Ciblage des services de santé en Syrie : stratégie militaire ou dommage collatéral ?
p. 119-138
Résumés
Neuf années de conflit continu en Syrie ont été marquées par de nombreuses exactions commises contre des civils, certaines constituant des crimes de guerre. La plupart des acteurs impliqués ont commis de telles atrocités, mais le gouvernement syrien (GS) et ses alliés demeurent les premiers responsables. Sur une population de 21 millions de personnes en 2010, plus d’un demi-million de Syriens ont été tués jusqu’en janvier 2019, et plus de 13 millions ont été déplacés, soit à l’intérieur du pays, soit dans les pays voisins ou encore au-delà. En outre, les infrastructures civiles, notamment dans le domaine de la santé, ont été lourdement impactées, entraînant l’interruption de leurs services et beaucoup de souffrances. L’examen des caractéristiques de ces atrocités, de leur chronologie et de leurs conséquences, pourrait contribuer à en dégager les motivations. Si le GS affirme que ces attaques avaient pour cible des combattants civils, nous soutenons que les civils et les infrastructures civiles constituaient des objectifs militaires et stratégiques, plutôt que des dommages collatéraux résultant des attaques commises par le gouvernement et ses alliés. Les attaques contre des civils peuvent être motivées par un avantage militaire, en imposant la soumission et la capitulation ; elles peuvent aussi répondre à des objectifs à long terme, notamment le déplacement forcé et l’ingénierie démographique. La présente étude soutient, à l’aide de plusieurs exemples survenus tout au long du conflit, que le GS a adopté une stratégie militaire en cinq points, au cœur de laquelle figure le ciblage des services de santé. Cette stratégie repose sur cinq étapes consécutives visant à obtenir la soumission des populations civiles et à les affaiblir ; (1) assiéger et exténuer les populations ; (2) cibler les civils et les infrastructures civiles ; (3) cibler les professionnels de santé et les établissements de soins ; (4) proposer des accords de reddition et d’évacuation. Enfin, si tout échoue, la dernière étape, (5) est le recours aux armes chimiques. Cette tactique militaire a montré son efficacité en permettant de reconquérir la plupart des bastions de l’opposition au prix de la souffrance des civils et de la catastrophe sanitaire.
Nine years of continuous conflict in Syria have borne witness to various atrocities against civilians, some of which amount to war crimes. Most of the involved parties have committed such atrocities, but the Government of Syria (GoS) and its allies remain at the top of the list of perpetrators. Out of a population of 21 million in 2010, more than half a million Syrians were killed as of January 2019 with more than 13 million displaced either inside the country, in neighbouring countries or elsewhere. Moreover, civilian infrastructures, including but not limited to health, have been severely affected resulting in interrupted services and suffering. Looking at patterns of these atrocities, timing of occurrence, and consequences, could allow us to draw conclusions about motivations. Whilst the GoS maintains these attacks were against combating civilians, we argue that civilians and civilian infrastructure were military and strategic targets, rather than collateral damage to the attacks committed by the GoS and its allies. The motives behind attacking civilians may be related to military gains in imposing submission and surrender; whereas others may be linked to long-term goals such as forced displacement and demographic engineering. This paper argues, supported by several examples throughout the course of the Syrian conflict that GoS has used a 5-point military tactic with targeting healthcare being at the heart of it. This tactic includes five consecutive steps to induce submission of civilian populations and break resilience; (1) besiegement and deprivation of populations (2) targeting of civilians and civilian infrastructure (3) targeting healthcare professionals and facilities (4) offering surrender agreements and evacuation deals. Finally, if all else fails, then the final step is (5) the use of chemical weapons. This military tactic has been extremely effective in regaining most opposition strongholds at the expense of civilian suffering and health catastrophe.
Entrées d’index
Mots-clés : Syrie, crimes de guerre, services de santé
Keywords : Syria, war crimes, health care
Extrait
1Le salaire du premier auteur est partiellement couvert par UK Research and Innovation dans le cadre du Global Challenges Research Fund ; projet Research for Health in Conflict in the Middle East and North Africa (R4HC-MENA), bourse numéro ES/P010962/1.
Introduction
2La production de connaissances et d’enseignements sur les atrocités et la violence extrême est une tâche indispensable mais périlleuse et difficile à mener1. Conduire des travaux de recherche dans de tels contextes est très complexe (Mfutso-Bengo, Masiye et Muula 2008). Les acteurs humanitaires, y compris les services de secours locaux, ont généralement du mal à trouver un équilibre entre, d’une part, la collecte de données et la compilation des enseignements tirés et, d’autre part, l’adaptation à des environnements en constante évolution et la réponse à des besoins urgents. Naturellement, les besoins vitaux immédiats relevant des différentes formes d’aide humanitaire et les interventions ad hoc priment sur la reche
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