1 Les informations pour ce chapitre ont pu être approfondies durant des séjours de terrain réalisés en 2016 et en 2018 avec des financements de l’Australian Research Council, dans le cadre du projet « Music, Mobile Phones and Community Justice in Melanesia » porté par Denis Crowdy (Macquarie University, Sydney) et du CREDO (Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie, université d'Aix-Marseille, CNRS, EHESS). Nous tenons également à remercier Maëlle Calandra, Laurent Dousset et Marie Durand pour leurs relectures et commentaires de fond, très précieux, ainsi que les collègues du CREDO qui ont fait des remarques sur une première version de ce travail présentée lors d’un séminaire du laboratoire. Nos remerciements sincères vont également à Manuel David pour les corrections stylistiques qu’il a pu y apporter.
2 Selon le gouvernement du Vanuatu, 188 000 personnes (60 % des habitants du pays) auraient été touchées par les dégâts du cyclone et 11 personnes auraient péri (Government of Vanuatu 2015 : 4).
3 Néanmoins, nous ne rentrerons pas ici dans des débats concernant des tensions ou des enjeux de pouvoir éventuels entre les acteurs internes, ceci nous éloignerait de l’argument général de ce chapitre.
4 Wan Voes Kivhan : en bislama – créole à base lexicale anglaise, langue nationale véhiculaire –, « Une aide à l’unisson » ou littéralement « Une aide à une voix ». Page officielle de l’association : https://www.facebook.com/VanuatuKivhanFestival/ (consulté le 28 avril 2020).
5 Ce chapitre n’aurait pas pu voir le jour sans les informations précieuses apportées par Jean-Pierre Sam, musicien ni-Vanuatu, membre des comités organisateurs de plusieurs festivals dont le Vanuatu Wan Voes Kivhan. Monika Stern, ethnomusicologue, travaille sur cet archipel depuis 1998 mais n’était pas présente sur le terrain au moment même du cyclone et du Kivhan Festival de mai 2015 ; c’est grâce aux échanges avec Jean-Pierre Sam et à l’organisation par son biais des entretiens a posteriori (lors des terrains de 2016 et 2018) que les données ont été collectées.
6 Si cette écriture collaborative permet d’enrichir le texte en incluant une voix locale, elle rend en revanche difficile, voire même délicat, le fait de rentrer dans une analyse des tensions ou enjeux de pouvoir entre différents acteurs impliqués dans l’organisation de ce festival et des mondes musicaux de la ville. Nous espérons cependant que la richesse de cette voix interne compense cette lacune.
7 Chouliaraki (2010 : 15-16) explique que les procédés habituels de la communication ayant pour but d’éveiller les émotions par contemplation du malheur de l’autre (« shock effect ») ont été transformés au profit de la contemplation de soi (« self-reflexivity ») afin de conduire le spectateur à son propre jugement sur l’injustice et les inégalités dans le monde.
8 Nous entendons ici l’« identité musicale urbaine » comme un processus continu, multiple, en cours dans les deux centres urbains (Port-Vila et Luganville) depuis l’avènement des musiques amplifiées (années 1980), qui a pris une certaine indépendance par rapport aux identifications musicales plus locales (kastom, voir note suivante) enracinées dans les régions ou villages de différentes îles de l’archipel.
9 En bislama, ce mot dérivé de l’anglais custom a une signification complexe qui a donné lieu à de nombreux débats dans la recherche en Mélanésie, notamment sur le renouveau ou l’invention de la tradition (Keesing et Tonkinson 1982 ; Jolly et Thomas 1992 ; Sahlins 1993 ; Wittersheim 1999, etc.), dans lesquels nous n’entrerons pas ici. Cependant, pour une meilleure compréhension de ce chapitre, il est important de rappeler que la kastom se réfère aux pratiques locales qui permettent aux habitants de se distinguer des autres (Bolton 2003 ; Jolly 1992 ; Wittersheim 2006b, etc.). Ce concept a joué un rôle très important dans les revendications indépendantistes des années 1970 et dans la construction d’une identité nationale.
10 Le « socialisme mélanésien » a été créé en réponse aux puissances coloniales par le mouvement indépendantiste du Vanuatu avec à sa tête le leader Walter Lini. Inspiré des modèles africains, il mettait l’accent sur les coutumes mélanésiennes, l’égalité et la chrétienté. Ce système s’est très vite heurté à des difficultés donnant lieu à de fortes critiques lui reprochant de valoriser « des nouvelles élites mélanésiennes » (Wittersheim 2006a : 64). Pour des études critiques de cette notion, voir notamment Howard (1983) et Tabani (2000.
11 Le Vanuatu détient le record mondial de la densité linguistique avec plus de cent langues océaniennes (en plus du bislama, du français et de l’anglais, qui sont les trois langues officielles) pour une population de moins de 300 000 habitants.
12 Même à l’intérieur d’un groupe linguistique, des restrictions pour interpréter certains chants, danses ou rythmes existent (voir Leach et Stern 2020).
13 Ces musiques dites « pop », bien qu’écoutées partout, ne sont que rarement pratiquées en dehors des deux villes du pays (Port-Vila et Luganville) en raison du manque de matériel (pas de réseau électrique, absence d’instruments, de lieux, etc.).
14 C’est seulement en 2010 qu’est créé un autre festival pérenne, Reggae Faea, à l’initiative des plus jeunes membres de l’organisation « Family Health », ayant pour but de sensibiliser les communautés sur la santé, la famille et les maladies sexuellement transmissibles ; d’autres festivals de plus en plus nombreux sont créés après cette date.
15 Zion vient de l’anglais « Sion », il s’agit d’une référence biblique au mont Sion de Jérusalem.
16 L’édition du Fest’Napuan de 2019 a cependant été très différente des autres années : les parties Fest’Nalenga et Zion Fest n’ont pas été assurées et le festival durait quatre jours, du mercredi au samedi. D’après les témoignages, le genre string band aurait connu ces dernières années un certain déclin avec moins de groupes actifs ; quant aux responsables du Zion Fest, ils ont organisé un autre festival quelques mois auparavant, se désolidarisant ainsi du comité du Fest’Napuan.
17 Le gouvernement participe depuis quelques années au financement du Fest’Napuan à hauteur d’environ 200 000 VT (1 500 €).
18 Le Vanuatu est également considéré par plusieurs de ces mêmes organisations comme l’un des pays les plus pauvres du monde, selon les critères de développement occidentaux. Cette classification est souvent critiquée par les habitants du Vanuatu. Son élection au titre de pays le plus heureux du monde à deux reprises contredit d’ailleurs cela : en 2006, par une ONG londonienne ayant établi un « Happy Planet Index » (avec un indice mondial de bien-être humain et d’impact environnemental) et en 2010 par le guide Lonely Planet qui élit le Vanuatu « Happiest Country on Earth ».
19 Ce « grand partage » correspond également, comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, à celui opéré dans les actions musicales humanitaires où les organisateurs et artistes viennent des pays riches et collectent des fonds pour aider les habitants-victimes des pays qualifiés de pauvres, souvent lointains.
20 Jean-Pierre Olivier de Sardan montre, dans son article sur « la famine » au Niger, que les actions d’une aide humanitaire d’urgence reposent sur les mêmes principes, voire se confondent avec l’aide au développement (Olivier de Sardan 2011)
21 Toutes les traductions des entretiens ainsi que des paroles des chansons en bislama cités dans ce chapitre ont été réalisées par Monika Stern.
22 https://www.youtube.com/watch ?v =802IdCez8Cs (consulté le 28 avril 2020).
23 Par exemple : Do they know it’s Christmas (1984), We are the World (1985), Pour toi Arménie (1989), ou en France la chanson Les restos du cœur (1986) ; ce dernier exemple promeut l’aide adressée aux personnes défavorisées du même pays que les artistes français participant à la réalisation du clip, ici la distance entre chanteurs et « victimes » est socio-économique.
24 En anglais dans l’entretien, qui a été mené en bislama. En effet, comme l’a souligné Leslie Vandeputte-Tavo (2014 : 330), en milieu urbain, une « anglicisation » du bislama reflète une certaine « urbanité », « occidentalisation », « sophistication ».
25 S’inspirant du concept de Bourdieu, il s’agit ici d’un savoir-faire détenu et des réseaux créés par ces personnes à travers, essentiellement, leurs réseaux musiciens, mais également par leurs liens familiaux et leur statut professionnel ou social détenu. Les divisions en « classes sociales » au sens plus exact sont encore assez fluctuantes au Vanuatu, même si nous pouvons commencer à parler d’une certaine classe moyenne locale émergente due aux inégalités de l’éducation scolaire et au travail rémunéré.
26 https://www.populationdata.net/pays/vanuatu/ (consulté le 29 avril 2020).
27 Pour plus d’informations concernant l’utilisation du numérique dans la musique au Vanuatu, voir Stern (2014).
28 Selon Jourdan (1994 : 183) : « Wantok, de l’anglais one talk, est utilisé pour faire référence à quelqu’un qui partage la même langue maternelle que soi, et qui est donc originaire du même groupe ethnique. Aux Salomon, les deux vont de pair. C’est un concept qui n’est pertinent qu’en dehors du village et de la région d’origine, et qui prend sa pleine signification dans des milieux sociaux multilingues et multiethniques comme les villes, ou encore les plantations. »
29 Sauf celui à titre plus personnel de Ralph Regenvanu (voir la partie sur le Fest’Napuan de ce chapitre).
30 En réfutant l’idée de la pauvreté du Vanuatu, de nombreux témoignages évoquent une présupposée abondance du pays par le fait notamment que chaque habitant aurait une terre qu’il hérite de génération en génération de ses ancêtres, et qu’il peut toujours exploiter, restant relativement indépendant du système monétaire officiel. C’est un discours récurrent dans plusieurs de mes entretiens (Stern 2017 : 120), mais qui est, depuis quelques années, remis en question par quelques jeunes des deuxième et troisième générations nés en ville (Kraemer 2013). Benson confirme ici explicitement ce « nouveau » phénomène selon lequel avoir une terre n’est pas finalement si évident pour tous les habitants de la capitale.
31 Par exemple, pour la valorisation de l’architecture « traditionnelle » comme réponse au cyclone, voir Christie (2017).