1 Achevé en juillet 1918 [note de l’éditeur].
2 L’expression « Internationale dorée » était utilisée depuis la fin du xixe siècle par des auteurs antisémites pour désigner un capitalisme financier et bancaire international, apatride et contrôlé par des Juifs.
3 Maximilien de Bade (1867-1929), militaire, chancelier de l’Empire allemand d’octobre à novembre 1918.
4 Henry Charles Petty-Fitzmaurice, marquis de Lansdowne (1845-1927), homme politique anglais.
5 Voir cette même revue, vol. 39 (note de l’auteur). Emil Lederer, « Zur Soziologie des Weltkrieges » [ « Contribution à la sociologie de la guerre mondiale »], Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, vol. 39 (1914-1915), p. 347-384.
6 Chez le jeune Bloch le mot « dogmatique » désigne une construction théorique, sans connotation péjorative.
7 C’est le point de vue de Stefan Zweig (voir supra le texte de présentation).
8 Littéralement, « un dessin de Spitzweg » ; Carl Spitzweg (1808-1885), peintre de scènes de genre.
9 Hugo Ball, dans une lettre de 1917, attribue cette phrase à René Schickele, comme le remarque Martin Korol dans son édition du livre d’Ernst Bloch (Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften, Berlin : Suhrkamp Verlag, 1985, p. 628). René Schickele (1883-1940), écrivain alsacien, dirigeait pendant la guerre la revue Die weißen Blätter [Les cahiers blancs]. Malgré leurs désaccords, Bloch publia trois articles dans sa revue en 1919.
10 Die Friedens-Warte [L’observatoire de la paix], revue fondée par Alfred Hermann Fried en 1899. Plus agressive, la Freie Zeitung se voulait un organe concurrent de la Friedens-Warte. Fried, fondateur en 1892 de la Société allemande pour la paix, prix Nobel en 1911, avait dû s’exiler en Suisse dès le début de la guerre. Malgré des désaccords, Bloch entretenait avec lui des relations amicales et publia trois articles dans sa revue entre 1917 et 1919.
11 Bloch a exprimé ces désaccords dans son article « Kritisches zu Wilsons Weltfriedensprogramm » (Freie Zeitung, 16 janvier 1918 ; voir Ernst Bloch, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften 1917-1919, op. cit., p. 152-157).
12 Hans Schlieben (1865-1943).
13 Anonyme, J’accuse ! Von einem Deutschen, Payot : Lausanne, 1915 (traduction française : J’accuse ! par un Allemand (Dr Richard Grelling), Paris : Payot, 1919). L’auteur, Richard Grelling (1853-1929), avait pris l’habitude de signer ses articles par les mots « J’accuse ». Il fut le cofondateur, avec Fried, de la Société allemande pour la paix.
14 En français dans le texte. On aura reconnu Romain Rolland, l’auteur d’Au-dessus de la mêlée (1915).
15 National-Zeitung [Le National], quotidien publié à Bâle. L’auteur en question est Ludwig Bauer (1878-1935), défenseur d’une position de neutralité. Bloch écrivit un article contre lui (« Der Leitartikler der Basler„ National-Zeitung” », Die Freie Zeitung, 13 novembre 1918 ; voir Ernst Bloch, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften 1917-1919, op. cit., p. 393 sq.).
16 La Neue Freie Presse [La Nouvelle Presse libre] était un quotidien viennois à grand tirage, d’orientation bourgeoise libérale.
17 La Feuille et La Nation sont deux publications d’orientation neutre et anarchisante, dirigées par Jean Debrit, qui parurent à Genève de 1917 à 1920.
18 Répondant aimablement à notre demande, M. Hans Burkhard Schlichting, spécialiste des écrits politiques de Hugo Ball, a tenté, mais en vain, de repérer un texte de ce dernier où se trouverait ce passage. Il pense qu’il pourrait s’agir d’un des nombreux textes de la Freie Zeitung publiés sans nom d’auteur.
19 Voir Alfred. H. Fried « Die Pazidemokratie », Die Friedens-Warte, vol. 20, n° 6, juin 1918, p. 157-161 ; un texte dont Bloch reprend ici plusieurs formulations.
20 Il s’agit du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne.
21 Siegfried Flesch, Oesterreichs Stellung in Europa [La situation de l’Autriche en Europe], Lausanne : Payot, 1918.
22 Il Secolo XIX, journal paraissant à Genève depuis 1886.
23 La Triple-Alliance, ou Triplice, avait été conclue à la fin du xixe siècle entre l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Italie.
24 Léon Trotsky, Der Krieg und die Internationale, Zurich : Borba, 1914, p. 12 (« La guerre et l’Internationale », in : Léon Trotsky, La Guerre et la révolution, t. i : Le Naufrage de la IIe Internationale ; les débuts de la IIIe Internationale, trad. par A. Oak, Paris : Éd. Tête de feuilles, 1974, p. 72, traduction modifiée) ; cité dans Siegfried Flesch, Oesterreichs Stellung in Europa, op. cit., p. 93.
25 Ferdinand Lassalle, Reden und Schriften, t. i, éd. par Eduard Bernstein, Berlin : Vorwärts, 1892, p. 301 ; cité dans Siegfried Flesch, Oesterreichs Stellung in Europa, op. cit., p. 92.
26 Ibid., p. 7 sq.
27 Ces passages entre guillemets proviennent de l’article de Lederer mentionné précédemment (« Zur Soziologie des Weltkriegs » [ « Contribution à la sociologie de la guerre mondiale »], Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, vol. 39, 1914-1915, p. 347- 384). Cet auteur distingue deux formes opposées de l’État contemporain : « à l’intérieur », l’État est l’expression d’une société, de ses rapports de pouvoir sociaux et économiques, mais « vers l’extérieur », dans les rapports interétatiques, il est devenu sous l’effet de l’hypertrophie de l’armée une réalité autonome par rapport à sa société, poursuivant une logique propre. « L’État vers l’extérieur est devenu autre, il a pris une deuxième nature ; nous n’avons plus affaire ici à l’action de l’État tel que nous le connaissons à l’intérieur ; celui-ci est suspendu, réduit, c’est l’État dans son autre nature qui se réalise. En cas de guerre, il n’existe plus rien à part cet État, rien en dehors de la guerre. C’est la situation dans laquelle l’Europe se trouve maintenant » (p. 360 sq. et 363). L’autre passage entre guillemets est une reformulation par Bloch de ces lignes : « Tout le concret de la guerre résulte du degré de développement de l’organisation militaire, telle qu’elle opère dans la substance sociale, économique et culturelle. Toute cette substance est son matériau indifférent. On ne peut caractériser le pouvoir étatique abstrait que comme organisation maximale. Dans les faits, ce qui se mesure dans cette guerre, c’est seulement le degré d’organisation des États particuliers. Dans cette organisation abstraite, plus rien ne se communique de l’essence d’un peuple, d’une culture en tant que qualité. Tout, en elle, devient quantitatif » (p. 380).
28 « Abraham dit à Lot : « Qu’il n’y ait pas de discorde entre moi et toi, entre mes pâtres et les tiens, car nous sommes frères ! Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépare-toi de moi. Si tu prends à gauche, j’irai à droite, si tu prends la droite, j’irai à gauche » (Bible de Jérusalem, Genèse 13, 8-9).
29 Il y a là des réminiscences d’un séjour que Bloch fit, au début de son exil suisse, dans la communauté utopique de Monte Verità, à Ascona.
30 Les positions nationalistes chauvines de l’historien Heinrich von Treitschke (1834- 1896) sont bien connues. On sait qu’à l’époque plusieurs groupes s’appropriaient dans le même sens les œuvres de Wagner et de Nietzsche.
31 L’Aktivismus était un mouvement promu principalement par l’écrivain Kurt Hiller, qui voulait intervenir dans la société allemande par la littérature et le seul travail de l’esprit, en rejetant toute action politique. Bloch s’est opposé à cette tendance dans quelques textes de cette époque (« Der„ tätige Geist” » [1919], repris dans Ernst Bloch, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften 1917-1919, op. cit., p. 446 sq. ; Durch die Wüste. Kritische Essays, Berlin : Cassirer, 1923, p. 53). Ici, il met dans le même panier l’activisme et ses adversaires évoqués précédemment.
32 La Confédération du Rhin, qui exista de 1806 à 1813 et regroupait des États allemands dont le nombre a varié avec le temps, avait été formée par Napoléon Ier après sa victoire à Austerlitz.
33 À l’époque, Bloch défendait une philosophie de l’histoire selon laquelle la synthèse culturelle qui caractérise une époque s’achève dans un morcellement donnant lieu à un état d’excitation où peuvent apparaître des éléments nouveaux, susceptibles de mener à une nouvelle synthèse. Il était d’avis que l’Allemagne vivait précisément un tel état d’excitation.
34 Vers 39 ; trad. par J. Tardieu (traduction modifiée) dans Goethe, Théâtre complet, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 1063.
35 Fondé en 1870, ce parti politique était d’orientation catholique conservatrice.
36 Matthias Erzberger (1875-1921), figure importante du Zentrum. Convaincu en 1917 que la guerre ne peut plus être gagnée, il s’engage pour une paix négociée et est l’un des artisans de la résolution de paix adoptée par le Reichstag le 19 juillet 1917 (première manifestation concrète d’un travail interfractions entre SPD [Sozialdemokratische Partei Deutschlands], Fortschrittspartei et Zentrum qui conduira à la « coalition de Weimar »). Il sera le chef de la délégation d’armistice et acceptera le traité de Versailles, s’exposant à toutes les attaques. Une campagne de calomnies le poussera à la démission de ses fonctions de ministre en 1920. Il sera assassiné en 1921.
37 Maximilien de Saxe (1870-1951).
38 Toute sa vie Bloch a pensé que des possibilités tout à fait inédites pouvaient surgir, ne résultant d’aucune régularité déjà existante ; jusque dans Le Principe Espérance, il défend en ce sens l’idée du miracle ou du prodigieux (cf. Le Principe Espérance, t. iii, trad. par F. Wuilmart, Paris : Gallimard, 1991, p. 472-481). Ce point de vue l’a amené à se méfier d’une théologie chrétienne trop rationaliste ou libérale.
39 Friedrich Wilhelm Foerster (1869-1966), pédagogue, philosophe et pacifiste, il collabora un temps avec la Freie Zeitung. Les vues de lui que Bloch rapporte ici (souvent jusque dans leur formulation) sont celles qu’il développe dans son article « Über Machtpolitik und Verständigungspolitik » [ « Sur la politique de puissance et la politique d’entente »], Die Friedens-Warte, vol. 19, n° 10, octobre 1917, p. 260-265.
40 Bible de Jérusalem, Évangile selon saint Jean, 15, 5.
41 Constantin Frantz (1817-1891), philosophe et homme politique, auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la politique allemande.
42 Friedrich Wilhelm Foerster, Autorität und Freiheit ; Betrachtungen zum Kulturproblem der Kirche, Kempten : Kösel, 1910 (traduction française : Autorité et liberté ; considérations sur les problèmes de la culture moderne et de l’Église, Lausanne : Frankfurter, 1920).
43 La condamnation des tièdes est un topos biblique, surtout dans le Nouveau Testament : saint Paul oppose les tièdes et les régénérés (Bible de Jérusalem, 2. Cor. 5, 17). Dans l’Apocalypse : « Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche » (Bible de Jérusalem, Apocalypse 3, 16). Mais le sinistre calcul auquel Bloch fait allusion ici a eu ses heures de gloire dans la rhétorique (et pas seulement) de la Révolution française : « Désarmez les citoyens tièdes et suspects, mettez à prix la tête des émigrés conspirateurs […] Prenez en otage les femmes, les enfants des traîtres à la patrie » (Jacques Roux, 17 mai 1792).
44 Revenu de son chauvinisme du début de la guerre, exprimé dans Der Genius des Kriegs und der Deutsche Krieg [Le génie de la guerre et la guerre allemande, 1915], Max Scheler manifesta dans des livres ultérieurs – Krieg und Aufbau [Guerre et construction, 1916] et Die Ursachen des Deutschenhasses [Les causes de la haine envers les Allemands, 1917] – une attitude davantage critique envers l’Allemagne. Converti au catholicisme, il se mit à défendre à partir de 1917 un « socialisme chrétien » et anticapitaliste que les Puissances centrales lui semblaient le mieux à même de réaliser en opposition aux pays capitalistes de l’Entente (ce point de vue apparaît notamment dans « Vom kulturellen Wiederaufbau Europas » [ « Sur la reconstruction culturelle de l’Europe »], conférence publiée dans la revue catholique Hochland au début de 1918, puis reprise dans Vom Ewigen im Menschen). À cause de son parti pris culturel pour les Puissances centrales, le ministère des Affaires étrangères d’Allemagne enrôla Scheler en 1917 dans une opération de propagande auprès des pays neutres. Scheler se retrouva en Suisse, particulièrement à Berne, à partir de l’été 1917, ce pourquoi Bloch le fait figurer dans le présent article. Scheler et Bloch eurent à cette époque de nombreux entretiens relatifs à la politique mais aussi à d’autres sujets d’ordre philosophique. Dans un texte d’octobre 1917 consacré à Scheler (« Der Weg Schelers » [ « Le chemin de Scheler »], repris dans, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften, op. cit., p. 441-445), Bloch signale sur un ton nuancé la réorientation politique de ce dernier.
45 Allusion à Scheler, Der Genius des Krieges und der deutsche Krieg [Le génie de la guerre et la guerre allemande], Leipzig : Verlag der Weißen Bücher, 1915.
46 Georg Bernhard (1875-1944), journaliste et politicien allemand.
47 Paul Lensch (1873-1926), politicien et économiste de l’aile droite du Parti social-démocrate, auteur de Die deutsche Sozialdemokratie und der Weltkrieg – Eine politische Studie [La social-démocratie allemande et la guerre mondiale ; une étude politique], Berlin : Vorwärts, 1915. Pour lui, la guerre mondiale représentait une révolution mondiale, la victoire allemande équivalant à une victoire sur l’Angleterre capitaliste.
48 Johann Plenge (1874-1963), économiste et sociologue de l’aile droite du Parti social-démocrate. Partisan d’un socialisme d’État, il vit dans la guerre l’occasion pour l’Allemagne de surmonter ses conflits sociaux.
49 Sur Sombart, voir supra, « L’Allemagne a-t-elle à perdre ou à gagner d’une défaite de ses militaires ? », note 8.
50 Cette phrase est reprise de la « Lettre à Sa Sainteté le pape Benoit XV, concernant une constitution européenne », parue dans la revue catholique Summa (« Schreiben an S. H. Pabst Benedikt XV, eine europäische Verfassung betreffend », Summa, 1917, 2e trimestre, p. 1-7 ; le rédacteur de la revue, et donc auteur de ce texte non signé, était Franz Blei). Le texte dit : « Mais aujourd’hui où les jalousies ont dévoré plus encore et où le poison des nationalismes idolâtres a répandu son infection, une telle constitution ne peut plus être associée à une suprématie, elle doit plutôt prendre le caractère d’une fédération entre États égaux » (p. 1).
51 Les vues ici rapportées sont celles qu’exprime l’article de Constantin Frantz paru dans le numéro de la revue Summa dont il a été question dans la note précédente : « Das Nationalitätsprinzip und das Heilige Römische Reich deutscher Nation » [ « Le principe de nationalité et le Saint Empire romain germanique »], Summa, 1917, 2e trimestre, p. 8-39.
52 Le jeune Bloch pense les diverses époques historiques comme « liées » ou « non liées » selon que les individus y sont plus ou moins libres ou astreints à des normes collectives.
53 La notion de « vierter Stand » [ « quatrième état »] a été forgée par Ferdinand Lassalle dans son Arbeiterprogramm [Programme ouvrier] de 1862 pour désigner la catégorie sociale la plus paupérisée.
54 Dans l’édition originale (Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, vol. 46, 1918- 1919, p. 154), il y a ici trois astérisques disposés en triangle, pour marquer un saut qualitatif du texte.
55 Salomon Grumbach (1884-1952), homme politique alsacien. En Suisse, pendant la guerre, il se lia d’amitié avec Bloch.
56 Robert Grimm (1881-1958), social-démocrate suisse.
57 Le texte allemand dit « Formen » [ « formes »] alors qu’on attend « Formeln » [ « formules »] ; il peut s’agir d’une coquille.
58 Henri Guilbeaux (1885-1938), socialiste français. En Suisse, pendant la guerre, il y éditait la revue Demain.
59 « Maximaliste » était à l’époque un synonyme de « bolchevique » (mot qui signifie en effet « majoritaire »).
60 Hugo Haase (1863-1919), cofondateur en 1917 du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, dont il fut le premier président.
61 Karl Renner, Marxismus, Krieg und Internationale ; kritische Studien über offene Probleme des wissenschaftlichen und des praktischen Sozialismus in und nach dem Weltkrieg [Marxisme, guerre et Internationale ; études critiques sur certains problèmes irrésolus du socialisme scientifique et pratique pendant et après la guerre mondiale], Stuttgart : Dietz, [1917] 1918, p. 112 sq.
62 Willi Münzenberg (1889-1940), socialiste allemand ; en Suisse à partir de 1910, il devint président d’une association de jeunes socialistes suisses (voir infra, p. [552]). Il fut arrêté en 1917 après une manifestation, puis de nouveau en 1918 et enfin expulsé de la Suisse en novembre 1918.
63 Ferdinand Lassalle était convaincu que la Prusse devait préserver son identité culturelle mais il espérait qu’elle se transformerait en un État monarchique populaire.
64 John Henry Mackay (1864-1933), écrivain anarchiste. Né en Écosse, il grandit en Allemagne et vécut longtemps à Berlin. Il est notamment l’auteur d’une biographie de Stirner.
65 La trêve des partis, ou union nationale (« Burgfrieden », littéralement « paix du château », par référence à une disposition du droit médiéval), consiste à faire taire les dissensions internes face à l’ennemi commun. C’est en invoquant cette expression que les partis politiques allemands se sont unis au commencement de la guerre (l’équivalent en France fut l’Union sacrée). Dans son article « Zur Soziologie des Weltkrieges », Emil Lederer avait affirmé que les États des puissances modernes, où l’armée est devenue l’institution subsumant tous les autres secteurs de la société, entretiennent une idéologie d’unité nationale : la représentation de l’ennemi et la trêve des partis produisent l’impression que la société est devenue une communauté (Lederer reprend ici la distinction de Tönnies entre société et communauté ; « Zur Soziologie des Weltkriegs » [ « Contribution à la sociologie de la guerre mondiale »], Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, vol. 39, 1914-1915, p. 349 et 382). C’est pourquoi, poursuit-il, « l’État moderne a pour position ferme que, dans la guerre, l’enjeu est la défense de l’ensemble. Tous les États veulent être les agressés, car c’est seulement ainsi que – sans préciser davantage – on peut rechercher une unité des classes, une “communauté”. D’où l’attitude officielle de tous les États : concevoir la guerre comme une guerre défensive » (p. 371). Pour Bloch, ces vues ne valent que pour les Puissances centrales : les pays de l’Entente, eux, sont véritablement agressés et contraints de se défendre ; en outre, ce sont des nations libérales, et non régies de manière autoritaire. C’est afin de marquer cette différence qu’il propose de distinguer les catégories de guerre et de lutte (celle-ci au sens d’une « guerre » à la guerre, menée au nom de valeurs morales libérales).
66 Sidney Sonnino (1847-1922) était ministre italien des Affaires étrangères pendant la guerre. Pour l’entrée de l’Italie en guerre aux côtés de l’Entente, il avait obtenu la promesse d’annexion de plusieurs territoires yougoslaves. Mais Wilson ne se sentait pas lié par les buts de guerre que les pays de l’Entente avaient négociés secrètement entre eux. Sa New Diplomacy reposait sur le principe de l’autodétermination des peuples et s’opposait aux visées impérialistes, ce qui l’avait conduit à se dissocier publiquement du discours expansionniste de Sonnino.
67 La fête de la Wartburg, qui eut lieu en octobre 1817 au château de Wartburg près d’Eisenach, rassemblait des étudiants réclamant une libéralisation de l’Allemagne et un État national. La proclamation de l’Empire allemand eut lieu à Versailles en 1871.
68 Walther Rathenau (1867-1922), industriel, philosophe et homme d’État allemand, auteur de plusieurs ouvrages, dont Von kommenden Dingen (Berlin Fischer, 1917 ; Où va le monde ? Considérations sur l’organisation sociale de demain, trad. par S. Jankélévitch, Paris : Payot, 1922) et Die neue Wirtschaft (Berlin : Fischer, 1918 ; La triple révolution ; essais, trad. par D. Roget, Paris/Bâle : Éd. du Rhin, 1921). Walter Rathenau, dans ces écrits de prospective consacrés à l’Allemagne de l’après-guerre, défendait un socialisme d’État et une planification économique rigoureuse.
69 Bloch fait allusion au sursaut patriotique des Italiens qui a suivi leur défaite contre les Allemands dans la bataille de la plaine du Pô, en octobre et novembre 1917. Dans un article publié dans la Freie Zeitung le 1er décembre 1917, Bloch le décrit en ces termes : « Maintenant on était pris de colère ; la misère, le dégoût, la déception, les désertions, tout fut oublié, et même les socialistes, pour la première fois depuis le début des hostilités, se prononcent en faveur de la guerre, une guerre défensive devenue infiniment populaire, la nostra guerra » (Ernst Bloch, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften 1917- 1919, op. cit., p. 101).
70 Dans son numéro du 4 août 1918, le Journal de Genève rapportait une déclaration de la Ligue sociale-démocratique américaine et de la Ligue des socialistes israélites d’Amérique aux socialistes du monde entier, lors de leur réception par la Chambre française. La déclaration dit : « Nous déclarons avec insistance que la guerre n’a pas éclaté en 1914 à cause du système capitaliste, mais à cause de la folie impérialiste. Le rôle joué par les socialistes allemands ne peut être qualifié que d’infâme. Nous croyons que les socialistes des nations alliées ont l’obligation morale de tendre leurs efforts avec une énergie commune vers une paix qui garantira la sécurité de l’humanité contre une nouvelle agression de la part des empires centraux ou de toute autre puissance despotique. Ni les partis socialistes allemands ni les partis socialistes autrichiens ne devraient être admis dans l’Internationale socialiste aussi longtemps qu’ils ne se seront pas affranchis et qu’ils n’auront pas donné des preuves suffisantes de leur loyalisme à l’égard de l’Internationale socialiste » (vol. 89, n° 215, p. 3). Dans un article de la Freie Zeitung du 24 août 1918, Bloch cite ce passage in extenso et ajoute ce commentaire : « Avec cette déclaration extrêmement importante du socialisme américain, c’en est fait de Zimmerwald ; non pas en vertu d’idées de compromis, mais bien – et c’est ce qu’il y a là de réjouissant – pour des raisons dogmatiques, de principe socialiste » (Ernst Bloch, Kampf, nicht Krieg. Politische Schriften 1917-1919, op. cit., p. 324).
71 Année du traité de Paris, qui marque le début de la Restauration.
72 La doctrine qui va être exposée est celle qu’élaborait à la même époque l’anarchiste Hugo Ball dans ses articles de la Freie Zeitung et qu’il allait présenter dans son ouvrage de 1919 Zur Kritik der deutschen Intelligenz [Contribution à une critique de la pensée allemande]. Bloch écrivit un compte rendu élogieux de ce livre (Die Weltbühne, vol. 15, 2e semestre 1919, p. 53 sq.), avec quelques réserves aussi exprimées dans les pages qui vont suivre.
73 Il y a là une allusion transparente à la phrase qui ouvre Du contrat social de Rousseau : « L’homme et né libre, et partout il est dans les fers. » On en retrouve l’écho dans les vers 7 et 8 du poème de Friedrich von Schiller Die Worte des Glaubens [Les paroles de la foi] : « L’homme est créé libre. Il est libre, / et fût-il né dans les chaînes… »
74 Hugo Ball avait déjà manifesté de l’intérêt pour Thomas Münzer dans un article de 1915, puis dans un autre publié dans la Freie Zeitung le 26 septembre 1917 (repris dans Hugo Ball, Der Künstler und die Zeitkrankheit – Ausgewählte Schriften, éd. par Hans Burkhard Schlichting, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 1984, p. 161-169 et 170 sq.). Dans Zur Kritik der deutschen Intelligenz, il dressera clairement l’une contre l’autre les figures de Luther et de Münzer (Hugo Ball, Sämtliche Werke und Briefe, t. v : Die Folgen der Reformation – Zur Kritik der deutschen Intelligenz, éd. par H. D. Zimmermann, Göttingen : Wallstein, 2011, p. 171-175). Si ces textes ont indéniablement encouragé Bloch à écrire un livre sur Thomas Münzer, il a déclaré toutefois avoir eu une partie de ce projet en tête dès avant sa rencontre avec Ball (cf. Ernst Bloch, Tagträume vom aufrechten Gang. Sechs Interviews mit Ernst Bloch, éd. par A. Münster, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 1977, p. 45).
75 Cette remarque cryptique sur Duns Scot est éclairée par quelques passages du livre que Bloch consacrera en 1921 à Thomas Münzer. L’auteur y met en rapport le primat de la volonté sur l’entendement en Dieu, tel qu’il le lit chez Duns Scot, avec la prédestination divine chez Calvin : dans les deux cas, le vouloir divin se trouve en quelque sorte dissocié du rationnel, c’est-à-dire qu’il devient incompréhensible et pour nous arbitraire. Bloch est d’avis que le dogme de la prédestination fait obstacle à toute recherche spéculative et à toute intuition (augustinienne ou mystique) du bien divin ; il affirme, en s’appuyant sur les analyses bien connues de Max Weber, que la rationalité se réduit alors à l’activité terrestre individuelle comme attestation de la décision divine de salut, et donc à la seule dimension pragmatiste de l’économie individualiste (Thomas Münzer, théologien de la révolution, trad. par M. de Gandillac, Paris : Union générale d’édition [10/18], 1975, p. 180, 215 et 235 sq.). Dans un passage de l’édition originale (non repris dans la deuxième édition de Thomas Münzer sur laquelle est établie la traduction française), Bloch précise les conséquences politiques de cette conception : « Dans l’État prussien, dans l’idolâtrie du devenu telle qu’on la trouve chez Stahl et Hegel, ce dispositif s’est maintenu : on se trouve coincé, asphyxié dans un réel codifié, positif, concret, nullement relativiste et bien plutôt très absolu, l’histoire est subsumée sous la nature, sous un réel lui-même tout imprégné de Dieu, ce qui, au total, est sûrement la manière la plus embrouillée qui soit d’idéologiser le donné, d’associer le droit existant aux infrangibles irrationalismes du rationalisme subjectiviste, ceux d’une volonté divinement affirmée ; on a là le même primat de la volonté que chez Calvin, sauf qu’ici la doctrine scotiste de l’impénétrabilité de Dieu et sa dogmatisation par l’Église se reportent non pas tant sur la morale établie du travail que sur l’autorité établie » (Ernst Bloch, Thomas Münzer als Theologe der Revolution, Munich : Kurt Wolff, 1921, p. 176).
76 Bloch reprend de Hegel l’idée du mauvais infini, qui est une infinité d’entendements, celle des êtres particuliers considérés sous l’aspect de leur quantité plutôt que rapportés à l’infinité véritable de leur essence universelle concrète (Hegel, Encyclopédie, § 93-94).
77 Siegfried Flesch, Oesterreichs Stellung in Europa, op. cit., p. 16.
78 Bloch, qui a toujours tenu en haute estime la notion kantienne d’impératif catégorique à cause de son caractère a priori, trouve excessif que Ball inclue Kant dans sa généalogie de l’autoritarisme dans la pensée allemande. Par exemple, dans son article « Preussen und Kant » [ « La Prusse et Kant »] paru dans la Freie Zeitung du 24 avril 1918, Ball déclare que Kant « a permis au sujet prussien de se faire fustiger et bâillonner en toute bonne conscience » (Der Künstler und die Zeitkrankheit – Ausgewählte Schriften, éd. par Hans Burkhard Schlichting, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 1984, p. 183). Sur la critique de Kant par Ball, voir surtout Zur Kritik der deutschen Intelligenz, p. 183-190.
79 Formule reprise de Ball : « Si Habsbourg enseignait les méthodes diplomatiques, Napoléon, lui, enseignait les méthodes militaires » (Hugo Ball, « Vom Universalstaat » [ « De l’État universel »], Freie Zeitung, 30 mars 1918, repris dans Der Künstler und die Zeitkrankheit – Ausgewählte Schriften, éd. par Hans Burkhard Schlichting, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 1984, p. 179).
80 « formidabel » : le terme est repris de Ball.
81 Formules reprises de Ball : « Il [l’empereur allemand] a acquis une superbe telle que son empire, avec toute sa superbe, provoque par défi un règne nouveau, celui de la mystique ; le règne d’une chrétienté en lutte, une Ecclesia militans à l’encontre de son infernal système de violence, une insurrection du monde contre celui qui ose parler avec tant de superbe devant des monceaux de cadavres » (Hugo Ball, « Majestät im Hauptquartier » [ « Sa Majesté au Grand quartier général »], Freie Zeitung, 26 juin 1918, repris dans Der Künstler und die Zeitkrankheit – Ausgewählte Schriften, éd. par Hans Burkhard Schlichting, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp, 1984, p. 223).
82 Le nominalisme, pour Bloch, est le refus des universaux préétablis : l’humanité doit s’inventer radicalement. Au paragraphe suivant, l’auteur précise toutefois que ce nominalisme ne doit pas devenir absolu ; comme le dira un ouvrage ultérieur : « La réalité effective est nominalisme, non pas réalisme du concept, nominalisme néanmoins dont tous les moments et tous les détails sont rassemblés par l’unité de la visée objective et réelle, fondée sur l’unité utopique de la fin » (Ernst Bloch, Sujet-objet ; éclaircissements sur Hegel, trad. par M. de Gandillac, Paris : Gallimard, 1977, p. 481).
83 Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), écrivain satiriste dont Bloch admirait les brillants aphorismes.
84 Voir Nietzsche, Humain, trop humain, § 638 : la philosophie d’avant Midi laisse derrière elle les peurs de la nuit et s’ouvre à un monde lumineux et neuf bien que sans but. L’adjectif « roman » désigne les cultures italienne et française que Nietzsche oppose si volontiers à la lourdeur prétentieuse de l’esprit allemand.
85 Hugo Ball tenait Franz von Baader en haute estime (voir Sämtliche Werke und Briefe, t. v : Die Folgen der Reformation – Zur Kritik der deutschen Intelligenz, éd. par H. D. Zimmermann, Göttingen : Wallstein, 2011, chap. III). Si l’intérêt de Bloch pour Baader est antérieur à sa rencontre de Ball (cf. Ernst Bloch, Geist der Utopie, Munich/ Leipzig : Duncker & Humblot, 1918, p. 282), ce dernier l’a incité à relire cet auteur avec une attention renouvelée.
86 La métaphore vient de Schopenhauer, qui l’applique à la table kantienne des catégories : à son avis, seule la catégorie de causalité est légitime ; quant aux autres catégories, « ce sont comme de fausses fenêtres sur une façade », des « fausses fenêtres que Kant a dessinées, par amour de la symétrie » (Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. par A. Burdeau et R. Roos, Paris : Presses universitaires de France, 1966, p. 560 et 601 ; voir aussi p. 572). Reprenant cette comparaison, Bloch désigne par elle une réalité factice, superflue et sans lieu véritable.
87 Dans Geist der Utopie (Munich/Leipzig : Duncker & Humblot, 1918, p. 220 sq. et 240 sq.), Ernst Bloch, en se réclamant de Kierkegaard, oppose au panlogisme hégélien le « penseur subjectif » qui (selon les termes du Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques) « se comprend lui-même dans l’existence » ; en outre, Bloch associe ce thème à l’instant mystique de la naissance de Dieu dans l’âme (Maître Eckhart), rapporté au phénomène, central chez lui, de l’« obscurité de l’instant vécu ».