2. Le tombeau des géants à Campénéac (Morbihan) : fouilles de 1982
p. 29‑39
Résumés
L’Hotié de Viviane est un grand coffre mégalithique de 2,90 m de long et 1,60 m de large avec 12 dalles de chant. Il se situe sur une hauteur de schistes rouges (191 m). La fouille a montré un beau tumulus appareillé en petites dalles posées en oblique avec une séparation médiane au milieu du cairn. Bien que fouillé autrefois, un mobilier intéressant y a été recueilli : tessons du Néolithique final, pointes de flèche tranchantes, meules en poudingue local et granite du Morbihan, haches polies en dolérite de Plussulien (Côtes‑du‑Nord). Un monument semblable est connu à Lost‑er‑Len (Morbihan). Ils sont contemporains des allées couvertes du Néolithique final breton.
The Hotié de Viviane is a large megalithic cist with 12 orthostats, 2.90 m long and 1.60 m wide, erected on a schistose crest (191 m). The excavation has shown a beautiful barrow with small oblique slabs and a median separation inside the cairn. Despite a former excavation, we found an interesting archaeological material in 1983 : rough Late Neolithic sherds, stone pebble pendants, grindstones, some in granite from Morbihan, dolerite axes from Plussulien (Côtes‑du‑Nord), flints, etc. This monument appears to be contemporary with the gallery graves of the Breton Late Neolithic, towards 2,500 BC, as the cist of Lost‑er‑Len in the Morbihan.
Texte intégral
2.1. Historique
1Le Tombeau des Géants a été décrit par Félix Bellamy dans son ouvrage paru sur la forêt de Bréchéliant (Brocéliande) en 1896. Il note la présence d’une fosse creusée dans le sol et entourée de 2 blocs de schiste de 4 m de long. Au fond de cette fosse gisaient quelques pierres plates de 1 m de long. Sur le côté reposait la dalle de couverture de 3,5 m de long. D’autre part, « à 8 pas à l’Occident » se remarquait un gros bloc de schiste de 4,20 m de long parallèle à la fosse. Cette description montre que ce monument était déjà ouvert à l’époque et que l’ensemble tombe/menhirannexe présentait en gros la même disposition qu’aujourd’hui. Une autre exploration du monument a eu lieu semble‑t‑il vers 1920, sans autre résultat que de surcreuser le niveau de base du coffre central, qui se trouve aujourd’hui à 5 ou 10 cm au‑dessous de l’assise des blocs de parement latéraux.
2Le Tombeau des Géants se situe sur la commune de Campénéac, dans une zone actuellement boisée (parcelle no A1 118, Campénéac). Il est propriété de M. et Mme M. de Prunelé qui ont suivi les travaux avec intérêt. Il est répertorié parfois sous le nom de la Croix Lucas, croix monolithe en schiste au bord du chemin de crête.
3Le monument est parfois dénommé la Roche à la Vieille, désignation diversement interprétée. Pour F. Bellamy il s’agissait du « Tombeau d’une princesse très âgée », suivant la légende, mais aussi on peut rappeler que le terme « la vieille » peut correspondre, dans les contes populaires, à la sorcière sinon à la Mort. Mais le nom le plus usuel est celui de Tombeau des Géants suggéré par la massivité des pierres qui composent le monument et qui, pour leur mise en place, nécessitaient des êtres surnaturels.
4Les fouilles ont eu lieu en juillet 1982 en parallèle avec celles de l’Hotié de Viviane (autorisation no 1484, P 29, 1982). Ont participé aux travaux, outre les signataires, C. Bodéré, O. Bricaud, M. Houeix pour la fouille et F. Wiland pour le débroussaillage.
5A l’époque, le couvert végétal comprenait des troncs de pins calcinés du dernier incendie de forêt, parmi lesquels repoussaient des saules, des ajoncs, des genêts et des fougères. Le fond du caveau est toujours très humide et peut se remplir d’eau aux forts orages. Episodiquement des joncs y prennent racine de même que des mousses ou autres plantes hygrophiles. Le sous‑sol est du schiste rouge recouvert d’un limon argileux jaune orangé et d’une terre de bruyère noire.
6Ce monument est exceptionnel en cette région où aucune tombe de l’âge du Bronze en caveau fermé n’avait été signalée jusqu’ici. Mais il n’est pas isolé. Les prospections récentes de G. Larcher ont permis de retrouver, à environ 500 m au sud‑ouest du Tombeau des Géants, au flanc de la butte de Tiot, deux autres petits tumulus avec les restes de coffres au centre, l’un très ruiné, l’autre encore important. Il a fait l’objet d’un sondage de D. Marguerie pour étude du vieux sol et étude palynologique qui est présentée dans le chapitre sur l’environnement (deuxième partie : ch. 2). D’autres tombelles de 2 ou 3 m de diamètre ont été repérées à proximité, dont une au bord sud du chemin de crête séparant l’Ille‑et‑Vilaine du Morbihan, située à environ 600 m à l’est du Tombeau des Géants. La rareté apparente de l’implantation des monuments du Bronze armoricain n’était due, en cette région, qu’à un manque de prospections. Il s’agit cependant de l’ultime pénétration vers l’est d’un phénomène armoricain hyperoccidental.
2.2. La tombe centrale
7L’axe de la tombe est orienté N.E/S.O à 30 grades est. Les parois longitudinales du caveau sont formées par deux énormes blocs de schiste rouge local qui, nous le verrons par la suite, semblent être les menhirs d’un alignement néolithique préexistant. Le bloc ouest mesure 4,5 m de long, 1,15 m de large et 1,10 m de hauteur. C’est le plus massif. Sa face interne est oblique, ce qui fait que la tombe est plus large à la base qu’au niveau de la couverture. Le sommet de la dalle ouest se trouve à 0,50 m en avant de sa base. Cet artifice a permis d’utiliser une dalle de couverture moins large. La paroi est est un bloc longiligne de 4 m de long, 0,50 m de large au sommet et 1 m de hauteur maximum. Il présente un décrochement à mi‑hauteur.
8Les parois transversales étaient en pierre sèche, assez mal appareillée et de surcroît un peu dérangée par les fouilles anciennes. Le muret nord était précédé d’une dalle elliptique de 0,75 m de diamètre, probablement une dalle glissée du sommet où elle devait servir d’assise à la dalle de couverture. Celle‑ci gît sur le côté est. C’est un bloc de schiste rouge de 3,65 m de long, 1,20 m de large et 0,25 m d’épaisseur, donc relativement mince. Il était plus court que les parois latérales de la tombe. La couverture devait donc comporter en plus du bloc principal des dalles complémentaires formant une structure légèrement encorbellée. De telles dalles gisent au nord du monument, les unes réutilisées pour former des éléments de clôture dans le talus voisin. F. Bellamy indique en 1896 que ces dalles reposaient au fond du coffre. Une des pierres montre des excavations dues à un essai de débitage par les carriers. Cette structure de tombe est originale par ce système de couverture et l’utilisation d’énormes blocs pour former les parois. C’est un exemple unique en Bretagne. Cette tombe a été à demi‑enfouie dans le sol par un décapage de la partie argileuse du terrain au‑dessus de la roche en place. Le caveau mesure au fond 3 m de long, 1.20 à 1,30 m de large et sa hauteur sous dalle devait être de l’ordre de 1 m, dimensions correspondant aux tombes classiques de l’âge du Bronze armoricain (fig. 16).

● Fig. 16 – Tombeau des Géants. Plan et élévations du caveau funéraire.
2.3. Le tumulus
9Bien que peu visible, car noyé dans son propre étalement, le tumulus entourant le monument a été dégagé. Il comprenait des assises de terre, probablement arasées autrefois et qui devaient recouvrir entièrement le caveau central et sa dalle de couverture. C’est ce que suggèrent les petits tumulus de la butte de Tiot situés au nord‑ouest du Tombeau des Géants. Au centre un massif de pierres assez irrégulier venait buter contre les dalles centrales. Le diamètre maximum de ce cairn est de 6 m, sa hauteur de l’ordre de 0,80 m. Il est composé essentiellement de dalles de schiste mais aussi de blocs de quartz dont quelques gros éléments (fig. 17). Certains pouvaient correspondre au calage d’un des menhirs utilisés pour bâtir le caveau, en particulier au sud du bloc est (fig. 18). Sous les assises de pierres se trouvait un niveau irrégulier de terre humifiée puis le sous‑sol argileux rouge orangé très humide. Deux zones brunes ont été reconnues dans ce sous‑sol, peut‑être le fond des fosses où étaient érigés deux des menhirs réutilisés pour le caveau.

● Fig. 17 – Tombeau des Géants. Vue en cours de fouille.

● Fig. 18 – Tombeau des Géants. Plan général du monument avec le coffre central, la dalle de couverture déplacée à l’est et le cairn d’entourage.
10Peu de mobilier a été recueilli dans ce monument. Le caveau avait été vidé autrefois et ne contenait que quelques vestiges modernes. En surface du cairn un disque en schiste a été trouvé. Il ressemble à ceux qui recouvrent certaines urnes de l’âge du Fer (cimetière de Penfoul à Landeleau, Finistère), mais sa datation reste problématique. Les tessons sont rares mais un rebord éversé pourrait dater de l’âge du Bronze de même qu’un fragment de fond (fig. 19, no 1). Le matériel lithique est très réduit bien que l’on puisse citer un bel éclat lamellaire en silex jaune, probablement une importation de Touraine (fig. 19, no 4). Le sous‑sol est donc, contrairement à l’Hotié de Viviane, très pauvre. Le monument a été implanté dans une zone qui n’avait pas été occupée précédemment. Un habitat aurait laissé des traces, meules, taille de silex ou poterie domestique. Pourtant, un peu paradoxalement, l’analyse palynologique de D. Marguerie dénote une action anthropique plus marquée sur la végétation. Comme pour l’Hotié de Viviane, les incendies violents qui avaient eu lieu ces dix dernières années avaient laissé des traces, pierres brûlées, carbonisation des troncs et des racines, ce qui rendait tout prélèvement pour le 14C problématique. A la différence de l’Hotié de Viviane, il n’y avait pas de vieux sol épais riche en charbons de bois.

● Fig. 19 – Vase à fond plat, Tombeau des Géants. – 2 et 3. Fragments de poteries, menhir annexe du Tombeau des Géants. – 4. Silex jaune, Tombeau des Géants. ‑ 5. Campaniforme, coffre de La Guette, Paimpont. – 6. Flèche tranchante longue, allée couverte de La Ville Bouquet, Ploërmel.
2.4. Le menhir annexe
11A 8 m à l’ouest du Tombeau des Géants est couché un bloc en schiste rouge local de 4,25 m de long, 1,30 m de largeur maximale pour la face supérieure et 0,70 m de largeur pour les faces latérales. Il est orienté parallèlement à l’axe du caveau (30 gr est). Comme il s’agissait visiblement d’un menhir couché, nous avons recherché si à l’une des extrémités de la pierre subsistait une fosse de calage creusée dans le sous‑sol, Notre attente a été récompensée au‑delà de tout espoir puisque le menhir possédait une fosse de calage à chaque extrémité avec une série de petites pierres ! Il semble que le menhir ait été volontairement abattu à partir d’un premier calage puis redressé pour être dans l’axe de la tombe servant de menhir indicateur. Il aurait ensuite été couché pour une raison qui nous échappe pour revenir toucher sa première fosse de calage et être parallèle au tombeau central (fig. 20). Dans la fosse sud aboutit une petite rigole creusée dans le sol, peut‑être le résultat d’un terrier animal ancien ou d’une longue racine (fig. 21). Dans cette fosse sud ont été trouvés des petits tessons de poterie, peut‑être les restes d’un vase déposé en offrande au moment de l’érection du menhir (fig. 19, nos 2 et 3).

● Fig. 20 – Menhir annexe du Tombeau des Géants vu du sud avec ses deux fosses de calage.

● Fig. 21 – Plan du menhir annexe du Tombeau des Géants avec ses deux fosses de calage.
2.5. Rituels funéraires
12La fouille du Tombeau des Géants a permis de dresser le plan d’un grand caveau de l’âge du Bronze. Par sa structure il se rattache indiscutablement à la série classique des tumulus armoricains du Bronze ancien. Malheureusement, du fait des fouilles anciennes son contenu a disparu. On ne peut le dater archéologiquement que dans une fourchette assez large de l’ordre de 2 000 à 1 500 ans av. J.‑C. Les quelques tessons recueillis ou la lame de silex ne peuvent en dire plus.
13La curiosité de ce monument est sa composition en gros blocs, peut‑être les vestiges d’un alignement néolithique préexistant. Les arguments favorables à cette hypothèse sont de plusieurs ordres. Tout d’abord la forme et la taille des blocs de schiste utilisés pour les parois et la dalle de couverture correspondent à celles de menhirs d’alignements. Avec le menhir couché on a donc un ensemble de quatre blocs qui avaient été orientés sensiblement nord‑sud. Pour démontrer ce fait il reste les traces probables de deux fosses de calage dans le sous‑sol, d’un gros blocage de pierres au sud de la paroi est du tombeau et le calage nord du menhir couché.
14Si l’on considère les autres monuments de la forêt de Brocéliande, on peut constater que des alignements semblables ont existé. La Pierre Drette à Paimpont était connue par un beau menhir de 4 m de haut, le débroussaillage a permis de reconnaître trois autres blocs complémentaires dont deux en poudingue et un en schiste formant un véritable alignement nord‑sud. Le menhir de La Prise de Comper à Paimpont (Ille‑et‑Vilaine) est proche d’un petit alignement levé dans un filon naturel et également orienté nord‑sud. Les trois gros blocs appelés Les Trois Roches de Trébran à Concoret sont peut‑être aussi des blocs d’un alignement qui a été couché pour recouvrir des fosses funéraires. Elles sont encore orientées nord‑sud. Elles ont été malheureusement explorées en sape, ce qui a détruit les possibles traces de fosses sous‑jacentes. Mais là il n’y a pas de caveau construit, alors que l’on a, en Bretagne, (tombe de Saint‑Ouarno à Langoëlan, Morbihan) des exemples de petites tombes en fosse recouvertes d’une dalle assez importante (Le Roux 1971).
15On peut, compte‑tenu de ces arguments, reconstituer l’histoire du Tombeau des Géants comme suit (fig. 22) :
16– établissement, à la fin du Néolithique, d’un alignement de 4 menhirs orientés nord‑sud (3 000 à 2 500 av. J.‑C.) ;
17– construction d’un tombeau avec les menhirs, 1 pour la couverture, 2 et 3 pour les parois latérales de la tombe (vers 2 000‑1 500 ans ?) ; cette construction s’accompagne de la modification d’implantation du menhir 4 qui est redressé à son autre extrémité ;
18– rectification du menhir 4, à nouveau couché, de façon à toucher à ses deux extrémités les fosses de calage ; cette deuxième modification ne peut être datée avec précision mais semble bien volontaire, l’axe de la pierre correspondant à celui du tombeau de l’âge du Bronze ;
19– ouverture du tombeau à une époque mal connue (XIXe s.?), déplaçant sur le côté est la dalle de couverture. C’est dans cette position que F. Bellamy décrivit le monument en 1896 et c’est ainsi qu’il se présente encore de nos jours.

● Fig. 22 – Hypothèse de la transformation d’un alignement néolithique en tombe de l’âge du Bronze (Tombeau des Géants). – A. Alignement néolithique. – B. Tombe de l’âge du Bronze et menhir debout. – C. Tombe ouverte et menhir couché actuels.
20Le Tombeau des Géants pose le problème des monuments modifiés au Néolithique et à l’âge du Bronze, montrant que les transformations d’alignements ou autres mégalithes ne sont pas systématiquement à imputer aux chercheurs de trésors ou autres vandales des époques historiques. En ce domaine les recherches récentes tant en Bretagne qu’ailleurs ont apporté des enseignements nouveaux.
2.6. « Les idoles qu’on abat »
21Ce joli titre d’un article de J. L’Helgouach (L’Helgouach 1983) se rapportait à une théorie montrant que c’est dès le Néolithique même que des stèles et des menhirs gravés avaient été délibérément détruits et réutilisés. J. L’Helgouach en donnait pour exemple la stèle du Mane‑er‑Hroek, à Locmariaquer, gisant brisée à l’entrée du caveau funéraire et les grandes dalles gravées et brisées qui recouvrent les chambres des dolmens de Mane Rutual et de la Table des Marchands, toujours à Locmariaquer.
22Une confirmation éclatante de cette théorie découlait des campagnes de fouilles menées par C.‑T. Le Roux au tumulus de Gavrinis (Le Roux 1985). Le dégagement de la dalle couvrant la chambre de Gavrinis amenait la découverte, à l’extérieur de la table de couverture, d’une figuration de quadrupède cornu et d’un deuxième bovin incomplet. C.‑T. Le Roux montrait que cette figuration se raccordait à celle de la Table des Marchands, et probablement à un troisième élément du tumulus d’Er Grah, voisin de la Table des Marchands. La conclusion est qu’il aurait existé un grand menhir de 14 m de long, brisé en trois morceaux pour recouvrir 3 monuments funéraires (fig. 23). Le réexamen du fameux « grand menhir brisé » de Locmariaquer incline aussi à prendre en considération cette théorie séduisante. Les raisons géologiques confirment aussi cette démonstration, le granite utilisé étant le même. Gavrinis a sans doute été bâti dans une phase du Néolithique moyen, largement antérieure à l’époque du Tombeau des Géants. Mais on connaît en Bretagne d’autres exemples plus récents de destructions et de réutilisations mégalithiques. La fouille du tumulus de Kermené à Guidel (Morbihan) amenait la découverte des fragments d’une statue‑menhir de déesse‑mère brisée dans la chape de pierres du monument. Ceci incitait R‑R. Giot (Giot 1959) à se pencher sur « le mystère de la femme coupée en morceaux ». Les deux datations de ce tumulus sans chambre montrent qu’il fut bâti au Néolithique final : 4 030 ± 100 B.P. (GSY 73) et 4 390 ± 140 B.P. (Gif 1966). Aux environs de la même époque un autre grand tumulus était construit dans le Trégorois à Tossen‑Kéler en Penvenan (Côtes‑du‑Nord) (Briard, Giot 1968). Il comprenait un grand cairn central en forme de pointe de flèche à pédoncule central et ailerons et un entourage de menhirs en fer à cheval dont certains étaient des dalles gravées de motifs classiques des dolmens et allées couvertes (déesse‑mère, hache emmanchée, chevrons, etc.). La position tête‑bêche de ces gravures montrait que c’était une réutilisation probablement à partir de monuments détruits et ayant perdu leur impact religieux. La datation radiocarbone obtenue sur l’un des deux foyers centraux de ce monument sans chambre se rapprochait de celle de Kermené : 4 500 ± 260 B.P. (Gif 280). Ce sont donc, en Bretagne même, des cas assez troublants de destruction d’idoles néolithiques entre 3 000 et 2 000 av. J.‑C. Ce processus va se poursuivre à l’âge du Bronze. Un bel exemple en est donné par le tumulus du Bronze ancien de Kersandy à Plouhinec (Finistère) (Briard 1976). La dalle de couverture de ce caveau à pointes de flèche armoricaines n’est autre qu’une statue‑menhir de déesse néolithique. Réutilisation prosaïque ou symbole, la déesse protégeant le seigneur de l’âge du Bronze inhumé dans le caveau ? Le bris partiel de la statue, au niveau de l’épaule et de la tête, semble indiquer une simple réutilisation.

● Fig. 23 – Reconstitution du deuxième grand menhir de Locmariaquer composé des dalles de couverture de la Table des Marchands, en bas, de Gavrinis, au centre, et d’Er Grah, au sommet. D’après Le Roux (1985).
23Au Néolithique final des alignements ont été modifiés et complétés à l’âge du Bronze par l’adjonction de caveaux, comme au Tombeau des Géants. Parfois il s’agit d’une simple cohabitation comme aux alignements de Kersolan à Languidic (Morbihan), monument qui a fait l’objet d’un contrôle récent de Y. Lecerf (Lecerf 1983). Il donne une date ancienne pour le menhir H : 5 330 ± 80 B.P. (Gif 5765) mais aucun élément marquant de l’âge du Bronze dans les structures d’alignements elles‑mêmes.
24Un exemple de réutilisation certaine d’alignements, comparable au Tombeau des Géants, est fourni par les alignements du Moulin à Saint‑Just qui ont fait l’objet de trois campagnes de fouilles de C.‑T. Le Roux et de son équipe (Le Roux 1979, 1983). L’histoire de ce monument est complexe puisque C.‑T. Le Roux peut y distinguer quatre phases au moins : une phase initiale datée par de grands foyers de 3 700 ans environ av. J.‑C. Une phase néolithique plus évoluée avec complément de menhirs en schiste. Une phase chalcolithique avec tertre étalé et vases campaniformes. Enfin une ultime phase marquée par l’apparition d’éléments de l’âge du Bronze : grande urne à quatre anses en fer à cheval datée de 2 000 ans av. J.‑C. (3 940 ± 80 B.P, Gif 3765). D’autres tessons décorés se rattachent à la civilisation des tumulus dont une urne carénée décorée d’incisions. Mais les structures aussi ont été aménagées avec des constructions de coffres individuels avec les pierres même de l’alignement (fig. 24). Ainsi en haute Bretagne où les éléments classiques de la civilisation des tumulus sont rarissimes, on a au moins deux exemples de réutilisations d’alignements néolithiques pour les transformer en structures funéraires du Bronze ancien : le Tombeau des Géants et les alignements de Saint‑Just.

● Fig. 24 – Alignement du Moulin, Saint‑Just (Ille‑et‑Vilaine), Coffre aménagé dans l’alignement nord et poteries chalcolithiques et de l’âge du Bronze de l’alignement sud. D’après Le Roux (1971).
25Sur un plan plus général on peut s’interroger sur ces modifications. Elles correspondent, à l’aurore de l’âge du Bronze, à une modification profonde des rituels funéraires et religieux. Des monuments, objets de culte de la fécondité comme les déesses‑mères ou liés aux cultes astronomiques comme les alignements, sont réaménagés, réutilisés sinon volontairement détruits. Le fait se retrouve en Europe dans diverses civilisations aux alentours du début du deuxième millénaire. En Suisse, le site du Petit Chasseur à Sion (Valais), fouillé par O.‑J. Boxberger (Boxberger 1976‑1978) en fournit une remarquable illustration. Il comprend des séries de sépultures en coffre de schiste avec des dalles chalcolithiques décorées qui ont fait l’objet d’une magnifique publication (Gallay et alii 1986). Cet ensemble montre une succession continue de modifications dans la disposition, l’utilisation et même le bris de ces stèles décorées, confirmant que les variations ou les transformations des idéologies amenaient des répercussions sur l’architecture et l’emploi des symboles religieux.
26Dans le Midi de la France, le Dr J. Arnal a montré les variations de décors auxquelles étaient soumises les statues‑menhirs masculines ou féminines (Arnal 1985). D’autre part il a suggéré que la forteresse chalcolithique du Lébous à Saint‑Mathieu‑de‑Tréviers (Hérault), vraisemblablement détruite par les peuples de l’âge du Bronze, avait vu ceux‑ci réutiliser pour leurs propres tombes les statues‑menhirs chalcolithiques.
27La péninsule Ibérique donne aussi des exemples d’alignements néolithiques ou chalcolithiques abattus et réutilisés aux périodes protohistoriques. R Bueno‑Ramirez a étudié le site de Collado de Séjos dans la vallée de Polaciones, province de Santander. Il comprenait cinq stèles chalcolithiques dont deux avec gravures de déesses‑mères qui avaient été abattues et intégrées à un système complexe de calages de poteaux, foyers et structures lithiques (fig. 25). C’est encore un exemple de bouleversement volontaire d’un alignement dont le rituel nous échappe malgré tout (Bueno‑Ramirez 1985).

● Fig. 25 – Ensemble des stèles de Collado de Séjos. D’après Bueno‑Ramirez (1985).
28En conclusion, le Tombeau des Géants apporte lui aussi « sa pierre » à la question des mutations religieuses du début de l’âge du Bronze qui voit l’abandon et la réutilisation de symboles religieux comme les alignements si chers aux peuplades néolithiques.
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