La dialectique de la raison et la recherche sociale
p. 69-85
Texte intégral
1La Théorie critique de l’École de Francfort s’est constituée au début des années 1930 autour d’un programme épistémologique et de recherche sociale dont les contours ont été tracés principalement par Max Horkheimer – avec le concours d’Erich Fromm et de Herbert Marcuse. Dans une série de textes à caractère programmatique, Horkheimer envisage une collaboration étroite entre la philosophie sociale et la recherche empirique, formulant une critique de l’exercice purement spéculatif de la philosophie1. Il se montre particulièrement critique à l’égard de la perspective philosophique confinée à la métaphysique et coupée de la science, telle qu’elle se manifestait entre autres dans la phénoménologie (Scheler, Husserl, Heidegger). Philosophie centrée sur l’« authenticité de l’être », cette dernière considère la méthode scientifique comme ce qui empêche l’accès – au même titre que toutes les méthodes attachées à l’étude du social ou du politique. Opposé à ce courant hostile à la science2, Horkheimer conçoit un exercice de la philosophie débarrassé de cet héritage spéculatif, sous la forme d’une philosophie matérialiste – ou « postmétaphysique », comme la qualifiera plus tard Jürgen Habermas3.
2Face aux tendances hostiles à la science de la philosophie de son temps, Horkheimer défend le projet scientifique – tout en se montrant critique à l’égard des tendances contemporaines à l’exaltation de l’activité scientifique, qu’il voit à l’œuvre dans certaines franges de la philosophie comme le positivisme logique. Mais Horkheimer constate avant tout une tendance des scientifiques à se couper de la philosophie, entraînant un rejet massif de la philosophie au profit d’un empirisme positiviste borné aux seuls faits, et adhérant à l’idée de « neutralité » de la démarche scientifique. Selon Horkheimer, l’hostilité des sciences à l’égard de la réflexion philosophique et l’incapacité des scientifiques à relier les phénomènes qu’ils observent à autre chose qu’à ces mêmes phénomènes les enferment dans un réductionnisme scientiste. Cela témoigne entre autres d’une compréhension figée et non dialectique de la relation du sujet connaissant à son objet de connaissance. Toute articulation entre science et philosophie semble être anéantie et l’attitude des chercheurs empiriques portés à considérer la philosophie comme stérile participe de cet anéantissement.
Une science matérialiste et dialectique
3Pour échapper à la fois à ce réductionnisme et à cette hostilité envers la science, Horkheimer entendait poursuivre le projet philosophique par les moyens de la recherche sociale. Aussi longtemps que la philosophie ne peut se réaliser en devenant pratique, elle court le risque à ses yeux de devenir pure idéologie ; elle doit s’en remettre aux sciences sociales et à la recherche empirique pour être en prise avec les réalités de son temps. Cependant, il s’agit également, pour le jeune Horkheimer, de s’enquérir d’une conception de la science échappant au positivisme et non soumise à l’impératif d’accumulation d’un savoir figé et désarticulé. À ses yeux, en effet, ce qui s’impose progressivement dans l’histoire de la science, et qui contribue à alimenter la crise sociale et politique de l’époque, c’est une conception positiviste de la connaissance réduite à une série d’opérations quantitatives de production de savoirs fragmentaires portant sur des portions isolées du monde naturel et social4.
4À l’aube de l’ère moderne, pourtant, la naissance des sciences avait été portée par un tout autre projet, en rupture avec le rapport au monde qui avait gouverné les temps anciens et qui tendait à faire de ce monde un univers enchanté échappant à toute connaissance méthodique des êtres humains. Au fur et à mesure qu’il est conçu comme un monde susceptible d’être connu par l’activité humaine, ce monde enchanté se désacralise et devient un objet d’intervention systématique et un terrain d’action humaine. Cette quête de connaissance et d’action rend possible une émancipation progressive des formes traditionnelles et enchantées de rapport au monde, puisque les sujets humains acquièrent une connaissance méthodique du monde qui les entoure, en en dégageant des « lois », en le constituant en « objet » dont ils peuvent rendre compte à travers leurs observations méthodiques. Ils s’enquièrent du même coup d’une connaissance accrue d’eux-mêmes en tant que sujets de connaissance faisant face à un monde façonné par leurs activités. Posant le monde comme extérieur à eux-mêmes tout en cherchant à en rendre compte à travers une activité rationnelle, les sujets connaissants acquièrent progressivement une connaissance d’eux-mêmes en tant qu’êtres indépendants5. La méthode scientifique et la démarche systématique qui l’accompagne impulsent une dynamique émancipatrice leur permettant de se déprendre des formes traditionnelles de rapport au monde.
5Le progrès social de la connaissance contribue toutefois à accroître sans cesse la distinction entre le sujet connaissant et l’objet de connaissance, et ce jusqu’à introduire une coupure entre les deux. Au cours du processus de formation des sciences « positives », le monde objectif acquiert peu à peu une existence propre en tant qu’entité indépendante coupée des catégories subjectives contribuant à le constituer. Sa compréhension et sa connaissance deviennent dès lors le privilège de la méthode scientifique – dont on a vu qu’elle tend à se couper de tout questionnement philosophique sur ses procédés et ses catégories fondamentales. En séparant ainsi les dimensions objective et subjective, la science devient la modalité privilégiée de compréhension du monde objectif. Mais elle se coupe également des demandes d’autocompréhension issues de la sphère sociale : ces demandes qualitatives issues de la société ne trouvent que des réponses quantitatives sous la forme de l’accumulation insensée de savoirs spécialisés, détaillés et partiels. Une telle cassure est d’autant plus prononcée qu’elle s’inscrit dans la logique capitaliste d’accumulation des connaissances – en tant que « forces productives » – permettant l’amélioration des performances du système économique. Prise dans ces contradictions, la science ne répond plus à des besoins sociaux et à des exigences de rationalité mais à des impératifs d’accumulation liés au fonctionnement du capitalisme6.
6En conséquence, la société ne parvient plus à incorporer ces savoirs scientifiques dans des processus de compréhension et d’interprétation d’elle-même. Ainsi, alors que la science procède en réalité d’un projet historique d’affirmation et de réalisation de la raison, elle contribue dorénavant à un appauvrissement des capacités d’auto-interprétation de la société moderne ; pire, elle concourt à alimenter une représentation irrationnelle de la réalité en raison d’un accroissement rapide mais chaotique de savoirs isolés interdisant de saisir la société comme un tout intelligible7. Le monde social est vu comme objectif, positif, sans être relié à un processus, à un sujet historique déployant des processus d’autocompréhension. L’accumulation de connaissances objectives coupées des processus subjectifs et sociaux d’autocompréhension alimente l’irraison et non pas la raison pratique. Alors même qu’elle était censée accroître la connaissance rationnelle de la société par elle-même, contre la tradition, le mythe et l’obscurantisme, la science devient un facteur contribuant à l’irrationalité. Elle coupe l’objet de connaissance des catégories subjectives, et est l’esclave du processus de production réduisant la connaissance à des rapports d’exploitation.
7En cherchant à reconstruire une approche matérialiste et « postmétaphysique » par le médium de la science et de la recherche sociale, Horkheimer s’enquiert de traces, dans l’histoire de la philosophie bourgeoise, d’une conception de la science échappant simultanément au réductionnisme scientiste cultivant la factualité et au rejet scientiste de la philosophie et de la métaphysique. Lorsqu’il esquisse les traits du projet de recherche matérialiste et dialectique de l’Institut, Horkheimer cultive l’espoir de développer une autre science, dialectique, apportant une réponse aux besoins de compréhension qualitative de la société par elle-même. Cette « autre science » qu’il qualifie de « matérialiste », Horkheimer en retrouve les traces dans certains développements de la première philosophie bourgeoise, au moment où la méthode scientifique se développait encore dans le giron de la philosophie, avant la grande séparation entre la métaphysique et le positivisme scientiste au xixe siècle8. À l’inverse, la philosophie pouvait librement discourir sur les réalités physiques et naturelles sans être d’emblée discréditée par les sciences positives.
8En remontant à ce premier « matérialisme scientifique » qui, avec les méthodes d’observation de Copernic, Galilée, Newton, permettait une appréhension rationnelle de la nature extérieure et faisait œuvre de transformation du monde comme ensemble d’états mécaniques coupés de toute théologie9, Horkheimer se mettait en quête d’une conception de la science qui n’avait pas encore figé l’objet de connaissance dans l’« objectivité », ni réifié le sujet connaissant dans un rôle d’observateur neutre. Par ailleurs, l’observation rationnelle du monde objectif et le contrôle cognitif désormais possible sur ce dernier n’avaient pas encore atteint le stade où les impératifs de l’accumulation capitaliste gouvernent la démarche et la production scientifiques. Cela permet à Horkheimer d’envisager un rapport dialectique entre le sujet connaissant et l’objet de connaissance, supposant que le sujet connaissant sache de manière réflexive ce que l’objet de connaissance doit à ses propres schèmes de pensée ; cela implique une réflexion sur l’exercice même de la science et des intérêts qui la gouvernent. En faisant partie intégrante de la démarche scientifique et non pas en étant niée comme dans le positivisme, la philosophie matérialiste s’articule à la démarche scientifique en rendant possible cette autoclarification réflexive – l’objet d’investigation n’est pas isolé des cadres conceptuels de son émergence comme de l’activité sociale qui l’a fait émerger.
9Cette dialectique envisagée entre sujet connaissant et objet de connaissance a toutefois ceci de particulier, chez le jeune Horkheimer, qu’elle doit rester « ouverte » ou inachevée. Tout concept et toute théorie ayant un caractère imparfait, non abouti, elle ne parvient pas à fournir une connaissance « finie » de ce sur quoi elle porte. La dialectique inachevée laisse persister une tension entre sujet et objet ; elle envisage une forme d’humilité de la connaissance face à un réel en mouvement continu, « résistant » au geste de conceptualisation ; elle ouvre la possibilité d’une théorie se transformant sans cesse au contact de l’objet sans le figer d’emblée sous des catégories préétablies. À défaut de privilégier le concept par rapport à la réalité, Horkheimer défend ainsi un matérialisme dialectique posant le principe de non-identité entre sujet et objet et soutient, contre l’idéalisme, l’irréductible tension entre le concept et ce sur quoi il porte10. La dialectique matérialiste horkheimerienne est dès lors un processus sans fin de réélaboration de la connaissance, appelée à se redéfinir en cherchant à s’ajuster au réel et aux pratiques effectives, sans jamais clôturer le processus.
10Cependant, comme l’ont souligné plusieurs historiens de la Théorie critique, le projet matérialiste interdisciplinaire articulant science et philosophie a commencé à battre de l’aile dès la seconde moitié des années 1930. Les textes de Horkheimer datant de cette période témoignent effectivement de cet essoufflement11. Plus radicalement, ses textes des années 1940-1941 insistent sur le fait que la raison renvoie avant tout à un procès de conservation de soi et de domination exercée par l’espèce humaine sur la nature extérieure12. Le projet initial de la Théorie critique semble abandonné dans les écrits de 1942-1944, période de rédaction de La dialectique de la raison, publiée en 1947.
11Un des éléments clés de l’effondrement de ce programme matérialiste et « postmétaphysique » est le statut désormais conféré par Horkheimer et Adorno à la science. S’il n’y a rien de nouveau chez Adorno puisqu’il n’a jamais adhéré à un modèle scientifique au sens étroit, ses textes du début des années 1930 marquant déjà une nette distance face à la science13, il y a chez Horkheimer un tournant important. La démarche scientifique devient une activité de domination et de maîtrise de la nature par un sujet prenant peur devant la manifestation chaotique de la nature ou de poussées pulsionnelles incontrôlées ; c’est un sujet qui se braque, pour ainsi dire, dans un geste de maîtrise des forces naturelles qui l’affectent. Ce geste de maîtrise ouvre la voie à la soumission de la connaissance aux seules fins de la domination de la nature, écrasant cette dernière sous le principe de l’équivalence et de l’abstraction. La dialectique de la raison semble ne laisser aucun espace à cette science matérialiste et dialectique dans laquelle Horkheimer s’attachait auparavant à ancrer son programme théorique.
12La conséquence de ce que beaucoup d’auteurs ont qualifié de « tournant » de la Théorie critique semble donc être le renoncement à son projet matérialiste et « postmétaphysique » initial s’appliquant à articuler de manière dialectique la philosophie et la science, en envisageant une pratique de la recherche sociale orientée par des questions philosophiques tout en visant une synthèse conceptuelle élaborée dans une perspective de philosophie sociale ancrée dans les résultats de la recherche14. En effet, si la science participe elle-même du déploiement d’une raison marquée en son cœur par la domination, on ne saurait désormais s’en remettre à ses procédés de construction des savoirs pour produire des connaissances contribuant à lever les obstacles de la réalisation de la raison. Il est courant, dans nombre de commentaires de La dialectique de la raison, de voir dans cette critique de la science l’échec même du programme matérialiste du jeune Horkheimer ainsi que le signe de l’abandon définitif du projet d’articulation de la philosophie et de la recherche empirique. La dialectique de la raison serait dès lors le moment de bifurcation de cette dernière en direction d’un développement purement philosophique coupé de la recherche sociale. Par conséquent, la conception de la Théorie critique qui se déploie dans La dialectique de la raison n’aurait plus grand-chose à voir avec le projet matérialiste initial de Horkheimer et elle signerait son renoncement en ouvrant une nouvelle ère théorique marquée par une « philosophie négative de l’histoire15 ». Les travaux de recherche empiriques menés à partir de ce moment dans le cadre de l’Institut ne seraient alors que pure contingence par rapport à cette nouvelle formulation proprement philosophique de la Théorie critique16.
13La seule issue est alors de voir La dialectique de la raison moins comme le produit de ce programme de recherche que comme un projet d’une tout autre nature dont la spécificité et l’apport résident non pas dans sa qualité scientifique mais dans ses qualités littéraires. Cela renvoie à l’idée selon laquelle une critique par « mise au jour » entend susciter une mise à distance du monde moins par le déploiement d’arguments méthodiques que par le recours à des formules rhétoriques et par l’usage d’un style propre à évoquer le caractère insupportable d’un monde familier devenu barbare, figé dans sa violence, dont l’atrocité même s’est effacée des consciences. La dialectique de la raison pratiquerait une critique visant à « révéler » ce monde, à ouvrir un horizon sémantique par des provocations langagières et des exagérations, faisant apparaître les activités familières sous un angle qui fait jaillir leur caractère pathologique. Cette critique des pathologies sociales cherchant à faire voir l’atrocité du monde nous incite ainsi à « changer nos convictions axiologiques17 ». Le style particulier et littéraire de La dialectique de la raison, son côté indéniablement essayiste, sa rhétorique singulière, tout cela donne du crédit à ces interprétations éclairantes, mais dont la conséquence est d’éloigner La dialectique de la raison de son rapport avec la recherche sociale18.
Une autre voie
14Si bien des éléments sont susceptibles de donner crédit à cette lecture, une autre voie mérite toutefois d’être explorée. La thèse de l’abandon d’une articulation étroite entre philosophie et recherche sociale peut faire sens si l’on se penche sur le seul texte de La dialectique de la raison, en l’examinant de manière isolée. En considérant l’histoire de l’Institut à l’époque de sa rédaction et les activités dans lesquelles ses membres étaient engagés, cette thèse a toutefois de quoi surprendre. L’ouvrage bien connu de Rolf Wiggershaus19, complété par d’autres ouvrages plus récents sur cette période20, met en lumière l’importance des activités de recherche empirique tout au long de l’exil américain des membres de l’Institut. Les nombreux travaux sur l’antisémitisme aux États-Unis, sur la personnalité autoritaire, sur les formes de propagande fasciste ou encore ceux sur la culture de masse en sont des indicateurs. Dans les faits, l’Institut n’a jamais cessé ses activités de recherche sociale, et l’on est même impressionné par l’énergie dépensée dans les activités de recherche par ses chercheurs durant toute la décennie 194021. C’est d’ailleurs, sans aucun doute, la décennie la plus fertile, sur le plan de la recherche sociale, dans toute l’histoire de la Théorie critique. Comment rendre compte du fossé entre cette réalité de la recherche et les thèses soutenues dans La dialectique de la raison tendant à faire de la science l’exercice même de la domination ? Assisterait-on à une coupure entre le développement proprement philosophique et les travaux empiriques motivés par d’autres raisons contingentes – notamment financières – liées à la nécessaire survie économique de l’Institut et de ses membres dans une période plus que difficile ? Peut-on envisager une autre thèse que celle de la coupure, et si oui laquelle, et à quelles conditions ?
15C’est cette voie que j’emprunterai en examinant l’idée selon laquelle La dialectique de la raison n’est pas la manifestation de l’échec de l’articulation entre philosophie sociale et recherche empirique mais sa reformulation, dans une configuration théorique et conceptuelle appliquée à redéfinir le projet de la Théorie critique et à le fonder sur de nouvelles bases. Aussi, loin d’être la manifestation de la prise de distance à l’égard de la recherche sociale, le projet de La dialectique de la raison serait, au contraire, celle de son omniprésence dans des termes renouvelés dont il s’agit de dégager les traits. Car, d’une part, la recherche sociale est présente dans La dialectique de la raison en offrant une série de constats émanant des différentes recherches, dans des domaines comme la culture, l’économie politique, la psychologie sociale (la grande recherche sur l’autorité et la famille, les recherches sur la radio, etc.), menées par l’Institut au cours de la décennie précédente ; ce cadre d’analyse concret amène Horkheimer au constat selon lequel l’ampleur des transformations historiques de la période appelle une révision des concepts et des catégories sur lesquels son programme initial se fondait. D’autre part, la recherche sociale apparaît comme une tentative de reformuler une approche censée servir à repenser le rapport entre philosophie sociale et recherche empirique – un rapport cherchant à échapper au positivisme. En la regardant sous cet angle, La dialectique de la raison procéderait alors à une nouvelle présentation des résultats de la recherche – au sens de la dialectique entre la « recherche » et la « présentation » chez Marx22. Ainsi, trois constats clés sur lesquels se construit le projet de La dialectique de la raison se révèlent inséparables de la pratique de la recherche de l’Institut au cours des années précédentes.
16Le premier constat porte sur le développement de la science. Le travail empirique d’Adorno dans le cadre du Radio Research Project – dont on trouve moult traces dans le chapitre sur l’industrie culturelle – le confronte à la conception de la « recherche administrative » thématisée et pratiquée par Lazarsfeld23. L’expérience pratique du système académique américain faite par les membres de l’Institut leur fait découvrir un mode de recherche essentiellement axé sur le « problem solving ». Ce type de recherche laisse peu de place, sinon aucune, à l’élaboration théorique, à des problématisations ne se réduisant pas à des procédés susceptibles d’être rendus opérationnels tournés vers la mesure quantitative des phénomènes ; il laisse peu de place au raisonnement critique et tend à réifier son objet d’investigation dans des catégories figées. Il se situe donc aux antipodes de la conception de la recherche sociale en fonction de laquelle Horkheimer avait envisagé initialement le programme matérialiste de la Théorie critique. Ce type d’activité scientifique est profondément marqué par le positivisme, incitant à endosser un point de vue objectivant qui enferme les phénomènes dans des définitions préalables, construit des catégories subjectives censées saisir ces phénomènes et, ce faisant, des modèles de mesure obnubilés par la dimension quantitative en vue d’en tirer des régularités statistiques. L’expérience vécue de ce fonctionnement positiviste de la recherche scientifique a renforcé le constat, déjà présent chez Horkheimer une décennie plus tôt, d’un développement de la science en fonction des seules catégories de la raison objectivante.
17Le second constat porte sur le développement de l’individu. Les travaux de recherche menés par l’Institut au milieu des années 1930 dans le domaine de la psychologie sociale et de la sociologie de la famille montrent qu’il devient un sujet apeuré, rigide, incapable de symboliser de façon mature la vie pulsionnelle qui l’anime24. Ce sujet individuel s’en remet dès lors à des instances extérieures du contrôle normatif (le surmoi freudien), ce qui court-circuite tout processus réflexif susceptible d’aboutir à un sujet individué apte à se rapporter à lui-même sur le mode du « je », et non pas soumis à un surmoi répressif. S’impose alors la figure d’un sujet rigide et figé, selon les traits du « caractère autoritaire » analysé par Erich Fromm dans sa psychologie sociale, dont les travaux empiriques montrent qu’il est loin d’être une exception dans la société de cette époque25. À partir de ce constat sociologique et socio-psychologique issu de la recherche sociale portant sur des groupes sociaux spécifiques, Horkheimer et Adorno procèdent, dans La dialectique de la raison, à une généralisation de cette figure de l’individu, en appliquant ce modèle de caractère à l’espèce toute entière. Les traits de ce sujet à la psyché figée deviennent ceux du sujet du processus de civilisation dans son ensemble, incarnant les modalités de l’espèce humaine dès ses origines – et plus seulement d’une formation sociale particulière. Là encore, La dialectique de la raison puise dans les apports des travaux empiriques menés par l’Institut au cours de la décennie précédente, afin de développer un argument philosophique.
18Enfin, troisième constat, La dialectique de la raison prend acte d’une mutation profonde de la culture, soumise à un processus de rationalisation et de dressage de la vie pulsionnelle et réprimant tout plaisir26. Pourtant, les travaux de la Théorie critique de la première partie des années 1930 laissaient encore subsister une ambivalence : tout en soulignant son lien étroit avec la domination, ils voyaient la culture comme un élément clé du processus de « sublimation » de l’existence pulsionnelle contenant en lui-même une part de rationalité – la rationalité dont parle Adorno lorsqu’il évoque le langage musical moderne se développant dans des « îlots précapitalistes27 ». À la fois dans les travaux de Horkheimer et dans ceux de Marcuse, mais aussi dans ceux de Benjamin et de Löwenthal, la culture garde un élément préservé de la domination – en dépit de son évidente contribution à la montée de l’autoritarisme, comme le montrent tout autant les travaux de tous ces auteurs. Si elle est certes une forme répressive de gestion de l’existence pulsionnelle, repoussant tout plaisir sous l’emprise du contrôle et de la discipline, elle est aussi, à la marge, l’expression d’une raison symbolisante non aliénée. Cependant, cette part ténue d’une culture non répressive, présente dans les travaux des membres de l’Institut au cours des années 1930, disparaît dans La dialectique de la raison. Celle-ci met l’accent sur la liquidation de cette part, qui signe l’emprise de l’industrie culturelle : ce « reste » ou cet « îlot » de non-aliénation est transformé en simple apparence de plaisir falsifié dans une culture désormais entièrement soumise à la valorisation capitaliste.
19À ces différents niveaux, s’impose chez Horkheimer et Adorno la nécessité d’une révision de fond des catégories de la Théorie critique telle qu’elle se définissait au début des années 1930 sous la forme d’un matérialisme dialectique articulé à la recherche sociale. La volonté affirmée par Horkheimer de travailler sur le « projet de la dialectique » depuis la fin des années 1930 témoignait de l’exigence qu’il ressentait de redéfinir les fondements conceptuels de la Théorie critique28. Or cette exigence de redéfinition ne s’opérait pas sans liens avec les résultats des recherches menées par l’Institut au cours de la décennie précédente. En ce sens, La dialectique de la raison peut être vue comme une « présentation » théorique à partir de ces observations, et elle se présente comme une reformulation du diagnostic de l’époque – correspondant aux années 1940 et aux enjeux inédits de la décennie29. La question de la réalisation du projet d’émancipation – conçue à l’aune de la philosophie hégélienne et marxiste de l’histoire – et l’urgence d’en identifier les obstacles pratiques ne sont plus à l’ordre du jour. La question qui désormais se pose et s’impose, en revanche, est celle de l’horreur et de la barbarie, et la manière d’en inverser la pente. La priorité n’est pas de redéfinir les traits d’un projet d’émancipation, mais la volonté d’identifier les processus sociaux et politiques accélérant le mouvement vers l’horreur et celle d’échapper aux catégories épistémiques indirectement solidaires de cette dernière. La Théorie critique ne saurait, en effet, se faire complice, ne serait-ce que sur le plan théorique, du processus de renforcement de la domination ; sa tâche est bien de se départir des conceptions susceptibles d’encourager une telle complicité, de se défaire des conceptions de la raison et de la science susceptibles de rendre possible sa participation à la domination. Sans mener à bien un effort de reformulation d’un projet émancipatoire susceptible de remplacer le projet initial sur lequel la première Théorie critique prenait appui, elle opère un travail de déconstruction permettant d’envisager autre chose, en marge de cette raison objectivante, de la science instrumentale et du positivisme, qui semblent s’être installés partout.
20En exposant la manière dont s’est imposée, dès les premières manifestations de la raison, une connaissance sous l’emprise de la domination – en raison d’un geste préoccupé par l’autopréservation d’un sujet livré à la peur devant une nature menaçante –, Adorno et Horkheimer s’enquièrent des traces d’une connaissance non objectivante et non identifiante – fruit d’une dialectique « ouverte » ou inachevée – ce qui renvoie, chez Adorno, au « non identique » développé plus tard dans sa Dialectique négative. Sous la forme de la mimésis, cette connaissance ouverte ne fige pas en objet réifié les entités observées par le geste d’un sujet connaissant détaché de la situation pratique ; dans le mimétisme, les entités impliquées interagissent et se redéfinissent en épousant leurs formes respectives et sans devenir des objets l’une pour l’autre. Ainsi, le chamane dont parlent Adorno et Horkheimer mime la nature dans ses rituels, en réajustant constamment son geste à ses contours ; il revêt la peau du loup pour en mimer les mouvements et agir sur lui en se laissant agir par lui ; il n’en fait pas l’objet d’un calcul, une pure objectivité en devenant étranger à ce qu’il entend connaître. « L’esprit qui s’adonnait à la magie, disent Adorno et Horkheimer, n’était pas un et identique ; il changeait comme les masques du culte qui étaient supposés ressembler aux nombreux esprits30. » Si cette connaissance mimétique est génétiquement inscrite dans le développement de la raison, elle n’est pas pour autant cette connaissance objectivante et figée sur laquelle le positivisme scientiste établit son assise31. Ce n’est pas non plus la conception courante de la mimésis, comme duplication du réel, que reprennent Adorno et Horkheimer, mais une conception appelant une proximité à l’objet, sans duplication.
21Entre Adorno et Horkheimer, cette forme de connaissance non versée dans la domination est l’objet d’intenses discussions dès le début des années 1940 – comme en témoignent les protocoles de discussion32. Pour envisager une forme de connaissance échappant au positivisme, évitant de figer les entités impliquées dans le rapport de connaissance, la méthode dialectique apparaît comme la principale alternative. On l’a vu, Horkheimer avait déjà dessiné les traits d’une dialectique « ouverte » ou inachevée au début des années 1930, qui échappait au principe d’identité – la réconciliation des contraires –, à l’identification du concept et du réel, car elle postulait le décalage constant entre les deux. Adorno et Horkheimer s’appliquent ainsi à dés-identifier la dialectique en insistant sur son caractère inachevé ; à l’inverse, ils s’emploient à dialectiser la mimésis dans le sens d’un rapport non objectivant. Ces développements, on le sait, doivent beaucoup à Walter Benjamin, dont les écrits sur le langage et sur la critique s’en prenaient, déjà dans les années 1920, à la connaissance scientifique objectivante33.
22C’est dans cette relation dialectique et sensible ne figeant pas d’emblée l’objet sous des catégories (identité) qu’il devient possible de penser un sujet connaissant étranger à l’attitude de maîtrise propre au geste de préservation de soi engagé dans l’activité scientifique. Ce sujet n’est pas pensé sur le mode de l’activité de maîtrise et de domination qui s’est imposée, selon Adorno et Horkheimer, dès les premiers moments du développement de l’espèce ; il l’est sur le mode d’une raison sensible impliquée dans le rapport mimétique de l’être humain au monde – rapport dont les traces se retrouvent dans la relation esthétique. Ce n’est pas le sujet dont la constitution psychique relève du « caractère autoritaire » qui est à l’œuvre ici, celui dont le propre est de soumettre son existence pulsionnelle à une maîtrise rationnelle afin de discipliner ses angoisses ; c’est plutôt un sujet pour ainsi dire « décentré », humble et sensible, capable d’expériences face à un autre que lui-même, sans figer d’emblée cette altérité sous une raison abstraite (selon le principe d’identité) la rapportant à ce qu’elle est déjà.
23C’est dans l’expérience esthétique qu’Adorno a vu à l’œuvre cette relation sensible et cette pratique dialogique propre à la mimésis, mais il se donne également les moyens de penser une forme de culture à l’aune de ce processus dialectique. Autrement dit, en marge de la conception de la culture véhiculée par l’industrie culturelle, dont le propre est de renvoyer les sujets à ce qu’ils sont déjà, une conception de la culture non réifiée peut être pensée à partir de l’expérience esthétique. C’est une culture pensée sous forme de relation dialogique d’un sujet à un autre que lui-même, face auquel il ne se saisit pas d’emblée comme un caractère rigide car il se laisse affecter par cette altérité : il fait l’expérience d’un autre que lui-même et devient ce qu’il n’est pas. Cette relation dialogique doit permettre de refonder la conception de la connaissance, grâce à l’idée d’une connaissance sensible et dialogique échappant au positivisme – c’est là me semble-t-il le sens du projet sociologique qu’Adorno formulera de manière plus explicite dans ses textes d’après-guerre34.
Conclusion
24En considérant La dialectique de la raison à l’aune de cette reformulation d’une connaissance non fondée sur le contrôle et la domination, les liens entre les développements proprement philosophiques et les recherches sociales menées par l’Institut au même moment apparaissent plus directement. Ceux-ci portent sur les différentes expressions de l’antisémitisme, dont les chercheurs de l’Institut s’appliquent à examiner les procédés rhétoriques et les contenus idéologiques, en s’arrêtant sur les formes de l’agitation fasciste35. Les études menées dans le cadre des Studies in Prejudice examinent la propagande antisémite en accordant une attention particulière à ses formules manipulatoires de même qu’à ses procédés rhétoriques. Sur ce plan, ces études ne sont pas éloignées des recherches menées simultanément par l’Institut sur la culture de masse – et dont un des exemples le plus parlant est l’étude d’Adorno sur Martin Luther Thomas36 –, lesquelles s’appliquent à montrer comment cette culture réifiée fonctionne en exigeant l’adhésion par le recours à des schémas standardisés tout en se présentant sous un jour attrayant. L’analyse des procédés de la « culture de masse » menée dans le chapitre de La dialectique de la raison consacré à l’industrie culturelle fait écho à celle développée dans les recherches sur la propagande fasciste et sur les discours antisémites, dont les codes et les schémas visent l’adhésion des sujets en puisant dans des schémas infantiles et des comportements régressifs.
25Dans les termes de La dialectique de la raison, l’antisémitisme est la forme même de la barbarie, dont les conditions de possibilité sont à examiner non seulement du côté des restructurations objectives du capitalisme mais aussi, et surtout, du côté de la forme qu’a prise le développement de la raison dans le processus de civilisation. C’est aussi, et surtout, la manifestation pour ainsi dire « typique » de ce sujet figé qu’est le caractère autoritaire, animé par la haine de tout « ce qui est autre » que lui-même, parce qu’il n’a pu se construire autrement que dans la répression de sa propre « nature intérieure ». En ce sens, les Études sur la personnalité autoritaire, sur le plan sociologique et socio-psychologique, cherchent à comprendre dans quelle mesure le constat dressé dans La dialectique de la raison correspond à la réalité sociale de l’Amérique des années 1940 : plus le caractère autoritaire s’est effectivement diffusé dans la société du moment, plus les thèses de La dialectique de la raison correspondent aux processus réels des sociétés capitalistes du moment. Les Études sur la personnalité autoritaire ont pour objet d’étude, dans la société américaine de cette époque, les conditions sociales de formation de la structure psychique des individus particulièrement prompts à adhérer à la propagande fasciste.
26En conséquence, les travaux consistant à voir dans La dialectique de la raison un ouvrage essentiellement caractérisé par une forme d’exposition singulière plus proche de l’essai littéraire que de l’expression scientifique, ou cherchant à sauver cet ouvrage à travers son apport original à l’activité critique, en procédant par « mise au jour37 », mettent le doigt sur un aspect central de l’ouvrage. Ils oblitèrent toutefois le fait que La dialectique de la raison ne marque pas l’abandon du projet matérialiste dialectique mais sa profonde reformulation, dont la forme littéraire d’exposition est un des traits clés. La critique de la raison identificatrice et conceptuelle à l’œuvre dans la science, y compris la recherche sociale comme en témoigne les critiques adressées par Adorno à l’encontre de la « recherche administrative », ne signe pas l’abandon de la recherche et du matérialisme dialectique mais bel et bien la pratique d’une recherche fondée sur une idée de « science » repensée à l’aune d’une expérience de recherche dialogique exigeant un mode d’exposition particulier, non systématique. Cette articulation n’est certes plus celle proposée par Horkheimer dans son programme initial : en pratiquant la dialectique à l’aune de la mimésis, c’est sa forme d’exposition même, son langage et ses modalités de connaissance, qui sont repensées. Cela n’exclut pas la recherche sociale mais privilégie surtout un mode d’exploration échappant aux catégories de l’abstraction et de la pensée de l’identité.
27La dialectique de la raison est l’expression de ce projet, dans sa forme même ; on peut dès lors parler d’un style essayistique38 et d’une rhétorique de la « mise au jour », mais elle n’exclut en rien la recherche sociale et le diagnostic historique. Le mode d’exposition de La dialectique de la raison n’abandonne pas la science empirique, mais témoigne d’une reformulation du rôle de la science ; à défaut d’être un adieu au projet d’articulation entre philosophie et recherche sociale, c’est une ré-articulation, reformulant de fond en comble ce projet. La recherche ne peut se présenter sous une forme « identique » en exposant de manière formelle les résultats des investigations ; elle entend ouvrir une expérience de non-identification pour atteindre l’objet de la recherche dans sa particularité, sans lui faire violence. Dès lors, La dialectique de la raison n’apparaît plus comme une œuvre philosophique coupée de la recherche sociale et faisant fi de cette dernière ; elle apparaît comme un ouvrage « diagnostic » tirant les conclusions des recherches empiriques précédentes de l’Institut et orientant les recherches en cours – notamment sur l’antisémitisme. Mais elle reformule surtout les catégories permettant d’envisager une connaissance dialectique non axée sur la domination et la maîtrise. Empêcher la barbarie – et non plus comprendre les blocages de la réalisation de la raison – à l’aide d’une connaissance émancipatrice ne reconduisant pas les catégories du positivisme et de la domination : c’est là le cœur même du projet sociologique esquissé par La dialectique de la raison.
Notes de bas de page
1 Max Horkheimer, « Geschichte und Psychologie », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. I, 1932, p. 125-144 ; voir également Alfred Schmidt, « L’œuvre de jeunesse de Horkheimer et la naissance de la Théorie critique », Archives de philosophie, 49, 1986, p. 179-204 ; la plupart des textes de Horkheimer cités dans le présent article contribuent à la formulation de ce projet.
2 De la même manière qu’il est opposé à « l’idéalisme irrationaliste » de la « philosophie de la Vie » (Dilthey, Bergson, Klages) et au néokantisme enfermé dans l’analyse des systèmes de connaissance, sans considérations pour les événements réels. Voir Max Horkheimer, « À propos de la querelle du rationalisme dans la philosophie contemporaine » [1934], in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 103-152.
3 Jürgen Habermas, « Max Horkheimer : à propos de l’histoire de l’évolution de sa pensée », in Textes et contextes, trad. fr. par Mark Hunyadi et Rainer Rochlitz, Paris, Éditions du Cerf, p. 51.
4 Max Horkheimer, « Bemerkungen über Wissenschaft und Krise », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. I, 1932, p. 1-7.
5 Max Horkheimer, « La dernière attaque contre la métaphysique », in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 195-239.
6 Max Horkheimer, « Bemerkungen über Wissenschaft und Krise », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. I, 1932, p. 1-7.
7 Max Horkheimer, « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale » [1931], in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 55-68.
8 Max Horkheimer, « Bemerkungen über Wissenschaft und Krise », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. I, 1932, p. 1-7.
9 Max Horkheimer, « Bemerkungen über Wissenschaft und Krise », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. I, 1932, p. 1-7.
10 Horkheimer rejette donc la théorie hégélienne de l’identité entre sujet et objet et sa philosophie de l’histoire qui aboutit au savoir absolu : avec Hegel, dit-il, « la théorie achevée elle-même n’est plus [...] incluse dans l’histoire ; il y a une pensée englobante dont le produit n’est plus abstrait et altérable : la dialectique est close ». Voir Max Horkheimer, « Sur le problème de la vérité » [1935], in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 153-194.
11 Voir son texte de 1938 sur Montaigne, de l’année suivante sur la philosophie sociale : Max Horkheimer, « Montaigne und die Funktion der Skepsis », Zeitschrift für Sozialforschung, vol. VII, 1938, p. 1-54 ; Max Horkheimer, « The social function of philosophy », Zeitschrift für Sozialforschung / Studies in Philosophy and Social Science, vol. VIII, 1939, p. 322-337 ; Max Horkheimer, « The end of Reason », Zeitschrift für Sozialforschung / Studies in Philosophy and Social Science, vol. IX, 1941, p. 316-389 ; voir également : Katia Genel, « L’autorité des faits : Horkheimer face à la fermeture des possibles », Tracés, 24 (1), 2013, p. 107-119 ; John Abromeit, Max Horkheimer and the Foundations of the Frankfurt School, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
12 Ses textes de 1941, « The end of Reason » et l’« État autoritaire », marquent un premier tournant dont La dialectique de la raison est l’expression clé.
13 Theodor W. Adorno, L’actualité de la philosophie et autres essais, éd. par Jacques-Olivier Bégot, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2008.
14 Max Horkheimer, « La situation actuelle de la philosophie sociale et les tâches d’un institut de recherche sociale » [1931], in Théorie critique. Essais, trad. fr. par le Groupe traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2009, p. 55-68.
15 Cette interprétation a été défendue entre autres par Axel Honneth, qui souligne la coupure radicale entre philosophie et science introduite par La dialectique de la raison, condamnant la recherche de l’Institut für Sozialforschung à n’avoir plus aucun lien avec les développements philosophiques et, inversement, ces derniers à n’être plus articulés à des enquêtes sociales. Voir Axel Honneth, Un monde de déchirements : théorie critique, psychanalyse, sociologie, trad.fr. par Pierre Rusch et Olivier Voirol, Paris, La Découverte, 2013, p. 12-159 et p. 278-285.
16 Rolf Wiggershaus a mis en évidence des aspects biographiques et concrets dans le développement de l’Institut für Sozialforschung (IfS) : dès 1941, le déménagement de Horkheimer en Californie, qui l’éloigne du cercle de l’IfS resté à New York, serait un des indices pratiques de cette prise de distance avec ce programme théorique (voir Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, trad. fr. par Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, Presses universitaires de France, 1993).
17 Axel Honneth, « La critique comme “mise au jour”. La dialectique de la raison et les controverses actuelles sur la critique sociale », in La société du mépris, éd. par Olivier Voirol, Paris, La Découverte, 2006, p. 131-149.
18 Gérard Raulet, « Interdisciplinarité ou essayisme ? La “philosophie sociale” de la Dialektik der Aufklärung », in Manfred Gangl et Gérard Raulet (dir.), Jenseits instrumenteller Vernunft. Kritische Studien zur Dialektik der Aufklärung, Bern, New York, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1998.
19 Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, trad. fr. par Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, Presses universitaires de France, 1993.
20 Par exemple David Jenemann, Adorno in America, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007 ; Thomas Wheatland, The Frankfurt School in Exile, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2009.
21 Alex Demirović soutient l’idée que ce projet se prolonge bien au-delà des années 1940 : voir Alex Demirović, Der nonkonformistische Intellektuelle. Die Entwicklung der Kritischen Theorie zur Frankfurter Schule, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1999.
22 Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon texte « Matérialisme interdisciplinaire et critique de la culture », in Pierre-François Noppen, Gérard Raulet et Ian Macdonald (dir.), Les normes et le possible. Héritage et perspectives de l’École de Francfort, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012, p. 19-50.
23 Paul F. Lazarsfeld, « Remarks on administrative and critical communications research », Zeitschrift für Sozialforschung / Studies in Philosophy and Social Science, vol. IX, 1941, p. 2-16.
24 Max Horkheimer, Erich Fromm et Herbert Marcuse (éd.), Studien über Autorität und Familie. Forschungsberichte aus dem Institut für Sozialforschung [1936], Lunebourg, Dietrich zu Klampen, 1987 ; voir également sur la question de l’autorité : Katia Genel, Autorité et émancipation : Horkheimer et la Théorie critique, Paris, Payot, 2013.
25 Ce qui déborde donc largement les milieux bourgeois dans lequel il est né historiquement et dont Horkheimer avait fait l’analyse magistrale dans son « anthropologie de l’ère bourgeoise » : Max Horkheimer, « Égoïsme et émancipation. Contribution à l’anthropologie de l’âge bourgeois » [1936], in Théorie traditionnelle et théorie critique, trad. fr. par Claude Maillard et Sibylle Muller, Paris, Gallimard, 1996, p. 139-227.
26 Ce thème est principalement développé par Horkheimer dans « Égoïsme et émancipation. Contribution à l’anthropologie de l’âge bourgeois » [1936], in Théorie traditionnelle et théorie critique, trad. fr. par Claude Maillard et Sibylle Muller, Paris, Gallimard, 1996, p. 139-227.
27 Theodor W. Adorno, « Zur gesellschaftlichen Lage der Musik » (1932), in Gesammelte Schriften, vol. XVIII : Musikalische Schrifien V, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1975, p. 729.
28 Rolf Wiggershaus insiste à plusieurs reprises dans son ouvrage sur l’urgence que ressentait Horkheimer à se consacrer à cette tâche.
29 Sur ce point, je me permets de renvoyer à deux de mes textes sur la question du diagnostic dans la Théorie critique : Olivier Voirol, « Quel est l’avenir de la Théorie critique ? », Questions de communication, 21, 2012, p. 107-122 et « L’industrie culturelle comme diagnostic historique », Illusio, 12-13, 2014, p. 139-155.
30 Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 27.
31 Voir par exemple pour une analyse du tournant positiviste dans les sciences : Lorraine Daston, Peter Louis Galison, Objectivité, trad. fr par Sophie Renaut et Hélène Quiniou, Paris, Les Presses du réel, 2012.
32 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Le laboratoire de la dialectique de la raison. Discussions, notes et fragments inédits, trad. fr. par Julia Christ et Katia Genel, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013.
33 Walter Benjamin, « Préface épistémo-critique », in Origine du drame baroque allemand, trad. fr. par Sibylle Muller, Paris, Flammarion, 2009.
34 Voir les textes d’après-guerre d’Adorno où il reformule son projet de recherche sociologique : Theodor W Adorno, Karl Popper (dir.), De Vienne à Francfort. La querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles, Éditions Complexe, 1979 ; Theodor W Adorno, Introduction à la sociologie de la musique. Douze conférences théoriques, trad. fr. par Vincent Barras et Carlo Russi, Genève, Éditions Contrechamps, 1994.
35 Theodor W. Adorno, « The psychological technique of Martin Luther Thomas’ radio addresses », in Gesammelte Schriften, vol. IX. 1 : Soziologische Schriften II, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1977, p. 7-141.
36 Leo Löwenthal et Norbert Guterman, Prophets of Deceit. A Study of the Technique of the American Agitator, New York, Harper, 1949.
37 Axel Honneth, « La critique comme “mise au jour”. La dialectique de la raison et les controverses actuelles sur la critique sociale », in La société du mépris, éd. par Olivier Voirol, Paris, La Découverte, 2006, p. 131-149.
38 Voir Gérard Raulet, « Interdisciplinarité ou essayisme ? La “philosophie sociale” de la Dialektik der Aufklärung », in Manfred Gangl et Gérard Raulet (dir.), Jenseits instrumenteller Vernunft. Kritische Studien zur Dialektik der Aufklärung, Bern, New York, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1998, p. 125-157.
Auteur
Maître d’enseignement et de recherche à l’université de Lausanne, chercheur associé à l’Institut für Sozialforschung de Francfort. Il a édité Axel Honneth, La société du mépris : vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006 et « Autour d’Axel Honneth. Reconnaissance et communication », Réseaux, 193/2015.
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