Le délire de la raison ? Psychanalyse et critique de la raison dans La dialectique de la raison
p. 139-152
Texte intégral
1Il est établi que la psychanalyse joue un rôle décisif dans le développement de la Théorie critique de la société, et ce dès les débuts de l’Institut de recherche sociale de Francfort1. Les textes de Fromm et de Horkheimer sont clairs à ce propos2 : la psychanalyse introduit des facteurs explicatifs permettant de réévaluer la place de la classe ouvrière dans la théorie marxiste au sein du capitalisme avancé, et éclaire des phénomènes comme l’adhésion des masses au fascisme. Mais il est plus rarement noté que la psychanalyse intervient aussi de manière plus ou moins implicite dans des textes situés hors du champ de la critique de l’économie politique3 : le rapport entre psychanalyse et théorie de la société pourrait donc ne pas épuiser la référence à la psychanalyse. La question est alors de savoir si l’on peut identifier un autre usage de la référence psychanalytique dans les premiers écrits de la Théorie critique.
2 La dialectique de la raison apporte des éléments de réponse : si les références explicites à la psychanalyse y sont assez peu nombreuses, le renvoi à des concepts psychanalytiques tels que le déni (Verleugnung4), la rationalisation (p. 67 sq. et 209 sq. / p. 63 sq. et 192 sq.), la projection paranoïaque (p. 218 sq. / p. 201 sq.), est beaucoup plus insistant et significatif. On estime ordinairement que ces concepts spécifient le rapport de la raison à la nature hors de l’homme et en l’homme5. Pourtant, les concepts psychanalytiques apparaissent aussi lorsqu’il est question de l’objet même de La dialectique de la raison : la raison (Aufklärung), comprise comme « pensée en progrès » (p. 19 / p. 21). Au moment où la raison y est le plus fermement critiquée, les concepts de déraison (Unvernunft) et d’irrationalité (Irrationalität) sont contrebalancés par ceux de folie (Wahnsinn6) et de délire (Wahn7). Au vu de l’importance de la référence psychanalytique dans l’œuvre, ne devrait-on pas prendre au sens littéral, c’est-à-dire psychanalytique, l’idée de folie ou de délire de la raison8 ?
3 Notre hypothèse est que l’on peut non seulement interpréter littéralement l’idée de folie ou de délire de la raison, mais aussi éclaircir par là le processus de la dialectique de la raison. Il s’agirait de montrer ainsi que la psychanalyse contribue à élaborer une nouvelle forme de critique de la raison dans la première Théorie critique.
Théorie de la société et psychanalyse dans la première Théorie critique
4Psychanalyse et critique de la raison sont généralement dissociées dans la première Théorie critique. Cette dissociation se justifie de deux façons. La première est que la psychanalyse est considérée comme une discipline complémentaire à la théorie de la société, qui intervient pour remanier la théorie de Marx9 ; elle ne concerne donc que le champ de la critique de l’économie politique. Fromm fixe clairement ce point lorsqu’il définit l’objet et le rôle de la psychologie sociale (Sozialpsychologie) dans son article « Tâche et méthode d’une psychologie sociale analytique » :
« Sur un point bien précis, la psychanalyse peut enrichir la conception d’ensemble du matérialisme historique : une connaissance plus étendue de l’un des facteurs intervenant dans le processus social, à savoir de la constitution de l’homme lui-même, de sa « nature ». [...] L’appareil pulsionnel de l’homme est l’une des conditions “naturelles” qui font partie des infrastructures du processus social10. »
5Dans le contexte de stabilisation du capitalisme qui a suivi la crise des années 1930, il est devenu nécessaire d’intégrer à l’économie politique des facteurs explicatifs que la théorie marxienne avait délaissés jusqu’alors : le psychisme des masses, les phénomènes psychiques à l’œuvre dans le social.
6La seconde justification de cette dissociation est qu’au tournant des années 1940, la critique de l’économie politique laisse place à la critique de la raison instrumentale chez Adorno et Horkheimer. Ce tournant devrait nécessairement conduire à l’abandon de la psychanalyse11.
7Depuis l’ouvrage de Manfred Gangl, Politische Ökonomie und Kritische Theorie. Ein Beitrag zur theoretischen Entwicklung der Frankfurter Schule12, il n’est plus communément admis que ce passage à une critique de la raison instrumentale constitue une rupture. Il tenterait simplement de répondre aux problèmes soulevés par le premier paradigme marxien de l’économie politique, d’une manière différente de celle du programme interdisciplinaire des années 1930. Adorno et Horkheimer parlent dans leur avant-propos à La dialectique de la raison d’une perte de confiance : ce programme interdisciplinaire n’était pas à même de saisir la nouvelle forme de barbarie à l’œuvre dans l’histoire, qui s’apparente à une autodestruction de la raison. Il a négligé de prendre en compte « l’intrication de la rationalité et de la réalité sociale », et le problème de la domination sociale de la nature13. Ne pas réfléchir sur l’appropriation rationnelle de la nature revient à sous-estimer les effets, sur le psychisme des individus, de la violence originaire exercée par la société sur la nature en l’homme et hors de l’homme. Le passage à la critique de la raison instrumentale se fonde ainsi sur l’économie politique elle-même et implique qu’on ne puisse plus dissocier d’emblée psychanalyse et critique de la raison.
Délire et folie de la raison
8Que devient alors la psychanalyse dans La dialectique de la raison ? Avant de soutenir qu’elle vise essentiellement à développer une nouvelle forme de critique de la raison, il faut d’abord rappeler quels sont les usages qui en sont faits.
9Le premier type d’usage de la psychanalyse est explicite et souvent critique vis-à-vis de la conceptualité freudienne. Dans « Le concept d’“Aufklärung ”», Adorno et Horkheimer discutent l’idée développée dans Totem et tabou selon laquelle la magie présuppose une croyance en la toute-puissance des pensées. Dans les « Éléments de l’antisémitisme », la théorie freudienne de la projection dans son rapport avec la paranoïa est reprise et réutilisée pour décrire les mécanismes à l’œuvre dans l’antisémitisme. Ces références disparates quoique directes ne témoignent pas d’une nouvelle fonction de la psychanalyse chez Adorno et Horkheimer.
10Le second type d’usage de la psychanalyse est bien plus implicite, mais décisif par son objet : la domination rationnelle de la nature et ses conséquences sociales.
11Les renvois à la thématisation freudienne de la nature sont connus14. Adorno et Horkheimer, dans « Le concept d’“Aufklärung” », décrivent la nature sous l’angle de sa « suprématie réelle » (reale Übermacht) [p. 31 / p. 32] : ils s’inscrivent ainsi d’emblée dans le sillage de Freud, qui évoque systématiquement la nature en ces termes15. Cela les conduit ensuite à aborder cette surpuissance de la nature comme une source de souffrances16 et d’angoisse (Angst17) : les termes de peur (Furcht), d’angoisse (Angst) et d’effroi (Schreckeri) sont omniprésents dans « Le concept d’“Aufklärung” » (p. 31 sq. / p. 32 sq.). Ils dialoguent avec Au-delà du principe de plaisir18 où Freud les distingue pour identifier l’affect à l’œuvre dans les névroses traumatiques, et Inhibition, symptôme et angoisse19, où la différence entre angoisse et peur dépend du caractère déterminé ou non de la menace, et de l’attente qu’elle implique. Ils parlent enfin comme Freud de la nécessité de l’autoconservation (Selbsterhaltung) face à cette nature hostile, des sacrifices pulsionnels qu’elle implique et des stratégies mises en œuvre pour l’accomplir : « De tout temps, l’Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains » (p. 19 / p. 21).
12Mais une divergence avec Freud apparaît à ce niveau : dans L’avenir d’une illusion et dans Le malaise dans la culture, ce n’est pas l’Aufklärung, ou la raison, qui remplit d’abord la fonction de libérer les hommes de la peur mais la religion20. Selon Freud, ce n’est que progressivement, à partir de cette première humanisation religieuse de la nature, que le savoir et l’organisation sociale contribuent à rendre les hommes souverains.
13On pourrait alors supposer que cette divergence avec Freud conduit à la disparition de la référence psychanalytique lors du passage à la critique de la raison. Il n’en est rien : un autre usage de la psychanalyse intervient en effet pour critiquer la raison (Aufklärung) à la manière dont Freud avait critiqué la religion, c’est-à-dire en décelant ses soubassements pulsionnels, sa logique et sa potentielle dimension pathologique.
14Deux passages de La dialectique de la raison permettent d’introduire cette hypothèse. Ils traitent tous deux du moment dialectique où la raison s’autodétruit :
15a) La première digression, sur « Ulysse, ou mythe et raison », poursuit la dialectique de la raison et son autodestruction au niveau de la constitution de la subjectivité. Elle montre que cette dialectique est celle de la domination sur la nature, qui s’exprime par une dialectique du sacrifice accordé à la nature et aux dieux pour les dominer. Elle conduit l’homme au renoncement envers sa propre nature et son moi. La psychanalyse décrit ici la nature de l’autodestruction de la raison au niveau subjectif et les étapes qui y mènent : un déni (Verleugnung) conduit la raison à la folie (Wahnsinn) :
« C’est ce déni, quintessence de toute rationalité civilisatrice, qui est justement le germe à partir duquel l’irrationalité mythique continue à proliférer : le déni de la nature dans l’homme brouille et obscurcit non seulement le telos de la domination extérieure de la nature, mais aussi le telos de la vie de l’homme. Aussitôt que l’homme se sépare de la conscience qu’il a d’être lui-même nature, toutes les fins pour lesquelles il se maintient en vie, le progrès social, le développement de toutes les forces spirituelles, voire la conscience elle-même, sont réduites à néant et l’intronisation du moyen comme fin qui, dans le capitalisme avancé, revêt le caractère d’une folie manifeste, est déjà perceptible dans la préhistoire de la subjectivité. » (p. 73 / p. 68, trad. modifiée)
16b) Le fragment « Éléments de l’antisémitisme » montre que la dialectique de la raison, sur un plan politique, est celle de la civilisation et de la barbarie et peut se traduire par le fascisme et l’antisémitisme. La référence à la psychanalyse intervient pour caractériser l’autodestruction de la raison à l’œuvre dans le fascisme sur le mode d’un système délirant :
« Le paranoïaque n’est pas libre de son choix, il obéit aux lois de sa maladie. Dans le fascisme, ce comportement est investi par la politique, l’objet de la maladie est déterminé suivant des critères basés sur la réalité, le système délirant devient norme rationnelle dans le monde, en dévier signifie tomber dans la névrose. » (p. 212 / p. 195, trad. modifiée)
« Dans la phase totalitaire de la domination, celle-ci fait appel, comme ultime ratio, aux charlatans provinciaux de la politique et à leur système délirant. » (p. 223 / p. 206)
17C’est donc bien sous la forme du délire et de la folie que la référence à la psychanalyse envisage l’autodestruction de la raison.
18Une objection peut toutefois être formulée : s’il semble clair que le terme de délire (Wahn) renvoie à la conceptualité psychanalytique, son usage circonscrit au seul fragment « Éléments de l’antisémitisme » et le caractère vague du terme de folie ne justifient pas l’hypothèse d’une qualification psychanalytique de l’autodestruction globale de la raison.
19Il est vrai que l’usage du terme de délire (Wahn) est très circonscrit : essentiellement employé dans le fragment sur l’antisémitisme, il vise à décrire le mécanisme psychologique sur lequel se fonde l’antisémitisme en régime politique fasciste : la projection21. Il n’est donc pas directement employé pour critiquer la raison, et caractérise plutôt certains phénomènes précis : la stigmatisation des Juifs comme mal absolu (p. 192 / p. 177), leur représentation comme élément perturbateur de la communauté nationale, les fantasmes de crimes juifs (p. 2010 / p. 194).
20Il est également vrai que le terme de folie (Wahnsinn) ne semble pas spécifiquement psychanalytique. Freud ne parle que très peu de folie dans son œuvre ; il emploie plutôt le terme de psychose. Et s’il parle volontiers de délire collectif lorsqu’il s’agit de décrire la religion, il n’emploie toutefois pas le terme de folie. En outre, ce terme possède des synonymes dans La dialectique de la raison : absurdité (Widersinri) [p. 13 et 223 / p. 16 et 206], raison contradictoire (Widervernunft) [p. 73 / p. 68], voire même folie (Verrücktheit) [p. 231 / p. 213].
21Mais cette double objection ne tient pas si l’on se réfère précisément aux textes de Freud ou à ceux d’Adorno et Horkheimer. En ce qui concerne le concept de délire, il faut commencer par rappeler que Freud l’envisage souvent, dans son analyse de la paranoïa, en fonction de sa proximité avec la raison22. Dans Totem et tabou, il suggère que le délire paranoïaque pourrait être décrit comme l’image distordue d’un système philosophique23. Dans Constructions dans l’analyse, il va même jusqu’à soutenir que « la folie non seulement comporte de la méthode, comme le poète l’a déjà reconnu, mais [...] elle contient aussi un morceau de vérité historique24 ». Si parler de délire de la raison n’est pas identique au fait de parler de rationalité du délire, l’articulation des deux concepts n’en est pas moins pertinente.
22Dans le cas du terme de folie, deux éléments font penser que le terme renvoie à la conceptualité psychanalytique. Tout d’abord, le fait que la folie soit à interpréter en un sens psychanalytique correspond à l’objectif que se donne La dialectique de la raison : parler de la déraison de cette raison sans tomber dans le langage de l’Aufklärung. Car celle-ci n’est pas avare de termes connotant la déraison : pour qualifier le mythe et l’animisme, le terme d’irrationalité (Irrationalität) est omniprésent. Certes, le terme de déraison (Unvernunft), très présent dans l’œuvre, pourrait aussi remplir cette fonction. Dans le fragment « Contre ceux qui ont réponse à tout » des « Notes et esquisses », Adorno et Horkheimer en font un usage très clair : la déraison est justement cette raison « générale et pourtant partiale » (p. 236 / p. 218) propre à l’Aufklärung. Elle est la limitation nécessaire de la raison bourgeoise25. Le problème est que ce terme de déraison, même s’il ne procède pas du langage de l’Aufklärung, fait pourtant l’objet d’une récupération : dans le même fragment, il est dit que les fascistes « défendent ouvertement les intérêts particuliers et démasquent ainsi les limites de la raison qui se réclame à tort de sa généralité » (p. 236 / p. 218). Le terme de déraison est par ailleurs surdéterminé par l’usage qu’en font aussi bien les « réactionnaires romantiques » (p. 109 / p. 100) que « l’avant-garde révolutionnaire » (p. 110 / p. 101). Seule la psychanalyse semble à même de caractériser la déraison indépendamment de ces récupérations idéologiques. L’autre élément à prendre en compte est que l’usage du terme de folie au niveau général de la dialectique de la raison fait clairement écho au terme de délire utilisé au niveau particulier des processus sociaux26. La parenté lexicale confère ainsi au terme de folie une dimension psychanalytique.
23Les termes de folie et de délire de la raison peuvent donc être compris en un sens psychanalytique et s’appliquent respectivement au niveau général de la dialectique de la raison et au niveau particulier des processus sociaux à l’œuvre dans le fascisme.
Psychanalyse et dialectique de la raison
24Mais si le délire intervient effectivement au niveau politique et social, cela n’implique pas pour autant que le terme de folie, convoqué pour des raisons stratégiques (ne pas parler le langage de l’Aufklärung) soit à comprendre en son sens psychanalytique.
25Une étude approfondie du processus d’autodestruction de la raison, au niveau à la fois général et particulier de la dialectique de la raison, donne des éléments de réponse à cette objection.
26Au niveau général, la folie de la raison semble avoir un sens psychanalytique car ses causes elles-mêmes sont exprimées par des concepts psychanalytiques.
27Revenons sur le passage cité où la folie de la raison est caractérisée. Il se situe dans le fragment « Ulysse, ou mythe et raison ». Adorno et Horkheimer y montrent comment la dialectique de la raison intervient au niveau de la formation du soi. Ils ont auparavant montré, dans « Le concept d’“Aufklärung” », que la dialectique de la raison s’initie lorsque l’effectuation du but assigné à la raison – « libérer les hommes de la peur et [...] les rendre souverains » (p. 19 / p. 21) – mène à son contraire : la raison désenchante la nature qui suscite la peur ; elle substitue ainsi à l’animisme et au mythe l’unification du réel sous le principe d’identité et de calculabilité. Mais ce faisant, elle reproduit l’irrationalité mythique en remplaçant la terreur originaire par un tabou universel : rien de la nature ne peut plus être inconnu ni extérieur à la raison (p. 32 / p. 33). La nature n’est plus que « le substrat de la domination » (p. 25 / p. 27). Au niveau de la formation du soi, cette dialectique articule le sacrifice, la ruse et le renoncement. Pour dominer les divinités naturelles, il faut les amadouer par le sacrifice. Le sacrifice est alors une ruse contre ces divinités, qui permet la conservation de soi. Progressivement, avec la démythification de la nature et sa domination croissante, la ruse se substitue entièrement au sacrifice. Pour autant, le sacrifice ne disparaît pas27 : il est intériorisé dialectiquement en renoncement. Ce renoncement au sacrifice permet à Ulysse d’être pleinement soi, mais c’est au prix d’un arrachement à la naturalité et à sa propre naturalité qui rendait nécessaire le sacrifice, et d’une soumission à la ruse : « L’homme rusé ne survit qu’au prix de son propre rêve, qu’il rachète en se démystifiant lui-même comme il démystifie les puissances extérieures » (p. 76 / p. 71).
28On estime habituellement que le fragment dialogue avec la psychanalyse à propos de la notion de renoncement, qui renvoie à l’idée de renoncement pulsionnel chez Freud28. On oublie cependant de prêter attention au terme qui caractérise ce renoncement, à savoir le déni (Verleugnung) : « C’est ce déni, quintessence de toute rationalité civilisatrice, qui est justement le germe à partir duquel l’irrationalité mythique continue à proliférer » (p. 73 / p. 68, trad. modifiée). Pourtant, ce déni est directement mis en relation avec le passage de la raison dans la folie : il est la cause de l’intronisation du moyen comme fin, qui, dans le capitalisme, « revêt le caractère d’une folie manifeste » (p. 73 / p. 68, trad. modifiée). L’interprétation psychanalytique du terme de folie serait ainsi renforcée par son articulation avec cet autre concept freudien de déni, qui est sa cause.
29Certes, le concept de déni (Verleugnung) pourrait ne pas être nécessairement compris en son sens freudien. Le terme intervient en effet sous la plume de Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit, précisément au moment de traiter du « combat des Lumières avec la superstition » : la critique des Lumières envers la foi amène les Lumières à se renier (sich verleugnen) elles-mêmes29. Toutefois, une analyse détaillée de l’argument à l’œuvre dans le passage du fragment sur Ulysse invite à prendre en compte la référence psychanalytique en plus de la référence à la dialectique hégélienne des Lumières.
30Quel est le sens de cette référence psychanalytique ? Le concept de déni est employé par Freud dès les premières analyses sur l’angoisse de la castration, mais il intervient surtout dans la caractérisation du fétichisme : le déni vient en effet expliquer comment il est possible que des choix objectaux se concentrent sur des parties non sexualisées du corps ou sur des objets qui lui sont associés. La raison en est que l’objet fétiche ou la partie du corps fétichisée joue le rôle de substitut face à l’absence de phallus constatée chez les personnes de sexe féminin. La production d’un tel substitut signifie alors que le sujet dénie cette absence, du fait de son caractère menaçant : l’absence de phallus renvoie à la possibilité de la castration. Le déni caractérise donc un mécanisme de défense qui consiste à désavouer une perception, ou bien un fait traumatisant et menaçant pour le sujet, tout en ne rejetant pas la réalité de la perception, ce qui nécessite pour l’individu de produire un fétiche qui se substitue au fait et d’opérer un clivage entre la partie de lui-même qui reçoit cette perception et celle qui la désavoue30.
31Or la structure de l’argument à l’œuvre dans l’idée de déni de la nature en l’homme présente des éléments de ressemblance frappants avec cette référence psychanalytique. Tout d’abord en ce qui concerne le premier moment de l’argument, à savoir l’objet du déni : la « nature dans l’homme » (p. 73 / p. 68). Il s’agit ici des instincts, des pulsions, des besoins à satisfaire, qui ont une double dimension : ils impliquent une situation de grande précarité face à une nature hostile et surpuissante ; ils peuvent aussi mener le soi à vouloir se dissoudre dans la « nature aveugle31 ». Le principal facteur du déni est donc présent : la crainte, la menace, sous la forme de la disparition extatique du soi dans la nature ou de son écrasement par la surpuissance de la nature32.
32Le deuxième élément de ressemblance structurelle concerne les conséquences du déni : de même que dans la théorie freudienne, tout autre objet de désir que le fétiche est exclu, de même le déni de la nature en l’homme conduit à une suppression : « toutes les fins pour lesquelles il se maintient en vie, le progrès social, le développement de toutes les forces matérielles et spirituelles, voire la conscience elle-même, sont réduites à néant » (p. 73 / p. 68). Les « fins » qui sont ici en question procédaient en effet d’un processus de différentiation, en l’homme, entre ce qui procède de la nature en lui et de sa propre nature33 : pour que ces fins établies par différentiation existent, il faut que la nature en l’homme soit reconnue par le soi. Le déni de cette nature conduit alors à la suppression des fins propres à l’homme.
33Ce qui amène alors une troisième proximité avec la caractérisation freudienne du déni : la constitution du fétiche34. Le fétiche exprime à la fois le triomphe sur la menace et la perpétuation de cette menace. Dans le fragment sur Ulysse, le soi substitue à la part de nature en lui qui a été déniée un fétiche : « la conservation de soi » (p. 73 / p. 68). Il s’agit du triomphe sur la menace de dissolution du soi dans la nature. Seule la conservation de soi importe, et celle-ci doit passer par une domination absolue de la nature. Mais ce triomphe reproduit l’existence de la menace : la conservation de soi est précisément la nécessité naturelle par excellence. La seule fin que l’homme peut alors s’assigner à lui-même quand il dénie la nature en lui et qu’il supprime par là même ses fins propres, est précisément cette fin qui abolit toute fin : le moyen. Ce qui explique l’expression de « moyen comme fin » qui est une autre formulation du fétichisme de la conservation de soi suite au déni de la nature en soi35.
34Au terme de cette analyse, on voit donc que la folie de la raison peut être comprise en un sens psychanalytique du fait de son articulation avec cet autre concept psychanalytique qu’est le déni, lequel intervient comme sa cause. Ce dernier est bien à comprendre psychanalytiquement : sans cela il serait impossible de comprendre pourquoi le refus de la nature en l’homme conduit au fétichisme des moyens et de la conservation de soi. Toutefois, un problème demeure : pourquoi le déni entraînerait-il la folie de la raison ?
35La théorie freudienne est ambiguë à ce propos. D’un côté, Freud soutient que le processus de déni qui conduit au fétichisme, s’il est perçu par le patient comme une anomalie, n’est pas un symptôme morbide, bien au contraire36. D’un autre côté, Freud montre l’ambivalence de ce processus37 : un tel détournement de la réalité est normalement l’apanage des psychoses.
36Adorno et Horkheimer semblent s’éloigner de Freud sur ce point. Dans La dialectique de la raison, si le déni conduit à la folie, c’est parce qu’il prépare les conditions objectives et subjectives d’une autodestruction de la raison au niveau social, sous la forme de la paranoïa. Dans le fragment « Éléments de l’antisémitisme », sont d’abord dégagées les conditions objectives de l’autodestruction de la raison dans le fascisme antisémite. Elles sont de nature économique : la domination sociale de la nature, qui devait rendre possible la satisfaction des besoins de tous, n’a pas tenu ses promesses :
« Parce que les masses dupées pressentent que cette promesse faite à tous restera un mensonge aussi longtemps qu’il y aura des classes, leur fureur éclate ; elles se sentent bafouées. Elles doivent refouler l’éventualité même de cette idée de bonheur, et la dénient d’autant plus furieusement qu’elle semble être sur le point de mûrir. Chaque fois qu’elle semblera se réaliser en dépit de renoncements de principe, ils ne peuvent s’empêcher de reproduire la répression infligée à leurs propres aspirations. » (p. 196 / p. 181)
37Cette promesse non tenue produit ainsi des effets sociaux et psychiques. Une grande partie des travailleurs se paupérise (p. 198 / p. 183), ce qui génère de la « fureur », de la frustration, et en réaction à l’impuissance face aux causes de cette frustration, le déni du bonheur possible et la répression des aspirations. Or ce renversement qui conduit à haïr ce à quoi on aspirait, et à persécuter tous ceux qui y aspirent manifestement à l’échelle de la société, repose en fait sur un mécanisme psychologique particulier : la projection pathologique, telle qu’elle est à l’œuvre dans la paranoïa. Selon Adorno et Horkheimer, le mécanisme de projection est certes inhérent à tout processus cognitif : « Dans cet abîme d’incertitude que doit franchir tout acte d’objectivation, se niche la paranoïa » (p. 218 / p. 201). Mais les conditions objectives produites par la domination sociale de la nature et des hommes font perdre tout contrôle réflexif sur ce mécanisme, produisant paranoïa individuelle et collective dans des proportions inégalées.
38Le déploiement de la raison (Aufklärung) mène bien à la folie au sens psychanalytique du terme : le déni de la nature en l’homme, qui conduit à la domination collective de la nature et à la réduction de la pensée individuelle à une simple « qualification » (p. 223 / p. 205) sur le marché du travail, empêche la pensée réflexive de contenir le déploiement des mécanismes psychiques occasionnés par la domination – la fureur, la frustration, la souffrance, et surtout la projection pathologique de la paranoïa.
39La psychanalyse joue donc un rôle dans le déploiement de la critique de la raison à l’œuvre dans La dialectique de la raison. Elle permet d’une part de caractériser l’autodestruction de la raison, centrale dans l’œuvre, comme un passage vers la folie, et d’élucider les moments dialectiques qui y conduisent : essentiellement le déni et le fétichisme. Elle a d’autre part une fonction stratégique décisive : elle qualifie l’irrationnel, la déraison, sans tomber dans le discours de l’Aufklärung.
40Cet usage de la psychanalyse peut alors apporter un éclairage nouveau que nous ne ferons que suggérer sur les problèmes théoriques et pratiques que pose La dialectique de la raison : à un niveau théorique, cette dialectique interprétée comme philosophie de l’histoire en rupture avec la critique de l’économie politique pourrait tenir son caractère inéluctable de la temporalité propre aux maladies psychiques, qui la structure et paraît elle aussi implacable. La dialectique acquerrait ainsi une dimension nettement matérialiste. À un niveau pratique, elle pourrait proposer des éléments de réponse à la critique selon laquelle La dialectique de la raison ne présenterait aucune issue à ce processus d’autodestruction de la raison. Les formules conclusives du « Concept d’“Aufklärung” » et des « Éléments de l’antisémitisme », qui accordent un poids très important à la réflexion pour sortir de cette dialectique, prennent une dimension pratique plus effective dès lors qu’on les réfère à la conceptualité psychanalytique, qui entend précisément lever le refoulement ou le déni par la réflexion38.
41Enfin, cet usage de la psychanalyse pourrait permettre de nuancer l’idée selon laquelle la critique de la raison à l’œuvre dans La dialectique de la raison est aporétique voire contradictoire. La contradiction apparente entre folie et raison se résout au niveau de la conceptualité psychanalytique.
42On serait ainsi amené à réévaluer l’importance de la psychanalyse dans les écrits d’Adorno et Horkheimer : non seulement il n’est plus possible de déployer une critique de l’économie politique qui ne convoque pas la psychanalyse, mais il ne serait également plus possible de déployer une conception de la raison et de sa dialectique qui l’ignore, et qui n’affirme pas l’immanence de l’inconscient à la raison39.
Notes de bas de page
1 Voir Helmut Dahmer, Libido und Gesellschaft. Studien über Freud und die Freudsche Linke, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1973 ; Wolfgang Bonß, « Psychoanalyse als Wissenschaft und Kritik. Zur Freudrezeption der Frankfurter Schule », in Wolfgang Bonß et Axel Honneth (dir.), Sozialforschung als Kritik : zum sozialudssenschaftlichen Potential der kritischen Theorie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1982, p. 367-425 ; Joel Whitebook, Perversion and Utopia. A Study in Psychoanalysis and Critical Theory, Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology Press, 1995 ; Russell Jacoby, Social Amnesia. A Critique of Contemporary Psychology, New Brunswick, Transaction Publishers, 1997 ; Gérard Raulet, « Psychanalyse et critique sociale », in Élisabeth Décultot, Michel Espagne, Jacques Le Rider (dir.), Dictionnaire du monde germanique, Paris, Bayard, 2007.
2 Voir Max Horkheimer, « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale », in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 55-68 ; Erich Fromm, « Tâche et méthode d’une psychologie sociale analytique », in La crise de la psychanalyse. Essais sur Freud, Marx et la psychologie sociale, trad. fr. par Jean-René Ladmiral, Paris, Anthropos, 1971, p. 228-233.
3 Voir Theodor W. Adorno, Der Begriff des Unbewussten in der transzendentalen Seelenlehre, in Gesammelte Schriften, vol. I : Philosophische Frühschriften, éd. par Rolf Tiedemann, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1973 ; Theodor W. Adorno, « The stars down to earth : The Los Angeles Times astrology column. A study in secondary superstition », in Gesammelte Schriften, vol. IX.2 : Soziologische Schriften II, éd. par Rolf Tiedemann et Susan Buck-Morss, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1975.
4 Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, Dialektik der Aufklärung, in Theodor W. Adorno, Gesammelte Schriften, vol. III, éd. par Gretel Adorno et Rolf Tiedemann, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1981, p. 72 sq. / Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1983, p. 68 sq. Les paginations données directement entre parenthèses dans la suite de ce chapitre renvoient à ces deux éditions ; la page dans l’édition allemande est donnée en premier, même si la version française est seule citée.
5 Voir Joel Whitebook, « The Urgeschichte of subjectivity reconsidered », New German Critique, 81, 2000, p. 125-141 ; Deborah Cook, « Nature, red in tooth and claw », Continental Philosophy Review, 40, 2007, p. 49-72.
6 « Die Dialektik der Aufklärung schlägt objektiv in den Wahnsinn um » (p. 230) / « La dialectique de la raison se renverse objectivement et devient folie » (p. 212).
7 « Der unbedigte Realismus der zivilisierten Menschheit, der im Faschismus kulminiert, ist ein Spezialfall paranoischen Wahns » (p. 218) / « Le réalisme inconditionnel de l’humanité civilisée, qui culmine dans le fascisme, est un cas particulier de délire paranoïaque dépeuplant la nature et, pour finir, les peuples eux-mêmes. » (p. 201, trad. modifiée)
8 Ce questionnement fait écho au paradigme mis au jour par le travail de Monique David-Ménard, La folie dans la raison pure : Kant lecteur de Swedenborg, Paris, Vrin, 1990. Il s’en distingue toutefois nettement en ce que la lecture psychanalytique du délire de la raison chez Adorno et Horkheimer se fonde sur leur connaissance approfondie des textes freudiens.
9 Dans « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale », Horkheimer exprime l’ambition de l’Institut de recherche sociale : procéder à « l’analyse du rapport entre la vie économique de la société, l’évolution psychologique des individus et les changements qui interviennent dans le domaine culturel » (Max Horkheimer, « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale », in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 65).
10 Erich Fromm, « Tâche et méthode d’une psychologie sociale analytique », in La crise de la psychanalyse. Essais sur Freud, Marx et la psychologie sociale, trad. fr. par Jean-René Ladmiral, Paris, Anthropos, 1971, p. 221 sq.
11 Voir Albrecht Wellmer, Kritische Gesellschaflstheorie und Positivismus, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1969 ; Luc Ferry et Alain Renaut, « Présentation », in Max Horkheimer, Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 7-32.
12 Manfred Gangl, Politische Ökonomie und Kritische Theorie. Ein Beitrag zur theoretischen Entwicklung der Frankfurter Schule, Francfort-sur-le-Main, New York, Campus, 1987.
13 « La première étude, qui est la base théorique des autres, tente de faire comprendre l’intrication de la rationalité et de la réalité sociale, ainsi que l’intrication de la nature et de la domination de la nature, qui en est inséparable » (p. 16 / p. 18).
14 Joel Whitebook, « The Urgeschichte of subjectivity reconsidered », New German Critique, 81, 2000, p. 125-141 ; Deborah Cook, « Nature, red in tooth and claw », Continental Philosophy Review, 40, 2007, p. 49-72.
15 Voir Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, trad. fr. par Anne Balseinte, Jean-Gilbert Delarbre et Daniel Hartmann, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 16. Freud décrit la « grande tâche commune » de l’humanité comme « sa propre conservation face à la surpuissance de la nature ». Voir Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, trad. fr. par Pierre Cotet, René Lainé et Johanna Stute-Cadiot, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 29.
16 Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, trad. fr. par Pierre Cotet, René Lainé et Johanna Stute-Cadiot, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 29.
17 Voir Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, trad. fr. par Anne Balseinte, Jean-Gilbert Delarbre et Daniel Hartmann, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 17.
18 Voir Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, in Œuvres complètes, vol. XV : 1916- 1920, trad. collective, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 282 sq.
19 Voir Sigmund Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, in Œuvres complètes, vol. XVII : 1923-1925, trad. collective, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 279-283.
20 Voir Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion : « L’être humain ne se contente pas de faire des forces de la nature des êtres humains avec lesquels il puisse avoir commerce comme avec ses pareils, ce qui ne tiendrait évidemment pas compte de l’impression terrassante qu’il a d’elles, mais il leur donne un caractère de père, il en fait des dieux » (trad. fr. par Anne Balseinte, Jean-Gilbert Delarbre et Daniel Hartmann, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 17 sq.) ; voir aussi Sigmund Freud, Le malaise dans la culture : « un cas peut revendiquer une significativité particulière, celui où un assez grand nombre d’hommes s’engagent en commun dans la tentative de se créer une assurance sur le bonheur et une protection contre la souffrance par un remodelage délirant de la réalité effective. C’est comme un tel délire de masse que nous devons caractériser les religions de l’humanité » (trad. fr. par Pierre Cotet, René Lainé et Johanna Stute-Cadiot, Paris, Presses universitaires de France, 2007, p. 24).
21 C’est un mécanisme de retour, sous la forme d’une perception externe, d’une perception interne réprimée. Cette répression suit un mode particulier de refoulement, qui prend la forme du rejet du monde extérieur par le retrait de tout l’investissement libidinal du sujet. Pour Adorno et Horkheimer, les pulsions sexuelles agressives taboues sont projetées pour être mieux combattues.
22 Voir « Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense » et « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité », in Sigmund Freud, Névrose, psychose et perversion, trad. fr. sous la direction de Jean Laplanche, Paris, Presses universitaires de France, 2010 ; « Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (Dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographique (le président Schreber) », in Sigmund Freud, Cinq psychanalyses, trad. fr. par Janine Altounian, Pierre Cotet, Françoise Kahn et al., Paris, Presses universitaires de France, 2014.
23 Sigmund Freud, Totem et tabou, in Œuvres Complètes, vol. XI : 1911-1913, trad. fr. par Joseph Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et al., Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 281.
24 Sigmund Freud, Constructions dans l’analyse, in Œuvres complètes, vol. XX : 1937-1939, trad. fr. par Janine Altounian, Pierre Cotet, Jean Laplanche et al., Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 71.
25 Ce qui revient à reprendre en l’inversant la thématisation kantienne de la déraison qui montre que la raison dépasse nécessairement ses propres limites.
26 La différence entre ces deux niveaux et leur articulation dans La dialectique de la raison a été posée dès l’avant-propos au texte. Voir p. 16 sq. / p. 18 sq.
27 Voir dans ce volume l’article de Gérard Raulet, « Ulysse, victime ou prêtre ? “La part de duperie inhérente au sacrifice” ».
28 Voir Jay M. Bernstein, Adorno. Disenchantment and Ethics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 199 sq. ; Joel Whitebook, « The Urgeschichte of subjectivity reconsidered », New German Critique, 81, 2000.
29 Voir Hegel : « Elle [l’intellection pure] se renie donc aussi bien comme intellection pure, car elle renie l’agir immédiatement conforme à un but, que comme intention pure, car elle renie l’intention de se démontrer libre des buts de la singularité. » (Georg W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. fr. par Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 477)
30 Voir Sigmund Freud, Le clivage du moi dans le processus de défense et l’Abrégé de psychanalyse, in Œuvres complètes, vol. XX : 1937-1939, trad. fr. par Janine Altounian, Pierre Cotet, Jean Laplanche et al., Paris, Presses universitaires de France, 2012.
31 Comme lors de la rencontre entre Ulysse et les sirènes.
32 Voir Joel Whitebook, « The Urgeschichte of subjectivity reconsidered », New German Critique, 81, 2000, p. 126-128.
33 Amadouer les divinités naturelles visait non pas simplement à la conservation de soi, mais à la conservation des « buts poursuivis par les hommes » (p. 64).
34 L’importance de la notion psychanalytique de fétichisme pour Adorno a été soulignée par Christian Schneider dans « Eine Mesalliance mit Folgen. Adorno und die Psychoanalyse », Mittelweg36, 19 (3), 2010, p. 43-62, ici p. 49 sq. Ce dernier renvoie à la lettre d’Adorno à Fromm du 16 novembre 1937 : « Je suis de plus en plus convaincu que la coïncidence véritable entre la théorie marxiste et la psychanalyse ne réside pas dans des analogies comme celles établies entre la superstructure et la base et le moi et le ça, etc., mais dans le caractère fétiche de la marchandise et dans le caractère fétichiste des hommes. » (Theodor W Adorno et Max Horkheimer, Briefwechsel 1927-1969, vol. I : 1927-1937, éd. par Christoph Gôdde et Henri Lonitz, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2003, p. 540, nous traduisons, Adorno souligne)
35 Dans le passage étudié, Adorno et Horkheimer parlent d’intronisation du moyen comme fin. Mais dans le fragment « Juliette ou Raison et morale », l’idée de fétichisme du moyen est avancée. Voir : « La magie s’est transférée dans la simple activité, dans le moyen, bref, dans l’industrie. [...] Le moyen est fétichisé : il absorbe le plaisir » (p. 124 / p. 113).
36 Voir Sigmund Freud, Fétichisme, in Œuvres complètes, vol. XVIII : 1926-1930, trad. fr. par Janine Altounian, Anne Balseinte, André Burguignon et al., Paris, Presses universitaires de France, 2015.
37 Voir Sigmund Freud, Le clivage du moi dans le processus de défense, in Œuvres complètes, vol. XX : 1937-1939, trad. fr. par Janine Altounian, Pierre Cotet, Jean Laplanche et al., Paris, Presses universitaires de France, 2012.
38 Selon la compréhension adornienne de la psychanalyse, qui tend à minorer la dimension fondamentale de la cure : le transfert. Cette conception est notamment exprimée dans l’Habilitationsschrift d’Adorno : « la thèse fondamentale de toute pratique psychanalytique est la suivante : la guérison de toutes les névroses est équivalente à la connaissance exhaustive du sens de leurs symptômes, par l’intermédiaire des malades » (Theodor W. Adorno, Der Begriffdes Unbewussten in der transzendentalen Seelenlehre, in Gesammelte Schriften, vol. I : Philosophische Frühschriften, éd. par Rolf Tiedemann, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1973, p. 236, nous traduisons).
39 Ce qu’avait précisément soutenu Adorno dans son Habilitationsschrift. Il montre qu’élaborer un concept transcendantal d’inconscient est possible et nécessaire car l’inconscient est immanent à la raison et non transcendant à elle, et parce qu’une telle conception transcendante de l’inconscient est irrationnelle et fait l’objet d’une récupération politique, notamment dans le fascisme.
Auteur
Normalienne, agrégée de philosophie, doctorante en philosophie à l’université Paris-Sorbonne et monitrice à l’École normale supérieure de Paris. Elle travaille sur les relations entre la Théorie critique et la psychanalyse.
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