Introduction
La civilité à l’épreuve de l’altérité
p. 1-20
Texte intégral
1Qu’attend-on de ses voisins ? Doivent-ils avant tout faire oublier leur présence ? Si, pour les uns, la discrétion est une vertu absolue, pour les autres elle ne suffit pas à faire un bon voisin. Bien entendu, il vaut mieux avoir un voisin poli, serviable et discret qu’un voisin qui joue du cor, crache dans l’escalier et tient enfermé un chien qui aboie au moindre bruit. Mais il n’est pas si facile de définir ce que serait un bon voisin. Il ne servirait à rien de lister les qualités appréciées car les jugements en la matière varient avec les visées de chacun. Les uns recherchent la tranquillité ou la sécurité, les autres privilégient la sociabilité et l’animation, certains sont en manque de convivialité, d’autres encore sont soucieux de respectabilité ou préoccupés par une affirmation identitaire. Les attentes vis-à-vis des voisins changent aussi selon les divers contextes d’interaction et, notamment, celui créé par l’histoire de l’immeuble et par le style de relations qui s’y est établi, ordre temporaire mais suffisamment durable pour influencer les jugements portés sur les manières d’être des corésidents1. Ici un strict bonjour/bonsoir sera apprécié, ailleurs le même comportement sera perçu comme distant. Réunis sans l’avoir voulu, les habitants de la plupart des ensembles résidentiels ont à faire face à une diversité de conceptions de la vie collective, de comportements et de formes d’appropriation de l’espace.
2Les relations autour du logement, avec les voisins proches mais plus largement avec ceux qui habitent le même ensemble immobilier, se construisent dans des configurations résidentielles singulières. Celles-ci sont déterminées par la morphologie des lieux (plus ou moins d’intimité ou d’espaces à partager), la logique de peuplement qui a prévalu (copropriété ou logement social par exemple), le degré d’hétérogénéité de la population et les rapports de force entre ses composantes, les chances de mobilité résidentielle et d’accession à la propriété, très inégales, la présence ou non de personnalités motivées, l’état général d’entretien des locaux, pour ne citer que les principaux facteurs qui se nouent de multiples façons et déterminent l’état de la cohabitation : plus ou moins conviviale, restreinte à la civilité, neutralisée, tendue, hostile, procédurière. La combinaison de toutes ces variables définit le cadre des relations de voisinage. Il n’y aurait donc pas de bon voisin en soi mais autant de profils possibles que de configurations résidentielles différentes.
3Est-ce à dire que les sociologues auraient renoncé à toute généralisation sur les relations de voisinage ? Une même analyse, présente dans la plupart de leurs travaux, indique ce qui semble être la loi commune des relations de cohabitation. Que s’épanouisse la civilité ou que les tensions s’amplifient, elles s’inscrivent dans la dualité distance/proximité et les diverses façons de concilier les termes de ce binôme leur donnent forme. La proximité spatiale génère de l’hostilité (même s’il y a une proximité sociale entre les cohabitants) et le voisin est le plus souvent perçu comme une source de contraintes. Il faut se méfier de ses regards indiscrets2 ou de sa présence bavarde, de ses médisances, et donc s’en protéger en le maintenant à distance. En même temps, cette attitude méfiante n’exclut pas, en sens inverse, une demande de sociabilité dans le cadre de l’habitat. L’absence de vie sociale, perçue comme un manque (« c’est vide »), synonyme d’ennui (« c’est sinistre ») et d’isolement, suscite une déception. Mais il importe moins de connaître véritablement son voisin que de pouvoir discerner un ensemble de proximités, faites de salutations cordiales, de contacts convenus et d’échanges de menus services, proximités qui procurent un sentiment de familiarité rassurant, lequel participe de la constitution du chez-soi. La société des voisins peut donc être qualifiée par la forte dimension ambivalente des relations entre cohabitants3.
4Les chercheurs qui ont contribué à ce volume ont observé, sur des terrains différents, quelles formes prenaient les relations de voisinage. Ils ont été invités à mener leur enquête tout particulièrement dans les espaces communs qui sont attenants au logement : de la cage d’escalier aux vastes espaces intermédiaires qui sont situés entre les bâtiments d’une cité et le domaine public. Il existe là un territoire remarquable par la densité des expériences sociales qui s’y cristallisent. Ces espaces de proximité représentent pour les habitants un lieu stratégique d’investissement par rapport aux autres lieux urbains. Ne sera considéré ici que l’habitat collectif, et plus particulièrement les cités, grands ensembles et copropriétés résidentielles. Ces ensembles résidentiels ont la même organisation de base – des parties privatives insérées dans des parties communes – mais connaissent des vies sociales différentes, aussi diverses que ce qui oppose la relative tranquillité d’un immeuble de centre-ville à l’agitation de certains grands ensembles où dominent les rapports de force.
5L’observation des relations de voisinage conduit à poser quelques questions plus générales, relatives à la façon dont les pratiques donnent sens à des espaces sociaux, aux types de liens que crée la proximité spatiale, aux mécanismes de la régulation sociale en situation d’interdépendance. Ces questions ne seront pas abordées sous la forme d’une comparaison entre l’habitat social d’un côté et les copropriétés résidentielles de l’autre. Ces dernières connaissent aussi des problèmes de cohabitation qui sont de même nature (et il arrive parfois qu’ils soient également très aigus), même s’ils se manifestent le plus souvent de façon plus feutrée. Après avoir décrit les difficultés de cohabitation que rencontrent les ensembles résidentiels et la confrontation de modes d’habiter différents, nous examinerons comment les habitants parviennent à instituer une cohésion, par quels processus et selon quelles justifications. Enfin, une attention particulière sera portée aux attendus de la résidentialisation et à la régulation sociale qu’elle voudrait favoriser.
Des lieux de passages
6Les espaces communs où vont prendre place les relations de cohabitation, même s’ils ne sont pas que cela, ont pour caractéristique première d’être des lieux de passages. Passages entre la sphère du public et celle du privé, entre le dehors et le dedans. Philippe Bonnin (voir dans ce volume) montre que ces lieux empruntent, quant aux manières de s’y comporter, à ces deux sphères entre lesquelles ils se trouvent. Ce n’est pas sans raison que les architectes les ont appelés « espaces intermédiaires ». En entrant dans cet entre-deux, l’habitant traverse un espace qui n’est plus l’espace public mais où prévaut encore la civilité propre à celui-ci : il convient d’observer une certaine distance et une réserve. En même temps c’est aussi un espace privé où l’anonymat n’est plus possible et où les manières d’être de chacun font sens pour les cohabitants ou du moins ne leur sont pas indifférentes. Aux passants anonymes se substituent des inconnus familiers, avec lesquels se produit un jeu d’accommodements et d’ajustements réciproques. Dans ce passage, qui, le plus souvent, est graduel, il y a des seuils successifs à franchir, matériels et symboliques, auxquels sont liés des codes (de politesse, de présentation de soi…). Le seuil fonctionne ici comme limite qui met en tension des systèmes opposés. Dans la ville ancienne, le seuil de l’immeuble ou la porte de la maison marque une frontière entre l’espace privé et l’espace public4. Dans l’habitat social, cette frontière est dilatée à l’extrême et comporte des espaces intermédiaires, signes de la rupture avec l’organisation traditionnelle des immeubles par îlots.
Les difficultés de la cohabitation : l’altérité dans la proximité
Réseau personnel et vie collective
7Quels liens produit la proximité physique entre des personnes qui n’ont pas choisi d’être ensemble, qui n’appartiennent pas au même monde, qui ne sont pas obligées de se fréquenter mais qui sont interdépendantes5 ? L’enquête évoquée dans ce volume par Claire Lévy-Vroelant, Brigitte Dussart et Jean-Pierre Frey dans une cité d’habitat social de Montreuil révèle que 66 % des habitants ont déclaré avoir discuté au moins une fois, au cours de la semaine passée, avec un voisin habitant l’immeuble ou le groupe d’immeuble, que 43 % ont rendu service à un voisin au cours du mois précédant l’enquête, et que 41 % sont entrés chez un voisin au cours de la même période6. Cette interconnaissance minimale peut conduire à des relations électives lorsque la proximité spatiale se combine avec d’autres proximités sociales et culturelles. Ainsi, un habitant sur deux de cette même cité a déclaré être devenu ami avec un ou plusieurs de ses voisins depuis son installation. Ces interactions positives et ces affinités entre voisins se développent sur le mode du réseau personnel que chacun peut créer autour de lui7. Une sélection a été effectuée qui exclut ceux qui ne partagent pas le même ethos et que l’on ne souhaite pas fréquenter.
8Néanmoins, qu’on veuille ou non fréquenter ses voisins, qu’on soit locataire ou copropriétaire, le partage d’une responsabilité concernant l’état des lieux et le bien habiter collectif dont font montre les habitants, qui participe de l’image8 de la résidence et conséquemment de celle de ses habitants, crée des intérêts communs entre les cohabitants et donc une interdépendance. Aussi la vie sociale au sein de cette société de voisins ne se réduit-elle pas à la conjonction des réseaux personnels. Elle s’éprouve aussi dans la confrontation des dispositions mal accordées des uns et des autres. De bonnes relations personnelles dans le voisinage peuvent aller de pair avec des relations tendues entre les différentes composantes de la population résidente. A partir des interactions produites par l’« être-ensemble », lesquelles se traduisent par une adhésion à des pratiques ou par leur rejet, polarisations sociales et solidarités se manifestent9 et le collectif se structure. Mais cette structuration ne prend pas nécessairement la forme de groupes bien identifiés. Au lieu de cela apparaissent des entités qui regroupent des individus partageant, comme l’avait constaté Michel Pinçon (1982 : 181) des similitudes :
9Au Sillon, sauf pour les immigrés et en des lieux et des moments spécifiques, pour les couches moyennes, les groupes sociaux n’ont guère d’autre existence que dans la similitude abstraite de positions. Toutefois en exprimant cette similitude par des pratiques identiques, les individus se constituent comme appartenant à ces groupes qui n’ont ainsi d’autre existence que les pratiques qui les manifestent.
10Les oppositions sociales ne se manifestent, le plus souvent, pas ouvertement. Aux clivages des classes et catégories sociales se substituent d’autres formes d’opposition10. Ainsi le conflit entre jeunes de classes populaires et adultes de classes moyennes (Chamboredon & Lemaire 1970 : 27) se cache derrière une opposition de générations qui n’ont pas les mêmes besoins ni les mêmes envies. De la même manière, les conflits entre différentes fractions des classes populaires qui ne disposent pas des mêmes ressources n’apparaissent pas en tant que tels. Les groupes se composent sur la base des écarts de comportement relativement aux normes de référence qui sont celles de la classe moyenne11. Le principe d’opposition se situe sur un plan moral12. Un lien se crée plus facilement en vertu du partage d’un même ethos que d’une appartenance sociale. Par exemple, les uns se regroupent sur la base d’une même interprétation des comportements irresponsables ou déviants. Pour eux la solution des problèmes passe avant tout par un rappel à l’ordre et un traitement répressif des actes déviants. Les autres, plus favorables à la dissuasion et à la prévention, prennent en considération des facteurs d’ordre collectif (différences culturelles, besoins spécifiques de la jeunesse, effets du chômage et de la précarité, etc.) et non plus la seule responsabilité individuelle. Cette polarisation à partir de valeurs morales et politiques produit des regroupements d’habitants qui ne se différencient pas sur le plan économique et social13. Il se forme, en fonction des enjeux, des « nous » et des « eux », groupes temporaires et informels sans étiquette sociale ou politique précise, qui n’ont guère le pouvoir d’exercer une véritable régulation. Les liens entre les personnes qui adhèrent aux mêmes positions éthologiques sont faibles. A chaque ensemble résidentiel, son degré de cohésion spécifique, lequel est, de plus, susceptible de diminuer ou d’augmenter selon les situations et les accords de circonstances qu’elles autorisent.
11La montée de la solidarité ou, à l’inverse, de l’individualisme, est affaire de circonstances. Les cohabitants peuvent n’avoir d’autres liens que celui qui les unit dans la surveillance et la défense de leur bien respectif. Activité qui peut donner lieu à un minimum de solidarité mais qui peut aussi se transformer en relation de défiance généralisée. Il n’y a plus qu’une seule préoccupation vraiment partagée : la protection de la sphère privée domestique.
Modes d’habiter et conflits
12Il arrive fréquemment que les habitants n’aient à mettre en commun que leur hétérogénéité, qui ne les prédispose pas à se rallier aux mêmes objectifs et encore moins à s’entendre sur les enjeux d’une normalisation de l’usage des espaces et des comportements. Les visées des uns et des autres ne concordent pas. S’agit-il de privilégier un mode d’habiter ou de neutraliser les comportements gênants ? De mettre au pas des classes populaires insuffisamment policées ? De défendre son territoire ou de légitimer des appropriations de fait des espaces communs14 ? De construire du lien social et de lui donner vie ? S’agit-il d’étayer des visées identitaires ? Ces visées, sans être exclusives les unes des autres, ne concordent pas souvent, portées par des habitants dont le projet résidentiel et la culture de l’habiter s’accordent mal, parce qu’ils résultent de trajectoires résidentielles différentes15.
13Dans un grand ensemble, tous les habitants ne possèdent pas une culture du logement social et le savoir-vivre utile à ce type d’habitat, d’autant plus qu’une partie d’entre eux n’a connu que l’habitat individuel16. Selon les cultures ou les générations, la distinction entre les espaces privés/communs/publics ne s’effectue pas à partir de références identiques. Nombreux sont ceux, notamment les adolescents, qui ne voient qu’un continuum entre les différents types d’espaces. Pour certains groupes, le clivage se fait entre le dehors et le dedans, pour d’autres entre le sale et le propre, pour d’autres encore entre le noyau familial et l’inconnu, ou la tribu et l’intrus, etc. Certains gardent pour modèle la sociabilité populaire ouverte sur l’extérieur et qui « ne fait pas de manières », d’autres s’attachent aux normes adoptées par la classe moyenne qui donne plus d’importance à la réserve dans les relations sociales. A ces différentes conceptions de l’urbanité s’ajoutent celles des habitants originaires d’autres pays qui n’ont pas tous une culture citadine et qui sont le plus souvent dans une position dominée. Plus la taille de l’unité d’habitation et l’hétérogénéité de la population augmentent, plus les conflits se multiplient et se généralisent à l’ensemble des habitants.
14L’appropriation indue des espaces de proximité, qu’il s’agisse d’appropriation privative, d’accaparement ou de présence prolongée (« occuper le terrain »), notamment lorsqu’il s’agit d’un regroupement de jeunes qui investissent les lieux, apparaît comme une source de tension majeure17, notamment dans les espaces communs de l’habitat social. Lorsque les ressources sont faibles et la famille nombreuse, les membres de celle-ci occupent volontiers, faute d’autre chose, les espaces collectifs. Une partie des activités privées se transpose dans l’espace public. Ainsi, les voitures à proximité des bâtiments font souvent office de salon, de discothèque ou même d’espaces de rangement. Entre ceux qui voudraient que ces espaces ne soient pas autre chose qu’un lieu de passage, un simple abord du logement ou encore un décor valorisant, ceux qui l’occupent de façon passagère, pour y promener leur chien par exemple, et ceux qui s’y installent et se l’approprient, les négociations sont difficiles et le plus souvent tournent au conflit. La difficulté à réguler l’appropriation des espaces collectifs conduit à leur neutralisation de façon à y empêcher toute vie sociale, tout marquage18.
15L’appropriation illégitime engendre d’autant plus l’hostilité et la récrimination qu’elle est perçue, au-delà de l’occupation proprement dite, qui s’effectue dans un rapport de force, comme une stratégie d’appropriation en vue d’une « construction territoriale » à visée identitaire (Boubeker, infra), accompagnée de marquages qui ont une valeur symbolique. Ces lieux seront alors défendus comme des territoires19. Comme l’image de l’ensemble résidentiel se construit à partir des habitants qui ont le plus de visibilité et qui se mettent en quelque sorte en scène, il en résulte pour les autres habitants un sentiment de dépossession du territoire20, du chez-soi. Cette appropriation contrariée les conduit, lorsqu’ils ont les moyens de le faire, à déménager, et, lorsqu’ils ne les ont pas, à un repli défensif sur leur appartement.
16L’hétérogénéité des modes d’habiter21 se manifeste aussi dans les divers usages des espaces communs où les habitants préféreraient ne pas trouver la manifestation de la présence de leurs voisins. Sont dénoncés toujours et encore : les bruits, les odeurs, la saleté, les animaux incontrôlés et les enfants indisciplinés. La protection de la voiture et le bon usage des places de stationnement sont aussi au centre des préoccupations (Lefrançois, infra). Les plaintes abondent (sous forme de courriers22 au gestionnaire ou au poste de police le plus proche) au sujet des dégradations en tous genres ou des abus d’usage qui entraînent une augmentation des charges locatives. L’occupation indue ou le détournement des caves reviennent souvent parmi les nombreux sujets de mécontentement. La tension provoquée par ces conflits, suffisamment pris au sérieux pour déclencher une guerre de tranchées, mais qui participent communément de la vie de voisinage, se traduit par des comportements agressifs. Le plus souvent l’agression n’est que symbolique (souillures volontaires, inscriptions injurieuses, vannes, insultes, etc.). Les pratiques déviantes ou agressives se multiplient lorsque se combinent précarité sociale, dégradation du bâti, actes de vandalisme, lorsque la réciprocité ne s’exerce plus et lorsque plus personne ne veut s’impliquer.
17Apparemment moins graves que les agressions directes, les incivilités sont tout aussi perturbatrices parce qu’elles sont répétées et se situent dans des relations de face à face. Du non-respect des principes moraux de civilité et de réciprocité, qui d’évidence ne sont pas partagés par tous ou ne sont pas appliqués de la même façon, résultent des contrariétés accumulées, des gênes prolongées. Celles-ci créent une situation d’incertitude qui fait craindre le pire et génèrent un sentiment d’insécurité. Au-delà de la gêne ou de la crainte, l’incivilité, vécue comme une rupture radicale du lien social (Roché 1996 : 76), affecte l’idée que les habitants peuvent se faire de la qualité du vivre ensemble dans la résidence ; elle atteint en retour l’image de soi. Le comportement du voisin, insuffisamment ou différemment sociabilisé, renvoie à l’échec de son propre parcours résidentiel et à sa propre défaillance sociale.
L’absence de régulation
18Les confrontations entre les habitants semblent d’autant plus inévitables qu’une régulation organisée fait défaut23. Il existe certes des règlements formels : règlement interne des habitations à loyer modéré, règlement de copropriété, règlement de jouissance établi par une société de construction-attribution, cahier d’usage et d’habitation d’un ensemble immobilier complexe (Mayer 1982 : 30). Mais les préconisations qui en résultent concernent surtout l’usage des installations et équipements et assez peu, hormis quelques interdictions et obligations positives, les relations proprement dites entre les cohabitants. Dans le contexte général d’une société de plus en plus tolérante, il devient de plus en plus difficile de faire respecter des normes qui ne sont ni édictées ni partagées24. L’absence de légitimité bien établie, le peu de chances d’être entendu et le risque de se voir manquer gravement de respect ne poussent pas les habitants à prendre la responsabilité de contraindre (ou, plus prudemment, d’inviter) les déviants à se conformer aux normes. Faute de coordinateur/régulateur et comme le bailleur démissionne souvent de son rôle, la question se pose donc, pour chaque unité résidentielle, d’une régulation de la cohabitation. Lorsque celle-ci se fait difficilement – ou ne se fait pas –, au profit des rapports de force, les habitants sont le plus souvent désemparés et sont tentés de laisser à des autorités25 le soin d’exercer la régulation de ce qui ne relève pas du privé. Celui-ci ne peut être totalement préservé des perturbations de l’extérieur lorsque les dégradations des locaux, des relations sociales, de l’image de la collectivité, combinées au retrait et au désintérêt, s’enchaînent les unes aux autres sous la forme d’un cercle vicieux.
La production normative et les modes de régulation
19La confrontation des modes d’habiter et la difficulté à construire des collectifs réduisent-elles les rapports sociaux à n’être plus que des rapports de force entre les personnes et les groupes en présence ? S’il n’y avait pas d’autres alternatives, les crises de cohabitation prendraient une tout autre ampleur. Des forces contraires travaillent dans le sens opposé. « Minutieusement et laborieusement des résistances obstinées travaillent inlassablement à contrer l’explosion, à construire des synthèses allant dans le sens d’une vie sociale » (Kaufmann 1983 : 125). Pour échapper à un affrontement permanent les relations autour du logement demandent une régulation minimale, une production normative.
La régulation minimale
20Il s’agit d’élaborer un code de civilité approprié à la cohabitation et adapté aux composantes de la population car « les gestes ordinaires de la civilité ne sont pas donnés comme des natures (ou comme des habitus) pour tout le monde, ce qui oblige à les formaliser en termes de règlements ou de rituels » (Trépos & Levaretto 1994). Sans chercher l’affrontement direct avec ceux qui dérangent, les habitants disposent néanmoins de moyens pour manifester leur réprobation et faire savoir quelles règles ils voudraient voir respecter : dénonciations et médisances, évitements plus ou moins manifestes et attitudes distantes, regard réprobateur, refus de saluer et refus de fréquentation des enfants, et, plus directement, admonestations, actions démonstratives comme coups au plafond ou encore, pour promouvoir des usages auxquels ils sont attachés : « L’une installe un carton sur lequel elle a écrit “poubelle” au pied des boîtes aux lettres, l’autre ramasse ostensiblement devant son voisin des mégots qu’il a jetés ; une autre laisse, après avoir balayé devant sa porte, le tas de poussière devant le paillasson du voisin » (Lelévrier & Guigou, infra). Cette production normative individuelle trouve un prolongement collectif, entre voisins, sous la forme de scènes de justification sur le bien-fondé de la réprobation, de discussions sur la définition de la situation afin que celle-ci fasse sens (ce qui est tolérable à un moment de la journée peut ne plus l’être à un autre), d’un travail de construction des figures de déviants (les jeunes, les immigrés, les chômeurs, les assistés, les gens sales26, etc.) ou à l’inverse d’habilitation des gens comme il faut.
21Ainsi, de façon non organisée, à partir de ces censures parfois sans parole, qui ont vocation à stigmatiser les personnes et les familles non conformes – sans que la conformité fasse par ailleurs l’objet d’un consensus, il s’agit de « modes d’ajustements mutuels sans garantie de conformité à des références partagée » (Boubeker dans ce volume) –, et parce qu’il vaut mieux que le résidentiel soit simplement vivable, les habitants, sans en avoir conscience, définissent un « usage moyen ». Jean-Claude Kaufmann (1983), qui a utilisé cette notion pour caractériser les relations dans une cité HLM en Bretagne, remarquait que « l’usage moyen » n’est pas généralisable – il naît d’un rapport de force – et que plus l’ensemble résidentiel est grand, plus il peine à s’établir. Il se construit plus facilement au sein d’un groupe restreint comme celui que forme la cage d’escalier. De cette somme d’expériences du quotidien, commentées et discutées, où l’on aura appris à décrypter le comportement des uns et des autres et à les situer socialement et moralement, se construit une histoire partagée à partir d’expériences et de savoirs (reconnaître, interpréter, classer, réagir), le cognitif n’étant pas dissocié de l’affectif. A partir des événements qui ont affecté la vie de la résidence, diversement vécus, se construit néanmoins une mémoire collective du vivre ensemble, susceptible de créer un lien identitaire.
22La régulation se fait plus facilement si, faute de collectif résidentiel – c’est-à-dire un groupe en mesure de s’entendre sur les conditions d’une mise en ordre de ce qui se produit dans les espaces communs, animé par des personnes motivées –, il existe néanmoins un groupe dominant, conscient de lui-même, en mesure de donner le ton et d’assurer un contrôle social minimal. L’existence d’un tel groupe, qui n’est pas nécessairement majoritaire, tient, entre autres, à la stabilité des occupants et à leur commune habitude de considérer leurs propres pratiques, qui se sont accordées avec le temps, comme référence collective. Dans le grand ensemble, étant donné l’hétérogénéité de la population, le plus souvent aucun groupe social n’est suffisamment dominant pour donner le ton.
La régulation maîtrisée
23Dans d’autres formes d’habitat, notamment les copropriétés aisées qui ont aussi été étudiées ici, les conditions sont plus favorables à la construction d’un collectif résidentiel. La plus grande homogénéité de la population résidente facilite cette construction mais elle n’est pas suffisante. En effet, cette homogénéité, relative, n’implique pas nécessairement un accord sur les principes du vivre ensemble, et si les dispositions sont voisines, les valeurs ne le sont pas nécessairement. Il y a aussi des sujets qui fâchent dans les « bonnes » copropriétés. L’accord entre les membres de ces collectivités résidentielles requiert le partage d’un même ethos concernant les modes d’habiter, autrement dit d’un ensemble systématique de dispositions à dimension éthique, de principes pratiques27. En agissant de telle ou telle manière, l’habitant se soucie-t-il du bien commun et de la bonne entente entre les corésidents, manifeste-t-il un sens de la réciprocité, contribue-t-il à montrer l’exemple, etc. ? A-t-il la bonne attitude (choix du vocabulaire, du ton de la parole, des opportunités de contact, marque de politesse, réserve, complicité, etc.) ? On attend moins des corésidents qu’ils observent de façon stricte les règles mais davantage qu’ils manifestent leur accord et leur engagement. Le contenu de la règle elle-même importe moins que son acceptation par la collectivité, qui résulte d’un ajustement négocié. Autrement dit, il s’agit moins de contraindre que de favoriser l’adhésion et d’arriver à ce que les pratiques individuelles apparaissent comme des modalités d’accomplissement de pratiques collectives, parce qu’elles s’inscrivent dans un régime de civilité auquel adhèrent les habitants. Valérie Feschet donne ici une bonne illustration de la façon dont un collectif résidentiel pratique l’ajustement négocié pour faire respecter les normes : « Les nouveaux résidents, qui ne se doutent pas du bruit qu’occasionnent les pieds de chaise et les talons de chaussure sur les parquets mal insonorisés, font généralement l’expérience de la “plainte pour nuisances” et découvrent, à cette occasion, les instances de médiation et de contrôle de leur copropriété. La personne gênée se plaint au délégué de la montée d’escalier qui en “touche un mot” aux coupables à l’occasion d’une rencontre qui n’a rien de fortuit et qui est généralement mal vécue par le fautif (vexation). Selon le tempérament de la personne incriminée, les mises au point se font dans les espaces communs ou au domicile du défendeur en la présence du plaignant et de son médiateur, rencontres tendues mais toujours très courtoises dont le chausson sortira vainqueur. »
24A quelles conditions ces contraintes sont-elles acceptables ? La mise en ordre de la société de voisinage s’exerce, en effet, sur des individus singuliers, porteurs des normes et codes de leur propre monde social. Elle peut susciter une tension entre vie sociale et liberté individuelle (garder son quant-à-soi), entre identité collective et identité personnelle28. Les transactions (de Gourcy & Pinson, infra) auxquelles procèdent les habitants consistent à prendre en considération les diverses personnalités et à évaluer le niveau d’acceptabilité des écarts de leurs comportements par rapport à une norme moyenne. La normalisation ne s’applique pas de façon aveugle à tous, elle est modulée en fonction des personnes, certaines étant priées de s’ajuster de manière minimale aux règlements. Cela suppose donc un travail de reconnaissance de ces personnes, d’identification, ce qu’Hervé Paris nomme dans ce volume : « un travail collectif de figuration ».
25Cette entente sur la régulation de l’usage des espaces communs et sur la défense du bien commun peut aussi se retourner contre les habitants et faire disparaître la convivialité au profit du maintien de l’ordre. C’est la situation qui prévaut dans les copropriétés aixoises citées dans cet ouvrage. Les cohabitants ne laissent personne déroger aux règles édictées par la majorité qui tient le conseil syndical. Le souci du respect des règles va jusqu’à l’autocensure pour prévenir d’éventuels rappels à l’ordre. Dans la résidence Mozart à Aix-en-Provence, par « crainte d’engendrer un conflit avec les voisins les personnes qui reçoivent du monde vont accueillir leurs convives (comme les capitaines “pilotes” dans les ports) pour les orienter sans incident sur les “bonnes places” » (Feschet, infra).
La société des individus
26Pour créer les conditions d’une cohésion a priori, des promoteurs d’ensembles immobiliers construisent aujourd’hui des résidences privées sur le modèle des copropriétés américaines (Golovtchenko, infra). Cette forme urbaine se présente surtout selon deux aspects : comme sécurisée (installation de systèmes de contrôle et de protection) et privatisée (rupture radicale entre le privé et le public)29. Sans qu’il y ait, comme dans les gated communities, un recrutement des habitants par le collectif déjà existant, la sélection de ceux-ci se fait par le prix de vente des maisons ou des appartements. Il se crée ainsi des collectifs assez homogènes dans des ensembles immobiliers bien organisés en amont par les promoteurs, qui ont édicté des règles d’usage des espaces communs. Mais les classes aisées qui accèdent à ces logements recherchent beaucoup plus un confort et une protection qu’une sociabilité de voisinage et s’accommodent sans difficulté de l’absence de vie sociale dans la proximité de leur logement. Aujourd’hui, pour une partie des habitants, notamment pour ceux qui sont les plus favorisés économiquement et culturellement, la proximité spatiale ne génère plus de lien. Les liens sociaux de proximité sont remplacés par d’autres liens sociaux. Les conditions sont réunies, estime François Ascher, pour que le voisin devienne un étranger30. Un étranger pas tout à fait, plutôt un inconnu familier. Finalement on préfère se comporter avec celui-ci selon les normes qui régissent les interactions dans les espaces publics et non selon celles d’une convivialité espérée idéalement.
Traiter l’espace pour agir sur le social
27Face aux dégradations des patrimoines immobiliers, au départ des familles des classes moyennes qui fuient l’habitat social quand elles en ont les moyens – ce qui se traduit par des taux élevés d’inoccupation du parc de logements –, les bailleurs, ne pouvant pas agir directement sur les relations sociales, ont pensé possible de les transformer par un traitement du bâti et des espaces collectifs. Il s’agissait de favoriser l’appropriation et d’améliorer l’image d’ensembles résidentiels étiquetés « hlm ». Réhabiliter sans changer le rapport des habitants aux parties collectives n’a pas d’effet durable car les dégradations ne s’arrêtent pas. La clé d’une nouvelle politique passait par un changement de statut des espaces communs, qui de fait n’appartiennent à personne. Les privatiser, au moins partiellement, c’était redéfinir les droits d’usage de façon telle que ceux qui en ont l’exclusivité puissent pleinement se les approprier, les contrôler et s’impliquer davantage dans leur entretien et leur protection.
28Concrètement, la privatisation des territoires a donné lieu à des délimitations sous la forme de systèmes de clôture qui, avec la sécurisation des accès, restreignent les circulations et sont censés protéger des intrusions et donc contribuer à améliorer la sécurité. D’autre part, pour créer les conditions d’une appropriation collective, à une plus petite échelle, plus propices à la création de liens identitaires que celle du grand ensemble, des petites unités de résidence, entre l’étroitesse de la cage d’escalier et la vastitude de l’ensemble résidentiel, ont été aménagées. Réintroduire de plus petites unités était une manière de revenir aux formes urbaines traditionnelles que le mouvement moderne avait contribué à éradiquer, en reconstituant le parcellaire et les assemblages délicats de la ville ancienne (Panerai & Langé 2000 : 10).
29En même temps, les bailleurs ont financé des réhabilitations qui consistaient à transformer le bâti pour lui donner des qualités résidentielles qui sont attachées à l’image des résidences privées. Ont ainsi été traités les façades, les espaces collectifs et leurs articulations avec les espaces privés pour retrouver des continuités. Des éléments symboliques de la copropriété, comme les stores qui protègent les balcons, ont été ajoutés. Lorsque c’était possible, on a cherché à rompre avec l’uniformité de l’habitat social et à différencier les unités résidentielles (en donnant des noms par exemple). Ces améliorations du cadre de vie, qui consistent à rendre résidentiels des habitats qui ne le sont pas, ont pris le nom de résidentialisation. Mais derrière cette amélioration ce sont les populations elles-mêmes qu’il s’agit de résidentialiser, afin de leur faire adopter des modèles d’habiter qui sont ceux des classes supérieures.
Critique de la résidentialisation
30Le rapport au collectif est au centre des questions qui se posent à propos de la résidentialisation31. Les bailleurs estiment qu’il faut développer le sens de la collectivité au-delà de la cage d’escalier32 et susciter l’implication des habitants dans la régulation de leur espace de vie, ce qui permettra qu’ils s’y identifient plus spontanément. Ils pensent pouvoir y parvenir par un traitement des espaces33 et par l’introduction de nouvelles règles qui définissent « des modes d’occupation normalisés », sur les modèles d’habiter de la résidence privée et de l’habitat pavillonnaire. Mais la transposition de ces modèles à l’habitat social ne va pas de soi. D’une part, ces modèles fonctionnent avec une certaine population et pas nécessairement avec celle qui habite en majorité les grands ensembles. D’autre part, pour que les espaces communs changent de statut et soient considérés comme des espaces privés, il faudrait qu’ils le soient vraiment et ne soient plus partagés avec d’autres. Ce à quoi tiennent des habitants qui, comme le disent Brigitte Guigou et Christine Lelévrier, préfèrent « s’accommoder des voisins par la réserve » et veulent surtout éviter les conflits, c’est garder leur autonomie. Ils n’apprécient pas, à partir des réaménagements de l’espace, l’injonction à devoir s’arranger, négocier, trouver des compromis avec des habitants au-delà de leur seule cage d’escalier. Les risques d’entrer en conflit avec leurs voisins dépassent l’intérêt qu’ils pourraient trouver à utiliser des espaces qui restent semi-privés. Par ailleurs, la résidentialisation ne crée pas de liens sociaux différents, elle ne modifie pas les usages. Les habitudes et droits acquis sont plus forts. L’usage de ce qui était de statut collectif et non réglementé, après privatisation partielle, devra toujours être négocié par les habitants, car de toute façon il n’y a pas sur place d’autorité investie pour faire respecter les normes. Les gardiens sont trop seuls, trop isolés, pour le faire. Enfin, elle ne crée pas non plus de groupes plus homogènes, capables d’imposer des modèles normatifs à une minorité déviante. Bien qu’à plus petite échelle la question de la cohabitation entre voisins n’en sort donc pas pour autant résolue ni même améliorée. Élisabeth Pasquier et Anne-Marie Giffo-Levasseur (infra) concluent que la petite taille de l’unité de voisinage, contrairement aux espoirs des élus et bailleurs, ne facilite pas la régulation des relations sociales34.
31Les habitants sont très divisés au sujet de la résidentialisation. Les uns en attendent une pacification des relations autour du logement et une meilleure sécurité. Les autres s’inquiètent des entraves à la liberté d’aller et venir et sont très sceptiques sur l’efficacité des dispositifs. Les deux groupes ne sont pas socialement très différents, ils se sont constitués sur la base de références éthiques opposées. D’un côté, une éthique qui privilégie l’ordre et la régulation et qui trouve dans le droit de propriété un principe régulateur des relations entre les individus. C’est à partir de ce principe que se définiront les légitimés, comme par exemple, le droit d’être là ou non, ou le droit d’avoir son mot à dire ou pas, ou plus directement celui d’exiger son dû. De l’autre une éthique qui privilégie le vivre ensemble et place l’échange au centre de la vie sociale. Pour ces habitants, et notamment ceux issus de l’émigration, les espaces communs sont d’abord des lieux d’échange, où circulent les personnes, les idées, les flux et les identités (Boubeker, dans ce volume).
32La bonne volonté socialisatrice des aménageurs et des architectes35 se heurte régulièrement aux réalités de la cohabitation. En dépit des fonds importants36 qu’ils consacrent aux réaménagements des espaces et à leur sécurisation, les espaces qui restent communs, qu’ils voulaient ouverts à une sociabilité maîtrisée, peinent à devenir autre chose que des terrains d’affrontements potentiels ou des no man’s land neutralisés. Leurs aménagements n’ont pas d’incidence sur une condition essentielle de l’existence de bonnes relations de voisinage qui est l’homogénéité sociale37 de la population. Lorsque celle-ci est hétégonène, l’expérience quotidienne de l’altérité, qui se nourrit du contact avec les pratiques des autres, produit un effet de radicalisation du processus de différenciation. Comme le dit Marie- Pierre Lefeuvre (1998 : 5), les cohabitants ont tendance à transformer des différences de degré en différences absolues. L’altérité peut être plus construite que réelle – ici s’exerce, comme partout ailleurs, l’indispensable activité de différenciation qui permet à chacun de se situer et de construire son identité –, le résultat est le même : elle se traduit par un refus de fréquenter le voisinage et entraîne un repli sur le logement privé.
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Le bon voisin est essentiellement jugé sur sa personnalité et son comportement. Les habitants considèrent que l’appartenance à une classe aisée ne garantit pas le respect des autres ni un souci de propreté par exemple (Eleb & Violeau 2000 : 186).
2 Se trouver « sous le regard » des voisins suffit à faire renoncer une partie des habitants à l’utilisation de parties privatives ouvertes sur l’extérieur (balcons, terrasses, jardin mitoyen). « La mise en scène de particularités culinaires, de façons d’être entre amis paraît peu envisageable dans un espace qui, soumis au jugement du voisinage, est vécu comme public. C’est toute la différence avec le pavillon » (Lelévrier & Guigou dans ce volume).
3 Cette relation particulière et assez ambiguë, qui caractérise la proximité, ne trouve-t-elle pas une manifestation concrète dans le pavillon – habitat idéal des Français – qui, avec son périmètre ostensible, inscrit dans la morphologie la proximité et la distance ?
4 Le travail d’Olivier Zeller (voir infra) qui a travaillé sur l’habitation multirésidentielle dans une grande ville d’Ancien Régime, montre la perméabilité, au cours du temps, entre privé et public. La limite entre les deux ne se situait pas toujours à la porte du logement, elle pouvait se déplacer dans tout l’espace résidentiel et témoigner ainsi de la diversité des usages.
5 Des intérêts communs comme ceux qui associent les copropriétaires ne créent pas de lien social. Leur interaction se limite à la gestion de leur bien commun.
6 Le pourcentage (44 %) de ceux qui n’ont aucune relation avec leurs voisins reste malgré tout élevé.
7 Les relations de voisinage sont proportionnelles à l’importance totale du réseau. Pour les familles aisées le réseau de relation a tendance à être large, alors que les familles pauvres se replient sur la famille. Ces relations sont actuellement les plus faibles dans le monde ouvrier (Dard & Kaufmann 1995).
8 Image qui, traduite en terme de notoriété, a une incidence évidente sur la valeur de l’immobilier et qu’il faut constamment entretenir.
9 Toutefois, lorsque la collectivité des habitants est trop hétérogène, ceux-ci ne parviennent pas à se regrouper et les confrontations ne dépassent pas le niveau individuel (Pinçon 1982 : 183).
10 On a du mal à « désigner cet acteur qui ne correspond plus aux représentations de la classe ouvrière, des pauvres ou de ce qu’on appelait le peuple au siècle dernier. Aussi utilisons-nous des formules vagues comme celles des banlieues, de quartiers difficiles, de zones sensibles. Toutes ces expressions mettent en évidence la dimension spatiale de la stratification sociale » (Dubet 1995 : 147).
11 L’opposition, très fréquente, entre les normes des classes populaires et celles de la classe moyenne dans la recherche sur l’habitat semble suffisamment éclairante pour que les chercheurs se dispensent d’avoir à préciser quelles sont précisément les normes de cette classe moyenne (et de ses différentes composantes) et en quoi elles diffèrent de celles qui commandent la civilité en général.
12 Gérard Althabe a montré quel était le principe de ces conflits qui s’alimentent d’eux-mêmes : pour ne pas être accusé soi-même et pour se distinguer des plus stigmatisés, on accuse les autres (Althabe 1993).
13 Isabelle Coutant qui a travaillé sur la perception d’un squat à Paris par les habitants du quartier relève le même type de formation de groupes opposés sur une base idéologique (Coutant 2000 : 210).
14 Dans les squats genevois observés par Marc Breviglieri et Luca Pattaroni (voir dans ce volume) la fidélité à une grammaire (Boltanski & Thévenot) militante qui définit la bonne et juste occupation des locaux contredit un désir d’appropriation privative qui soustrait aux autres l’usage des choses communes.
15 Moins la trajectoire résidentielle est maîtrisée et plus l’obligation de vivre ensemble est ressentie comme subie.
16 A cela s’ajoutent les déterminations produites par la position dans les autres champs que celui de la résidence. Jean-Claude Kaufmann (1988 : 146) observe, par exemple, que la conception du nettoyage des parties communes n’est pas la même selon qu’il s’agit d’une femme qui travaille ou d’une femme au foyer.
17 Ces regroupements sont désormais criminalisés. La loi de décembre 2003 sur la sécurité intérieure punit de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende l’entrave, de manière délibérée, dans les halls d’immeuble.
18 Une personne occupe-t-elle trop souvent un banc ? Cette appropriation intolérable est alors sanctionnée par la suppression de celui-ci (voir Valérie Feschet dans ce volume).
19 Le territoire demande aussi à être défendu contre les intervenants institutionnels sur le quartier qui prétendent le transformer et donc y exercer une influence. Les « lieux de la parole » sont particulièrement convoités (Boukhobza dans ce volume).
20 Étant donné que l’appropriation ne se limite pas à ce qui est visible mais comporte plus essentiellement une dimension imaginaire, l’image négative du territoire contrarie fortement le désir d’appropriation (Chalas 1984 : 494).
21 Ils varient aussi en fonction des âges de la vie et donc des activités et des besoins qui évoluent. Il arrive fréquemment que retraités et jeunes couples avec enfants s’opposent sur l’usage des espaces communs.
22 On dénonce un peu tout : les regroupements de jeunes, les passages de non-résidents, les manques d’éclairage, l’inefficacité du jardinier (Honnorat, dans ce volume).
23 Il n’y a d’ailleurs pas de lieu (en dehors des réunions de copropriété) pour se rencontrer, discuter et négocier.
24 « La société étant décousue et la ville discontinue, on ne trouve guère de milieu social unifié capable d’édicter des règles et de les faire respecter dans les différents milieux » (Roché 1996).
25 Ils s’en remettent notamment, pour régler les problèmes, aux services de gestion et cela a été observé aussi bien dans les grands ensembles locatifs que dans les grandes copropriétés (Dard & Kaufmann 1995 : 55).
26 La saleté devient un critère de classement des individus : « Les Français placent la saleté du côté de l’incivilité et du manque de savoir être en ville » (Toussaint & Bekkar 1994).
27 Il s’agit d’abord de juger des pratiques et non de se mettre d’accord sur des principes moraux. Cet accord peut venir en second lieu et, comme le note Pierre Bourdieu, ce n’est pas une condition a priori pour que les jugements concordent : « On oublie que les gens peuvent se montrer incapables de répondre à des problèmes d’éthique tout en étant capables de répondre en pratique aux situations posant les questions correspondantes » (Bourdieu 1988 : 133-136).
28 La préservation de l’autonomie du sujet individuel tout au contraire faciliterait la vie sociale, alors que des rapports trop fusionnels pourraient conduire à un « épuisement d’être ensemble » (Breviglieri & Pattaroni dans ce volume).
29 Éric Charmes (voir dans ce volume) qui a travaillé sur des communes périurbaines constate que la même politique est appliquée dans d’autres types d’habitat. Il s’agit de réserver la jouissance des espaces publics, ici les rues privées, aux seuls résidents : « Une commune dispose de nombreux outils pour faire de son territoire un véritable club dont ses habitants ont la jouissance exclusive. »
30 « De vrais voisins métapolitains sont des voisins qui s’ignorent » (Ascher 1995 : 150). Si on fréquente le voisin, ce ne sera plus parce qu’il est proche physiquement mais parce qu’on partage avec lui une proximité sociale et culturelle.
31 Quatre opérations de résidentialisation ont été observées dans le cadre de ce programme de recherche, dans les communes d’Évry, d’Athis-Mons, de Montreuil et de Nantes. Elles ont suscité des interrogations critiques similaires.
32 La conscience d’appartenir à cette entité est fréquente : « Ici dans la cage d’escalier il n’y a aucun problème. On se connaît, on bavarde sur le palier… On n’hésite pas à se rendre service. Moi je descends le sacpoubelle des voisines » ou encore « Ici ça se passe très bien. C’est une bonne cage » (cité par Lelévrier & Guigou, dans ce volume).
33 Comme le note Christian Moley : « Les espaces qui se prêtaient à un discours d’urbanité [chez les architectes qui voulaient créer des îlots ouverts à la convivialité] font place au renfermement de la résidentialisation. »
34 Cette conclusion diffère de celle de Kaufmann (1983) qui avait constaté que la régulation se fait plus facilement à l’échelle de la cage d’escalier. Voir ci-dessus.
35 Développer la socialisation n’a pas toujours été leur objectif. Claudio Secci et Estelle Thibault (voir dans ce volume), à partir des documents provenant des congrès cihbm de la fin du xixe siècle, montrent que les architectes avaient, à l’opposé, pour souci de séparer les habitants dans un but de pacification car « tout ce qui doit servir à plus d’un locataire est matière à disputes et à chicanes, à rancunes, à réclamations, à détériorations excessives et à irresponsabilité, hautement proclamée par les intéressés. L’escalier commun, le robinet commun, la buanderie commune, tout cela semble être fait pour troubler la paix des ménages » (De Queker, cihbm 8 : 9, 1907).
36 Ces investissements, qui sont aussi pour partie à la charge des copropriétaires, sont très critiqués par l’ensemble des habitants lorsqu’ils constatent que l’amélioration du cadre de vie et notamment la réfection des espaces communs, pourtant très dégradés, est oubliée (ou passée à la trappe) et que la résidentialisation ne consiste plus qu’à créer ou redoubler clôtures et fermetures. Ces fonds leur paraissent d’autant plus mal employés qu’ils sont persuadés que les systèmes de contrôle seront rapidement contournés ou directement détruits.
37 Conclusion commune à la plupart des recherches sur l’habitat.
Auteur
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