Avant-propos
p. XI-XIII
Texte intégral
1Les espaces situés entre le logement privé et l’espace public ont connu ces dernières années un regain d’intérêt aussi bien de la part des architectes, pour qui, le plus souvent, ils n’avaient constitué que des espaces de transition à la marge de leur projet, que des bailleurs qui n’avaient pas jugé utile d’organiser leur administration. En même temps ils ont aussi focalisé l’attention des responsables de la politique de la ville qui ont constaté qu’ils constituaient un champ de confrontations multiples et des spécialistes des sciences humaines interpellés par ce qui s’y joue en terme de construction du lien social et d’expression des identités culturelles. Cette convergence de regards critiques et interrogatifs justifiait le lancement d’une consultation de recherche sur ce qui se passe dans ces espaces entre-deux, à la fois lieux de passage et théâtre où se mettent en scène et se confrontent les différentes cultures de l’habiter. Le thème comportait en outre une double dimension architecturale et sociale propre à favoriser des recherches transversales ouvertes aux différentes disciplines qui ont trouvé leur place au sein de la direction de l’Architecture et du Patrimoine. Soixante-deux équipes de recherche ont confirmé l’intérêt pour ce champ de réflexion en répondant à notre proposition. Ce volume présente les travaux des dix-sept d’entre elles qui ont été sélectionnées. Leurs analyses éclairent notamment les problèmes de cohabitation au sein d’entités résidentielles qui rassemblent des personnes et des familles de provenances sociales et culturelles diverses, qui n’ont pas choisi d’être ensemble ni de se fréquenter tout en se trouvant dans une grande proximité physique.
2La société des voisins n’est pas nécessairement une antichambre de l’enfer, les nombreuses collectivités résidentielles sans histoire le montrent. Mais il en est aussi un trop grand nombre (et pas uniquement dans le secteur de l’habitat social) qui ne parviennent pas à s’entendre sur le partage des parties communes, sur leur usage, leur appropriation et, plus généralement, qui laissent des rapports de force s’instaurer entre voisins au détriment de la civilité.
3Les acteurs de la construction et de l’aménagement ont proposé et mis en œuvre un dispositif d’actions qui a une triple dimension, juridique, sociale et architecturale, avec l’idée de s’opposer efficacement aux ferments d’une dégradation sociale – qui se traduit par des détériorations matérielles et par la fuite des classes moyennes – en intervenant sur la forme des espaces collectifs. Du fait de leur statut incertain – les parties communes sont, en effet, ouvertes à tous et à tout – ces espaces sont apparus comme propices à la manifestation des crises urbaines. Ce dispositif d’action, qui a pris le nom de « résidentialisation », consiste à organiser leur hiérarchisation et à les privatiser partiellement, pour en permettre un meilleur contrôle et une appropriation limitée aux ayants droit, tout en requalifiant l’image de la résidence. Il s’agit de casser l’effet de masse du grand ensemble par le morcellement des espaces grâce à des marquages et à des limites matérielles : haies, clôtures, barrières, traitements des sols différenciés. Le remodelage en petites configurations résidentielles permet de revenir à une distinction traditionnelle entre domaine public et domaine privé. L’un des effets majeurs de ce type d’opération est de clarifier le statut des sols, amenant villes et bailleurs à une redéfinition du partage des responsabilités.
4Les chercheurs, qui ont analysé plusieurs opérations de résidentialisation en cours, ont pu constater que cette dernière ne fait pas l’unanimité des habitants, que partisans du contrôle et de la sécurité et partisans de la liberté d’aller et venir sans avoir à franchir des barrières s’affrontent. Ces travaux attirent aussi l’attention sur les effets non désirés de ces opérations : création de nouveaux clivages, déplacement des regroupements non admis, accentuation de phénomènes de rejet vis-à-vis de familles stigmatisées… Les réflexions sur la résidentialisation ici proposées contribuent à un débat plus général sur les outils d’une politique de la ville soucieuse de favoriser la régulation et la pacification des relations sociales dans les espaces d’habitation.
5La résidentialisation s’inscrit elle-même dans un mouvement de privatisation de l’espace public. Les « gated communities » à la française, en extension, et les lotissements résidentiels périurbains, avec leurs voies privées, utilisent les espaces collectifs comme des espaces de protection communs avec des dispositifs de fermeture et de sécurité renforcés. Ces formes de regroupements affinitaires qui se construisent contre la mixité sociale posent la question de leur relation à la ville et à l’urbanité. Leur posture défensive, leur volonté d’autonomie, la recherche d’un entre-soi vont dans le sens d’une discrimination urbaine voire d’une ségrégation. Cette privatisation renforcée des espaces communs répond à la demande d’habitants, las des multiples désordres dont ils ont été témoins, qui aspirent surtout à la tranquillité, mais elle comporte des risques pour la cohésion sociale. Cet ouvrage apporte sur ce point, comme sur bien d’autres, d’utiles réflexions pour les aménageurs, les architectes et tous ceux qui ont à penser la ville de demain, partagée et non privée.
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La société des voisins
Ce livre est cité par
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La société des voisins
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