La dialectique de la raison, contribution à une théorie du totalitarisme ? État autoritaire, État totalitaire et non-État
p. 117-135
Texte intégral
1Lorsqu’on cherche une théorie du fascisme allemand chez les théoriciens critiques de l’École de Francfort, on trouve essentiellement une analyse en termes d’autoritarisme. Cette première réponse doit être interrogée : quel est le sens de cette catégorie, liée à celle d’autorité, et quelle est sa pertinence pour penser la domination extrême ? Si, dans les années 1930 et 1940, les enquêtes empiriques mettent en avant la catégorie d’autorité, La dialectique de la raison, parue pour la première fois en 1944, semble opérer une rupture : elle paraît basculer du côté d’une analyse du totalitarisme avec la thèse massive selon laquelle la raison, au sens de l’Aufklärung, est par essence totalitaire. L’ouvrage commun d’Adorno et Horkheimer a pu dès lors être comparé aux Origines du totalitarisme que Hannah Arendt publie en 19511, dans la mesure où ces deux écrits partagent un projet commun : celui d’examiner les éléments qui ont cristallisé dans le totalitarisme, et tout particulièrement l’antisémitisme. Mais trouve-t-on véritablement dans La dialectique de la raison une contribution à la théorie du totalitarisme ? L’ouvrage de Horkheimer et Adorno en 1944 entend-il aller au-delà de la réponse en termes d’autoritarisme qui a été prédominante dans l’École de Francfort – et continue d’ailleurs de l’être à la fin des années 1940 avec les Études sur la personnalité autoritaire dirigées par Adorno2 –, réponse qui renverrait dès lors à un stade de la domination que le fascisme allemand aurait finalement dépassé en abandonnant le cadre encore constitutionnel de l’État ? Cela pourrait s’accorder avec la perspective de Hannah Arendt, qui distinguait très clairement entre tyrannie, autoritarisme et totalitarisme, le totalitarisme désignant une domination extrême abolissant la spontanéité même, alors que le pouvoir autoritaire renvoie à une source légitime susceptible de le borner3. Cette conception arendtienne est d’ailleurs consonante avec celle des juristes de la périphérie de l’École de Francfort : elle semble s’inspirer notamment de Neumann et de son célèbre Béhémoth4.
2Penser la domination extrême en termes d’autoritarisme, cela suppose de pointer les éléments d’intégration et de coordination des formes de pouvoir qui constituent une autorité. La domination y est considérée en un sens comme « rationnelle ». Cela suppose également une certaine forme de continuité avec les formes antérieures de domination. Mais le totalitarisme connote une domination plus radicale et englobante ; chez Arendt par exemple, cette notion désigne véritablement une domination sans précédent qui s’impose sans autorité par la terreur. Si cette domination porte sur tous les aspects de la vie, elle ne signifie pas pour autant un excès de politisation, mais plutôt une destruction des conditions de possibilité de la politique en même temps que de la liberté5.
3Derrière l’alternative quelque peu laconique de l’autoritarisme ou du totalitarisme, se cache une question plus complexe qu’elle n’en a l’air : il s’agit de comprendre quels sont les outils conceptuels dont les théoriciens critiques se dotent pour saisir la domination extrême à laquelle ils sont confrontés, et quel rapport ils entretiennent ainsi au contexte théorique de l’époque. Dès les années 1930, se fait jour en Allemagne un débat sur la nature autoritaire ou totalitaire de l’État nazi lors de la montée du nazisme, aussi bien du côté de théoriciens et juristes défenseurs du régime que de leurs opposants, qu’il s’agisse autrement dit de garantir la stabilité et la puissance de l’État après Weimar ou de critiquer l’affirmation croissante de la puissance et de l’idéologie nazie6. C’est dans ce contexte qu’a pu s’imposer l’appellation de totalitarisme. Dès lors, la critique de la domination menée par Horkheimer et ses collègues suppose de reprendre et peut-être de détourner des catégories qui sont au cœur de ces débats. On peut comprendre ainsi leur réappropriation critique de la catégorie de « totalitaire » (celle de totalitarisme restant davantage absente) – sans pouvoir pour autant résoudre la question de savoir pourquoi ni Horkheimer ni Adorno ne sont entrés de front dans ces débats.
4Pour tenter de répondre aux questions soulevées par ces catégories, nous allons restituer dans un premier temps les différentes analyses de la domination « totale » proposées par les théoriciens critiques, en termes d’État autoritaire, d’État totalitaire et de non-État, avant d’envisager dans un deuxième temps la spécificité de la réponse donnée par La dialectique de la raison, qui introduit et déplace la question du « totalitaire »– un déplacement dont nous essaierons de dégager les enjeux dans un troisième temps.
L’analyse « francfortoise » du fascisme au début des années 1940
5L’émergence du « fascisme allemand » (c’est le terme privilégié par Horkheimer et Adorno) a été déterminante dans l’élaboration de la théorie critique, à la fois comme objet d’analyse7 et comme élément commandant l’évolution de la Théorie critique, autrement dit sa radicalisation, depuis le diagnostic de l’impuissance de la classe ouvrière de 1926 et l’élaboration du programme interdisciplinaire de 19318, jusqu’à la mise en question de la raison et le constat de l’impuissance de la théorie qui se font jour dans les années 1940.
6Initialement, le concept d’autorité est mis en avant dans les écrits des théoriciens critiques rassemblés à l’Institut de recherche sociale. Les projets menés dès la fin des années 1920 par Horkheimer et Fromm, puis avec Marcuse, reposent sur une articulation entre philosophie sociale et psychologie ou psychanalyse. Ils tentent de circonscrire des formes de domination qui se distinguent de l’exploitation et ne relèvent pas seulement de l’organisation socio-économique mais sont d’ordre culturel ou psychique. Ces modalités anthropologiques de la domination expliquent que la résistance des individus soit entamée et l’obéissance favorisée dans les conditions sociales et économiques spécifiques de la montée du fascisme9. L’autorité désigne le type de caractère psychique et culturel qui se trouve renforcé – le caractère autoritaire –, mais aussi la structure politique de l’État. Ces analyses en termes d’autoritarisme se poursuivent en outre à la fin des années 1940 avec les Études sur la personnalité autoritaire dirigées par Adorno.
7Parallèlement, et sans qu’il y ait de distinction claire avec l’étude de la domination en termes d’autoritarisme, jusque-là prévalente, se font jour dans les écrits des théoriciens de l’École de Francfort des analyses qui s’approchent souvent d’une théorie du totalitarisme ou la croisent en plus d’un point. On peut tout d’abord citer la réflexion sur l’État total menée par Marcuse en 193410. Ce dernier analyse le passage du libéralisme à l’autoritarisme et les transformations politiques et idéologiques liées à la « conception de l’État » et issues de l’évolution du capitalisme vers le monopole et le capitalisme d’État. « L’État autoritaire total » est selon lui la forme correspondant au capitalisme avancé : il est issu du libéralisme, et se déploie en même temps en réaction contre lui par la réactivation d’éléments irrationalistes. Ce qui est célébré par Cari Schmitt, l’État total comme moyen de restaurer l’ordre politique11, est critiqué par Marcuse au milieu des années 1930 en tant que modalité spécifique de domination sur le plan politique et idéologique, menaçant l’individu et l’organisation rationnelle. À cette époque, les concepts d’autoritarisme et de totalitarisme se situent dans une continuité : ils sont une manière de mettre l’accent sur des modalités différentes d’une domination étatique qui se fait de plus en plus forte.
8Le deuxième exemple est la thèse développée par Friedrich Pollock dans ses articles de 1941 sur le capitalisme d’État, et sa reprise ou traduction – voire son déplacement – par Horkheimer dans « L’État autoritaire ». Le capitalisme d’État correspond à la forme de la phase post-libérale du capitalisme à l’ère de la concentration monopolistique12. Il s’agit d’un nouvel ordre qui dépasse l’ordre libéral organisé par le marché concurrentiel et la propriété privée. Même si Pollock ne discute pas explicitement les thèses de l’époque sur le totalitarisme13, il s’approche d’une analyse du totalitarisme, comme les réflexions de Horkheimer qui la reprennent et l’infléchissent, élaborant en 1942 une réponse en termes d’« État autoritaire ». Il s’agit en effet de penser l’affinité entre stalinisme et nazisme sous la forme du capitalisme d’État, donc d’une figure étatique – que Horkheimer va appeler l’État autoritaire.
9Horkheimer suit la thèse pollockienne du capitalisme d’État, qu’il comprend comme « État autoritaire du temps présent ». Il ne fait pas explicitement référence à la Russie, mais il compare le fascisme ou capitalisme d’État (national-socialiste) et l’étatisme intégral ou le socialisme d’État (sous-entendu : de l’Union soviétique)14, en tâchant de montrer que le capitalisme survit précisément sous la forme d’une domination politique qui remplace le libéralisme et ses institutions au sein d’une économie encore capitaliste marquée par la monopolisation et la centralisation. Les organisations prolétariennes partagent selon lui avec les organisations capitalistes « l’esprit d’administration » et la bureaucratisation. La fin de l’exploitation économique laisse intacte la domination politique. À partir de cette comparaison, les différences entre les deux types apparaissent. Dans ces deux tendances à la domination intégrale, une forme est plus cohérente ou plus pure : celle de l’Union soviétique, avec la planification de Staline, l’accumulation et la production accélérée, dont le résultat est l’impuissance de la classe ouvrière. Horkheimer diagnostique un cycle de pauvreté, de domination et de guerre. L’autre forme est mixte : le fascisme allemand revêt les traits de l’étatisme intégral mais contient aussi des éléments de capitalisme privé. Sur le plan du contenu, la différence est idéologique et se manifeste avec la question du racisme.
10Toute la question est de savoir si cette réponse en termes d’État autoritaire – qui s’approche de la thèse totalitaire – est à la hauteur du problème : saisir la spécificité du totalitarisme. La référence à l’autorité est certes trompeuse : les éléments de légitimation de ces formes politiques ne relèvent aucunement d’une reconnaissance libre de la légitimité du pouvoir, mais d’éléments de terreur. La forme politique est l’expression du déploiement d’une rationalité technologique qui réduit les questions économiques à des questions techniques. Mais en même temps, cette référence est justifiée par la continuité que l’on peut établir avec les analyses du caractère autoritaire et des transformations de l’individualité. Horkheimer diagnostique une « fin de l’individu » : dans les conditions post-libérales, l’individu n’intériorise plus l’autorité à proprement parler, mais, lorsque celle-ci décline, il se réduit à être une fonction dans le système social, un « centre de réactions ». En parlant d’autoritarisme, mais surtout en parlant d’État autoritaire, Horkheimer comprend les formes de domination comme profondément intégratrices, soumettant les individus à la rationalité du tout, et fait émerger ainsi l’irrationalité du système. Cette réponse, du moins lorsqu’elle est formulée en termes de capitalisme d’État, est toutefois l’objet d’un clivage parmi les membres de l’Institut et ne peut être admise par Neumann, par exemple.
11La position de Neumann fournit un troisième exemple d’appréhension du totalitarisme dans l’École de Francfort – dont on voit que la conception de la domination national-socialiste est loin d’être homogène. Mais cette fois, l’autoritarisme est distingué du totalitarisme. L’analyse horkheimerienne de 1942 mettait l’accent sur le rôle de l’État dans l’économie et sur la structure économique et étatique de la domination. Neumann s’oppose à la thèse de Pollock, et dans une moindre mesure à celle de Horkheimer, et parle du système totalitaire comme d’un non-État. Si, en faisant référence à l’autoritarisme, Horkheimer ne tranche pas explicitement sur la nature « totalitaire » de la domination ni sur sa spécificité, et élabore plutôt un modèle commun de domination déterminé par une certaine évolution du capitalisme, il manque d’une certaine manière ce qui fait l’originalité de la thèse de Neumann sur le fascisme comme non-État. L’analyse de Neumann se présente davantage comme une analyse du totalitarisme, qui désigne la « mobilisation » (on pense à Jünger) de toutes les forces de vie des individus en vue de la constitution non pas seulement d’un État total, comme le pense Schmitt15, avec l’étatisation de la culture et de l’économie, mais précisément d’une communauté totale pour laquelle l’État est un instrument. Le totalitarisme va plus loin que l’autoritarisme dans l’abolition de la distinction entre État et société, entre individu et tout, ruinant les conditions du politique ; il manifeste alors son caractère sans précédent. Notons qu’il est paradoxal que le tenant du « primat de l’économie » fasse surgir l’originalité de cette forme politique.
12Selon Neumann, le « système totalitaire » est un chaos, un désordre, d’où l’image de Béhémoth :
« Comme nous considérons que le national-socialisme est – ou tend à devenir – un non-État, un chaos, un règne du non-droit et de l’anarchie, qui a dévoré les droits et la dignité humaine et ambitionne de transformer le monde en chaos en établissant son hégémonie sur de gigantesques étendues de terre, il nous semble approprié d’appeler le système national-socialiste Béhémoth16 . »
13Refusant de comprendre le national-socialisme en termes de capitalisme d’État, Neumann considère qu’il s’agit d’une économie monopolistique qui est en même temps une économie dirigée. Le modèle du « capitalisme monopolistique » a selon lui remplacé le modèle capitaliste concurrentiel : la liberté de contrat a disparu et le problème essentiel est devenu l’interventionnisme étatique, la possession de l’appareil d’État étant l’axe autour duquel tout s’organise. Le national-socialisme est à comprendre comme un mélange d’économie de monopole et d’économie dirigée : « une économie capitaliste privée encadrée par l’État totalitaire. Un “capitalisme monopoliste totalitaire”17 ». « Totalitaire » n’est donc pas à entendre ici au sens d’une comparaison entre fascisme et stalinisme, mais au sens des modalités du pouvoir qui s’exerce.
14Ainsi, il ne s’agit pas d’un État, si l’on entend par là le règne du droit. Un État se définit idéologiquement par l’unité du pouvoir politique qu’il exerce. Neumann écrit : « je doute que même un État conçu dans ce sens restrictif existe en Allemagne18 ». En lieu et place des règles de droit, se fait jour un principe d’autorité :
« Sous le national-socialisme, l’ensemble de la société est organisé en quatre groupes compacts et centralisés, fonctionnant chacun selon le principe d’autorité et chacun doté de pouvoirs législatif, judiciaire et administratif propres. Ni le droit universel, ni une bureaucratie au fonctionnement rationnel ne sont nécessaires à leur intégration19. »
15Ce n’est pas l’État qui unifie le pouvoir politique, mais il y a plusieurs pouvoirs politiques coexistants, celui du parti, de l’armée, de la bureaucratie et de l’industrie. « Mis à part le pouvoir charismatique du chef, aucune autorité ne coordonne les quatre pouvoirs, et le compromis ne peut nulle part se conclure sur une base universellement valide20. » Plutôt que d’un État, il s’agit d’une « forme de société » dans laquelle « les groupes dominants contrôlent directement le reste de la population, sans la médiation de cet appareil rationnel bien que coercitif connu sous le nom d’État ». On peut donc considérer, comme nous y invite Abensour, que l’État autoritaire est, pour Neumann, un tiers terme qui désigne autre chose que la démocratie et le totalitarisme21. Dans cette même perspective, dans un texte plus tardif de 1954, « Notes sur la théorie de la dictature », Neumann semble procéder au même type de distinction nuancée avec la notion de dictature. Partant de l’idée de dictature du prolétariat, il essaie de dégager la spécificité d’une dictature totalitaire selon une démarche dont le souci est de prendre en compte les conditions institutionnelles objectives de la domination.
Le déplacement de La dialectique de la raison : un sens nouveau donné au terme « totalitaire »
16Dans La dialectique de la raison, la question du totalitarisme se pose de façon apparemment plus explicite. Elle paraît consister, à travers le diagnostic d’une maladie de la raison, en un déplacement du problème politique, celui du type de régime qu’est l’État autoritaire et de son fonctionnement, au problème civilisationnel de la rationalisation. Elle consiste solidairement, dans une certaine mesure, en une réduction de la question du rapport entre théorie et pratique (qui était au cœur de l’essai sur « L’État autoritaire » de Horkheimer) à celle de la seule possibilité de la théorie.
17Mais certaines continuités avec les analyses du début des années 1940 sont visibles. Dès 1942, Horkheimer insiste sur la nécessité d’une théorie radicale disjointe de tout parti, de toute politisation trop rapide. Il y a par exemple, dans « L’État autoritaire », une théorie du langage et de sa puissance critique, des considérations sur la fragilité de la parole qui constitue une étincelle de liberté possible22, ou encore sur les individus isolés qui constituent les porteurs de la critique23. Il y a en outre une réflexion sur l’héritage des Lumières et de la Révolution qui irrigue le texte. Ces considérations nous semblent se faire jour dans La dialectique de la raison : c’est la philosophie de l’histoire qu’il faut combattre, et la critique du progrès est menée tout au long du livre, ressaisie dans le fragment sur la « Critique des philosophies de l’histoire ».
18Quel changement introduit alors l’ouvrage de Horkheimer et Adorno ? Tout d’abord, la réponse en termes d’autoritarisme est toujours présente mais passe au second plan : on la trouve en filigrane dans l’analyse de l’industrie culturelle, qui désigne un autoritarisme horizontal, sans Führer, lié à la perte de l’individualité. On la retrouve également de façon discrète dans les considérations psycho-sociologiques sur la paranoïa qui est à l’œuvre dans l’antisémitisme. La catégorie d’autorité, étroitement liée à celle d’autoritarisme (contrairement à la manière dont ces catégories fonctionnent chez Arendt), désigne le rapport de l’individu au tout de la société, l’enchevêtrement de la constitution de l’individualité et du fonctionnement de la domination totalitaire. L’« autoritaire » est une catégorie anthropologique qui tend à désigner le support de la domination. Et si La dialectique de la raison n’évoque plus directement l’autoritarisme, il va rester la réponse d’Adorno, dans les études sur la Personnalité autoritaire et plus généralement dans toutes les Studies in Prejudice, sur la nature et le fonctionnement de la domination, comme catégorie saisissant à la fois les transformations « objectives » de la domination dans le monopole et le capitalisme d’État ainsi que les transformations du sujet. La continuité avec le libéralisme n’est pas véritablement atténuée, mais c’est le renversement de la raison en « folie » qui prime.
19Mais deuxièmement, la réponse en termes étatiques semble moins centrale dans l’ouvrage. Les auteurs évoquent bien davantage l’ordre totalitaire ou le système totalitaire. Cela n’est pas séparable de tout le travail d’effacement du vocabulaire marxiste, comme la référence aux « rapports de classe », au « monopole » – qui devient en 1947 « l’industrie » ou « les trusts »–, au « capital »– qui devient « l’économie » –, au « capitalisme » – qui disparaît –, ou encore au « profit » ou au « libéralisme »– qui devient « jusqu’ici24 ». Le sens de cet infléchissement est l’absence de tout espoir dans le capitalisme d’État – contrairement à la position initiale de Pollock –, qui ne constitue en aucun cas une libération de la domination, mais plutôt la garantie de la rechute dans la domination et, d’autre part, une perception plus englobante des mécanismes de domination qui font système. Il nous semble ainsi qu’au moment où les auteurs s’approprient dans une certaine mesure la thèse de Pollock sur le capitalisme d’État et lui dédient l’ouvrage, ils prennent aussi paradoxalement leurs distances avec une partie de son hypothèse, en mettant en question la centralité du pouvoir et son caractère étatique. Si cet infléchissement n’empêche pas la référence à l’autoritarisme, c’est parce que ce concept est alors utilisé dans un registre psycho-sociologique qui ne contient plus de référence explicite à un État fort, et qu’il peut dès lors se nouer avec l’analyse de ce nouvel ordre aux processus pluriels, systématiques, et fortement intégrateurs, de domination.
20Enfin, si La dialectique de la raison se présente comme une certaine thèse sur le totalitarisme plutôt que sur l’autoritarisme, c’est en déplaçant considérablement la signification du terme totalitaire qui était en vigueur dès les années 1940. À présent, c’est l’Aufklärung qui est totalitaire. Telle est la proposition qui structure le premier chapitre de l’ouvrage, « Le concept d’“Aufklärung” ». Sa première occurrence vient juste après une référence à la Phénoménologie et reprend la critique hégélienne des Lumières. Le caractère totalitaire de l’Aufklärung renvoie d’abord à l’idée d’une extension de l’Aufklärung qui se reconnaît même dans les mythes. Il renvoie du même coup à l’idée d’un retournement, d’une utilisation ou d’une récupération de la résistance qui la désamorce : en résistant, en s’opposant, les mythes se transforment en arguments et ils reconnaissent le principe de rationalité destructrice qu’ils reprochent à l’Aufklärung25. Ce qui s’oppose perd sa force en admettant en quelque sorte malgré lui ce qu’il rejette, par pétition de principe. On en trouve un écho dans les « Éléments de l’antisémitisme26 ». La deuxième occurrence vient après le renversement qui consiste à dire que « les mythes, victimes de l’Aufklärung, étaient eux-mêmes déjà des produits de celle-ci » (p. 25). De nouveau, elle suit une référence à Hegel et à la négation déterminée : si Hegel a sauvé quelque chose de la « décadence positiviste » de l’Aufklärung, il est quand même tombé dans le piège de la mythologie en « élevant finalement au rang d’absolu le résultat conscient du processus entier de la négation (la totalité systématique et historique) ». Et ce qui est arrivé à sa philosophie, « apothéose de la pensée en progrès », est arrivé aussi à l’Aufklärung elle-même, car elle est plus totalitaire que n’importe quel système (p. 41). Si le système hégélien renvoie à un processus qui détermine l’objet depuis le début – sans dehors en quelque sorte –, l’Aufklärung est encore plus totalitaire en tant que détermination préalable à laquelle rien n’échappe. Elle est une pensée qui soumet tout ce sur quoi elle porte.
21Ainsi, la signification du terme « totalitaire » dans La dialectique de la raison est-elle infléchie par rapport à son usage politique : l’adjectif qualifie dès lors la théorie, en tant que le particulier lui échappe car elle ne lui fait pas droit, et le processus par lequel la singularité est soumise à la violence du concept qui l’étouffe. Dans le chapitre sur la Kulturindustrie27, le terme « totalitaire » qualifie également le langage en un sens qui n’est pas celui des théories contemporaines du totalitarisme. C’est cette voie critique de la dialectique que poursuit Adorno dans la Dialectique négative. Selon la formule de William David Jones, l’adjectif « totalitaire » attribué à la raison ou aux Lumières « émerge dans les écrits de Horkheimer et Adorno non comme un terme passe-partout décrivant les régimes de parti-État, mais comme un terme-étiquette que les deux théoriciens ont attaché au caractère unifiant et nivelant de la raison instrumentale qui ne tolérait rien qu’elle ne puisse organiser28 ». En ce sens, être totalitaire signifie absorber la liberté, l’exception ou la révolte. Le totalitarisme politique ne semble intéresser les théoriciens critiques qu’en tant qu’il est l’effet secondaire ou la manifestation d’un totalitarisme de l’Aufklärung qui n’est lui-même pas spécifiquement moderne : c’est un processus lié à la rationalisation en tant qu’elle est déjà le geste du mythe. Ce processus récupère ce que Horkheimer appellera, dans Éclipse de la raison, la « révolte de la nature » qui accompagne la rationalisation. Selon la formule des « Éléments de l’antisémitisme », « [l]e mécanisme assumé par l’ordre totalitaire est aussi vieux que la civilisation » (p. 195). Ce mécanisme totalitaire est lié à l’idiosyncrasie et la projection pathique ou fausse projection, c’est-à-dire à des modalités pathologiques de l’activité formatrice du sujet qui façonne et reconstruit le monde. Pour expliquer ces mécanismes, Adorno et Horkheimer mobilisent la psychanalyse et le schématisme kantien de la première Critique. C’est en ce point qu’intervient la question de la bonne mimésis : elle ouvre le difficile chemin d’un rapport non pathologique à la nature. Pour éclairer l’objet, le sujet doit apporter davantage qu’il ne reçoit d’elle, c’est le risque de la projection d’un ordre de domination29.
22La thèse, que l’on peut soupçonner de simplification, selon laquelle c’est la raison elle-même, à la lettre l’Aufklärung, qui serait totalitaire – comme la pensée que l’Aufklärung déploie et qui est liée au mythe – relève en quelque sorte d’un premier niveau de discours dans La dialectique de la raison. À un second niveau, l’ouvrage développe une dialectique de la raison dans laquelle « l’interdisciplinarité » se trouve poursuivie sous une autre forme, celle de « l’essayisme » pour le dire dans les termes de Gérard Raulet30 : un discours sur la rationalisation et son renversement qui vise à expliquer la maladie de la raison et sa folie ainsi qu’à analyser les mécanismes psychiques de la constitution du moi (la conservation de soi « lorsqu’il n’y a plus de soi à conserver ») et les mécanismes projectifs de l’antisémitisme en développant une véritable anthropologie de la domination étudiant l’idiosyncrasie et la projection comme ressorts de l’antisémitisme. Dans ce contexte, l’ouvrage déploie une réflexion sur le marxisme et sur l’hypothèse de Pollock, qui s’esquisse notamment dans la théorie du racket (présente dans « Le concept d’“Aufklärung” », les « Éléments de l’antisémitisme », mais aussi dans des fragments non publiés31), exemple d’articulation entre des recherches particulières et une thèse globale. Cette théorie du racket, qui est moins une théorie aboutie et définitive que le résultat provisoire de discussions parmi les théoriciens critiques, d’Adorno, Horkheimer et Marcuse à Kirchheimer et Neumann32, constitue en un sens une réponse au problème de la nature de la domination politique extrême. Il s’agit au départ de la reprise critique d’une image, voire d’un discours en vigueur, mis en scène par Brecht, par exemple dans la Résistible Ascension d’Arturo Ui, pour figurer un type de domination des cliques ou des gangs sur certains segments de production, domination qui opprime en protégeant. Le racket désigne la modalité de fonctionnement d’une totalité qui exige l’allégeance de l’individu. Ce dernier y perd en définitive son individualité.
« Il est exigé de briser complètement la personnalité : c’est la garantie absolument fiable de la loyauté future. L’individu doit renoncer à tout pouvoir et couper les ponts derrière lui. En tant que véritable Léviathan, le racket exige un pacte social sans réserve. Une série de glissements conduit du sacrifice de sa propre mère, que le futur magicien doit consentir au racket, jusqu’à la thèse de doctorat dans les universités, par laquelle l’élève démontre que sa pensée, sa manière de sentir et de parler, ont irrévocablement endossé les formes du racket académique33. »
23Le racket, modalité d’insertion dans le système, figure une domination « totalitaire » au sens redéfini par Horkheimer et Adorno. La domination illustrée par le racket récupère toute résistance de l’individu. L’idée de la démocratie qui est menacée par cette domination n’y transparaît que faiblement. Dans « Les rackets et l’esprit », les auteurs écrivent : « Dans l’idée vraie de la démocratie, qui mène dans les masses une existence refoulée et souterraine, le pressentiment d’une société libérée du racket ne s’est jamais tout à fait éteint34 ».
24L’analyse du racket renvoie également à l’hypothèse de Pollock sur le primat du politique. On peut considérer qu’elle traduit le primat du politique, parce qu’elle exprime la forme que prend la domination lors de l’apparente extinction de l’antagonisme de classe, en même temps qu’elle le discute.
« L’histoire de l’économie récente, des monopoles, est l’usurpation accomplie en bonne intelligence par les leaders du capital et du travail, c’est l’histoire de guerre entre bandes, de gangs et de rackets35. »
25Le racket figure une domination politique qui s’appuie sur la domination économique liée à l’échange de marchandises, mais l’utilise activement à ses propres fins et l’abolit finalement, de sorte que l’on a affaire à une forme de vol ou d’usurpation. Ce n’est donc pas de l’extérieur que le pouvoir politique s’empare de l’économie36. Dans cet usage du « primat du politique », l’opposition avec le primat de l’économique est en quelque sorte invalidée. On peut d’ailleurs en dire autant de Neumann, qui rend caduque cette opposition en redéfinissant le rôle du politique. On trouve confirmation de cela dans un fragment finalement laissé de côté lors de la publication de La dialectique de la raison, « À propos de l’idéologie de la politique aujourd’hui37 ». En rappelant le primat du politique, Horkheimer et Adorno mettent parallèlement en garde contre le caractère idéologique de cette conception de la politique, du pouvoir étatique comme « cause ultime », qui conduit « la masse dominée » à « hypostasier la surface », à « attribue[r] à la politique ce qui se passe dans le monde » : elle « accepte la grande politique comme une sorte de destin et de nature comme elle a auparavant accepté la dépression économique38 ». Le racket incarne un primat du politique pour autant qu’il n’y ait nulle hypostase de ce pouvoir. La réponse en termes de racket est bien une manière de désigner un fonctionnement politique de la domination extrême qui « liquide » l’individu et le laisse impuissant, mais sans rejoindre véritablement une analyse comparée du stalinisme et du nazisme.
Les enjeux du déplacement
26Confrontons la thèse sur l’Aufklärung totalitaire à ce que l’on peut identifier comme étant la thèse du totalitarisme telle qu’on la trouve dès les années 1940 sous différentes formes non unifiées chez les auteurs de la gauche allemande. Si l’on suit Alfons Söllner39, la critique du totalitarisme se décompose en trois propositions : d’abord, elle établit « une comparaison entre national-socialisme et stalinisme comme formes les plus prononcées de la domination totalitaire » ; ensuite, elle se concentre de façon méthodique sur le système politique et les méthodes de domination des dictatures totalitaires ; enfin, elle conduit à réfléchir le totalitarisme de façon normative selon l’idéal-type de l’État de droit démocratique de type occidental.
27On peut faire deux remarques. D’une part, La dialectique de la raison ne satisfait que partiellement au deuxième critère d’une théorie du totalitarisme – si l’on commence par là –, à savoir la concentration méthodique sur le système politique, puisqu’elle se déploie comme un diagnostic sur la rationalité, la culture et la civilisation, et non comme une analyse politique des régimes – déplacement dans lequel réside l’originalité de la position de Horkheimer et Adorno par rapport à celle de Pollock. La dimension « totalisante » de cette catégorie pour Horkheimer et Adorno est justement un point de clivage entre « centre » et « périphérie » de l’École de Francfort, Neumann et Kirchheimer ne se référant aux modèles de la dictature totalitaire qu’avec d’extrêmes précautions méthodologiques.
28D’autre part, concernant le premier critère, La dialectique de la raison privilégie l’attention au national-socialisme ou au « fascisme allemand », et comme le souligne Söllner, elle se tait sur le stalinisme. Nous l’avons indiqué, la référence au stalinisme est bien présente de façon implicite dans l’essai de Horkheimer sur « L’État autoritaire », et la condamnation du stalinisme est même antérieure, puisque Horkheimer en fait part dans sa correspondance avec Benjamin40. D’une certaine manière, c’est le point de vue sur l’Union soviétique qui explique le « cercle » dans lequel est prise la critique ainsi que la difficulté d’arriver à la construction d’un idéal-type démocratique. On touche ici tout autant à la troisième caractéristique d’une théorie sur le totalitarisme. Le concept englobant de totalitarisme – pour le dire dans les termes de David Jones, le fait que l’État totalitaire « n’était pas une déviation ou un détour écartant de l’avancée de la raison » mais « l’apothéose politique de la raison41 » – empêche une allégeance explicite aux normes des démocraties occidentales. Cela fait émerger l’objection selon laquelle le caractère totalisant des Lumières laisserait la critique sans point fixe, sans valeurs sur lesquelles s’appuyer. Et si La dialectique de la raison est souvent écartée du canon des textes antitotalitaires42, c’est en raison de la contradiction dans laquelle elle se trouverait prise : en critiquant l’Aufklärung, elle saperait le fondement normatif de sa critique des formes totalitaires, ce qui l’empêcherait de développer un point de vue politique (libéral) depuis lequel la critique du totalitarisme aurait un sens. Or ce reproche fait aux théoriciens de Francfort de tomber dans un cercle masque en réalité la complexité de la thèse de La dialectique de la raison derrière son apparente simplicité43. Comme le montre une série de discussions préparatoires à la rédaction de l’ouvrage ou de paralipomènes de Horkheimer et Adorno, même si les deux versions de La dialectique de la raison n’ont pas distingué très explicitement les bonnes et les mauvaises Lumières, l’enjeu était de penser la dégénérescence propre au régime démocratique lui-même, en mettant au jour les continuités « anthropologiques », sur un plan culturel et psychologique, dans l’exercice de la domination. La référence à l’Aufklärung totalitaire correspond à un effort pour faire le procès critique des démocraties occidentales sous l’angle de la crainte de leur propre devenir totalitaire. Le spectre du totalitarisme du pays d’accueil est notamment au cœur des écrits sociologiques d’Adorno, et tout particulièrement des Études sur la personnalité autoritaire qui constituent l’un des tomes des Studies in Préjudice. Ces études dégagent les conditions sociales et psychiques de possibilité de développement du « type libéral », non autoritaire, qui n’est plus qu’à peine un « type » puisque le sujet ne manifeste pas seulement une mentalité procédant « par étiquette » mais pense par lui-même.
29Le projet de La dialectique de la raison, dont les auteurs admettent qu’il n’était pas forcément assez clair dans l’ouvrage lui-même, est le sauvetage de la raison par elle-même, des Lumières par elles-mêmes. C’est le sens de cette thèse « hétérodoxe » sur le totalitarisme : saisir un retournement de l’Aufklärung et plus généralement de la raison. Si la cible commune d’Adorno et Horkheimer est la philosophie de l’identité, terreau du totalitarisme, leur problème est de repenser la dialectique à partir du primat du négatif, comme garantie du moment critique. Cela pose le problème de la distinction entre bonne et mauvaise Aufklärung. Adorno en propose une distinction au cours d’une discussion sur Schopenhauer et Hegel :
« La pensée positive qui est revenue à elle-même doit être celle qui est capable de faire effectivement la distinction historique concrète entre spleen et idéal, la distinction entre espoir et désespoir. La mauvaise Aufklärung se départit, de par sa totalité absolue, du concept de différence ; la bonne Aufklärung maintient, face au nivellement, le concept de différence. L’universel est en fait toujours le néant, mais si le concept peut mettre un point d’arrêt à sa propre universalité, alors il est à même de comprendre ce qui n’est rien44. »
30Adorno insiste sur le fait que la négativité ne suffit pas si elle reconduit à l’identité (entre être et pensée, même via le rien), à une totalité négative qui serait celle de la souffrance. Sauver les Lumières, c’est trouver une modalité de l’Aufklärung qui fasse droit à la différence et brise l’identité.
31Dans la discussion, le jugement sur la Russie et sur la démocratie apparaît comme étroitement lié à celui sur l’Aufklärung. En cherchant à déterminer le moment d’unité où se rejoignent politique et philosophie, Horkheimer le situe « dans le maintien des impulsions radicales du marxisme et, au fond, de toute l’Aufklärung – car sauver l’Aufklärung est notre propos – sans pour autant faire le pas d’identifier ces intentions à un groupe ou parti existant empiriquement45 ». Le parallèle entre projet politique et projet théorique critique (comme maintien dans la négativité) apparaît clairement. La question de l’enjeu politique de la théorie émerge lors de la réflexion sur l’attitude qui pourrait conduire à « retenir [...] sa critique de la démocratie » pour mieux condamner la Russie. Mais apparaît ici toute la difficulté ou le caractère apparemment circulaire de la démarche – la figure du baron de Münchhausen est d’ailleurs évoquée : « démontrer le caractère limité et la non-vérité du point de vue stoïque », « sans succomber en même temps à la positivité de l’absolu46 ». La théorie est profondément redéfinie par Horkheimer et Adorno à partir de cette conception de son sens politique :
« C’est pour ainsi dire un matérialisme qui abandonne le préjugé selon lequel un quelconque moment de la réalité matérielle existante serait immédiatement le positif. Le paradoxe, le secret dialectique d’une politique vraie, consiste dans le choix d’un point de vue critique qui ne s’hypostasie pas lui-même comme point de vue positif47. »
32Notons au passage que cette affirmation méthodologique invalide d’une certaine manière par avance un certain aspect du projet habermassien consistant à rechercher une instance qui constitue un point de vue positif dans la rationalité communicationnelle48.
33L’idée de Horkheimer et Adorno est qu’on ne peut pas hypostasier un point de vue politique positif, pas plus qu’on ne peut hypostasier un point de vue théorique positif. La thèse sur la domination totalitaire, prise dans le détail, n’est donc pas seulement cette difficile position qui a l’apparence d’un cercle selon lequel il faut défendre l’Aufklärung d’elle-même ; elle n’est pas seulement une contradiction logique ni une impasse, mais la négativité critique sur la démocratie est le pendant de la négativité critique théorique. Sur le plan politique, cela signifie qu’il faut tenir ensemble critique du totalitarisme et critique de la démocratie. On comprend la force et les limites de la thèse de Horkheimer et Adorno : le totalitarisme n’est pas pour eux l’autre de la démocratie, mais ce qui rend possible le totalitarisme est à l’œuvre dans la démocratie. Ils ne succombent pas à l’illusion d’un mode de pouvoir qui serait à l’abri de toute domination (ni à l’illusion de la réalisation réelle du communisme). Ils ne peuvent donc pas prendre parti pour cette Aufklärung hypostasiée, mais doivent remettre la critique sur le métier. Le prix de cette vigilance est la difficulté de la mise en œuvre institutionnelle de la critique.
34La limite de leur position est que le totalitarisme n’est pas saisi dans sa spécificité « objective », formelle. D’où le rapport d’équivalence entre les notions d’autoritarisme et de totalitarisme, avec la différence d’accent que nous avons tenté de mettre au jour (le deuxième terme conduisant à une critique de l’identité), alors que chez un Neumann, par exemple, saisir le caractère sans précédent du totalitaire exige de recourir à une image, celle du Béhémoth, et de considérer l’autoritarisme comme un tiers terme, entre démocratie et totalitarisme. Il n’y a donc pas à proprement parler dans La dialectique de la raison substitution de la réponse en termes de totalitarisme à la réponse en termes d’autoritarisme, par ailleurs prédominante dans les écrits des théoriciens critiques : d’une part, il ne s’agit pas d’une thèse classique sur le totalitarisme, mais plutôt d’une mise en rapport entre des processus politiques et des processus théoriques qui favorisent la domination extrême. D’autre part, l’analyse en termes de totalitarisme continue à s’articuler à une réflexion sur l’autoritarisme – elle n’éclipse pas cette réflexion. L’enjeu de la référence au caractère totalitaire de l’Aufklärung tient peut-être dans la réappropriation de l’hypothèse pollockienne, qui semble dépasser l’idée de capitalisme d’État en conservant l’analyse de la logique du processus capitaliste de la concentration de la domination et d’extinction des mécanismes libéraux. C’est ce que confirme la réflexion sur le primat du politique qui est reprise pour autant qu’elle est dialectisée, par exemple dans la théorie du racket qui constitue l’une des modalités de l’analyse du totalitarisme. Ainsi La dialectique de la raison ne dépeint-elle pas un système nouveau et ne détaille-t-elle pas le fonctionnement de deux régimes comparés. Mais l’ouvrage tente de circonscrire le dépassement de l’autorité dans le système, confusion entre État et société. Il s’agit d’une réflexion sur les modalités larges et capillaires de la domination, la bureaucratisation ou l’administration qui est à l’œuvre avec le dépérissement de l’État. La variante dite démocratique du capitalisme d’État ne peut être le dernier mot des auteurs, et la forme de vie démocratique, y compris dans son rapport à l’État, demeure à inventer, dans la mesure où de la fin de l’exploitation ne résulte pas automatiquement la liberté.
Notes de bas de page
1 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974 ; Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, éd. par Pierre Bouretz, Paris, Gallimard, 2002. Nous ajoutons ainsi une comparaison possible aux différentes comparaisons déjà effectuées, celles de La dialectique de la raison avec le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau, Le malaise dans la culture de Freud et, au sein du présent volume, avec 1984 d’Orwell.
2 Theodor W. Adorno, Else Frenkel-Brunswick, Daniel J. Levinson et R. Nevitt Sanford, The Authoritarian Personality, Max Horkheimer et Samuel H. Flowerman (dir.), New York, Harper and Brothers, 1950. Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire, trad. fr. par Hélène Frappat, Paris, Allia, 2007.
3 Hannah Arendt, « Autorité, tyrannie et totalitarisme » [1956], in Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, éd. par Pierre Bouretz, Paris, Gallimard, 2002, p. 880-895.
4 Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933- 1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987.
5 Miguel Abensour, « D’une mésinterprétation du totalitarisme et de ses effets », Tumultes, 8, 1996, p. 11-44, repris dans Enzo Traverso (éd.), Le totalitarisme. Le xxe siècle en débat, Paris, Seuil, 2001, p. 748-779, p. 756.
6 Voir Heinz O. Ziegler, Autoritärer oder Totale Staat ? Tübingen, J.C.B. Mohr, 1932 ; les articles de disciples ou proches de Carl Schmitt, critiques du positivisme juridique : Ernst Rudolf Huber et Ernst Forsthoff, ou ceux d’Alfred Rosenberg sur l’État total ; sur ces points, voir Olivier Jouanjan, « Justifier l’injustifiable », Astérion, 4 : La crise du droit sous la république de Weimar et le nazisme, avril 2006, p. 123-156 ; voir Enzo Traverso (éd.), Le totalitarisme. Le xxe siècle en débat, Paris, Seuil, 2001.
7 Helmut Dubiel, Wissenschafisorganisation und politische Erfahrung. Studien zur frühen Kritischen Theorie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1978 ; Alfons Söllner, Geschichte und Herrschaft. Studien zur materialistischen Sozialwissenschaft (1929-1942), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1979.
8 Max Horkheimer, Crépuscule : notes en Allemagne, 1926-1931, trad. fr. par Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Paris, Payot, 1994 ; voir également l’étude d’Erich Fromm, Arbeiter und Angestellte am Vorabend des Dritten Reiches : Eine sozialpsychologische Untersuchung (éd. par Wolfgang Bonß, Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1980), et celle sur l’autorité et la famille dirigée par Max Horkheimer : Max Horkheimer, « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale », in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 55-68.
9 Max Horkheimer (dir.), Studien über Autorität und Familie. Forschungsberichte aus dem Institut für Sozialforschung [1936], Lunebourg, Dietrich zu Klampen, 1987.
10 Herbert Marcuse, « La lutte contre le libéralisme dans la conception totalitaire de l’État », in Culture et société, trad. fr. par Gérard Billy, Daniel Bresson et Jean-Baptiste Grasset, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 61-102.
11 Enzo Traverso souligne qu’Ernst Forsthoff, dans Der totale Staat (Hambourg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1933), va plus loin que Carl Schmitt. Mais l’État total n’exprime même pas adéquatement le régime nazi puisqu’il contient encore des éléments constitutionnels alors que, selon les dirigeants nazis, l’État n’est que l’instrument de la communauté raciale, « völkische Gemeinschaft » – c’est la réponse que fait Alfred Rosenberg dans « Totaler Staat ? » à Schmitt et Forsthoff. Voir Enzo Traverso (éd.), Le totalitarisme. Le xxe siècle en débat, Paris, Seuil, 2001, p. 26.
12 Friedrich Pollock, « State capitalism. Its possibilities and limitations » et « Is national socialism a new order ? », Zeitschrift für Sozialforschung / Studies in Philosophy and Social Science, vol. IX, 1941, respectivement p. 200-225 et p. 440-455.
13 Franz Borkenau, The Totalitarian Ennemy, Londres, Faber and Faber, 1940 ; Rudolf Hilferding, « State capitalism or totalitarian state economy » [1940], The Modern Review, I, juin 1947, p. 266-271 ; Karl Korsch, Marxisme et contre-révolution dans la première moitié du xxe siècle, trad. fr. par Serge Bricianer, Paris, Seuil, 1975 ; Otto Rühle, Fascisme brun, fascisme rouge [7939], Spartacus, 63, 1975. William David Jones souligne pourtant l’importance de la correspondance de Horkheimer et Korsch au moment de l’écriture de l’essai sur l’État autoritaire, et le fait que Neumann et Pollock étaient attentifs dans leurs écrits à la thèse de Rudolf Hilferding. Voir William David Jones, The Lost Debate. German Socialist Intellectuals and Totalitarianism, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1999.
14 William David Jones, The Lost Debate. German Socialist Intellectuals and Totalitarianism, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1999, p. 129 sq., se réfère à une lettre de Korsch à Horkheimer indiquant que celui-ci s’interroge sur le terme adéquat, entre socialisme d’État, capitalisme d’État, État autoritaire et fascisme.
15 Carl Schmitt, « Le virage vers l’État total », in Parlementarisme et démocratie [1931], trad.fr. par Jean-Louis Schlegel, Paris, Seuil, 1988, p. 153-170.
16 Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933- 1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 9.
17 Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933- 1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 250.
18 « L’Allemagne est-elle un État ? », in Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 436.
19 « L’Allemagne est-elle un État ? », in Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 437.
20 « L’Allemagne est-elle un État ? », in Franz Leopold Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1945, trad. fr. par Gilles Dauvé et Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 438.
21 Miguel Abensour, « Pour une philosophie politique critique ? », Tumultes, 17-18 : L’École de Francfort : la Théorie critique entre philosophie et sociologie, 2002, p. 207-258.
22 Max Horkheimer, Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 320.
23 Max Horkheimer, Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 318.
24 Voir la postface à l’édition allemande : Max Horkheimer, Gesammelte Schriften, vol. V : Dialektik der Aufklärung und Schriften 1940-1950, éd. par Alfred Schmidt et Gunzelin Schmid Noerr, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1987, p. 453.
25 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 24. Dans la suite de ce chapitre, toutes les pages entre parenthèses données directement dans le texte renvoient à cette édition.
26 Voir la thèse V des « Éléments de l’antisémitisme » : « Hitler peut gesticuler comme un clown, Mussolini lancer des fausses notes comme un ténor de province [...]. Le fascisme est également totalitaire dans le fait qu’il cherche à mettre directement au service de la domination la révolte de la nature opprimée contre cette domination. Ce mécanisme a besoin des Juifs. » (p. 193)
27 « Chaque mot montre à quel point il a été avili par la “communauté de la nation” fasciste. Et naturellement une telle langue est déjà universelle et totalitaire. Il n’est plus possible de déceler dans les mots toute la violence qu’ils subissent. » (p. 175)
28 William David Jones, The Lost Debate. German Socialist Intellectuals and Totalitarianism, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1999, p. 162.
29 Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, trad. fr. par Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 328.
30 Gérard Raulet, « Interdisciplinarité ou essayisme ? La “philosophie sociale” de la Dialektik der Aufklärung », in Manfred Gangl et Gérard Raulet (dir.), Jenseits instrumenteller Vernunft. Kritische Studien zur Dialektik der Aufklärung, Bern, New York, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1998, p. 125-157.
31 Voir « Théorie du criminel », « Lutte et non-violence » et « Les rackets et l’esprit », in Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, respectivement p. 172-184, p. 189-194 et p. 194-199.
32 Voir Theodor W. Adorno, « Réflexions sur la théorie des classes », in Société : intégration, désintégration, trad. fr. par Pierre Arnoux, Julia Christ, Georges Felten et Florian Nicodème, Paris, Payot, 2011, p. 57-84 ; Max Horkheimer, « Zur Soziologie der Klassenverhältnisse [1943] », in Gesammelte Schriften, éd. par Alfred Schmidt et Gunzelin Schmid Noerr, vol. XII, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1987, p. 75-104 ; Otto Kirchheimer, « In quest of sovereignty », in Politics, Law, and Social Change. Selected Essays of Otto Kirchheimer, éd. par Frederic S. Burin et Kurt L. Shell, New York et Londres, Columbia University Press, 1969, p. 160-193.
33 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 196.
34 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 199.
35 Theodor W. Adorno, « Réflexions sur la théorie des classes », in Société : intégration, désintégration, trad. fr. par Pierre Arnoux, Julia Christ, Georges Felten et Florian Nicodème, Paris, Payot, 2011, p. 62.
36 Voir « Raison et conservation de soi », in Max Horkheimer, Éclipse de la raison, trad. fr. par Jacques Debouzy, suivi de Raison et conservation de soi, trad. fr. par Jacques Laizé, Paris, Payot, 1974, p. 214.
37 « À propos de l’idéologie de la politique aujourd’hui », in Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 229.
38 « À propos de l’idéologie de la politique aujourd’hui », in Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 231.
39 Alfons Söllner, « Totalitarismustheorie und frühe Frankfurter Schule », in Mike Schmeitzner (dir.), Totalitarismuskritik vom links. Deutsche Diskurse in 20. Jahrhundert, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2007, p. 229-246.
40 Comme en témoignent les échanges de Horkheimer avec Benjamin autour de 1937. Voir Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », Paris, Presses universitaires de France, 2001.
41 William David Jones, The Lost Debate. German Socialist Intellectuals and Totalitarianism, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1999, p. 169.
42 William David Jones, The Lost Debate. German Socialist Intellectuals and Totalitarianism, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1999, p. 167.
43 L’analyse de Slavoj Žižek le conduit également à cette idée lorsqu’il s’interroge sur le silence des penseurs de l’École de Francfort à l’égard du communisme : « cette peur de cautionner l’anticommunisme officiel ne prouve pas qu’ils étaient secrètement procommunistes, mais bien plutôt le contraire : s’ils avaient été acculés à déclarer leur position au sujet de la guerre froide, ils auraient choisi la démocratie libérale occidentale (comme Max Horkheimer le fit explicitement dans certains de ses écrits). Le “stalinisme” (le socialisme réellement existant) fut ainsi pour les membres de l’école de Francfort un sujet particulièrement sensible sur lequel il fallait faire silence – ce silence était la seule manière possible de tenir la position incohérente de soutien implicite à la démocratie libérale qui était la leur, sans perdre leur statut officiel de promoteurs d’une critique “radicale” gauchiste » (Slavoj Žižek, Vous avez dit totalitarisme ? Cinq interventions sur les (més) usages d’une notion, trad. fr. par Delphine Moreau et Jérôme Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, 2005, p. 112).
44 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 265.
45 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 268.
46 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 268.
47 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013, p. 268.
48 Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, t. I : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. fr. par Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987.
Auteur
Maître de conférences en philosophie allemande à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, a publié Autorité et émancipation : Horkheimer et la Théorie critique, Paris, Payot, 2013 et Hannah Arendt : l’expérience de la liberté, Paris, Belin, 2016.
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