lot céramique des Longues Raies. Cependant, du fait de la petitesse de l’échantillon, l’ensemble du corpus identifié par ailleurs sur les sites V.S.G. bien documentés, notamment l’habitat proche de La Pente de Croupeton (Bostyn et al. 1991 n’est ici que partiellement représenté. Font défaut, entre autres, les « bouteilles » à col étroit et haut. De même n’apparaissent pas certains types de décor comme les bords encochés ou finement incisés et les impressions pivotantes au peigne. Cette faiblesse documentaire restreint bien évidemment les comparaisons et ne permet notamment pas d’argumenter les hypothèses sur les relations possibles entre ce site et celui de La Pente de Croupeton.
Datation
121Une mesure d’âge par le 14C a été obtenue sur des esquilles osseuses animales provenant de la fosse 74 : 5510 + 140 ans (GIF 5002). Elle se situe dans la zone la plus récente des datations publiées à ce jour pour la phase V.S.G. (Constantin 1989 ; Lanchon 1983, 1984). Elle est très voisine de la plus récente d’une série de trois dates obtenues pour le site de La Pente de Croupeton (inédites) ainsi que de celle de l’habitat de L’Ouche de Beauce à Maisse (Essonne) (5570 + 70 ans, GIF 7705, Tarrête et al. 1989).
2.2.6 Conclusion
122Au sein du méandre géminé de Jablines –remarquable par le nombre des occupations néolithiques et protohistoriques qui y sont attestées–, les structures des Longues Raies ne sont pas les seuls témoins du groupe de Villeneuve‑Saint‑Germain : à 400 m au sud‑est, les fouilles entreprises depuis 1986 révèlent des vestiges d’habitat et des sépultures remarquablement conservés (Bostyn et al. 1991). Comme le suggèrent les fouilleurs de ce site, la proximité des deux ensembles et la similitude de leur implantation peuvent les faire considérer comme appartenant à un même complexe. Par ailleurs, à 2 km au nord, en rive droite de la Marne, des traces d’habitat et une sépulture ont été repérés récemment à Fresnes‑sur‑Marne/Les Sablons. Dans ces divers cas, il est intéressant de relever que l’implantation s’est faite selon des conditions topographiques comparables : petite terrasse orientée au sud, à un même niveau, en retrait immédiat du lit majeur de la Marne, à une distance moyenne de 500 m du cours de la rivière. D’autre part, il faut évidemment rappeler l’important gîte de silex du Haut Château à moins d’1 km à l’est, dont l’existence a très certainement contribué à fixer les implantations préhistoriques dans ce secteur (Bostyn, Lanchon 1992). Malheureusement, dans le cas des Longues Raies, la forte patine de la majorité des pièces ne permet pas, en premier examen, d’affirmer l’utilisation –pourtant très vraisemblable– de cette matière première.
123De même, la faiblesse de la documentation n’autorise pas une approche véritable des utilisations qu’ont pu faire les Néolithiques des écosystèmes environnants, comme par exemple la zone humide ou semi‑humide qui s’étend entre le site et la Marne. Seule la faune permet d’en évoquer certains sans qu’il soit possible d’en apprécier l’importance relative (part importante de l’élevage impliquant des zones de pâture sans doute proches ; chasse de l’Aurochs, animal d’espaces découverts, et chasse des Cervidés, animaux de futaies assez vastes). Ces espaces, découverts comme boisés, qui ne pouvaient se développer à l’intérieur resserré du méandre de Jablines, pouvaient en revanche parfaitement se situer à l’époque sur la marge septentrionale du plateau briard, accessible à moins d’une heure de marche.
124Ensemble modeste par la faible superficie fouillée, la documentation restreinte recueillie et l’état d’arasement des structures, le site V.S.G. des Longues Raies présente néanmoins divers intérêts. C’est la première fois en Ile‑de‑France qu’a été mis en évidence le plan d’un bâtiment clairement daté de cette période, même si son agencement est plus difficile à interpréter que celui de découvertes postérieures comme par exemple celle de Maisse dans l’Essonne (Tarrête et al. 1989). Les résultats de cette fouille contribuent par ailleurs à une approche des occupations néolithiques d’un terroir parfaitement circonscrit par le méandre de Jablines et de leurs relations avec l’importante minière du Haut Château. D’une façon plus précise, la proximité des sites des Longues Raies et de La Pente de Croupeton conduit à s’interroger sur l’évolution spatiale de l’habitat à l’intérieur d’une même phase et sur ses relations avec l’implantation des sépultures.
125N.B.
126En dehors des études spécialisées, l’essentiel du texte de cet article prend appui sur le rapport rédigé en août 1980 par Pascal Duhamel, alors conservateur à la direction des Antiquités préhistoriques d’Ile‑de‑France. La publication préliminaire (Bulard, Tarrête 1980) et les études d’autres auteurs qui l’ont reprise comportent une iconographie provisoire, notamment pour ce qui est du plan général, à laquelle se substitue celle du présent article. Le matériel provenant des fouilles du site des Longues Raies à Jablines est déposé au musée de Préhistoire d’Ile‑de‑France à Nemours.
Bibliographie
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Auteurs
Service régional de l’Archéologie d’Ile‑de‑France.
Service régional de l’Archéologie d’Ile‑de‑France et URA 275 du CNRS, université de Paris I.
Service régional de l’Archéologie d’Ile‑de‑France.
Service régional de l’Archéologie de Bourgogne.
Ministère de l’Education nationale et de la Culture, direction du Patrimoine et URA 275 du CNRS, université de Paris I.
Centre de recherches archéologiques de la vallée de l’Oise et URA 1415 du CNRS.
Laboratoire de recherche des musées de France.
URA 376 du CNRS, université de Bordeaux I.
Société d’histoire et d’archéologie de Lagny‑sur‑Marne.
Laboratoire de recherche des musées de France.
Centre de recherches préhistoriques de l’université de Paris I et URA 275 du CNRS, université de Paris I.
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