Hommes et femmes
Harmonie d’ensemble ou antagonisme sourd ?
p. 311-338
Texte intégral
1A la différence de ce qui a été écrit sur le reste de la Mélanésie et notamment les Hautes Terres de Nouvelle-Guinée, on sait peu de choses sur les relations entre les sexes et a fortiori leurs changements en Nouvelle-Calédonie. Bien que les « gens de la Grande Terre » soient entrés relativement tôt dans le champ des études ethnologiques (1930), la description et l’analyse des rapports sociaux de sexe restent à faire, l’androcentrisme apparaissant comme l’un des traits marquants des travaux publiés.
2Pourtant, parmi les enjeux politiques et sociaux complexes qu’affrontent les sociétés mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie, la transformation des relations « traditionnellement » établies entre les sexes n’est pas des moindres. Une pluralisation des conduites et des normes en résulte, dont témoignent les démarches individuelles ou associatives de femmes qui mettent désormais ouvertement en cause les violences sexuelles commises contre elles et leurs filles, recourant de plus en plus dans ce but à l’institution judiciaire française.
3Pour comprendre l’accélération de ce processus ces dernières années, il faudrait pouvoir mesurer – ce qui n’est pas l’objet de ce texte – l’impact, dans la transformation des rapports de sexe, de la participation des femmes kanak au mouvement nationaliste. Depuis la dissolution du petit groupe de féministes, regroupées dans le gfkel1, qui avait participé à la création du flnks (1984), la voix des femmes kanak est restée absente du devant de la scène politique. Il est significatif à cet égard que pendant dix ans aucune élue kanak n’ait siégé au Congrès du Territoire et qu’il ait fallu attendre les élections de 1999 pour que des femmes soient présentées par les groupes indépendantistes en position éligible. En revanche ces dernières années ont été marquées, en milieu rural, par l’émergence et la multiplication d’associations de femmes. Au travers de ces nombreuses associations (religieuses ou laïques), les femmes kanak se sont d’abord regroupées pour sortir de l’isolement domestique, puis afin d’entrer pour leur propre compte sur la scène économique en initiant toutes sortes de petits projets allant de la vente d’artisanat à la prise en charge de cantines scolaires. Elles osent maintenant, après avoir protesté et manifesté contre l’alcoolisme (des hommes), faire de la lutte contre les viols2 un de leurs objectifs déclarés, ce qui était impensable il y a peu de temps encore.
4Je présente ici certains traits des rapports entre les sexes tels qu’ils apparaissent aujourd’hui – dans deux aires linguistiques du centre-nord de la Grande Terre (ajië et paicî3) – tout en essayant de mettre mes données de terrain en perspective avec ce que l’on peut savoir du passé4, passé pour lequel il est difficile d’apprécier exactement l’importance des transformations dues à la colonisation et à la christianisation. Je m’attache plus particulièrement à analyser ce qui constitue, comme le formule P. Tabet (1985), « le terrain de base des rapports sociaux de sexe » : la reproduction, ses représentations, sa gestion et son contrôle.
Dualité mais disparité5
5« En Grande Terre, dans la nature, la demeure, l’organisation sociale, tout est homme ou femme, et c’est là la première classification dont il ne faut jamais se départir », écrivait déjà Maurice Leenhardt (1937 : 22). Et, en effet, rien n’échappe dans le registre symbolique à la catégorisation en genres du monde6.
6Pour affirmer l’altérité des sexes et leur complémentarité, la métaphore le plus souvent évoquée est celle du pin colonnaire et du cocotier qui, plantés ensemble dans les habitats kanak, marquent l’empreinte humaine sur la nature :
Ceux qui font le discours le disent : cela se fait grâce aux femmes, cela commence ici, cela donne tel clan et de là tel autre... L’homme, c’est lui qui protège le pays. Mais nous disons qu’il y a le cocotier et le pin (J.B. Mârâârhëë-Gowé, Poya, 07.02.1992, traduit du ajië).
7Les allées masculines et contre-allées féminines des villages kanak, « le couple inscrit sur le sol » décrit par Leenhardt, ont certes disparu dans les années 1930 de la Grande Terre puisque l’administration coloniale fit détruire l’habitat traditionnel. Mais le dualisme sexuel qui s’inscrivait autrefois de façon si tranchée dans la structuration de l’espace-temps de la vie sociale est encore sensible aujourd’hui. Les énonciations participent toujours de l’ancienne conception de l’habitat, révélatrice des rapports entre les sexes. On « monte » en effet dans l’endroit où l’on reçoit (autrefois la case réservée aux hommes située au sommet de l’allée centrale), alors qu’on « descend » dans la cuisine, domaine des femmes7. La séparation, l’écart entre le groupe des hommes et celui des femmes, qui perdurait autrefois jusque dans la mort, puisque les ossements des hommes d’une part et ceux des femmes et des enfants d’autre part étaient placés dans des lieux différents aménagés à cet effet, demeure jusqu’à maintenant une constante de la vie publique.
8Il ne suffit pas toutefois de noter que la dualité complémentaire homme/femme organise le système symbolique kanak. Il convient de se demander comment s’organise cette complémentarité et comment hommes et femmes la perçoivent. Le discours lénifiant qui la magnifie n’exclut nullement en effet un idéal relationnel dont la domination des hommes sur les femmes est une composante explicite. La métaphore du pin et du cocotier se double d’une autre, empruntée cette fois au registre de l’ordre social, celle du chef et de son subordonné. Elle précise la dimension hiérarchique de cette complémentarité qui met les hommes au premier plan et attribue aux femmes, exclues des sphères du pouvoir politique, un rôle besogneux – reproduction et entretien domestique – à accomplir avec modestie et humilité8. Une même locution (kâmö yaȓi) est d’ailleurs utilisée dans la langue ajië pour désigner la fonction « subordonnée » des hommes du commun par rapport à ceux de rang social élevé et le rôle de « servante » d’une femme par rapport à son mari, et l’on dit en paicî du serviteur du chef qu’il est « celui qui fait la vraie femme ». Mais si l’homme n’est pas forcément un chef ou un personnage de rang élevé, toutes les femmes, elles, sont les servantes9 de leurs maris.
Dans la vallée, il y a le pin et le cocotier. Lequel est le chef ? C’est le pin. Le cocotier, c’est le serviteur. Que porte le cocotier ? Il porte l’eau, la nourriture, le bois. Vous les femmes, vous êtes la marmite, l’assiette, l’eau... Vous les femmes, je me suis interrogé à votre sujet et je crois avoir trouvé la réponse : vous êtes la terre. Qu’est ce qui sort de la terre ? La nourriture, l’eau, tout. Tout ce que vous portez, la terre le porte. C’est le fardeau des femmes. Et vous êtes celles qui donnez les enfants, les hommes dans les clans (M. Wabéalo, Voh, 28.11.1990, adresse à la première Rencontre des femmes de la Province Nord, traduit du bwatoo par L. Tidjite-Varnier).
9Dans les activités rituelles – mais aussi profanes – et dans les discours qui s’y rapportent, le haut, le grand et l’avant sont explicitement référés au masculin tandis que le bas, le petit et l’après le sont au féminin. La distinction haut/bas, qui gouverne la gestuelle et le maintien kanak, fait de la position érigée un signe de pouvoir par rapport à l’inclinaison qui exprime respect et soumission. Être debout est un état qui caractérise à la fois les hommes de rang élevé – les chefs – par rapport à ceux du commun, leurs sujets, et par extension l’ensemble des hommes par rapport aux femmes qui leur sont subordonnées. De façon plus générale, on remarque que, si les hommes portent leurs charges sur l’épaule, les femmes se courbent pour les porter sur le dos et se plient en passant devant tout adulte de sexe masculin afin de ne pas le surpasser (à plus forte raison s’il est d’un rang supérieur à celui de leur mari, les différences de sexe et de rang se cumulant). Pour aller aux champs, le mari chemine devant et sa compagne le suit à quelque distance ; dans les cérémonies, le groupe des hommes se tient debout aux premiers rangs, mange en premier, tandis que les femmes s’assoient silencieusement derrière, prennent leur repas après eux, etc. Ces règles qui demeurent des absolus de la vie publique se sont cependant assouplies ces dernières décennies et si les femmes continuent de s’incliner et de s’effacer discrètement, on ne les voit plus qu’exceptionnellement marcher sur les genoux ou disparaître devant les hommes.
10La topographie sociale strictement sexuée s’étend aux instruments et aux cultures. Le comble de l’outrage, pour un homme, est de se faire frapper avec ce qui est propre aux femmes : des ustensiles de cuisine, de la canne à sucre ou des taros d’eau – plantes femelles cultivées qui ont pourtant une valeur dans les échanges cérémoniels10 – ou, pire encore, avec des racines de magnania, plante également femelle mais nourriture ordinaire, non cultivée, ramassée dans la brousse, qui ne doit pas franchir le seuil de la maison et dont la préparation exclut les hommes. Ainsi une insulte courante dans les langues ajië et paicî consiste à traiter quelqu’un de marmite ou de racine de magnania, c’est-à-dire de moins que rien.
11Le principe hiérarchique que les hommes doivent faire respecter et auquel les femmes doivent se soumettre régit jusqu’aux positions permises dans les rapports sexuels. Un homme ne peut laisser une femme se mettre au-dessus de lui sous peine de voir son ventre se mettre alors à grossir comme dans une grossesse. Cette maladie de la transgression porte un nom particulier en langue paicî, jéla, eten ajië, wi ka waa pèii tâ wé11.
Le sexe à risque
12La norme sociale de séparation et de hiérarchie entre les femmes et les hommes est soutenue par un ensemble de représentations articulées autour des capacités reproductives des femmes. Les théories qui concernent la gravidité et le sang menstruel sont particulièrement éclairantes à ce sujet. Considérés comme signes de fertilité et promesses de vie, ils le sont aussi comme éléments de pollution et de danger pour les hommes.
Une odeur pernicieuse
13Ces représentations ont été à la source de l’isolement – aujourd’hui généralement abandonné – des femmes lors de leurs règles et lors de l’accouchement, les reléguant, dans la moitié nord de la Grande Terre (région paicî comprise), dans une case sommaire située à la périphérie de l’espace habité. Elles fondent en outre l’exigence de chasteté des hommes – toujours rappelée sinon respectée – lorsqu’ils demandent la propitiation des ancêtres, que ce soit pour la voyance, le guérissage, la danse, l’art oratoire, la pêche ou la guerre.
14On attribue en effet aux femmes menstruées, enceintes et accouchées ainsi qu’aux nouveau-nés une odeur suspecte – celle du sang – qui menace la société des hommes et leurs champs d’ignames. Encore aujourd’hui, bien que leur réclusion ait dans la grande majorité des cas disparu, les femmes qui ont leurs règles ou qui viennent d’accoucher respectent scrupuleusement l’interdit de traverser les champs d’ignames. Les ignames, en effet, comme les hommes, sont supposées être sensibles à l’odeur du sexe féminin – certains billons d’ignames cérémonielles sont d’ailleurs strictement interdits aux femmes – et a fortiori à l’odeur fétide du sang des règles et des lochies : elle risque de les faire périr. Cette odeur spécifique12, également attribuée au poisson et au gibier tués et qui s’apparente à celle des restes de nourriture, renvoie au déchet et à la putréfaction des corps. On dit qu’elle s’exhale aussi des personnes malades. Caractérisant l’état intermédiaire entre la vie et la mort qu’est la maladie, elle constitue en soi un danger car, susceptible d’attirer les mauvais esprits, elle expose la personne à des maux supplémentaires. On raconte d’ailleurs que parfois les magies sorcellaires utilisent cet élément pour nuire plus efficacement, les sorcières mettant alors les paquets magiques en contact avec leur sexe afin d’en décupler le maléfice.
15Aussi recommande-t-on, pour éviter la menace putride et morbide, d’envelopper et d’enterrer profondément les restes de nourriture carnée, le placenta et tout ce qui est sang (des scarifications thérapeutiques, des serviettes hygiéniques, etc.). Pour la même raison, dans les thérapies traditionnelles, le guérisseur interdit à son patient pendant la durée du soin à la fois la consommation de poisson, de gibier, des restes de nourriture de la veille et les relations sexuelles. C’est enfin pourquoi, semble-t-il, autrefois seuls les bras et les jambes des femmes nubiles pouvaient être mangés, le tronc lui-même étant laissé de côté13.
Les maladies des femmes
16Les femmes étant ainsi désignées, pour reprendre une expression de M. Douglas (1971), comme « figures de la pollution », leur fréquentation apparaît potentiellement pathogène. Le terme générique qualifiant les maladies sexuellement transmissibles de « maladie des femmes » sous-entend que l’origine première leur en est clairement imputée. La typologie locale divise encore ces maladies « indigènes » – c’est-à-dire en principe déjà connues avant le contact avec l’Occident – en deux catégories : les mst « humides » – avec écoulement – et les mst « sèches », avec davantage designes généraux (fièvre, toux en particulier).
17Dans la langue paicî, wâtëmû, le terme pour désigner les maladies sexuelles, ces maladies liées aux femmes, sert dans son sens premier à désigner la case des femmes, opposée à la grande case des hommes ; le verbe tiré de ce substantif signifie à la fois « fréquenter les femmes » et « enfreindre l’interdit sexuel ».
18Dans la langue ajië, le terme équivalent pour les MST, mwââru, s’applique aussi à l’état de l’homme dont la femme est enceinte et qui est exclu de ce fait des activités collectives du groupe des hommes – chasse ou pêche – que sa présence rendrait malchanceuses. La gravidité d’une femme est par conséquent contaminante pour son compagnon comme l’est le sang menstruel. Notons encore que le sang des règles peut atteindre les hommes non seulement au moyen des rapports sexuels mais aussi par simple contact. Si un homme s’assoit par inadvertance là où une femme réglée s’est tenue, il sera malade.
19Cette logique d’imputation se retrouve dans une des constructions locales du sida qui l’assimile, en tant que maladie sexuellement transmissible comportant des signes généraux, à une maladie des femmes (une mst « sèche »), l’autre construction, dans sa volonté de mise à distance, définissant plutôt le sida comme un phénomène étranger, une « maladie des Blancs ». Dans la première de ces constructions, l’élément retenu est la contamination par le sang, la notion de sang étant capitale non seulement dans la conception locale des fluides corporels qui lui assimile le sperme comme le lait maternel mais aussi dans la conception de la santé en général14. Cette approche du sida met l’accent sur les possibilités de transmission – comme c’est le cas pour d’autres maladies indigènes de cette catégorie – des mères aux enfants et, au-delà de cet aspect, ouvre sur une explication dans laquelle ce sont les femmes qui seraient à l’origine du mal. Il n’est pas anodin que l’élu de la Province Nord chargé de la santé ait énoncé lors d’une émission télévisée en 1993 que c’était une « maladie des femmes », remplaçant alors la notion de groupe à risque par celle de sexe à risque. Locuteur ajië s’exprimant en français, il ne faisait que traduire littéralement un concept formulé dans sa langue première. Mais les deux logiques, l’une d’imputation qui ouvre sur l’explication selon laquelle ce sont les femmes qui sont responsables du mal, l’autre de catégorisation qui en fait une affection des autres (« les Blancs »), sont cependant susceptibles de se combiner pour en faire une maladie des femmes qui fréquentent les Blancs ou agissent comme eux. Cette recomposition stigmatise bien évidemment celles qui pratiquent la sexualité en dehors du mariage ou qui se trouvent en rupture avec les règles d’alliance et sont parfois venues vivre en ville pour cette raison.
L’appropriation par les hommes de la sexualité des femmes
20Les hommes considèrent donc les femmes de façon ambivalente, selon qu’ils envisagent leur sexualité – qui non seulement menace par son caractère polluant, mais participe ouvertement de l’anti-social si elle n’est pas assujettie – ou bien qu’ils reconnaissent leur utilité à tisser ou renforcer des relations sociales en se mariant et en enfantant. Ils ne valorisent que cette dimension qui les installe dans l’espace domestique.
L’acquisition légitimée
21Le premier mode d’appropriation de la capacité reproductive des femmes – de loin le plus valorisé socialement – nécessite d’en payer le prix dans le mariage.
22Certes, dans la région étudiée, la réservation des filles à la naissance en vue du mariage ainsi que la polygamie, combattues énergiquement par les missions, ont régressé significativement à partir des années 1920 à 1930 pour ensuite disparaître. Mais une autre proscription, tentée par M. Leenhardt dès 1904, peu de temps après le début de son ministère, connut moins de succès :
Les parents chrétiens ne doivent rien recevoir de leur futur gendre en échange de leur fille. (Les natas15 avaient maintenu cet usage pour eux-mêmes et leur vanité).
23Il fut obligé de constater les résistances à la nouvelle règle de conduite :
Les étudiants célibataires sont fort difficiles à marier, les parents ne saisissant pas le privilège de donner leur fille à un nata, sans argent parce qu’il n’est pas engagé, ou sans monnaie canaque, parce qu’il ne veut pas faire cette concession au paganisme (ibid.).
24Finalement, la cérémonie chrétienne proposée en remplacement des échanges traditionnels – en ajië vi méari : « témoigner de son affection (par des cadeaux donnés aux mariés) » – ne réussit qu’à se surajouter à ceux-ci. Elle a lieu désormais au sortir du temple, en général après la cérémonie qu’elle était censée supplanter, que l’on nomme dans les discours vi cëi : « accueillir », et en langage courant urhîî bwè : « payer la femme ». Les échanges, qui se font entre la parenté de l’épouse et celle de son mari, font circuler entre les deux groupes un grand volume de biens identiques soigneusement comptabilisés et redistribués de part et d’autre (produits vivriers, étoffes, vêtements, sacs de riz, etc.). La parenté de l’époux reçoit ainsi une masse de dons puis retourne aux parents de l’épouse une quantité équivalente de ces richesses en y ajoutant sous forme de monnaies de coquillage et de billets de banque un surplus ne faisant l’objet d’aucun contre-don (nommé en ajië ka örua, en paicî po pwö) ; c’est à ce surplus que correspond « le prix de l’épouse » rendu public au moment, point culminant des échanges, où, après celui nommé vi nôâ (« faire ses adieux »), la parenté de la femme lui dit au revoir et la laisse définitivement avec un certain nombre de biens16. C’est en fonction de l’importance de son rang que ceux qui l’« accueillent » estiment le montant de ce surplus. On conçoit alors qu’au-delà du terme cérémoniel, on parle plus prosaïquement de « payer », en ajië (urhii) comme en paicî (wârî), et que soit employé dans ces langues le mot désignant désormais aussi – dans les rapports marchands – le prix commercial d’un objet (et celui de la force de travail : le salaire). Dans ces échanges entre les deux groupes de parenté, la femme n’est toutefois pas partenaire mais seulement objet de la transaction et il n’existe pas de part du « prix » de l’épouse qui lui soit versée directement.
25Si l’homme pouvait répudier son épouse fautive, la femme mariée – à moins de s’enfuir et de se marginaliser – ne pouvait sortir ensuite d’une union malheureuse ni en faisant restituer par sa propre famille le « prix » de l’épouse, ni en le faisant faire par la parenté d’un autre homme qui deviendrait alors son mari. Le droit particulier kanak, qui régit encore aujourd’hui les questions relevant du droit civil (notamment le droit de la famille), permet maintenant la « dissolution du mariage » à condition que les deux clans intéressés – celui de l’homme et celui de la femme – y consentent, mais cette procédure reste tout à fait exceptionnelle. Les seuls cas que je connais dans la région étudiée concernent des femmes sans enfants, ayant refait leur vie de leur côté (doublement fautives), dont les maris, demandeurs de la procédure, avaient eu une descendance d’une nouvelle conjointe. Quand une veuve se remarie (ce qui est devenu possible avec la suppression du lévirat, de règle avant la christianisation), c’est à la famille de son premier mari qui l’a « payée » et à laquelle elle appartient donc toujours – et non à la sienne – que la parenté du nouveau prétendant verse le prix de l’épouse. L’accent est d’ailleurs mis sur le caractère irrévocable du mariage lors de la cérémonie des adieux de son clan à la femme qu’on « cède » (en ajië kâyai, en paicî panuâ : « laisser à jamais ») et les larmes versées à cette occasion par les siens indiquent clairement la rupture des liens d’appartenance. Lorsqu’une épouse maltraitée retourne chez ses frères pour un répit, si le mari ne revient pas rapidement chercher sa femme, ce sont ceux-ci qui généralement finissent par la renvoyer chez lui. S’il n’y a pas d’autres litiges en cours, les frères, en effet, défendent rarement une sœur qui a été déjà « payée »17, à moins que les mauvais traitements ne soient si graves qu’ils aient mis en péril sa vie ou celle de ses enfants et justifient ainsi la rupture de l’alliance.
26Les changements de statut des femmes qui optent pour le statut commun – et chaque année la majeure partie des demandes de statut particulier enregistrées à l’état civil émane de femmes qui engagent ensuite une procédure de divorce conforme au droit français – préoccupent les institutions coutumières (exclusivement masculines), mais si la question revient régulièrement à l’ordre du jour, les coutumiers se sont jusqu’alors majoritairement prononcés contre le divorce.
27Aujourd’hui, le choix du conjoint – malgré une tendance à s’individualiser – demeure encore pour beaucoup dicté par une conformité relative aux règles d’alliance traditionnelles18, une trop grande liberté exposant au rejet social et rendant impossible la vie au village. Tous les témoignages du passé (y compris les récits oraux de femmes kanak âgées) rapportent l’usage des coups pour contraindre les filles aux unions non désirées. Bien qu’il y ait eu une mise en cause indéniable des mariages forcés, il arrive assez souvent encore que des parents contraignent par la pression, idéologique plus que physique, leur fille à renoncer à un partenaire librement choisi ou même à accepter une proposition pour laquelle elle n’a pas d’inclination.
Le vol
28L’autre mode d’appropriation de la sexualité des femmes, peu valorisé mais assez largement pratiqué, est qualifié de « vol » par les langues kanak, quel que soit le cas de figure.
29La littérature orale et les descriptions les plus anciennes des pilous19 (dont la première interdiction remonte à 1854) laissent entendre que ces danses nocturnes, qui révoltaient tant les Européens du siècle dernier, constituaient un moment où il était possible pour un homme de trouver femme à sa convenance. Les rencontres sexuelles pouvaient donner lieu à arrangement par la suite ou bien dégénérer en bagarre entre hommes et aussi en conflit conjugal si l’homme était déjà marié. Tous les hommes pouvaient danser dans le pilou mais par contre les femmes mariées restaient assises à côté du lieu de la danse avec leurs enfants. Celles qui dansaient avec les hommes ne l’étaient donc pas, sans que l’on connaisse exactement leur statut, ce qui permet de s’interroger sur les possibilités réelles qu’avaient ces participantes – ou certaines d’entre elles – de refuser l’acte sexuel.
30Il y avait certes autrefois des rencontres désirées. Elles se soldaient parfois même par des enlèvements auxquels les femmes consentaient, qui se réglaient ensuite entre les groupes sociaux de façon pacifique ou belliqueuse. Mais les guerres permettaient aussi incontestablement aux hommes de s’approprier des femmes par la violence. Avant la pacification coloniale dont les derniers épisodes remontent à 1917, ce que la littérature a jusqu’ici pudiquement appelé les rapts ou captures de femmes était un bénéfice sinon un enjeu pour les jeunes gens que la polygynie des hommes de rang élevé contraignait au célibat. Julian Thomas (1886) en fut le témoin lors de la campagne de 1878 à La Foa et Maurice Leenhardt rapporte que l’administration française s’était encore bien gardée de l’interdire aux auxiliaires indigènes engagés dans la répression de l’insurrection de Koné :
Ce n’est pas impunément que les Houailou ont été lâchés en meute, tenus durant six mois dans des pensées de pillages, ou de butins de chevaux et de femmes, encouragés tacitement à leurs coutumes de guerre dans l’illusion que leurs danses ou leurs joies cupides ou cruelles seraient une garantie de loyalisme (Leenhardt 1919).
31Leenhardt mena d’ailleurs campagne dans le bulletin en langue ajië de la mission pour que l’on cessât d’abuser de ces femmes et écrivit au gouverneur pour s’inquiéter de leur sort :
Cet abandon entraînerait, pour les chefs, la faculté de disposer de ces femmes, à leur gré, de se les approprier, de les distribuer, de les vendre, d’agir comme l’on faisait jadis pour les captives (Do Neva, 27.01.1918, lettre manuscrite reproduite dans la publication éditée par le comité Maurice Leenhardt en 1978).
32Ce rappel d’éléments d’un passé révolu mais encore récent ne semble pas totalement inutile pour comprendre actuellement la relative fréquence – surtout en milieu rural – des viols collectifs. Il arrive que de tels viols soient commis, lors de rassemblements (mariages, levées de deuil, concerts), par des garçons « étrangers », tous issus d’un même groupe de résidence, à l’encontre d’une fille de la localité où se déroule la fête. Ils sont alors éventuellement perçus comme une humiliation infligée – au-delà de la fille elle-même – à tout son groupe20, humiliation qui vient raviver de vieux conflits. Mais ils sont le plus souvent perpétrés sur une jeune femme vivant dans le même village kanak. Ils prennent généralement la forme de guetsapens, organisés grâce au « copain » de la victime qui lui fixe rendez-vous, amène les autres et profite lui aussi de l’occasion. Les garçons ne cachent nullement leur acte, tous les jeunes de la tribu sont généralement au courant et le viol se répète même parfois régulièrement. Désignés en français local par l’euphémisme « faire la chaîne », commis par des bandes de garçons célibataires, ces viols ont pour victimes des jeunes femmes généralement un peu marginalisées soit par leur comportement (jugé provocateur), soit par un handicap physique ou mental, mais rarement des filles de rang social élevé. L’âge des coupables (entre quinze et vingt-cinq ans), leur nombre (entre quatre et dix) et le profil des victimes donnent de facto à ces viols une dimension d’initiation sexuelle des garçons mais aussi – et les commentaires à ce sujet sont explicites – de punition des filles qui manifestent des velléités de choix sexuel.
33En général, on incrimine aujourd’hui l’alcool pour expliquer ces viols. Il est vrai qu’assez souvent ils se déroulent lors de fêtes très arrosées. Cependant, il faut savoir qu’en milieu kanak, l’ivresse n’est pas considérée comme une circonstance aggravante mais atténuante, du moins pour les hommes21 : celui qui commet un acte répréhensible sous l’empire de l’alcool est tenu pour irresponsable, dans un état de folie passagère qui l’excuse et le soustrait aux possibilités de châtiments coutumiers. Si cependant l’affaire est portée devant le conseil des anciens (ce qui est rare) ou devant la justice française, les auteurs invoquent le consentement de la victime et minorent la gravité des faits en disant que c’était « pour s’amuser ». La peine coutumière infligée est une réprimande ou une bastonnade publiques des coupables, voire de tous les jeunes, garçons et filles. A cela s’ajoute parfois un processus de réconciliation entre clans, les familles des violeurs s’excusant auprès de celle de la fille et de la famille sur le terrain de laquelle l’acte a été perpétré. Enfin, on conclut éventuellement une promesse de mariage de l’intéressée avec son « copain » violeur. Aujourd’hui, seule une minorité des victimes, insatisfaites de ce genre de réparation, porte plainte devant la justice française22. Certaines de ces plaintes sont ensuite retirées à cause de pressions familiales et d’autres sont traitées en correctionnelle par manque de preuves matérielles des faits (dénoncés souvent dans l’après coup) ou à cause de la personnalité de la victime (que des jurés pourraient trouver douteuse). Pourtant, entre les sessions d’avril 1993 et de novembre 1995, sept viols en réunion (vingt-cinq accusés) ont été jugés et les affaires qualifiées de viols et attentats à la pudeur occupent depuis maintenant quelques années – cinq ans environ – 60 % des rôles d’assises du Territoire.
34Au vu de cet apprentissage d’une sexualité de viol chez les garçons et de soumission chez les filles, on devine qu’il n’est pas admis qu’une femme, dans le cadre de relations conjugales, se refuse sexuellement à son mari ou à son compagnon. Ce refus et la jalousie sexuelle semblent la cause la plus habituelle des violences domestiques commises par les hommes – souvent en état d’ébriété – contre leurs compagnes qui parfois n’ont d’autre solution que d’aller passer (avec leurs jeunes enfants) la nuit dans la brousse. Ce sont les femmes non mariées vivant avec un homme et ayant avec lui des enfants portant son nom qui sont les plus vulnérables dans ce genre de situation à cause de la patrilinéarité et de la patri-virilocalité des sociétés kanak. En effet, jusqu’à ce qu’un don coutumier ait été fait à leurs parents, à la fois pour « demander pardon » (d’avoir eu des relations sexuelles avec elle) – en ajië : pè cöö nô – et pour « demander leur main » : pè anââ, elles ne sont pas vraiment chez elles dans l’espace de résidence de leur compagnon. On leur reprochera facilement « d’être entrées non par la porte, mais par la fenêtre » (en ajië : gè da viru rö mèömwâ, aè gè viru rö wêêyoro). De ce fait, elles ne sont pas autorisées à riposter à la violence du conjoint par des cris ou des coups et savent qu’en cas de rupture, elles devront renoncer à leurs enfants, même s’ils sont encore très petits, puisque tout enfant portant le nom de son père appartient au patrilignage de ce dernier et doit être en principe élevé en son sein.
Les épouses de la route
35Les rapports sexuels extraconjugaux sont, quant à eux, considérés comme un empiètement du monde de la nuit et de la brousse. L’adultère, surtout s’il était découvert sous le toit conjugal ou répété (deux circonstances aggravantes), était – il y a quelques générations encore, comme les locuteurs âgés ajië et paicî le confirment tous – puni coutumièrement comme un crime : les coupables étaient attachés, dévêtus, on frappait ou on écrasait les testicules de l’homme tandis qu’on introduisait un tison dans le vagin de la femme. Les actes de violence, individuels ou collectifs, pour régler des affaires d’adultère restent fréquents et toujours considérés comme parfaitement légitimes. Il est d’ailleurs exceptionnel que leurs victimes déposent plainte à la gendarmerie. Un de ces règlements de comptes s’étant soldé à Néami en 1994 par la mort de l’amant et treize personnes ayant été inculpées de ce fait, le petit chef et le conseil des anciens de la tribu, reflétant l’avis général, sollicitèrent par écrit les autorités, tant judiciaires que coutumières, pour que soient libérés les incarcérés et écrouée la femme adultère.
36Ce sont souvent les femmes supposées jouir d’une relative liberté sexuelle – des veuves encore jeunes non remariées ou des femmes vivant parfois maritalement mais sans enfants (non astreintes à l’abstinence sexuelle pendant la grossesse et l’allaitement) – qui sont désignées comme fauteuses de troubles, accusées de « voler »les maris, d’utiliser même à cette fin des magies. Il arrive qu’elles soient publiquement mises en cause dans les affaires de sorcellerie pour ces motifs et coutumièrement jugées.
37Toutes celles qui, dans des relations avec des hommes, vivent leur sexualité en dehors des règles de la circulation matrimoniale sont qualifiées avec mépris d’« épouses de la route » dans les langues locales. Cette expression infamante sert également à désigner les prostituées. La prostitution est toutefois perçue comme une institution importée et urbaine car, contrairement aux sociétés où les hommes paient les femmes pour qu’elles aient avec eux des relations sexuelles, il n’existe pas de femmes en milieu rural qui échangent de la sexualité contre des biens et en tirent de ce fait un degré de liberté personnelle. A Nouméa (et dans des villages de garnison comme Bourail ou Népoui), quelques femmes kanak se prostituent néanmoins, mais cette prostitution est davantage occasionnelle que régulière et dans ce cas non tarifée23.
38Il est significatif de souligner que les langues kanak rassemblent sous une appelation unique – « relations hors normes »–à la fois l’adultère, le viol et la séduction d’une jeune fille (consentante), tous assimilés au « vol » d’une femme à son propriétaire légitime ou potentiel. L’irrecevable est donc la transgression des règles d’alliance et nullement l’usage de la violence ou l’absence de consentement de la femme.
L’obligation de maternité
39A une certaine dévalorisation de la sexualité féminine fait écho une survalorisation de la maternité qui s’impose comme une véritable obligation sociale. Parmi les marqueurs de la vie génésique des femmes kanak, c’est l’enfantement – et non pas les premières règles – qui a la plus forte charge symbolique et sociale. Avoir un enfant permet de quitter le groupe des filles et d’entrer dans celui des femmes, les « mamans », terme générique par lequel sont désignées et se désignent celles qui élèvent des enfants et sont en âge de procréer, indiquant ainsi la prévalence d’une idéologie qui définit la maternité comme la fonction par excellence des femmes et que souligne, en négatif, le difficile parcours des femmes sans enfants.
Enfantement et reconnaissance sociale
40La vie en couple n’est scellée et reconnue socialement qu’à partir de la naissance d’un ou de plusieurs enfants vivants. Enfanter conditionnait d’ailleurs autrefois explicitement l’accès au statut d’épouse, les véritables échanges entre les deux familles alliées se faisant seulement après la naissance d’un enfant. Aujourd’hui encore, le mariage n’est célébré dans la quasi-totalité des cas qu’après une période probatoire assez longue durant laquelle les jeunes gens vivent ensemble24, période que doit normalement sanctionner la naissance d’un ou de plusieurs enfants, parmi lesquels on souhaite un garçon pour perpétuer le lignage.
41Mais il ne suffit pas d’avoir procréé et élevé un ou plusieurs enfants pour être quitte socialement. La maternité constitue un parcours de vie rempli d’embûches. La réussite d’une femme est en effet jugée non seulement selon le nombre de ses enfants qui doit être idéalement de cinq ou six, leur sexe (il faut avoir parmi eux un ou plusieurs garçons), leur vitalité et même leur caractère, mais aussi selon l’espacement entre les naissances (deux ou trois ans). Malgré le déclin, dû à la pression missionnaire, des interventions limitatives traditionnelles (avortements, stérilisations temporaires) sur la fécondité et un assouplissement certain des conduites sexuelles (moindre observance de l’interdit sexuel pendant l’allaitement), l’idéal social continue d’insister sur la nécessité d’un long intervalle intergénésique et de prôner un natalisme modéré. L’hyperfécondité et l’abaissement de l’âge à la première grossesse qui marquent désormais la vie génésique d’un certain nombre de jeunes femmes kanak de Nouvelle-Calédonie25 sont presque autant réprouvés que la stérilité, problème lui aussi répandu à cause des séquelles de mst.
Stérilité et exclusion
42La femme qui ne répondait pas à l’exigence sociale de maternité s’exposait jadis à voir son conjoint prendre une co-épouse ou à être répudiée. De nos jours, son couple est fragilisé, elle risque d’être déconsidérée dans son propre lignage et surtout exposée au mépris du lignage marital. Au cours de disputes avec son conjoint, sa belle mère ou ses belles-sœurs, elle sera traitée de « ventre sec » ou de « coco sec » et on lui reprochera de « manger pour rien26 ». En effet, quelle que soit la raison de l’absence d’enfant, stérilité, fausses couches, ou naissances malheureuses, la responsabilité de la femme est alors en jeu, plus ou moins directement, selon que c’est sa famille ou elle, en tant que personne, qu’on accuse.
43Le mauvais vouloir des siens est généralement soupçonné en premier et le défaut de descendance est alors interprété comme l’effet d’une malédiction. Dans le cas où un litige non réglé existe, on tente une réparation, une réconciliation entre les alliés en demandant à ceux qu’on incrimine de venir soigner la femme. Mais l’imputation de responsabilité peut aussi peser plus directement sur la femme accusée d’inconduite : adultère ou manque de véritable désir d’enfant. Un échec du traitement traditionnel entrepris pour qu’elle ait un enfant sera pareillement expliqué par sa mauvaise volonté à respecter les consignes thérapeutiques.
44Tout incident lors de la grossesse ou de l’accouchement est d’emblée attribué au comportement rebelle de la femme par sa belle-mère, chargée de la surveillance de l’enfantement, ou par la sage-femme appelée en renfort. Comme la grossesse et l’accouchement sont entourés d’une somme considérable d’interdits et de précautions, un parcours sans fautes est difficile. Toute anomalie chez l’enfant sera elle aussi interprétée comme le résultat de la désobéissance de sa mère aux conseils prodigués (« elle n’a pas écouté »), la qualité du produit obtenu – l’enfant – permettant de juger a posteriori celle du travail : la performance lors de la grossesse et de la délivrance.
45Cependant, dans les faits, un élément de transaction entre les deux pôles extrêmes condamnés socialement, stérilité et hyperfécondité, est amené par les transferts de progéniture entre alliés ou consanguins qui revêtent la forme de l’adoption nominale (l’adoption plénière du droit français) ou du fosterage (l’enfant est donné mais conserve son nom d’origine – ce qui ressemble davantage au processus de l’adoption simple –, ou parfois il est seulement confié temporairement pour son éducation). Venant s’ajouter aux autres règles traditionnelles de la circulation des enfants dans les sociétés kanak, les adoptions – presque systématiques – d’enfants nés de très jeunes filles permettent à la quasi-totalité des femmes sans enfants d’échapper à la marginalisation en devenant à leur tour des « mamans27 ». L’hyperfécondité des unes vient ainsi compenser la stérilité des autres.
Éthos et stratégies des femmes
46Les femmes ne remettent pas en cause l’idéologie de la domination masculine ni celle de la maternité dans la construction de la féminité. Elles sont cependant très conscientes du pouvoir que les hommes leur reconnaissent sur la continuité de la vie et de l’importance du rôle social que cela leur confère. Quiconque prend la peine de les écouter remarque vite qu’elles expriment elles aussi une certaine ambivalence vis-à-vis des hommes, selon qu’elles voient en eux ceux « qui portent le nom » et que l’on respecte pour cette raison ou qu’elles les stigmatisent pour leur irresponsabilité et tournent en dérision leurs préoccupations. La séparation des activités leur garantissant une certaine liberté de parole (et d’action), la déférence obligée cède facilement la place dans leurs conversations à l’expression d’une animosité prête à se manifester à l’encontre des maris, qui tranche avec l’humilité affichée en leur présence. Dans l’ensemble cependant, plutôt que de bousculer les limites du rôle social qui leur est dévolu, elles s’emploient à l’investir de façon à exercer un pouvoir sur le domaine qui leur est réservé.
47L’activité reproductrice – au-delà d’une simple donnée biologique – est revendiquée par les femmes comme moyen de s’affirmer par rapport à l’autre sexe. Il n’est pas rare d’entendre une femme tancer vertement un homme, dans les échanges où les plaisanteries à connotation sexuelle sont permises28, et lui rappeler que, comme tous les autres, il est « sorti » d’une femme. En effet, reprenant, mais à leur façon, l’image du chef et de son serviteur, elles ne cessent de rappeler que sans elles les hommes n’existeraient pas, comme d’ailleurs, dans l’ordre social, les gens du rang – les sujets – ne parlent du chef que pour souligner qu’ils l’ont mis à cette place et que sans eux il ne serait rien. Sans contester toutefois le monopole masculin de la parole ni leur relégation au second plan lors des phases publiques de la vie sociale, elles font comprendre (à qui veut bien les entendre) que, si elles laissent les hommes faire les importants, c’est parce que ce sont elles en fait qui détiennent le rôle capital dans la création des liens sociaux et fournissent la base sur laquelle leurs maris et leurs frères peuvent discourir et acquérir du prestige.
Tel clan naît grâce à la femme, tel autre grâce à la femme. Le clan doit son existence à la femme. Depuis le temps des vieux jusqu’à nous, c’est la femme qui donne son existence au clan. Tu vas enfanter par là et tu seras d’un autre clan et tu perpétueras le clan où tu es partie enfanter. Ce n’est pas l’homme qui donne naissance au clan. Quand on appelle les oncles à la naissance, c’est à cause de la femme, de la sœur de l’homme qui est partie faire naître un autre clan. Voilà, on appelle toujours les tontons ; mon enfant, s’il a des tontons, on les appelle, mais c’est à cause de la femme parce que la femme donne son existence au clan (E. Jöa, née Cévèrua, Poya, 20.09.1991, traduit du ajië).
48Leur attitude lors des cérémonies varie de la participation active, quoique silencieuse, à la passivité plus ou moins résignée (on attend la fin à sa place ou on bavarde jusqu’à ce que les hommes vous fassent taire), jusqu’au discret dénigrement et aux remarques acrimonieuses sur le contenu et surtout les longueurs des discours (alors que le repas qu’elles ont préparé est prêt depuis longtemps).
49Outre l’exutoire de la moquerie collective, l’hostilité féminine – qu’il faut en principe publiquement contrôler – s’exprime néanmoins parfois par des actes de rébellion. Il s’agit rarement d’actes concertés. Les seuls exemples contemporains de cet ordre que je connaisse sont ceux d’un certain nombre de femmes d’un même village, mariées ou vivant maritalement, qui, étant parties danser lors d’une fête nocturne dans un village voisin sans demander la permission des conjoints, se firent condamner au retour par le conseil des anciens à être publiquement fouettées pour s’être « enfuies »29.
50Par contre, dans la sphère conjugale qui présente une structure de pouvoir contradictoire entre l’autorité masculine (au sens du commandement) et la gestion quotidienne effective, souvent exclusivement féminine, les épouses peuvent, sans déroger radicalement aux normes, déployer toute une série de conduites de protestation relevant de la résistance passive : lenteur à obéir aux injonctions du conjoint, simplification intentionnelle des tâches culinaires, abandon momentané du foyer sous prétexte de visites à la famille qui se prolongent et obligent l’homme à s’occuper, parfois durant plusieurs semaines, des enfants et de la cuisine. On voit bien ici comment « toutes sortes d’aspects du rôle traditionnel de la femme relèvent d’une description qui autorise aussi bien le langage de l’oppression que celui de la maîtrise » (Schwartz 1990).
51Mais, bien que le plus souvent l’hostilité féminine reste sourde, certaines femmes dotées de fortes personnalités adoptent parfois une autre attitude et manifestent ouvertement leur antagonisme, qui s’oriente alors de façon à compromettre la réalisation des valeurs sociales masculines auxquelles le concours des épouses est indispensable : la descendance et le prestige.
L’enfant comme enjeu
52Avoir un enfant mâle est en effet un enjeu, non seulement pour la mère qui peut ainsi asseoir sa position dans le lignage de son conjoint, mais aussi pour le père, car le défaut de descendance mâle et le risque d’extinction du nom mettent en péril sa position sociale. On comprend alors que l’appropriation de l’enfant soit un enjeu crucial dans les conflits de couples, non mariés surtout, et que les femmes utilisent le rôle prépondérant de la mère dans la première phase de la vie humaine comme tremplin dans leurs stratégies.
53Au-delà de ses justifications idéologiques, la réclusion des accouchées dans un lieu à part garantissait jadis une gestion exclusivement féminine de l’accouchement dans ses aspects matériels du moins, gestion qui a presque disparu de nos jours puisque l’institution médicale tend de plus en plus massivement à accaparer l’accouchement. Les descriptions anciennes (Patouillet 1873 ; Ta’unga, cité par R.G. & M. Crocombe 1968) précisent cependant que, lorsqu’il s’agissait de la femme d’un chef, un proche parent masculin restait dans la case des femmes, exception qu’il convient de souligner. Patouillet suppose que c’était pour rendre impossible les substitutions d’enfant, mais il ne me semble pas impensable que cette présence servît plutôt à éviter l’infanticide. Le contrôle féminin sur la reproduction était donc – dans certains cas et non des moindres pour le devenir politique du groupe – constesté et réapproprié par les hommes. Cela indique que les femmes, laissées à elles-mêmes dans cet espace, risquaient d’aller à l’encontre de l’objectif de perpétuation du lignage. La littérature orale fourmille également d’histoires de femmes bafouées qui, pour ne pas avoir à supporter une co-épouse, s’enfuient et retournent dans leur famille d’origine, emmenant avec elles, au grand dam du mari, leur enfant ou même le tuant de dépit30.
54De nos jours, l’infanticide apparaît peu fréquent31. C’est le nom de lignage que portera l’enfant – surtout si c’est un garçon – qui cristallise les enjeux entre ses parents lorsque ceux-ci ne sont pas mariés. La jeune mère, pensant que c’est un gage de stabilité de la relation, souhaite généralement qu’il porte le nom du père. Mais il arrive que, percevant dans le couple une situation de précarité ou de crise, elle préfère – contre l’avis du géniteur et alors qu’ils ont parfois déjà ensemble des enfants qui portent le nom du père – déclarer à l’état civil le bébé comme étant de « père inconnu », et le donner à adopter à un membre de sa famille à elle. Dans cette même logique, chaque année, l’état civil de statut particulier reçoit une dizaine de demandes de femmes séparées de leur concubin – irrecevables à moins que le clan de ce dernier n’y consente (ce qui est rare) – qui souhaitent reprendre à leur nom les enfants qu’elles ont eus avec lui.
Mettre la chefferie sous sa jupe
55Il arrive aussi que, lorsque la femme est déjà mariée et ne peut exprimer de la sorte sa désapprobation, sa conduite vise à humilier publiquement le mari et, au-delà de lui, son clan. De ce genre de femme qui cherche ainsi à mettre son conjoint au pas et rompt avec l’éthos féminin de soumission et de modestie, on dit en paicî que c’est « une personne qui ose mettre la chefferie sous sa jupe », âboro pwa nä é töpö tëpa pwärä-ukai nää coo kêê.
56Le registre des actes posés intentionnellement varie selon le rapport de force au sein du couple. Si la femme est d’un rang de naissance supérieur à celui de son conjoint, pour manifester un désaccord conjugal, elle va refuser avec morgue de paraître à une cérémonie aux côtés du lignage de l’époux par exemple, ou encore, si toutefois elle peut justifier ses griefs, elle va abandonner sans un mot sa maison et ses enfants et repartir chez ses frères jusqu’à ce que le mari vienne la chercher et présenter à ceux-ci des excuses pour qu’elle reprenne sa place d’épouse et de mère. A l’intérieur du cadre de référence propre à la société kanak, la marge de manœuvre d’une femme de rang équivalent ou inférieur à celui de son époux est plus étroite. Aussi essaie-t-elle plutôt d’utiliser les brèches ouvertes par le système occidental. Elle va par exemple chercher à acquérir – en vendant des crabes, des produits vivriers ou en accomplissant de menus travaux salariés – des revenus monétaires et une indépendance économique qu’elle donnera à voir non sans provocation à sa belle-famille ainsi qu’à sa propre parenté pour faire honte au conjoint, censé en principe la faire vivre.
57Mais la plus grave des humiliations qu’une femme puisse faire subir à son mari reste la répétition ou la poursuite ostentatoires de l’adultère malgré les admonestations et les coups. L’épouse rebelle risque alors de se faire juger coutumièrement, bastonner et exclure du groupe où elle réside. Elle refait ensuite sa vie et, au bout de quelques années, réintègre même parfois le village. Par contre, le mari qui n’a pas su contrôler sa femme est définitivement discrédité socialement, et s’il ne se suicide pas par pendaison – conduite « traditionnellement » attendue dans ce cas32 –, il sombre souvent dans un alcoolisme massif et chronique. Ces effondrements masculins consécutifs à des ruptures conjugales semblent indiquer que les hommes, non préparés à investir l’espace domestique, sont bien plus démunis que les femmes dans ce genre de difficultés.
Savoir se battre
58Et bien qu’un certain degré de violence conjugale soit plutôt considéré comme une expression normale du mécontentement masculin, il n’est pas exceptionnel non plus qu’une épouse, s’estimant dans son droit et excédée par l’inconduite du mari (notamment sexuelle et alcoolique), sans nullement s’exposer à la réprobation sociale, s’arme d’un couteau33, d’un sabre d’abattis, d’un tison ou d’une batte de cricket, et le menace ou le frappe. En effet, des conflits conjugaux – quelle qu’en soit la gravité – ne permettent pas de chasser une femme qui a donné une descendance (mâle surtout) au lignage marital et a rempli, « respecté »les clauses de la transaction de mariage. Elle est définitivement installée car, dans les échanges de mariage, la parenté de la femme qu’on a« achetée »vient payer en retour au lignage du mari la terre qu’elle cultivera désormais, « la terre sèche » des champs d’ignames et la « terre humide » des tarodières, ainsi que ses prérogatives ménagères au nombre desquelles on cite explicitement dans les discours le droit de « casser les marmites » et de « parler fort » chez lui. Or, casser des objets et parler fort, dans les règles sociales kanak, impliquent une brutalité qui n’est pas moins grave que les coups.
59Les épouses fécondes – bien qu’elles doivent « servir » les hommes – ne sont donc pas dépourvues de droits. Certaines, après que leur union s’est de fait rompue, mais afin d’obliger leur mari à « sortir » du village, à s’exiler pour refaire sa vie, restent ainsi avec obstination « chez elles », dans l’espace de résidence de son lignage, alors même qu’elles auraient la possibilité de mener elles aussi leur vie différemment (en divorçant ou se mettant en ménage avec un autre).
60Une capacité à soutenir le conflit conjugal et à manier la violence physique est d’ailleurs plutôt pour une femme source de considération, dans le monde des hommes et encore davantage dans celui des femmes, tant il vaut mieux être une femme « méchante » mais forte qu’une « gentille » victime. De ces femmes, rarement populaires mais respectées pour leur courage physique, on dit en ajië qu’elles sont des « guerrières », bwè ka vi paa, alors que la valeur accordée à la guerre est un des élément capitaux de l’éthos masculin dans les sociétés kanak.
61Nombre de femmes se targuent de savoir tenir leur mari, y compris en respect avec un couteau s’il se montre violent, comme de savoir le garder en n’hésitant pas à aller rosser une rivale. L’analyse des procès pour homicides (le plus souvent qualifiés par la justice d’involontaires ou de coups mortels) entre conjoints fait d’ailleurs apparaître que, dans l’écrasante majorité des cas, en milieu mélanésien, ce sont les femmes qui tuent leurs compagnons34. L’exemple le plus courant de ces affaires est celui de l’épouse battue et délaissée – habituellement victime – qui, un jour où l’homme rentre ivre et menaçant, se rebiffe, décide d’en finir et le blesse mortellement.
62A la différence de ce qui a été écrit sur d’autres sociétés mélanésiennes patrilinéaires et virilocales sur la domination des hommes et la soumission des femmes35, l’exemple kanak semble donc de nos jours moins « homogènement viriarcal » (Mathieu 1991). Mais il apparaît néanmoins que, bien loin de « l’harmonie d’ensemble » tant vantée par Leenhardt (1937), existent aujourd’hui encore une disparité profonde et un antagonisme sourd entre les sexes. Comme Bateson l’avait remarqué chez les Iatmul des années 1930, l’éthos féminin des sociétés kanak aujourd’hui apparaît double : aux valeurs de soumission et d’effacement qui représentent un idéal social jamais remis en cause et auxquelles se conforme généralement le comportement des femmes, se juxtaposent de façon occasionnelle chez certaines, dans des situations de crise conjugale, ou de façon plus permanente et ouverte chez d’autres – minoritaires mais respectées précisément pour cela –, des attitudes d’affirmation de soi considérées habituellement comme masculines.
63Il est aussi à remarquer que, comme ailleurs en Mélanésie, les femmes kanak de Nouvelle-Calédonie affichent dans les faits une position bien plus nuancée que celle des hommes envers la « coutume », et au-delà paraissent moins attachées au passé qu’eux, ne l’idéalisant que peu ou pas du tout. Aussi utilisent-elles pour s’affirmer face aux hommes (et parfois ouvertement contre eux), selon les circonstances, la marge permise dans les rapports propres à leur culture mais aussi les possibilités jusque-là inédites offertes par le système occidental, qu’il s’agisse de l’entrée dans l’économie de marché ou du recours à la loi française. De plus, vivre à Nouméa – et encore davantage y travailler – permet une alternative à celles que leurs choix de vie sexuelle et affective ont éloignées ou exclues de la « tribu » et qui sont en décalage avec les règles traditionnelles d’alliance (rupture de leur fait d’un mariage coutumier, union avec un non-Kanak, célibat), si bien que les formes de vie des femmes, à l’heure actuelle, sont moins verrouillées qu’il n’y paraît de prime abord.
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Notes de bas de page
1 Le gfkel (Groupe de femmes kanak exploitées en lutte) cessa ses activités en 1986.
2 Ce sont essentiellement les abus sexuels commis contre les enfants et les mineures qui constituent la préoccupation des groupes de femmes et de l’association sos Violences sexuelles, les violences et les viols conjugaux n’étant pas encore ouvertement dénoncés.
3 Les systèmes de transcription adoptés sont ceux de S. Aramiou & J. Euritein (1986) pour le ajië (leur transcription est celle utilisée dans l’enseignement de cette langue en Nouvelle-Calédonie), et de J.-C. Rivierre (1983) pour le paicî.
4 Il n’existe pas de témoignages du passé écrits par des femmes kanak, il est en outre très difficile de collecter des récits oraux concernant une période antérieure aux années 1920 (Ralston 1992) et les réorganisations sociales issues de la colonisation constituent déjà une composante de ce qui y est évoqué.
5 Ce titre renvoie à l’expression de Maurice Leenhardt (1941-1942) « Dualité et parité ».
6 Le genre grammatical n’est par contre pas marqué en ajië alors que le paicî distingue le féminin du masculin au niveau des articles et des démonstratifs.
7 Ainsi que le remarque F. Ozanne-Rivierre (1992) : « Cette opposition haut/bas est extrêmement importante dans le système d’orientation. Ce haut et ce bas ne renvoient pas seulement à l’espace géographique concret. Ils renvoient aussi à un autre espace qu’on pourrait appeler l’espace social... »
8 Feniicin, qui signifie en langue bwatoo « humilité », est précisément le nom de l’association des femmes du village d’Oundjo (Voh).
9 La littérature orale et les récits anciens insistent sur les prérogatives de la fille aînée du chef comme représentant l’exception qui confirme la règle de subordination du reste des femmes. Mais une fois mariée, celle-ci, comme toute épouse, se doit de servir son conjoint. Néanmoins, les filles aînées de chef gardent encore aujourd’hui la réputation de femmes parlant haut, difficiles à marier et à contrôler par leurs époux, surtout s’ils sont de rang inférieur. Épouser un homme de rang inférieur ne correspond pas aux règles d’alliance idéalement prônées, mais se faisait parfois déjà autrefois, dans un contexte politique donné, pour mieux asseoir la chefferie.
10 Les tas de vivres échangés sont également empilés suivant le principe qui associe le haut au masculin et le bas au féminin : les cocos et les cannes à sucre se trouvent à la base, les taros viennent ensuite et enfin les ignames. Quant aux régimes de bananes, placés à côté, ils sont femelles. Il faut cependant préciser qu’il existe des taros rouges considérés comme mâles et des ignames petites et velues considérées comme femelles.
11 « Un homme avec un ventre de femme enceinte », traduit M. Leenhardt (1935 : 302) qui développe : « Les Canaques expliquent que, par suite de situation renversée des parents, l’enfant a passé de la mère chez le père. » Beaucoup plus clairement, une sage-femme traditionnelle de Ponérihouen, A. Aramôtö, née Göröcê, explique la chose : « On dit que jéla, cela a rapport avec un enfant. Mais il ne s’agit pas, en réalité, d’un enfant comme celui que nous portons en tant que femmes. Non, c’est du sang. Cela n’a pas de maison [comprendre d’utérus] pour être un enfant... Les anciens disent que les hommes sont affectés par ce genre de grossesse quand la femme se couche sur l’homme. Quand nous leur administrons le traitement médicinal adéquat, leur grossesse cesse : ils crachent ou ils défèquent. Et c’est terminé. » (13.11.1991, traduit du paicî.)
12 Elle est exprimée dans la région centre-nord de la Grande Terre par les concepts ajië bomûû et paicî ûrämûû. Selon P. Godin (communication personnelle), on ne trouverait pas de terme équivalent dans la région de Hienghène plus au nord.
13 « But in the case of women, only the arms and the legs are chopped off, the body itself is discarded » (Ta’unga, 1846, cité par R.G. & M. Crocombe 1968).
14 En langue ajië comme en paicî, on dira de quelqu’un de résistant « son sang est fort » et au contraire de quelqu’un de maladif « son sang est mort ». C’est comme élément qui traduit la vitalité de la personne que le concept de sang englobe dans ces langues le lait, le sperme et l’exsudat des blessures pour lesquels existent par ailleurs des termes spécifiques.
15 Pasteurs indigènes.
16 Aux vivres, aux étoffes et aux monnaies de coquillages s’ajoutent de plus en plus des sommes d’argent. Bien que ce phénomène soit davantage accentué aux îles Loyauté que sur la Grande Terre, le conseil coutumier de l’aire paicî, inquiet de la diminution du nombre des mariages qu’il attribuait à cette monétarisation des échanges, a débattu d’une possible limitation du « prix »de l’épouse. Il est cependant à noter que si l’expression « payer une femme » est couramment utilisée par la parenté de l’époux, la famille de la mariée ne dit pas la « vendre », mais la « céder ». Alors que Leenhardt précise (1935 : 337) que le terme vi rhöwö – dont le sens contemporain est « vendre » – signifiait à l’origine « échanger », entre autres les femmes (vi rhöwö bwè), cette expression est considérée maintenant comme inconvenante. On lui préfère kâyai bwè : « laisser définitivement, céder ». Reste à élucider ce qu’implique réellement ce glissement sémantique.
17 Si la femme n’est pas encore « payée », il est courant d’entendre reprocher au violent : « Tu la frappes, mais est-ce que tu l’as payée ? » (en ajië : gè ya-é, wè gè urhii-e ?), ce qui sous-entend qu’une fois « payée », l’époux a le droit de la battre.
18 Les seules règles qui demeurent sont l’exogamie (exogamie de clan comme principe et exogamie de lignage comme norme à respecter strictement, bien que des transgressions puissent être « arrangées » dans certains cas) ainsi que, dans l’aire paicî, le respect des moitiés matrimoniales. L’éducation prépare néanmoins les jeunes gens à choisir plus tard un partenaire dans tel ou tel clan. A l’intérieur de ce clan, on ne leur impose pas un individu et ils ont donc plusieurs possibilités de choix.
19 Je remercie Raymond Ammann pour les références qu’il m’a communiquées à ce sujet : « Celles(les danses) qui s’exécutent la nuit, surtout lorsqu’il y a réunion des deux sexes, sont mauvaises, non pas précisément en elles-mêmes, mais dans leurs conséquences » (lettre de P. Rougeyron, 3.09.1846, citée par Rozier 1990 : 175). « Ces danses sont toujours suivies de scènes de luxure les plus révoltantes » (Vieillard & Deplanche 1862). « C’est alors que les adultes se livrent à des scènes de la débauche la plus honteuse, que notre plume se refuse à décrire » (La Hautière 1869). Citons encore Lambert (1900) : « Mais le lendemain de cette soirée (de “danse mêlée”) est presque toujours un jour néfaste marqué par des disputes, des rixes de partis avec coups et blessures. Exposer cette danse, c’est la qualifier. »
20 Moncelon (1886) fait état de l’existence de tels viols collectifs dans le passé : « Lorsqu’une femme est surprise avec un homme qui n’est pas son mari, le mari de cette femme et tous les hommes adultes de son village se vengent en faisant subir le dernier outrage à la femme de celui qui a été coupable d’adultère. »
21 Dans les procès d’assises, il arrive que non seulement les accusés mais aussi des témoins reprochent à la victime d’un viol d’avoir elle aussi consommé de l’alcool.
22 Les affaires de violences sexuelles judiciarisées sont cependant en augmentation constante : en 1992, on jugeait 23 viols et 31 attentats à la pudeur ; en 1993, 36 viols et 35 attentats à la pudeur ; en 1994, 48 viols et 51 attentats à la pudeur et, pour le premier semestre 1995, 29 viols et 26 attentats à la pudeur (pour une population totale estimée à 196 000 personnes, le tribunal ne fournissant pas de statistiques tenant compte de l’origine ethnique des victimes ni des coupables). Parmi ces affaires, outre les viols en réunion, il faut noter l’augmentation récente du nombre de viols de mineure par ascendant (ou personne ayant autorité : un oncle, un grand-père ou le nouveau conjoint de la mère).
23 La prostitution régulière – une soixantaine de personnes – est dans sa grande majorité masculine, tarifée et composée pour l’essentiel de travestis polynésiens et européens. La prostitution occasionnelle chez les femmes kanak revêt des caractéristiques observées aussi à Port-Moresby : « Firstly, the notion of regular “sex-work” is not present. Only when money is needed do they go looking for clients. Secondly, payment is often not collected immediately, but they call on clients when they need money. This makes it more like a Melanesian exchange relationship, rather than a modern economic transaction » (Fiti-Sinclair 1996).
24 Par un don–nommé en ajië vi u ôyô : « pour enrouler (conclure) le mariage » – dont le sens s’apparente à une coutume de réservation, le lignage du garçon vient demander au patrilignage de la fille qu’elle vienne vivre chez eux. Actuellement, ce geste symbolique se fait souvent dans l’après coup, alors que les jeunes gens se sont déjà mis en ménage, et s’appelle alors pè ânââ : « pour demander ». Il arrive cependant que les parents de la fille refusent une première fois, mais se trouvent contraints d’accepter une demande si celle-ci est renouvelée alors que leur fille est enceinte. Procréer a été et est encore pour les jeunes gens une façon de faire accepter une union qui contrevient aux règles d’alliance et déplaît aux parents.
25 Pour des raisons politiques, les statistiques récentes sur ces données de natalité ne sont pas publiées par l’administration française. On sait cependant que la même tendance se retrouve à Fidji (Heather Booth, communication personnelle).
26 Expression également note par M. W. Young (1987:62) à Kalauna (Milne Bay Province, Papouasie-Nouvelle-Guinée): « A mother will tell her newly married daughter: “You cannot waste your husband’s food (sekeli – an English borrowing). He does not feed you for nothing. You must bear him children.” »
27 Le même terme ajië et paicî qui signifie à la fois « donner naissance » et « élever » est appliqué aux géniteurs comme aux parents adoptifs.
28 Il s’agit notamment des relations entre grand-mère et petit-fils ou petite-fille et grand-père.
29 De tels faits se produisirent entre les années 1955 et 1975 à Monéo et à Nékliai. A Tiéta, où des jeunes filles s’étaient « enfuies » pour aller danser dans une fête où l’une d’elles s’était fait violer, à leur retour le chef condamna à être battues, non seulement l’ensemble des filles, mais aussi leurs mères qui auraient dû les empêcher de partir.
30 Entre autres : « Wakë mäinä/Grand-Waka » dit par Mme Göröwirijaa, à Näpwéwiimiâ, en 1973 (Bensa & Rivierre 1983 : 88-107) ; « Le maître de Wiimiâ » dit par Mme Göröwirijaa (Bensa & Rivierre 1995 :129-142) ; « Histoire du maître de la montagne de Gobwinyinrin » dit par W. Gorodé, traduction J. Guiart (1957 : 61-65).
31 En sept ans, je n’ai eu connaissance que d’un seul cas d’infanticide judiciarisé.
32 Les cas de suicide que je connais directement et ceux dont on m’a parlé dans la région étudiée sont tous masculins. Le mode traditionnel de suicide, la pendaison, tend à être supplanté chez les plus jeunes par la balle de fusil tirée dans la tête.
33 Le couteau est un instrument féminin ; autrefois fait de coquillage, il était donné par sa famille à la femme qu’on mariait pour qu’elle travaille avec chez son époux ; aujourd’hui encore, les femmes ne se séparent pas de leur couteau de cuisine considéré comme un objet personnel avec lequel on se déplace, rangé dans un panier ou fiché dans la coiffure.
34 Dans le cas inverse, l’homme qui a tué sa compagne essaie généralement de se suicider.
35 Par exemple, dans les Hautes Terres de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Enga Province), les Baruya décrits par M. Godelier (1980), ou les Mae décrits par M.J. Meggitt (1989).
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