Réintégrer la dimension vécue dans le vivant
De la description de l’apoptose à la question de la fin de vie
p. 389-404
Texte intégral
1Les avancées spectaculaires en biologie cellulaire depuis la découverte de l’ADN et les progrès réalisés dans la connaissance du génome par son séquençage toujours plus fin au début du xxie siècle ont entraîné un intérêt renouvelé pour les sciences de la vie, mais autour de celles-ci sont apparues de nouvelles dénominations dans un certain nombre de champs du savoir et des pratiques : biopolitique, bio-économie ou bioéthique. Dans La sculpture du vivant (1999), Jean-Claude Ameisen éprouve le besoin de vulgariser ce qui a constitué une découverte importante dans le dernier quart du xxe siècle, à savoir le processus du suicide cellulaire ou apoptose et la manière dont les gènes et protéines interagissent dans ce processus, protégeant la cellule ou au contraire contribuant à sa disparition. Or ce texte de vulgarisation mobilise des récits, et notamment celui, fondateur dans la littérature occidentale, du chant des sirènes dans l’Odyssée. Cet extrait sera interrogé à la lumière de deux ouvrages collectifs publiés dix ans après et intitulés respectivement Qu’est-ce que mourir ? (Ameisen, Hervieu-Léger et Hirsch 2010) et Écrire la science (Ameisen, Klein et Leglu 2010), ce dernier se présentant comme un dialogue avec de jeunes chercheurs.
2 Que le discours vulgarisateur ait besoin de passer par le truchement du texte littéraire est chose courante depuis le xviie siècle, des dialogues du Saggiatore de Galilée (qui faisaient dire à Italo Calvino que ce savant était le plus grand écrivain italien) aux Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle. Mais ce qui semble original dans La sculpture du vivant, à la manière des relectures de La Fontaine par les naturalistes du xviiie siècle, est que le livre d’Ameisen ne produit pas en lui-même une fable, mais réinterprète un texte canonique ; le vulgarisateur choisit une posture qui est moins celle d’un fabuliste que celle d’un analyste tentant de trouver un idiome commun entre sciences et littérature pour permettre au lecteur profane de se forger une image juste de réactions complexes mais aussi pour modéliser de façon originale un processus organique. Nous sommes habitués à ce que la théorie de l’information soit partie intégrante du langage des biologistes, du code génétique au transport de données. La notion de signal, la perception de ce signal et la réponse qu’il requiert obéissent à un modèle dont François Jacob remarque, dans Le jeu des possibles (Jacob 1981), qu’il structure profondément le savoir biologique contemporain. De surcroît, les emprunts à la théorie de l’information sont croisés avec la notion de schéma actanciel issue de la narratologie.
3Mais c’est le geste de vulgarisation qu’il faut resituer dans un contexte biographique particulier. Frappé par la mort de son père et celle de son grand-père qu’il raconte de façon poignante dans l’un des derniers chapitres de La sculpture du vivant, Ameisen éprouve le besoin de mettre à distance ce choc en recontextualisant l’histoire d’une découverte capitale qui engage une nouvelle interprétation de la vie et de la mort.
4Dans ce texte les rapports de l’organisme vivant à la mort ne sont en effet plus pensés en opposition polaire par la biologie, ce que résume en ces termes Henri Atlan lorsqu’il cite Bichat pour s’en démarquer dans Entre le cristal et la fumée : « Bichat disait autrefois : “La vie est l’ensemble des fonctions qui résiste à la mort1”. Aujourd’hui on aurait plutôt tendance à dire que la vie est l’ensemble des fonctions capables d’utiliser la mort » (cité par Ameisen 2008 : 127). Cette conception élargie de la vie fait que les littératures antiques apparaissent aujourd’hui porteuses d’une forme d’approche de la réalité qui contribue à former une représentation spontanée des mécanismes du corps, et d’une relation recomposée à ce que Philippe Ariès décrivait comme le spectre des sociétés modernes depuis le xviiie siècle : le rapport à notre mortalité.
5Les équilibres du corps vivant repensés à travers les métaphores homériques permettent de dialectiser ce qui était jusqu’alors compris dans une relation d’opposition, au moment même où les limites entre vie et mort sont, du fait des instruments de mesure de la médecine moderne, de plus en plus ténues. Le caractère à la fois déterminé et fortuit des associations génétiques fournit à la fable un aliment, mais à son tour, la fable (dans les exemples choisis) fournit à la réflexion scientifique un paradigme qui lui permet de penser des rapports de manière simple, visuellement formalisée selon un schéma ternaire.
6Mais surtout la relecture d’Homère est placée sous le signe d’une autre question, de nature sociale cette fois : Ameisen a participé à la commission de réflexion sur la fin de vie réunie en juillet 2012 par François Hollande et présidée par Didier Sicard, dont les travaux étaient destinés à élaborer une législation qui prenne enfin en compte le désir – légitime – du malade de refuser l’acharnement thérapeutique. C’est dans ce contexte que dix ans après La sculpture du vivant, il est coauteur des deux ouvrages collectifs de 2010 sur ce qu’est la mort, et sur la question qu’elle pose au médecin de nos jours.
7Or, la question principale est bien celle-ci : que peuvent nous apprendre ces essais d’Ameisen du débat sur le « bien mourir » aujourd’hui, et en quoi rencontrent-ils peut-être un moment particulier de notre évaluation de la vie qui est au centre des réflexions de la bioéthique contemporaine ? En d’autres termes, quel bénéfice est-il escompté de ce détour par les textes antiques ? Enfin, en quoi, par une réappropriation dans notre propre contexte, qui selon Jauss (1988) tendrait à supposer qu’ils nous questionnent, nous renseignent-ils sur le regard contemporain porté sur la mort et la valeur que nous accordons (indépendamment de toute croyance religieuse, d’ailleurs contournée dans ces textes) à réussir ce moment de passage ?
La mort dans la vie et la vie dans la mort
8Ce qui nous intéresse dans le geste de vulgarisation, c’est la thèse qu’il porte. Or, la thèse fondamentale de La scultpure du vivant d’Ameisen, c’est que nous sommes passés dans les sciences d’une représentation « extérieure » de la mort à une représentation interne de celle-ci dans le processus de l’apoptose. Ce qui est décrit à travers le recours à l’Odyssée est avant tout un processus :
Dans certains textes de la mythologie grecque, la décision de vivre ou de mourir ne résulte pas d’une plongée dans un abîme philosophique ou mystique, mais d’une succession d’étapes, d’une cascade de signaux et de réponses à des signaux, où interviennent la séduction, l’intelligence et la ruse.
Il est un passage de l’Odyssée où la magicienne Circé indique à Ulysse qui va la quitter le périple qu’il doit avec ses compagnons accomplir pour regagner Ithaque, et les dangers qui le menacent […].
Les biologistes découvrirent deux moyens pour empêcher des cellules de l’embryon de s’autodétruire en réponse à un signal de mort. Le premier était d’utiliser certaines substances chimiques […] qui empêchent la cellule de percevoir le signal. Comme les marins d’Ulysse […], la cellule devenait sourde au chant qui conduit à la mort. Un deuxième moyen […] était d’utiliser des substances chimiques qui paralysent la cellule, l’empêchant, en réponse au signal qu’elle avait perçu, […] de s’autodétruire. Pareille à Ulysse attaché au mât de son navire, la cellule devenait alors incapable de répondre au chant qu’elle percevait.
[…] ces deux ruses […] sont […] de nature artificielle. […]
Il y a, dans la mythologie grecque, un autre récit qui nous parle du chant des Sirènes. Il s’agit de l’expédition des Argonautes qui conduit Jason vers la Toison d’or. Le poète Orphée est à bord du navire qui approche du territoire des Sirènes. Soudain se fait entendre le chant qui conduit à la mort. Mais Orphée commence alors à jouer de sa lyre. Au chant des Sirènes se mêle le chant d’Orphée, et le chant des Sirènes perd le pouvoir de donner la mort. […]
C’est de cette manière, au cours du développement de l’embryon, que s’exerce le contrôle, par les signaux du corps, de la vie et de la mort des cellules qui le composent. Quand, dans des conditions qui devraient conduire à sa mort, une cellule perçoit un signal de survie, elle réprime le déclenchement de son suicide. (Ameisen 2003 : 53 sq.)
9Ameisen ajoute que dans les années 1960, les biologistes sont dans la situation des lecteurs de l’Odyssée ; ils observent le processus sans en posséder les clés (Ameisen 2003 : 55).
10Si l’on revient à la phrase liminaire d’Ameisen, l’enjeu de cette analogie est de substituer à un discours philosophique ou religieux sur la mort un schéma sémiologique2 et une modélisation simple et connue en science comportementale : celle du stimulus-réponse.
11L’usage de la fable ne suppose donc pas une réhabilitation du mythe comme tel dans son acception religieuse, mais ce qui en est retenu est un schéma actanciel : l’objet de la quête est le chant, la jouissance qu’il engendre, et les liens comme la cire dans les oreilles sont des opposants tantôt passifs tantôt actifs.
12Le recours à ces exemples suggère une première remarque : l’épisode du chant des sirènes est familier au lecteur. L’Odyssée a plus que tout autre mobilisé l’interprétation. Métaphore de l’appel de l’œuvre littéraire elle-même et du risque de la perte du sujet qu’elle comporte pour Blanchot dans Le livre à venir (Blanchot 1971 : 1-40) ou, exemple d’hyponoïa ou de lecture allégorique dans la période du néoplatonisme chrétien (Ulysse étant interprété comme l’allégorie du Christ en croix), métaphore pour Adorno et Horkheimer3 d’une dialectique de la raison qui prend acte d’un inachèvement de la rationalité occidentale toujours prête à s’enchanter, comme Ulysse s’enchante du mythe tout en restant à l’abri de l’illusion qu’il engendre4. Ce texte sursaturé de commentaires est d’abord un classique, et comme tel, a une valeur transhistorique ou supposée telle.
13Par ailleurs la thématique du voyage est récurrente dans les textes de vulgarisation, de l’Odyssée du vivant de Claude Marcel, parue chez Ellipses en 2002, au Nanotilus de l’Inserm5. Cependant, l’efficacité particulière de l’essai d’Ameisen tient à sa construction, puisqu’il suit un ordre diachronique double : d’une part celui d’une vie humaine (de l’embryon à la vieillesse) ; d’autre part celui de l’évolution de la recherche (de la découverte de l’ADN jusqu’aux connaissances disponibles au moment de la rédaction du livre). Cela correspond en termes de vulgarisation à une image que se forge le lecteur lambda d’un savoir scientifique cumulatif et de la vie comme marche, comme voyage et progression à travers des dangers.
14En outre, le terme d’« apoptose » qui a été forgé en 1972 par Kerr, Wyllie et Currie est également légitimé par Ameisen en référence à un processus naturel : par analogie avec la chute des feuilles en automne, il s’agit de désigner non plus la nécrose des cellules, processus anarchique et catastrophique, mais une destruction ordonnée. Morcellement des cellules qui fragmente la bibliothèque des gènes, l’apoptose est une mort discrète, sans dommages collatéraux, et bien conforme à l’idéal antique du suicide rationnel. Le choix d’un mythe de la période archaïque peut être associé au tropisme onomastique avec ce terme grec ancien.
15La description de la dévoration des cellules mortes dans l’embryon par les macrophages montre qu’il n’y a ni violence ni effraction, mais un processus autorégulateur de la vie, ce qui libère la mort de tout tragique mais aussi de toute dimension métaphysique. À cela ajoutons le caractère méticuleux de ce que le biologiste appelle en filant la métaphore les « rites funéraires » par lesquels l’environnement fait disparaître la cellule défectueuse ; celle-ci se replie sur elle-même, perd son noyau et ne conserve que son enveloppe, vite absorbée par l’environnement telle la tête du Chat du Cheshire qui apparaît et disparaît entre les branches d’un arbre dans Alice au pays des merveilles. Un autre modèle activé par cette représentation est celui de la transmission des signes. L’écrit est donc cette sorte d’interface entre code génétique et expression humaine qui nous permet, note Ameisen, de formaliser la découverte, et d’en comprendre le sens.
16Il semble instaurer un langage commun entre le gène et l’homme, où la nature ne serait pas comme dans la physique des corps lourds écrite en langage mathématique, mais déjà disponible dans la langue commune : celle des sujets parlants et vivants. Le langage dans lequel s’exprime le corps, celui des signaux, et le fait de l’invoquer ne relèvent donc pas d’un anthropomorphisme abusif mais d’une mimèse structurelle, perçue comme telle par le lecteur (ce que dans Models and Metaphors, Max Black [1962 : 238] appellerait un transfert par analogie fonctionnelle sans perte cognitive).
17L’un des bénéfices de cette référence homérique est souligné par Ameisen lui-même ; il s’agit de faire se rejoindre ce qui relève du fonctionnement du corps, et un modèle dont le caractère mythologique évite un des pièges de l’anthropomorphisme : l’explication psychologique des phénomènes du vivant. Il n’y a en effet pas plus de « décision » de vivre ou de mourir dans un corps, qu’il n’y a de finalisme dans la théorie de l’apoptose, ou d’intériorité psychologique qui rende explicables la vie et la mort cellulaires. Se mettre à l’écoute de la mort cellulaire en invoquant l’exemple d’Homère, c’est sauter par-dessus la tradition littéraire d’interprétation eschatologique des phénomènes naturels, en se situant ainsi au plus près d’une sensibilité contemporaine déchristianisée.
18Dans le processus d’apoptose, ce sont des protéines qui activent la mort des cellules. Celles-ci ont été isolées par analyse d’un corps simple, un petit ver de sable, le Caenorhabditis elegans6 ; on constate qu’il existe des protéines activatrices et des protéines inhibitrices du suicide cellulaire. Dès lors, il faut complexifier le chant des Sirènes en schéma tripartite. Il y a une Sirène tueuse, une Sirène activatrice de la mort, et seul le mélange de leurs deux chants peut entraîner le suicide cellulaire. Quant au chant d’Orphée, il ne couvre pas le chant des Sirènes mais exerce une puissance de dissociation sur les deux chants précédents. Alors, comme le note Ameisen « Seul le chant d’Orphée – seul le chant du protecteur – permet de poursuivre le voyage. La mort c’est le silence d’Orphée » (Ameisen 2003 : 105).
19Cependant, en 1998, Robert Horvitz découvre une nouvelle protéine ennemie capable de capturer une protéine et de l’empêcher d’exercer une action protectrice. Le combat est alors relancé entre les Sirènes, Ulysse, Orphée et Jason. C’est à nouveau une fable, celle des Parques, qui permet de comprendre comment, littéralement, le fil de la vie est tranché dans la mesure où l’ADN fait l’objet d’un découpage lorsque la protéine Ced-3 est activée. Clotho, Lachésis, Atropos deviennent alors les allégories légitimes de ces activateurs-inhibiteurs dont l’influence est contrastée suivant la période de la vie de la cellule qui est concernée.
20Le lien rompu entre sciences et littérature semble alors renoué sur un autre mode : ce que Foucault rappelait dans Les mots et les choses comme origine séparatrice des savoirs modernes, à savoir la stigmatisation par Buffon de la légende, à la fois fiction et legenda, chose à lire7, semble repensé dans un dialogue apaisé. Ce dialogue est celui d’une continuité supposée des savoirs, et d’une interaction. Un lecteur d’Homère peut y voir une instrumentalisation de son œuvre et une utilisation naïve de la littérature comme exemple illustratif, mais la posture explicite d’Ameisen est celle d’un partage des savoirs avec le lecteur. La référence à Homère ne se construit pas selon ce que Bourdieu appellerait une « stratégie de condescendance8 » du discours vulgarisateur, mais plutôt dans une perspective problématologique : celle d’un ajustement des représentations, dans un souci d’identité structurelle avec les processus décrits qui les rende transparents pour le lecteur.
Une relecture de l’héroïsme
La science antique n’a pu concevoir que le milieu extérieur ; mais il faut pour fonder la science biologique expérimentale concevoir de plus un milieu intérieur. Le milieu intérieur […] est spécial à chaque être vivant.
Claude Bernard, Leçons, 1857
21Le monstre, l’effrayante créature des abysses dans l’Odyssée est devenu moyen de penser les dangers contradictoires qui menacent le corps humain aujourd’hui. Cette réintégration des peurs dans le corps lui-même, cette mort qu’il porte dans sa structure est thématisée au chapitre 21 de l’essai d’Ameisen, « De la potentialité de vieillir “après l’heure” », et expliquée dans l’article d’Avenir santé daté du 3 janvier 2002 qui rend compte d’une alternative simple – « Décès précoce ou cancer : il faut choisir » – en ces termes :
Le gène p53 « suppresseur de tumeur » est sûrement le gène le plus fréquemment muté dans les cas de cancer humain. Très étudiée, cette portion d’ADN joue un rôle majeur dans la lutte de l’organisme contre les tumeurs. Des chercheurs américains, anglais et allemands ont créé des souris mutantes dont le gène p53 est hyperactif. (Gantier 2002)
22Lorsque le gène p53 est altéré, la protéine correspondante p53 (gardien du génome) ayant une activité plus grande, celle-ci entraîne un vieillissement accéléré des sujets9. Mais leur résistance au cancer est meilleure.
23Inversement, une activité basse de cette même protéine entraîne des risques cancéreux aggravés qui réduisent eux aussi la longévité. La navigation entre ces deux écueils comme condition de la vie convoque alors l’épisode de Charybde et Scylla. Les monstres de l’Odyssée ont ici une fonctionnalité claire mais différente de celle de la fable : ils permettent de penser, dans un contexte biologique, l’équilibre entre substances comme condition d’une optimisation de la vie. Dans ce monde intérieur, tout comme dans la fable, il existe des alliés et des ennemis. Ainsi, la télomérase, enzyme qui permet de ralentir le vieillissement des cellules et de « gagner du temps », est évoquée par analogie avec Pénélope10 tissant et détissant sa toile (Ameisen 2003 : 359 sq.) La métaphore est filée (sans mauvais jeu de mots) impliquant divers épisodes de la fable homérique ou d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll11.
24L’enjeu est ainsi de rester vivant, mais s’il s’agit dans le poème homérique d’éviter Charybde et Scylla, une interprétation allégorique suggère plutôt l’acceptation d’un équilibre des risques à l’intérieur du corps. Ainsi, les risques de maladies infectieuses et de maladies neuro-dégénératives létales s’équilibrent mutuellement. Le rêve de se soustraire à ce jeu des contraires est vain, la vie se définissant comme neutralisation réciproque de ces risques.
25La conscience de l’impossible immunité – au sens quasi politique d’une exemption d’un devoir commun – impose une anthropologie nouvelle qui participe elle aussi d’une sécularisation de la fable homérique. Il ne s’agit plus de conquérir une immortalité quasi divine en échappant au danger, comme cela était de règle pour le héros antique (et pour l’aède qui chantait ses exploits), mais d’affronter et de faire jouer en soi les forces de la nature, afin de sortir victorieux d’une lutte intérieure.
26Le combat est intérieur et le corps, loin d’être exempté, est l’arbitre de ces deux forces dont l’influence réciproque le détermine en retour. « Vieillir après l’heure » n’est pas le signe d’une miraculeuse exception mais d’une exposition au risque et d’un combat perpétuel mené dans l’immanence du corps biologique. L’intériorisation du combat annonce aussi un autre rapport peut-être proprement contemporain à la notion d’héroïsme.
27Le roman contemporain prend acte de cette mutation de l’héroïsme. Parallèlement, la résonance avec l’épopée antique s’impose comme un implicite de La sculpture du vivant. La génération qui a eu vingt ans dans les années 1980 n’a fait aucune guerre, et elle est la première à se définir non par un événement de nature historique mais par une pandémie néolibérale. La « génération Sida » se raconte dans les textes d’Hervé Guibert comme À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) ou ceux de Patrick Autréaux (Se survivre [2013], ou Dans la vallée des larmes [2009], qui narre le combat d’un médecin devenu malade). Les récits de triomphe contre une pathologie envahissent les rayons des librairies et, du côté des best-sellers, on a l’embarras du choix, du célèbre Anticancer de David Servan-Schreiber (2011) à d’autres récits de parcours personnels généralement victorieux sur des maladies graves ou des handicaps.
28S’il est peu probable que nous ayons à combattre des monstres, des extraterrestres ou des mutants, il est en revanche quasi certain que la plupart d’entre nous affronteront la maladie sous une forme bénigne ou plus sérieuse. La lutte contre la maladie intègre le texte d’Ameisen, via le récit d’Homère, dans un scénario familier où le lecteur vient souvent chercher une réponse à sa propre pathologie ou à celle d’un proche, ou calculer ses propres chances de survie.
29Cet effet de familiarité ne semble pas délibérément ménagé par Ameisen. Il appartient à un fonds anthropologique commun, à un impensé culturel qui relève de ce que Dan Sperber décrit selon une métaphore épidémiologique (encore) dans un classique de la théorie sociologique : La contagion des idées (Sperber 1996). La thèse principale du livre, selon laquelle les « phénomènes culturels sont des agencements écologiques de phénomènes psychologiques » (ibid. : 84), permet d’expliquer la formation des idées dans l’esprit d’un individu, et le fait qu’elles se répandent dans son environnement immédiat. Le schéma agonistique de la maladie trouve ainsi un écho dans l’œuvre d’Ameisen qui compare la vie et la mort des cellules à de périlleuses navigations au cours desquelles il s’agit d’affronter un mal polymorphe, d’en triompher, et de s’identifier ainsi à des héros de l’Antiquité connus de tous par les classiques scolaires.
Bien mourir
30Mais finalement pourquoi un lecteur non spécialiste irait-il s’intéresser à l’apoptose ? Ce qui est en jeu en réalité et ce que vont développer deux textes écrits dix ans plus tard par Ameisen en collaboration avec d’autres scientifiques, c’est la manière dont on meurt aujourd’hui dans les sociétés occidentales. On peut en effet penser la mort selon l’intuition banale de la conclusion naturelle de la vie. Cette position n’épuise pas la question mais réactive un souci commun qui est celui du bien mourir. L’importance des rites funéraires dans l’imaginaire collectif et ce qu’ils trahissent de notre relation à la mort sont débattus dans le contexte des recherches actuelles dans un ouvrage collectif de 2010 intitulé Qu’est-ce que mourir ? sous la direction de Jean-Claude Ameisen, Danièle Hervieu-Léger et Emmanuel Hirsch.
31Or bien mourir, rappelons-le dans le sillage de Vernant et Vidal-Naquet, ce n’est pas, pour les Grecs, « mourir après l’heure », mais c’est mourir avant l’heure. Dans l’opposition traditionnelle entre la vie longue et paisible du sage et celle, brève et glorieuse du héros (dont Achille est le paradigme), celui-ci trouve sur le champ de bataille l’accomplissement de son destin épique. Néanmoins cet accomplissement n’est total que si les hommages nécessaires sont rendus au héros dans la mort, raison pour laquelle la situation d’Hector, traîné sous les remparts de Troie, est si insupportable aux héros de l’Iliade.
32Aujourd’hui, bien mourir, c’est échapper à une technicisation de la mort qui aurait désenchanté celle-ci et inauguré l’ère d’une insignifiance du mourir (dans tous les sens du terme). Roland Schaer souligne que l’entrée dans le poème l’Iliade dépend étroitement du sort réservé au cadavre du mort ; il dessine une chaîne de morts sans sépulture de Sarpédon à Patrocle, puis Hector dont le cadavre martyrisé est épargné par les oiseaux, signe de la protection d’Apollon. « La psyché, écrit Roland Schaer, c’est simplement l’autre nom de la vie, ce qui fait qu’un corps peut bouger, courir, se battre se défendre et ruer » (Schaer 2010).
33L’invention par Platon du dualisme a fait de l’âme une entité immatérielle qui mène sa destinée propre, libérée par la mort du corps12, mais le souci de la mort nous conduit sans doute, ce que suggère cette référence, vers une plus grande proximité avec le texte d’Homère dans des sociétés sécularisées où la conception de la vie n’est ni du côté du réductionnisme biologique ni de celui d’un spiritualisme exacerbé.
34La référence à l’Antiquité s’avère fonctionnelle dans cette perspective de subjectivation de la mort, car elle apparaît moins liée actuellement à des croyances d’ordre religieux qu’à un souci personnel d’accomplissement. Si la mort est majoritairement, dans les sociétés industrialisées, envisagée de manière intramondaine, elle comporte néanmoins son propre univers de croyances. Ce double mouvement de récusation de la transcendance de la vie et de refus de l’immanence absolue du destin biologique caractériserait une sensibilité contemporaine encline à se reconnaître dans les textes antiques qui parlent de la mort. Le poème est donc là pour sauver non l’âme mais le corps comme principe de vie animé (Ameisen, Hervieu-Léger et Hirsch 2010). On voit bien dans ce cas qu’il ne s’agit plus vraiment de biologie, mais que la vie est définie par une éthique que le récit réintègre ; la vulgarisation permet d’élaborer un récit commun, scientifique certes, mais dans lequel se manifeste un refus de l’impersonnalité du discours scientifique. « La science a inventé un langage qui exclut celui qui la raconte, elle se raconte à la troisième personne comme si la réalité se dévoilait. Il y a une autre forme d’écriture de l’ordre de l’intime qui resitue au plus près la démarche en train de se faire », écrit Ameisen (Ameisen, Hervieu-Léger et Hirsch 2010 : 35).
35Contre cette impersonnalité il nous appartient de concilier une vision déstabilisante de l’humain comme émergence d’un processus aveugle avec une position de respect pour l’individu. Dans un contexte déchristianisé, en quoi consiste la réinstauration d’un univers de croyances ? Elle est fondée sur une homologie avec ce qui règle l’existence politique de l’homme moderne des sociétés libérales : le respect de l’individualité. Ce que les auteurs de l’ouvrage collectif Écrire la science nomment dans l’introduction « la créativité symbolique des sociétés sécularisées » (Ameisen, Klein et Leglu 2010 : 14) est la recherche d’une interaction entre le malade et les soignants dans la prise de décision lorsqu’il s’agit de choisir volontairement la mort, qui devient alors une forme d’accomplissement de soi.
*
36Le truchement de la vulgarisation scientifique permet ainsi plusieurs opérations ; il met en synergie un état du savoir avec des questionnements propres au monde contemporain qui renoue un dialogue, via la littérature, avec le matérialisme antique. La redéfinition de la mort par seuils relance le débat public sur la dignité de la mort, sur le droit à l’autodétermination. « Mourir en modernité » (Ameisen, Hervieu-Léger et Hirsch 2010 : 84-103), pour reprendre le titre de l’un des articles de l’ouvrage collectif Qu’est-ce que mourir ?, serait alors moins prendre comme telle la pure matérialité du corps que réinvestir cette matérialité d’une dimension volitive. C’est peut-être dans cette mesure (et finalement dans cette dimension politique), celle de la décision, que la vulgarisation a du sens et que la lecture « homérique » de l’apoptose prend un visage familier tout en libérant la mortalité des représentations judéo-chrétiennes de la faux qui tranche, du dehors. À la lumière de ces remarques, le geste de vulgarisation constitue un geste d’adaptation du discours scientifique à une tradition de pensée contemporaine antimé-taphysique, mais qui met en avant la notion tout immanente de dignité humaine. Ce geste qui entre en résonance avec une réflexion bioéthique sur la mort réintègre en même temps la dimension du choix individuel dans ce qui est une description de la vie des cellules inséparable de la question du devenir humain.
37En se tournant vers la littérature épique, Ameisen fait à la fois du vivant un récit d’aventures et un parcours qui mène de la formation de l’embryon aux maladies neurodégénératives qui atteignent le sujet âgé.
38Enfin, vulgariser les conditions scientifiques de la mort c’est aussi prendre le risque de dire je et raconter son expérience de la disparition. La quatrième partie de La sculpture du vivant commence par « Un souvenir d’enfance » dont le titre perecquien ne trompe pas : « J’ai passé mon enfance dans un monde de survivants. Mes parents avaient vu leur univers réduit en cendres » (Ameisen 2003 : 341).
39La mort du grand-père est le seul récit personnel de La sculpture du vivant ; une mort de vieillesse qui advient du dedans, crise cardiaque et corps qui s’effondre sur lui-même, récit touchant parce qu’il confronte Ameisen enfant à l’irréversible qui n’est pas seulement pour le savant la limite de son pouvoir, mais la perte irréversible d’un être aimé. À partir de l’exclusion d’une science qui parle à la troisième personne, réintégrer la dimension vécue dans le vivant est la tâche du vulgarisateur, ce qui lui permet d’inclure les vivants dans un mouvement de compréhension nouveau de la vie rendu possible par son regard.
Bibliographie
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Bibliographie
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Guibert, Hervé, 1990. À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Paris, Gallimard.
Horkheimer, Max et Adorno, Theodor, 1974. La dialectique de la raison, Éliane Kaufholz (trad.). Paris, Gallimard, coll. « Tel ».
Inserm, 2011. Science/fiction : voyage au cœur du vivant, Bernard Werber (textes), Éric Dehausse (ill.) et Charles Muller (légendes). Paris, Chêne.
Jacob, François, 1981. Le jeu des possibles : essai sur la diversité du vivant. Paris, Fayard.
Jauss, Hans Robert, 1988. Pour une herméneutique littéraire, Maurice Jacob (trad.). Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées ».
Platon, 1991. Phédon, Monique Dixsaut (trad.). Paris, Garnier-Flammarion.
Schaer, Roland, 2010. « La mort du héros », in Jean-Claude Ameisen, Danièle Hervieu-Léger et Emmanuel Hirsch (dir.), Qu’est-ce que mourir ? Paris, Le Pommier – Universcience Éditions : 127-144.
Servan-Schreiber, David, 2011. Anticancer : les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l’esprit. Paris, Pocket, coll. « Évolution »
Sperber, Dan, 1996, La contagion des idées : théorie naturaliste de la culture. Paris, Odile Jacob.
Notes de bas de page
1 « On cherche dans des considérations abstraites la définition de la vie ; on la trouvera, je crois, dans cet aperçu général : la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » (Bichat 1866 : 1).
2 Le mot est compris au sens large, la sémiologie ayant connu d’abord une acception médicale lors de la formation du terme par Littré.
3 Voir Max Horkheimer et Theodor Adorno, « Digression I : Ulysse, ou mythe et raison » (1974 : 58-91).
4 « Les aventures d’Ulysse représentent toutes de dangereuses tentations qui tendent à détourner le soi de la trajectoire de sa logique. Tel un éternel novice, il cède à chaque nouvelle sollicitation […] ». Et plus loin : « La ruse est le moyen dont dispose le soi aventureux […] comme jadis le voyageur civilisé dupait les sauvages, en leur offrant des perles de verre multicolores en échange de l’ivoire » (Horkheimer et Adorno 1974 : 61 et 63 respectivement pour les deux citations).
5 L’exposition « Science/Fiction : voyage au cœur du vivant », a été présentée pour la première fois par l’Inserm en 2010 au musée Jules Verne. Elle a été réinstallée en décembre 2014 à la Fondation Maison des sciences de l’homme de Paris à l’occasion du colloque « Vulgarisation et médiation scientifique » des 4 et 5 décembre. Les vingt-huit panneaux présentés montraient en surimpression des photographies scientifiques issues de la banque d’images Serimedis de l’Inserm et des gravures anciennes illustrant les romans de Jules Verne. Voir Inserm (2011).
6 C’est Sydney Brenner qui, en 1998, voulant comprendre le processus d’élaboration des pluricellulaires, a introduit en laboratoire ce petit ver transparent qui se reproduit tous les trois jours. Sydney Brenner, Robert Horvitz et John Sulston ont reçu le prix Nobel en 2002 pour leurs recherches sur ce nématode qui a permis de mettre en évidence la complexité de la mort cellulaire.
7 Dans Les mots et les choses, Michel Foucault évoque le mépris de Buffon pour les traités de sciences naturelles antérieurs au xviie siècle qui introduisent dans les articles sur les espèces animales les croyances populaires liées à telle ou telle espèce. « Buffon, un jour, s’étonnera qu’on puisse trouver chez un naturaliste comme Aldrovandi un mélange inextricable de descriptions exactes, de citations rapportées, de fables sans critique […]. […] Et Buffon de dire : “qu’on juge après cela quelle portion d’histoire naturelle on peut trouver dans tout ce fatras d’écriture. Tout cela n’est pas description mais légende”. En effet, pour Aldrovandi et ses contemporains, tout cela est legenda – chose à lire. […] Aldrovandi, lui, contemplait méticuleusement une nature qui était, de fond en comble, écrite » (Foucault 1966 : 54 sq.).
8 Voir Bourdieu (1982), en particulier le chapitre intitulé « Les rites d’institution ».
9 Pour le résumé de ces expériences menées par divers laboratoires de 1999 à 2002 voir Ameisen (2003 : 388 sq.).
10 « La télomérase agit comme une Pénélope, renversant le cours du temps, faisant reculer, à chaque dédoublement, l’aiguille de l’horloge qui vient d’avancer sur le cadran pour se rapprocher de l’heure de la stérilité et de la vieillesse » (Ameisen 2003 : 360).
11 Voir en particulier le paragraphe « Alice et la Reine Rouge » dans le chapitre « Du corps comme une biosphère », où Ameisen convoque l’épisode de la course « sur place » pour nier le préjugé selon lequel l’évolution serait une « amélioration » (Ameisen 2003 : 211).
12 Voir notamment le Phédon (Platon 1991).
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