L’abbé et le bidonville
p. 151-168
Texte intégral
1La cité des Francs-Moisins1 a été construite dans les années 1970. Il s’agit d’un ensemble de douze immeubles logeant environ neuf mille personnes. Avec quelques autres sous-ensembles urbains, de bien moindre importance2 démographique, elle a fait l’objet d’une opération de développement social de quartier (dsq). Elle est située au sud-est de l’entrée de la ville, à moins d’un kilomètre de la « porte de Paris » et de sa station « bus-métro ». Si la desserte par les transports en commun est loin d’être négligeable, l’« enclavement » urbanistique du site est marqué. D’un côté le canal qui ne présentait, jusqu’à une époque récente, aucune passerelle. Au nord, après les quelques rues du « Bel-Air » et les petites barres de la cité Casanova, on trouve l’autoroute qui n’est franchissable que par deux ponts-tunnels peu éclairés. Plus à l’est, l’horizon bute sur les remparts du Fort. Enfin, sur le côté qui fait face aux communes limitrophes (La Courneuve, Aubervilliers), le « tissu urbain » connaît deux solutions de continuité, la départementale très passante, et la voie de rer.
2La convention dsq date de 1990. Elle faisait suite à la « procédure hvs » et à un « Projet de quartier ». Ces dispositifs ont porté essentiellement sur la rénovation du bâti (ravalement, isolation, volets, mise en place de balcons, transformations des halls d’entrée, des façades) et sur l’offre de services (construction d’un lycée, d’une « halle des sports », rénovation d’équipements destinés aux jeunes enfants, constitution d’une plate-forme de services publics regroupant permanences de divers organismes3 et salles de réunion pour les associations). Ce mouvement a aussi concerné la police, avec l’îlotage, ou la santé publique, à travers un projet de « santé communautaire » qui a enchaîné diagnostic, formations et un certain nombre d’actions menées par une association ad hoc4.
3Enfin, ce travail avait pour objectif la participation des habitants à un certain nombre de décisions, à travers la collaboration entre services et associations et la tenue de réunions sur la vie et l’avenir du quartier.
4C’est dans ce contexte qu’est intervenue la démolition de l’immeuble le plus ancien : le bâtiment 3. Démolition accompagnée d’un dispositif de négociation complexe avec ses locataires (y compris avec ceux qui étaient en situation contentieuse) pour que le relogement soit fait au plus proche des attentes, des besoins. Elle a été aussi l’occasion de la promotion d’actions concernant la « mémoire » et l’« histoire ». Certaines avaient été imaginées auparavant, d’autres ont été lancées à ce moment-là.
5J’ai été chargé de l’évaluation de l’ensemble et j’ai pu observer de près une part importante de ces actions, nouer des relations confiantes avec certains de leurs concepteurs et de leurs acteurs et avoir accès aux documents qu’ils ont produits.
Des actions concernant l’histoire locale
6Ces actions engagèrent tout un éventail de disciplines et de techniques. Depuis l’activité éditoriale, l’écriture (poétique pour l’atelier d’écriture ou l’édition du recueil Mémoire d’une saison, journalistique avec Le Journal de quartier), jusqu’à la vidéo avec les Chroniques de Franc-Moisin et les Gens des baraques, en passant par les « arts plastiques » (avec l’atelier du même nom, la confection d’affiches par les lycéens, des « bustes de Marianne » par des habitantes du quartier, les carrelages décoratifs du lycée Suger, les « fenêtres du bâtiment 3 »). Certaines étaient directement du domaine de l’histoire avec le travail de « mémoire vivante » et le choix du nom du lycée « Suger ». Pour la commodité de l’exposé, c’est ainsi que je les présenterai dans l’énumération descriptive qui va suivre (avec une exception pour les projets scolaires). Cependant, d’autres principes de classification seraient possibles, par exemple, par rapport aux statuts des protagonistes (équipes liées à la politique de la ville, services municipaux, associations, intervenants privés, segment du public concerné), ou aux modalités adoptées (de l’« interventionisme » à l’« attentisme »), par rapport au nombre de participants (de un à plusieurs dizaines), au type de participation (régulièrement et avec rémunération, ou bénévolement et de façon « pointilliste »). Pourrait aussi entrer en jeu la connaissance que leurs animateurs pouvaient avoir préalablement du quartier. Bref, de nombreux principes de classification étant possibles, j’ai préféré celui qui m’a paru intervenir le moins sur l’analyse.
7D’autre part, si je viens de présenter l’ensemble des projets touchant à l’histoire locale qui ont existé là à ce moment, je dois indiquer que je n’ai pas pu tous les observer avec la même attention, de même que dans l’enquête rétrospective je n’ai pas pu rencontrer tous les acteurs. Enfin, j’ai opéré un choix dans mon exposé, ne retenant que ce qui me paraissait le plus strictement signifiant dans ce qui était dit, écrit, fait. Les figures de l’abbé et du bidonville vont courir tout au long du texte, non pas à cause de quelque importance « quantitative » en participants ou en moyens, mais parce qu’elles me sont apparues comme des indicateurs efficaces pour rendre compte des cohérences que j’ai cru voir apparaître dans cette multiplicité.
Les projets éditoriaux
8L’atelier d’écriture a été créé sous l’impulsion de la responsable du « Lieu accueil jeune » de la cité. Ce « lieu » offrait plusieurs prestations réparties sur les jours de la semaine (on pouvait y rencontrer des « professionnels de l’insertion », des animateurs, obtenir des informations de santé auprès d’un médecin, y passer simplement). Il y eut aussi des spectacles organisés par le théâtre Gérard Philipe et donc, tous les lundis soir, à dix-sept heures, l’« atelier d’écriture » animé par un poète et cette éducatrice. Ce projet se référait, à ses débuts, à une dimension locale : essais d’écriture individuelle ou collective sur le quartier, sur sa vie. La dimension « historique », « mémorielle » n’est venue qu’après. Elle s’est concrétisée dans la réalisation du recueil de poèmes Contes et légendes du Franc-Moisin.
9Le Ver luisant, de son côté, alors tiré en monochrome sur papier jaune, se présente ainsi dans son numéro 1 daté d’avril 1994 :
C’est le reflet des activités des associations dynamiques du quartier qui veulent se faire connaître. Ces associations jouent un rôle important pour l’épanouissement du quartier Francs-Moisins/Bel-Air, il faut reconnaître que le bénévolat est la richesse première de ce mouvement au service des autres.
10Le soutien, entre autres financier, accordé pour la reprise de sa parution, et son développement, qui lui a permis d’être tiré en couleur et de former ses créateurs à l’informatique et à l’écriture journalistique, impliquait que ceux-ci acceptent de travailler sur l’histoire et la mémoire du quartier. Ce qui fut fait, à travers des articles concernant la toponymie de la cité (« Quelles sont les origines du nom Francs-Moisins ? » « Louise Michel dite Enjolras, une combattante héroïque » ; « Qui étais-tu Danielle ? » – il s’agit de Danielle Casanova), des témoignages, des biographies (Dédé pour nous se souvient)...
11Enfin, le recueil de poèmes de Henri Pemot, lui, a été édité par une petite maison d’édition, Tanawa Convergence, avec le concours du comité de quartier. L’ouvrage, comme son titre complet l’indique, est composé de deux recueils. Le premier, Mémoire d’une saison, est plus particulièrement consacré au bâtiment 3 et à sa destruction. Nous aurons l’occasion d’y revenir longuement.
Les projets cinématographiques
12Les chroniques des Francs-Moisins fut une opération complexe qui mêlait un travail concernant l’insertion professionnelle de deux jeunes gens, la constitution d’une série de courts reportages sur la cité dans la perspective de la démolition du bâtiment 3, la production d’un long métrage sur le même sujet. Étaient mobilisés une « entreprise d’insertion », une structure de production, la ville de Saint-Denis et dans une certaine mesure le comité de quartier. Dans le cadre de ce dispositif, deux jeunes gens, dont l’un vivait dans la cité, filmaient des habitants en train de parler de celle-ci, de son passé, avec l’aide d’un professionnel qui avait des compétences à la fois dans l’intervention sociale et dans la création cinématographique. Les « sujets » ainsi construits passaient toutes les semaines dans l’émission « C’est pas normal », sur La Cinq. Après la destruction du bâtiment 3, un « cinquante-deux minutes » fut réalisé, qui intégrait une partie des rushes non utilisés.
13Robert Bozzi, lui, entreprit un documentaire à propos des habitants portugais du bidonville qui existait sur l’emplacement de la cité avant sa construction : Les Gens des baraques. Il relate une double histoire : celle de l’émigration portugaise depuis les années 1970 et celle de l’évolution du regard d’un cinéaste. Le fil dramatique du récit est la recherche d’un nourrisson filmé par hasard dans le bidonville, vingt ans plus tôt, à l’occasion du tournage d’un premier documentaire qui se voulait « militant ». Ce film a été financé par les circuits classiques de production, mais il a aussi bénéficié du soutien de la Ville et de l’office HLM (par le prêt au réalisateur d’un appartement dans la cité). Une fois achevé, il a été diffusé par la chaîne Arte, mais aussi en salle. Les personnages du film, les « gens des baraques », furent invités à une projection à L’Écran, cinéma de Saint-Denis, en présence du maire et du réalisateur.
Les projets d’arts plastiques
14L’atelier d’arts plastiques avait élu domicile dans un des trois ateliers d’artistes créés après « transformation d’usage » d’appartements de la cité. C’était un lieu ouvert dans lequel chacun pouvait venir et mettre la main à la pâte avec deux plasticiens : Daniel Gapin et Olivier Rosenthal. Ce projet concernait la constitution d’une histoire locale essentiellement par « un travail de l’interne vers l’externe pour valoriser la cité et ses habitants, faire le deuil du bâtiment 3 ». Il s’agissait de la « production d’une soixantaine de tableaux réalisés par les habitants » à partir d’une technique de bas-relief en papier mâché. Ces tableaux étaient censés représenter des scènes de la vie quotidienne dans le bâtiment 3. Initialement, ils devaient être apposés sur les fenêtres de l’immeuble au fur et à mesure que ses habitants partaient. Mais la crainte de dégradations a conduit à les exposer d’abord dans une salle de la Maison de la Légion d’honneur, puis dans les locaux du lycée Suger.
Les projets scolaires
15Le travail du collège García Lorca, « Mémoire vivante », s’est traduit par la réalisation de quatre projets. Les trois premiers furent regroupés sous l’intitulé « Hier, aujourd’hui, demain ». Il s’agissait d’une part d’une enquête menée par les élèves du collège auprès d’habitants de la cité ; d’autre part d’une série de textes écrits par les élèves, qui avaient la cité pour sujet (« enquête aux Francs-Moisins, A la découverte de mon quartier ») ; le troisième, « Les jours comptés du bâtiment 3 », évoquait celui-ci, sa « vie », l’approche de sa destruction à partir de « J moins 13 ». Le quatrième fut dénommé : « L’enlèvement de Marianne » et concernait tout un travail d’enquête fait avec des élèves autour d’un socle sans statue trouvé à proximité de la cité et de création plastique avec l’Association des femmes des Francs-Moisins.
16Enfin, il faut citer le lycée Suger. C’est un établissement polyvalent construit récemment, en bordure de la cité. Il fut impliqué dans la constitution de l’histoire locale de différentes façons. Comme nous l’avons vu, il aura abrité « les fenêtres » pendant deux ans. Il possède également une série d’éléments de décors (payés par le conseil général) constitués de photographies montées sur carrelage évoquant le passé ouvrier du site en représentant la construction de l’établissement. De plus, il a participé à l’élaboration d’un journal mural, réalisé par des élèves du professeur d’arts plastiques assisté par une entreprise spécialisée. Enfin, son nom même, qui est celui de l’introducteur du gothique en France, participe d’un point de vue sur le positionnement du quartier dans l’histoire et dans l’espace.
17En les lisant, en les écoutant, il m’a semblé que les discours à propos de ces « productions » se distribuaient selon un réseau de significations, avec ses nœuds de convergences, ses points de rebroussement (qui pouvaient parfois se superposer), ses « liens de dépendance entre les énoncés ». Et j’ai cru voir que ce réseau était lui-même organisé selon des cohérences qui reliaient entre eux ces différents éléments. Je proposerai d’appeler ces cohérences « régime d’historicité » en référence au travail de François Hartog. Dans son article « Comment écrire l’histoire de France5 », il désigne clairement la mise en place d’une typologie de représentations et de pratiques construite autour de la « formulation de l’expérience du temps qui existe dans une dynamique, réagissant les uns par rapport aux autres... [Chaque régime d’historicité] rythme l’écriture du temps, représente un “ordre” du temps, auquel on peut souscrire, ou au contraire (et le plus souvent) vouloir échapper, en cherchant à en élaborer un autre ». Ce que complète l’idée selon laquelle « un régime n’existe jamais à l’état pur ».
18Cela est rendu possible par le caractère plastique des régimes d’historicité. Le fait de pouvoir les cerner, les décrire ne veut pas dire qu’ils existeront de toute éternité : « Un régime d’historicité n’est en effet pas une entité métaphysique, descendue du ciel, mais un cadre de pensée de longue durée, une respiration, une rythmique, un ordre du temps, qui permet et qui interdit de penser certaines choses. »
Le « local »
19Dans « histoire locale », il y a « locale ». L’utilisation de l’adjectif (éventuellement substantivé) a connu avec les lois de décentralisation un développement (national) important. On pourrait dès lors penser que la question de savoir ce que désigne le terme « local » est résolue. Il s’agirait d’une pièce d’un dispositif idéologique et administratif visant à transformer les structures de l’État. Si cette dimension me semble incontestable, ce que j’ai pu observer me laisse à penser qu’elle n’épuise pas le sujet. En effet, la définition sur le terrain de ce qu’était le « local », dans le cadre d’une politique culturelle qui concernait singulièrement l’histoire, a été l’objet de divergences, d’oppositions, d’investissements contradictoires. Disons, pour préciser encore, que les incitations de l’État central à la promotion d’une histoire locale, qui n’intéressait jusque-là qu’un nombre restreint de personnes sur ce quartier, y ont joué le rôle d’un catalyseur de débats, au premier rang desquels se trouvait celui de la définition même de ce qu’était ce lieu.
Le « village planète »
20Un des promoteurs du projet « Contes et légendes du Franc-Moisin » m’expliquait que ce livre avait été conçu comme un « passeport » pour les habitants du quartier, évoquant celui-ci comme une sorte de pays séparé du reste de son environnement par une « frontière ». Dans le corps même de l’ouvrage, plusieurs textes évoquent cette représentation d’un univers clos (« un zoo », « une île pour les aventuriers »), une « planète » qui serait aussi un « village ». Espace circonscrit, tourné vers lui-même, il est décomposé en divers lieux présentés comme des isolats encore plus restreints et qui en organisent la géographie (« le champ » qui donne son nom à un texte, « la place rouge », « un peu comme [le] cœur [de la cité] », « le bâtiment 3 », celui qui sera démoli).
21Autant de lieux qui sont définis par un usage social censé se décliner selon l’appartenance à des sous-groupes d’habitants (le champ : « Pour nous les mômes, c’était le paradis... [...] Le champ c’était notre no man’s land » ; la place rouge : « Les jeunes y jouent au basket. Les moins jeunes s’y retrouvent aussi, pour les boules... » ; le « B3 » : « A la cité des Francs-Moisins, comme dans bien / d’autres cités sans doute ce sont des jeunes qui tiennent les murs. / Toute la journée, ils restent là / au pied du bâtiment B3, adossés contre le béton.) »
Le rapport du quartier aux institutions
22D’autres énoncés semblent indiquer une coupure territoriale comparable à celle que je viens de décrire (« A l’aube de l’an 2000, la cité Francs-Moisins/Bel-Air, située à côté du Stade de France, vit en tribu irréductible avec plein de rêves6 » ; « On s’est toujours considéré comme ça... On va, c’est ce qu’on dit sans arrêt, on va à Saint-Denis. »).
23Cependant, si on y retrouve bien la référence à un « nous », au quartier, à ses habitants, ce n’est pas pour revendiquer une identité sociale ou territoriale en soi et pour soi. D’ailleurs ici, ce type de revendication est tourné – poétiquement – en dérision.
Certains habitants souhaitent, par exemple, voir les grands immeubles de la cité être transformés en petites habitations, avec jardin privé ; d’autres, par ailleurs, représentent la maison de quartier entourée d’un jardin, d’une ferme, d’un champ de blé, d’un vignoble, afin que chacun puisse faire son pain, son vin, sa récolte... et non loin [...], un kiosque à musique rythme les vagues de la mer [...].
24Ce dont il est question, ce n’est pas de faire sans les fonctionnements institutionnels et l’organisation spatiale qu’ils mettent en place, mais d’afficher qu’on peut faire contre eux, qu’on peut promouvoir un autre type d’exercice du pouvoir, voire un pouvoir d’une nature différente dans l’espace du quartier. Pouvoir qui ne peut exister cependant que dans son articulation avec un niveau plus vaste donnant accès au vrai gisement de puissance contenu dans ces fonctionnements institutionnels et leur capacité redistributrice. (« Ce qu’il y a dans le centre, il faut que ça vienne dans les quartiers. »)
25Du coup l’espace du local ne fonctionne pas, comme pour le mode précédent, dans la coupure avec l’extérieur du quartier. S’il y a bien séparation, c’est plutôt dans un rapport d’homologie, pas de négation. Le quartier devient alors un espace où se rejoue quelque chose des enjeux qui existent à des échelles plus vastes – dans les affrontements autour du pouvoir, qui constituent le seul lien (par exemple, à travers l’autodésignation d’associations locales comme « courroie de transmission » d’instances décisionnelles, redoublant une équipe de la politique de la ville jugée trop institutionnelle).
Du bidonville à la réhabilitation du quartier
26La présentation du quartier contenue dans le dossier remis à la presse ouvre à une autre définition du « local » dans laquelle la délimitation territoriale (administrative, géographique) fait unité7 à travers le disparate des désignations successives qui vont « du bidonville à la réhabilitation du quartier » (« bicoques » ; « bidonville » donc ; « baraquements » ; « cités de transit » ; « cité » ; « zone d’éducation prioritaire (zep) » ; « dsq »). En l’occurrence, c’est la délimitation, le bord qui structure. La frontière ne sépare pas – nul besoin d’un « passeport » –, elle organise. Ce qui pourrait être du domaine du local se définit ici par rapport au général non plus dans la coupure, ni dans un éventuel rapport d’homologie, mais dans l’articulation. Les frontières structurent et relient au reste de l’espace. Ainsi le lycée Suger, dont la mise en place peut s’inscrire dans un tout autre univers de sens – on va le voir –, a pu être perçu comme renvoyant à ce régime d’historicité locale, en tant qu’élément urbanistique :
Le parti pris, c’était de proclamer l’appartenance à la ville contre l’appartenance au quartier. Et de marquer l’emprise de la ville sur le quartier. [...] C’est vraiment une des deux portes du quartier. Le fait qu’à l’une des portes du quartier tu es à Suger, tu sais où t’es, t’es pas à Franc-Moisin, t’es à Saint-Denis.
Les repères décentrés du local
27Pour rendre compte de ce qu’a été le bidonville qui fut détruit pour faire place à la cité, le réalisateur des Gens des baraques nous entraîne dans le groupe de villages portugais d’où sont partis ces « gens » et dans les villes de la région parisienne où ils ont fini par s’installer, opérant ainsi une désarticulation différentes de l’espace par rapport au territoire du quartier. De manière parallèle, la construction et la dénomination du lycée Suger, en bordure de la cité, ont pu être imaginées non comme des éléments de marquage urbain, mais comme formant lien avec l’histoire de la ville et celle d’ensembles plus vastes (à dimension de « l’architecture gothique et de la pensée scolastique8 »). Et, au-delà, ils constituent eux aussi comme une proposition de déconnexion des repères spatiaux par rapport aux différents types de localismes induits par l’histoire du site : la géographie d’enclavement et le « roman familial » de la « réputation » de la cité, la « procédure dsq » du quartier, le « classement zep ».
Le champ de la production de l’histoire locale
28A ces représentations différentes du local correspondent aussi des histoires différentes. Ainsi, sous « l’histoire locale », sous l’unicité de l’incitation de l’État central, sous le large spectre de l’analyse savante, on voit maintenant commencer d’apparaître une multiplicité de modalités de ce que l’on désigne par « histoire locale ». Du coup la question se pose de savoir ce que devient alors l’acte même de « produire de l’histoire locale ».
L’exégèse poétique : faire sortir les mots des choses
29Là où il est question d’un « village-planète » dont le temps se réfracte en éclats presque immobiles, dont l’espace est clos sur lui-même, la production d’histoire locale va tendre à rendre évidente l’existence d’une identité partagée par tous les habitants du lieu, de la même façon de vivre le temps. En en fournissant une image... y compris télévisuelle (à travers les « chroniques de Franc-Moisin »), dans laquelle chacun a sa place, où les codes sont les mêmes au-delà des différences, où on vit dans une sorte de continuum structuré par des (hauts) lieux, des personnages (hauts) en couleur, des créations artistiques, un ensemble d’expériences partagées par tous les habitants. Vont être mobilisées des formes plus savantes, identifiées comme « des mythes », dont l’existence est objet d’exégèse, nous l’avons vu, ou matière à invocation comme dans le poème Épitaphe pour le B3 : « [...] Tu étais pour ces gens le paradis / Paradis de la lumière, de la renaissance / Naissance d’une vie nouvelle, d’un nouvel Éden / [...]. »
Retrouver de l’histoire locale
30Il y a une autre façon de constituer l’histoire locale à partir du quartier saisi dans une découpe territoriale qui le singulariserait « de l’intérieur » : non pas de manière immédiate, dans l’énonciation de l’évidence (supposée) de son identité, mais en recherchant ce qui relie cet espace au sens profond (et unique) qui doit l’habiter et qui articule le local au général. Se créent ainsi des circulations de significations qui permettent de faire le tri entre ce qui ressort « véritablement du quartier », ce qui transite par les « bons réseaux » locaux du pouvoir et ce qui doit être tenu à distance, désigné comme une tête de pont de ce qu’il y a d’hostile dans l’espace extérieur, et finalement circonscrit. Du point de vue de la lutte au sujet de la toponymie, on a vu comment la désignation « Suger » adoptée pour le lycée avait été récusée dans cette logique. Positivement, le premier numéro du Ver luisant fournit un exemple en inaugurant une série de biographies des personnages dont les noms ont été donnés (anciennement9) aux rues du quartier par celle de Danielle Casanova, résistante, militante et fondatrice d’une des associations dont une section (tout à fait active) existe encore dans le quartier.
Produire de l’histoire locale
31Il peut aussi y avoir à proprement parler « production d’histoire » dans une démarche qui s’attache certes au lieu, mais qui voit loin, qui regarde sur le long terme quels sont les éléments signifiants et en redéfinit les arrangements au gré des jugements portées sur leur légitimité. On a vu comment, dans une certaine mesure, l’attribution du nom « Suger » au lycée a pu jouer comme opérateur symbolique de la rénovation. Cet aspect est renforcé par le fait que les immeubles construits postérieurement au lycée, dans sa proximité, auraient reçu le nom vernaculaire de « résidence Suger » (c’est du moins ce qui se dit depuis cette logique). Comme si l’aménagement urbain de la ville, en s’appuyant sur le premier besoin identifié que constituait le lycée, réinvestissait de plus en plus largement le quartier par la création d’une nouvelle toponymie qui le relie au centre-ville et à une légitimité institutionnelle. On comprend mieux alors les conflits liés aux désignations des lieux, comme autant de signifiants de l’intégration du quartier dans son « environnement urbain », ou au contraire de son inaliénable altérité.
32Cependant la comparaison entre cette logique et la précédente ne peut se faire de manière strictement symétrique. En effet, c’est depuis la « production de l’histoire locale » que toutes les autres formes de constitution existent matériellement. Pierre Rosanvallon10 a montré comment l’histoire était l’un des savoirs avec lequel « l’État instituteur du social » avait le plus d’affinité et si dans la situation contemporaine il ne s’agit plus de « construire la Nation », au sens des historiens du xixe siècle, il n’en reste pas moins que l’on n’est peut-être pas si éloigné de cette volonté d’action sur ce qui « gouverne sensiblement le lien social [...] pour instaurer dans l’imagination des hommes le sens d’une appartenance que plus aucune structure sociale ne signifie désormais directement ». Je note pourtant qu’ici, il s’agit d’une histoire à laquelle on demande d’être non pas localiste, mais décentralisée et dont on tient pour essentiel qu’elle existe non pas comme un catéchisme – fût-il « républicain » (même si des préférences sont manifestes, y compris pour ceux qui mettent en œuvre la pluralité) –, mais comme un des lieux d’existence de la diversité des points de vue. Toutes les démarches d’histoires locales que nous avons décrites furent subventionnées, et je ne sache pas qu’aucune fût censurée. Comme si le télos s’évanouissait au moment même de son énonciation et de sa pleine puissance.
L’histoire locale comme une élaboration
33Le fil rouge de la dénomination du lycée peut nous conduire encore à cette autre logique dans laquelle la production d’histoire locale organise un questionnement réciproque entre le(s) producteur(s) de la référence historique et ceux à propos de qui elle est émise. C’est ainsi que le choix du nom du lycée a fait l’objet d’un débat au sein de l’établissement qui s’est inscrit dans un long travail de réflexion et de préparation. Lors d’un entretien, le proviseur adjoint m’a expliqué que « le travail avec l’architecte de la mous montrait au personnel que le quartier avait une histoire. [...] Les gens qui connaissaient Franc-Moisin, c’était pour eux la cité de Saint-Denis excentrée. Mais c’était pas un quartier avec une histoire qui avait changé. C’était que ça, des bâtiments moches, délabrés. Une vision immobile. Et donc qu’est-ce que ça avait comme sens de mettre un lycée neuf là ? [...] L’architecte qui a organisé la visite a commenté ce qui existait avant la cité ». Il me semble qu’en provoquant un incident dans l’évidence des représentations, l’usage de l’histoire contribue, ici, à la mise en place de la distance, à la possibilité d’un événement improbable comme la venue d’un lycée polyvalent avec son aréopage de professeurs agrégés, normaliens, ses élèves venant de plus de vingt communes. Il s’agit d’un équipement dont les locaux sont du ressort de la Région et le fonctionnement, de celui de l’État central. Il est donc, pour une bonne part, a-local11. Pour réussir le pari de sa présence en ce lieu (c’est-à-dire, outre la pérennité de ses locaux et l’intégration normale des élèves scolarisés dans les sections proposées, la rescolarisation de jeunes habitants qui avaient quitté parfois depuis plusieurs années le système scolaire, ainsi que la mise en place de relations suivies avec les familles), son équipe de direction a ressenti le besoin de poser une référence qui mette en relation le quartier, le centre-ville (Suger et la basilique de Saint-Denis) et l’État central (Suger et les prémices de l’État moderne), marquant ainsi ce que, à la suite de Bernard Charlot, elle appelait « la clôture symbolique ».
34C’est aussi à un travail de distanciation, d’installation de regards croisés sur les images que convie le film de Robert Bozzi, par le choix narratif du réalisateur de dire d’où il parle, de reconstituer son propre itinéraire en montrant des images du film qu’il tourna sur ce lieu alors qu’y existait un des plus grands bidonvilles de la région parisienne et en s’interrogeant sur ce qu’y faire un « film militant » avait pu signifier. Aussi eut-il recours à un parti pris qui consistait à filmer sans l’intrusion d’une équipe technique lourde – qui aurait risqué de transformer ce qui est filmé en ce qu’il y a à filmer – en gardant ouvert l’œil qui ne regarde pas dans le viseur, ce qui permet de continuer à être en contact avec les personnes. Du coup je ne suis pas sûr qu’on puisse parler ici de production d’histoire locale, peut-être plutôt d’élaboration12, au sens d’une interrogation sur les lieux communs dont l’évidence organise les représentations de la cité et qui n’est pas le fait du seul « créateur », mais qui engage un rapport très particulier avec les gens dont il est question.
Les régimes d’historicité et les habitants
L’histoire de la sociabilité
35Le premier de ces « régimes d’historicité » serait l’histoire des habitants, de leur sociabilité. L’objet en serait, donc, la cité prise comme une communauté faite de proximité et de solidarité (même si « c’est pas toujours tout rose »), de connivences, de codes partagés, ce qui pourrait finalement définir une identité stable structurant un sentiment d’appartenance. On y reconnaît aux habitants la possibilité de participer à l’élaboration de cette histoire et on attribue quelque valeur à leur façon de s’inscrire dans une démarche sur ce thème (« On a respecté leur vocabulaire, on a respecté leur identité. »). Mais précisément, la reconnaissance de ce positionnement est faite au nom de l’existence postulée d’une identité dont les repères sont censés être connus : « cités », « exclusion », « solidarité », etc. Aussi la participation des habitants à la production d’histoire locale tend-elle à être prévisible, que ce soit sur la forme (irrégularité, aspect non fini, pauvreté du vocabulaire), ou sur le fond dont je me demande s’il ne se confond pas, parfois, avec l’image médiatique moyenne de « l’identité de banlieue13 » sous une forme « positivée ».
36Ce positionnement des habitants peut faire entrer ce mode en tension avec ceux qui en portent un autre comme dans l’échange poétique présent dans le recueil Contes et légendes du Franc-Moisin : deux textes s’y répondent, Revendication et Revendication II. Le premier est fruit du travail de l’atelier :
Les jeunes d’aujourd’hui ne demandent pas la lune [...] / Ils ne demandent pas le ciel / pas même la moitié / ils ne demandent pas la Terre / ni la moitié, ni le quart / ils demandent juste un petit morceau de terre / où poser le pied / et se tenir debout / (mais même ça on ne leur donne pas).
37Le second est écrit par le maire et s’inclut dans l’introduction au recueil en forme de réponse :
Je salue ces mots qui libèrent tant de possibles et l’émotion qui sert de trait d’union entre toutes nos personnes. / Les Dionysiens du Franc-Moisin ont choisi d’en faire tout un poème, à beaucoup de voix, car c’est ainsi que l’on donne la vraie mesure des aspirations. / En écho à la vôtre, ma revendication est la suivante pour mettre la marge vraiment au centre de la page (drôle de revendication pour un instituteur...) avec ces millions de gens : / Je voudrais que les jeunes d’aujourd’hui demandent justement la lune / Qu’ils demandent le soleil et les constellations / Qu’ils demandent le ciel, au moins la moitié, / Faute de quoi, il n’est pas d’endroit assez grand / ni même assez petit / Pour poser le pied / Avec l’idée de se tenir debout / sur un coin du monde.
L’histoire du rapport aux institutions
38Le deuxième mode, on l’a vu, paraît plutôt organisé autour de l’histoire du rapport aux institutions (essentiellement la mairie et l’ophlm), ce que, plus tard, un de mes interlocuteurs appellera « l’histoire des luttes ». Ces « luttes », telles qu’elles sont décrites, semblent souvent renvoyer à un mode de gestion paradoxal du quartier, datant d’une époque où les différenciations des champs administratifs, politiques, associatifs au niveau local étaient moins affirmées qu’à présent ; et où la mise en scène des conflits créait du lien entre institutions et habitants à travers le processus de négociation entre lesdites institutions et les personnes censées être les porte-parole légitimes des habitants. Lesquels me semblent saisis en extériorité par cette histoire locale. Ils peuvent être éventuellement modifiés par ce qu’elle apporte, mais en sont-ils acteurs, peuvent-ils la penser, l’écrire dans tous les sens du terme ? Comme dans le régime d’historicité précédent, ce positionnement se double d’une forte prévisibilité des gens dont on fait l’histoire. Mais cette prévisibilité n’existe pas ici sui generis. Elle est le fait des forces obscures qui travaillent la société :
Les habitants ne s’intéressent pas à leur quartier [...] Ils sont tout petits dans leur tête, les gens, tout petits dans leur tête. C’est sûr qu’il y a des gens qui ont tout fait pour qu’ils soient tout petits dans leur tête, ne plus avoir de réflexion, ne plus avoir d’envie de faire des choses, ne plus rêver.
Histoire de l’ordonnancement des choses
39Le troisième mode serait centré autour de l’aménagement du quartier, de l’histoire de l’ordonnancement des lieux, de l’évolution du « confort », des « commodités », de l’inscription dans l’ordre des choses désigné comme standard. Il conduit du bidonville à la cité rénovée. On peut penser qu’on y retrouve une appréhension en extériorité de ceux dont on fait l’histoire. Mais pas à cause d’une impossibilité sociale ou psychologique, simplement parce que ce n’est pas leur rôle : l’histoire locale est plus celle du site que celle des gens. Cependant, si le positionnement est le même que dans la logique précédente, il existe ici contre tous les déterminismes extérieurs à la loi, contre toutes les identités locales, tous les systèmes de légitimité différents de celui de l’action institutionnelle. Toutes les singularités étant admises dans les limites de la souplesse de l’ordre institutionnel.
L’histoire des représentations de l’histoire et de l’espace
40Le dernier régime d’historicité que je pense avoir identifié est celui de l’histoire des représentations de l’histoire et de l’espace. Une histoire au second degré qui interroge les conditions d’existence de tout type d’histoire locale, y compris les siennes. Ce faisant, elle s’intéresse plus particulièrement aux perceptions du temps et de l’espace comme des élaborations. Comme dans la première logique, on considère, ici, que les habitants sont partie prenante de la production de l’histoire locale, mais de manière différente, non obligatoirement comme coproducteurs, mais comme étant en capacité d’avoir des points de vue qui sont autant de références obligées. Celui qui pratique, ici, l’histoire locale est requis de comprendre ce que les habitants ont à dire. Ce n’est pas leur éventuelle participation à la mise en œuvre d’un projet sur l’histoire locale qui fonde leur positionnement dans ce champ, c’est une capacité à l’histoire qui leur est reconnue d’emblée même si elle n’est pas forcément actualisée. C’est ainsi que, même si l’équipe du lycée a organisé le choix du nom de l’établissement selon les principes réguliers, elle a tenu à en faire part lors d’une réunion avec les habitants du quartier, pour expliquer le sens de sa démarche. Ce qui ne veut pas dire que toute production directe soit interdite à ceux dont on fait l’histoire. C’est ainsi que toute une partie de la fin du film de Robert Bozzi est constituée par la « lettre-vidéo » que le nourrisson à la recherche duquel il s’était lancé, devenu adulte, envoie à sa bien-aimée. La place faite à l’existence de singularités est différente de celle de la logique précédente qui tend à la rabattre sur les particularismes. En rendre compte est une nécessité. L’auteur exprime dans le film sa surprise de voir que son jeune héros avait pris des chemins si écartés de ce qui avait constitué les idéaux du premier film avec « les gens des baraques ». Il pensait que ce décalage devait être dit, quand bien même cela allait dans une autre direction que ce qu’il avait pu imaginer... ou souhaiter.
Banlieue et pluralité
41Les « quartiers » dits de « banlieue » sont souvent vus comme des lieux d’unanimité dans le « mal-être » ou au mieux de dualité quant à la « misère du monde » (d’un côté les jeunes voyous violents, de l’autre des adultes apeurés). Je tiens qu’à l’issue de ce travail on peut dire que, en ce qui concerne la « production » de l’histoire locale, il s’agit de lieux de pluralité. « Histoire », « temps », « local », autant de catégories polysémiques, autant d’enjeux de sens et de pouvoir, s’inscrivant dans des ensembles cohérents, des « régimes d’historicité » repérables et différenciés. On peut identifier à propos de ces ensembles discursifs des nœuds, des divergences, des affleurements se rapportant aussi bien aux objets qu’ils désignent comme étant de leur ressort, qu’aux conceptions du « local » qui s’y déploient ou les structures du temps qu’elles proposent.
42Ces conceptions diffèrent dans le mouvement même à travers lequel elles se constituent (exprimer, retrouver, produire, élaborer de l’histoire locale) ainsi que dans ce qui les rapproche le plus directement du champ de la politique contemporaine, leur façon d’appréhender les habitants selon le positionnement et la prévisibilité qu’elles leur confèrent.
43Chaque fois que j’ai cru le pouvoir, tout au long de ce texte, j’ai tenté de restituer les « contextes » et les interactions dans lesquels s’inséraient les exemples d’utilisation des discours organisés par ces régimes d’historicité. Pour autant, je n’ai pas voulu en déduire une combinatoire les reliant simplement à des « placements sociaux », des stratégies de pouvoir, ou même à la structuration de l’action dans laquelle ils étaient engagés. Je ne l’ai pas fait pour la bonne raison que cela ne m’a pas paru possible.
44Il me semble plutôt que ces différents régimes d’historicité participent d’un débat, parfois vif, qui type la situation des acteurs (qu’ils soient hommes politiques, fonctionnaires locaux ou de l’État central ou bien encore de la politique de la ville, militants ou bénévoles, intervenants divers, voire membres d’équipes de recherches en sciences humaines) dans ce lieu où se conjuguent la fin d’anciennes modalités de la politique et les tâtonnement de nouvelles, la mise en place de principes d’action municipaux et de directives émanant de ladite politique de la ville et des tentatives de « modernisation de la fonction publique ». Sur le fond de l’interminable transformation de l’économie qui y focalise la violence sociale dont elle est porteuse, en même temps que la réalisation de projets de développement tout à fait considérables (le Stade de France et son environnement, la requalification économique de la zone industrielle de La Plaine-Saint-Denis, etc.).
45A l’observation, les prises de positions ne sont pas souvent stables. Alliances, conflits et retournements des points de vue s’enchaînent (y compris, on l’a vu, dans la sucession des énoncés d’un même discours), tandis que chacun cherche son chemin, l’approbation des habitants ou d’une fraction significative d’entre eux (à un titre ou à un autre) et... des pourvoyeurs des différents moyens utiles à la réalisation de ses projets.
Notes de bas de page
1 Anthropologue travaillant à l’évaluation des politiques publiques, j’ai souvent été amené à travailler dans le quartier des Francs-Moisins à Saint-Denis, en région parisienne. Tout au long de cette décennie, j’y ai évalué des pans de l’action publique. Pour relater dans cet article les circonstances qui ont entouré la démolition du bâtiment 3 de cette cité, j’ai rassemblé mes souvenirs et procédé à une enquête rétrospective à partir des archives qui m’ont été confiées et des entretiens qu’ont bien voulu m’accorder certains protagonistes des projets concernant « l’histoire locale ». Qu’ils en soient ici remerciés.
2 La cité rassemble 2 196 logements pour un total de 2 475 logements pour le dsq.
3 ccas, cramif, caf, Association de défense des droits des femmes, edf, « service insertion », etc.
4 L’association Santé Bien-Être.
5 Hartog, F. 1995. « Temps et histoire. Comment écrire l’histoire de France », Annales hss, n° 6, novembre-décembre, p. 1219-1236.
6 Mémoire d’une saison suivi de Sans-papiers, Henri Pemot, éd. Tanawa Convergence, 2000.
7 Là ou l’histoire de la toponymie elle-même fait défaut : (du temps du bidonville, le lieu ne s’appelait d’ailleurs pas « Franc-Moisin » de manière stable, mais plutôt « quartier chinois » ou « crève-cœur »).
8 Panofsky, Erwin. 1974. Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, Éd. de Minuit.
9 Pour la clarté de l’exposé, il faut préciser que cette série d’articles concerne la toponymie ancienne du quartier et pas les nouveaux noms donnés aux équipements récemment construits ou aux allées, fraîchement baptisées.
10 Pierre Rosanvallon. 1990. L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil.
11 Quand bien même une large partie des élèves proviennent du quartier.
12 Terme qu’il ne faut employer qu’« avec circonspection », si l’on en croit le « Lalande » (Vocabulaire technique et critique de la philosophie), et qui renvoie à un processus de transformation de « la matière de la connaissance » intégrant « l’association des idées », « l’imagination », « l’attention », « la conception », « le jugement », et « le raisonnement ». « On y joint même quelquefois la mémoire, en tant qu’elle sélectionne et modifie les souvenirs. »
13 Telle qu’elle a pu être portée à l’écran, par exemple, dans La Haine, film à propos duquel une jeune fille de la cité déclarait, non sans humour, que « c’était comme l’inspecteur Navarro » (série policière, télévisuelle et volontiers banlieusarde, centrée autour de la personnalité débonnaire du commissaire du même nom).
Auteur
Luc Faraldi, chercheur contractuel, Paris
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