2. Étude de la cohérence du matériel
p. 31‑43
Texte intégral
1L’absence de stratigraphie sur le site de Canneville, où les fouilles ont permis de reconnaître deux occupations sur les mêmes surfaces, impose l’étude de la répartition du matériel, pour tenter de préciser l’étendue de la réoccupation gallo‑romaine et ses effets sur le matériel chasséen.
2.1. Conditions de l’étude
2Cette étude a été menée sur une reconstitution théorique du site, établie sur les données fournies par l’enregistrement du matériel. La fig. 20 présente les 165 carrés ayant fourni du matériel lithique, osseux ou céramique. Ce que nous appelons un « carré » représente un repérage en coordonnées xy et non une superficie, et les demi‑carrés sont la représentation arbitraire de carrés tronqués par le passage des tranchées exploratoires. Les carrés noircis marquent la présence de blocs rocheux susceptibles de modifier la densité des témoins archéologiques recueillis. Le foyer est indiqué par une pastille noire.

● Fig. 20 – Reconstitution du site et découpage en zones.
3Le site a été découpé en zones qui sont celles définies à la fouille, mais pourvues d’une identité simplifiée ; ce sont : PQ98 ; RT105‑107, devenue RS105 ; la fosse chasséenne PQ106‑107, devenue P106 ; XYZ124‑125, devenue XZ125 ; JL127 ; le fossé ; la zone d’occupation néolithique, différenciée en zone néolithique nord (Néo.N.), et zone néolithique sud (Néo.S.) ; la nappe de blocs calcaires a été différenciée en pierrier situé en JQ99‑102, et zone intermédiaire (Z.interm.), située de JR103 à JO 106, de façon à regrouper le voisinage de la grande dalle située en L104‑105 où les vestiges se faisaient plus rares, et peut‑être déterminer si sa présence modifie la répartition des vestiges de l’une ou l’autre occupation.
4Il n’a pas été tenu compte de l’épaisseur de la couche archéologique. L’étude des 7 carrés où la superposition de niveaux chronologiquement différents a pu être observée montre que le brassage a été considérable : pour les 3 niveaux reconnus (la gallo‑romain, Ib perturbé et II chasséen), la répartition des témoins lithiques (fig. 21) montre que 65,5 % du matériel provient des niveaux remaniés. Il en est de même dans les autres zones : c’est ainsi que la fosse chasséenne (P106), qui est une zone parmi les plus « pures » du site, a fourni cependant 24 tessons incontestablement gallo‑romains, soit le tiers des tessons qui y ont été recueillis. Le matériel osseux a été exclu de l’étude, faute de pouvoir distinguer entre matériel gallo‑romain et matériel chasséen et compte tenu du fait que son abondance dans toutes les zones lui ôte toute valeur discriminante. Le matériel fourni par les tranchées exploratoires et les sondages de A. Lesbros, non situable spatialement, ne participe pas non plus à l’analyse.

● Fig. 21 – Décompte du matériel lithique trouvé en stratigraphie.
5L’analyse des correspondances (AC), basée sur la notion de « profil caractéristique », va permettre en comparant les variations de densité des différentes catégories de matériel retenues pour l’étude, de rapprocher ou de séparer les différentes zones. Simultanément, le fait que toutes les catégories de matériel contribuent en même temps à l’analyse va permettre de juger de l’importance relative de chacune de ces catégories (qui constituent les « variables ») dans la différenciation des zones (qui constituent les « individus » étudiés).
6Le matériel lithique a été réparti selon les catégories suivantes (fig. 22A) : nucléus (N = 98) ; outils, soit l’outillage et tous les fragments d’outils identifiables comme tels (N = 154) ; éclats de débitage entiers, qu’ils soient ou non retouchés (N = 1 470) ; éclats cassés, soit les fragments proximaux, mésiaux et distaux, retouchés ou non (N = 1 088) ; cassons, soit les déchets de débitage sur lesquels aucune direction d’enlèvement ne peut être lue (N = 708) ; éclats thermiques, soit les fragments de silex tellement défigurés par le feu qu’aucune direction de débitage ne peut être lue, et qu’à la différence des cassons, aucune mesure ne peut être considérée comme pertinente (N = 120).

● Fig. 22 – Distribution générale du matériel : ‑ A. matériel lithique ‑ B, matériel céramique,
7Le site a fourni 10 fragments de grès identifiables comme fragments de meule ou molette ; la faiblesse numérique de cette catégorie l’exclut de l’étude, des essais infructueux ayant montré qu’il fallait fixer à 50 éléments le seuil en dessous duquel une catégorie ne pouvait être utilisée.
8L’ensemble des témoins lithiques se monte à 3 638 pièces. Il faut noter que les zones chasséennes (P106, Néo.N. et Néo.S.) ne fournissent que 1 403 témoins lithiques, soit 38,7 % seulement du matériel fourni par le site.
9En ce qui concerne la céramique (fig. 22B) nous avons choisi de travailler sur le nombre de tessons. Le nombre d’individus‑céramique chasséens identifiés se situe largement sous le seuil de 50 éléments précédemment établi, ce qui aurait exclu toute cette céramique de l’étude. Nous avons considéré d’autre part que les zones définies sont assez étendues pour que la concentration de tessons créée par l’écrasement sur place d’un vase ne perturbe pas les résultats, et ce d’autant plus que toute la céramique, tant gallo‑romaine que chasséenne, est généralement très fragmentée et très érodée. Sur ce site où un tesson de 5 cm2 est un « beau » tesson, nous avons accordé la même valeur aux tessons des deux occupations, car il semble que la plus grande dureté des céramiques gallo‑romaines ait été compensée par leur moindre épaisseur, et qu’elles se soient trouvées, à Canneville, pulvérisées au même titre que la céramique chasséenne. Les densités moyennes sont d’ailleurs comparables : (4 et 3 tessons par carré). Nous avons donc compté les tessons, et les avons classés selon les seuls critères encore observables, à savoir les traces éventuelles de tournage, la composition du dégraissant, la couleur n’intervenant que pour la céramique tournée où le dégraissant n’est pas visible. On obtient les catégories suivantes : gr.noire, céramique noire, tournée, à dégraissant invisible (N = 375) ; gr.beige, céramique tournée, beige rosé, dégraissant invisible (N = 152) ; gr.grossière, céramique noire, tournée, à gros dégraissant (N = 44) ; p+num, céramique épaisse, non tournée, à gros dégraissant de petits blocs de pierre et de nummulites parfois entières ; les remontages ont montré qu’il s’agit de fragments de dolium (N = 29) ; silex, céramique non tournée, dont le dégraissant est le silex, accompagné parfois de nummulites ou de chamotte en petite quantité ; le regroupement de ces trois catégories est basé sur des analyses de correspondances, non valables parce que les effectifs étaient en dessous du seuil, mais qui ont cependant montré que tous les tessons contenant du silex se comportaient de la même façon vis‑à‑vis des autres catégories (N = 120) ; coquille, céramique non tournée, à gros dégraissant composé de fragments de coquillage ayant l’apparence de coquille de moule (N = 56) ; d.calgr., céramique non tournée, à dégraissant calcaire relativement fin, devenu gris à la cuisson (N = 153) ; d.calbl., céramique non tournée, à dégraissant fin, blanc, composé de minuscules coquillages fossiles, restés blancs après cuisson (N = 142) ; torchis, fragments friables, de couleur beige, sans dégraissant visible, se présentant comme de petits blocs d’épaisseur moyenne 15 mm (N = 397).
10L’ensemble donne un corpus de 1 498 tessons. Il faut noter que la céramique noire et le torchis (gr.noire et torchis) sont les catégories les plus représentées, avec respectivement 25,5 % et 27 % de l’ensemble. D’autre part l’ensemble des tessons ne représente que 28,7 % des 5 106 témoins archéologiques pris en considération. La nécessité de ne garder que les variables et les individus comportant plus de 50 éléments exclut de l’étude 2 catégories de céramique (gr.gros et p+num), ainsi que 3 zones ( PQ98, XZ125 et JM127) ; ces zones seront replacées dans les analyses de confirmation de l’AC, qui a donc été faite sur le tableau d’effectifs de la fig. 23, soit sur 4 946 témoins archéologiques. Le calcul du Khi2 du tableau, qui établit à la fois la validité de l’échantillon et la force du lien entre les variables (catégories de matériel) et les individus (zones), donne une valeur de 1 395,12 pour un seuil d’erreur à 0,01 compris entre 124,1 et 135,8 ; on a donc affaire à un échantillon valable et il existe un lien entre les deux séries de paramètres. La valeur (0,28) du Phi2, quotient du Khi2 par l’effectif, et qui n’indique plus que la force du lien entre les paramètres (seuil à 0,26), permet d’écarter l’hypothèse d’indépendance : la répartition du matériel archéologique sur le site n’est donc pas aléatoire.
11L’analyse des correspondances permet de présenter l’information contenue dans le tableau sous une forme plus aisément accessible, mais qui tient compte cependant de tous les paramètres du tableau d’origine ; il y a perte d’un certain pourcentage d’information que la méthode permet de réduire à un minimum. L’analyse a été réalisée sur micro‑ordinateur, grâce à un programme établi par J.‑Cl. Hamard, selon la méthode exposée par P. Cibois (Cibois 1980). Le traitement informatique traduit l’information du tableau en un certain nombre de facteurs, classés par ordre décroissant selon le pourcentage d’information dont ils sont porteurs, et dont on ne représente en général que les deux premiers, sous forme d’un graphique croisant deux axes (fig. 23). L’axe 1, horizontal, est celui qui porte le plus d’information. Chaque paramètre du tableau d’origine est affecté, pour chaque facteur, d’une valeur numérique, positive ou négative, qui permet de le placer sur ce graphique ; pour la présente analyse le graphique va donc présenter les catégories de matériel et les zones. L’AC est fondée sur la notion de profil caractéristique, calculé selon l’écart à un profil moyen établi sur l’ensemble des données. Ce profil moyen est figuré sur le graphique par le point zéro de chaque axe ; plus la valeur numérique affectée à un paramètre est forte, plus il s’écarte de la moyenne ; on va donc voir, ici, s’individualiser les zones (= individus) en fonction des catégories de matériel (= variables) qui contribuent à la constitution de leur profil ; simultanément la plus ou moins grande distance à la moyenne des variables va permettre d’évaluer leur rôle dans cette différenciation.

● Fig. 23 – Répartition du matériel en fonction de l’analyse des correspondances.
2.2. Les deux occupations du site
12Pour Canneville on obtient le graphique de la fig. 23. Ne sont figurés que les deux premiers axes, porteurs respectivement de 45,4 % et 37,7 % de l’information du tableau d’origine. Les facteurs suivants marquent une chute brusque, puisqu’aucun n’atteint 10 %. Les deux premiers facteurs contiennent donc 83 % de l’information du tableau d’origine, et fournissent donc une très bonne approximation.
13Le premier facteur, sur l’axe 1 horizontal, dispose les zones et les variables de part et d’autre d’un axe vertical passant par le point zéro. On constate immédiatement que les trois zones chasséennes (P106, Néo.N. et Néo.S.) se trouvent regroupées, et opposées aux zones reconnues comme gallo‑romaines (pierrier et ciste) ; à ces dernières viennent se joindre toutes les autres zones du site (z.intermédiaire, YZ115, RS105 et fossé) qui se révèlent donc comme des zones à dominance gallo‑romaine. Le plan du site peut donc être précisé et donne la définition du site qui apparaît sur la fig. 24.

● Fig. 24 – Interprétation chronologique du site.
14Dans cette discrimination qu’effectue le premier facteur sur le plan chronologique toutes les variables ne jouent pas le même rôle : la variable « dégraissant coquille » (coquil.) présente un faible écart à la moyenne et se situe près de l’axe vertical ; sa fonction discriminante est donc faible ; toutes les autres variables céramique, et la variable torchis présentent de forts écarts à la moyenne et c’est donc sur elles que reposent les différences établies entre les zones. Le torchis voit donc sa datation gallo‑romaine confirmée. Les variables lithiques présentent des écarts à la moyenne beaucoup plus faibles et interviennent donc moins dans la détermination chronologique. Les variables cassons et « éclats cassés » se trouvent à la moyenne, leur pouvoir discriminant est donc nul ; les autres variables lithiques accentuent, mais faiblement, le pôle représenté par le Chasséen.
15Le deuxième facteur dispose les zones et variables de part et d’autre d’un axe horizontal passant par le point zéro. On constate immédiatement qu’il joue surtout pour les zones gallo‑romaines, les variables néolithiques restant en majorité beaucoup plus groupées près de l’axe horizontal. Dans les variables très discriminantes se dessine une opposition entre les variables céramique « dégraissant coquille » (coquil.), « céramique noire » (gr.noire), « céramique beige » (gr.beige) d’une part, et la variable torchis d’autre part ; ce contraste entre céramique et torchis établit une distinction entre le pierrier et lazone intermédiaire d’une part et les autres zones qui ont toutes pour point commun d’être des cavités. Il semblerait donc que ces dernières aient fonctionné comme des pièges à torchis, permettant la conservation de ce matériau friable, dans ces cavités qui se sont comblées, tandis que l’érosion le faisait presque disparaître des sols laissés à nu. Le deuxième facteur établit donc une distinction fonctionnelle entre les sols d’occupation et les cavités. La seule variable lithique qui présente un fort écart à la moyenne pour ce deuxième facteur est « éclats thermiques » : elle représente une catégorie certainement plus fragile que le reste du matériel lithique, puisque les éclats craquelés par l’action du feu se fragmentent plus facilement. A ce titre, cette variable joue aussi le rôle d’indicateur de conservation du matériel, et est responsable de la légère différence marquée, pour le deuxième facteur, entre les sols d’occupation chasséens et la fosse P106, où les éclats thermiques se sont mieux conservés.
16Il faut noter la position particulière de la variable « dégraissant coquille » (coquil.) : c’est la seule des variables céramique à ne pas avoir de valeur discriminante sur le premier axe (chronologique) ; cela tient à sa distribution très spéciale (tableau de la fig. 23) : présente sur les sols d’occupation, tant chasséens que gallo‑romains, elle est totalement absente des cavités. Pour la même raison elle s’exprime très fortement sur le deuxième axe, alors que d’autres variables, également non chronologiques (cassés, cassons) ne s’expriment pas sur cet axe parce que ces catégories de matériel sont omniprésentes sur le site.
17Cette première analyse a donc permis de préciser l’appartenance gallo‑romaine de 3 zones restées inattribuées à la fouille, RS105, YZ116 et le fossé, dont la position entre l’extrémité de l’éperon et les sols chasséens n’est plus un problème dès lors qu’il est gallo‑romain. Elle a également permis d’assurer l’appartenance chasséenne de la plupart de la céramique non tournée (variables silex, d.calgr., d.calbl.), et de constater que les témoins lithiques et la céramique ont réagi différemment à la réoccupation gallo‑romaine : si les premiers ont peu souffert, et sont donc peu discriminants sur le plan chronologique, il n’en est pas de même pour les tessons. Enfin on voit apparaître un facteur de conservation différentielle entre les zones d’occupation et les cavités, naturelles ou anthropiques, présentes sur le site.
18A partir de ces résultats on peut tenter de replacer les zones encore non classées dans cette chronologie. Les variables les plus discriminantes du point de vue chronologique vont permettre de le faire. En regroupant toute la céramique tournée ( y compris la céramique noire grossière, gr.gros., non incluse dans l’AC), et les fragments de dolium (p+num), une catégorie « céramique gallo‑romaine » a été créée ; de même une catégorie « céramique néolithique » regroupe les critères vérifiés par l’AC (silex, d.calgr., d.calbl.), mais en excluant la variable « dégraissant coquille » (coquil.) dont nous avons constaté la neutralité chronologique; la variable torchis reste inchangée. On obtient le tableau d’effectifs de la fig. 25. Les pourcentages respectifs de ces trois catégories pour chaque zone sont reportés sur un graphique triangulaire, où les zones sont figurées par des points, cependant que la croix représente la moyenne générale, toutes zones confondues (fig. 25). On obtient un regroupement en trois concentrations :

● Fig. 25 – Répartition de la céramique et du torchis.
19– sols d’occupation gallo‑romains, en haut de la figure, avec un fort pourcentage de céramique gallo‑romaine, et de faibles quantités de torchis et de céramique néolithique ; la zone PQ98, où ne se trouvent que des tessons gallo‑romains, vient rejoindre ce groupe ;
20– zones chasséennes, avec un fort pourcentage de céramique néolithique, et une quasi‑absence de torchis et de céramique gallo‑romaine en ce qui concerne les sols ; la fosse P106 a un comportement un peu différent : le pourcentage non négligeable de céramique gallo‑romaine montre qu’elle fait partie de la zone réoccupée, cependant que la faible quantité de torchis montre qu’elle a fonctionné comme un sol à cette époque, où elle était donc comblée ; le phénomène était masqué dans l’AC par la prise en compte de l’ensemble du matériel ;
21– pièges à torchis, caractérisés par un pourcentage variable de céramique gallo‑romaine, mais avec toujours une grande quantité de torchis ; la zone XZ125 vient rejoindre ce dernier groupe.
22La zone J127, où n’ont été trouvés que deux tessons, dont l’un néolithique, n’a pas été située. Il faut noter que la céramique néolithique n’est jamais absente des zones gallo‑romaines (sauf pour PQ 98).
23La même étude sur graphique triangulaire sur les 3 265 déchets de débitage, soit les éclats entiers (N = 1 470), cassés (N = 1 088) et les cassons (N = 707), montre en revanche (fig. 26) une distribution uniforme sur le site, où seules deux zones se distinguent par un pourcentage plus élevé d’éclats cassés.

● Fig. 26 – Répartition du matériel lithique.
24L’examen des cartes de répartition du matériel céramique (fig. 27) confirme l’opposition torchis/ céramique gallo‑romaine (sur toutes les cartes de répartition les densités ne seront indiquées pour la fosse P106 que lorsqu’elle fonctionnait comme un sol). On constate aussi que la densité de la céramique gallo‑romaine baisse subitement au niveau de la dalle calcaire située en L104‑105, ce qui tendrait à faire croire que l’installation susceptible de fournir ce genre de déchet s’est arrêtée au niveau de cette dalle. Par contre on découvre un phénomène masqué jusqu’à présent par les procédés d’analyse, à savoir la présence, sous le pierrier, d’une concentration de céramique chasséenne, alors que sa rareté dans le fossé et les pièges à torchis avait déjà été mise en évidence.

● Fig. 27 – Cartes de répartition de la céramique et du torchis.
2.3. Matériel néolithique
25Il convient donc de reprendre l’étude du matériel chasséen pour lui‑même. Il a été regroupé sur la fig. 28 et fournit 4 025 éléments, soit 3 612 témoins lithiques et 413 tessons. Il faut noter la forte disproportion entre les deux matériels (moyennes respectives de 27 et 3 témoins par carré). Le calcul du Khi2 de ce tableau donne une valeur de 366,9 pour un seuil de validité à 0,01 situé entre 88,4 et 100,4 : l’échantillon est donc valable. Le Phi2 cependant ne s’élève qu’à 0,09 ce qui est insuffisant pour établir un lien significatif entre les paramètres. Le calcul du Khi2 effectué sur le matériel lithique seul donne une valeur de 146,5 pour un seuil de 63,7 et valide donc l’échantillon ; le Phi2 s’élève à 0,04 ; les variables lithiques n’ont donc aucune valeur discriminante. Les mêmes calculs, effectués sur le matériel céramique seul, donnent un Khi2 de 60,9 pour un seuil de validité de 35 ; l’échantillon est donc valide ; le Phi2 remonte à 1,4 mais reste en dessous du seuil de validation statistique : si discrimination il y a, elle se fera donc sur la céramique, mais il s’agira de toutes façons de nuances, qui ne sauraient fonder de fortes différences entre zones.

● Fig. 28 – Décompte du matériel néolithique.
26Deux variables lithiques vont servir à encadrer la variable céramique néolithique sur un graphique triangulaire (fig. 30) et permettre de l’étudier. Le pierrier se range du côté des zones ayant une proportion de céramique supérieure à la moyenne, quoiqu’il en soit plus proche que les sols chasséens ; ceci confirme la prolongation de l’occupation chasséenne sous le pierrier. La zone intermédiaire rejoint, elle, le groupe des zones très pauvres en céramique. Cette différence entre les deux zones qui sur l’AC et la fig. 25 se classaient toutes deux dans les sols gallo‑romains amène à penser que le pierrier a protégé de l’érosion les tessons chasséens remaniés lors de sa mise en place.

● Fig. 29 – Cartes de répartition du matériel néolithique.

● Fig. 30 – Répartition de la céramique néolithique.
27La limite très nette de la céramique chasséenne sur la carte de répartition de la fig. 29 (où elle passe de concentrations supérieures ou égales à la moyenne à une absence totale sur une distance d’un mètre) tend à confirmer cette interprétation, cependant que la persistance de matériel lithique dans la zone intermédiaire exclut l’hypothèse que la concentration dans le pierrier soit due à un râclage du sol au moment de sa construction. La quasi‑absence de céramique gallo‑romaine (fig. 27) sur les sols chasséens (Néo.N. et Néo.S.) indique que les Gallo‑Romains ne se sont pas implantés sur cette zone, et la présence de fortes densités de tessons chasséens implique que l’érosion n’a pas pu y jouer à plein. Il faut donc admettre que les Gallo‑Romains n’ont perturbé qu’une surface qui englobe les zones que nous avons appelées pierrier, ciste, zone intermédiaire, P106, P98 et RS105 et que de l’autre côté de la dalle calcaire le site chasséen était recouvert et protégé de l’érosion ; le phénomène est confirmé par les pourcentages d’éclats thermiques présents sur ces différents types de zones : entre la fosse P106 (6,3 %) et les sols gallo‑romains (1,3 et 1,2 %), les sols chasséens se placent en position intermédiaire avec 2,6 et 2,9 %. Ils ont conservé ce matériel fragile moins bien que la fosse totalement à l’abri du piétinement, et mieux que les sols qui ont subi une double occupation.
28Reste à résoudre le problème de la différence de densité entre céramique chasséenne et matériel lithique présents dans le fossé. Compte tenu des tranchées exploratoires, qui auraient permis de déceler une occupation chasséenne si elle avait existé, on sait déjà qu’il s’agit d’une implantation distincte de celle de la partie nord du site. Nous avons regroupé sous l’appellation de « concentration nord » (Conc.N.) le pierrier et les sols chasséens dont nous venons de voir qu’ils constituent une unité, le fossé prenant l’appellation de « concentration sud » (Conc.S.). La carte de répartition de la fig. 29 montre que la concentration sud présente des densités normales en matériel lithique, mais est particulièrement pauvre en céramique chasséenne. Or c’est une des cavités qui ont le mieux gardé le torchis (fig. 27), matériau fragile ; il ne s’agit donc pas d’un problème de conservation du matériel ; d’autre part, si la construction du pierrier n’a pas détruit la céramique chasséenne, on voit mal pourquoi celle du fossé l’aurait fait disparaître en laissant subsister le lithique. Il faut donc bien admettre que la céramique a toujours été pratiquement absente de cette zone. Si on place sur un graphique triangulaire les variables lithiques présentant un fort effectif (fig. 31), la concentration sud n’est pas très éloignée de la moyenne, mais avec moins d’éclats entiers et plus d’éclats cassés. Cette plus forte proportion d’éclats cassés caractérise tout un groupe de zones (dont la fosse chasséenne P106), qui sont toutes des cavités ; il devient de ce fait difficile d’attribuer au piétinement cette fragmentation des éclats, et nous lui attribuerons une valeur détritique, due à des activités qui ne sauraient tenir au débitage, puisqu’elle s’accompagne (sauf pour P106) d’une diminution du nombre d’éclats entiers, qui sont le principal déchet de débitage. Si on place sur un autre graphique triangulaire (fig. 32) les variables lithiques peu représentées, on obtient une confirmation de ces deux conclusions : la concentration sud garde le profil d’une fosse par la forte proportion d’éclats thermiques, matériel fragile et rare sur les sols, et on retrouve la notion d’activité non liée au débitage dans la faible proportion de nucléus. Notons que le calcul du Khi2 sur le tableau d’effectifs (39,32 pour un seuil à 0,01 de 13,3) et du Phi2 (0,39) valide statistiquement et l’échantillon et le lien entre les paramètres. Il semblerait donc qu’en construisant leur fossé les Gallo‑Romains aient entièrement détruit des fosses chasséennes (au point que rien n’en ait été perceptible à la fouille), dont il ne reste d’autre trace qu’une composition du matériel lithique différente de celle des sols chasséens.

● Fig. 31 – Définition des zones néolithiques.

● Fig. 32 – Nature des zones néolithiques.
2.4. Conclusion
29Grâce au recueil et à l’enregistrement méthodique au cours de la fouille de tout le matériel, nous avons pu réhabiliter des témoins archéologiques aussi peu considérés d’ordinaire que les fragments de torchis et les éclats de silex défigurés par le feu, et qui se sont révélés de précieux indices de la conservation des matériels.
30Il a été possible également d’établir l’appartenance chronologique des différentes zones fouillées sur ce site où aucune stratigraphie n’était apparue nettement à la fouille. Cette détermination a permis d’établir l’impact de la réoccupation sur la composition du matériel chasséen : la céramique a souffert de cette situation jusqu’à disparaître totalement de certains carrés où les témoins lithiques ont été conservés ; la présence gallo‑romaine a eu cependant des effets positifs insoupçonnés en permettant la préservation de tessons chasséens sous le pierrier.
31Le matériel lithique, par contre, a bien résisté à la réoccupation gallo‑romaine et sa « neutralité » sur le plan chronologique devient un atout dès lors qu’il s’agit de mener une étude de matériel. Les différences qui ont été mises en évidence sont dues principalement aux variations de densité des éclats défigurés par le feu, qui se trouvent, par définition, exclus d’une telle étude. Les variations fonctionnelles entre éclats cassés et nucléus jouent sur des pourcentages plus faibles ; le nombre de nucléus et l’échelle spatiale choisie pour cette étude ne permettent d’ailleurs pas de pousser l’étude plus loin.
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