Catalogue de la peinture murale maya : problèmes de restitution graphique
p. 81‑91
Résumés
Exposé des principes fondamentaux d’une copie fidèle où la recherche de la clarté et de l’intelligibilité ne doit pas conduire à l’interprétation abusive, l’exactitude étant un idéal difficile à atteindre. Pour y parvenir, l’auteur énumère les difficultés en climat tropical et les moyens mis en œuvre : la photographie enregistre souvent les « parasites », défauts accidentels le plus souvent et pas forcément essentiels. La copie par calque direct est le seul moyen, le moins infidèle : il est fait sur pryphane, avec des feutres indélébiles de couleurs proches des originaux. L’orientation de la lumière artificielle permet de révéler certains motifs illisibles en lumière naturelle. L’ordre de séquence des couleurs correspond souvent à leur état de conservation.
A presentation of the basic principles of an accurate copy. The desire for clarity and intelligibility must not lead to abusive interpretation, but exactness is a difficult ideal to attain. The paper presents the difficulties which exist in tropical climates and details the means used to overcome them. Photographs often record « parasites », most frequently accidental defects and not necessarily essential. A tracing, made directly from the original, is the least inaccurate method. It is done on pryphane with indelible felt‑tipped pens with colours close to the originals. The orientation of artificial lighting can reveal certain motifs which are invisible in daylight. The sequence of colours often corresponds to their State of conservation.
Texte intégral
1Au cours des dix années que j’ai consacrées, jusqu’à présent, à la préparation d’un catalogue de la peinture murale maya, les problèmes de restitution ont été variés et nombreux. J’aborderai ici les principaux, en commençant par ceux qui sont dus aux impératifs du terrain puisque ces peintures se trouvent presque toujours in situ. Ces problèmes naissent d’abord des conditions de conservation des peintures –un milieu ambiant tropical–, de leur état, de leur localisation, de leur technique d’exécution ; ils découlent ensuite de nos exigences de précision, d’exactitude et d’intelligibilité dans le résultat proposé.
2Après un bref commentaire sur ces principes fondamentaux, les diverses phases techniques seront commentées et concrétisées par des peintures de régions, d’époques et de traditions picturales différentes.
3La culture maya s’est développée de manière inégale –bien avant notre ère et jusqu’à la Conquête espagnole– sur un très vaste territoire comprenant la péninsule du Yucatan et le sud du Mexique, le Guatemala, le Belice et une partie du Salvador et du Honduras. Sur la carte (fig. 1) seuls figurent les sites les plus importants. Ils sont séparés par d’immenses espaces envahis par la jungle et quasiment inexplorés. L’archéologie maya est relativement récente puisque les premières prospections remontent à 1840 et qu’il a fallu attendre le début de ce siècle pour voir apparaître les premiers travaux scientifiques.

● Fig. 1 – Carte de la région maya avec les principaux sites.
4En ce qui concerne l’étude de la peinture murale, nous n’en sommes qu’aux prémices : quelques données sur les procédés d’application des couleurs, de rares analyses de pigments et d’enduits, très peu de relevés. Pourtant, il existe encore de nombreux documents picturaux qui n’ont jamais été enregistrés et qui s’abîment lentement de manière irrémédiable. En 1970, seules les peintures de quatorze sites avaient été copiées. Actuellement, je recense quatre‑vingt‑ treize sites contenant des peintures et je n’en ai prospecté que le tiers : une soixantaine de compositions figuratives et une cinquantaine de décors géométriques.
Principes fondamentaux
5Plusieurs règles de base ont été choisies comme étant déterminantes pour la qualité des copies et l’usage que l’on pourrait en faire : l’exhaustivité, l’exactitude, la précision, la clarté et l’intelligibilité. Il s’est vite avéré que ces exigences ne pouvaient s’appliquer qu’avec un succès inégal. L’exhaustivité, par exemple, n’est jamais que temporaire, surtout dans ces régions peu accessibles où les découvertes sont occasionnelles mais fréquentes.
6L’exactitude est la qualité fondamentale d’une copie ; pourtant, elle est parfois difficile à obtenir et se définit plutôt comme un idéal à atteindre que comme une réalité (Graham 1976 : 9). Il faut bien admettre, dans certains cas, les imperfections d’une discrimination personnelle pour distinguer l’authentique de l’accidentel (empreintes de racine, traces d’excréments de chauve‑souris ou taches de micro–organismes) ou du falsifié (retouches récentes au crayon ou à l’encre noire). D’autre part, comme l’original est souvent très abîmé, il est certain que l’expérience du copiste et ses connaissances interviennent pour une bonne part dans son travail. Cette qualité est à double tranchant car, si elle lui permet de suivre un trait, de retracer un contour presque disparu ou tout simplement de distinguer un motif là où d’autres ne verraient que des taches de couleurs, elle peut aussi l’induire, par une sorte d’automatisme inconscient, à compléter abusivement, à rectifier un tracé maladroit ou de piètre qualité. Seule une conscience aiguë de ces risques permet d’éviter un maximum de pièges.
7Les qualités de précision, clarté et intelligibilité s’appliquent surtout à la restitution et à la publication et dépendent pour une bonne part des moyens dont on dispose : format de réduction, qualité de reproduction des couleurs, mais aussi des moyens graphiques et du soin avec lequel on les met en œuvre.
8Bien sûr mon travail n’a pas toujours été aussi exemplaire et il a fallu parfois retourner sur place pour vérifier ou compléter certains détails. D’ailleurs, une confrontation méthodique de la copie avec l’original m’a plusieurs fois permis de découvrir des détails nouveaux qui avaient été négligés ou qui étaient apparus sous l’effet de conditions nouvelles, telles qu’un degré d’hygrométrie plus élevé ou un éclairage différent.
Travail sur le terrain
■ Adaptation au climat
9Les premiers problèmes à résoudre étaient essentiellement d’ordre pratique. Comment obtenir un travail de qualité et des copies fiables, en tenant compte d’un budget très limité et des impératifs du terrain ?
10Les sites à étudier sont recouverts par la végétation : maquis épineux ou forêt tropicale. Ils se trouvent le plus souvent loin de tout centre habité et même loin de toute piste. Il faut soigneusement prévoir les méfaits de la chaleur et de l’humidité sur le matériel. Il faut aussi tenir compte du poids et de l’encombrement de l’équipement à transporter à pied sur de longues distances et en terrain inégal.
11Du fait de la couverture végétale, la luminosité à l’intérieur des édifices est extrêmement réduite et l’humidité ambiante ne descend jamais en dessous de 90° d’hygrométrie.
■ État des peintures
12Dans ces conditions de conservation, les peintures sont terriblement abîmées. Le mur participe à la vie de la forêt ; des radicules s’y propagent, des mousses s’y forment, certains animaux y laissent leurs excréments, des insectes y accrochent leur nid ou y creusent des galeries. L’iconographie se trouve de ce fait le plus souvent à demi effacée.
13Les décors à l’extérieur des édifices ont généralement disparu ; ceux de l’intérieur sont appliqués sur des enduits de plâtre préparatoires et recouvrent, selon les régions, une petite partie ou toutes les surfaces de la pièce (murs, encorbellements et plafonds) mais il est très rare de retrouver une composition entièrement préservée.
14Les fragments tombés au sol sont souvent inutilisables. L’acidité des sols végétaux détruit les pigments, quand ce ne sont pas des fouilles clandestines ou des pillages qui les réduisent en poudre.
■ Relevé photographique
15Le relevé photographique n’a qu’une valeur documentaire de témoignage. Il ne permet pas de différencier des surfaces de couleurs pâles, presque effacées. D’autre part, les accidents de la paroi apparaissent de manière beaucoup plus nette que les motifs.
16Une bonne copie est donc nécessaire pour rendre vie à ces compositions, les enregistrer avant qu’elles ne disparaissent et en faire une bonne restitution qui rende compte à la fois de l’iconographie et de l’aspect artistique.
■ Procédés de copie
17Dans la majorité des cas, le dessin est si abîmé qu’il me paraît impensable d’utiliser une autre méthode que celle du calque direct sur la paroi. Il élimine au maximum les risques d’interprétation et permet d’éviter toute déviation du trait et d’enregistrer à son emplacement exact la plus infime trace de couleur.
18Dans le même ordre d’idée, la copie par l’intermédiaire d’un quadrillage me semble à éviter ; même si elle garantit le respect des proportions, elle ne permet pas pour autant de relever fidèlement des surfaces très endommagées ou tout simplement de transcrire avec exactitude l’épaisseur et les variations des coups de pinceau. Cependant, elle peut être utile lorsque le support d’une peinture est craquelé et n’adhère presque plus à la paroi, quand il est évident qu’une pression sur l’enduit, si légère soit‑elle, provoquerait sa chute.
19L. Chabredier (1966 : 505‑510) détaille d’autres procédés appliqués aux relevés d’art pariétal, comprenant l’utilisation de miroirs ou de feuilles de vinyl tendues sur châssis, procédés qui s’avèrent trop élaborés pour les conditions dans lesquelles je travaille.
■ Support graphique
20Après avoir essayé différents matériaux comme le papier calque (qui poche immédiatement sous l’effet de l’humidité), le film polyester (qui n’est pas assez transparent et est très onéreux), j’ai découvert avec bonheur le pryphane. C’est une pellicule extrêmement fine mais solide et résistante aux déchirures, parfaitement transparente, imperméable, légère à transporter et peu onéreuse. Pour moi, c’est le matériau idéal, plus facile même à l’utilisation que la nappe plastique, notamment parce qu’il est plus léger et a la propriété d’adhérer plus étroitement à la paroi. Cependant, ses dimensions sont plus réduites car il n’est vendu qu’en feuilles prédécoupées de 1 m x 1,20 m. Mais, de toutes façons, les grands formats sont presque impossibles à utiliser dans ces régions. Les parois étant pulvérulentes ou imprégnées d’humidité, le papier adhésif que j’ai choisi ne peut supporter qu’un poids minimum.
21D’ailleurs, malgré la légèreté du pryphane, je dois parfois recourir à des moyens de fixation de fortune quand la surface d’une peinture est trop humide : des baguettes de bois, par exemple, fléchies entre deux points d’appui (l’échafaudage est un joint entre deux pierres près de l’angle du papier).
22Sur le pryphane, on peut travailler avec l’encre de Chine ou des feutres à l’encre indélébile. Parmi les quelques marques testées, les marqueurs Pantone et Seedry Magic Marker sont très satisfaisants pour les surfaces de couleur. Ils offrent une gamme de tons étendue et un conditionnement relativement hermétique. Pour les tracés délicats et nuancés, la marque Staedler présente une pointe très fine qui ne se déforme pas à l’usage mais qui n’a qu’un choix de coloris limité.
■ Déroulement d’une copie
23Dans un premier temps, il est préférable d’examiner soigneusement la peinture, de repérer les différents coloris qui la composent, de les codifier et d’observer leurs techniques d’application avant d’aborder la copie proprement dite.
24En règle générale, j’entame le travail par les parties les mieux conservées d’une composition, pour me familiariser avec le style avant d’approcher les zones les plus effacées. Ensuite, je poursuis selon un ordre qui varie en fonction de l’aspect du dessin, de son style et des couleurs qui le composent. Le plus souvent, il vaut mieux commencer par les tons les plus pâles et terminer par les plus foncés.
25Je trace d’une ligne continue les contours des traits et de chaque surface de couleur, de préférence avec une encre d’un ton proche de celui de l’original, pour ne pas altérer la perception de détails très effacés par des contrastes trop violents. Les contours imprécis, les traits érodés, les incertitudes sont désignés par des pointillés (fig. 2). Au fur et à mesure, avec une couleur réservée à cet usage, j’indique tous les accidents de la paroi, les altérations des couleurs, le contour des lacunes, des différentes couches de plâtre et les détails techniques utiles, comme la superposition des couleurs, les empreintes de lissage à la brosse. Quand la surface picturale est bien préservée, il est même possible de relever le sens et la largeur des coups de pinceau.

● Fig. 2 – Détail d’un calque montrant les coups de pinceau qui dessinent le profil d’un personnage, avec les incertitudes du tracé et les accidents de la paroi.
26Toutes ces indications sont essentielles pour la restitution graphique qui sera faite bien plus tard, en atelier, sans que je puisse avoir l’original sous les yeux comme cela serait souhaitable.
Les scènes narratives de la Pasadita
27La Pasadita est un petit site des débuts du viiie s. qui se trouve dans la haute jungle du Guatemala, à une quinzaine de kilomètres du fleuve Usumacinta. Bien qu’il soit à des jours de marche du village le plus proche, le seul édifice encore debout a été saccagé par des fouilleurs clandestins qui ont creusé tous les sols et arraché les trois linteaux sculptés des entrées.
28Les quatre pièces en enfilade qui le composent avaient été décorées de scènes polychromes formant une série continue de quatre épisodes racontant probablement les rapports de cette ville avec le souverain voisin. Malheureusement, ces peintures qui recouvraient toutes les parois intérieures ont terriblement souffert des modifications micro‑climatiques consécutives au démantèlement du bâtiment. Pendant la saison des pluies qui dure ici neuf mois, les eaux d’infiltration ruissellent littéralement sur l’enduit et il ne reste presque plus aucune surface intacte.
29La copie a été particulièrement difficile. Les motifs étaient à peine reconnaissables, le temps de travail était limité et il n’était pas envisageable de revenir rapidement sur place s’il venait à manquer un détail. Sans compter que l’édifice pouvait s’écrouler d’un jour à l’autre et ensevelir à jamais toutes les informations.
■ Principaux problèmes de copie
30Au cours de la copie, l’érosion de la surface picturale a provoqué trois problèmes majeurs : comment distinguer les contours de motifs presque effacés, comme fondus dans la surface de l’enduit ? Comment reconnaître la couleur d’origine de ces motifs ? Comment, enfin, discerner les aplats partiellement écaillés de ceux qui sont encore complets ?
31Les motifs de couleurs fanées sont d’autant plus difficiles à différencier quand ils ont des couleurs apparentées comme le sont tous les ocres rouges qui, en pâlissant, prennent la même tonalité rougeâtre, ou les verts et les bleus qui se confondent aisément quand ils sont délavés.
32Pour une efficacité maximale, j’ai commencé par les fragments les mieux conservés dont j’ai laissé les calques en place sur la paroi, de manière à pouvoir les contrôler plusieurs fois après m’être familiarisée avec la technique et l’iconographie spécifiques de cette région. Connaître les codes et la configuration type de certains motifs est une aide certaine. Cependant, le résultat dépend surtout de l’observation patiente d’infimes modifications des nuances. J’ai aussi constaté qu’en modifiant l’orientation du flux lumineux de la lampe torche, on peut arriver à faire ressortir des motifs a priori invisibles.
33Pour identifier la couleur d’origine des motifs érodés, l’observation de l’altération des pigments sur des surfaces moins abîmées amène un début de réponse. L’identification de la nature du motif complète ces déductions ; on finit par savoir que la peau des personnages est ocre rose, que les ornements de cou et d’oreilles sont vert émeraude, etc.
34Enfin, pour déterminer si un motif est incomplet après l’écaillage d’une partie du pigment, une étude préliminaire de la séquence d’application de ces pigments s’est avérée très utile. En effet, les douze couleurs employées par les artistes de La Pasadita sont différemment préservées en fonction de leur mode d’application.
■ Apport de l’étude des procédés d’application des pigments
35Le travail du fresquiste peut se diviser en trois étapes principales, auxquelles correspondent, au fur et à mesure qu’avance le travail, des procédés d’application des pigments bien distincts : à fresque, a fresco secco et à sec, avec ou sans agglutinant.
36L’esquisse de la composition, ébauchée à coups de traits rouge pâle, serait appliquée à fresque. La mise en couleur se ferait sur plâtre encore humide –ou sur plâtre réhumidifié– en commençant par les couleurs les plus pâles : rose, jaune puis rouge. Les dernières couleurs de la séquence d’application sont les bleus et les verts foncés. Ces pigments, du fait qu’ils se superposent en partie à des fonds déjà peints et secs, ont une fâcheuse tendance à s’écailler.
37Dans la dernière étape, celle de la finition, sont tracés les contours des motifs. Les surfaces uniformes vertes des coiffures sont alors structurées par de fins traits jaunes qui représentent les bords des plumes. Bien que cette couleur jaune soit appliquée en fin de travail, elle adhère bien à la surface picturale, sans doute grâce à la présence d’un agglutinant, comme le laissent imaginer sa consistance pâteuse et le léger relief qu’elle présente.
38Par contre, le délinéament noir, qui cerne les contours des motifs et dessine les signes d’écriture dans les cartouches réservés à cet effet, a presque entièrement disparu.
39Il faut donc toujours garder à l’esprit qu’une copie des peintures dans leur état actuel ne peut retransmettre qu’un aspect mutilé de la composition et souligner ceci lors de la restitution.
■ Principaux problèmes de restitution
40D’ordinaire, je fais conjointement une restitution tramée, en noir et blanc, et une restitution en couleurs. Les deux se complètent, amenant des informations de valeurs différentes ; la première est analytique et technique, mais le rendu est rigide et reste plus ou moins éloigné de la réalité ; la seconde est plus nuancée et reproduit mieux l’aspect styslistique de la composition ainsi que le coup de patte de l’artiste. L’une et l’autre posent des problèmes spécifiques.
41Le dessin au trait n’est pas satisfaisant car il ne permet pas de rendre compte des surfaces de couleurs mal préservées ou écaillées. Cependant la mise en trames de grisés, qui est parfaite pour reproduire des surfaces homogènes, pose des problèmes dans le cas de La Pasadita où la pellicule picturale est trop altérée et où des nuances variées apparaissent du fait des superpositions de couleurs transparentes.
42D’autre part, quand il y a un grand nombre de couleurs différentes, je ne suis pas sûre que l’on distingue si bien ces nuances quand elles sont transposées en nuances de gris. Tous ces problèmes se conjuguent dans les deux fragments de La Pasadita qui sont présentés ici (fig. 3 et 4).

● Fig. 3 ‑ Restitution tramée d’un fragment de La Pasadita, Guatemala. 1. Rouge orangé intense 2. Vert émeraude 3. Turquoise foncé 4. Rouge orangé clair 5. Turquoise clair 6. Vert d’eau 7. Rose 8. Crème 9. Jaune 10. Kaki 11. Rouge ocre 12. Noir.

● Fig. 4 – Restitution tramée d’un fragment particulièrement endommagé de La Pasadita, Guatemala. 1. Rouge orangé intense 2. Vert émeraude 3. Turquoise foncé 4. Rouge orangé clair 5. Turquoise clair 6. Vert d’eau 7. Rose 8 Crème 9 Jaune 10. Kaki 11. Rouge ocre 12. Noir.
43Les variations de tons, dues à des superpositions des pigments sur des fonds clairs ou foncés ou à une altération de ces pigments ne peuvent pas être reproduites sans brouiller complètement l’intelligibilité de la scène. L’esquisse préliminaire et le dessin des plumes, respectivement peints en rouge pâle et en jaune clair, sont trop fins pour être tramés. Ils sont donc représentés en noir et se confondent malheureusement avec le délinéament de finition. Un fin trait à l’encre de Chine sur le pourtour d’une surface tramée précise que le bord de ce motif est complet. L’absence de ce contour, par contre, indique que l’extension du pigment est indéterminée. Par conséquent, le contour des lacunes n’est pas souligné. Il me semble que l’absence de trame est tout aussi significative et allège le rendu final. Le fond est traité à la main et rendu par des pointillés qui permettent de moduler, plus facilement qu’avec une trame, les surfaces les plus abîmées.
44Dans la figure 4, par exemple, l’ocre rose de la peau du personnage et l’ocre rouge du fond se fondent en une vague teinte uniforme rougeâtre ; si bien qu’il est impossible de déceler une limite entre les deux couleurs. Pour symboliser cette zone d’incertitude, les points qui forment le fond se raréfient.
45La trame, par contre, est plus rigide, elle fixe une limite arbitraire et donne involontairement une silhouette qui ne correspond pas nécessairement à la réalité.
■ La restitution en couleur
46La restitution en couleur, par contre, permet de nuancer les informations, de moduler les interférences de couleurs, de représenter certains coups de pinceau bien visibles et de rendre les variations des tons, comme le kaki ou le turquoise qui changent en fonction de leur charge en pigments ou du fond sur lequel ils sont appliqués.
47En contre‑partie, la couleur ne permet pas d’indiquer clairement quand une couche de pigments superposée à une autre est écaillée. Seule la logique du dessin peut nous le faire pressentir, comme les perles incomplètes du collier de jade du personnage, par exemple. Cependant, la restitution en couleur suppose la résolution préalable de deux choix difficiles concernant la reproduction des couleurs et celle des surfaces altérées.
■ L’Identification des couleurs
48L’identification des couleurs se fait au moyen du code de Munsell. Mais la difficulté n’en est pas pour autant supprimée car j’ai constaté d’importantes variations en fonction du degré d’humidité de la paroi. Humidité qui peut varier considérablement d’un jour à l’autre ou d’un endroit à l’autre d’une même composition. Dès lors, pour uniformiser le relevé, je choisis toujours l’intensité maximum du coloris, lorsqu’il est humide, et au besoin je vaporise la surface picturale d’un peu d’eau distillée.
49Les variations de luminosité ont également un rôle important. Entre la codification d’un fragment faite à l’intérieur d’un édifice, c’est‑à‑dire dans la pénombre à l’aide d’une lampe électrique, et celle du même fragment faite à la lumière du jour, il y a une nette différence. Dans ce cas, à moins d’avoir pu réunir un échantillonnage de chaque couleur parmi les fragments tombés au sol, il faut bien faire un choix arbitraire.
50D’autre part, lorsque les altérations de la surface picturale sont importantes, il faut parfois choisir entre la réalisation d’un fac – similé et une restitution sélective qui éliminerait un certain nombre de ces altérations.
51Quand une reproduction de tous les accidents de la paroi ne fait que surcharger l’iconographie au point de la rendre peu lisible, je m’appuie sur la photographie pour rendre compte de l’état du document et je choisis de faire une reproduction sélective et intelligible.
52Plutôt que d’insister sur ses altérations, je me base sur les zones les mieux préservées de chaque couleur pour la reproduire de manière uniforme, puisque l’on sait que les pigments étaient appliqués en tons plats sans aucune tentative de modelé (fig. 5).

● Fig. 5 – Un exemple de restitution en couleurs comparé avec la photographie de l’original. La Pasadita, Guatemala.
53Par contre, je m’interdis la reconstruction de motifs effacés, sauf dans certains cas, dans une solution de continuité et uniquement pour des détails ou quelques fragments de fond, trop petits pour avoir porté un quelconque dessin. Ces reconstructions sont toujours bien différenciées et accompagnent, en annexe, la véritable copie.
■ La restitution en situation
54La restitution en situation des grands ensembles iconographiques complète la documentation. Les fragments, réduits au 1/10e pour des facilités de manipulation, sont présentés dans leur contexte architectural, pièce par pièce. Les décrochements de l’encorbellement sont mis à plat, sur le même plan que les murs car le décor y est appliqué comme si la surface était plane.
Dalles faîtières de la région Puuc
55Dans le nord‑ouest du Yucatan, de nombreux édifices reçoivent, à la fin de leur construction, une pierre votive peinte qui est insérée au milieu des dalles faîtières qui ferment l’espace laissé entre les deux pans de l’encorbellement. Dans ces compositions de petite taille (datant des ixe et xe s.), le style est plus graphique que pictural, contrairement au cas de La Pasadita, et le trait est plus important que la surface.
■ Relevé
56L’iconographie de ces dalles peintes, dont le thème appartient plutôt à la mythologie, est très complexe et d’autant plus difficile à relever que la localisation de ces pierres, à cinq ou six mètres de hauteur, étroitement encaissées entre les deux derniers corbeaux de l’encorbellement, ne facilite pas le travail.
57En plus, lors de la copie, il se produit souvent un phénomène curieux. Le simple fait de garder la main sous le papier cellophane, dans ces endroits chauds et peu ventilés, provoque une condensation de l’humidité sur le papier. L’encre du marqueur n’adhère plus au support ou s’efface au moindre frottement. Le seul moyen alors consiste à essuyer la buée au fur et à mesure, centimètre par centimètre, et à tracer le relevé au même rythme. Il faut compter un minimum de cinq heures de travail pour des documents de moins d’un mètre sur cinquante centimètres, et pour un tracé parfois un peu irrégulier qu’il faut corriger à main levée.
■ Restitution au trait en noir et blanc
58La restitution au trait est souvent suffisante pour ce genre de documents. Mais elle demande des conventions particulières. Quand la surface de l’enduit est préservée et que seul le pigment a disparu, l’usage d’une trame n’est pas nécessaire mais il est essentiel de bien distinguer les parties érodées et celles qui sont écaillées.
59Pour signaler qu’un trait est interrompu de manière accidentelle, par l’écaillage de son pigment, je prolonge légèrement sur deux bords de moins d’un millimètre. Utilisé de manière systématique et discrète, ce système ne modifie pas l’aspect de la restitution mais amène une information importante au chercheur qui doit étudier l’iconographie en détail (fig. 6).

● Fig. 6 – Restitution au trait du dessin d’une dalle faîtière provenant du site de Chacmultun, Yucatan.
60Dans le même ordre d’idée, les surfaces qui sont incomplètes voient ceux de leurs bords qui sont écaillés soulignés par de petits points qui se fondent dans l’aplat noir, tout en restant apparents. Pour obtenir des surfaces d’un noir dense et uniforme, j’y étends deux produits différents ; l’encre noire d’un marqueur indélébile et ensuite seulement, de l’encre de Chine.
61Quand il y a des lacunes dans l’enduit, ou des concrétions calcaires, une trame symbolise les surfaces bien préservées. Sa seule absence suffit à indiquer les accidents de la paroi ; des traits supplémentaires pour souligner ces lacunes ne feraient qu’amener une confusion entre les traits de la peinture et ceux de l’information technique (fig. 7).

⦁ Fig. 7 – Restitution au trait sur un fond tramé d’une dalle faîtière de Kiuic, Yucatan.
62Le décor de certaines dalles faîtières combine la technique du trait et celle du lavis de couleur. La restitution reprend alors les conventions du tramage, pour les surfaces, et celles du trait pour le graphisme. Les lacunes sont circonscrites, à l’intérieur des motifs, par l’absence de trame et, à l’extérieur, par une ligne très fine.
■ Restitution en couleur
63Pour la restitution en couleur de ces documents, j’ai fait un essai concluant avec de la peinture à l’acrylique. J’avais jusqu’alors utilisé de la gouache qui me posait quelques problèmes. Le processus du travail est invariable. Je prépare d’abord un fond uniforme du ton de l’enduit puis j’y reporte le motif, en le décalquant par transparence sur une table lumineuse. Ensuite, les lavis de couleurs sont appliqués en suivant la même séquence que l’artiste et en essayant de reproduire les coups de pinceau plus ou moins chargés en pigments. Puis les traits ‑ délinéaments et signes d’écriture ‑ sont ajoutés, en respectant bien les pleins et les déliés. Enfin, en superposition, au moyen d’éponges plus ou moins fines et de tons très dilués, je représente les lacunes et les accidents de la paroi, mais de manière aussi discrète que possible pour ne pas masquer l’iconographie.
64La peinture à l’acrylique offre l’avantage sur la gouache d’être indélébile, une fois sèche, et de permettre la superposition de couches de couleurs différentes, sans altérer le ton choisi et sans provoquer des mélanges involontaires, ce qui se produit facilement avec la gouache. De même, elle autorise des retouches faciles, ce qui n’est pas négligeable.
Entrées décorées du Quintana Roo
65Dans la région à l’est du Yucatan, le long de la mer des Caraïbes, les entrées des édifices, simples ouvertures ou portiques à colonnes, étaient systématiquement ornées. Leur relevé pose un problème spécifique car ces décors ont souvent été renouvelés, si bien que l’on compte parfois plus de vingt couches de plâtre peint superposées. Les différentes couches sont inégalement conservées bien sûr, et parfois si abîmées qu’il n’en reste que d’infimes fragments. Et les enduits sont si minces qu’il n’est pas toujours possible de retrouver ou d’associer les mêmes couches de part et d’autre de l’entrée. Cependant, leur reconstitution est souvent envisageable, sur la base d’une bonne étude, même avec des indices à première vue dérisoires. C’est d’ailleurs un des seuls cas où l’on peut entreprendre une reconstitution car le matériel de comparaison est important et révèle l’utilisation d’un modèle immuable : tout le pourtour de l’entrée, englobant le linteau, est cerné par des bordures de couleurs ou quelques traits noirs, tandis que la surface du linteau était peinte uniformément d’une seule couleur ou divisée en sections de tons contrastés.
66Quelques fragments bien placés permettent donc une reconstitution complète d’un décor et même d’une séquence de rénovation du décor sur une période probablement assez longue. Une première restitution tramée des fragments en situation constitue le document de base. Puis, les différentes étapes de la séquence de décoration sont présentées individuellement, dans une restitution tramée, complétée au trait. En couleur, on peut facilement faire un rendu du décor d’origine, en signalant clairement la reconstitution d’un ton plus pâle.
67En résumé, les moyens employés pour la restitution doivent s’adapter au style, à la technique picturale, à l’état du document et être mis en œuvre dès le travail sur le terrain.
68Dans ce cas particulier des peintures murales maya qui sont extrêmement abîmées, qui n’ont pas encore été restaurées et dont les photographies n’ont qu’une valeur indicative, il est vraiment nécessaire de présenter conjointement deux restitutions, l’une en couleurs qui traduit la qualité artistique de la composition, l’autre en noir et blanc, dont l’objectif est plus analytique.
Discussion
69Tous apprécient les moyens déployés par Martine Fettweiss. Toutefois, pour les couleurs, Alix Barbet insiste sur le fait que le Code Munsell » reste subjectif. Ne pourrait‑on pas envisager des micro‑prélèvements, à la manière italienne, sous forme de coupes minces ?
Bibliographie
Bibliographie
Chabredier 1966 : CHABREDIER (L.). — Étude méthodologique des relevés d’art pariétal. Bulletin de la société préhistorique française, t. LXIII, fasc. 3, 1966, pp. 501‑512.
Graham 1976 : GRAHAM (I.). — Corpus of Maya Hieroglyphic Writing. Cambridge (Mass.), Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Harvard University, 1976. Vol. I : Introduction, 62 p.
Auteur
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Mottes castrales en Provence
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Géoarchéologie de sites préhistoriques
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Dominique Sordoillet
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L’enceinte des premier et second âges du Fer de La Fosse Touzé (Courseulles-sur Mer, Calvados)
Entre résidence aristocratique et place de collecte monumentale
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Archéologie, environnement et histoire d’un espace fluvial en bord de Saône
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Cinq occupations paléolithiques au début de la dernière glaciation
Jean-Luc Locht (dir.)
2002
Campements mésolithiques en Bresse jurassienne
Choisey et Ruffey-sur-Seille
Frédéric Séara, Sylvain Rotillon et Christophe Cupillard (dir.)
2002
Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale
Le grenier castral de Durfort (Tarn)
Marie-Pierre Ruas
2002