Datation : techniques utilisées et leurs résultats
p. 55‑60
Texte intégral
1L’un des buts de la recherche archéologique est la datation des vestiges dégagés en exploitant au mieux les données issues du terrain (Boüard 1975 : 271 et suiv.). Les difficultés rencontrées ici ont certainement été liées au type même des vestiges étudiés. Leur examen en stratigraphie et l’étude du matériel ne semblent pas avoir apporté les éléments nécessaires à une datation que les méthodes « scientifiques » ont contribué toutefois à préciser sous certaines conditions.
2Ce chapitre est assez court à cause des études de thermoluminescence qui, au dernier moment, n’ont pas été poursuivies (elles devraient l’être) et devaient permettre une confrontation utile avec l’archéomagnétisme.
4.1. Datations archéologiques
3Un certain nombre de contraintes liées aux cultures et aux sites eux‑mêmes ont posé des problèmes assez difficiles à résoudre.
4.1.1. Stratigraphie et datation relative
4Sur la plupart des sites étudiés, les labours récents ont fait disparaître les couches d’abandon et même très souvent les sols eux‑mêmes1. Ce vaste remaniement a entraîné la perte de tout lien stratigraphique entre les différentes structures interdisant tout rapport de chronologie relative. L’évolution permanente des sols dans un atelier (avec peut‑être certaines nuances pour le sol des bâtiments de travail) par épandage des rebuts de cuisson, des cendres des foyers des fours ou des déchets de tri d’argile, a rendu l’étude de leur stratigraphie bien compliquée. Lorsque la stratigraphie a pu être établie, les difficultés de définition des sols successifs n’ont pas permis de conclusion fiable2. Seule la construction évolutive des bâtiments a pu être observée.
5En fait, la stratigraphie n’a été observable et utile qu’à l’intérieur des espaces clos plus ou moins profondément excavés : fosses et silos, fours. Pour les fosses et les silos, la durée de leur comblement n’est sans doute pas très longue. La plus grande partie de la stratigraphie relevée à l’intérieur n’a pas grande signification. Seules les couches inférieures, lorsqu’elles sont en place, peuvent apporter des indications. L’examen de remplissage des différentes fosses a fait apparaître des hypothèses de datation très variables grâce aux poteries3. Pour les fours, la succession des couches a permis une étude en chronologie relative très intéressante4.
6Un cas particulier de chronologie relative a pu être observé à propos des fours 91A et 91B de Saint‑Victor‑des‑Oules5. La fosse d’accès au four 91B semble être antérieure à la fosse d’accès du four 91A voisin. Cette dernière a sans doute été effectuée à partir de la première et en direction du nord‑est (fig. 19). Les erreurs affectant les mesures d’archéomognétîsme ne permettent pas de confirmer cette hypothèse de chronologie de fonctionnement6.
4.1.2. Monnaies et datation absolue
7Si les potiers ont été des maillons indispensables dans l’économie de la société médiévale, ils n’ont certainement pas été parmi les plus riches, devant cultiver la terre pour vivre. Toute espèce monétaire devait être assez rare dans leur escarbille, leur tirelire ou leur « toupine ». Il est sans doute assez significatif que trois monnaies seulement aient été découvertes pendant les fouilles à Saint‑Victor‑des‑Oules. Les autres sites n’en ont pas fourni7.
Monnaie en abandon de la fosse 89.16 k8
8Denier melgorien de Raimond, Évêque de Maguelonne (1129‑1158) : cf. Poey d’Avant no 3843. Cette monnaie a été trouvée à la limite des couches remaniées par les labours récents. Elle semble correspondre approximativement à la datation retenue pour les fours voisins9. Toutefois la longue période d’utilisation de cette monnaie rend son utilité bien aléatoire.
Monnaie en abandon du four 128E
9Obole melgorienne de Raimond, Évêque de Maguelonne (1129‑1158) : Cf. Poey d’Avant no 3846. Cette unique monnaie trouvée dans les dernières couches d’abandon n’est pas significative pour la datation de l’arrêt du four10. Les terres rapportées dans ce four abandonné peuvent en outre provenir d’un four détruit depuis bien longtemps.
Monnaie en abandon du silo 89.5c11
10Obole de Louis, Dauphin de Viennois (1409‑ 1415) : cf. Poey d’Avant no 4939. Cette monnaie a été découverte à la hauteur de l’ouverture du silo. Il est assez peu probable que cette monnaie ait été perdue à cet endroit bien après l’abandon du silo. S’il en est ainsi, ce silo était encore en usage au tout début du xve s. L’existence d’une poterie à pâte rose et de forme tardive (fig. 31 d) dans la fosse 89.2e recoupée après abandon par ce silo confirmerait cette hypothèse.
11L’examen de ces quelques monnaies confirme bien la faiblesse des datations qui en sont issues.
4.1.3. Typologie des productions et datation
12Dans un atelier même important, surtout pour la période concernée (avant l’apparition de la glaçure), la totalité des tessons découverts sont des ratés de cuisson issus des fours utilisés12. Pratiquement aucune importation n’y est représentée à cette époque. Ces céramiques, malgré les études sur les centres utilisateurs13, restent assez méconnues. Les typologies existantes ne couvrant pas l’ensemble des produits ne peuvent être appliquées aux productions des ateliers. En outre, les centres producteurs ne peuvent être datés à priori par leurs productions ou tout autre matériel (très rare).
13L’essai de typologie des productions des fours 91B et 128E de Saint‑Victor‑des‑Oules14 a cherché à définir les caractères des poteries produites aux xiie et xiiie s. dans ce centre15. Cette étude n’a pas permis de préciser la datation des fours utilisés. La variation de l’ensemble des critères retenus, dont la datation est précisée par l’archéomagnétisme, pourrait dans certaines conditions être utilisée comme moyen de datation après avoir procédé à quelques vérifications et à la confrontation avec des typologies sur les lieux utilisateurs. La multiplication de telles expériences devrait permettre l’utilisation de ces typologies sur les nouveaux centres producteurs. Pour l’instant, seules les datations «scientifiques» peuvent être d’un certain secours pour préciser la chronologie absolue des productions et par conséquent des installations de potiers.
4.2. Méthodes physiques de datation
4.2.1. Archéomagnétisme
4.2.1.1. Principe de base
14Cette méthode de datation16 a pour point de départ la découverte d’une propriété remarquable des terres cuites : une argile, chauffée en présence d’un champ magnétique au‑delà de 700oC (point de Curie du minéral constituant), acquiert pendant te refroidissement jusqu’à la température ambiante une aimantation appelée « aimantation thermorémanente » (A.T.R.) (Boüard 1975 : 274‑277 et Thellier 1966, 1971 et 1981). Les caractéristiques de cette aimantation sont les suivantes : sa direction est identique à celle du champ magnétique dans lequel a eu lieu le refroidissement ; dans le cas d’un champ magnétique faible, son intensité est proportionnelle à celle du champ ; elle est très stable ; à la suite d’un réchauffement du matériau qui la porte au‑delà du point de Curie du minéral constituant, si te nouveau refroidissement a lieu dans un champ magnétique de direction différente par rapport à la première, la nouvelle A.T.R. aura la direction de ce dernier.
15Un champ magnétique règne tout autour de la Terre. La direction des lignes de force du « champ magnétique terrestre » (C.M.T.) en chaque point de la planète est identique à celle que prend une aiguille aimantée suspendue en son centre de gravité (Giot 1984 : 54). Le C.M.T. est défini par (Thellier 1961 : 237) :
16— l’inclinaison magnétique (I) : angle, mesuré en degrés, de la direction du champ magnétique terrestre par rapport au plan horizontal. I variant entre 0o (à l’équateur) et 90o (aux pôles).
17— la déclinaison (D) : ongle, mesuré en degrés, de cette direction par rapport au Nord géographique. D est Est ou Ouest par rapport au méridien géographique du lieu.
18— l’intensité du champ est mesuré en γ — 10‑ 5 oersted. L’étude du C.M.T. a mis en évidence une variation dite séculaire lente et régulière.
19Le principe de base de l’archéomagnétisme est une conséquence de la corrélation entre l’existence du champ magnétique terrestre et l’acquisition d’une aimantation thermorémanente par tes argiles chauffées à une température très élevée. Les structures d’argile cuite ont acquis, pendant le dernier refroidissement, une aimantation thermorémanente qui a « fossilisé » la direction du C.M.T. de l’époque. Par conséquent, si on dispose pour une certaine époque de fours ou foyers non déplacés depuis le temps de leur dernier fonctionnement, qui ont pu être datés à partir des données archéologiques ou par d’autres méthodes de datation (radiocarbone, thermoluminescence, dendrochronologie), en étudiant leur aimantation thermorémanente on peut obtenir la variation de la direction du C.M.T. pendant la période correspondante, et la représenter sous forme de courbes de variation séculaire (Thellier 1966, 1971 et 1981 ; Giot 1984; Bucur 1986) (fig. 34 b). Réciproquement, les courbes de variation séculaire du champ magnétique terrestre précisément établies permettront l’obtention de la datation d’une structure archéologique, après mesure de son aimantation thermorémanente.
4.2.1.2. Méthode expérimentale
20Les structures en terre cuite appartiennent à deux catégories : structures « en place » ‑ non déplacées depuis le moment de leur dernière cuisson (ex. soles et parois de fours) ‑ et « déplacées » (briques et tuiles).
Structures « en place »
21Sur une telle structure, on peut déterminer la déclinaison, l’inclinaison et l’intensité du moment magnétique de l’échantillon, par conséquent la direction et l’intensité du champ magnétique terrestre à l’époque du fonctionnement du four. La méthode présentée ici est celle mise au point par le pionnier de l’archéomagnétisme, le professeur E. Thellier (Thellier 1938 et 1966 : 16‑18). Elle présente deux étapes :
22Dix à quinze échantillons sont prélevés habituellement, à des endroits différents, afin d’éliminer les erreurs dues à un degré insuffisant de cuisson (fig. 35 a). L’échantillon de terre cuite (environ 8 x 8 cm), dégagé par des saignées sans être bougé, est entouré d’un moule quadratique en aluminium rendu horizontal à l’aide d’un niveau. On coule du plâtre liquide jusqu’à ce que le moule soit rempli, puis, à l’aide d’une spatule, on lisse la partie supérieure de celui‑ci ; on obtient ainsi un plan horizontal sur lequel seront tracées la direction du nord magnétique actuel (indiquée par la boussole) ainsi que l’ombre du soleil à un moment précis17. La dernière opération consiste dans le détachage de l’échantillon (le moule qui contient la terre cuite emprisonnée dans le plâtre) au burin ; on dispose ainsi d’un bloc, partie constituante de la structure en terre cuite, orienté « in situ ».
23Au laboratoire de Géomagnétisme du Parc Saint‑Maur ‑ le seul laboratoire en France équipé pour ce type de mesures sur gros échantillons ‑ les moments magnétiques sont mesurés à l’aide d’un inductomètre à rotation continue dont le principe (Thellier 1938) est exactement celui d’un alternateur, l’échantillon jouant le rôle de l’aimant tournant. Les composantes du moment magnétique selon trois directions orthogonales ‑ les arêtes du trièdre de plâtre qui contient la terre cuite ‑ sont mesurées ; elles permettent d’obtenir par calcul les valeurs de l’inclinaison et de la déclinaison magnétique, ainsi que l’intensité d’aimantation.
Structures « déplacées »
24Tous les matériaux en terre cuite déplacés du lieu de fabrication, ayant une forme géométrique régulière ou une position de cuisson bien définie, représentent de bonnes structures en vue d’études archéomagnétiques (Goulpeau 1982). Deux conditions sont absolument nécessaires : disposer d’un grand nombre d’échantillons18 et connaître le lieu appoximatif de cuisson19.
4.2.1.3. Courbes de variation séculaire du champ magnétique terrestre
25Les premières études archéomagnétiques datent de la fin du xixe s., mais ce n’est qu’à partir de 1938 que le Professeur E. Thellier a commencé à développer ce domaine par des études systématiques de structures « en place » et « déplacées ». Au bout de 40 ans de recherches, il a tracé les courbes de variation de l’inclinaison du C.M.T. (Ī = f(t)) et de variation de la direction de celui‑ci (Ī ‑ D̄) pour les deux derniers millénaires (Thellier 1981). Pour certaines périodes (ve‑xe s. A.D.), les courbes de variation séculaire étaient tracées par interpolation (structures archéologiques bien datées inexistantes) ; pour d’autres périodes, des vérifications étaient nécessaires (datations des structures archéologiques utilisées très imprécises). Ces dernières années, d’importants affinements ont été obtenus20, ainsi que le début de prolongation des courbes archéomagnétiques dans le passé historique (Langouët 1983, Bucur 1986).
4.2.1.4. Possibilités et limites de la méthode de datation à partir des études archéomagnétiques
26Si la méthode est actuellement mise au point, l’application à l’archéologie (i.e. l’obtention de la datation d’une structure à partir des résultats de l’étude archéomagnétique effectuée sur celle‑ci) reste, dans certains cas, délicate, Et cela, pour différentes raisons.
27— Sur un échantillonnage pris sur une structure « déplacée », l’inclinaison moyenne (ī) trouvée, portée sur la courbe Ī = f(t) ‑ après application d’une correction de latitude ‑ sera retrouvée à plusieurs époques ; il appartiendra alors à l’archéologue de lever l’indétermination de la datation en utilisant des critères d’autre nature que les résultats de l’étude archéomagnétique.
28Sur un échantillonnage prélevé sur une structure « en place », la courbe à utiliser d’abord est celle Ī = f(t) ; les solutions au point de vue date d’utilisation seront ‑ comme dans le cas d’une structure déplacée ‑, multiples. Mais, en portant le couple de valeurs Ī, D̄ obtenu sur la courbe (Ī ‑ D̄), plusieurs dates trouvées précédemment apparaîtront comme impossibles. La datation de la structure étudiée ‑ connue généralement à un siècle près à partir des données archéologiques ‑ sera alors restreinte, et cela, dans certains cas très favorables, à ± 20 ans près.
29Par ailleurs, l’intervalle plus ou moins large de datation fourni par l’archéomagnétisme est dépendant de :
L’état de la structure à dater. Elle ne doit pas avoir été bougée depuis le moment du dernier refroidissement, et la cuisson doit avoir atteint 2‑3 cm d’épaisseur ;
Du degré d’affinement des courbes archéomagnétiques pour la période correspondante21 ;
De la variation du champ magnétique terrestre pendant la période à laquelle correspond la date de dernière cuisson de la structure étudiée. Ex : pendant la période romaine (environ 400 ans), la déclinaison magnétique a tourné pratiquement autour de 0o ; cet élément ne permet donc pas de trancher entre 2 dates possibles comprises dans cet intervalle de temps et pour lesquelles l’inclinaison magnétique a pris la même valeur.
4.2.1.5. Essai de synthèse des résultats obtenus dans le Bas‑Rhône et l’Uzége
30Un essai de synthèse, s’appuyant sur les rapports archéomagnétiques de M. E. Thellier, a tenté de montrer l’état des connaissances, en ce qui concerne l’archéomagnétisme, sur les fours étudiés dans le Bas‑Rhône et l’Uzège22. Dès le début de ces recherches sur les ateliers médiévaux de la proche région d’Avignon, M. E Thellier m’a apporté son soutien et son aide pour la prospection et la datation magnétique des principales structures dégagées23.
■ Qualité des prélèvements
31Le tableau no XXIV rassemble tous les fours dégagés dans le Bas‑Rhône et l’Uzège dont une partie a fait l’objet de travaux archéomagnétiques. Les fours de Goult, Cabosse et Limoux, dégagés antérieurement et examinés par M. E. Thellier, sont également mentionnés. Les dates de prélèvement des échantillons et les numéros de référence sont indiqués en premier lieu24. La comparaison des colonnes suivantes permet de juger de la valeur globale de l’opération de prélèvement. Sur la plupart des fours dégagés, les échantillons, répartis le plus largement possible sur la surface de la sole et sur la paroi de la salle de cuisson, sont de bonne qualité. N’ayant pas bougé lors du prélèvement et contenant une quantité suffisante d’argile cuite, ils sont parfaitement utilisables C’est le cas de la presque totalité des fours de Saint‑Victor‑des‑Oules et du four de Saint‑Blaise‑de‑Bauzon. Parmi les fours pour lesquels des échantillons doivent être éliminés, l’examen des fours dégagés avant notre intervention doit être mené à part.

Tableau XXIV. Qualité des prélèvements archéomagnétiques.
Fours dégagés avant notre intervention
32Les fours 995B, C et D de Saint‑Gilles‑du‑Gard, fouillés par le groupe local, étaient presque totalement dégagés à notre venue. Il est donc bien difficile de juger des parties strictement en place depuis l’arrêt de la production. Dans ces fours partiellement taillés dans le substrat (conglomérat de galets liés à l’argile), presque tous les prélèvements effectués sur le sol géologique ont dû être éliminés à cause de leurs caractéristiques magnétiques peu utilisables. Quelques échantillons pris dans les parois latérales (surtout 995B) sur des parpaings d’argile grossière ont fourni des composantes magnétiques aberrantes montrant que ceux‑ci avaient relativement peu chauffé depuis leur mise en place dans les murs et n’avaient conservé ni l’aimantation de première cuisson, ni l’aimantation qu’ils auraient dû acquérir lors des chauffes dans le four : le déplacement de ces éléments lors des dégagements n’est pas à exclure25.
33Les fours de Cabosse26 et de Limoux27 ont fait l’objet d’études archéomagnétiques sans poser de problème. Pour Goult28 une partie des prélèvements sur le four sud, effectués sur la surface supérieure d’un empilage de couches considérées alors comme la sole, ont dû être rejetés.
Fours dégagés dans le cadre des recherches d’ateliers
34On peut y distinguer les fours découverts fortuitement de ceux qui ont été repérés par prospection et dégagés entièrement par la fouille.
35C’est à la suite de terrassements généralement pour des chemins forestiers que des fours apparaissent. Très souvent ces structures ont subi des dégâts importants ou une amputation plus ou moins grande. Ces structures ébranlées ne sont pas intéressantes pour la datation (achéomagnétique. Un très bon exemple de ce type de vestige est le four de. Bollène, Jonqueirolle pour lequel la dispersion de Ī et D̄ est supérieure à 3o. Ces résultats interdisent une datation de ce type ne permettant à la rigueur qu’une situation bien vogue (Thiriot c). Le cas du four de bronzier de Saint‑Gilles (SGG 995A) est certainement différent. À la grande dispersion des valeurs de Ī et de D̄ s’ajoute la faible aimantation de la plaque argileuse qui portait le feu29. Il est fort probable que cette plaque ait subi des réparations en cours d’utilisation n’excluant pas les rotations. Une rotation partielle peut également avoir eu lieu lors des premiers dégagements.
36Les structures intégralement fouillées, pour la plupart de bonne qualité en ce qui concerne les matériaux de construction, sont dans la position du dernier refroidissement. Les prélèvements conviennent à quelques rares exceptions près. Les accidents en cours d’opération ont été notés sur le moment pour servir le cas échéant à l’élimination de l’échantillon en cause (cas du four de Saint‑Gilles 995E). Pour le four de Saint‑Victor‑des‑Oules 128L un échantillon en particulier offre une valeur de D assez éloignée des autres mesures. Aucune remarque n’ayant été mentionnée au moment du prélèvement, on peut voir ici le déplacement de cette petite partie de sole à proximité d’un trou de chauffe.
37Dans cette expérience de datation réalisée en Uzège et dans le Bas‑Rhône, la plupart des fours disponibles ont été analysés afin de couvrir le plus possible l’aire géographique étudiée et une période chronologique la plus large possible. En fait, on a essayé d’y inclure des structures parfois douteuses qu’elles aient bougé (découvertes sous un bulldozer] ou qu’elles soient de mauvaise qualité : ayant peu chauffé ou réalisées dans des matériaux peu propices (galets de Saint‑Gilles). Les résultats des mesures ont confirmé cette médiocrité nous obligeant à éliminer ces structures.
■ Valeur du champ magnétique et essai de datation
38Dans son étude, E. Thellier a comparé ces structures à des fours dégagés dans d’autres contrées et pour lesquels les datations sont semblables. Le tableau no XXV les inclut et mentionne les composantes du champ ramenées à ce qu’elles auraient été à Paris. Après avoir indiqué la valeur de Ī et de D̄ avec leur degré de précision, la datation archéologique très floue30 est suivie des propositions de E. Thellier. La datation est indiquée à deux niveaux de précision très différents. La première colonne de datation est un essai pour lequel il avait précisé à l’époque qu’il n’écrirait pas ces résultats dans une publication31 ; il ne faut donc pas prendre ces datations à la lettre et nuancer leur valeur à partir de la deuxième colonne. Le report sur un graphe des composantes du champ mesurées sur ces différents fours (composantes du champ local) confirme cette organisation chronologique (fig. 34 a). Toutefois la figuration des marges d’erreur sur Ī et D̄ montre la relative précision de ce classement et des dates projetées. C’est ainsi que la grande imprécision sur D̄ mesurée sur le four SVO 128L rend difficile sa datation avant SVO 89B (avec Goult) ou après (légèrement antérieure à SVO 91). Le groupement de certains fours est toutefois remarquable : cas des fours SVO 91A et B ou des fours de SGG et BSB 187D. Ces fours sont pratiquement de même datation avec une possible différence de l’ordre de la décennie pour Saint‑Victor ou un petit peu plus pour Saint‑Gilles.

Tableau XXV. Valeur du champ magnétique et datation (Ī et D̄ : inclinaison et déclinaison locale. Īp et D̄p : inclinaison et déclinaison « transférées » à Paris. Seule la datation archéomagnétique de la colonne 2 est à prendre en compte et correspond à l’esprit des travaux de E. Thellier (la colonne 1 est un essai dont la trop grande précision dépasse la rigueur scientifique habituelle et n’a qu’une valeur indicative). 1 : cf. lettre du 19/09/1975. 2 : cf. lettre du 26/01/75. 3 : cf. lettre du 17/11/75. 4 : cf. lettre de I. Bucur du 14/01/86 : mauvaise structure car erreurs sur Ī et D trop importantes. 5 : cf. lettre de I. Bucur du 14/01/86 : après 950 ‑ avant 1100 A.D.).
39Vouloir appliquer à la lettre ces indications très précises ou interpréter finement le groupe de variation locale de Ī et D̄ (fig. 34 a) serait abusif. Seules des structures très bien datées archéologiquement permettraient une telle précision puisque la courbe de variation du champ serait précisée d’autant.
40La courbe de variation de Ī/Paris et D̄ /Paris (fig. 34 b) permet la comparaison des structures de l’Uzège et du Bas‑Rhône avec celles de datation similaire découvertes dans d’autres régions.
■ Valeur de cet essai de datation archéomagnétique
41Compte tenu des difficultés de reconstitution de la variation du champ magnétique passé et surtout de la carence quasi totale de la datation purement archéologique des fours ayant produit des poteries grises médiévales, il semble que cette méthode apporte des éléments de réponse. Vue de l’esprit ou démarche scientifique ? Si cette démarche est critiquable au moment du choix de la date parmi celles possibles, l’organisation chronologique des structures est assez conforme à l’idée que le fouilleur s’en fait. La datation finale est un faisceau convergeant d’indices chronologiques relatifs ou absolus où l’archéomagnétisme est un élément plus ou moins important suivant la qualité des autres. Dans le cadre de cette étude, le moyen archéologique de dater étant très limité, la connaissance des productions céramiques de ces périodes assez réduite32, nous avons attribué une valeur assez importante aux recherches de E. Thellier. Les derniers travaux (Thellier 1981 et surtout Bucur 1986) introduisent de nouveaux tracés des courbes Ī = f(t) et Ī — D̄ qui se trouvent en désaccord avec les travaux antérieurs (Thellier 1971) dont nous tenons uniquement compte ici (cf. note 256). Les structures essentiellement affectées par ces nouvelles données sont surtout les fours de Bollène et Saint‑Gilles‑du‑Gard. Une mise au point ultérieure sera publiée après révision de l’ensemble des problèmes révélés au moment de l’achèvement de la présente publication.
4.2.2. Datation par le Carbone 14
4.2.2.1. Rappel succint du principe
42Le rayonnement cosmique engendre la formation d’atomes de Carbone 1433 (Boüard 1975 : 282‑286). Les végétaux ou animaux contiennent de faibles doses de C 14 qui se désintègrent régulièrement mais se trouvent remplacées tant que l’organisme est vivant. À la mort, la quantité reçue précédemment se désintègre sans compensation suivant une période de 5 730 ans plus ou moins (désintégration de la demi‑quantité de C 14). Suivant la quantité de C 14 subsistant dans les matériaux à analyser il est donc possible de déterminer sa date de mort (combustion pour un végétal) à condition que le taux de production de C 14 et le rapport quantitatif entre les différents isotopes soient constants au cours des âges. En fait il semble bien que la teneur en C 14 varie : des correctifs sont mis du point pour pallier ces risques d’erreur. La mesure de la radioactivité C 14 en % par rapport à un standard international s’effectue avec un certain pourcentage d’erreur systématique.
43Toute mesure « historique » s’appuyant sur un taux de radioactivité C 14 encore très élevé est entachée d’une erreur relative importante. C’est pour cette raison que cette technique est assez peu employée pour cette période sauf dans les cas de grande indétermination archéologique. C’est le cas du four de Bollène, Jonqueirolle 743A.
4.2.2.2. Application au four de Bollène, Jonqueirolle BOJ 743A
44Ce four a produit des poteries grises qu’il est encore difficile de dater. Assez méconnues, elles se rapprochent assez fortement des productions de la basse antiquité. La fouille de ce four n’a produit aucun indice archéologique de datation. De plus l’archéomagnétisme se révèle quasiment impuissant sur ce four découvert du bulldozer et de ce fait très perturbé dans sa structure. L’examen des charbons de bois remplissant ce four restait donc la seule ressource pour un essai de datation. Prélevés dans la couche 2 remplissant le fond de l’entrée, ces charbons ne semblaient pas pollués outre mesure par des racines ou parcourus par des ruissellements d’eau (Dellbrios 1972). L’analyse effectuée en 1974 indique le résultat suivant : Ly 1133 ; 1610 BP ± 130 soit A.D. 340 ± 130 (1 σ = 2/3 de probabilité) ou A.D. 340 ± 260 (2 σ = 95% de probabilité).
45Suivant les observations de M. Evin, il est possible de tenir compte de l’intervalle ± 260 ans. Soit une datation entre 80 et 600. Celle‑ci semble plus en accord avec les indications, peu fiables il est vrai, de l’archéomagnétisme34. En attendant un complément de datation scientifique (plusieurs analyses de carbone 14 et thermoluminescence), il faut retenir la date approchée de la fin du ve s. (Thiriot c). L’apport de cette méthode n’est pas à négliger dans l’étude des ateliers de potiers médiévaux surtout pour les périodes où les productions sont encore mal connues.
4.2.3. Thermoluminescence
46Les premières recherches dans ce domaine datent de 1953. Depuis, de nombreuses équipes ont développé cette méthode en essayant de lever certaines difficultés (Boüard 1975 : 288). Malgré les très nombreux progrès, la datation par thermoluminescence reste encore assez floue. Des difficultés dues à la saturation des appareils de mesure n’ont pas permis l’achèvement des travaux entrepris dans le cadre de cette étude.
4.2.3.1. Principes
47Certains minéraux contenus dans les argiles, en particulier quartz et feldspath, ont la propriété de capturer dans les accidents ou impuretés de leur structure cristalline des électrons dus à l’activité radioactive environnante (rayonnements α,β,γ provenant de l’activité cosmique ou de certains éléments radioactifs) (Roman 1975 et Guibert). La quantité d’électrons « piégés » est proportionnelle au temps d’irradiation. Une élévation de température provoque la libération de la plupart des électrons des différents pièges du réseau cristallin, libération qui se signale par l’émission de lumière (d’où thermoluminescence). Son intensité est proportionnelle à la dose de radiation que l’objet a subie. Au moment de la cuisson, les pièges des structures cristallines contenues dans l’argile sont vidés de leurs électrons (zéro archéologique). La poterie sortant du four est donc vierge de toute radiation et, sous l’action de son environnement et de ses composantes, subit un rayonnement qui recharge les pièges. Le nouveau remplissage est proportionnel à la composition de l’argile et à l’activité radioactive due à l’environnement pendant un temps donné. Le vidage artificiel pour la datation entraîne une thermoluminescence qu’il est possible de mesurer. Des incertitudes subsistent encore dans cette méthode aux différents stades de l’investigation et entachent les résultats possibles d’une marge d’erreur fluctuante suivant la qualité des échantillons à dater.
4.2.3.2. Application aux fours du Bas‑Rhône et de l’Uzège
48En septembre 1976, des dosimètres de différentes qualités ont été placés dans plusieurs fours : Bollène, Jonqueirolle : four 743A ; Bollène, Saint‑Blaise‑de‑Bauzon : four 187D ; Saint‑Quentin‑la‑Poterie : four 463A ; Saint‑Victor‑des‑Oules : four 89A et 91B35. Placés au départ pour une durée limitée à un an, ils devaient servir à la définition de la dose annuelle de radiation sur les différents sites étudiés. Des contraintes de laboratoire ont empêché la bonne poursuite de cette expérience qui s’est limitée, en dehors de la pose des dosimètres, à la préparation des terres cuites en vue de leur datation. L’arrêt momentané de cette expérience n’exclut pas la poursuite et l’achèvement de ces travaux dont les résultats peuvent être très importants pour cette étude.
4.3. Conclusions
49L’examen des différentes possibilités strictement archéologiques de datation a montré la particulière pauvreté de nos moyens sur les ateliers de potiers médiévaux en Uzège et dans le Bas‑Rhône. L’apport des moyens « scientifiques » a été loin d’être négligeable dans cette étude. Si la datation par archéomagnétisme peut être discutée ou parfois contestée, elle a été notre principal atout grâce à l’apport important de M. E. Thellier. Malheureusement l’espoir de confrontations très constructives avec les méthodes par thermoluminescence n’a pu aboutir. Les datations évoquées ici sont une première approche que les recherches futures sur les ateliers et le travail plus poussé et plus précis sur le matériel des centres producteurs et utilisateurs permettront certainement de préciser.
Notes de bas de page
1 Cf. chapitre 2.
2 Les sols évolutifs sont composés de terres de même couleur et même texture contenant un matériel céramique dont la variation est assez peu discernable. Se reporter au paragraphe 2.1.3.2. Le matériel pauvre recueilli dans ces différentes couches n’est pas suffisamment connu pour permettre une datation. Se reporter au paragraphe 4.1.3.
3 Se reporter aux paragraphes 2.3.8.1, 4.1.2 et 4.1.3.
4 Se reporter au chapitre 2 et aux paragraphes 5.2.2.3 et 5.3.2.
5 Se reporter au paragraphe 2.3.7.
6 Cf. paragraphe 4.2.1, fig. 34. Pour les fours 91A et 91B, M. Thellier avait considéré, comme direction de l’aimantation thermorémanente (A.T.R.), la direction moyenne obtenue par statistique de Fisher sur les 20 échantillons des 2 fours (tableaux XXIV et XXV).
7 Toutes les monnaies de ce four ont été identifiées par S. Gagnière.
8 Se reporter au paragraphe 2.3.8.1 (fig. 17).
9 Se reporter au paragraphe 4.2.1.
10 Se reporter au paragraphe 4.2.1.
11 Se reporter au paragraphe 2.3.8.1 (fig. 17).
12 Se reporter au chapitre 3.
13 Beaucoup d’études de matériel provenant des sites utilisateurs ont été publiées. Se reporter aux deux études suivantes qui sont les plus récentes pour la région : (Démians d’Archimbaud 1981 et Boucharlat 1980).
14 Se reporter au chapitre 3.
15 Se reporter au paragraphe 4.2.1.
16 Mme I. Bucur a revu et surtout réactualisé la partie théorique.
17 L’ombre du soleil tracée à l’aide d’une équerre solaire ou d’un théodolite permet d’obtenir par calcul, en fonction des coordonnées géographiques du lieu de prélèvement, la direction du Nord géographique (Giot 1984 : 63).
18 Ex. une centaine de fragments individuels pour une série de briques d’un bâtiment afin d’éliminer les erreurs dues à une horizontalité imparfaite des faces de celles‑ci, ou à des irrégularités de stockage dans le four.
19 L’inclinaison magnétique est une fonction de la latitude du lieu de cuisson. Les valeurs obtenues doivent être réduites à la latitude de Paris pour être comparées à celles de la courbe I — f (t).
20 Pour être en harmonie avec les interprétations de M. Thellier, nous conservons ici la référence (fig. 34 b) maintenant un peu ancienne (Thellier 1971 : 322). Les discordances récentes (Thellier 1981 et Bucur 1986) feront l’objet d’un examen ultérieur.
21 Un grand nombre de points définissant un tronçon de la courbe lève presque totalement le risque d’erreur importante et permet une datation précise dans cette fourchette de temps. Si la courbe est définie par peu de points, le poids des datations d’origine est lourd et fait peser une incertitude assez importante sur la courbe.
22 E. Thellier a entrepris, dès 1964, des travaux sur les fours de Goult pour M. S. Gagnière. Ces recherches liées aux découvertes fortuites des années 1960 — Cabosse (Var), Goult (Vaucluse), Limoux (Aude) — se sont accentuées ensuite grâce au programme de recherche sur l’Uzège et le Bas‑Rhône.
23 Se déplaçant chaque fois pour venir « échantillonner » les fours en place, M. E. Thellier, aidé en cela par Mme O. Thellier, a apporté une contribution primordiale à cette étude par les résultats obtenus. Depuis fin 1972, début de ces recherches, une très riche correspondance pleine d’enseignements a été échangée où tous les problèmes relatifs à la dotation des différents fours ont été soulevés. Cette collaboration se poursuit maintenant avec Mme I. Bucur et M. L. Langouët.
24 Ces numéros sont ceux de l’étude de synthèse (Thellier 1981).
25 Cf. lettre de E. Thellier du 26/01/1975. Cette remarque montre la grande difficulté d’interprétation des structures déjà dégagées et étudiées après coup.
26 Cf. lettre de E. Thellier à G. Bérard du 15/06/1965.
27 Cf. lettre de E. Thellier à S. Gagnière du 12/01/1965.
28 Cf. lettre de E. Thellier à G. Rancoule du 17/06/1965.
29 Se reporter à l’examen de la structure (Thiriot 1975 b).
30 Se reporter au paragraphe 41.
31 Cf. lettre du 19/09/ 1975.
32 Des essais de typologie de la céramique grise médiévale existent essentiellement pour des sites utilisateurs. Il semble que la typologie des sites producteurs soit difficilement comparable d’où la difficulté actuelle de comparer ces matériaux d’étude et leur datation. La multiplication des recherches en ce domaine devrait lever cette ambiguïté.
33 Cette méthode a été employée, pour l’un des fours dégagés dans la région de Bollène, par M. J. Evin.
34 E, Thellier a rejeté l’ensemble des échantillons pris sur ce four qui a basculé lors de sa découverte au bulldozer. Son estimation chronologique est vie‑ viie s. à défaut du 1er s.
35 Les travaux entrepris d’abord par G. Valladas au Centre des faibles radioactivités du C.N.R.S./C.E.A. de Gif‑sur‑Yvette, puis par H. Valladas, n’ont pu être menés à bien par manque de temps et de nouveaux impératifs du programme de recherche de ce laboratoire.
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