Conclusion
p. 161‑162
Texte intégral
1Catenoy était connu depuis un an seulement quand Canneville fut découvert en 1873, ce qui en fait un des sites chasséens les plus anciens du Bassin parisien ; il faudra cependant attendre les travaux de G. Bailloud pour qu’il soit défini comme tel dans les années soixante, et la fouille de 1974‑75 pour que soit détruite la légende de l’« éperon barré de Canneville ». La recherche actuelle permet de saisir, sur la céramique principalement, des nuances dans cet ensemble du Chasséen septentrional créé par G. Bailloud, et que des fouilles nombreuses, dont certaines sur de grands sites comme Jonquières, Catenoy et Boury‑en‑Vexin, ont permis de mieux connaître. Une chronologie du Chasséen septentrional en trois phases est actuellement en cours d’élaboration.
2La fouille de sauvetage de 1974‑75 a défini les limites du site archéologique et permis la fouille soignée des zones où les vestiges sont nombreux. Elle montre que les Gallo‑Romains ont réoccupé un site chasséen dont on peut encore percevoir nettement une fosse et un sol présentant des trous de poteaux. Sur le reste du site cependant, les vestiges des deux occupations sont étroitement mêlés, sans aucune stratigraphie apparente.
3L’étude de la répartition du matériel par l’analyse des correspondances a permis de préciser les limites de la réoccupation, et surtout d’en préciser l’impact sur le matériel chasséen. Il apparaît que la céramique a beaucoup souffert, au point que les variations de sa densité sont un des critères les plus discriminants pour établir l’étendue des deux occupations. Le matériel lithique, au contraire, n’a été modifié ni en quantité, ni dans sa composition, et forme donc un ensemble homogène de plusieurs milliers de pièces, permettant des études statistiques sur lesquelles on peut tenter une définition de l’industrie lithique du Chasséen septentrional.
4Le matériel céramique, malgré les vicissitudes qu’il a subies, permet de placer Canneville dans la chronologie du Chasséen septentrional : l’existence de récipients de petite et grande taille et l’absence de récipients de taille moyenne, l’absence de vases‑supports décorés, et surtout la présence de récipients à carène vive en Z, font placer Canneville à la charnière de la phase II et de la phase III.
5Le matériel lithique a permis des études plus poussées. Il est apparu que les méthodes traditionnelles ne permettaient pas de le décrire, ni pour l’étude de débitage, ni pour celle de l’outillage ; dans les deux cas c’est l’absence de stéréotypes qui faisait buter l’analyse. Mais en centrant l’analyse sur la notion de support, perceptible typométriquement d’abord, puis sur des critères descriptifs qui renvoient aux pratiques de débitage, on a pu décrire un système de gestion de la matière première qui fait apparaître des constantes dans les deux types d’étude : l’impossibilité de mettre en évidence (sinon par des anomalies statistiques) un débitage spécialisé de lames ou lamelles dans l’analyse des déchets de débitage, alors qu’il est attesté sur les nucléus et dans l’outillage, la comparaison entre certains supports de morphologie précise (pièces à dos naturel ou cortical) ou de taille déterminée (grands éclats) dans les déchets et l’outillage ont montré l’importance des prélèvements opérés par les tailleurs de Canneville qui ont fait disparaître presqu’entièrement certaines catégories de produits. Les nucléus se répartissent également entre plusieurs morphologies, qui signalent l’adaptation des techniques à la forme du rognon de départ. De très petite taille quand la séquence de débitage a pu être menée à son terme, ils sont révélateurs d’une exploitation extrêmement poussée de la matière première, et montrent que seule une partie des pratiques de débitage est accessible, puisque les étapes qui ont fourni les produits de grande taille présents dans l’outillage ne sont plus perceptibles sur les nucléus. Les pratiques de débitage traduisent donc une volonté de rendement maximum et une grande souplesse technique, qui sait adapter l’exploitation à la morphologie de la matière première.
6L’étude de l’outillage montre que le façonnage n’est pas un phénomène primordial : la recherche de supports bruts présentant déjà les caractéristiques de l’outil recherché est systématique et au moins aussi importante que le façonnage, qui n’est pratiqué que dans la mesure où il est nécessaire. Cette caractéristique mène à l’utilisation intensive de supports qui sont les déchets d’opérations de débitage ou de mise en forme. Dans ces conditions la plus grande partie de l’outillage n’est définissable que par son intégration dans les pratiques de débitage, et dans la mesure où elles sont représentatives d’une culture. Cependant certains types d’outils (outillage campignien, armatures tranchantes, outillage poli), pour lesquels des stéréotypes de fabrication sont perceptibles, gardent une valeur de « fossiles directeurs ». On retrouve ici, par la minimisation du façonnage et l’utilisation des déchets, le souci de maximiser le rendement qui caractérisait le débitage, et la souplesse technique dans la réalisation.
7L’établissement d’un schéma général de toutes les filières d’obtention de l’outillage montre la coexistence de quatre stratégies menant par une série de choix techniques du rognon à l’outil. La filière courte de débitage d’éclats fournit la grande majorité des outils, la filière plus longue de débitage de lames ne donne qu’une faible proportion de l’outillage. Les deux autres filières d’outils sur bloc ou sur rognon représentent des raccourcis, permettant d’éviter un certain nombre d’opérations ; il en est de même pour l’utilisation des déchets. On retrouve donc, une fois encore, la recherche du rendement maximum et la variabilité technique qui en est la conséquence.
8L’absence de stéréotypes de débitage ou de façonnage, loin d’être un indice du manque de compétence technique, devient donc, au contraire, la preuve, applicable à l’ensemble de la gestion de la matière première, de l’adéquation de techniques multiples, bien maîtrisées, mais qui ne sont sélectionnées et appliquées qu’en fonction d’un souci de rendement maximum.
9Cette maîtrise technique est cependant mise en œuvre sur une matière première de qualité douteuse, silex de l’argile à silex, qui a subi des brassages pendant la décomposition des craies qui sont à l’origine de ces argiles, et qui a parfois subi en outre un passage en rivière. Il est tentant d’en inférer une situation de pénurie qui a empêché les Chasséens de Canneville d’avoir accès à une matière première de qualité. Or la région est connue pour la qualité et l’abondance de ses silex, et la culture de Seine‑Oise‑Marne, immédiatement postérieure, voit des exploitations minières en puits et galeries bien établies et qui fournissent un matériau de très bonne qualité. Les débuts de l’exploitation minière ne sont pas encore calés chronologiquement mais pourraient se situer dans le Chasséen septentrional. Une exploitation minière est connue depuis longtemps à Nointel, tout près de Catenoy, qui se trouve à moins de 15 km à vol d’oiseau de Canneville, sans parler d’une autre source possible et plus proche, en aval, au sud de Gouvieux, autre éperon sur lequel du matériel chasséen a été ramassé par G. Bailloud (communication personnelle). Dans ce contexte, encore problématique, des débuts de l’exploitation minière, et des problèmes de contrôle social et/ou territorial qui s’y rattachent, Canneville et sa gestion de la matière première, situés en charnière de phase II et III, signalent soit une implantation, soit une étape du Chasséen septentrional où l’exploitation minière sophistiquée est absente.
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