Annexe 1. Etude anthropologique des vestiges osseux du tumulus no 3 du Grand Communal de La Rivière‑Drugeon
p. 132‑134
Texte intégral
1Les tumulus du Grand Communal de La Rivière‑Drugeon, fouillés systématiquement par M. Bichet et son équipe, ont fourni de nombreux restes archéologiques et anthropologiques. Le tumulus no 3, fouillé en 1965, a fourni jusqu’à maintenant le matériel anthropologique le plus riche : deux squelettes et de nombreuses dents humaines. Nous tenons à remercier ici MM. Bichet et Millotte de nous avoir confié l’étude du matériel osseux de ce tumulus.
Étude comparée des deux crânes
Crâne no 1 | Crâne no 2 | |
Bronze | Fer | |
Longueur maximale | 181 mm | 196 mm |
Longueur glabelle‑inion | 176 | 177 |
Largeur maximale | 150 | 140 ? |
Largeur frontale minimale | 93,4 | |
Largeur frontale maximale | 123 | |
Hauteur porion‑bregma | 113 | 118 ? |
Hauteur de la calotte (sur la ligne G1‑I) | 101 | 108 ? |
Périmètre sagittal | 375 | |
Arc frontal | 131 | 129 |
Arc pariétal | 116 | 139 |
Arc occipital | 128 | |
Corde frontale | 116 | 114 |
Corde pariétale | 104 | 123 |
Corde occipitale | 102 | |
Inclinaison du frontal (G1‑Br/G1‑I) | 56° | 60° |
Indice crânien | 82,8 | 71,4 ? |
Indice hauteur‑longueur (Po) | 62,4 | 55,1? |
Indice hauteur‑largeur (Po) | 75,3 | 80,0 ? |
Indice moyen de hauteur (Po) | 68,4 | 65,0 ? |
Indice fronto‑transverse | 75,9 |
TABL. I
2Crâne no 1 de l’âge du Bronze (fig. 93).
Crâne no 2 de l’âge du Fer (fig. 94 et 95).

FIG. 93 – Homme du Bronze 1/2 G.N : diagramme sagittal médian de la calotte crânienne no 1.

FIG. 94 – Homme du Fer 1/2 G.N. : diagramme sagittal médian de la calotte crânienne no 2.

FIG. 95 – Homme du Fer 1/2 G.N. : vue supérieure du crâne no 2.
Caractères généraux
Age
3Le degré d’oblitération des sutures crâniennes nous permet d’attribuer un âge relativement avancé au sujet no 1 : plus de 50 ans. En effet, la suture sagittale est totalement synostosée, de même que la partie médiane des sutures coronale et lambdoïde.
4Le sujet no 2 était beaucoup plus jeune. Aucune des sutures crâniennes ne sont soudées, ni sur la face externe du crâne, ni sur sa face interne. Cela permet de lui attribuer un âge certainement inférieur à 25 ans. L’état de la dentition confirme cette attribution : elle est complète et en excellent état. Les troisièmes molaires, toutes en place, présentent une très légère usure. Degré de synostose et état de la dentition nous permettent d’attribuer le crâne no 2 à un jeune adulte de 20 à 25 ans.
Sexe
5Il s’agit vraisemblablement de deux hommes. En effet, les deux crânes présentent un ensemble de caractères masculins nets : robustesse, insertions musculaires marquées, apophyses mastoïdes très développées.
Capacité crânienne
6Etant donné leur mauvais état de conservation, aucun crâne n’a permis de cubage direct, La capacité crânienne a donc été évaluée par la méthode de Lee et Pearson, en prenant la hauteur du crâne au porion. Elle est élevée pour les deux crânes : 1 595 cm3 pour le crâne no 1, 1 554 cm3 pour le crâne no 2, ce qui les situe dans la catégorie aristencéphale (selon Sarasin).
Description
7Les deux crânes sont très différents par l’ensemble de leurs caractères.
En vue supérieure
8Le crâne no 1 de l’âge du Bronze présente un contour sphénoïde (selon Sergi). Ce contour est ovoïde pour le crâne no 2 de l’âge du Fer. Ce dernier présente également une déformation oblique ovalaire gauche très nette. La dolichocrânie marquée du crâne no 2 s’oppose à la brachycrânie du crâne no 1. Cette différence est due en même temps à la plus grande longueur et à la plus petite largeur du crâne no 2. Les arcades zygomatiques, très légèrement visibles, indiquent pour les deux crânes une légère phénozygie, un peu plus marquée chez notre homme de l’âge du Fer. Le crâne no 1 montre sur le frontal gauche la trace d’une blessure profonde, provoquée par un objet tranchant. Toutefois, cette blessure n’a pas provoqué directement la mort. Elle s’est cicatrisée du vivant de l’individu.
En vue latérale
9oLe crâne no 1 possède un bourrelet sus‑orbitaire marqué, au‑dessus duquel le frontal s’élève lentement, en formant une courbe régulièrement arrondie jusqu’à l’inion. L’occipital se prolonge ensuite en une région aplatie jusqu’à l’opisthion. Le crâne no 2 est très différent : au‑dessus des arcades orbitaires minces, le frontal s’élève nettement au début, puis plus lentement jusqu’au vertex situé très en arrière du bregma. L’écaille occipitale est légèrement saillante. Si nous prenons la hauteur de la calotte crânienne au porion, le crâne no 1 apparaît haut par rapport à sa longueur (orthocrâne), alors que le crâne no 2 apparaît bas par rapport à sa longueur (chamaecrâne). Pour des hauteurs au porion du même ordre de grandeur, cette différence est due surtout à la plus grande longueur du crâne no 2.
10La part respective que prennent les os à la constitution de la voûte du crâne est très différente. Les deux os frontaux sont du même ordre de grandeur : F = 131 mm pour le crâne no 1, F = 129 mm pour le crâne no 2. La dolichocrânie de ce dernier est due essentiellement à la plus grande longueur de l’arc pariétal : P = 116 mm pour le crâne no 1, P = 139 mm pour le crâne no 2.
En vue postérieure
11La forme générale des deux crânes est pentagonale. La déformation oblique ovalaire gauche du crâne no 2 est nettement visible. Sa plus grande largeur semble se situer au niveau des apophyses mastoïdes. Le crâne no 1 est beaucoup plus symétrique, bien que la bosse pariétale gauche soit un peu plus développée. C’est au niveau des bosses pariétales que se situe la plus grande largeur du crâne. La zone sagittale et la région iniaque sont soulignées par de légères crêtes.
En vue antérieure
12Le front apparaît relativement étroit dans les deux crânes. Les crêtes temporales sont peu divergentes dans le crâne no 2 et très divergentes dans le crâne no 1. Dans ce dernier, les arcades sourcilières, très renflées, forment un bourrelet continu au niveau de la glabelle. La face est trop mal conservée dans ces deux crânes pour que nous puissions en donner une description et des mesures.
En vue inférieure
13Les faces inférieures des deux crânes sont très incomplètes. Les apophyses mastoïdes développées chez l’homme no 1 précèdent des gouttières digastriques très marquées. Les cavités glénoïdes sont également très profondes. Dans le crâne no 2, l’apophyse mastoïde gauche, seule conservée, est assez volumineuse et semble dédoublée.
Position anthropologique des deux crânes
14A quels groupes anthropologiques rattacher les crânes du tumulus no 3 de La Rivière‑Drugeon ? Ils sont incontestablement de deux types différents :
– l’homme no 1 de l’âge du Bronze, à crâne court, haut par rapport à sa longueur, moyen par rapport à sa largeur, de contour sphénoïde ;
– l’homme no 2 de l’âge du Fer, à crâne long, ovoïde, moyennement bas.
15En France, à l’âge des Métaux, existaient cinq races principales :
– deux races brachycéphales : la race alpine et la race lorraine, la première caractérisée surtout par sa petite taille, la seconde par sa grande taille ;
– trois races dolichocéphales : la race de Baumes‑Chaudes, à crâne pentagonoïde et face basse, de proportion dysharmonique, la race méditerranéenne, harmonique et de petite taille, la race nordique, harmonique et de grande taille.
16La stature des deux hommes du tumulus de La Rivière‑Drugeon n’a pu être que très approximativement évaluée à l’aide des seuls fémurs droits bien conservés. Il est indispensable pour obtenir une taille avec assez de précision, de posséder au moins deux os du membre supérieur et deux os du membre inférieur. Nous ne pouvons donc évaluer ici que très imparfaitement la stature avec la présence des seuls fémurs. Ils nous indiquent toutefois, d’après les tables de Manouvrier, des tailles surmoyennes et grandes : pour l’homme du Bronze, une taille de 1,71 m, et pour l’homme du Fer, une taille de 1,66 m. Nous tenons toutefois à signaler la valeur approximative de ces statures.
17L’homme no 1 de l’âge du Bronze peut‑il être attribué au groupe anthropologique alpin ou lorrain, tous deux brachycrânes ? La plupart des dimensions et des indices entrent dans les limites de variation que Mme Billy (1959), indique chez les Alpins de Savoie. Mais quelques caractères semblent en éloigner notre crâne de La Rivière‑Drugeon. Mme Billy reconnaît chez les Alpins « un front vertical et bombé chez 95 % des sujets ». Elle indique également que « la cryptozygie est de règle chez le Savoyard », et surtout que « la part respective que prennent les trois os de la voûte crânienne à la constitution de celle‑ci est constante, et le rapport des segments sagittaux se traduit par l’expression : F = 35,2 % ; P = 33,5 % ; O = 31,3 % ». Notre homme du Bronze de La Rivière‑Drugeon présente un segment pariétal beaucoup plus réduit au profit de l’occipital : F = 131 mm (34,9 %) ; P = 116 mm (30,9 %) ; 0 = 128 mm (34,1 %). Ces caractères éloigneraient l’homme du Bronze des Alpins et le rapprocheraient des Lorrains. Sa grande stature que nous avons évaluée approximativement à 1,70 m, grâce au seul fémur conservé, confirmerait cette attribution. Il se rapproche de la population que Piroutet décrivait à l’époque du Bronze en Franche‑Comté : « une forte proportion sinon une grande majorité de brachycéphales de haute taille et fortement musclés, qui, lorsqu’ils n’incinéraient pas leurs morts, les inhumaient dans la position allongée, et auxquels appartenait au moins en grande partie l’élément guerrier » (Piroutet 1928).
18L’homme no 2 de l’âge du Fer dolichocrâne est beaucoup plus incomplet. Son crâne, régulièrement ovoïde s’éloigne de la race de Baumes‑Chaudes, au crâne typiquement pentagonoïde. De plus, ses caractères et ses dimensions le rapprochent de l’homme no 2 de Fort‑Harrouard décrit par Melle de Felice comme un Nordique, et surtout de celui de Kehlen (K VI) figuré et décrit par M. Heuertz, également comme un Nordique. Très peu de renseignements nous sont donnés par notre homme du Fer de la Chaux d’Arlier. Nous pouvons seulement reconnaître dans son crâne ovoïde, allongé, moyennement bas, des caractères « nordiques ».
Les dents humaines des sépultures adventices
19Environs 150 dents humaines proviennent de sépultures adventices, disséminées à la surface du tumulus. Elles appartiennent à de nombreux individus.
Les dents de lait
20Nous avons recueilli à la surface du tumulus de nombreuses dents de lait :
– 19 incisives et canines ;
– 13 molaires isolées ;
– des fragments de mandibules et de palais.
21Une mandibule bien conservée (si ce n’est les branches montantes) et un palais appartiennent sûrement au même enfant. Ces pièces montrent les bourgeons des premières molaires définitives en place, en train de percer. On sait que chez les enfants actuels les premières molaires font éruption aux environ de 6 ans : ce sont les « dents de 6 ans ». On peut attribuer à cet enfant du Hallstatt, un âge analogue. Un fragment osseux de mandibule porte une première molaire définitive droite, à racines à peine calcifiées. En arrière se trouve l’alvéole du bourgeon de la deuxième molaire, encore logée dans le corps de l’os. Cela permet d’attribuer cette pièce à un enfant de 6 à 9/10 ans. Le nombre et la position des dents isolées ou en place vont nous indiquer le nombre d’enfants ensevelis dans les sépultures adventices (tabl. II). Nous avons quatre petites molaires inférieures droites. Elles font éruption chez l’enfant à 14 mois, mais leurs racines ne sont totalement formées que vers 2 ans et demi. Ces dernières se résorbent vers 4 ou 5 ans. La dent tombe vers 9‑11 ans. Dans les sépultures, les petites molaires M1 ont des racines bien formées ; deux de ces molaires sont assez usées, une autre absolument pas.

TABL. II
22Nous pouvons conclure qu’il y a au moins quatre enfants de 2 à 10 ans environ ensevelis dans ces sépultures, dont un enfant de 6 ans.
Les dents définitives
23Elles sont au nombre de 114 (tabl. III). L’étude des molaires définitives et leur position vont nous permettre de trouver le nombre minimum d’individus, jeunes ou adultes que cette sépulture a pu renfermer. Ces molaires sont normales, du point de vue évolutif. On note toutefois, sur une première molaire supérieure, la présence d’un tubercule de Carabelli très développé.

TABL. III
24La position des molaires est représentée (tabl. IV). Parmi les sept M1 inférieures droites, deux d’entre elles ne présentent pas de racines totalement formées. Elles devaient donc appartenir à des enfants de moins de 9 ou 10 ans, peut‑être à deux des quatre enfants dénombrés par la présence des petites molaires de lait.

TABL. IV
25En conclusion, nous pouvons dire que cinq des M1 droites, seulement, appartiennent à des adolescents ou à des adultes.
26Parmi les sept M2 inférieures droites, deux d’entre elles présentent une couronne bien formée, mais seulement un extrême début de formation des racines, ce qui doit les faire attribuer à des enfants que nous avons dénombrés par la présence des molaires de lait. En conclusion, nous pouvons dire que cinq des M2 droites appartiennent à des adolescents ou à des adultes.
27Les M2 inférieures gauches, au nombre de six, sont totalement formées, moyennement ou très usées. Elles appartiennent donc toutes à des jeunes ou à des adultes. Le degré d’usure d’une dent isolée ne peut pas nous renseigner de manière intéressante sur l’âge du sujet qui la possédait. Nous pouvons seulement conclure par la présence des M2 gauches à la présence d’au moins six individus jeunes ou adultes.
28L’étude des dents isolées des sépultures adventices datant du Hallstatt final du Grand Communal no 3 de La Rivière‑Drugeon, nous révèle la présence de nombreux sujets. Au minimum, ont été ensevelis dans ce tumulus : quatre enfants de 2 à 10 ans environ ; six jeunes ou adultes.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Billy 1959 : BILLY (G.). — Recherches crâniologiques en Savoie. C. R. Acad. Sc., 248, p. 3 609‑3 611, Paris, 1959.
Bouchet 1905 : BOUCHET (Dr.). Les Sépultures de l’âge du Bronze de la grotte de Courchapon (Doubs). L’Anthropologie, t. 16, Paris, 1905.
Felice 1949 : FELICE (S. de). — Etude de 5 squelettes des âges du Bronze et du Fer, provenant des fouilles de Fort‑Harrouard. Bull. et Mém. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, 10, 9e s., 1‑3, p. 89‑ 121.
Heuertz 1966 : HEUERTZ (M.). — Squelettes anciens et du Haut Moyen‑Age de la région lorraine franco‑luxembourgeoise. Bull. et Mém. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, 9, 11e s., p. 1‑ 28.
Marseillier 1958 : MARSEILLIER (E.). — Les Dents humaines. Morphologie. Gauthier‑Villars, 1958,140 p.
Olivier 1960 : OLIVIER (G.). — Pratique anthropologique. Vigot, 1960, 999 p.
Piroutet 1928 : PIROUTET (M.). — Les Races humaines du Néolithique et de l’âge du Bronze en Franche‑Comté. L’Anthropologie, 38, Paris, 1928.
Vandermeersch 1962 : VANDERMEERSCH (B.). — Un Nouveau squelette de l’âge du Fer découvert à Auvers‑Saint‑Georges (Seine‑et‑Oise). Bull. et Mém. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, 3, 11e s., p. 264‑275.
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