La dialectique des Sirènes, entre l’érotisme et la panique (après le 13 novembre)
p. 285-303
Texte intégral
11. Dans La dialectique de la raison il est question de l’histoire d’Ulysse et des Sirènes deux fois dans la première partie, « Le concept d’“Aufklärung” » : d’abord dans l’introduction, ensuite dans la « Digression I : Ulysse, mythe et raison1 ». Dans le reste du livre, les auteurs n’y reviennent pas. Les Sirènes, toutefois, font une dernière apparition, sans lien apparent avec les précédentes, dans la section centrale consacrée à l’industrie culturelle. Commençons par cette dernière, qui concentre la dimension « anesthétique » du mythe2. Le passage concerne non pas Ulysse mais la radio, qu’Adorno et Horkheimer analysent comme « la voix de la nation » :
« La cigarette Chesterfield n’est que la cigarette de la nation, mais la radio est la voix de la nation. [...] Aux États-Unis elle ne perçoit aucune redevance du public et prend ainsi l’aspect trompeur d’une autorité désintéressée et impartiale comme faite sur mesure pour le fascisme. La radio y devient la voix universelle du Führer ; elle surgit des haut-parleurs des rues et devient le hurlement des sirènes annonciatrices de panique par rapport auxquelles la propagande moderne ne sera plus guère reconnaissable. Les nazis eux-mêmes savaient bien que la radio achevait de donner forme à leur cause, comme le fit la presse d’imprimerie pour la Réforme. Le charisme métaphysique du Führer inventé par la sociologie de la religion s’est révélé n’être finalement que l’omniprésence de ses discours radiodiffusés, parodie diabolique de l’omniprésence de l’esprit divin. Ce fait énorme : le discours pénétrant partout, suffit pour remplacer un contenu, tout comme la transmission du concert dirigé par Toscanini offerte aux auditeurs tient lieu de ce qu’est son contenu, la symphonie. » (p. 235)
2 A priori les sirènes « annonciatrices de panique » dont il est question dans ce passage n’ont rien à voir avec les créatures mythologiques de Odyssée, ces femmes-oiseaux au chant aussi fascinant que létal, qu’Ulysse trompe en bouchant les oreilles de ses rameurs après s’être fait attacher au mât de son navire pour jouir de l’écoute en toute sécurité. La traductrice française met ici une majuscule, rappelant au lecteur les personnages de l’épopée, mais c’est une interprétation que l’original ne semble pas justifier, puisqu’on allemand tous les substantifs en portent une3. Adorno et Horkheimer évoquent les sirènes des alertes antiaériennes du temps de la Deuxième Guerre mondiale, ces puissants artefacts qui à l’approche des bombardiers ordonnaient à la population de descendre dans les abris, selon un maillage territorial qui n’avait d’égal que celui de la radio, et dont le motif formel ressemblait non pas au chant des femmes mais au meuglement des taureaux ou, mieux encore, à des chiens et des loups hurlant à la lune ou à la mort : une montée par glissando, une longue note aiguë, une descente par glissando.
3Et pourtant, le mot est le même, carrefour étymologique d’une série envoûtante où la sirène française, qui rassemble les femmes-oiseaux de la mythologie grecque et les femmes-poissons des mythologies nordiques, se décline du côté de la mer en l’allemand Seejungfrau et l’anglais mermaid, du côté de l’air en ses répliques allemande Siren et anglaise siren, pour mieux se rejoindre dans les machines qui alertent les hommes dans l’air de la terre et de la mer, sirène, Sirene, siren. C’est l’inventeur de l’ancêtre des sirènes électriques antiaériennes, le polytechnicien Charles Caignard de la Tour, qui semble avoir inauguré ce lien entre la technique et la mythologie. Ainsi le suggère le jury des « produits de l’industrie française » qui en 1819 lui décerna une médaille d’argent pour trois « machines hydrauliques » dont « un instrument dit la Syrène [sic], au moyen duquel on peut compter le nombre de vibrations qui correspond à un son déterminé4 ». L’explication vibrations, ou la Syrène de M. le baron Caignard de Latour » :
« Cet instrument est composé d’un tube qui traverse un plateau rond auquel il est fixé de manière que l’air soufflé dans ce tube fait tourner un autre plateau concentrique au premier, percé d’un certain nombre de trous équidistants. [...] Cet instrument produit du son lors même que c’est l’eau qui y remplace l’air qui le met en mouvement. C’est pour cette raison que l’auteur l’a nommé Syrène5. »
4Le nom de cet instrument pour mesurer les sons dérive ainsi de sa capacité à fonctionner autant dans l’air que dans l’eau, évoquant par l’histoire de son nom La Petite Sirène, le conte d’Andersen paru en danois en 18376. Des femmes-poissons romantiques différentes des femmes-oiseaux d’Homère, qui toutefois, en poussant les navigateurs à faire naufrage, partagent avec elles la mer comme espace dramaturgique des passions humaines. D’ailleurs, au fil du siècle l’invention de Caignard de Latour migre de sa fonction de « tonomètre » vers un système d’alerte pour les marins, revenant ainsi, comme en 1888 chez Maupassant, à l’océan de la mythologie :
« En approchant du port il entendit vers la pleine mer une plainte lamentable et sinistre, pareille au meuglement d’un taureau, mais plus longue et plus puissante. C’était le cri d’une sirène, le cri des navires perdus dans la brume.
Un frisson remua sa chair, crispa son cœur, tant il avait retenti dans son âme et dans ses nerfs, ce cri de détresse, qu’il croyait avoir jeté lui-même. Une autre voix semblable gémit à son tour, un peu plus loin ; puis tout près, la sirène du port, leur répondant, poussa une clameur déchirante7. »
5Dans la brume tous les navires sont aveugles, contrairement à la nuit où les phares les rendent voyants, et la terre invisible toute proche est pour eux un danger mortel. D’où leur détresse, qui est celle des humains qu’ils transportent, et aussi celle de ceux qui les entendent depuis la côte. Et pourtant, le dialogue de chaque navire avec le port, le chœur des sirènes dans la brume, tout ce maillage de signaux sonores est la preuve sensible qu’au quotidien le pire n’est pas certain. Du temps de Maupassant, ce système de solidarités techniques était efficace pour éviter les naufrages, tout comme pendant la Deuxième Guerre mondiale les sirènes antiaériennes ont sauvé beaucoup de vies. D’où vient alors l’angoisse, le déchirement qui saisit l’auditeur, même en sécurité ? Seulement de l’impact physique de ces spectres puissants sur les nerfs ? Des souvenirs d’autres urgences ? Ou de ce que, contrairement aux redoutables sirènes d’Homère, la petite sirène amoureuse du prince est une créature déchirée par le désir, condamnée par les passions de son âme ? Ou encore de ce que l’écoute remue la chair et crispe le cœur d’un auditeur qui, comme le personnage de Maupassant, est lui-même plongé dans la brume métaphysique de l’existence ? Ou enfin de ce que souvent le danger et la peur ne deviennent sensibles pour d’autres humains que grâce au son qui tente de les conjurer, depuis les cris de détresse des victimes jusqu’à la sirène des ambulances ? Au point d’en être le signe, puisque même en absence de danger la peur subsiste à cause de « ce fait énorme : le discours pénétrant partout, [qui] suffit pour remplacer un contenu ».
6Adorno et Horkheimer disent que les sirènes étaient « annonciatrices de panique », alors que pendant leur exil aux États-Unis ils n’ont guère pu les entendre pendant un vrai bombardement, seulement pendant ces exercices de « défense civile » devenus routine après Pearl Harbor8. Peut-être avaient-ils aussi en tête des souvenirs d’avant-guerre en Allemagne, d’où leur association des sirènes et de la radio avec la voix du Führer. En tout cas la panique qui pointe dans leur texte est moins celle qu’on éprouve face à une attaque aérienne que celle qu’inspire l’État totalitaire, et par extension l’État dans sa fonction totalisante même en régime démocratique, c’est-à-dire l’État gardien du territoire et de la population, l’État détenteur du « monopole de la violence symbolique9 », l’État de l’état d’urgence. Et la peur est garantie quel que soit le pays, explique Adorno dans un article écrit peu après son arrivée à New York, car la « structure technique » de la radio fait qu’« une voix publique s’adresse en privé dans un espace privé à un particulier et que ce dernier est obligé de s’y soumettre10 ». On sait que La dialectique de la raison regorge d’incitations à penser que l’Allemagne nazie et les États-Unis de Roosevelt ne furent pas essentiellement différents. Au risque de frôler l’ingratitude, comme lorsque Horkheimer, dans une lettre à Adorno écrite le 11 janvier 1945 alors que des centaines de G. I’s périssent chaque jour en combattant la Wehrmacht, pousse la critique de la rationalisation de la société américaine jusqu’à dire :
« Ce qu’ils adoreraient faire aujourd’hui, c’est priver de leurs noms tous les arbres, fleuves, villes et hommes et leur attribuer des numéros en échange. [...] La possibilité de déterminer quelque chose atteint son apogée grâce aux mathématiques.
Mais en même temps, chaque homme est néanmoins appelé par son prénom, et tous les prénoms se ressemblent presque comme deux gouttes d’eau, comme Bob ressemble à Jim et Peggy à Emmy. Pour ainsi dire, tout le monde n’est plus appelé que par le même nom : GI Joe. Les hommes et les choses deviennent indiscernables les uns des autres et indéterminables11. »
7L’expérience historique d’Adorno et Horkheimer, « l’hippopotame » et « le mammouth » selon les sobriquets dont ils s’affublent alors mutuellement, explique peut-être ce vertige des équivalences, la stupéfiante équation qui tresse dans une même colère les sirènes de la défense civile, la radio, la parole de Hitler, la propagande, la publicité, enfin l’art de Toscanini. Toute cette « parodie diabolique de l’omniprésence de l’esprit divin » est la forme moderne de l’imbrication du technique et du politique, un simulacre dont la série se prolonge jusqu’à l’art lui-même, symbolisé par la symphonie radiophonique. Un concert à la radio, fût-il un concert de Toscanini, n’est que parodie diabolique de ce qui se passe dans la salle de concert. Or c’est en ce lieu que nous retrouvons Ulysse sur son navire, jouissant de l’écoute du chant des Sirènes comme dans un fauteuil : « Auditeur passif, le ligoté écoute un concert comme le feront plus tard les auditeurs dans la salle de concert, et son ardente imploration s’évanouit déjà comme les applaudissements » (p. 65). Comme l’a montré Rebecca Comay, dans La dialectique de la raison les sirènes mythiques qui conduisent les marins à leur perte et les « nouvelles sirènes » annonciatrices de panique sont bien, au bout du compte, reliées par une même logique, celle du son qui « pénètre tout orifice, envahit tout espace12 ».
82. Que le chant des Sirènes procure un plaisir érotique à l’homme qui l’écoute est dit dès la description qu’Homère met dans la bouche de la déesse Circé : « D’abord, tu croiseras les Sirènes qui ensorcellent tous les hommes, quiconque arrive en leurs parages. L’imprudent qui s’approche et prête l’oreille à la voix de ces sirènes, son épouse et ses enfants ne pourront l’entourer ni fêter son retour chez lui. Car les sirènes l’ensorcellent d’un chant clair, assises dans un pré, et l’on voit s’entasser près d’elles les os des corps décomposés dont les chairs se réduisent13 ». C’est également la déesse Circé qui dit à Ulysse la manière d’éviter le danger, tout en préservant sa liberté d’entendre ce « chant clair » : « Passe devant sans t’arrêter ; bouche l’oreille de tes gens d’une cire de miel pétrie, afin qu’aucun d’entre eux n’entende ; écoute, toi, si tu le veux, mais que dans le navire ils te lient les pieds et les mains debout sur l’emplanture, en t’y attachant avec des cordes, et tu pourras goûter la joie d’entendre les Sirènes. Mais, si tu les enjoins, les presses de te détacher, qu’ils resserrent alors l’emprise de tes liens14 ! » C’est pourquoi le mythe des Sirènes est une invitation infinie à varier le thème du lien entre musique et plaisir, noué par l’érotisme au risque de la mort.
9L’interprétation d’Adorno et Horkheimer dans La dialectique de la raison n’échappe pas à cela, bien que leur visée principale soit la relation « entre le mythe, la domination et le travail » (p. 62). Les auteurs voient une préfiguration du capitalisme dans la division du travail entre Ulysse, « le propriétaire foncier qui fait travailler les autres pour lui », et ses camarades, qui « doivent regarder droit devant eux et ignorer ce qui se trouve à leur côté » (p. 64). Et l’envie d’écouter les Sirènes est d’autant plus intense que la joie dont parle Homère est liée à la promesse d’une connaissance, plus précisément une connaissance historique, car les Sirènes prétendent savoir « tout ce qu’en la plaine de Troie les Grecs et les Troyens ont souffert par ordre des dieux », « tout ce qui advient sur la terre féconde15 ». Cet érotisme de l’histoire promise est au cœur du pouvoir de leur chant, qui éveille chez Ulysse, disent les auteurs, « toute la violence de son désir ». Et c’est là un pouvoir révolutionnaire, au plan social comme à celui du genre, qui menace Ulysse lui-même dans son statut de mâle dominant, voire dans son identité : « Tandis qu’elles évoquent le passé récent, le plaisir irrésistible que promet leur chant menace l’ordre patriarcal, qui ne restitue la vie de chacun qu’en échange de sa pleine mesure de temps » (p. 63). C’est pourquoi le triomphe d’Ulysse grâce à la ruse de Circé entraîne de sa part le renoncement à jouir pleinement de ce dont ses oreilles grandes ouvertes lui ont révélé l’intensité pendant qu’il était attaché au mât : « Il tend l’oreille au chant du plaisir et lui fait échec comme il fait échec à la mort » (p. 99).
10La jouissance d’Ulysse se donne donc sur un mode contrarié, et le récit d’Homère est lui-même pris dans un enchevêtrement de temps qui empêche la satisfaction du désir du héros. Annoncé une première fois par Circé, le désir semble escamoté par Ulysse lorsqu’il donne ses ordres à ses camarades, y compris sous la forme paradoxale d’une injonction à lui désobéir, en forçant leur assentiment par la seule peur de la mort : « Circé nous donne pour premier conseil de fuir des Sirènes étranges l’herbe en fleur et les chansons ; moi seul puis écouter leur voix ; mais liez-moi par des liens douloureux, que je ne puisse pas bouger, debout sur l’emplanture, attachez-y moi par des cordes, et si je vous enjoins, vous presse de me détacher, il faudra redoubler l’emprise de mes liens16 ! » Le moment venu, en revanche, le plaisir semble bien être au rendez-vous dans le récit d’Ulysse narrateur : « Elles disaient, lançant leurs belles voix, et dans mon cœur, je brûlais d’écouter, priai mes gens d’ôter mes liens d’un signe des sourcils : ils se courbèrent sur leurs rames. Aussitôt, Euryloque et Périmède se levèrent, multipliant mes liens et leur donnant un nouveau tour17 ». Cependant, le chant des Sirènes entendu depuis la mer n’est jamais qu’invitation à débarquer pour jouir en leur compagnie sur la prairie, et ce moment-là n’arrive jamais.
11Adorno et Horkheimer prennent acte de cette impossible jouissance d’Ulysse, que Rebecca Comay décline pour sa part sur un mode « sadomasochiste », en observant que le héros, outrepassant les instructions de Circé, demande à ses hommes qu’ils lui imposent des liens « douloureux », « until it hurts », dit-elle en traduisant librement en desmô argaleô18. « Si la raison ne peut s’affirmer elle-même que comme domination sur une nature étrangère, cela est à son tour inséparable d’une autodomination qui à son extrémité devient automutilation. La raison devient déraison lorsqu’on la pousse à sa conclusion : la tentative de se libérer soi-même du lien [bondage] extérieur avec l’Autre déclenche un rituel infini de jeux de bondage sadomasochistes où le sujet s’est lui-même lié serré19. » Dans la lecture de Comay, ces jeux ne concernent pas que le seul Ulysse attaché passivement au mât pour laisser un chant des Sirènes « doux comme le miel » pénétrer ses oreilles, ils sont aussi ceux du héros remplissant de miel les oreilles de ses camarades pour les rendre passifs et sourds après les avoir arraisonnés par la peur, bref une série complexe de déstabilisations des identités sexuelles mise en branle par Circé et les Sirènes, ces femmes prodigieusement phalliques. Et le résultat « à son extrémité », avance l’auteur, est cette « automutilation » qui fait écho à la « vie mutilée » des Minima moralia d’Adorno20.
12Le théâtre de cette tragédie de l’écoute est l’espace public, autant comme espace partagé qu’au sens politique du terme. Selon Michael Bull, « pendant qu’Ulysse écoute, attaché en sécurité au mât de son navire, le chant des Sirènes transforme la distance entre le navire et les rochers d’où vient le chant. Celui-ci le colonise, et pourtant il se sert de cette expérience pour satisfaire son propre désir de plaisir et de connaissance ». Ainsi, poursuit-il, « ce passage d’Homère est significatif notamment parce qu’il est la première description de la privatisation de l’expérience par le biais du son, devenue désormais courante dans la culture de l’iPod21 ». Cette privatisation autoritaire de l’espace public, qui impose la surdité aux autres sous prétexte de les protéger, renforce Ulysse comme sujet et comme chef, celui qui acte l’état d’urgence dans le temps dramatique de la traversée au large du rocher : « Les Sirènes forment une présence esthétique dans sa biographie, elles représentent notamment l’attrait de l’“exotique” et de l’interdit tel qu’il s’incarne dans le son rencontré pendant ses voyages et maîtrisé par son intellect22 ».
13La jouissance d’Ulysse, aussi controuvée soit-elle, est l’une des rares occurrences du plaisir dans La dialectique de la raison et dans l’ensemble de l’œuvre d’Adorno. Dans sa « Petite apologie de l’expérience esthétique », Hans Robert Jauss remarque que « c’est dans les théories esthétiques posthumes de Theodor W. Adorno que l’on trouve la critique la plus virulente à l’encontre de toute expérience artistique liée à la jouissance. Celui qui cherche et trouve une jouissance dans l’œuvre d’art est, dit-il, un philistin. “Il se trahit quand il parle, par exemple, du plaisir de l’oreille (Ohrenschmaus).” Qui n’est pas capable de purger de toute jouissance le goût qu’il a pour l’art situe celui-ci tout juste dans le voisinage des productions de la gastronomie et de la pornographie23 ». C’est dans cette perspective qu’Adorno et Horkheimer analysent ce qu’il advient du chant des Sirènes et de son pouvoir lorsque de l’époque des mythes dont parle l’Odyssée l’on bascule dans le règne de l’Auflklärung, qui est celui de la période moderne, et dont l’écriture de l’épopée constitue précisément le seuil : une scission de l’art et du pouvoir qui se double d’une scission de l’art et du plaisir.
14 « Tant que l’art renoncera à avoir valeur de connaissance, s’isolant ainsi de la pratique, la pratique sociale le tolérera au même titre que le plaisir », disent Adorno et Horkheimer, dans une phrase qui condense la double séparation entre art et savoir d’une part, art et plaisir de l’autre (p. 63). Cependant, comme l’a remarqué Albrecht Wellmer, dans La dialectique de la raison cette scission reste énigmatique24. La lecture la plus immédiate fait du chant des Sirènes la figure mythique d’un art investi d’un pouvoir indistinctement érotique, esthétique et cognitif, qui en entrant dans le temps de l’Histoire se serait dégradé, jusqu’à se perdre dans l’industrie culturelle. Et c’est le geste d’Ulysse qui, précisément, met en mouvement le déclin des pouvoirs de l’art : « Les liens au moyen desquels il s’est irrévocablement enchaîné à la pratique – écrivent Adorno et Horkheimer – tiennent en même temps les Sirènes à l’écart de la pratique : leur charme est neutralisé et devient simple objet de la contemplation, devient art » (p. 65). On a vu qu’en faisant du chant des Sirènes un objet de contemplation Ulysse a la vie sauve mais s’interdit de connaître la jouissance suprême, celle que lui procurerait non pas la chanson entendue depuis le large, qui ne fait jamais qu’éveiller son désir, mais l’expérience qu’il pourrait faire couché avec les Sirènes sur la prairie – ce lieu de perdition que conjure dans la vie courante « [l]’ivresse narcotique, qui fait expier par un sommeil semblable à la mort l’euphorie qui suspend le moi » (p. 64). Mais de ce que serait cette deuxième expérience cumulant l’extase érotique et la connaissance de l’Histoire jusqu’à ce que la mort du désir s’ensuive, de ce que serait peut-être ce deuxième chant, en tout cas cette deuxième parole des Sirènes, Ulysse n’en saura rien. Tous ceux qui pourraient le dire sont morts, et leurs cadavres sont là, sur la prairie, pour le dissuader d’en faire autant. Le chant des Sirènes, le seul qu’Ulysse peut entendre, n’est jamais que la promesse d’un bonheur auquel il a renoncé sans même savoir s’il existe. Il est d’ailleurs fort probable qu’il n’existe pas, car à l’évidence les Sirènes, outre des assassines, sont aussi des menteuses. Lui reste, en guise de consolation, l’expérience esthétique et son récit à la première personne. « Si Ulysse n’avait pas échappé aux Sirènes, commente Tzvetan Todorov, s’il avait péri à côté de leur rocher, nous n’aurions pas connu leur chant : tous ceux qui l’avaient entendu en étaient morts et ne pouvaient pas le retransmettre25. »
15Mais si être attaché suffit à neutraliser le chant des Sirènes en le réduisant à une œuvre d’art, demande Wellmer, pourquoi Ulysse insiste-t-il pour qu’on le libère de ses liens, au lieu de s’adonner aux plaisirs de la contemplation ? « Mais quand aurait pu avoir lieu cette “réduction” à un objet de contemplation ? Évidemment au moment où Ulysse renonce à se détacher et se laisse aller au chant des Sirènes, dérivant de son écoute “contemplative” un plaisir jusqu’alors inconnu26. » Le moment crucial n’est pas lorsqu’on l’attache au mât, mais lorsque ses camarades doublent la mise en le chargeant de plus de liens, until it hurts. Wellmer, contre Adorno et Horkheimer qui refusent d’envisager les « potentiels de libération » de la parole27, y découvre l’allégorie de la naissance d’une nouvelle expérience de la beauté, « une jouissance [delight] qui ne peut advenir que lorsque la source de jouissance est séparée de l’objet du désir, une jouissance qui est donc devenue réflexive, bref, une jouissance esthétique28 ». Une jouissance qui, poursuit-il, ne se laisse décrire que comme le « libre jeu des facultés » de Kant, très loin de toute identification entre la réception de l’art et l’expérience érotique, laquelle selon lui n’entre dans l’art, éventuellement, que comme un contenu « transformé par l’œuvre d’art29 ». L’art lui-même ne saurait être objet de désir, dès lors qu’il est objet de contemplation.
16En distinguant le plaisir musical du plaisir sexuel, Wellmer produit en quelque sorte une allégorie des origines du sens commun sur le plaisir. Dans la philosophie occidentale les conceptions du plaisir sont multiples, entre le plaisir comme sensation, le plaisir comme agrément, le plaisir comme satisfaction, ce dernier étant sans doute le plus proche de la situation érotique30. Cependant, tout comme il serait arbitraire de réduire tout désir au désir sexuel, le plaisir sexuel n’est pas le paradigme de tout plaisir. Même la notion freudienne de plaisir, qui lie ce dernier à la « tendance à maintenir aussi bas que possible la quantité d’excitation31 » et qui amène Paul Ricœur à dire que « l’économie de la culture paraît coïncider avec ce qu’on pourrait appeler une “érotique” générale32 », ne débouche pas sur une indistinction du plaisir artistique et du plaisir érotique. Et la sublimation, qui est à la base des approches freudiennes de l’art, suppose justement une énergie libidinale « désexualisée33 ».
17Pour autant, l’idée que les plaisirs de la musique et ceux du sexe ont quelque chose en commun est bien présente dans la culture occidentale, ne serait-ce que parce qu’il s’agit toujours de plaisir. Du point de vue neurobiologique, « la localisation fonctionnelle du plaisir musical dans le cerveau [...] est remarquablement semblable à celle d’autres plaisirs fondamentaux tels que la nourriture et le sexe34 » ; tout comme le sexe, le plaisir musical fait interagir dans le temps les « deux facettes du plaisir », c’est-à-dire les wanting and liking Systems, la recherche d’une satisfaction et la sensation d’un agrément35. Qui plus est, les résonances érotiques de la voix humaine, directement ou indirectement liées à la vue du corps de l’interprète, semblent évidentes pour différents types de musique, et ce quel que soit le sexe de l’interprète et/ou de l’auditeur. Il n’est pas interdit d’imaginer des hommes-Sirènes, une femme jouissant attachée à un mât, des rameurs homosexuels ou hétérosexuels des deux sexes, ou toute autre configuration rationnelle du trouble dans le genre que, dans la deuxième digression de La dialectique de la raison, la Juliette de Sade incarne (p. 127 sq.)36.
183. La musique et l’érotisme sont associés dans maintes conceptions puritaines qui, inspirées ou non par une religion, les rapprochent dans une même détestation, entraînant souvent des actes de censure, de persécution ou de violence physique. C’est le cas de la doctrine salafiste, qui toutefois distingue une musique illicite à proscrire (haram) et des chants que les terroristes utilisent comme propagande37. Musique et érotisme sont aussi associés dans des conceptions positives de l’art, par un mode parfois revendiqué comme transgressif. Et il est un genre musical qui plus que d’autres, sur un mode volontiers mythologisant, semble avoir fait du rapprochement entre musique et sexe l’horizon d’une expérience et la revendication d’une forme de vie, à savoir le rock. C’est ce que résume la formule sex, drugs & rock’n’roll. C’est aussi ce qui ressort des témoignages recueillis par Susan Fast auprès de fans de Led Zeppelin, des femmes en l’occurrence, à propos du chanteur Robert Plant : « Every little girl then and now squeals to Robert’s sexy sex sounds. I swear that man has a hard on at every concert. Orgasmic ». Mais aussi, à propos des solos de guitare de Jimmy Page : « Electric prolonged orgasms », « Better than sex ». Ou encore, à propos de Led Zeppelin en concert : « Euphoria. Pure enlightenment. Supernatural. Orgasmic38 ».
19À n’en pas douter, les musiciens de rock partagent largement cet imaginaire. Dans le film documentaire The Redemption of the Devil (2015), Jesse « The Devil » Hughes, le frontman du groupe Eagles of Death Metal qui jouait au Bataclan le soir du 13 novembre 2015, exprime le lien entre musique et sexe sous une forme plutôt crue : « My dad used to say there is two types of rock bands. There is a rock band that cornes out and jerks off for everyone to see, and a rock band that cornes out and fucks everybody in the room39 ». À bien des égards, le groupe est une caricature du cock rock, ce rock macho où l’image des femmes est formatée d’après le stéréotype sexiste qu’illustre la couverture de leur dernier album Zipper Down (2015), où l’on voit une femme sans tête habillée de cuir avec les tétons à peine couverts par les visages des deux fondateurs, Hugues et Josh Homme40. Cependant, même leurs critiques parlent à leur propos de « sexisme ironique », et d’autres commentateurs font de l’ambiguïté à l’égard des clichés misogynes et homophobes une clé de leur attrait41. La question peut rester ouverte.
20« Un rockeur pas si cool », écrivait toutefois Télérama, peu de temps après l’attentat du Bataclan, en titre d’un article sur Jesse « The Devil » Hughes, en résumant « une vision de l’existence qui met sérieusement en doute le côté “si cool et rigolo” du rock des Eagles of Death Metal », comme pour tempérer le portrait apologétique et un peu rapide brossé dans les médias sous le choc du 13 novembre 201542. Si l’on ajoute que Hughes est climatosceptique et opposé à l’avortement, qu’il est membre de la National Rifle Association et qu’il soutient Donald Trump, son profil politique semble justifier la remarque du Washington Post, selon laquelle « bizarrement, son langage sonne comme celui des tireurs qui ont attaqué Hughes et ses fans à Paris ». Par exemple cette diatribe :
« Everything that the Bible thumpers said about Elvis is f-– true. It destroyed everything : Intimacy, the ability for people to be married – society at large is gone. [Pop culture] brought us the Internet, mass pornography, the death porn of Quentin Tarantino. It’s all f-– darkness and evil and has one goal, dude. And it’s not anything good for us43. »
21Le vocabulaire n’est pas le même, mais en effet ce moralisme radical n’est pas très loin du discours de Daech sur « la capitale de la perversion et des abominations » et les « centaines d’idolâtres dans une fête de perversité », qui apparaît dans le communiqué de revendication des attentats du 13 novembre44, ou encore de tel imam salafiste expliquant que ceux qui écoutent de la musique « écoutent le diable » ou « l’incantation de la fornication45 ». Et s’il faut éviter de déduire de quelques phrases à sensation – celles de Hughes comme celles de Daech – une véritable esthétique, au sens d’une articulation raisonnée entre art et politique, il semble clair que leurs imaginaires ont des points communs, ancrés dans des lectures radicales des religions du Livre reconfigurées par la culture de masse, ce que l’on pourrait résumer par une sorte d’orgie musicale moderne, une nouvelle fête du veau d’or. Cette image peut être également reliée à une autre généalogie, celle d’une mythologie parallèle où Ulysse et ses camarades, ignorant les conseils de Circé, auraient fini leurs jours vautrés entre les cadavres dans l’ivresse narcotique de la prairie des Sirènes.
22Il serait aussi inique qu’erroné de pousser trop loin le parallèle entre les assaillants du Bataclan et le leader des Eagles of Death Metal, ne serait-ce que parce que les premiers étaient des assassins de masse tandis que le second n’a jamais tué personne. On vient de voir, du reste, que chez Hughes cet imaginaire coexiste avec son contraire, l’idéal d’un groupe de rock capable de « baiser tout le monde ». Cependant, et c’est l’intérêt de les évoquer ensemble, toutes ces orgies musicales imaginaires doivent être confrontées à l’expérience réelle des spectateurs du concert du Bataclan le 13 novembre 2015. La reconstituer n’est pas chose facile, étant donné que les témoignages des rescapés sont presque toujours consacrés à l’interminable moment d’horreur vécu en présence des tueurs. Mais leur rareté rend d’autant plus précieuses les quelques descriptions d’avant les premiers coups de feu. « L’ambiance était festive, bon enfant avec des mères qui accompagnaient leurs enfants adolescents. C’était un bon concert de rock », raconte par exemple une rescapée prénommée Eva46. Au-delà des nuances entre le côté « bon enfant » et la consommation d’alcool, entre l’adhésion du fan et la distance du critique, ces témoignages convergent surtout, et c’est ici l’essentiel, dans la description d’un plaisir ordinaire.
23Naturellement, ce caractère ordinaire dérive en partie du contraste abyssal avec ce qui allait suivre, une horreur face à laquelle n’importe quelle expérience esthétique, même la plus extraordinaire, serait probablement apparue banale au regard rétrospectif, ou tout au moins intégrée dans un univers familier d’intensités. Cependant, en dehors des circonstances ce plaisir ordinaire reste conforme à l’horizon d’attente d’un concert de rock dans une ville comme Paris aux débuts du XXIe siècle, c’est-à-dire en des temps et des lieux éloignés des moments fondateurs de la mythologie du genre. Citons encore la tribune d’une autre rescapée du Bataclan, Leslie Auguste :
« Vivre à Paris, c’est souvent faire le choix de l’épuisement, d’un va-et-vient entre ses lumières et sa violence économique. Certains disent que nous sommes des “intellectuels précaires” – reste à savoir ce que peut incarner “un intellectuel” et souvent quelle est la responsabilité qui lui en incombe. Oui, nous pensons le monde dans lequel nous vivons mais plus que tout nous le supportons ; à la fois malgré nous et, le plus souvent, par une volonté fervente, celle du plaisir. Plaisir de sortir, de faire la fête en écoutant de la musique très fort, de danser beaucoup, d’aller dans des salles de concert, au théâtre, d’exprimer nos désirs et, enfin, d’échanger ensemble – de se rencontrer. Sans aucun doute, c’est ce plaisir qu’ils ont voulu détruire ce vendredi 1347. »
24Le plaisir comme cible, le plaisir comme bannière : cette profession de foi hédoniste est sans doute l’une des explications les plus prisées des attentats du 13 novembre. Or, « faire la fête en écoutant de la musique très fort, de danser beaucoup, d’aller dans des salles de concert » peuvent être des plaisirs intenses, voire par moments donner du sens à l’existence tout entière. Mais ces plaisirs de la culture moderne sont très différents des plaisirs d’Ulysse. De tous les plaisirs d’Ulysse, ceux que l’Odyssée lui attribue dans le réel du mythe, l’écoute du chant des Sirènes attaché au mât de son navire, ou ceux qu’elle projette dans l’imaginaire du mythe, la jouissance mortelle sur la prairie des Sirènes. Comme ils se distinguent également du plaisir de cet Ulysse moderne qu’Adorno et Horkheimer rêvaient assis dans son fauteuil de la salle de concert, aux prises avec sa jouissance masochiste de la culture musicale classique. Ils s’en distinguent, en effet, car tant que ce plaisir demeure une expérience quotidienne de la culture, prise dans le « va-et-vient entre [l]es lumières et [l]a violence économique » de la ville, il ne répond pas, et ne saurait répondre quelle que soit son intensité locale, à la logique de l’orgie musicale moderne. Autrement dit, il échappe aux mythologies de la musique, celle de l’Odyssée comme celle de La dialectique de la raison, qui incitent à entendre le chant des Sirènes comme un événement métaphysique, ou comme un tournant dans l’histoire du monde. Contrairement au bourgeois attaché à son fauteuil, le public de la fosse du Bataclan était debout et pouvait librement bouger au rythme de la musique, mais il est difficile de dire si cela contribua ou non à diminuer le nombre des victimes.
25Ce concert du Bataclan n’était pas « une fête de perversité » et ne saurait le devenir dans la mémoire de l’événement, pas plus que son public n’était composé « d’idolâtres », et ce malgré l’efficacité rhétorique et cathartique de la revendication « Oui, je suis pervers et idolâtre », surgie spontanément au lendemain des attentats48. Ne saurait le devenir, en effet, sous peine de rendre parfaitement rationnel le terrorisme anhédonique de Daech, élevé du coup à la dignité d’un acteur de la scène philosophique contemporaine comme porte-parole d’une critique esthétique énoncée sous la forme la plus radicale qui soit. Car c’est bien cela la tentation d’une lecture mythologique de l’événement du Bataclan, celle de donner à la violence assassine – qui fit plus de 90 morts et de très nombreux blessés et traumatisés – un pouvoir proprement mythique, comme figure de la mort portée au cœur de l’expérience esthétique ; celle de faire de ces tueurs de sang-froid le bras armé des Sirènes. Encore plus erroné serait de faire de la mort des tueurs eux-mêmes un écho de la mort des Sirènes, qui selon une tradition postérieure à l’Odyssée fut le prix de leur défaite face au héros ligoté49. Même si ce lieu de concert et les autres lieux des attentats du 13 novembre furent choisis par les terroristes pour leurs qualités propres, voire « choisis minutieusement à l’avance », comme le claironnait leur communiqué, il faut affirmer avec force l’irréductible insignifiance esthétique d’un tel acte de violence.
26L’histoire des Sirènes relue par Adorno et Horkheimer ne doit pas être congédiée pour autant, une fois pris le risque de l’invoquer. Le risque, en effet, que la mise en polyphonie de l’attentat du Bataclan avec un mythe de la musique aussi ancien et puissant nourrisse la mémoire du 13 novembre sur un mode lui-même mythologique. Mais qu’on le veuille ou non il y aura, il y a déjà un mythe musical du 13 novembre, qu’entre autres Bono, le chanteur de U2, contribua à lancer en déclarant au lendemain des attentats : « So this really is the first direct hit on music we’ve had on this so called war on terror50 ». Or, du moment que « la Raison se reconnaît même dans les mythes » (p. 27 sq.), La dialectique de la raison peut interroger le devenir mythe de ce plaisir de la musique auquel par ailleurs l’ouvrage refuse toute dignité, dès que l’on renverse, avec Jauss, l’évaluation morale qui réduit celui-ci au « plaisir de l’oreille ». « Le plaisir se fige dans l’ennui du fait que, pour rester un plaisir, il ne doit plus demander d’effort et se meut donc dans les ornières usées des associations habituelles », disent Adorno et Horkheimer (p. 203). Mais si l’idée qu’il n’y a pas de plaisir sans effort reste un dogme ascétique que rien n’oblige à respecter, si ce n’est le mythe de l’industrie culturelle comme déchéance de l’art, la remarque sur la transformation de la jouissance mythologique en plaisir du divertissement signale, cette fois dans le sillage de Wellmer, ce qu’il en est socialement du plaisir ordinaire de l’expérience esthétique. Y compris lorsque celle-ci vient d’une musique qui, comme le rock, est pleinement intégrée aux industries culturelles contemporaines.
27On a vu qu’est ténu dans le livre le fil étymologique et politique reliant les deux premières occurrences du mythe des Sirènes, celles où il est question d’Ulysse aux prises avec sa jouissance, et la troisième qui ne parle des Sirènes que comme « annonciatrices de panique » ; on a vu aussi qu’il était néanmoins possible, sur les traces de Rebecca Comay, de le lire comme un fil rouge faisant de l’ensemble de l’ouvrage une méditation sur la politique sonore de la terreur, en vertu de laquelle « toute promesse devient une menace51 ». Rien qu’avec les sirènes entendues le 13 novembre dans le quartier des attentats et ailleurs dans Paris, le son montra toute son intensité sensible, tout son pouvoir d’affectation des sujets ; de tous les sujets, qu’ils aient été ou non physiquement concernés par la violence, du moment que l’oreille les mit tous aux prises avec la terreur. S’y mêlaient sans ordre apparent, autre que le rythme contingent des urgences, les sirènes « deux tons » la-si des pompiers, la-ré des voitures de police, la-mi du SAMU, peut-être la sirène la-fa# de la gendarmerie, peut-être quelques sirènes « trois tons » des ambulances, « do-mi-do-silence52 ». Ce chœur des sirènes signifiait la peur et la souffrance, alors qu’il était, paradoxalement, la trace sonore de ceux qui accouraient pour soulager la souffrance et la peur, tous ces secouristes et « forces de l’ordre » qui, peut-être, étaient eux-mêmes aux prises avec la peur. Ensemble, les « véhicules d’intérêt général prioritaires » et les « véhicules d’intérêt général bénéficiant de facilités de passage », selon le Code de la route, paraissaient constituer comme un chœur mobile des alertes d’État53.
28Cependant, c’est dans la disjonction tragique entre la violence insignifiante et le plaisir ordinaire que la musique se sépare de ce qui n’est pas elle. Au Bataclan, les sons des kalachnikovs sont venus se mêler à ceux du groupe de rock avant de les réduire au silence, sans pour autant se confondre avec eux. Les sirènes des ambulances peuvent s’écrire en notes de musique, mais elles ne deviennent pas pour autant de l’art, loin de là. Le massacre du Bataclan ne fut pas une œuvre d’art totale du diable, comme aurait pu la rêver le Karlheinz Stockhausen des mauvais jours, celui qui hallucina les attentats du 11 septembre 2001 comme « la plus grande œuvre d’art jamais réalisée », en l’attribuant à Lucifer54. Ces chemins-là ne mènent nulle part. C’est au contraire lorsque le fil rouge de la mythologie musicale se rompt qu’il dévoile tout son pouvoir heuristique. Dans cette optique, La dialectique de la raison nourrit un questionnement : à quel point faut-il subsumer la violence terroriste islamiste dans les violences endogènes des sociétés occidentales contemporaines ? En pleine Deuxième Guerre mondiale ce livre campait un espace social homogène, où même les contrastes entre les sociétés totalitaires et les démocraties qui les combattaient étaient soumis à une logique globale, sans figures d’altérité culturelle autres que celles de la nature et de ce qui en tenait lieu pour les racistes, à savoir le Juif (p. 249-251). Les Sirènes y annonçaient une panique qui n’était pas le résultat d’une menace extérieure, mais bien de la dialectique de la raison elle-même ; voilà qui résonne avec les craintes qu’engendre aujourd’hui l’état d’urgence, avec son cortège de sirènes hurlantes de « véhicules d’intérêt général prioritaires », chez ceux qui y retrouvent l’ombre d’un état d’exception pouvant le moment venu se passer de tout ancrage dans la réalité d’une violence extérieure à l’État lui-même55.
29 Et de fait, comme le dit Marielle Macé à propos de la crise des migrants, « des bords désormais il y en a en plein centre56 ». C’est pourquoi, face au constat que depuis l’Odyssée les Sirènes ont toujours évolué « à la limite extérieure de la scène occidentale de la parole57 », la lecture du mythe par Adorno et Horkheimer nuance la vision d’une altérité culturelle survenant aux bords de l’Europe en la personne de ces assassins si proches et si lointains à la fois, tendus entre leur France natale et leur Syrie initiatique pour nourrir le ressentiment envers la culture occidentale en succombant à ce que certains appellent, sans ironie, les sirènes de la radicalisation islamiste58. La voix du proche semble au bout du compte la plus forte, dans cette histoire tendue sur l’espace dramaturgique de la Méditerranée, tout comme elle l’était dans La dialectique de la raison, malgré le gouffre homérique de l’Atlantique. Après tout, si les Sirènes n’étaient pas grecques, elles chantaient bien dans la langue d’Homère, et c’est cette langue commune de la fiction qui permit à l’épopée de s’épanouir dans l’espace public de l’histoire d’Occident, en multipliant et complexifiant sans fin les partages du sensible entre nous et eux. Outre le fait que l’ensemble de la tragédie du 13 novembre se joua en langue française, à l’exception des paroles anglaises de la chanson jouée au Bataclan au moment de l’attaque – « Kiss the devil »–, l’insondable altérité des assassins trouve son envers dialectique dans une familiarité que trahit le choix même de leurs cibles, ces jeunes de leur âge dont les plaisirs musicaux arpentent un territoire ouvert aux vents et aux beautés du monde entier. Et c’est une croyance partagée par tous dans les pouvoirs de la musique comme langage des affects qui aura cousu d’un même fil sonore les plis de ce moment terrible.
Notes de bas de page
1 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1983, p. 62-65 et p. 98 sq. Dans la suite de cet article, toutes les pages entre parenthèses données directement dans le texte renvoient à cette édition.
2 Voir Alexander Rehding, « Of Sirens old and new », in Sumanth Gopinath et Jason Stanyek (dir.), The Oxford Handbook of Mobile Music Studies, vol. II, New York, Oxford University Press, 2014, p. 77-106, ici p. 82 sq.
3 Contrairement au traducteur argentin Héctor A. Murena dans Dialéctica del iluminismo, Buenos Aires, Sudamericana, 1987, p. 191.
4 Louis Costaz, Rapport du jury central sur les produits de l’industrie française, présenté à S.E.M. le comte Decazes, [s.l.], [s.n.], 1819, p. 231, <http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k85765b> (document en ligne consulté le 14 décembre 2015). Voir l’étymologie de « Sirène » sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales, <http://www.cnrtl.fr/definition/Sirène> ; et Alexander Rehding, « Of sirens old and new », in Sumanth Gopinath et Jason Stanyek (dir.), The Oxford Handbook of Mobile Music Studies, vol. II, New York, Oxford University Press, 2014, p. 77-106, ici p. 83-86.
5 Ange-François-Alexandre Blein, Principes de mélodie et d’harmonie déduits de la théorie des vibrations, [s.l.], Bachelier, 1838, p. 91.
6 Michael Bull, « The sounds of Sirens : From myth to materiality », conférence à l’EHESS, Paris, 7 décembre 2015.
7 Guy de Maupassant, Pierre et Jean, Paris, Paul Ollendorf, 1888, p. 111.
8 « Civil defense siren », Wikipedia, the free encyclopedia, 14 décembre 2015, <https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Civil_defense_siren&oldid=695191125> (article en ligne consulté le 19 décembre 2015).
9 Voir Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Seuil, 2012.
10 Theodor W. Adorno, Current of Music. Éléments pour une théorie de la radio, éd. par Robert Hullot-Kentor, trad. fr. par Pierre Arnoux, Québec et Paris, Presses de l’Université de Laval – Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 98. Voir Esteban Buch, « Philosophies de la radio par gros temps », Critique, 773 : Comme à la radio. Adorno, Schaeffer, Veinstein, Szendy, septembre 2011, p. 740-750.
11 « Mémorandum pour Dr. T.W.A., H.I.P.P.O., de Dr. M.H., M.A.M.M », in Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 217.
12 Rebecca Comay, « Adorno’s Siren song », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 21-48, citation p. 36.
13 Homère, L’Odyssée, chant XII, trad. fr. par Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte, 2004, p. 199.
14 Homère, L’Odyssée, chant XII, trad. fr. par Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte, 2004, p. 199.
15 Homère, L’Odyssée, trad. fr. par Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte, 2004, p. 203. Cité dans Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison, p. 63.
16 Homère, L’Odyssée, trad. fr. par Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte, 2004, p. 202.
17 Homère, L’Odyssée, trad. fr. par Philippe Jaccottet, Paris, La Découverte Poche, 2004, p. 203.
18 Rebecca Comay, « Adorno’s Siren song », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 21-48, ici p. 28.
19 Rebecca Comay, « Adorno’s Siren song », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 21-48, ici p. 21.
20 Theodor W. Adorno, Minima moralia : réflexions sur la vie mutilée, trad. fr. par Éliane Kaufliolz et Jean-René Ladmiral, Paris, Payot, 2001.
21 Michael Bull, Sound Moves : IPod Culture and Urban Experience, New York, Routledge, 2015, p. 19.
22 Michael Bull, Sound Moves : IPod Culture and Urban Experience, New York, Routledge, 2015, p. 19. Voir aussi Michael Bull et Les Back, « Introduction », in Michael Bull et Les Back (dir.), The Auditory Culture Reader, Oxford et New York, Berg Publishers, 2003, p. 7 sq.
23 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. fr. par Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1978, p. 138 sq.
24 Albrecht Wellmer, « The death of the Sirens and the origin of the work of art », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 5-19.
25 Tzvetan Todorov, Poétique de la prose (choix) suivi de Nouvelles recherches sur le récit, Paris, Seuil, 1980, p. 24.
26 Albrecht Wellmer, « The death of the Sirens and the origin of the work of art », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 5-19, ici p. 12.
27 Albrecht Wellmer, « The death of the Sirens and the origin of the work of art », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 5-19, ici p. 14. Voir aussi Jürgen Habermas, « The entwinement of myth and enlightenment : Rereading Dialectic of enlightenment », New German Critique, 26 : Critical theory and modernity, printemps-été 1982, p. 13-30 ; rééd. in Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988.
28 Albrecht Wellmer, « The death of the Sirens and the origin of the work of art », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 5-19, ici p. 14.
29 Albrecht Wellmer, « The death of the Sirens and the origin of the work of art », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 5-19, ici p. 14.
30 Voir Jean-Marie Schaeffer, L’expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015, p. 188-194 ; voir aussi Laura Sizer, « The two facets of pleasure », Philosophical Topics, 41 (1), printemps 2013, p. 215-236.
31 Sigmund Freud, Au-delà du principe du plaisir, in Essais de psychanalyse, trad. fr. sous la responsabilité d’André Bourguignon, Paris, Payot & Rivages, 2001, p. 51.
32 Paul Ricœur, De l’interprétation, Paris, Seuil, 1965, p. 319.
33 Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 466.
34 Line Gebauer, Morten L. Kringelbach et Peter Vuust, « Ever-changing cycles of musical pleasure : The role of dopamine and anticipation », Psychomusicology : Music, Mind & Brain, 22 (2), 2012, p. 152-167, p. 155. Voir aussi Lucas D. Harrison et Psyché Loui, « Thrills, chills, frissons, and skin orgasms : Toward an integrative model of transcendent psychophysiological moments in music », Frontiers in Psychology, 5, 2014, <doi : 10.3389/ fpsyg.2014.00790> (article en ligne consulté le 25 décembre 2015) ; et Daniel G. Craig, « An exploratory study of physiological changes during “chills” induced by music », Musicae Scientiae, 9 (2), 2005, p. 273-287.
35 Laura Sizer, « The two facets of pleasure », Philosophical Topics, 41 (1), printemps 2013, p. 215-236, ici p. 234.
36 Voir Hervé Bentata, « La voix de Sirène. D’une incarnation mythique de la voix maternelle », Essaim, 26, 2011, p. 63-73 ; Karin Adler, « Juliette et la dialectique de la raison chez Horkheimer et Adorno », Psychanalyse, 28, 2013, p. 15-19 ; et Judith Butler, Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité, trad. fr. par Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2006.
37 Voir Luis Velasco Pufleau, « Après les attaques terroristes de l’État islamique à Paris. Enquête sur les rapports entre musique, propagande et violence armée », Transposition, 5, 2015, <http://transposition.revues.org/1327> (article en ligne consulté le 27 décembre 2015). ; et Amnon Shiloah, « Music and religion in Islam », Acta Musicologica, 69 (2), juillet-décembre 1997, p. 143-155.
38 Cité dans Susan Fast, « Rethinking issues of gender and sexuality in Led Zeppelin : A woman’s view of pleasure and power in hard rock », American Music, 17 (3), automne 1999, p. 245-299, ici p. 267 sq.
39 The Redemption of the Devil, film documentaire d’Alex Hoffmann, 82 minutes, à partir de 13 : 04. Voir Henry Barnes, « Eagles of Death Metal documentary pulled from film festival », The Guardian, 23 novembre 2015, <http://www.theguardian.com/film/2015/nov/23/eagles-of-death-metal-documentary-pulled-international-film-festival> (article en ligne consulté le 21 décembre 2015).
40 Deborah Coughlin, « Can Eagles of Death Metals cock rock survive in 2015 ? », The Guardian, 11 août 2015, <http://www.theguardian.com/music/2015/aug/11/eagles-of-death-metal-can-cock-rock-survive-in-2015> (article en ligne consulté le 26 décembre 2015). Voir aussi Susan Fast, « Rethinking issues of gender and sexuality in Led Zeppelin : A woman’s view of pleasure and power in hard rock », American Music, 17 (3), automne 1999, p. 245-299, ici p. 265-267.
41 Voir John Hugar, « Eagles Of Death Metal, Steel Panther, and the legend of comedy rock », UPROXX, 10 mai 2015, <http://uproxx.com/music/2015/10/eagles-of-death-metal-zipper-down-steel-panther-comedy-rock> (document en ligne consulté le 26 décembre 2015).
42 Jean-Baptiste Roch, « Militant pro-armes à feu et anti-avortement, soutien de Donald Trump... Jesse Hughes, rockeur pas si cool », Télérama.fr, 3 décembre 2015, <http://www.telerama.fr/musique/eagles-of-death-metal-jesse-hughes-rockeur-pas-si-cool,135109. php> (article en ligne consulté le 21 décembre 2015). Voir aussi Andreas Tzortzis, « L’ultra-rocker », Redbulletin, <https://www.redbulletin.com/fr/fr/culture/lultra-rocker> (document en ligne consulté le 26 décembre 2015).
43 Michael Miller, « Eagles of Death Métal singer : Fan escaped gunmen by hiding under my leather jacket », The Washington Post, 23 novembre 2015, <https://www.washm.g-tonpost.com/news/morning-mix/wp/2015/11/23/eagles-of-death-metal-singer-fan-escaped-gunmen-by-hiding-under-my-leather-jacket> (article en ligne consulté le 26 décembre 2015).
44 « Attentats à Paris : Daech revendique les attaques », Le Figaro, 13 novembre 2015, <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/11/13/01016-20151113ARTFIG00421–fusillades-a-paris-le-point-sur-la-situation.php> (article en ligne consulté le 19 décembre 2015).
45 Voir Jérémie Pham-Lê, « Musique comparée “au diable” : l’imam assure “ne pas endoctriner les enfants” », L’Express, 24 septembre 2015, <http://www.lexpress.fr/actualite/societe/aimer-la-musique-c-est-le-diable-la-fachosphere-deterre-une-video-d-un-imam-salafiste_1719228.html>, (article en ligne consulté le 28 décembre 2015) ; « Islam – La Musique – La voix de Shaytan (du diable) par Rachid Abou Houdeyfa » (vidéo mise en ligne le 22 janvier 2012, consultée le 24 novembre 2015, non disponible) ; voir aussi Luis Velasco Pufleau, « Après les attaques terroristes de l’État islamique à Paris. Enquête sur les rapports entre musique, propagande et violence armée », Transposition, 5, 2015, <http://transposition.revues.org/1327> (article en ligne consulté le 27 décembre 2015).
46 Fabrice Glisczynski, « Attentats : l’émouvant témoignage d’Eva rescapée du Bataclan », La Tribune, 16 novembre 2015, <http://www.latribune.fr/economie/france/attentats-l-emouvant-temoignage-d-eva-rescapee-du-bataclan-522803.html> (article en ligne consulté le 1er janvier 2016).
47 Leslie Auguste, « Nous avons le même âge que nos assassins », Le Monde, 26 novembre 2015, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/26/nous-avons-le-meme-age-que-nos-assassins_4818302_3232.html#FHvrUXS2hAHFaS2K.99> (article en ligne consulté le 1er janvier 2016).
48 Laurence Behamou, « “Oui, je suis pervers et idolâtre” : la liberté provocante, comme acte de “résistance” », Le Point, 17 novembre 2015, <http://www.lepoint.fr/societe/oui-je-suis-pervers-et-idolatre-la-liberte-provocante-comme-acte-de-resistance-17-11-2015-1982471_23.php> (article en ligne consulté le 27 décembre 2015).
49 Voir notamment Tzvetan Todorov, Poétique de la prose (choix) suivi de Nouvelles recherches sur le récit, Paris, Seuil, 1980, p. 25.
50 David Kearns, « Bono : The Paris attacks are the first “direct hit” on music by Islamic terrorists », Independent.ie, 14 novembre 2015,<http://www.independent.ie/world-news/europe/paris-terror-attacks/bono-the-paris-attacks-are-the-first-direct-hit-on-music-by-islamic-terrorists-34200707.html> (article en ligne consulté le 3 janvier 2016).
51 Rebecca Comay, « Adorno’s Siren song », New German Critique, 81 : Dialectic of Enlightenment, automne 2000, p. 21-48, ici p. 37.
52 Voir <http://www.ambulancier.fr/vehicules-prioritaires-et-ambulance/>, et <http://www.snc.fr/fiam80al.htm>.
53 Voir l’article 333-1 du Code de la route, <http://www.legifrance.gouv.fr>.
54 Karlheinz Stockhausen, « “Huuuh !” Das Pressegespräch am 16. September 2001 im Senatszimmer des Hotel Atlantic in Hamburg », Musik Texte, 91, 2002, p. 69-77. Voir Frank Lentricchia et Jody McAuliffe, « Groundzeroland », The South Atlantic Quarterly, 101 (2), 2002, p. 349 – 359 ; et Lambert Dousson, « L’écran sonore : politiques de l’écriture et de l’écoute musicales 1950-2001 », thèse de doctorat, Paris, Université Paris Ouest Nanterre, 2011.
55 Voir Giorgio Agamben, État d’exception. Homo sacer II, 1, trad. fr. par Joël Gayraud, Paris, Seuil, 2003 ; Giorgio Agamben, « De l’État de droit à l’État de sécurité », Le Monde, 23 décembre 2015, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/23/de-letat-de-droit-a-l-etat-de-securite_4836816_3232.html> (article en ligne consulté le 28 décembre 2015) ; et Pascal Engel, « Non Giorgio Agamben, on peut lutter contre le terrorisme sans perdre notre liberté », Le Monde.fr, 4 janvier 2016, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/04/pascal-enge-non-giorgio-agamben-on-peut-lutter-contre-leterrorisme-sans-perdre-notre-liberte_4841381_3232.html> (article en ligne consulté le 20 janvier 2016).
56 Marielle Macé, Styles – critique de nos formes de vie, Paris, Gallimard, 2016.
57 Laura Odello, « Waiting for the Death Knell : Speaking of music (so to speak) », in Keith Chapin et Andrew Herrick Clark (dir.), Speaking of Music : Addressing the Sonorous, New York, Fordham University Press, 2013, p. 39-48, ici p. 40.
58 Jean-François Bouthors, « Les musulmans doivent prendre publiquement leurs distances avec l’islamisme », Le Monde, 16 novembre 2015, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/16/les-musulmans-doivent-prendre-publiquement-leurs-distances-avec-l-islamisme_4811113_3232.html> (article en ligne consulté le 1er janvier 2016). Voir aussi Luc Leroux, « Marseille sourde aux Sirènes », Le Monde, 29 janvier 2016, <http://abonnes.lemonde.fr/police-justice/article/2016/01/29/villes-face-au-djihad-marseille-sourde-aux-sirenes_4856241_1653578.html?xtmc=leroux&xtcr=2> (article en ligne consulté le 29 janvier 2016).
Auteur
Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, est l’auteur de Le cas Schönberg : naissance de l’avant-garde musicale, Paris, Gallimard, 2006 et de L’affaire Bomarzo : opéra, perversion et dictature, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011.
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