Raison, pouvoir et histoire : relire La dialectique de la raison
p. 25-44
Note de l’éditeur
Le texte est paru initialement sous le titre « Reason, power and history : Re-reading the Dialectic of Enlightenment », Thesis Eleven, 120, 2014, p. 10-25 (N.d.T).
Texte intégral
1L’approche de la théorie critique que développe le plus important défenseur contemporain de l’École de Francfort, Jürgen Habermas, est fermement, et peut-être profondément, attachée à la notion de progrès historique1. Inspiré par Kant, Hegel et Marx, Habermas s’efforce de développer une compréhension postmétaphysique, déflationniste et pratique du progrès, une compréhension qui fasse place à la contingence des processus historiques et qui reconnaisse que ces processus contingents génèrent souvent autant de régression que de progrès2. Mais pourtant, la notion de progrès joue un rôle crucial pour Habermas, aussi bien dans sa théorie de l’évolution sociale (qu’il adopte au début des années 1970 mais n’a jamais abandonnée) que dans sa défense du contenu normatif de la modernité et dans sa méta-éthique3. Le progrès n’est pas seulement compris par Habermas comme un impératif moral ou politique – l’idée est ici que nous avons besoin de croire en la possibilité du progrès vers une bonne société future pour pouvoir mener une critique4 – mais aussi comme une réalité historique : l’idée est alors que nous sommes habilités à, et peut-être même sommés de, reconstruire le processus historique qui nous a conduits jusqu’à « nous » comme étant le processus d’un développement historique, un processus d’apprentissage socioculturel, et que faire cela permet de fonder les concepts normatifs et les principes issus de ce processus d’apprentissage.
2Et pourtant, cette adoption de l’idée de progrès entre en conflit avec l’un des mouvements de pensée critique et théorique – pour ne pas dire politique – de notre époque, la théorie postcoloniale. Aussi déflationniste et postmétaphysique que soit la conception habermassienne du progrès, elle semble encore postuler que ceux qui s’identifient avec les héritiers du projet de la modernité européenne considèrent ceux qui ne s’y identifient pas comme étant d’une certaine manière moins évolués, moins mûrs sur le plan du développement que « nous » ne le sommes, au sens où ils n’ont pas encore appris quelque chose que « nous » avons déjà appris5. En ce sens, cette conception semble favoriser, au moins implicitement, la vision des peuples non modernes, non européens, comme étant les « incarnations humaines d’un principe d’anachronisme » pour le dire dans les termes de Dipesh Chakrabarty6. Ce fait explique sans doute, plus qu’aucun autre, que la seconde génération de l’École de Francfort ait été « étonnamment silencieuse », comme Edward Said l’a noté, sur les questions de l’impérialisme et du colonialisme7. Ce silence est problématique en un sens assez évident. Si nous acceptons, comme je crois que nous devons le faire, l’affirmation de Nancy Fraser selon laquelle pour être véritablement critique, la Théorie critique doit s’engager dans l’autoclarification des luttes sociales et politiques centrales de notre époque8, alors la Théorie critique doit trouver une façon de tenir compte d’une perspective postcoloniale. Et pourtant, il est difficile de concevoir comment la Théorie critique peut être décolonisée sans abandonner son attachement à l’idée de progrès historique, geste qui semble menacer ses fondements normatifs et sa conception de la critique.
3À la lumière de ces préoccupations, je crois que nous ferions bien de revenir au texte principal de la première génération de l’École de Francfort, La dialectique de la raison de Horkheimer et Adorno. Ce texte n’est pas seulement d’un grand intérêt en soi, il est particulièrement éclairant quant au moment où, dans le développement du projet de Théorie critique, celle-ci s’écarte considérablement du récit hégélien du progrès historique. Pour cette raison, ce texte peut servir de ressource à des théoriciens cherchant à relier les projets de la Théorie critique et ceux de la théorie postcoloniale. En outre, ce texte a eu un impact décisif – quoique largement négatif – sur le développement ultérieur de la Théorie critique habermassienne en tant que programme de recherche. L’idée fondamentale de la théorie critique de la société de Habermas – sa distinction entre la rationalité stratégique et communicationnelle – a été en grande partie développée en réponse à sa compréhension des impasses théoriques et des déficits normatifs de la Théorie critique de la première génération, impasses et déficits qui sont pour lui cristallisés dans La dialectique de la raison. Selon Habermas, le projet énoncé par Horkheimer et Adorno d’éclairer l’Aufklärung sur ses propres tendances régressives est condamné à une autocontradiction qui mine la force critique propre du projet. En établissant une équivalence entre la rationalité stratégique ou instrumentale et la rationalité per se, et en réduisant la rationalité à la domination, Horkheimer et Adorno ont commis la grave erreur de se tourner « contre la raison », c’est-à-dire « le fondement de sa propre validité9 ». Cependant, une fois corrigés les amalgames erronés de Horkheimer et Adorno entre la rationalité instrumentale et la rationalité et entre rationalité et pouvoir, il devient évident que leur critique totale et supposée pessimiste de la société est injustifiée. L’accroissement de la rationalité stratégique tout au long de la modernité, bien qu’indéniable et indéniablement dangereux, est contrebalancé, dans l’optique de Habermas, par l’augmentation de la rationalité communicationnelle et la rationalisation progressive du monde vécu qui fournit le fondement normatif d’une critique raisonnée du pouvoir.
4Par conséquent, l’accusation selon laquelle Horkheimer et Adorno ne sont « pas sensibles au contenu hautement ambivalent de la modernité culturelle et sociale10 » constitue la clef de voûte de la critique qu’adresse Habermas au texte de ces auteurs. Cependant, dans la mesure où la force normative de la théorie critique habermassienne dépend d’une distinction bien trop nette entre raison (communicationnelle) et pouvoir (stratégique), un grand nombre des critiques de Habermas se sont demandé s’il parvenait encore à théoriser cette ambivalence. De fait, dans la période théorique et culturelle contemporaine, la tentative de Habermas d’isoler une raison communicationnelle des effets des relations de pouvoir stratégiques, sa confiance dans la notion d’« autorité sans contrainte » du meilleur argument et les présuppositions idéalisantes du discours qui soutiennent ces idées, sont devenues de plus en plus difficiles à défendre11. Un problème central est que cette tentative d’isoler la raison communicationnelle et ses présuppositions idéalisantes de l’impact des relations de pouvoir donne l’impression d’un jeu de pouvoir12. La tentative de fonder la normativité de la Théorie critique sur une compréhension progressiste de la modernité conçue comme l’aboutissement d’un processus d’apprentissage ne fait que renforcer cette crainte.
5En s’attachant à éviter ce qu’il voyait comme l’impasse normative, philosophique et politique de La dialectique de la raison, impasse qui résultait de la réduction opérée par Horkheimer et Adorno de la raison et de la validité normative aux relations de pouvoir, Habermas semble avoir tordu le bâton dans l’autre sens : il a essayé d’isoler la raison communicationnelle des relations de pouvoir (stratégiques). À présent, plutôt que de m’arrêter davantage sur les problèmes associés à ce geste, j’aimerais envisager la question de savoir si Habermas avait raison ou non de considérer le chemin ouvert à la Théorie critique par La dialectique de la raison comme étant d’emblée une impasse. Et si, contrairement à ce que défend Habermas, La dialectique de la raison n’était pas du tout une impasse, mais trace bien la voie à suivre pour la Théorie critique ? Et si l’avenir de la Théorie critique dépendait de sa capacité à ressaisir les idées que l’on trouve dans ce texte à propos de la dialectique conceptuelle et historique de la raison et du pouvoir ? Toute tentative pour faire le bilan de ce qui a été gagné et de ce qui a été perdu dans la transition de la Théorie critique vers un paradigme habermassien ferait bien – si elle vise à poser les jalons d’une voie alternative future et post-habermassienne pour la Théorie critique13 – de réfléchir à ces questions.
6La clé permettant d’apercevoir l’importance persistante de La dialectique de la raison pour la théorie critique contemporaine dépend – comme je le suggérerai ici – de la manière de comprendre le terme de « dialectique », et de la double signification de l’idée même de dialectique de l’Aufklärung. Lorsqu’elle est bien comprise, tel est mon argument, la notion de dialectique de l’Aufklärung mise en avant par Horkheimer et Adorno peut nous fournir un cadre pour réfléchir à l’intrication ambivalente entre la raison et le pouvoir dans la vie sociale humaine mais ne nous engage ni dans une philosophie négative de l’histoire ni dans une réduction problématique de la raison à la domination. Dans ce qui suit, je m’emploie à défendre cette idée, à travers une lecture du texte lui-même et une discussion critique des lectures du projet de Horkheimer et Adorno proposées par Habermas et d’autres théoriciens. Finalement, en guise de conclusion, je dirai quelques mots du bénéfice que peut tirer la théorie critique contemporaine, eu égard à son engagement avec la théorie postcoloniale, si elle suit le chemin ouvert par La dialectique de la raison, plutôt que par l’alternative habermassienne.
La dialectique de La dialectique de la raison
7La dialectique de la raison s’ouvre par un coup de tonnerre :
« De tout temps, l’Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais la terre, entièrement “éclairée”, resplendit sous le signe des calamités triomphant partout14. »
8La source de la régression fasciste et totalitaire vers la barbarie, dont Horkheimer et Adorno ont été les témoins lorsqu’ils écrivaient, ne se trouve pas simplement dans les formes historiques et institutionnelles concrètes auxquelles la pensée de la rationalité éclairée a donné lieu ; il s’avère que c’est la pensée de l’Aufklärung ou la rationalité elle-même qui est décrite comme « destructrice » et « totalitaire » (p. 24). La clé de cette affirmation scandaleuse réside dans la compréhension qu’ont Horkheimer et Adorno du terme « Aufklärung ». Il ne renvoie pas – du moins pas exclusivement ni même principalement – à l’époque historique des Lumières européennes qui ont commencé en France et se sont épanouies en Allemagne au xviiie siècle. Il s’agit plutôt d’un processus plus général de rationalisation progressive qui rend les êtres humains capables d’exercer un pouvoir de plus en plus grand sur la nature, sur les autres êtres humains et sur eux-mêmes. C’est ce dernier sens de l’Aufklärung qui permet à Horkheimer et Adorno de rattacher la rationalité éclairée à une volonté de maîtrise et de contrôle et à la domination de la nature intérieure et extérieure ; cette volonté de maîtrise se réalise dans la période historique que désigne l’Aufklärung, mais elle n’y trouve pas son origine.
9Il est certain que Horkheimer et Adorno ont aussi persisté à défendre un espoir en une conception positive de l’Aufklärung. Par exemple, dans la préface, ils soutiennent que l’objectif de l’ouvrage est d’éclairer l’Aufklärung sur elle-même en démasquant ses tendances autodestructrices. Dans ce contexte, ils reconnaissent volontiers que « dans la société, la liberté est inséparable du penser éclairé » (p. 15). Et pourtant, poursuivent-ils, « la notion même de ce penser [...] contient déjà le germe de cette régression qui se vérifie partout de nos jours ». L’Aufklärung doit entreprendre un travail de réflexion sur ce « moment de régression » de crainte qu’elle ne « scelle son propre destin » et ne tombe complètement dans la barbarie (p. 15). À travers une analyse de l’entrecroisement de la rationalité éclairée et d’une réalité sociale traversée par des relations d’oppression et de domination, Horkheimer et Adorno affirment qu’ils visent à « préparer un concept positif de cette Raison [Aufklärung] qui puisse la libérer des rets dans lesquels la retient la domination aveugle » (p. 18).
10Il faut cependant reconnaître que le texte se concentre davantage sur les processus historiques par lesquels l’Aufklärung se renverse en barbarie, et bien moins sur l’élaboration du concept positif d’Aufklärung auquel Horkheimer et Adorno se réfèrent dans leur préface. Le texte ne propose de ce concept positif que quelques aperçus, qui n’émergent d’ailleurs que plus ou moins indirectement. On trouve un aperçu indirect dans la digression sur « Juliette ou Raison et morale », où Horkheimer et Adorno défendent l’idée que les « écrivains bourgeois maudits », « les écrivains sombres et pessimistes de la bourgeoisie » (p. 126) comme Sade et Nietzsche exposent l’amoralité inhérente à l’Aufklärung. Contrairement aux apologistes de la bourgeoisie, Sade et Nietzsche n’ont pas hésité à faire de l’immoralisme le couronnement de l’Aufklärung. « Tandis que les écrivains sereins et optimistes désavouaient l’union indissoluble de la raison et du crime, de la société bourgeoise et de la domination », écrivent Horkheimer et Adorno, « les autres exprimaient sans ménagement cette vérité déconcertante » (p. 126). En proclamant « l’identité du pouvoir et de la raison, les doctrines impitoyables sont plus accessibles à la pitié que celles des moralistes, laquais de la bourgeoisie » (p. 127, trad. modifiée).
11Ce dernier passage est ambigu (peut-être à dessein), mais il laisse penser qu’en proclamant l’identité du pouvoir et de la raison, Nietzsche et Sade ont tendu à l’Aufklärung un miroir qui la rend capable de réfléchir sur ses propres tendances régressives et ainsi « ouvre une perspective sur ce qui est situé bien au-delà d’elle-même » (p. 126). Cela suggère en outre que leur propre position n’est pas que le pouvoir et la raison sont identiques. S’il est vrai que c’est ce que Sade et Nietzsche indiquent, ils ne le font pas en tant qu’ennemis de l’Aufklärung, mais plutôt au service de son sauvetage. En outre, « les écrivains sereins et optimistes », les « apologistes » de l’Aufklärung et de la bourgeoisie, qui dénient l’alliance entre la raison et le pouvoir en embrassant des « doctrines harmonisantes », renforcent ce faisant à leur insu cette alliance (p. 126). Ainsi, le fait de tendre un miroir à l’Aufklärung de telle sorte qu’elle puisse devenir consciente de ses propres tendances régressives va de pair avec la note relativement encourageante sur laquelle le livre se termine : « Même la Raison [Aufklärung] en pleine possession d’elle-même et devenant violence pourrait briser les limites de la Raison » (p. 215).
12La possibilité de briser les limites de l’Aufklärung est enracinée dans une forme de « réflexion » ouverte qui est illustrée par la mimésis esthétique – même si elle n’est sans doute pas limitée à cette dernière.
13Cette relation dialectique entre les aspects négatifs, totalitaires, régressifs, barbares et amoraux de l’Aufklärung et ses aspects positifs, réflexifs et émancipatoires, entre l’Aufklärung comme domination et Aufklärung comme capacité à une autoréflexion rationnelle, est le noyau philosophique de l’ouvrage, et cela a souvent été mal compris par les critiques et les commentateurs. On peut trouver deux lignes d’interprétation différentes de ce texte dans la littérature sur la Théorie critique, les deux reposant sur ce qui me semble être une compréhension erronée – on pourrait même dire non dialectique – de la manière dont le terme « dialectique » fonctionne dans La dialectique de la raison.
14La première interprétation, et la plus simple, considère le projet de La dialectique de la raison comme étant pleinement négatif : il viserait un dévoilement total de la rationalité éclairée et procéderait à une réduction de la rationalité à la domination totalitaire. Selon cette lecture, l’ouvrage et ses auteurs sont totalement pessimistes quant aux perspectives de changement progressiste dans les sociétés contemporaines du capitalisme tardif et leur pessimisme débouche sur un quiétisme politique qui dégénère ensuite en conservatisme face à l’avènement de nouveaux mouvements sociaux à la fin des années 1960 et au début des années 197015. Des versions sophistiquées de cette ligne d’interprétation reconnaissent que La dialectique de la raison prise en elle-même est entièrement négative dans le sens où elle assimile la rationalité instrumentale à la domination, mais que ce projet négatif n’est pas incompatible avec un concept positif de rationalité et doit de fait être compris comme étant en dialogue implicite avec un tel concept, dans lequel la notion habermassienne de rationalité communicationnelle occupe la place de ce concept. Par exemple, Hauke Brunkhorst16 soutient que l’exhortation de Horkheimer et Adorno à l’autoréflexion de l’Aufklärung n’a pas de sens si la rationalité est assimilée à la rationalité instrumentale17. Ils doivent implicitement faire appel ici à une notion alternative de rationalité qui contienne un « moment interne à toute forme de rationalité qui diffère de la domination » ; c’est précisément, selon Brunkhorst, ce que désigne le concept de rationalité communicationnelle ou dialogique18. Malheureusement, Horkheimer et Adorno n’ont jamais développé la notion de rationalité communicationnelle impliquée par leur compréhension de l’autoréflexion de l’Aufklärung. Selon cette perspective, une telle lacune peut toutefois être surmontée en adoptant la conception habermassienne, plus différenciée, de la rationalité.
15Un sérieux défi est posé à cette première ligne d’interprétation : bien que Horkheimer et Adorno parlent souvent de la rationalité éclairée en termes d’utilité ou d’instrumentalité, il y a également des passages dans La dialectique de la raison dans lesquels la critique de l’Aufklärung semble bien plus générale que cela. Dans ces moments, leur critique incisive de la raison éclairée semble s’appliquer également à la rationalité instrumentale et communicationnelle. Par exemple, dans le chapitre introductif, « Le concept d’“Aufklärung” », qui sert de cadre théorique au reste de l’ouvrage, Horkheimer et Adorno écrivent :
« L’ensemble de l’organisation logique – la dépendance, la connexion, la progression et la combinaison des concepts – se fonde sur les rapports correspondants de la réalité sociale, c’est-à-dire sur la division du travail. [...] Pour l’individu, la domination incarne l’universel, la raison dans la réalité. » (p. 38)
16Cette critique plus globale de la raison se retrouve dans les pages ouvrant la digression sur Juliette, où la raison, ou logique discursive, est à nouveau présentée comme une relation de pouvoir intrinsèquement hiérarchique.
« Dans l’interprétation rationaliste, le penser est la production d’un ordre scientifique unitaire et la déduction de la connaissance factuelle à partir de principes – que ceux-ci soient entendus comme des axiomes postulés arbitrairement, des idées innées ou des abstractions supérieures. Les lois logiques instaurent les rapports les plus généraux au sein de l’ordre et les définissent. L’unité réside dans la concordance. Le principe de contradiction est le système in nuce. » (p. 92 sq.)
17Bien que ce passage commence en évoquant le rôle qu’une certaine conception de la science et de la mathématisation de la nature joue dans l’Aufklärung, comprise comme une époque historique spécifique – et qu’il se présente par conséquent initialement comme un énoncé portant sur une conception étroitement instrumentale de la rationalité –, il passe assez rapidement à des affirmations générales sur les principes logiques eux-mêmes. La nature générale et hiérarchique de la pensée conceptuelle, les principes logiques et en particulier le principe de non-contradiction, sont impliqués ici comme des composantes essentielles de l’Aufklärung au sens large, et ils sont tous conservés dans la notion de raison communicationnelle.
18C’est la reconnaissance de ce point qui commande la seconde ligne d’interprétation, selon laquelle la manière dont La dialectique de la raison rend compte de la relation entre raison et pouvoir est si négativiste, si pessimiste et si sombre qu’elle est incompatible avec toute conception positive de l’Aufklärung ou de la rationalité, y compris la conception communicationnelle. Comme le dit Albrecht Wellmer,
« puisque Horkheimer et Adorno [...] voient la pensée conceptuelle – orientée vers la domination et la préservation de soi – comme la racine ultime des perversions de la modernité, ils ne peuvent même pas croire que l’idée d’une rationalité non pervertie pourrait être maintenue vivante dans la sphère de la pensée discursive19 ».
19C’est cela qui, selon Wellmer, place Horkheimer et Adorno dans la « position désespérée » consistant à essayer de « défendre une idée de la raison qu’à strictement parler [ils] ne peuvent plus défendre dans le médium de la pensée discursive20 ». C’est pourquoi ils doivent en appeler à un « autre » de la raison radicalement utopique – représenté par la mimésis et l’art – comme seule manière de sortir de la régression de l’Aufklärung vers la barbarie retracée dans La dialectique de la raison. Dans l’optique de Wellmer, cela signifie que Horkheimer et Adorno sont incapables de résoudre le paradoxe wébérien de la rationalisation – ce paradoxe étant le fait que la « rationalisation signifie à la fois l’émancipation et la réification21 » – et qu’il ne leur reste en fait qu’une « négation radicale et abstraite des formes existant historiquement de la rationalité22 ».
20Et pourtant, l’hypothèse selon laquelle le but de La dialectique de la raison est de résoudre le paradoxe de la rationalisation devrait nous faire réfléchir. C’est le signe d’un malentendu sur la manière dont le terme de dialectique est utilisé dans La dialectique de la raison, un malentendu qui est évident dans les deux lignes d’interprétation que je viens d’esquisser. Selon la première lecture, le problème de La dialectique de la raison est qu’elle n’est pas assez dialectique, ou du moins pas de la bonne manière. Le texte ne nous propose qu’une moitié de dialectique ; sa seule focalisation porte sur les tendances barbares, totalitaires et régressives de l’Aufklärung. Cette image négative de l’Aufklärung a grand besoin d’une réconciliation dialectique avec son autre positif, dont le contenu est fourni par la notion habermassienne de rationalité communicationnelle. Selon la deuxième ligne d’interprétation, on trouve à nouveau l’hypothèse implicite selon laquelle la dialectique exposée dans La dialectique de la raison renferme une opposition ou une contradiction entre la raison – représentée dans la modernité par les forces de la rationalisation économique, bureaucratique et technico-scientifique (capitaliste) – et le pouvoir – que Wellmer, glosant Weber, appelle « un emprisonnement croissant de l’homme moderne dans des systèmes déshumanisés d’une nouvelle sorte23 » –, contradiction qui peut, voire doit, être résolue ou réconciliée à un niveau plus élevé de complexité dialectique. Wellmer n’est toutefois pas optimiste quant au fait que cette réconciliation puisse être accomplie seulement en reliant la critique de la raison instrumentale dans La dialectique de la raison à la notion positive de rationalité communicationnelle de Habermas. Il suggère plutôt que la théorie critique de La dialectique de la raison conduit à une impasse théorique qui ne peut être évitée que par un changement de « stratégie conceptuelle » dans la théorie sociale, de la stratégie de Horkheimer et Adorno à celle de Habermas24.
21Le problème que posent ces deux interprétations est que La dialectique de la raison ne vise pas du tout à la réconciliation ni à la résolution. Son but n’est pas de résoudre le paradoxe de l’Aufklärung – selon lequel la rationalité éclairée est fondée sur la domination (de soi et des autres, et en particulier les autres de la raison) et la domination est fondée sur la rationalisation elle-même – mais bien plutôt d’exprimer et d’éclairer ce paradoxe, et de réfléchir à ses implications. À un niveau conceptuel, la structure de la dialectique de l’Aufklärung n’est pas l’opposition entre deux conceptions incomplètes qui peut être résolue par un concept plus complexe et différencié de façon interne, mais c’est la structure d’une aporie25. Horkheimer et Adorno indiquent cela de façon tout à fait claire dans leur préface lorsqu’ils écrivent :
« L’aporie à laquelle nous nous trouvâmes confrontés durant notre travail se révéla être ainsi le premier objet que nous devions examiner : l’autodestruction de la Raison [Aufklarung]. Nous n’avons pas le moindre doute – et c’est là notre pétition de principe – que dans la société, la liberté est inséparable du penser éclairé. Mais nous croyons avoir tout aussi nettement reconnu que la notion même de ce penser, non moins que les formes historiques concrètes [...] dans lesquelles il est imbriqué, contiennent déjà le germe de cette régression qui se vérifie partout de nos jours. » (p. 15)
22Le thème de l’aporie est relié ici à l’affirmation citée ci-dessus, et qui vient bien plus tard dans l’ouvrage, selon laquelle le principe de non-contradiction contient le système de l’Aufklärung « in nuce ». Comme nous le savons, le principe de non-contradiction affirme qu’un énoncé et sa négation ne peuvent être vrais tous les deux. En d’autres termes, selon le principe de non-contradiction, les deux énoncés « la rationalité éclairée est liberté » et « la rationalité éclairée est domination (non liberté) » ne peuvent tous deux être vrais. Mais c’est précisément la vérité que La dialectique de la raison s’attache à exprimer, et c’est une vérité qui ne peut être exprimée qu’à travers un argument structuré de façon fondamentalement aporétique. Autrement dit, la dialectique opérant ici n’est pas la notion de dialectique qui est, de façon implicite ou explicite, adoptée par les critiques de la théorie de la société de Horkheimer et Adorno – une notion fondamentalement hégélienne dans laquelle les contradictions sont réconciliées à travers l’élaboration de concepts plus complexes et différenciés de façon interne. Bien plutôt, La dialectique de la raison applique une notion adornienne de dialectique, où la contradiction dialectique n’a pas à être résolue parce qu’il ne peut y avoir de réconciliation ni de résolution sans reste. Comme Adorno l’exprimera par la suite dans l’introduction à la Dialectique négative : « Le nom [de la dialectique] dit d’abord seulement que les objets ne se réduisent pas à leur concept, qu’ils entrent en contradiction avec la norme traditionnelle de l’adaequatio26 ».
23Contrairement à d’autres auteurs de théories critiques qui font des objections à La dialectique de la raison, Habermas semble au moins reconnaître la structure aporétique du texte27. Mais la manière dont il rend compte de l’aboutissement de La dialectique de la raison en aporie est curieuse. Son hypothèse de départ est que le but du texte est de réduire la rationalité éclairée – et avec elle les prétentions normatives à la validité que cette rationalité rend possibles – à de pures relations de pouvoir. Comme l’écrit Habermas, dans La dialectique de la raison, « les analyses ne laiss[ent] aucun espoir quant à la force libératrice du concept » de l’Aufklärung28. Selon ce texte, « dans la modernité culturelle, la raison est définitivement dépouillée de son caractère d’exigence de validité et assimilée au pouvoir pur et simple [...] », « pouvoir et prétentions à la validité se mêlent confusément29 ». Par suite, Horkheimer et Adorno sont coupables d’une « assimilation naturaliste entre prétentions à la validité et prétentions au pouvoir et à la destruction de la faculté critique30 ». C’est là, dans l’optique de Habermas, une simplification massive de la transition historique de la modernité occidentale et des potentiels rationnels et normatifs libérés par cette transition. Horkheimer et Adorno rendent ainsi compte d’une façon incomplète et unilatérale de la dialectique de l’Aufklärung dans la modernité31.
24En outre, et c’est la seconde présupposition de la lecture habermassienne, s’étant tournée contre la raison en l’assimilant au pouvoir, la critique de La dialectique de la raison devient une négation abstraite et totale de la rationalité éclairée. C’est ce qui conduit, dans La dialectique de la raison, à une critique minant ses propres fondements. Habermas l’exprime en ces termes :
« Il reste qu’une telle description de l’autodestruction subie par la faculté critique est paradoxale, dans la mesure où – à l’instant même de cette description – elle ne peut éviter de pratiquer la critique dont elle proclame la mort. C’est par les moyens mêmes des lumières [Aufklärung] qu’elle en dénonce le totalitarisme32. »
25Cela conduit les auteurs de La dialectique de la raison à une redoutable contradiction performative.
26Habermas semble plus généralement très confiant dans le pouvoir des arguments de la contradiction performative33. Mais ceci mis à part, il est intéressant qu’il semble considérer que Horkheimer et Adorno sont tombés dans cette contradiction performative. Leur but, selon la perspective de Habermas, était de mener une critique totalisante, une négation abstraite de la rationalité éclairée, en montrant qu’elle n’est rien d’autre que du pur pouvoir. Or, si le but de cette critique totalisante est encore celui d’éclairer (le lecteur), et si cette critique continue à être effectuée dans le langage de la pensée rationnelle et conceptuelle, alors elle ne peut dénoncer l’Aufklärung qu’en utilisant les outils de cette dernière. Mais cela génère une contradiction performative entre le contenu de la pensée de Horkheimer et Adorno – l’Aufklärung est totalitaire – et la manière éclairée – discursive, rationnelle – dont ils expriment ce contenu. Dans l’optique habermassienne Horkheimer et Adorno ont, en ce point, jeté l’éponge ; plutôt que de tenter de trouver une voie de sortie ou une réponse à cette contradiction performative, ils se sont juste complus en elle. Ils y répondent « en attisant et en refusant de résoudre la contradiction performative d’une critique de l’idéologie qui renchérit sur elle-même, contradiction qu’ils renoncent à vouloir surmonter par la théorie34 ».
27On peut dégager deux problèmes dans cette lecture habermassienne. D’une part, Habermas a tort de suggérer que Horkheimer et Adorno se sont enfermés à leur insu dans cette aporie du fait de leur tentative de critique totale de la rationalité éclairée. Leur objectif n’est pas une critique totale ni une négation abstraite de la rationalité, mais plutôt l’expression de la nature paradoxale de l’Aufklärung, son intrication nécessaire avec le pouvoir et la domination – ce qui ne signifie pas qu’elle s’y réduise. D’autre part, s’il y a une contradiction inhérente à la structure conceptuelle de La dialectique de la raison, elle n’est pas, ou du moins pas seulement, une contradiction performative. La contradiction entre l’Aufklärung comme rationalité et l’Aufklärung comme domination est avant tout une contradiction substantielle (et seulement indirectement performative), et selon l’argument de La dialectique de la raison, elle ne peut être résolue, du moins sans reste, sans exercer une violence conceptuelle à l’encontre de l’un ou l’autre des pôles de la dialectique.
28En dépit de cette lecture erronée, Habermas lance en réalité un défi considérable à la saisie de l’aporie défendue par La dialectique de la raison. Selon ses termes,
« persister dans un paradoxe, en un lieu que la philosophie occupait jadis par ses ultimes fondations, n’est pas seulement inconfortable, mais encore impossible à moins de montrer qu’il n’existe aucune issue35 ».
29Habermas pense bien sûr qu’il y a une issue et qu’il l’a trouvée, à travers le tournant communicationnel. Le fait que La dialectique de la raison soit enlisée dans une aporie constitue pour lui le signe que ses auteurs travaillent dans un paradigme philosophique épuisé, celui de la philosophie de la conscience. Dans les termes de Habermas :
« Restant attachée aux conditions de la philosophie du sujet, la critique de la raison instrumentale dénonce comme une souillure ce qu’elle ne peut expliquer dans son caractère de souillure, car lui fait défaut une conceptualité suffisamment souple pour rendre compte de l’intégrité de ce qui est détruit par la raison instrumentale36. »
30Pour Habermas, la notion de mimésis de Horkheimer et Adorno fait un pas dans la bonne direction, à savoir vers un « rapport entre deux personnes, où l’une se colle à l’autre, s’identifie à elle, ressent en elle37 ». Mais la manière dont La dialectique de la raison prend en considération la mimésis n’atteint pas ce que Habermas appelle le « noyau rationnel des réalisations mimétiques », que seule peut expliquer la notion de rationalité communicationnelle38.
31Avec l’explication du cœur rationnel de la mimésis, Habermas peut reformuler le paradoxe de la rationalisation. Comme le note Wellmer, pour Habermas, le « paradoxe de la rationalisation n’exprime pas une logique interne (ou dialectique) des processus modernes de rationalisation » ; il n’y a pour Habermas, à strictement parler, « ni un paradoxe de la rationalisation ni une “dialectique de l’Aufklärung”39 ». Ainsi, ce que Habermas s’efforce de faire n’est pas tant de résoudre le paradoxe de la rationalisation ou de la « dialectique de l’Aufklärung » que de tenter de le dissiper. Dans la conception habermassienne, il n’y a pas de paradoxe interne à la rationalité ou à l’Aufklärung en soi mais bien plutôt un processus historique de modernisation qui est ambigu et consiste, du côté du système, en une croissance des marchés capitalistes et des administrations bureaucratiques, et du côté du monde de la vie, en une croissance progressive de la rationalité communicationnelle et des structures du moi postconventionnel qui la réalisent. En d’autres termes, pour Habermas, le paradoxe de la rationalisation est déplacé de l’intérieur de la notion de rationalité éclairée elle-même sur l’opposition entre un système rationalisé gouverné par des impératifs stratégiques d’un côté, et le monde de la vie rationalisé de manière communicationnelle que ce système menace de façon croissante de pénétrer, de l’autre. Le monde de la vie fournit les fondements normatifs d’une critique des relations de pouvoir qui sont caractéristiques du premier.
32Mais Habermas a-t-il raison d’affirmer qu’une tentative pour exprimer la tension interne ou le paradoxe de l’Aufklärung ou de la rationalisation aboutit nécessairement à s’enliser dans une aporie et à être incapable de fonder sa propre critique ? Et propose-t-il réellement une issue ? Il faut noter que dans cette discussion sont présentes implicitement deux manières très différentes de comprendre l’idée même de dialectique de l’Aufklärung. Selon une première lecture, la connexion entre Aufklärung et domination est une connexion conceptuelle, et dès lors le renversement de l’Aufklärung en domination est nécessaire et inéluctable. C’est essentiellement la compréhension habermassienne de ce que Horkheimer et Adorno entendent par dialectique de l’Aufklärung. Cette compréhension conduit à la difficulté suivante : soit il n’y a pas d’issue – et lorsque Horkheimer et Adorno évoquent cette issue, c’est hypocrite ou bien confus –, soit s’il y en a bien une, elle ne peut être trouvée qu’à travers le retour nostalgique à une compréhension romanticisée de la magie ou de la mimésis, puisque seule cette manière de se rapporter à la nature échappe à la dialectique inexorable et inéluctable de l’Aufklärung qui commence avec le mythe.
33Selon la seconde lecture possible de cette idée, le rapport entre, d’un côté, les concepts historiques et les idéaux de l’Aufklärung et, de l’autre, les relations de domination sur la nature intérieure et extérieure, est compris comme un phénomène contingent qui advient historiquement. Par suite, il y a bien une issue – ou du moins peut-on dire qu’il n’y a pas de raison de penser qu’il n’y en a pas – et cette issue peut être trouvée dans le développement d’une appréciation plus grande des gains normatifs apportés par la transition vers la modernité, en particulier les ressources communicationnelles générées au sein des structures modernes du monde vécu. C’est essentiellement la position de Habermas, lorsque celui-ci nie qu’il y ait une dialectique interne à l’Aufklärung et projette cette dialectique interne dans l’opposition entre système et monde vécu.
34Ce qui est intéressant dans la conception qu’ont Horkheimer et Adorno de la dialectique de l’Auflärung est la manière dont ils combinent des éléments de ces deux interprétations ; cette combinaison contribue à éclairer leur foi persistante (même si elle est demeurée insuffisamment développée) dans le concept positif de l’Aufklärung et dans sa relation à la liberté. Habermas défend avec raison l’idée que la dialectique de l’Aufklärung est présentée en termes conceptuels – quoique, comme je l’ai défendu ci-dessus, cette aporie conceptuelle ne soit pas une situation dans laquelle Horkheimer et Adorno tomberaient à leur insu, par leur tentative de présenter une négation abstraite, pleinement négative, de la rationalité éclairée. L’effort pour éclairer cette aporie conceptuelle est bien plutôt l’une des visées centrales du texte, par exemple dans le passage de la préface que j’ai déjà évoqué : « La notion même de ce penser, non moins que les formes historiques concrètes, les institutions de la société dans lesquelles il est imbriqué, contiennent déjà le germe de cette régression qui se vérifie partout de nos jours » (p. 15). En ce sens, Horkheimer et Adorno postulent bien une tension essentielle entre la rationalité éclairée au sens large et les relations de pouvoir comprises comme le contrôle ou la domination de la nature intérieure et extérieure. Comme je l’ai indiqué plus haut, c’est l’aporie fondamentale que Horkheimer et Adorno essaient d’éclairer, et c’est de ce point de vue que l’on peut mettre en question l’hypothèse habermassienne selon laquelle la voie de sortie implique de recourir à une notion de raison communicationnelle purifiée de son intrication avec les relations de pouvoir.
35Et pourtant le développement historique particulier de cette intrication, qui a conduit à la barbarie et au totalitarisme du XXe siècle, ne doit pas être considéré comme historiquement nécessaire ou inévitable. De fait, Horkheimer et Adorno ont âprement critiqué une philosophie de l’histoire qui affirme connaître le telos du développement historique :
« Avec la notion de négation déterminée, Hegel a révélé un élément qui distingue la Raison de la décadence positiviste, au compte de laquelle il l’inscrit. Mais, en élevant finalement au rang d’absolu le résultat conscient du processus entier de la négation – la totalité systématique et historique –, il transgressa l’interdiction et tomba lui-même dans le piège de la mythologie. » (p. 41)
36On note que l’interdiction ne porte pas ici simplement sur le fait de poser le savoir absolu comme point d’achèvement du développement historique de la raison, mais aussi sur le postulat d’un résultat connu comme point d’achèvement du processus dialectique. Ainsi, cette critique ne s’applique pas seulement aux philosophies positives de l’histoire de type hégélien, mais aussi aux lectures déclinistes de l’histoire qui valent, négativement, comme image inversée des hypothèses épistémologiques et métaphysiques quant au caractère orienté de l’histoire.
37Cela laisse supposer que Horkheimer et Adorno ne souscrivent pas eux-mêmes à une telle philosophie négative de l’histoire dans La dialectique de la raison. Le chemin particulier qui a été pris par la dialectique de l’Aufklärung dans la modernité européenne peut bien plutôt être compris comme le résultat historique contingent de la conjonction des forces d’une science moderne dominée par la technologie, avec le capitalisme et avec la moralité bourgeoise qui le rationalise, d’une part, ainsi qu’avec l’antisémitisme, d’autre part. Bien que le concept d’Aufklärung pris au sens large soit enchevêtré avec les relations de pouvoir – en ce sens, il porte avec lui la semence ou le germe de sa propre régression, ou représente le système in nuce –, la manière particulière dont ce rapport s’est développé dans l’histoire de l’Occident, de telle sorte que le potentiel de régression et de domination présent dans le concept de Aufklärung a grandi jusqu’à devenir une véritable barbarie, peut être considérée comme contingente. À l’intérieur de ce cadre historique contingent,
« l’adaptation au pouvoir du progrès implique le progrès du pouvoir, et par conséquent une répétition de ces régressions qui prouvent au progrès – pas seulement à celui qui est une faillite, mais au progrès-réussite –, qu’il est le contraire du progrès. La malédiction du progrès irrésistible est la régression irrésistible » (p. 51).
38Par suite, selon cette conception, comme Brian O’ Connor40 l’a noté en référence à la philosophie de l’histoire d’Adorno, si le progrès doit pouvoir être accompli, cela ne sera possible qu’une fois que nous aurons abandonné le récit du progrès.
39La cause du renversement de l’Aufklärung en mythe est « la crainte que lui inspire la vérité » (p. 16). Quelle est la vérité que craint l’Aufklärung ? Précisément son enchevêtrement avec les relations de pouvoir. En tendant un miroir à cet aspect de l’Aufklärung, Horkheimer et Adorno n’espèrent pas le désenchevêtrement de la raison et du pouvoir une fois pour toutes, mais entendent plutôt rendre la raison auto-consciente de son inévitable intrication avec le pouvoir. Par conséquent, le concept positif de l’Aufklärung ne nous libère pas de l’enchevêtrement avec le pouvoir en soi, mais plutôt de l’« enchevêtrement avec la domination aveugle41 ». Que gagnerions-nous à dépasser cette cécité ? Cela nous permettrait de voir que
« [m]ême si, fuyant la nécessité pour se réfugier dans le progrès et la civilisation, l’humanité est incapable de s’arrêter sans abandonner la connaissance elle-même, du moins ne reconnaîtra-t-elle plus dans les remparts qu’elle élève contre la nécessité (les institutions, les pratiques autoritaires qui, après avoir permis l’assujettissement de la nature, se sont retournées contre la société), les garants de la liberté future » (p. 55).
40Selon cette manière de comprendre les dimensions historiques et conceptuelles de la dialectique de l’Aufklärung, certains dangers ne peuvent être complètement éliminés de la rationalité de l’Aufklärung entendue dans le sens le plus large – et cela explique pourquoi le repli dans la raison communicationnelle ne fournit pas véritablement d’échappatoire, mais offre plutôt une doctrine harmonisante qui préserve à son insu l’association du pouvoir avec la raison du fait même d’échouer à la reconnaître – mais cela ne veut pas dire que la rechute de l’Aufklärung dans la barbarie fasciste était inévitable. Selon cette lecture, dès lors, Horkheimer et Adorno ne sont pas liés à une philosophie négativiste de l’histoire, pas plus que leur invocation du concept positif de l’Aufklärung ne revient à une simple erreur ou à une confusion. Tel qu’ils le comprennent, le concept de l’Aufklärung n’est pas en lui-même barbare ou totalitaire ; il est plutôt profondément ambivalent, au sens où il renferme le potentiel de tomber dans la barbarie et le totalitarisme. Mais il contient aussi d’autres potentiels, parmi lesquels celui de réfléchir sur ses propres tendances régressives, de se tendre un miroir à lui-même, et de franchir ses propres limites. « Ce qui est en jeu », écrivent Horkheimer et Adorno dans la préface, « n’est pas la conservation du passé mais la réalisation des espoirs du passé » (p. 17).
41Le récit historique de la retombée de l’Aufklärung dans la barbarie est raconté d’une manière impitoyable, parce que « [s]eule une pensée qui se fait violence à elle-même a la dureté nécessaire à la destruction des mythes » (p. 22). Mais à travers leur manque de pitié, Horkheimer et Adorno ont tendu de façon empathique un miroir à la configuration historique particulière que la rationalité de l’Aufklärung a prise pour nous, ouvrant ainsi une perspective sur ce qui se tient au-delà d’elle. « L’esprit d’une théorie aussi intransigeante serait apte à transformer même celui de l’impitoyable progrès, par ce qui est de sa finalité » (p. 57).
L’avenir de la Théorie critique
42En guise de conclusion, j’indiquerai pourquoi cette discussion de La dialectique de la raison est importante en ce point du développement du projet de la Théorie critique. Pourquoi défendre un retour à La dialectique de la raison aujourd’hui, soixante-cinq ans après qu’elle a été écrite ? Pourquoi penser que ce texte nous propose une manière productive de poursuivre la Théorie critique ?
43Je terminerai en indiquant une raison de penser qu’il le fait. Considérons à nouveau l’échec de la Théorie critique à s’engager pleinement dans une critique postcoloniale de la raison, que j’ai discuté ci-dessus. Dans le contexte de tels débats, toute tentative de la part de théoriciens critiques d’affirmer que la raison est une capacité humaine universelle pure de toute intrication avec des relations de pouvoir et sur laquelle la notion de droit cosmopolitique peut être fondée est susceptible de s’exposer aux accusations d’impérialisme culturel. D’un autre côté, affirmer que la raison n’est pas universelle et que l’énoncé selon lequel elle n’est rien de plus qu’un exemple de la domination impériale a une conséquence non souhaitée, à savoir qu’est imposée au sujet postcolonial la position de l’Autre irrationnel42. Ou, de façon plus précise, le sujet postcolonial est contraint de choisir entre l’assujettissement au pouvoir hégémonique de la raison occidentale et la position de l’Autre irrationnel. Comme je l’ai suggéré ci-dessus, en appeler à une logique de développement, de modernisation et de progrès est de peu d’aide ici, car de telles exhortations déplacent simplement cette structure dans une dimension temporelle. Il semble n’y avoir aucune façon de réconcilier cette dialectique sans exercer une violence conceptuelle (et peut-être réelle) contre l’un ou l’autre parti. On n’avancera qu’en abandonnant le récit du progrès. Seule une position critique qui reconnaisse la dialectique irréconciliable de la rationalité et du pouvoir dans l’histoire occidentale peut être également intéressante pour le défenseur de la modernité (qui reconnaît néanmoins son rôle dans la rationalisation de nombreux maux) et pour la critique postcoloniale de la modernité (qui adopte néanmoins quelques-uns de ses modes autoréflexifs). Tout l’enjeu, comme Foucault l’a dit un jour, est de nous demander en permanence : « Comment pouvons-nous exister en tant qu’êtres rationnels, heureusement voués à pratiquer une rationalité qui est malheureusement traversée par des dangers intrinsèques43 ? »
44Mais seule une position critique considérant la manière particulière dont la dialectique s’est développée dans l’histoire occidentale – en tant que rechute dans la barbarie – comme historiquement contingente plutôt que nécessaire permettra de comprendre le sens dans lequel nous sommes heureux d’être engagés dans cette forme de rationalité. Le tout est d’être aussi attentifs aux dangers de la rationalité de L’Aufklärung que nous le sommes à notre attachement à elle. À cet égard, loin d’être une impasse, La dialectique de la raison nous montre le chemin.
Notes de bas de page
1 Sur le rôle du progrès dans la théorie sociale de Habermas, voir David S. Owen, Between Reason and History : Habermas and the Idea of Progress, Albany (N.Y.), State University of New York Press, 2002 ; et Mattias Iser, Empörung und Fortschritt : Grundlagen einer kritischen Theorie der Gesellschaft, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2008.
2 Voir en particulier Jürgen Habermas, Après Marx, trad. fr. par Jean-René Ladmiral et Marc Buhot de Launay, Paris, Fayard, 1985 ; et Jürgen Habermas, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, trad. fr. par Christian Bouchindhomme, Paris, Éditions du Cerf, 1986.
3 Sur sa théorie de l’évolution sociale, voir les ouvrages de Habermas cités à la note 2. Sur sa défense du contenu normatif de la modernité, voir Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988 ; enfin, sur le rapport à sa méta-éthique, voir Jürgen Habermas, « Le contenu cognitif de la morale, une approche généalogique », in L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, trad. fr. par Rainer Rochlitz, Paris, Fayard, 1998, p. 11-63.
4 Sur ce point, voir Maeve Cooke, Re-presenting the Good Society, Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology Press, 2006 ; voir aussi David Owen, Between Reason and History : Habermas and the Idea of Progress, Albany (N.Y.), State University of New York Press, 2002, et Thomas McCarthy, Race, Empire, and the Idea of Human Development, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.
5 Habermas a tenté de s’attaquer à ce problème en s’engageant récemment dans la littérature sur les modernités multiples. Voir par exemple Jürgen Habermas, « Qu’est-ce qu’une société post-séculière ? », Le Débat, 152, 2008, p. 4-15. Il serait trop long de rendre justice à ce travail ici, je me bornerai à noter que je ne suis pas convaincue que l’usage fait par Habermas de cette idée de modernités multiples soit véritablement à même de résoudre le problème. En effet, il introduit l’idée qu’il y a de multiples manières d’atteindre le même objectif, représenté par les idéaux, universalistes et transcendant leur contexte, des Lumières européennes, objectif qu’il formule en termes discursifs.
6 Dipesh Chakrabarty, Provincializing Europe : Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 238 (en français : Provincialiser l’Europe : la pensée postcoloniale et la différence historique, trad. fr. par Olivier Ruchet et Nicolas Vieillescazes, Paris, Éditions Amsterdam, 2009).
7 Edward W. Said, Culture and Imperialism, Londres, Vintage, 1994, p. 278 (voir aussi la traduction française : Culture et impérialisme, trad. fr. par Paul Chemla, Paris, Fayard, 2000). Thomas McCarthy, dans Race, Empire, and the Idea of Human Development (Cambridge, Cambridge University Press, 2009), a le mérite de briser ce silence, même si McCarthy défend l’idée d’un développement contre les critiques des théoriciens postcoloniaux et des théories de l’après-développement ou du « post-développement ».
8 Nancy Fraser, « What’s critical about Critical Theory ? The case of Habermas and gender », in Unruly Practices : Power, Discourse and Gender in Contemporary Social Theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1989.
9 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 142.
10 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 400 (Habermas souligne).
11 Nikolas Kompridis, « Rethinking critical theory », International Journal of Philosophical Studies, 13 (3), 2005, p. 299-301, ici p. 299.
12 Judith Butler, « Contingent foundations : Feminism and the question of “postmodernism” », in Linda Nicholson (dit.), Feminist Contentions : A Philosophical Exchange, New York, Routledge, 1995, p. 39. Il est certain que Habermas est conscient de ce problème, d’où son insistance sur le fait qu’on doit bien comprendre « qu’il n’y aura pas de retour au purisme de la raison, dans la raison communicationnelle » (Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 356). Et pourtant, ses efforts pour éviter la résurrection du purisme de la pure raison, en particulier une fois qu’il a renoncé à l’idée que le pouvoir est un donné anthropologique aussi primaire que le travail et l’interaction sociale médiatisée par le langage (Jürgen Habermas, Connaissance et intérêt, trad. fr. par Gérard. Clémençon, Paris, Gallimard, 1976 ; rééd. 1997), ne sont pas totalement convaincants. Je discute de ces questions de façon plus complète aux chapitres v et VI de mon livre The Politics of Our Selves : Power, Autonomy and Gender in Contemporary Critical Theory (New York, Columbia University Press, 2008), ainsi que dans « The unforced force of the better argument : Reason and power in Habermas’ political theory », Constellations, 19 (3), 2012, p. 353-368. Pour une discussion liée de la pulsion de pureté dans la théorie sociale habermassienne de la maturité, voir Joel Whitebook, Perversion and Utopia : A Study in Psychoanalysis and Critical Theory, Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology Press, 1995.
13 Nikolas Kompridis, Critique and Disclosure : Critical Theory between Past and Future, Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology Press, 2006.
14 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, trad. fr. par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 21. Toutes les pages indiquées entre parenthèses après une citation dans ce chapitre renvoient à cette édition.
15 Pour une discussion du quiétisme politique dans les carrières de Horkheimer et d’Adorno après la Deuxième Guerre mondiale, voir Max Pensky, « Beyond the message in a bottle : The other critical theory », Constellations, 10 (1), 2003, p. 135-144.
16 Hauke Brunkhorst, « Enlightenment of rationality : Remarks on Horkheimer and Adorno’s Dialectic of Enlightenment », Constellations, 7 (1), 2000, p. 133-140.
17 James Schmidt propose une lecture semblable, essentiellement élaborée sur la base de l’histoire des idées, dans son article « Language, mythology, and enlightenment : Historical notes on Horkheimer and Adorno’s Dialectic of Enlightenment », Social Research, 65 (4), 1998, p. 807-838.
18 Hauke Brunkhorst, « Enlightenment of rationality : Remarks on Horkheimer and Adorno’s Dialectic of Enlightenment », Constellations, 7 (1), 2000, p. 133-140, ici p. 138.
19 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, citation p. 93.
20 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, ici p. 93.
21 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, ici p. 88.
22 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, ici p. 95.
23 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, ici p. 88.
24 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 83-107, ici p. 95. Il est certain que Wellmer a développé lui-même dans ses travaux récents une appréciation bien plus nuancée de la philosophie d’Adorno et s’est appuyé sur elle pour élaborer une alternative critique au paradigme habermassien de l’agir communicationnel. Lorsque je discute la première critique wellmérienne de La dialectique de la raison, cela n’implique pas une critique du travail de Wellmer dans son ensemble, dont une large partie est menée dans l’esprit de la position que je m’efforce de développer. Voir notamment Albrecht Wellmer, Endgames : The Irreconcilable Nature of Modernity, Cambridge (Mass.), Massachusetts Institute of Technology Press, 1998. Mon propos est plutôt de considérer la première critique que fait Wellmer de La dialectique de la raison comme emblématique d’un type particulier de malentendu sur le texte qui est révélateur selon ma perspective. Je remercie Matthias Fritsch de m’avoir invitée à clarifier ce point.
25 En ce sens, le projet de La dialectique de la raison est assez proche de la manière dont Derrida comprend le rapport entre pouvoir et raison dans Voyous. Deux essais sur la raison (Paris, Galilée, 2003). Derrida décrit Adorno comme son « père adoptif » dans Fichus (Paris, Galilée, 2002). Pour une discussion poussée de ce texte de Derrida, voir Jean-Philippe Deranty, « Adorno’s other son : Derrida and the future of critical theory », Social Semiotics, 16 (3), 2006, p. 421-433.
26 Theodor W. Adorno, Dialectique négative, trad. fr. par le Groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 13. Pour des comparaisons intéressantes et utiles sur les notions de dialectique chez Hegel et Adorno, voir Jay M. Bernstein, « Negative dialectic as fate : Adorno and Hegel », in Tom Huhn (dir.), The Cambridge Companion to Adorno, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 19-50, ainsi que Brian O’Connor, « Adorno’s reconception of the dialectic », in Stephen Houlgate et Michael Baur (dir.), A Companion to Hegel, Chichester, Wiley-Blackwell, 2011, p. 537-555.
27 Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, t. I : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. fr. par Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 360 sq. Habermas impute la responsabilité de la reprise de cette aporie à Adorno : « À la différence de Marcuse, Adorno est plus conséquent que Horkheimer ici : il n’a pas voulu sortir de cette aporie » (p. 388). Habermas suppose également que dans la mesure où elle reste embourbée dans une aporie, La dialectique de la raison est non dialectique ; d’où son affirmation selon laquelle la critique de la raison instrumentale s’enlise dans un paradoxe « opposant même à la dialectique la plus souple une résistance opiniâtre » (p. 387). De cette manière, Habermas rejette implicitement la compréhension adornienne de la dialectique.
28 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 128.
29 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 135.
30 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 136.
31 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 137.
32 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 143.
33 Pour une critique intéressante de l’usage habermassien de ces arguments, voir Jay M. Bernstein, Recovering Ethical Life : Jürgen Habermas and the Future of Critical Theory, New York, Routledge, 1995, p. 180-191 ; sur les limites de tels arguments, voir plus généralement Sally Haslanger, « Ontology and pragmatic paradox », Proceedings of the Aristotelian Society, New Sériés, vol. 92, 1992, p. 293-313.
34 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 153.
35 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, trad. fr. par Christian Bouchindhomme et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988, p. 154.
36 Jürgen. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, t. I : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. fr. par Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 393.
37 Jürgen. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, t. I : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. fr. par Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 393.
38 Jürgen. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, t. I : Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. fr. par Jean-Marc Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 393.
39 Albrecht Wellmer, « Reason, utopia, and the dialectic of enlightenment », Praxis International, 3 (2), 1983, p. 99.
40 Voir Brian O’Connor, « Adorno’s reconception of the dialectic », in Stephen Houlgate et Michael Baur (dit.), A Companion to Hegel, Chichester, Wiley-Blackwell, 2011, p. 537-555.
41 « [l]es rets dans lesquels la retient la domination aveugle » (p. 18 [nous soulignons] ; voir aussi p. 57).
42 Pour une critique cinglante de ce type de stigmatisation de l’autre, voir Gananath Obeyesekere, The Apotheosis of Captain Cook : European Mythmaking in the Pacific, Princeton, Princeton University Press, 1997.
43 Michel Foucault, « Espace, savoir et pouvoir », in Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 1098.
Auteurs
Professeur de philosophie et d’études de genre à la Pennsylvania State University, auteur de The Politics of Our Selves : Power, Autonomy, and Gender in Contemporary Critical Theory, New York, Columbia University Press, 2007 et de The End of Progress : Decolonizing the Normative Foundations of Critical Theory, New York, Columbia University Press, 2016.
Maître de conférences en philosophie allemande à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, a publié Autorité et émancipation : Horkheimer et la Théorie critique, Paris, Payot, 2013 et Hannah Arendt : l’expérience de la liberté, Paris, Belin, 2016.
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