Adieu mon fief
Le rachat d’Alberobello
p. 115-145
Texte intégral
« Alors que tant de colossales ruines nous barrent la route, là où les siècles sont obscurcis par un système mythologique si complexe, les modestes écritures de pierre sont les archives et les bibliothèques de l’Antiquité. »
Luigi Maggiulli, Monografia di Muro Leccese, 1871.
1Des refuges, des granges, des avant-postes de surveillance, des mausolées ? Qu’étaient les trulli avant de devenir des maisons ? Inconnu, autant que leur fonction première, est leur lieu d’émergence, toute tentative de datation reste vaine. Constructions de pierre rigoureusement bâties, les trulli s’égarent, et nous égarent, lorsque nous les interrogeons, dans la nuit des temps... Quantité de géographes, architectes, linguistes, ethnologues, historiens et archéologues les ont étudiés et, faute de pouvoir se fonder sur une connaissance commune, ils les ont d’abord décrits. Ainsi cet archéologue :
Les truddhi, habitations paysannes, sont faits de pierres irrégulières, jointes selon un cercle qui se rétrécit jusqu’au sommet où la voûte se ferme en tronc de cône. [...] À l’intérieur se trouve la pièce dont le volume se réduit progressivement jusqu’au faîte qui culmine sur une pierre centrale, la clef de voûte. Cette pièce est sombre, sa seule lumière vient de la porte [...] qui est formée de trois pierres, parfois plus, avec architrave d’une seule pièce, parfois en forme d’arc rond ou d’ogive ; elle a, ordinairement, un mètre dix de hauteur (De Simone 1879).
2Malgré leur longue existence, les trulli n’apparaissent dans l’écrit qu’à partir du xviiie siècle, lorsque des voyageurs érudits parcourent les routes inhospitalières des Pouilles. Qu’ils soient italiens ou étrangers, ils sont toujours impressionnés par l’aspect étrange de ces constructions : à Jean-Claude Richard de Saint-Non, elles évoquent d’anciennes tombes qu’il n’hésite pas à définir aussi comme « des refuges sauvages qui ressemblent aux cabanes des Tartares » (Saint-Non 1781-1786), tandis que pour Giuseppe Maria Galanti il s’agit, plus techniquement, de « cabanes bâties à sec » (Galanti 1794), quant à Matilde Perrino elle les qualifie laconiquement de « taudis » (Perrino 1787). Henry Swinburne souligne en revanche leur usage quotidien, et se moque d’un autre voyageur, peut-être Johann Hermann von Riedesel, qui avait vraiment cru qu’il s’agissait de mausolées1. Du xviiie siècle nous passons d’un trait à la fin du XIXe où, avec une densité surprenante, s’enchaînent les articles et les essais qui situent désormais les trulli dans un temps mieux repéré en le traitant de « mystérieuses constructions préhistoriques ». En 1872, 1878 et 1879 paraissent les études de l’archéologue Luigi Giuseppe De Simone ; en 1879 un article de l’anthropologue Giustiniano Nicolucci, suivi des études d’Orlando De Donno, la même année, et de De Giorgi en 1882 ; l’architecte Pio Alberto Nencha inaugure en 1894 le discours, ininterrompu depuis, de sa corporation2. Parmi les étrangers, deux noms s’imposent, celui de l’ethnologue Georg Steitz (1881), qui traversa les Pouilles en 1874 et fut très intrigué par la ressemblance entre les trulli et les nuraghes sardes, et celui de l’historien et archéologue François Lenormand (1881). Mais la question prit une envergure internationale avec l’« Étude d’un type d’habitation primitive » de l’historien d’art Émile Berteaux, paru dans les Annales de géographie en mai 1899. L’émotion du voyage dans les Pouilles d’Horace traverse ses mots inspirés :
« Apulia petrosa »... Le mot, si souvent répété par les anciens érudits de l’Italie méridionale, revient comme une obsession à qui parcourt les campagnes, dans les deux provinces de Bari et de Lecce. [...] Le regard se heurte en tous sens à l’inextricable réseau des murs de pierres sèches, et au-dessus de chaque enclos il est arrêté par des édicules bizarres élevés parmi les arbres : des troncs de cônes faits de pierres irrégulières, entassées tantôt jusqu’à hauteur d’homme, tantôt jusqu’à une hauteur de plusieurs mètres. Ce sont les trulli, qui pullulent d’un bout à l’autre de l’Apulie, depuis l’Ofanto jusqu’au cap de Leuca : détachés en gris jaunâtre sur la verdure grise des oliviers, ils achèvent de donner à cette région de l’Italie la rude et sauvage tristesse qu’elle conserve sous l’uniformité de ses cultures opulentes. [.] À peine sorti des grandes villes commerçantes, on croit reculer tout à coup de vingt siècles. Les trulli, tout en accentuant de leurs taches grises la gravité du paysage apulien, communiquent à la nature même qui les entoure je ne sais quel air d’obscure antiquité : dans le pays des pierres, ils semblent évoquer un âge de la pierre (Berteaux 1899 : 207-208).
3Pour Berteaux, c’est l’harmonie entre le pays et cette façon d’habiter qui domine toute la région :
Les trulli nous sont apparus tout d’abord comme une partie intégrante du paysage apulien, et comme une sorte d’excroissance naturelle de la terre apulienne. Les limites mêmes des trulli, telles que j’ai pu les déterminer, sont, on peut le dire, des limites géographiques. [...] De même la limite des trulli passe, du côté de la Basilicate, à l’est de Massafra, de Ginosa et Matera, et dès que cette ligne est franchie, les constructions élevées avec les fragments de pierre ramassés à la surface du plateau font place à des grottes de troglodytes creusées aux flancs des « gravines » et dont beaucoup sont encore habitées (ibid. : 222).

Vue panoramique d’Alberobello.
4Le charme exercé sur lui par cette terre et ses formes d’habitat aboutit à un essai très érudit : description des techniques de construction des trulli, typologie3, cartographie dans les Pouilles et analyse approfondie de leur origine. Le trullo est, selon Berteaux, la maison type d’une civilisation antérieure aux Grecs et aux Romains, florissante dans le bassin méditerranéen à l’époque préhistorique. Les analogies entre les trulli et les specchie dans les Pouilles, les nuraghes en Sardaigne, les garritas et les talayots dans les Baléares4 ne laissent aucun doute : il s’agit d’une civilisation qui, dans ses mouvements migratoires autour de la Méditerranée, a développé une stratégie de défense en bâtissant, tout le long des côtes, des avant-postes d’observation, les specchie, et a élaboré des techniques de construction fondées exclusivement sur la pierre, y compris pour les habitations5. Les dater est évidemment impossible : « Une fois que dans nos recherches nous avons franchi trois ou quatre siècles, il nous faut, d’un bond, nous reporter jusqu’à l’antiquité que n’atteint pas l’histoire écrite, et nous arrêter devant les ruines des monuments de la Terre d’Otrante qui sont les ancêtres directs des trulli, et qui, peut-être, n’étaient déjà plus, comme aujourd’hui, que des tumules de pierres écroulées quand Tarente fut livrée aux Romains » (ibid. : 216).

Évolution architecturale des trulli, reprenant la typologie établie par Émile Berteaux.
5On entrevoit ici la double importance du texte de l’historien français : en établissant les premières descriptions méthodiques de ces constructions, il a renforcé les dimensions mythiques du discours sur les trulli, lesquelles, déjà exprimées par les écrivains subjugués par leur vision, s’enracinent de initivement dans le discours scientifique et littéraire. « Constructions sans temps »6, tellement en harmonie avec la terre qu’elles en sont comme une sécrétion, les trulli des Pouilles sont, pour Berteaux, une forme de construction suffisamment vivante pour s’adapter à différentes civilisations, une extraordinaire survivance qui se perpétue parce qu'idéalement « autochtone ». N’émane-t-elle pas du sol qui la fit naître7 ? Un cas particulier, aux yeux de Berteaux, est celui d’un village entièrement construit de trulli, incroyable non parce qu’il serait là depuis toujours mais au contraire parce qu’il a été bâti il y a peu, en utilisant des techniques préhistoriques :
Le voyageur qui, venu de la côte, se sera arrêté avec surprise en face de ces étranges habitations de villégiature, n’aura qu’à pousser un peu plus loin vers les points culminants du plateau [...], entre Fasano et Laureto, pour découvrir une singularité plus invraisemblable encore : une ville de trulli. Cette ville est Alberobello, peuplée de 9 000 habitants, dont la plupart sont logés dans des caselle8 à plusieurs coupoles, assez régulièrement alignées et séparées par des rues. [...] La ville d’Alberobello, située dans la Terre de Bari, à quelques kilomètres de la Terre d’Otrante, marque le centre géographique de la région des trulli.
6Ces quelques mots lancent une nouvelle curiosité sur la scène savante : Alberobello, la « ville singulière », dorénavant « capitale des trulli ».

Le quartier de l’Aja Piccola
Interlude
7Je me suis rendue à Alberobello un siècle plus tard, en 1999. La ville ne compte plus 9 000, mais 19 000 habitants. Très peu vivent dans les trulli dont beaucoup sont aujourd’hui destinés au marché touristique, transformés en boutiques ou en musées. Deux quartiers construits exclusivement a trullo sont restés intacts – le Rione Monti et l’Aja Piccola –, tandis que le centre est peuplé de maisons modernes parsemées de trulli isolés, qui disparaissent complètement dans les quartiers plus périphériques.
8Pourtant Alberobello est, aujourd’hui plus que jamais, la « capitale des trulli », car ceux-ci depuis presque un siècle ont été classés « monument national ». Des milliers de touristes visitent la ville chaque année car « les trulli sont d’Alberobello », il ne suffit pas de les apercevoir dans la campagne alentour. On vient jusqu’ici car ils sont plus « raffinés » qu’ailleurs, mais surtout parce que la ville est conçue, au départ, exclusivement de trulli, ailleurs dispersés dans le terroir. Depuis 1977, il existe un Comprensorio dei trulli e delle grotte (« Territoire des trulli et des grottes ») qui réunit plusieurs communes – et un total de 50 000 trulli. Il a été créé dans le but de « défendre, accroître, valoriser la zone des trulli », essentiellement à travers le développement du tourisme9. De toutes ces petites villes, Alberobello est la seule qui ait fait des trulli son image et sa ressource principale. Mais deux quartiers construits a trullo suffisent-ils pour expliquer une stratégie économique entièrement bâtie sur le tourisme et un discours politique qui vise à faire du trullo l’emblème de la ville ? Comment est-on passé du village presque inconnu, dans lequel Berteaux voyait une simple curiosité, non un témoin archéologique profond mais « un fait récent et artificiel »10, à la reconnaissance d’Alberobello comme « Patrimoine de l’humanité » par l’unesco en 1996 ?
9La plupart des habitants ne vivent plus dans les trulli, entre autres parce qu’ils savent bien qu’habiter un trullo est très peu pratique, à moins qu’on ne puisse se permettre des investissements considérables pour dissimuler sous les formes traditionnelles les conforts de la vie moderne. Qu’est-ce donc qu’un trullo pour eux ? Poser la question revient à entrer aussitôt dans un discours qui relie en quelques minutes le présent du xxie siècle au passé du XVIIIe, qui n’est précédé que par « la nuit des temps », comme si un guide touristique était en train d’égrener les points cruciaux d’une histoire aussi établie que convenue. S’il est vrai que tout tourne autour d’une forme architecturale, après quelques jours d’enquête à Alberobello on s’aperçoit qu’une bonne partie du « phénomène trulli », leur perception et leur actuelle valorisation sont fondées sur une riche littérature que le discours local a parfaitement intégrée. En fait, sur Alberobello, existent plus de deux cents titres d’articles et d’ouvrages et de cette bibliographie les habitants sont très fiers. D’une certaine façon, les trulli, comme d’autres monuments, existent par leur image, mais aussi par l’écriture qu’ils ont générée. Et de cette dimension j’ai dû largement tenir compte.
Une fable historique pour un pays féerique
10En parcourant les rues d’Alberobello et les pages de ses historiens, on entend comme en écho ces mots de Giovanni Macchia : « C’est la terre qui héberge, en même temps, le château hargneux et noirâtre pour les nobles et les bizarres fantaisies domestiques pour les humbles : les trulli, l’un après l’autre, tels des campements de guerriers nains, faits de pierres calcaires aux couleurs tendres et aimables, le blanc et le gris » (Macchia 1982). Alberobello la nuit est un décor de conte de fées, avec ses maisons miniatures. Quant à son histoire, elle a tout d’une fable. Encore faudrait-il parler d’« histoires » au pluriel.
11Préfaçant le livre d’un actuel historien local, Monseigneur Ruppi note avec franchise et finesse :
De cette histoire, qu’autrefois les petits garçons racontaient aux touristes, l’auteur donne une narration attentive et documentée [...]. En lisant les pages qui suivent, on pensera tout de suite au précieux volume du professeur Notarnicola, le vrai, grand historien d’Alberobello, mais on pensera aussi aux écrits du notaire Pietro Lippolis et aux innombrables recherches de notre regretté don Giovanni Girolamo qui, pendant ma jeunesse, me remplissait la tête avec des dates, des noms et des faits d’histoire locale. Mais par rapport à ces noms illustres, Contento a une approche différente : il est plus jeune, plus facile, dans un certain sens plus moderne. Il conçoit l’histoire comme une narration, un conte de fées, la fable d’un peuple qui grandit, qui marche [...] (Contento 1997 : 158)11.
12Où commence cette fable, vivante dans les traditions orale et écrite confondues ? En démêlant l’écheveau des deux cent huit titres de la bibliographie sur Alberobello, on obtient un nombre important d’écrits historiques qui forment un enchevêtrement assez complexe de références, citations, gloses et discussions. Alberobello affiche un groupe considérable d’historiens, dont certains sont évoqués par Ruppi : Lippolis, Morea, Notarnicola, Palasciano, Martellotta, Contento sont ceux qui, après avoir publié de nombreux articles, ont écrit un livre, parfois plusieurs. Tous vénèrent un ancêtre commun, qui n’est pas d’Alberobello mais de Noci, une commune limitrophe à laquelle Alberobello a longtemps appartenu, c’est Pietro Gioia, le seul historien qui proposa, dès 1839, des lueurs sur les origines du village. De lui, on tient des informations sur la période la plus mystérieuse et la plus interrogée d’Alberobello, lorsque ce hameau était un ief, un avant-poste, un appendice de Noci, alors dominé par un seigneur rusé et impitoyable, Gian Girolamo II d’Aragona, comte de Conversano (Gioia 1839-1842 : XX, 181-232 ; en particulier 213-232). C’est par là qu’on entre dans cette histoire.
13Au début du xviie siècle, Noci avait sur son territoire une forêt qui fut investie par le comte qui voulait la déboiser pour ensemencer la terre. À cette fin, il fit ériger des caselle pour héberger les défricheurs, et, en 1636, une maison à son usage ainsi qu’un four, un moulin, une boucherie et une charcuterie pour les gens du lieu dont il voulut accroître le nombre en accueillant les bannis et hors-la-loi qui trouvaient immunité et franchise dans ce qui devenait un véritable village. Le comte avait, en agissant ainsi, violé la Prammatica de baronibus qui interdisait aux feudataires de bâtir de nouveaux villages sans l’autorisation royale ain d’échapper aux taxes dues en pareil cas. Ce lieu, officiellement, n’existait donc pas et ne devait pas exister. Les naissances furent enregistrées sur le registre paroissial de Noci jusqu’en 1706, date où l’on fit ériger la chapelle dédiée aux saints Côme et Damien. Selon un plan levé par Donato Gallerano en 1704 Alberobello n’avait pas encore de rues : c’était un semis de trulli au fond des bois.
14Pour leurs habitants la situation était critique : ils ne possédaient rien, ni les terres qu’ils cultivaient après les avoir déboisées, ni leurs maisons, ils payaient pour le service du moulin ou de la boucherie et n’avaient aucun droit civique. Situation que tous les historiens d’Alberobello qualifient de « barbare » et placent « sous le signe des trulli ». En fait, la tradition historienne que nous sommes en train de reparcourir leur confère un rôle central, ils symbolisent toute la période d’assujettissement au pouvoir féodal des Acquaviva di Conversano. Dans les dépliants sur Alberobello, dans les brochures touristiques et dans les discours des guides le trullo est présenté comme une forme d’habitat imposée par le comte qui pouvait les démolir « en une nuit » pour punir ses sujets ou pour effacer le village en cas d’inspection royale. Il est sans doute vrai que les Acquaviva entretenaient la précarité du lieu en interdisant explicitement toute construction consolidée au mortier, mais une telle interprétation ne retient que cette dimension sociale de l’usage des trulli, négligeant les éléments qui démontrent l’attachement des gens du lieu à cette forme architecturale : en effet elle ne coûte quasiment rien pour qui maîtrise le savoir-faire traditionnel.
15Le xviie siècle est pour les historiens locaux la période de référence, car elle touche à l’origine ; ils colorent des teintes sombres du servage et de la négation d’identité une histoire plus riche d’anecdotes que de sources documentaires12. Mais leurs récits fabuleux culminent sur le tournant décisif, inattendu, quasi miraculeux, de mai 1797. Sans le moindre préliminaire, sans la plus petite trace de révolte organisée des gens d’Alberobello, advient un événement clé, sans doute le plus célébré de cette histoire, le plus détaillé aussi. Au printemps 1797, le roi Ferdinand IV de Bourbon, à l’occasion du mariage de son fils Francesco, se rend dans les Pouilles qu’il parcourt en entier. Sept hommes instruits d’Alberobello13, las de leur état d’asservissement, dénoncent le cas auprès du roi qui les reçoit personnellement. Quelques semaines plus tard, le 27 mai 1797, Alberobello devient par décret une cité autonome14. Indépendance conquise sans armes, mais consolidée à coups de lettres, suppliques et recours qui, pendant quelques années, dénonceront les abus des Acquaviva acharnés à contrarier l’émancipation. Immédiatement après la reconnaissance d’Alberobello fut bâtie la première maison à étage – pour laquelle il fallait évidemment utiliser le mortier. C’est la Casa d’Amore, toujours visible et visitée, qui marque la fin de l’interdit. Les trulli, bas et trapus, étaient pour ces paysans le stigmate de la servitude féodale, les maisons élevées grâce au mortier furent vite l’emblème de la liberté. Changer de maison n’était-ce pas changer d’époque, entrer dans la modernité15 ? Telle est du moins la version des historiens qui, tous, s’arrêtent longuement sur cette ligne de partage. Le 27 mai 1797 commence l’histoire d’Alberobello, précédée d’une préhistoire de presque deux siècles. Avant, c’est le néant comme le prouve l’archéologie des trulli : le plus ancien est daté du xvie siècle, au-delà toute tentative de datation se heurte au silence des choses et des écrits. Notarnicola (1983) est le seul qui essaie de démontrer l’existence d’un habitat néolithique à l’emplacement de la ville actuelle. Cette tentative pour insérer Alberobello dans la longue durée reste sans résultat et sans disciples16. Si le trullo est très ancien, Alberobello est jeune, leur rencontre a eu lieu vers la fin du xvie siècle mais c’est seulement à la in du xviiie que le village établit sa date de naissance, paradoxalement marquée par la libération des trulli.
16Beaucoup moins épique, dans ces livres d’histoire, est le siècle suivant, raconté comme un lent et inexorable chemin vers le progrès : expansion urbaine, développement sanitaire, scolaire, économique et social en général. Pendant les célébrations du premier centenaire d’Alberobello, en 1897, le bilan positif (Contento 1997 : 97-105) est de rigueur : malgré les difficultés et le manque chronique de terres, Alberobello célèbre le passage réussi de la forêt à la ville. Il y a pourtant quelque chose de nouveau dans l’air : d’illustres voyageurs et d’éminents savants s’intéressent aux quartiers populaires, reliques du temps des seigneurs et des serfs. Ce sont les années de Berteaux...
Du taudis au monument, du monument au site
17Dans cette course à la modernité, les autorités d’Alberobello avaient favorisé l’abandon des trulli en promulguant en 1844, dans le premier « Règlement de la police urbaine et rurale du Conseil communal », un interdit absolu de bâtir des maisons en pierres sèches sur tout le territoire communal, à l’exception du Rione Monti, désormais habité par les classes les plus pauvres. Peu nombreux sont ceux qui soulignent ce moment crucial de l’histoire des trulli, dont la vitalité, si vantée par Berteaux, s’est trouvée bridée par la loi17. La municipalité d’Albero-bello va alors à contre-courant. À l’époque de la grande diffusion des trulli dans les campagnes des Murge (Speciale Giorgi & Speciale 1989 : 50), elle bannit de la ville ces constructions qui attiraient déjà les voyageurs à la recherche d’un Sud exotique et primitif
18La première loi italienne de sauvegarde monumentale date de 1902, elle concerne les « monuments, immeubles et objets mobiliers qui ont valeur d’antiquité ou d’art » ; en 1909, une deuxième loi étend la sauvegarde « aux choses mobilières et immobilières qui ont un intérêt historique et artistique ». Dès 1910, le Rione Monti, quartier d’Albero-bello exclusivement bâti a trullo, et désormais quartier prolétaire, devient monument national. L’année 1911 est pour Alberobello un moment de gloire : à l’occasion de la première Exposition d’ethnographie italienne, dans la section régionale, parmi les « constructions ethnographiques » on fait bâtir un vrai trullo. C’est une des rares habitations méridionales choisies ; sans doute objet de curiosité pendant l’exposition, il n’est guère présent dans le catalogue où on se limite à qualifier de « bizarres » ces constructions à coupole. Bien différent, en revanche, est l’écho local de cette reconnaissance romaine qui élève le trullo au rang des grands témoins de la civilisation italienne. Avec un décalage de quelques années dû à la guerre, l’histoire d’Alberobello va en effet connaître une vigoureuse accélération. La politique culturelle fasciste a rencontré là un objet possible. N’essayait-elle pas de récupérer les marques d’une lointaine et glorieuse histoire nationale en exaltant les grandes œuvres du passé mais également l’architecture paysanne, vernaculaire, autochtone ?
19Dans les Pouilles, le programme fasciste de réhabilitation et de célébration du patrimoine se concentra sur de grands monuments, comme Castel del Monte ou la cathédrale Saint-Nicolas de Bari, mais n’ignora pas des architectures populaires comme, justement, Albero-bello. D’abord le classement du Rione Monti, déjà reconnu comme « monument national », fut en quelque sorte redoublé. En 1922, à la valeur archéologique s’ajoute la valeur « panoramique », et l’année suivante on nomme un inspecteur chargé d’empêcher les « attentats graves à l’intégrité des trulli ». Toujours en 1923, grâce au travail de cet inspecteur, furent déclarés monuments nationaux la Casa d’Amore et le Trullo Sovrano18, tandis qu’en 1930 le décret Giuliano déclara monument national tout le quartier d’Aja Piccola, déjà sous tutelle depuis 1928, et rendit plus sévère la protection des Rione Monti, de la Casa d’Amore et du Trullo Sovrano. Autour des quartiers sauvegardés, qui constituaient dès lors une « Zone monumentale et panoramique », on imposa la construction « en style de trullo » – qui auparavant était simplement souhaitable. L’église Saint-Antoine, bâtie entre janvier 1926 et juin 1927, en est un exemple magistral.
20On possède des informations très détaillées sur cette phase de monumentalisation d’Alberobello, sur ces trente années qui, incluant les vingt ans du fascisme, changent le destin des trulli et de la ville. La chronique en a été tenue scrupuleusement, au fur et à mesure, comme si la conscience historique était l’accompagnement obligé du changement de statut. Giuseppe Notarnicola, le prince des historiens d’Alberobello, est ce chroniqueur de la métamorphose. Il publie en 1940 I trulli di Alberobello, dalla preistoria al presente (« Les trulli d’Alberobello, de la préhistoire au présent »), c’est lui l’inspecteur honoraire de la Soprintendenza aux Monuments de Bari pendant les années 1930, membre du parti fasciste.
21Dans ce même début de siècle se multiplient les visites de personnages illustres de la culture et de l’histoire italiennes. Ils avaient eu comme éminent précurseur Gabriele D’Annunzio qui, en 1917, note rapidement dans son journal de voyage sa rencontre avec Albero-bello19. Cette visite fut, plus tard, exaltée par les autorités fascistes locales, au point qu’une eau-forte du trullo visité par D’Annunzio, gravée par Antonio Carbonati, fut exposée à la Biennale de Venise en 1932, et qu’une place du Rione Monti prit le nom du poète, qu’elle porte encore aujourd’hui. Ce sont les années où Alberobello commence à planifier sa vocation touristique : en 1931, un texte de Pietro Campione détaille les améliorations indispensables, des égouts au mobilier urbain, pour l’accueil des visiteurs.

L’Église Saint-Antoine, cas unique d’église bâtie a trullo
22Le rôle joué par le programme fasciste de réhabilitation dans la fixation du paysage monumental historique des villes italiennes reste encore à étudier. Pour Alberobello la période a été décisive : d’une part elle a drainé les fonds suffisants pour la valorisation du village, en l’aidant à sortir d’un sous-développement fatal, de l’autre, en déclarant ce lieu « monument national », elle a jeté les bases de son actuelle valorisation. En effet, le développement touristique d’Alberobello, véritablement lancé dans les années 1960, s’est fondé sur cette conversion des années 1910-1930, lorsque la qualification de la « capitale des trulli » comme bien culturel l’a transformée, ipso facto, en patrimoine à commenter, à célébrer, à conserver, à reproduire et à offrir à la consommation.
23Ces actes tendent à former un tout dans l’expérience des nouveaux médiateurs. Un cas emblématique le confirme, celui de l’historien Mariano Marraffa. Sans être d’Alberobello, il épouse sa cause et se consacre pendant des années à sa célébration ; il en reconstruit l’histoire, mais aussi « la légende, l’art et le folklore ». Il écrit deux chansons, la première en 1936, participe à beaucoup de cérémonies locales et, surtout, devient un infatigable défenseur de la cause du tourisme. Il publie des articles quasi publicitaires sur Alberobello dans de très nombreux journaux, souvent de niveau national. Il inonde, à ses frais, de milliers de dépliants les institutions qui pourraient, à divers titres, être intéressées par la petite ville. Le 21 septembre 1962, devant le conseil municipal d’Alberobello réuni pour l’occasion, il offre au maire l’œuvre de sa vie : un texte dactylographié de deux cent quarante pages, « La storia dei trulli di Alberobello nelle scuole, nelle biblioteche, nei circoli di lettura e nel turismo » (« L’histoire des trulli d’Alberobello dans les écoles, dans les bibliothèques, dans les clubs de lecture et dans le tourisme »)20. Destiné aux archives municipales, il est le premier livre qui conduit l’histoire du pays jusqu’au présent de la conversion patrimoniale et touristique. Nous y suivons le détail des stratégies locales. Ainsi, pour faire vivre aux touristes les émotions de l’habitant d’un trullo, l’administration communale et le Bureau pour le tourisme de la province ont soutenu en 1958 la construction d’un village touristique a trullo, dans la zone des bois au-delà de l’église Saint-Antoine. Il s’agit d’un ensemble de maisons « mixtes » – car chacune d’elles est composée d’un trullo et de deux pièces normales -avec jardin et « tous les conforts modernes ». Le village a aussi un restaurant, un bar, une salle de lecture et une bibliothèque. Inauguré en 1960, ce fut, d’après Marraffa, un élément déterminant pour le développement touristique de la petite ville. Le trullo semble poursuivre la migration dans le temps qui, selon les savants du xixe siècle, le caractérise. Refait à neuf, mais selon des techniques immuables, il transporte dans la modernité un intérieur archaïque où le visiteur d’élite va vivre comme une plongée physique dans le passé. Et il faut un historien pour œuvrer à ce retournement de l’histoire.
Les touristes à Alberobello et le mystère de l’Aja Piccola
24Après la Deuxième Guerre mondiale, alors que le développement touristique progresse, les deux quartiers de la zone monumentale et panoramique se sont spontanément distingués de façon plutôt originale. Aujourd’hui encore, le quartier touristique est le Rione Monti : une bonne partie de ses trulli ont été restaurés, parfois modernisés, ils sont utilisés comme boutiques, les étalages débordent devant les portes, on y trouve des objets importés, de l’artisanat industriel, des produits « locaux » souvent étrangers à Alberobello et aux Pouilles. Nombreux sont les cafés et les restaurants.
25Tandis que le Rione Monti devenait un non-lieu pour touristes en se vidant de ses habitants, l’Aja Piccola, juste en face, restait totalement étranger à ce mouvement. C’est une des plus grandes énigmes ethnographiques que ce terrain ait suscitées, énigme en partie encore non résolue. Aucune règle n’a écarté les magasins et les restaurants, rien n’impose le statu quo qui laisse ce second quartier classé dans son état quasi originel. L’Aja Piccola est non seulement étrangère mais en bonne partie hostile à toute exploitation touristique des trulli qui, ici, restent tout simplement des maisons. Parcourir ses rues étroites, tortueuses, propres et assez désertes attire des regards de défiance. Obtenir des entretiens a été très difficile : les gens craignaient que je ne sois une journaliste capable de « leur amener la télévision dans la maison ». À quelques pas du tohu-bohu commercial, rien de plus difficile à imaginer que ce refus obstiné de tout contact avec le visiteur « curieux », avec l’intrus qui « s’il veut voir des trulli, n’a qu’à traverser la rue ». Il est vrai qu’il suffit d’entrer dans le Rione Monti, dont les exploitants sont perçus ici comme les « marchands du temple », qui « se vendent pour trois sous », dont l’impudence provoque honte et rancune. Rancune, car ils « gagnent facile », mais honte aussi, car finalement ils ne font que s’exhiber. Mais, me fait-on remarquer, la plupart d’entre eux ne sont pas de véritables habitants des trulli. Ceux-ci sont partis et de nouveaux venus ont acheté pour investir. « Les gens croient qu’on se donne en spectacle, ils viennent nous voir. C’est quoi ? le cirque, ici ? » Face à l’aspect désert des rues du quartier, cette véhémence intrigue.
26En effet, par rapport au Rione Monti, l’Aja Piccola semble un autre monde. Ses trulli ne sont pas apprêtés pour les touristes. Point de boutiques. Il y a quelques années de cela, un café avait ouvert, mais, me raconte-t-on, ce fut bientôt la faillite : les gens du quartier n’y allaient pas et les touristes préféraient l’ambiance commerciale, faite pour eux. La population est ici assez âgée ; beaucoup ne sont pas propriétaires des trulli qu’ils habitent, ils les louent, tantôt depuis très longtemps, tantôt depuis peu car les loyers des trulli non restaurés sont restés modestes. Ceux qui achètent sont rarement des natifs, ils retapent de façon plus ou moins soignée et louent à d’autres étrangers qui viennent passer leurs vacances : professeurs d’université, footballeurs du club de Fasano... Un promoteur a acquis toute une partie du quartier, d’autres trulli sont à vendre et dans l’attente ils se dégradent. De temps en temps quelqu’un réitère une timide tentative pour s’insérer dans le flux touristique : un riche commerçant a pris un petit trullo qui devait lui servir de dépôt et il commence à exposer ses articles sur un étalage minuscule. Mais le mouvement de fond est tout autre et les indices les plus significatifs sont ailleurs.
27En se promenant par l’Aja Piccola, on ne manque pas de tomber sur une petite vieille qui, assise devant sa porte, propose au promeneur de rentrer : « Vous voulez voir un trullo ? Eh, oui, ce n’est pas grand-chose... On y vit de manière simple. Entrez, entrez. Ça c’est le séjour. » Ainsi commence la visite inattendue d’un trullo toujours habité par une vieille femme seule, souffrant visiblement de cataracte. Celle que j’appellerai Maria pose toujours les mêmes questions : « Vous venez de loin ? Vous n’avez jamais vu un trullo ? » Dans ses manières courtoises et délurées, on lit l’espoir de susciter l’étonnement : son trullo est très simple, son jardin presque négligé, et c’est justement ce dénuement matériel qui devrait nous émerveiller. « Il n’y a pas de chauffage, eh ! Et pour cave nous avons le grenier, vous le voyez, là-haut ? Lorsque j’étais petite ici nous étions huit. » Maria n’est pas riche, elle vit de sa pension de retraite et de ce que lui envoient ses enfants, émigrés au Nord. Mais sa ille a acheté un trullo tout près du sien, et le loue aux visiteurs qui veulent éviter les prix « exorbitants » des auberges locales : « Vous êtes déjà dans un hôtel ? Je vous le montre quand même, pour une autre fois, ou si vous avez quelqu’un qui vient à Alberobello. »
28Je repars surprise de cet accueil dans un quartier où je me sens plutôt rejetée. Je reviendrai encore deux fois chez cette Maria, et chaque fois elle répétera la même scène. Mais bientôt ce modeste affleurement d’une économie souterraine s’insérera dans un cadre plus cohérent. Déjà la petite vieille m’a expliqué que ceux du Rione Monti gagnent bien leur vie mais qu’elle, étant pauvre, ne peut pas obtenir l’autorisation d’ouvrir une boutique, d’autant que « c’est interdit » à l’Aja Piccola. Plusieurs personnes me donneront la même explication. Pourtant, lorsque j’interroge les gendarmes et les adjoints au maire on me conirme ce que je savais, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune interdiction officielle. Les habitants de l’Aja Piccola se donneraient-ils cet alibi pour se priver de la prospérité dont leurs voisins font étalage ? Un peu plus tard, lorsque je reviens à Alberobello en juin 1999, quelques portes s’ouvrent ; on m’explique cette fois que l’autre grand problème est le manque du minimum de diplômes nécessaire pour obtenir des autorisations municipales pour tout genre de magasin. On pourrait profiter des diplômes des enfants mais à la mairie « ils » éventent la ruse et refusent en affirmant que « des vieux ne peuvent pas mener un commerce tout seuls ». Cette prétendue rigidité des autorités municipales s’éclaire d’un jour plus net quand je prends connaissance des débats au sein du conseil municipal à propos du futur de l’Aja Piccola. Certains soutiennent le statu quo, qu’ils veulent institutionnaliser en interdisant réellement l’ouverture de magasins destinés au marché touristique. Comment expliquer une proposition pareille qui semble entériner la marginalité de tout un quartier ? Les adjoints les plus avertis m’expliquent qu’il ne s’agit pas d’une mise en marge mais bien d’une sauvegarde : l’Aja Piccola ne doit pas devenir comme le Rione Monti, qui est compromis, peut-être à jamais, dans son intégrité. Et surgit à ce point le leitmotiv de la querelle qui anime Alberobello en ces premières journées de chaleur estivale...
29En effet, les différents camps politiques s’affrontent alors publiquement en brandissant l’étendard du Patrimoine mondial. « Que dirait l’unesco s’il voyait l’horreur de ces rues vouées au tourisme ? Voulons-nous prendre le risque de nous faire rayer de la Liste ? ». À quoi répliquent des arguments tout aussi bien rodés : « L’unesco donne son label pour favoriser le tourisme, on ne peut pas pénaliser une activité enracinée depuis des décennies, véritable pilier de l’économie de la ville. » La dispute est vive, les discours enlammés, ils opposent les intérêts immédiats du commerce à une vision de plus longue portée qui en appelle à un « tourisme de qualité ». Un adjoint m’explique que l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial représente l’entrée dans un circuit touristique de plus haut niveau ; d’après lui, on ne vient plus maintenant à Alberobello pour voir les trulli mais pour visiter un site unesco ; il faut « proiter de cette opportunité » pour élaguer le paysage urbain des abus d’une offre touristique trop massive. L’administration communale, qui a proposé l’inscription, a déjà « nettoyé un peu les rues » ; elle a éliminé les enseignes trop voyantes, les a fait uniformiser, a réduit la dimension des étalages, limité les parkings envahissants. Mais à l’actuelle administration de gauche cela ne suffit pas. Il faut maintenant affronter l’avenir d’Alberobello et poser le problème de l’Aja Piccola. Combien de temps ce quartier résistera-t-il à la tentation commerciale ? Qui est en train de l’acheter ? Et pour en faire quoi ? Ne faudrait-il pas le garder en l’état ?
30Cette dernière interrogation touche au fond actuel de la querelle et le regard ethnographique sur les visiteurs de l’Aja Piccola aide peut-être à le mieux cerner. En effet, outre l’ethnologue, d’autres gens se baladent dans ce quartier ; ce sont, en ce mois de juin, des groupes de Japonais qui lorgnent par les fenêtres, qui photographient spasmodiquement les vieux qui rentrent du marché. Après avoir visité le Rione Monti, la scène bruyante et colorée des trulli, ces touristes se glissent, plus discrets, dans les coulisses, avec la conviction, en partie illusoire, de trouver ici les trulli authentiques, où l’on peut surprendre les habitants dans leurs activités les plus quotidiennes. Partis un peu à l’aventure, hors des sentiers battus de leur guide, ils se réjouiront de la disponibilité de Maria, à qui ils feront quelque don en échange de son hospitalité, persuadés qu’ils sont d’avoir été spontanément reçus. L’arrière-scène, l’authenticité qui se cache derrière la devanture, est de plus en plus recherchée par les touristes qui tiennent à échapper à leur identité de voyageurs occasionnels et pilotés. Telle est, à mon sens, la nouvelle vocation de l’Aja Piccola. La municipalité d’Alberobello est donc en train de découvrir qu’au-delà du supermarché de la carte postale et de l’objet souvenir, qu’au-delà même de l’accueil informé et de bon goût que l’on doit désormais réserver aux visiteurs, il faut aujourd’hui prévoir un espace non balisé qui complète et compense l’ostentation touristique. Il ne reste qu’à demander aux habitants de l’Aja Piccola de rester vrais, simples et pauvres, car la sauvegarde des trulli implique nécessairement, aujourd’hui, celle de leurs habitants.
Les puristes des trulli
31Les premières mesures de protection, au début du xxe siècle, avaient imposé une « politique de non intervention » qui conduisait souvent les trulli à la détérioration, car les conditions de vie qu’ils imposent et les prix très élevés des restaurations poussaient leurs occupants vers les nouveaux quartiers. Pendant les années 1970-1980, lorsqu’un nouveau style de résidence s’impose, émerge une nouvelle attitude devant la réhabilitation : on tente de concilier les principes de cet habitat et les exigences de la vie moderne, on n’hésite donc pas à faire appel à des techniques contemporaines pour rendre les trulli viables. Cette modernisation sauvage va bientôt susciter une opposition appelée à jouer un rôle historique décisif.
32En 1989 paraît un livre, La Cultura del trullo, dirigé par Carla Speciale Giorgi et Paolo Speciale, un couple d’architectes passionnés, devenus spécialistes des trulli et porte-parole d’un nouveau courant de pensée. Comme chez Berteaux, le trullo est pour eux une sorte d’émanation de la terre et donc une « construction vivante » au sens plein du terme. Ses parois respirent, il requiert les soins très particuliers dus à un véritable organisme : « Les touristes aiment les trulli rafraîchis à la chaux, [...] mais l’attention qu’ils prêtent au trullo blanchi jusque sur sa coupole, celui qu’ils recherchent pour leurs photos, n’a aucune raison d’être. Le trullo blanc d’une chaux qui camoufle le ciment utilisé pour freiner les chiancole, les dalles de la coupole qui ont tendance à glisser, est un trullo mort, recouvert d’un blanc linceul funèbre, à l’intérieur l’air est lourd et désagréable » (Speciale Giorgi & Speciale 1989 : 266-267).
33Le trullo vivant, on le fait naître et on le soigne d’une seule façon, sinon ce n’est pas un trullo. Il est, comme l’affirme Bernard Rudofsky, le théoricien international de l’architecture autochtone, « vierge de tout il à plomb », il impose « la pureté brute qui n’a suscité aucun intérêt parmi les amateurs de l’art classique », c’est-à-dire de l’architecture géométrique et de la civilisation dont elle est porteuse (Rudofsky 1965). Il nous parvient de temps lointains et il ne peut aujourd’hui survivre que si l’on préserve l’essence de sa manière d’être.
34En outre, sa valeur monumentale contemporaine est étroitement liée à sa vie et aux vies qu’il abrite : « La conception de monument (même dans l’acception actuelle) reste ici encore adéquate mais, s’agissant des trulli, elle atteint une limite. Ce n’est pas celle de son traitement technique, nécessaire pour tout monument, mais celle de son habitabilité, car un trullo a besoin d’être habité, vécu » (ibid.). Et, faudrait-il ajouter, habité par ses « autochtones », les seuls qui soient capables de lui redonner son sens en perpétuant ou en reconstituant le vécu primitif du lieu. Habiter un trullo signifie a priori renoncer au découpage privatif des appartements modernes, car ici tout dépend d’une pièce centrale ; renoncer aussi à certain confort : par exemple, on ne peut pas installer une cheminée ou un chauffage central. La forme de vie en trullo dépend strictement de ses caractères architecturaux qui déterminent une sociabilité particulière à l’intérieur et autour de la maison. La construction assez fermée, quasi sans ouvertures, pousse les habitants vers la rue, suscite d’intenses rapports de voisinage, créant les relations d’existence spéciiques des quartiers a trullo d’Alberobello. Il s’agit donc d’un monument habité par définition, d’un monument qu’on ne peut dire tel que s’il est habité dans ses conditions originelles. Mais cette adéquation idéale ne sufit pas. Pour Carla et Paolo Speciale, qui citent et représentent un groupe assez nombreux de nouveaux architectes et spécialistes des trulli, « le problème est complexe et délicat : il ne s’agit pas seulement de conserver des habitants autochtones mais de rendre ces habitants conscients qu’ils sont les protagonistes de la requaliication d’un habitat historique » (Speciale Giorgi & Speciale 1989 : 268).
35Une telle expérience, très fragile, ne peut pas faire l’objet d’un afflux massif de visiteurs. La solution proposée à la in des années 1980, avec des suggestions techniques de réhabilitation spécifique, était de consacrer au tourisme juste quelques trulli, les plus « caractéristiques du point de vue architectural et les plus anciens ». Théoriquement accepté par l’administration municipale, ce discours se heurte au caractère inéluctable du tourisme à Alberobello, petite ville – désormais – qui, pauvre en territoire, vit essentiellement de ce tourisme depuis quelques décennies.
36Si le temps des trulli est sans frontières, Alberobello subit un manque chronique d’espace. Le village primitif a été érigé après un travail de défrichement long et acharné qui a duré des siècles, mais lorsqu’il devint cité autonome on ne lui attribua qu’un territoire très exigu, au point qu’en certains endroits la limite communale se situe tout juste à un kilomètre du centre habité. Cette situation, constamment rappelée par les gens du pays, permet de comprendre et de justifier la vocation touristique et le rôle crucial des trulli devenus un « paysage à voir », une ressource. Les « conditions originelles » que retient le nouveau romantisme architectural se limitent à l’univers des formes dont il fait le déterminant principal des modes de vie. Or, l’inscription juridique, sur le territoire, des rapports politiques qui ont présidé à la naissance de la communauté pèse tout autant sur ses usages de l’espace qui sont devenus, ouvertement, l’enjeu actuel du débat. Tous les choix possibles se manifestent et se côtoient sous nos yeux. À côté des trulli du Rione Monti, devenus un décor commercial, on trouve les trulli pauvrement habités de l’Aja Piccola ; à côté des trulli qui se vident sous l’effet dissuasif des nouvelles normes de restauration, il y a les trulli reconquis par une population de jeunes du lieu ou encore de nouveaux venus, intellectuels et artistes. L’inscription sur la Liste de l’unesco est intervenue au moment où cette dynamique complexe s’enclenchait.
Comment les trulli sont devenus « Patrimoine de l’humanité »
37Après les quarante ans de développement touristique qui ont imposé Alberobello comme la « capitale des trulli », encore une fois au tournant d’un siècle, en 1996, la ville reçoit la marque la plus prestigieuse de la valeur culturelle : l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’unesco.
38En 1994, pendant sa campagne électorale, un représentant du PDS (Partito democratico della sinistra) propose l’inscription d’Alberobello sur la Liste. Élu maire, il s’active rapidement pour réaliser cet axe de son programme : on crée un comité et un conseil scientifique, on ouvre un Club unesco, on établit la bibliographie d’Alberobello, qui aura un grand poids dans le dossier. Tout l’itinéraire administratif est conduit à marche forcée. L’architecte Livio Sacchi se met aussitôt au travail et rédige le dossier. Le 15 février 1996 Alberobello reçoit la visite de Herb Stovel, le représentant d’icomos21, l’organisme qui doit évaluer l’opportunité de l’inscription. C’est la fête, on fait venir une fanfare, on présente des danses folkloriques, bref on accueille en mettant en scène – très consciemment – une identité locale vivace qui serait la façon d’être propre au pays des trulli. Stovel est très favorablement impressionné, il soutiendra chaleureusement la cause du petit bourg des Pouilles et la même année, en décembre 1996, à Merida, au Mexique, les trulli d’Alberobello sont déclarés patrimoine de l’humanité. À préparation très rapide, succès foudroyant. Le classement d’Alberobello par l’unesco est une réussite exceptionnelle quand on sait quelle peine d’autres sites plus prestigieux, Carcassonne par exemple, ont eue à l’obtenir dans ces mêmes années. Ce succès tient à une stratégie dont je voudrais, pour finir, expliciter les raisons et les formes.
39Pourquoi, d’abord, précipiter à ce point le mouvement ? L’intention est clairement politique. Le classement unesco était un point du programme de la gauche dont la réalisation pouvait être rapide et spectaculaire, elle n’exigeait pas un investissement important pour des bénéices symboliques immédiats. Les pouvoirs éclairés dans les démocraties modernes savent bien que le domaine de la culture est celui dans lequel leurs capacités à agir se donnent à voir avec le plus de rapidité et d’évidence. La nouvelle administration communale d’Alberobello a donc immédiatement affirmé son art de faire, et de faire vite. À vrai dire, elle n’avait guère le choix, la moindre lenteur, le plus petit retard risquaient de faire capoter l’affaire. La vitesse d’exécution relève, dans ce cas, de la tactique la mieux comprise. En effet, la demande d’Alberobello courait le risque de se heurter à une double opposition. La première est extérieure. Nous l’avons vu, les trulli ne caractérisent pas exclusivement cette ville, mais toute la Vallée d’Itria, soit quinze autres villages au sein desquels la protestation n’a pas manqué de se faire jour : de quel droit Alberobello s’est-il défini comme la « capitale des trulli » alors que ceux-ci sont répandus sur tout le territoire environnant où on les trouve dans leur condition vraiment originelle de cabanes des champs ? N’y a-t-il pas là un « abus de confiance » ? Brûler les étapes n’a pas permis à cette critique de prendre corps et de bloquer l’opération22. Mais cet empressement fut tout aussi efficace contre le second risque d’opposition, plus grave car intérieur. Nous avons vu à quel point des débats et des conflits ouverts opposaient, en ces années-là, à Alberobello, des modèles radicalement différents d’exploitation et de restauration des trulli. On aurait pu imaginer que la demande d’inscription sur la Liste unesco allait fournir l’occasion d’une explicitation des points de vue à partir d’une analyse raisonnée. Or, c’est exactement le contraire qui fut visé. La demande, parce qu’elle faisait appel à une évaluation d’un autre niveau, a été utilisée pour faire taire, fût-ce momentanément, toute querelle interne qui eût pu passer, aux yeux de l’instance évaluatrice, pour une minuscule bataille de clocher. La vitesse d’exécution a court-circuité le processus de traduction de l’opération de classement dans le langage des intérêts locaux. L’inscription d’Alberobello au Patrimoine mondial ne pouvait qu’être bonne pour Alberobello, tout le monde devait y trouver bénéfice : les opérateurs touristiques allaient voir leur public se multiplier, les puristes du patrimoine auraient la « communauté culturelle internationale » à leurs côtés pour appuyer leurs exigences conservatoires. L’important était que la contradiction entre ces deux effets supposés n’éclate pas au grand jour. L’approfondissement du débat fut sacriié à la rapidité d’action. En outre, fort habilement, l’attention fut déplacée vers la stratégie discursive la plus adéquate : le dossier unesco ne pouvait pas simplement reléter la situation d’Alberobello mais devait être le miroir localisé des intérêts actuels de l’unesco. Il ne fallait pas se tromper de langage, seuls des professionnels informés pouvaient réussir. Le relais fut alors passé aux experts, c’est eux qui allaient devoir construire la dernière image en date d’Alberobello, le modèle de sa nouvelle métamorphose.

La Casa d’Amore, première maison non a trullo d’Alberobello inscrite sur la Liste du patrimoine mondial, abrite le Club unesco.
40Un dossier unesco doit contenir une série d’informations : de l’histoire du site au plan d’urbanisme de la ville, de la description du bien à sauvegarder aux instruments de conservation (y compris l’arsenal juridique garant de la sauvegarde, les sources de financement, etc.). Quelles sont les qualités soulignées pour illustrer et défendre la valeur d’Alberobello ? L’auteur du rapport, l’architecte Livio Sacchi, a parfaitement manié la rhétorique actuellement dominante lorsqu’il s’agit de faire inscrire non des monuments nationaux chargés d’histoire mais de modestes réalisations domestiques et paysagères. Il a donc d’abord condensé l’épopée locale en montrant que le trullo devenait ici le vecteur d’une histoire propre, d’autant plus remarquable qu’elle inclut une sorte d’inversion de sens. Habitat de ceux qui n’avaient pas droit à une vraie maison, cet emblème de leur asservissement séculaire est devenu celui de leur émancipation. De plus, les conditions premières de la construction des trulli d’Alberobello puis les limites territoriales imposées à la commune à peine née, ont créé une situation unique : un habitat concentré formé de maisons en principe isolées ou, autrement dit, une ville de cabanes. Concentration qui justiie le titre de « capitale des trulli ». Mais l’argument le plus efficace, parce que sa portée générale rencontre un fort courant de pensée au sein de l’unesco, est d’un autre ordre : « Alberobello est un des exemples les mieux conservés d’architecture spontanée de la tradition architecturale italienne », « un des habitats spontanés des plus significatifs et des mieux conservés en Europe ». Ici, Livio Sacchi cite abondamment Rudofsky23 et reconnaît chez les gens d’Alberobello un « génie instinctif de constructeurs, et une grande imagination formelle ». Architecture collective, aussi « spontanée » que la poésie sur les lèvres du peuple, selon Herder, voilà qui tranche sur les prestiges tant célébrés du haut patrimoine italien, voilà qui justiie d’autant plus un classement qui prend la défense des créateurs traditionnels, anonymes et oubliés, écologistes avant la lettre :
Alberobello, la ville des trulli, représente un ensemble exceptionnel d’architecture spontanée [...]. Sa rareté typologique et la continuité de l’habitat qui la caractérise la rendent unique au monde, c’est un cas d’heureuse et extraordinaire survivance d’une culture architecturale d’origine préhistorique à l’intérieur d’une région géographique, la péninsule italienne, universellement considérée comme une des plus importantes du point de vue de l’architecture et de l’urbanisme. Toute évaluation comparative avec d’autres lieux de ce genre, quoique possible, ne peut pas s’empêcher de tenir compte de cette particularité (Sacchi 1995 : 24)
41En conclusion, l’architecte expert semble déduire la conduite patrimoniale qu’impose une telle exception. La reconnaissance des trulli d’Alberobello comme « patrimoine de l’humanité » s’inscrit dans le large mouvement de conservation des traditions culturelles. Les objectifs fondamentaux sont donc les suivants : garantir la permanence des habitants dans les trulli, en sauvegardant la valeur historique et artistique des constructions, tout en permettant l’amélioration des conditions de vie ; garantir à la collectivité de vivre le patrimoine artistique incarné par ses maisons (ibid. : 21).
42L’unesco a entendu les arguments et retenu la demande. Le Rione Monti et l’Aja Piccola, les deux quartiers monumentaux, ont été inscrits, ainsi que le Trullo Sovrano, en tant que bâtiment d’une exceptionnelle valeur technique, et la Casa d’Amore qui, comme nous l’avons vu, n’est pas un trullo mais la première maison « normale » symbole de la nouvelle liberté de construire. Le discours le plus récent, le discours « romantique » sur l’architecture sans architecte, trait d’union parfait entre l’homme et son milieu, condensé harmonieux d’un passé autrement inaccessible, a donc révélé, sur la scène lointaine du jugement mondial, son pouvoir performatif. Minoritaire et contesté sur place pour son irréalisme, le voici légitimé par son incontestable efficacité rhétorique. Cela signifie-t-il que, depuis la fin de 1996, Alberobello s’est unanimement rangé sous la bannière de cet énoncé de sa valeur ? Certainement pas. Une fois acquis le classement, celui-ci devient, à son tour, un argument dans les luttes locales : toutes les parties invoquent l’unesco à l’appui de leurs souhaits contradictoires mais toutes doivent admettrent aussi, maintenant, que la monumentalité des trulli d’Alberobello ne saurait être complètement détachée, abstraite, de l’usage premier de ces maisons. Alberobello perdrait sa valeur de devenir un pur décor. Alberobello ne sera monument que s’il est habité.
43Après la visite de l’expert Herb Stovel, l’unesco a reconnu comme patrimoine mondial tout ce qui avait été déclaré monument, ou sauvegardé auparavant. Il semble donc que l’unesco ait accepté l’intégralité du discours local, en reconnaissant non seulement la valeur du trullo en tant que construction extraordinaire, mais en tant que construction extraordinairement ancienne dans son habitabilité. Ce qu’on lui reconnaît est son histoire, son rôle dans les événements d’Alberobello, son rapport avec ses habitants. Autrement dit, pour l’unesco comme pour les gens du lieux, le trullo est un monument justement en tant que monument habité.
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Reise durch Sicilien und Grossgriechenland, Zurich, 0. Gessner.
Rudofsky bernard, 1965.
« Architettura senza architettoin Puglia », Domus, n° 43l, pp. 52-54.
Rudofsky bernard, 1977
The Prodigious Builders. Notes toward a natural history of architecture with special regard to those species that are traditionally neglected or downright ignored, New York/Londres, Harcourt Brace/Jovanovich.
Sacchi livio, 1996.
« Dossier di presentazione per l’iscrizione di Alberobello nella World Heritage List », Paris, unesco.
Saint-Non jean-Claude richard de (abbé), 1781-1786.
Voyage pittoresque, ou Description des royaumes de Naples et de Sicile, t. III, Paris, Clousier.
Spéciale Giorgi carla & paolo Speciale, 1989.
La Cultura del trullo. Antologia di scritti letterari e scientiflci sui trulli, Fasano, Schena Editore.
Steitz georg, 1881.
« Zur Frage über die Sardinischen Nuraghi », Verhandlungen der Berlinischer Gesellschaft für Ethnologie, vol. 13.
Swinburn henry, 1783.
Travels in the Two Sicilies in the Years 1777, 1778, 1779 and 1780, Londres, vol. 1.
Wilstach paul, 1930.
« The stone beehive homes of the Italian heel. In frulli-land the native builds his dwelling & makes his field arable in the same oper », the National Geographic Magazine, n° 57, vol. 2, pp. 228-260.
Notes de bas de page
1 En décrivant l’arrière-pays de Barletta, il écrit : « Dans chaque champ clôturé il y a une ou deux petites maisons au toit en encorbellement, bâties avec les pierres recueillies sur place après le piochage. Ces tours coniques servent d’observatoire aux gardiens qui, avant les vendanges, surveillent les vignes pour empêcher les pillages des petits voleurs à deux ou quatre pattes ; lorsqu’elles sont vieilles et ensevelies sous les plantes grimpantes et les figuiers elles prennent un air très romantique et semblent des mausolées. L’aspect de ces tas de pierres brutes couvertes de lichens et de ronces a trompé un écrivain voyageur qui lésa prises pour des tombes romaines ; mais je suis surpris que leur nombre prodigieux ne l’ait pas alerté car s’il s’agissait vraiment de mausolées, les cendres de tout le peuple romain n’auraient pas suffi à remplir ceux de la seule province de Bari » (Swinburne 1783). Ce commentaire ironique pourrait se référer à la description des trulli faite par Johann Hermann von Riedesel : « Les anciens remparts de Vigiliae (Bisceglie) survivent encore, intégralement, et sont en briques, et très nombreuses sont les tombes anciennes, bâties en briques ou en tuf, mais elles sont toutes en ruine : celles que j’ai pu examiner sont toutes petites, à l’architecture très banale. De ces nombreuses tombes on peut déduire que Vigiliae a été plus peuplée qu’aujourd’hui » (Riedesel 1771).
2 Voir la bibliographie.
3 Voir l’illustration des différents types de trullo.
4 Ainsi qu’avec des constructions présentes dans les Îles de Gozzo et Pantelleria, ou encore dans les îles Hébrides, en Écosse
5 Une fois attestée la présence de telles constructions dans tout le bassin méditerranéen, y compris l’Istrie, les côtes dalmates et, bien au-delà, le nord de l’Irlande et de l’Ecosse, Berteaux observe que le sol pierreux est une condition nécessaire mais non suffisante, et tente une explication en conciliant, selon ses propres termes, la thèse géographique et la thèse ethnographique ; les constructions comme le trullo du type B sont présentes à un certain stade de toutes les civilisations primitives. Elles se sont plus tard considérablement développées dans le bassin méditerranéen, où ce stade de la civilisation a pris une forme particulièrement brillante grâce à l’art de la stratégie et à une grande puissance militaire, et a élaboré le trullo jusqu’à lui donner des dimensions spectaculaires et gigantesques, donnant naissance aux specchie, véritables fortins préhistoriques.
6 Cette expression, employée par Berteaux, est de Lenormant.
7 « Ce qui fait l’originalité et l’intérêt extraordinaire des trulli d’aujourd’hui, c’est qu’ils ont gardé, avec leur forme, leur usage des temps les plus anciens : tandis que plus de dix siècles avant notre ère, la plupart des peuples "méditerranéens" n’employaient plus les coupoles que pour couvrir des tombeaux, tandis que les Sardes ne construisent plus, auprès des nouraghes, d’habitations semblables aux garritas des îles espagnoles, nous avons rencontré à chaque pas dans la province de Bari et de Lecce des maisons bâties d’hier et habitées par des familles prospères, qui sont voûtées à la manière du "mausolée des Atrides" ; ailleurs le tombeau a longuement survécu à l’habitation dont il reproduisait la forme : en Pouilles la maison survit aux forteresses écroulées, et le trullo à la specchia » (Berteaux 1899 :227-228).
8 Caselle est un des termes locaux utilisés pour désigner les trulli.
9 Les villes réunies dans ce pacte territorial sont Alberobello, Fasano, Francavilla Fontana, Cisternino, Castellana Grotte, Conversano, Locorotondo, Martina Franca, Carovigno, Monopoli, Mottola, Noci, Ostuni, Polignanoa Mare, Putignano, Ceglie Messapica.
10 « Si nous voulons nous représenter un groupement ancien de trulli, c’est sans doute à Laureto qu’il faut nous reporter, puisqu’il existait en ce lieu dès le xie siècle un casale important. [...] Ainsi la réunion d’un groupe de trulli en ville ou en village doit être considérée comme un fait récent et artificiel » (Berteaux 1899 :215-216)
11 En deux pages, Ruppi repère trois points cruciaux dans l’historiographie d’Alberobello : la force de la tradition des historiens locaux, l’importance de l’histoire orale en tant que ressource de l’histoire écrite et la dominante, toujours affirmée, de la logique narrative dans ces récits historiques
12 Les documents originaux où puiser des données sur les origines d’Alberobello ne sont pas nombreux, et parmi les historiens rares sont ceux qui essaient de se soustraire au recopiage pour revenir à leur lecture. Parmi ces derniers, il faut rappeler Palasciano (1984, 1985, 1988), Cardamone (1986) et Liuzzi (1989).
13 Dans ces récits historiques il est très intéressant de remarquer le contraste entre la présentation d’Alberobello comme lieu sauvage, où les seuls protagonistes de l’histoire sont des paysans, et la soudaine parution d’une classe « bourgeoise ».
14 Panarese est le seul à situer les événements de l’affranchissement d’Alberobello dans le mouvement général qui en Italie était en train, depuis des décennies, de miner les bases de la féodalité, qui fut abolie un peu plus tard, en 1806. Mais même Panarese, qui manifeste la volonté explicite de se libérer des lieux communs, finit, au cours de sa narration, par céder à la tentation apologétique
15 À partir de ce moment les maisons « modernes » se multiplièrent, et dans les décennies qui suivirent la distribution de la population prit des contours assez nets : les classes plus aisées abandonnaient les trulli où restaient les plus pauvres. Deux quartiers restèrent en l’état, le Rione Monti et l’Aja Piccola, bientôt devenus les quartiers « populaires » d’Alberobello.
16 La version dominante est par contre celle, plus historiquement étayée, qui souligne, explicitement chez les historiens plus récents tels que Panarese, que les trulli d’Alberobello ont été arrachés à la terre, qu’ils sont le signe d’une lutte pour l’installation et la survivance, une forme d’habitat où « une communauté a exprimé son identité culturelle ».
17 Je ne trouve trace de ce règlement que dans, Palasciano (1984), qui repère l’information grâce à des matériaux misa disposition par Emilia Cardamone qui a mené une recherche sur 1 500 actes notariés.
18 Le Trullo Sovrano est ainsi nommé car ses dimensions considérables ont demandé une maîtrise toute particulière des techniques de construction. Il est constitué par un ensemble de douze trulli, disposés autour d’un trullo central d’une hauteur exceptionnelle de quatorze mètres, divisé en deux étages. Il a été bâti vraisemblablement au cours du xviiie siècle.
19 Il note sa vision d’Alberobello le 27 septembre 1917. En voyage entre Brindisi et Gioia del Colle, D’Annunzio entend les chants des pèlerins qui s’approchent du village pour la fête des saints Cóme et Damien. Se réveillant d’une soudaine torpeur, il entrevoit « un pays de rêve [...]. Les trulli bruns et blancs, les groupes de cônes. J’imagine une habitation faite de sept trulli, aux intérieurs dorés, les murs de lapis-lazuli, les sols couverts de tapis arabes » (D’Annunzio 1965 : 1003-1005).
20 Il s’agit d’un texte qui contient 9 868 adresses des syndicats d’initiative, bibliothèques, universités, directeurs d’écoles et instituteurs, paroisses, séminaires, cercles, clubs sportifs, journaux, collèges, académies musicales et littéraires, associations en tout genre contactés par l’auteur. Un deuxième exemplaire de ce texte dactylographié fut offert à la bibliothèque municipale d’Alberobello. En tout, Marraffa affirme avoir collecté 50 000 adresses utiles !
21 International COuncil of MOnuments and Sites : ong qui a fonction de consultant auprès de l’unesco.
22 Ce qui s’est passé, en revanche, pour la ville de Noto et le baroque du Val de Noto en Sicile, où les de toute la vallée caractérisée par cette exprès villes de toute la vallée caractérisée par cette expression artistique ont obtenu de rentrer dans un projet de classement à l’UNESCO qui, au début, se limitait à ville de Noto. Voir à ce propos la contribution de la Berardino Palumbo, qui suit immédiatement dans ce volume.
23 « Il y a des lieux où le fait de se confier exclusive-mentaux matériaux de construction locaux garantit la persistance de méthodes de construction ennoblies par le temps. Au contraire, lorsqu’on introduit des matériaux et des méthodes étrangers, les modes remplacent les coutumes, et l’expression vernaculaire disparaît. Le problème n’est pas de savoir s’il faut regretter son extinction -pour beaucoup cela importe peu- mais si la vie en est appauvrie. Autrement dit, la disparition d’espèces architecturales autochtones bouleverse peut-être autant l’équilibre des civilisations que la disparition de certaines espèces d’animaux et de plantes bouleverse l’équilibre écologique » (Sacchi 1996 :24)
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