Échos rescapés
Redocumenter la musique vietnamienne d'avant 1975 : pistes sonores historiques et mémorielles
p. 137-172
Résumés
Après la chute contestée de Sài Gòn en 1975, de nombreux vétérans sud-vietnamiens ont vu leur existence et leurs contributions lors de la guerre du Việt Nam effacées. Après 45 ans de délocalisations diasporiques, que je qualifie d’exil involontaire et forcé et de dispersion géographique d’un groupe provoqué par des bouleversements politiques, l’histoire, les récits et l’héritage du Sud Việt Nam et de la République du Việt Nam furent largement oubliés dans les paysages politique et culturel actuels du Việt Nam et des États-Unis. À partir d’une relecture des textes et d’une réécoute de la musique vietnamienne d’avant 1975 centrée sur la diaspora, cet article examine le corpus musical de nhạc vàng, ou « musique jaune » d’avant 1975, en particulier des morceaux centrés sur la guerre et les người lính (« soldats »). Je propose, à travers l’examen de ses trajectoires historiques et spatiales, que la musique vietnamienne peut être entendue et traitée comme une source historique, dont une grande partie a été négligée en Occident, et qui documente nombre d’expériences, récits et périls de vétérans sud-vietnamiens qui ont été écartés ou ignorés. Comme je le soutiens, les sons de la diaspora dont la musique vietnamienne fait écho ont un rôle crucial à jouer dans la compréhension de l’histoire et du danger toujours présent pour les vétérans sud-vietnamiens dans le paysage géopolitique actuel. L’analyse montre que la musique vietnamienne constitue, dans ce contexte, un moyen pour la diaspora de se remémorer les oubliés, les déshérités et ceux réduits au silence. La musique vietnamienne évolue entre musique moderne et sonorités diasporiques de mémoires de guerre et de deuil, soulignant leur persistance après la guerre. Dans le cadre de ce travail, j’ai également recueilli le témoignage d’un ancien combattant sud-vietnamien. Pour lui, la musique est un mode de survie, qui incarne la nostalgie et les souvenirs de la guerre du Việt Nam.
Following the contested fall of Sài Gòn in 1975, several South Vietnamese veterans found their existence and contributions during the Việt Nam War erased. Even after 45 years of diasporic displacement, or what I refer to as the involuntary and forceful exilic removal and geographical scattering of a group due to political turnover and turmoil, the histories, stories, and legacies of South Việt Nam and the Republic of Việt Nam have largely been forgotten in the present and political landscapes of both postwar Việt Nam and the United States. Based on what I describe as a diasporic re-reading of the lyrics and re-listening of selective pre-1975 Vietnamese music, this article explores the enduring corpus of musical sounds in nhạc vàng, or pre-1975 yellow music, specifically songs that focus on war and người lính (“soldiers”). By examining its historical and spatial trajectories, I argue that Vietnamese music can be heard and described as historical sources, much of which has been overlooked in the West, that document the many erased and discounted experiences, stories, and peril of South Vietnamese veterans. As I argue, diasporic sounds which echoed in Vietnamese music are crucial to understanding the history and continued peril of South Vietnamese veterans in the current geopolitical landscape. The following analysis shows that Vietnamese music contextually becomes a diasporic source for re-membering the disremembered, the forgotten, and the silenced. Vietnamese music shifts from modern music to diasporic sounds of war remembrance and loss that underscore their continued postwar plight. In this essay, I also interviewed a South Vietnamese veteran. For him, music becomes a mode of survival, representing the unfading nostalgia and memories of the Việt Nam War.
Entrées d’index
Mots-clés : habitat, sons de la diaspora, déplacement, musique vietnamienne d’avant 1975, vétérans du Sud-Vietnam, guerre du Vietnam, musique
Keywords : home, diasporic sounds, displacement, pre-1975 Vietnamese music, South Vietnamese veterans, Việt Nam War, Vietnamese diasporic music
Remerciements
Je tiens à remercier mon frère, Khanh Quoc Nguyen, pour la traduction de certaines des chansons citées dans cet article. La traduction est un processus difficile car certains mots et le contexte ont dû être quelque peu altérés du fait de significations translittérales ambiguës. Le vietnamien est une langue poétique mais ambiguë. La langue vietnamienne parlée « ressemble beaucoup à une mélodie avec ses nombreuses syllabes intonées », et tout ce qui est récité verbalement ou énoncé de façon mélodique « peut facilement générer une chanson » (Nguyen et Campbell 1990 : 27). Ceci rend les traductions encore plus difficiles car mon frère et moi-même connaissons mal les références littéraires et historiques vietnamiennes que les compositeurs incluent souvent dans leurs chansons. Le vietnamien étant une langue analytique, elle ne comporte pas de temps distincts. L’auditeur ou le lecteur discerne le temps de la phrase à travers le contexte.
Je tiens également à remercier mon amie et collègue, Marlene Flores, qui m’a fait don d’une collection de CD vietnamiens d’avant 1975 qu’elle a achetés lors de son séjour à Houston, au Texas (voir la fig. 3). Certaines des pochettes ont été reproduites dans cet essai.
Extrait
La musique a le pouvoir de raviver les souvenirs, parfois si intensément qu’ils nous font mal.
Murakami (2017)La version plus riche et plus détaillée de « Bang Bang » de Lana superpose l’anglais, le français et le vietnamien. La version française se termine par « Bang bang, je ne l’oublierai pas », vers qui trouve un écho dans la version vietnamienne de Pham Duy, intitulée « Nous n’oublierons jamais ». Au panthéon des classiques de la musique pop de Saigon, cette interprétation tricolore, l’une des plus mémorables, mêle magistralement l’amour et la violence pour raconter l’histoire énigmatique de deux amoureux qui, bien qu’ils se connaissent depuis leur enfance, ou précisément pour cela, s’abattent l’un l’autre. Bang bang, nos souvenirs résonnent dans nos têtes comme un coup de feu, car nous ne pouvons pas oublier l’amour, nous ne pouvons pas oublier la guerre, nos amants, nos ennemis, notre foyer, et nous ne pouvons pas oublier Saigon.
Nguyen (2015)
Ouverture. Ricochets de la gu
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