Forces formatrices et esthétique du vivant dans l’anthroposophie de Rudolf Steiner
p. 97-116
Texte intégral
1Le fondateur de l’anthroposophie Rudolf Steiner1 a été fasciné à la fois par les sciences de la vie de son époque et par la morphologie goethéenne. Il s’en est inspiré pour concevoir une « Science de l’esprit » (Geisteswissenschaft) qui cherche à penser, vivre et créer la forme à la croisée de l’esthétique et du vivant. Steiner s’est exprimé sur la forme dans des textes extrêmement divers, à partir de multiples points de vue ; cette thématique traverse toute son œuvre et sa pensée. Citons pour commencer ses réflexions sur l’esthétique, notamment les conférences « Goethe, père d’une esthétique nouvelle » (1888), « L’essence des arts » (1909) et « L’origine suprasensible de l’art » (1920) – conférences regroupées dans l’ouvrage Kunst und Kunsterkenntnis. Grundlagen einer neuen Ästhetik (Steiner 1985a) et en français dans L’art entre sensible et suprasensible (Steiner 2009b). Mentionnons aussi ses conférences sur les sciences du vivant, sur les travaux naturalistes de Goethe, sur les formes organiques, végétales en particulier, et sur la morphologie goethéenne (Steiner 1987a ; Steiner 1990a), et enfin une série de conférences soulignant la parenté entre productions artistiques et manifestations naturelles, comme « L’art et la forme », « Les forces créatrices de la nature et les forces organiques » ou « L’art, manifestation des lois secrètes de la nature » – conférences données à Dornach en décembre 1921 (Steiner 1933 ; Steiner 1979a). Dans un premier temps, notre démarche consistera à étudier les sources qui ont permis à Steiner de développer sa propre approche de la forme. Nous soulignerons l’importance de la morphologie goethéenne et exposerons l’interprétation qu’en donne Steiner. Enfin nous verrons que dans la pensée anthroposophique, le même principe plastique est à l’œuvre dans la nature et dans l’art, amenant l’homme à créer lui-même des formes inspirées des lois agissantes du monde vivant dans différents domaines artistiques comme la danse, la sculpture et l’architecture. Notre contribution abordera plus particulièrement le cas de l’architecture2, en présentant les impulsions qu’a données Steiner dans ce domaine de 1911 à sa mort (Steiner 1958 ; Steiner 1982a ; Steiner 1985b) – lesquelles ont donné lieu à de nombreuses réalisations à travers le monde jusqu’à aujourd’hui3.
Des savoirs sur la forme élaborés au carrefour de l’esthétique et des sciences du vivant
2Les sources qui contribuent à façonner l’approche steinerienne de la forme se situent à la croisée de l’esthétique et des sciences du vivant. Steiner commence par lire les ouvrages sur l’esthétique des philosophes allemands de son époque4, puis il étudie les nouvelles parutions portant sur les sciences de la vie et de la nature. Citons par exemple celles du physiologiste allemand Emil Du Bois-Reymond (1818-1896), du médecin pathologiste allemand Rudolf Virchow (1821-1902), du médecin psychologue suisse Théodore Flournoy (1854-1920) et du biologiste allemand Ernst Haeckel (1934-1919). Le point commun qui relie ces deux grands types de savoirs est – comme nous allons le voir – l’œuvre de Goethe.
3Steiner aborde l’esthétique d’une part à partir des travaux philosophiques d’une science qu’il juge relativement récente puisqu’elle remonterait à 17505, et d’autre part à partir des réflexions sur l’essence de l’art de poètes comme Goethe, Schiller et Jean Paul, qui partent de l’art lui-même. Dans son autobiographie (Steiner 1982b : 43 ; trad. 1979b, vol. 1 : 66), on peut lire que le fondateur de l’anthroposophie a d’abord étudié Ästhetik als Formwissenschaft (L’esthétique comme science de la forme), un ouvrage du professeur de philosophie Robert Zimmermann paru en 1865 à Vienne, écrit selon lui dans la perspective du philosophe allemand Johann Friedrich Herbart6, avant de se tourner vers les sciences naturelles. L’esthétique allemande de la seconde moitié du xixe siècle est traversée par le débat sur l’Idée (le contenu d’essence divine) et la matière (la forme esthétique, sensible et matérielle). Dans une conférence de 1890, renvoyant à sa conférence de 1888 « Goethe als Vater einer neuen Ästhetik » (« Goethe, père d’une esthétique nouvelle »), Steiner affirme que l’art et la science auraient deux missions opposées, la science celle de représenter l’Idée, et l’art celle d’élever la matière sensible vers l’Idée : « Si la mission de la science consiste à représenter le divin à travers la pensée immédiate, telle qu’elle plane au-dessus du monde sensible, dans une forme purement idéelle, celle de l’art est d’élever le sensible, le concret, l’imagé, jusqu’à la sphère divine » (Steiner 1985a : 38, ma traduction). L’artiste travaille à changer la forme de manière à ce qu’elle soit aussi divine que l’Idée : « Du point de vue du contenu, l’art a à voir avec le sensible ; du point de vue de la forme, il a à voir avec l’idéel » (ibid. : 39, ma traduction). La réalité relèverait du « domaine du sensible non idéel » (das Reich des unsinnlichen Ideellen), la science serait « le domaine de l’idéel non sensible » (das Reich des unsinnlichen Ideellen), l’art celui de l’idéel sensible (das Reich des Sinnlich-Ideellen). Steiner rejette la science allemande de l’esthétique qui, selon lui, « idéalise », et s’appuie sur Goethe pour dépasser l’opposition principielle entre Esprit et Nature, Idéal et Réel. Il retourne pour ainsi dire les propos des esthéticiens allemands en affirmant : « “Ce n’est pas l’Idée dans la forme de la manifestation sensible”, mais exactement l’inverse : “une manifestation sensible dans la forme de l’Idée” » (ibid. : 31). Le Beau apparaît là où l’Idée prend le plus parfaitement forme, s’exprime le plus manifestement possible dans le monde sensible. La position intermédiaire de l’art entre la matière et l’Idée lui confère une vocation pour ainsi dire religieuse, une mission cosmique consistant à amener l’Idée dans le monde sensible, à amener le domaine du divin sur terre.
4Steiner s’est aussi intéressé à l’idée de forme à partir des sciences naturelles. Après avoir lu Ästhetik als Formwissenschaft de Zimmermann, il aurait étudié, comme nous l’apprend son autobiographie, l’ouvrage d’un naturaliste très connu de son époque qui vulgarisa les théories de Darwin en Allemagne : Generelle Morphologie der Organismen (Morphologie générale des organismes) d’Ernst Haeckel (1866). Steiner admirait Haeckel, qu’il rencontra personnellement à Weimar en 1894 à l’occasion de son soixantième anniversaire. De son premier grand ouvrage de synthèse, il retient que les formes, en l’occurrence les formes organiques, sont en évolution permanente et s’adaptent à leur environnement7. D’un ouvrage ultérieur de Haeckel intitulé Anthropogenie (1874), il retient la « loi biogénétique » (aujourd’hui controversée) selon laquelle l’ontogénèse (évolution de l’individu) récapitule la phylogénèse (évolution de l’espèce à laquelle appartient l’individu), autrement dit selon laquelle un organisme ou un individu traverse durant son développement tous les stades des formes de vie ayant mené jusqu’à lui. Pour Rudolf Steiner, « […] la pensée phylogénétique de Haeckel est le fait le plus significatif de la vie spirituelle allemande pendant cette deuxième moitié du xixe siècle. […] Il n’existe pas de meilleure base scientifique pour l’occultisme que l’enseignement de Haeckel » (Steiner 1967 : 4).
5Cependant, même si « cet enseignement est grandiose », il n’en reste pas moins vrai que pour Steiner, « Haeckel en est le plus mauvais commentateur » (ibid.). Comme nous l’avons montré ailleurs (Choné 2013), le savant est pour Steiner un « enfant » en matière de philosophie : son monisme évolutionniste est influencé par le « matérialisme scientifique » de son époque, alors que Steiner interprète la théorie de l’évolution sur un plan spirituel. En outre, le fondateur de l’anthroposophie est persuadé que la méthode d’investigation analytique des sciences naturelles ne permet pas d’appréhender le vivant dans sa globalité car les instruments de l’observation (microscope, télescope…) n’offrent qu’une vue parcellaire de l’objet étudié en le coupant de son environnement et en éliminant toute influence extérieure. D’autre part, en plaquant une grille conceptuelle sur le vivant, du type des classifications de Linné, la méthode scientifique réifie l’objet étudié et lui ôte toute vie. La production artistique de Haeckel8, qui tente d’appréhender les plantes dans leurs formes, leurs couleurs et leurs mouvements, semble dans cette perspective approcher bien davantage « l’énigme du Vivant » que sa démarche scientifique, bloquée par l’imposition de concepts rigides. Certains des ouvrages de Haeckel tels que Kunstformen der Natur (Formes artistiques de la nature), paru en 1904, sont ornés de magnifiques illustrations et régulièrement réédités encore aujourd’hui (Haeckel 2004). Si ces images continuent de fasciner un large public, c’est qu’elles se situent – nous semble-t-il – à l’intersection de l’art et de la science. Pourtant, Steiner considère que Haeckel n’a pas réussi à penser au-delà de l’âme d’entendement, c’est-à-dire à franchir le seuil d’une connaissance purement intellectuelle : « là où il fallait se mettre à penser, il cessait toute activité intérieure ; il préférait se servir du pinceau pour fixer ce qu’il avait vu » (Steiner 1982b : 165 ; trad. 1979b, vol. 1 : 229 sq.).
6Pour Steiner, il s’agit de relier l’art et la science en appréhendant la forme de manière vivante : il n’est possible de comprendre et de connaître le vivant que grâce à une pensée vivante, c’est-à-dire en percevant le champ des forces éthériques modelantes, en se plongeant dans le monde du devenir d’où sont issues les formes vivantes. Et c’est Goethe, dont il a étudié et édité les écrits naturalistes entre 1884 et 1887, qui lui montre la voie lui permettant d’aller plus loin que Darwin et Haeckel, de passer d’une science de la nature (Naturwissenschaft) à une science de l’esprit (Geisteswissenschaft). Steiner repense ou prolonge toutefois son modèle, et c’est son interprétation de Goethe (qualifiée de « goethéanisme » dans les milieux anthroposophiques) que nous voulons maintenant étudier.
L’interprétation steinerienne de la pensée de Goethe : appréhender la forme primordiale grâce à une « pensée vivante »
7Steiner a côtoyé durant des années l’œuvre de Goethe, qu’il s’agisse de ses textes sur la nature ou sur l’art. Goethe est pour Steiner à la fois le père d’une nouvelle esthétique et le fondateur d’une nouvelle épistémologie (Steiner 2009a) : sa pensée profondément vivante jette selon lui un pont entre la connaissance de la nature (observée selon la méthode goethéenne, à savoir une phénoménologie permettant une approche fine, qualitative, et centrée sur l’objet étudié) et l’art véritable, considéré en tant que forme donnée au sensible dans le suprasensible, et au suprasensible dans le sensible. Quelques citations de Goethe reviennent très fréquemment dans les conférences de Steiner, et sont caractéristiques des liens qui unissent d’après lui l’art et la science. Ainsi ces mots de Goethe issus du Voyage en Italie (écrits le 6 septembre 1787 à Rome), et cités par exemple dans « Goethe, père d’une esthétique nouvelle » : « Les grands chefs-d’œuvre ont été produits par les hommes à l’instar des plus hauts ouvrages de la nature d’après les lois vraies et naturelles. Tout ce qui est arbitraire, imaginaire, s’écroule : là est la nécessité, là est Dieu » (Steiner 2009b : 33). Ou encore, dans la conférence « Les forces créatrices de la nature et les forces organiques » : « Celui à qui la nature dévoile ses secrets manifestes se sent irrésistiblement attiré par son éminent interprète : l’art » (Steiner 1979a : 52). Montrons tout d’abord en quoi Steiner, à partir des études morphologiques de Goethe, propose sa propre théorie de la connaissance, avant d’approfondir la parenté profonde que Steiner perçoit entre l’art et la science.
8De ses recherches sur les études naturalistes de Goethe, Steiner a surtout retenu les travaux morphologiques (Steiner 1989a : 270). Goethe appelait « morphologie » la « théorie de la forme, de la formation et de la transformation des corps organiques » (Goethe 1955 : 124). Deux idées essentielles sous-tendent l’Essai sur la métamorphose des plantes (Goethe 1790) : l’idée de « type » et l’idée de « métamorphose9 ». Le concept de Urpflanze ou « plante primordiale » développé par Goethe signifie que le même principe formateur invisible agit dans chaque espèce végétale, en se spécialisant dans une direction particulière. Selon Heiner Ullrich, l’intérêt de Steiner pour les recherches de Goethe sur la nature s’explique par son désir de réhabiliter une vision du monde objective et idéaliste :
[…] contrairement aux sciences naturelles expérimentales, fondées sur l’analyse de causalité, Goethe était, dans sa morphologie idéaliste, à la recherche de l’unité universelle de la nature ; il découvrit dans ses phénomènes primitifs ou dans les archétypes du règne végétal et animal, les manifestations graduelles du spirituel qui est susceptible de s’exprimer consciemment dans le microcosme que constitue l’homme. Ce « goethéanisme » métaphysique, avec son anthropomorphisme implicite, est la première réponse de Steiner à la question romantique fondamentale qu’il se posait : comment est-il possible de transcender intellectuellement l’intellect afin d’exprimer l’invisible dimension spirituelle ? (Ullrich 1995 : 580)
9Chez Steiner comme chez Goethe, la forme primordiale ou Urform, l’Idée, der Typus au sens goethéen, devient la clé d’intelligibilité de toute chose. La forme est dynamique, animée d’un mouvement, elle est action, force : Steiner parle de « forces formatrices » ou de « forces modelantes ». Le terme français de « forme » ne traduit d’ailleurs qu’insuffisamment l’allemand Gestalt, qui sous-entend une action vivante, formatrice, et évoque donc un pouvoir formant, formateur. D’autre part, la forme se transforme, elle évolue, elle se métamorphose. Selon Steiner, Goethe est le premier à avoir compris que la métamorphose permet à la pensée d’atteindre une vision de l’organique ; c’est ce qui ressort de sa conférence de 1921 « Les forces créatrices de la nature et les forces organiques » :
Le monde organique est fait de telle sorte qu’il répète toujours les mêmes formes, mais jamais de la même façon. Selon lui [Goethe], les différents organes d’un organisme vivant – par exemple les feuilles d’une plante, depuis le bas jusqu’en haut – prennent toutes les formes extérieures imaginables, se métamorphosent en pétales, étamines, stigmates, ovaires, tout en restant fidèles à la même « idée » végétale. (Steiner 1979a : 42 sq.)
10Tous les organes de la plante sont pour Goethe – comme le souligne Steiner – feuille : « Dans la phase ascendante et descendante de sa croissance, la plante n’est toujours que feuille, si inséparablement unie au futur germe que l’on ne doit pas penser l’un sans l’autre10 ». Pétales, étamines, fruits, graines, etc. représentent des métamorphoses toujours nouvelles de la feuille, organe originel. Pour accéder à cette forme primordiale, à cet archétype de la plante dont sont issues les formes végétales, pour comprendre les principes formateurs des plantes, il est nécessaire selon Steiner de pénétrer dans un domaine qui ne relève pas du monde sensible ; il convient de développer des organes permettant de percevoir l’Idée suprasensible de la plante à partir de ses différentes formes sensibles. L’ouverture de ces « sens supérieurs » n’est possible selon lui que grâce à un chemin de connaissance comportant des exercices de méditation et d’imagination, et passant par un total oubli de soi. C’est ce chemin de connaissance proposé par la « Science de l’esprit » qui permet selon Steiner de « poursuivre Goethe ».
11Pour reprendre l’exemple de la plante, il s’agit de plonger en elle par la méditation pour la comprendre de l’intérieur. Cette approche « objective » (car centrée sur l’objet) se double d’une activité imaginative qui permet de saisir l’activité formatrice de la plante – ce que l’on pourrait appeler sa morphologie spirituelle – et de développer, à partir de la forme primordiale, originelle, chaque forme particulière qui se présente à nous. Le Typus, qui permet aux phénomènes de se différencier tout en préservant une unité, représente le principe suprasensible immanent qui manque aux théories de l’évolutionnisme matérialiste pour expliquer les formes organiques ; la théorie de Darwin présuppose le type – explique Steiner dans son Épistémologie de la pensée goethéenne : « Tel un fil rouge, le type passe par toutes les étapes évolutives du monde organique. C’est lui que nous devons tenir pour parcourir, avec lui, ce grand domaine si riche en formes diverses » (in Steiner 1967 : 89, italiques originaux). L’activité imaginative permet de suivre ce fil rouge et de prendre part à la façon dont les principes formateurs de chaque espèce émanent de la plante primordiale, c’est-à-dire de percevoir sa morphologie spirituelle : pénétrer à l’intérieur de la feuille, observer, noter, accueillir avec dévotion la plante en soi, percevoir intérieurement les forces de vie qui ont donné naissance à la forme de la plante – c’est participer intérieurement au processus de croissance pour essayer ensuite de le « recréer » en imagination.
La pensée vivante, créatrice, qui est en jeu ici permet selon Steiner de surmonter, à l’aide des forces modelantes du corps éthérique, l’approche conceptuelle délétère qui caractérise le mode de connaissance de l’homme moderne […]. L’enjeu épistémologique est de dépasser une connaissance intellectuelle mortifère, figeant et réifiant le vivant, au profit d’une conscience imaginative, seule capable de réunir activement les manifestations phénoménale et idéelle, pour obtenir leur identité. (Choné 2013 : 23)
12Pour accéder au monde des formes primordiales et immuables (la plante en général dans la plante particulière, l’Idée de l’animal…), il est nécessaire selon Steiner de percevoir un champ qu’il qualifie d’« éthérique » en référence à des courants de l’ésotérisme occidental comme la philosophie hermétique, l’alchimie, le paracelsisme et la théosophie – cette dernière étant elle-même inspirée par les notions d’akasha et de kosha issues des doctrines indiennes11. Les Idées au sens goethéen (et non au sens platonicien) appartiennent selon lui à une sorte de « surnature » et, bien qu’aussi objectives que les couleurs ou les formes des objets, elles ne sont accessibles qu’à celui qui a développé un sens supérieur ; selon Steiner, le type n’est pas pour Goethe un concept abstrait et rigide, mais une force vivante, fluide, génératrice de différentes formes particulières et perceptibles grâce à l’observation empirique : « Les images originelles de Goethe – explique-t-il dans « Goethe, père d’une nouvelle esthétique » – ne sont pas des fantômes sans consistance, mais des forces génératrices derrière les phénomènes » (Steiner 2009b : 19). Pour pouvoir s’élever jusqu’aux Idées, il faudrait surprendre la nature dans son action créatrice en devenant réceptif à ce que Steiner appelle le « corps de forces formatrices ». C’est dans l’étude de la botanique que l’on pourrait, selon lui, discerner le plus aisément le travail du corps éthérique, car les forces qui agissent à l’intérieur de la plante, qui la forment et l’organisent, la portent et la tirent vers le ciel, seraient de nature purement éthérique, tandis que l’animal serait non seulement pourvu d’un corps physique et d’un corps éthérique, mais également d’un corps astral, siège des désirs et des émotions – l’homme ajoutant à ces trois corps le Moi, c’est-à-dire la capacité à développer une conscience individuelle.
13En parlant de la plante qui se développe entre terre et soleil12, Steiner insiste sur la polarité entre la racine et la fleur, le centre et la périphérie. La racine serait en relation avec l’espace physique ordinaire, à savoir un espace à trois dimensions régi par les lois de la gravité et traversé de forces centripètes, tandis que la fleur appartiendrait à un espace éthérique traversé de forces centrifuges agissant dans la croissance organique. Ces forces périphériques pénétreraient l’espace physique à partir d’un champ éthérique dans lequel baignerait la matière. Semi-spirituelles, ces forces – ces énergies dirait-on sans doute plutôt aujourd’hui – formeraient un domaine particulier entre le monde sensible et le monde suprasensible. Le corps de forces formatrices serait ainsi une sorte de médiateur entre les processus cosmiques et les processus terrestres. Il serait « le porteur des tendances qui engendrent la forme. Mais ces tendances ne sont pas rigides comme les forces du monde physique. Il faut, au contraire se les représenter comme douées d’une prodigieuse plasticité et faculté d’adaptation » (Husemann et Wolf 1997, t. II). Le domaine éthérique serait constitué de quatre éthers (éther de chaleur, éther de lumière, éther de son et éther de vie) – sachant que, selon Steiner, ce n’est que dans l’éther de vie (le plus proche du monde sensible) que les Idées, encore dépourvues de forme dans l’éther de chaleur, prendraient véritablement forme grâce aux forces de vie, après avoir traversé les trois premiers éthers (Steiner 1989b ; voir aussi Bott, Coroze et Marti 1981).
14Comment accéder à cet espace non physique, à ce contre-espace agissant à partir de la périphérie du cosmos ? Selon Steiner, il est possible de percevoir le « corps de forces formatrices » en développant, grâce à la méditation, une conscience imaginative ; dans une conférence de 1922 intitulée « L’art et la forme », le fondateur de l’anthroposophie montre comment cette expérience intérieure conduit celui qui la vit à une vision de l’éthérique qui, nécessairement, l’amène à devenir productif artistiquement (Steiner 1979a : 28). En effet, l’artiste est pour Steiner celui qui perçoit et exprime les forces éthériques venant de la périphérie vers le centre, du cosmos vers l’homme. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de la Vénus de Milo : l’observation attentive de cette statue montrerait que les forces formatrices qui l’ont modelée ne proviennent pas de l’espace physique, mais de la périphérie de l’univers. D’où la définition qu’il donne de la beauté : « La beauté est l’empreinte qu’appose le cosmos, au moyen du corps éthérique, dans un corps terrestre physique » (ibid. : 19).
De la parenté entre l’art et la science : le même principe plastique à l’œuvre dans la nature et dans l’art
15Steiner se réfère très souvent à Goethe pour souligner l’étroite parenté existant entre l’art et la science. Il intitule même en référence à Goethe l’une de ses conférences « L’art, manifestation des lois secrètes de la nature » – ce qui signifie que sans l’art, ces lois ne se seraient point révélées (Steiner 1979a). Chez Steiner, la « science spirituelle » mène inévitablement à la création artistique13, car « l’étude du corps éthérique n’est pas possible d’une façon purement théorique » :
Jamais les choses ne se révéleront à une connaissance qui ne débouche pas sur l’art. […] On passe alors tout naturellement, organiquement, de l’étude intellectuelle à la vision artistique, et aussi à la création artistique ; si bien que c’est le même esprit qui parle dans la création artistique et dans les mots qu’on emploie pour exprimer en idées, d’une manière plus théorique, ce qu’on voit dans le monde. L’art est issu du même esprit que la science. L’art et la science ne sont que deux aspects d’une seule et unique manifestation. (Steiner 1979a : 30)
16Pour modeler les formes de son art, quel qu’il soit, l’artiste doit pénétrer dans les forces créatrices de la nature grâce à sa faculté d’imagination et tenter de se servir de ces forces comme la nature le fait. Pour développer un véritable sens esthétique, il lui faut atteindre les forces germinatives du corps éthérique lui-même et créer à partir de ces « forces productives du Cosmos » : « Il faut que nous retrouvions le moyen de pénétrer à l’intérieur de la nature créatrice, pour faire de notre œuvre artistique une création réellement élémentaire originelle » (ibid. : 31). Pour être véritablement originelles, toutes les productions artistiques – qu’il s’agisse de danse, d’art de la parole, de peinture, de sculpture ou d’architecture, etc. – devraient donc naître de ces forces créatrices. Steiner voit dans la sculpture et l’eurythmie deux pôles de l’art de la forme : la sculpture donnerait forme à la Gestalt humaine tandis que l’eurythmie créerait par son « chant visible » une sorte de mouvement cosmique, de métamorphose permanente :
Tel que nous le voyons, l’homme possède une forme terminée. Mais cette forme arrêtée est née du mouvement. […] Par l’eurythmie nous retournons aux mouvements originels. […] Dieu fait de l’eurythmie, et par l’eurythmie, de par l’expérience de l’eurythmie, naît la forme humaine. […] Car faire de l’eurythmie, signifie représenter des mouvements et des gestes, non point passagers, éphémères ou arbitraires, mais cosmiques, pleins de sens, qui ne peuvent être différents de ce qu’ils sont, et ne peuvent jamais émaner de l’arbitraire personnel de l’âme humaine. (Steiner 1990b : 58)
17Penchons-nous plus en détail sur le cas de l’architecture et prenons l’exemple du Goetheanum. Il paraissait nécessaire à Steiner de donner au mouvement anthroposophique, à travers cet édifice, une forme exprimant son message spirituel profond. Le fondateur de l’anthroposophie a souvent comparé cet édifice « à ce qu’est la coque de noix à l’égard de la noix. La noix possède la loi interne de sa forme et sa coque est construite d’après la même loi. […] Noyau et enveloppe naissent des mêmes principes de formation » (Steiner 1979a : 90). Au risque de choquer, Steiner souhaite passer de formes mathématiques reposant sur des principes mécaniques, géométriques et symétriques, à des formes organiques exprimant la dynamique du vivant. Dans une construction organique, tout repose d’après lui sur l’union des forces créatrices de la nature et de l’univers.
18Les formes artistiques ne sont pas pour lui des symboles ni des allégories, elles ne signifient pas quelque chose, elles sont. Steiner répète sans cesse qu’il ne cherche pas à copier la nature – ce qui serait de l’art pour l’art – mais qu’il part au contraire des forces germinatives de la nature elle-même pour découvrir et recréer le mouvement intérieur par lequel l’organisme engendre la forme. La forme ainsi créée exprime nécessairement la vie, elle épouse les formes courbes de la nature et utilise des matériaux naturels comme le bois ; il s’agit d’une architecture « vitaliste », pour reprendre l’expression des architectes Jean-Philippe Zipper et Frédéric Bekas (Zipper et Bekas 1986). À propos du portail principal du premier Goetheanum, Steiner s’exprime ainsi dans « Les forces créatrices de la nature et les forces organiques » :
L’ouverture est surmontée d’une sorte de forme organique. Cette forme n’a rien de naturaliste, on n’a pas essayé de copier, mais de ressentir comment l’organisme produit la forme. Il n’a pas été question de trouver un style en imitant la forme de la feuille, de la fleur, d’une corne ou d’un œil, mais de se fondre de tout son être intime dans ce mouvement intérieur par lequel l’organisme engendre une forme. Si cette profonde expérience est appliquée à la création d’un édifice […], si on veut lui imprimer cette plastique vivante, les formes qui apparaissent ne sont pas des copies de la nature, mais elles évoquent la façon dont agit la nature. (Steiner 1979a : 41 sq.)
19D’après Steiner, la production des formes du Goetheanum a découlé naturellement du principe de la métamorphose de Goethe : chaque partie de l’édifice « s’insère dans l’ensemble comme les fragments d’un seul et même organisme » ; chaque détail trouve son sens et sa place dans la totalité, qui reflète quant à elle l’unité de l’ensemble. Les formes des socles et des chapiteaux des sept colonnes de chaque côté de la Grande salle témoignent de l’adaptation de l’architecture au principe de croissance organique :
Si l’on passe de la première colonne à la deuxième et qu’on observe le chapiteau, on voit se révéler sous forme artistique ce qu’on peut observer au sens de la métamorphose quand on compare la forme primitive des feuilles en bas d’une plante aux dentelures des feuilles d’en haut. La forme s’est muée, elle s’est métamorphosée. (Ibid. : 48 sq.)
20La forme de chaque chapiteau évolue vers la forme suivante, contient en germe la suivante, la génère pour ainsi dire. On a affaire, comme dans une mélodie, à une évolution harmonique vers un dénouement final. D’après Steiner, ces formes organiques répondent aux besoins spirituels de l’humanité actuelle. Dans sa vision du monde évolutionniste, un art particulier correspond à chaque époque. Comme il l’explique dans le cycle de conférences Wege zu einem neuen Baustil (Vers un nouveau style en architecture), l’« esthétique de l’avenir » doit naître « de l’esprit entier d’un cycle d’humanité » (Steiner 1982a : 40, ma traduction). Or, l’humanité actuelle traverse selon Steiner la cinquième période de « l’ère post-atlantéenne » durant laquelle elle s’efforce de développer son « âme de conscience » ; aussi n’est-il plus possible de construire des temples comme au temps des Grecs, ni des églises romanes ou gothiques. L’époque actuelle nécessite selon Steiner un espace intérieur qui soit fermé tout en étant ouvert, qui se renie en quelque sorte lui-même en invitant l’homme qu’il abrite à dépasser ses murs et élargir sa perspective spirituelle pour se relier à l’univers : « Avoir des murs et ne pas avoir de murs » (ibid. : 38, ma traduction), tel est l’art de « l’architecture du futur ». En ce sens les colonnes d’un édifice doivent indiquer la direction du cosmos et, prises ensemble, exprimer une totalité (ibid. : 61, ma traduction).
21L’architecture est selon Steiner l’art de créer des formes artistiques justes, c’est-à-dire de trouver « les organes par lesquels les dieux s’adressent aux hommes » (ibid. : 119, ma traduction). C’est donc toujours une architecture sacrée : l’édifice doit parler à travers ses formes le langage divin. Pour ce faire, l’architecte doit être à l’écoute des forces de vie qui donnent forme au sensible comme lui-même donne forme au matériau de construction. Ainsi seulement les murs pourront devenir comme les membranes des organes divins qui se creusent ou s’ouvrent vers l’extérieur sous l’effet des forces modelantes. Comme le soulignent Zipper et Bekas, « les espaces intérieurs se déplient vers l’extérieur, les ouvertures sont découpées dans l’enveloppe comme les orifices dans un organisme » (1986 : 17). Les projets architecturaux réalisés dans cet esprit sont d’après eux « pénétrés de la polarité qui unit l’œuvre divine à l’œuvre humaine, le macrocosme et le microcosme et en langage architectural, le dedans et le dehors » (ibid.). D’après les disciples de Steiner Olive Whicher et George Adams, cette polarité se décline selon différents axiomes que l’architecte découvre en observant la métamorphose des formes organiques : contraction/expansion, concavité/convexité, croissance en spirale, rayonnant/périphérique (ibid. : 47-63). Zipper et Bekas sont d’avis que, dans les architectures steineriennes,
[…] chaque atmosphère inspire un souci permanent du libre choix de chacun. Tourner autour d’une école Steiner permet de découvrir des façades totalement différentes l’une de l’autre mais cependant particulièrement bien intégrées à une totalité conçue sans aucune hésitation. Comme si le concepteur avait une connaissance très claire de la finalité de son bâtiment, mais, presque par jeu, voulait nous apprendre à considérer toutes choses sous une multitude de points de vue, différents mais complémentaires, à l’intérieur d’un même processus, appréhendé sans dogmatisme ni parti pris, voire sans idéologie. (Ibid. : 52 sq.)
22L’architecte – et l’artiste en général – ne saurait exprimer dans la matière une telle « philosophie de la liberté » qu’en ressentant l’action plastique des forces de vie agissant à partir de cet espace périphérique situé entre la terre (en tant qu’espace physique) et le soleil (en tant qu’opposé polaire de la terre et lieu où se condensent les forces éthériques) qu’est le corps éthérique. Seule la vision imaginative qu’il a de ces forces subtiles lui permettra de produire lui-même des formes réellement vivantes, et de véritables œuvres d’art.
Conclusion
23L’observation goethéenne du monde organique revêt une importance majeure pour Steiner parce que la connaissance des formes du vivant ouvre la voie vers l’« esthétique de l’avenir » qu’il appelle de ses vœux, en pointant la proximité entre l’art, qui représente le sensible-suprasensible, et les forces éthériques, qui agissent entre sensible et suprasensible. Elle révèle en outre que dans le monde éthérique, tout est devenir, perpétuel changement ; cette plasticité laisse le moi libre de s’éveiller pour permettre aux choses du monde non de se reproduire, mais de renaître à un niveau supérieur, d’accomplir une « renaissance spirituelle14 » ; il s’agit de relier la perception sensorielle aux Idées, par exemple l’arbre que je vois à l’Idée de l’arbre présente en moi ; par cette faculté, la pensée devient « clairvoyante » et peut percevoir l’environnement vivant qui l’entoure sans le détruire ou le fossiliser15. Elle peut échapper aux représentations (Vorstellungen) réifiantes et sclérosantes enfermant le moi dans un système de pensée unique qui le coupe de la réalité du vivant, et peut ainsi s’ouvrir à la liberté et à l’altérité, sources de vie, de fluidité et de mouvement. Pour cela, Idées et phénomènes doivent se rejoindre, un peu comme lorsque l’enfant met pour la première fois un mot/concept sur un objet perçu. Ce que l’adulte ne fait plus consciemment ensuite puisqu’il plaque sans arrêt des représentations et des préjugés sur ce qu’il voit et ressent, il doit réapprendre à le faire grâce à l’observation attentive du vivant, à l’expérience imaginative et à la perception des forces éthériques. Ces facultés conduiront alors inévitablement à la formation de son sentiment artistique et au développement de son activité créatrice, entre sensible et suprasensible.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Né en 1861 dans un village de Croatie (qui faisait alors partie de l’Empire austro-hongrois), Steiner étudie la philosophie à Vienne ; il lit notamment Kant, Nietzsche et Goethe. Après avoir soutenu en 1891 une thèse de doctorat en philosophie, il travaille à Weimar à l’édition de l’œuvre scientifique de Goethe, commence à publier sur Goethe et à donner des conférences à Berlin, à la Société théosophique ; fondée en 1875 à New York par Helena Blavatsky, le colonel Olcott et quelques autres, cette société enseigne un syncrétisme religieux d’inspiration occultiste et ésotérique à forte coloration orientale, en particulier bouddhiste et hindouiste. En 1902, Steiner devient secrétaire général de la section allemande de la Société théosophique, mais, très marqué par la tradition chrétienne même s’il s’agit d’un christianisme ésotérique, il se sépare en 1912-1913 de la Société théosophique (trop orientalisante à son goût), pour fonder la Société anthroposophique. L’anthroposophie est pour lui un « chemin de connaissance » visant à « restaurer le lien entre l’Homme et les mondes spirituels ». Les idées de Steiner sont à l’origine de projets aussi divers que les écoles Waldorf, l’agriculture biodynamique, les médicaments et produits cosmétiques Weleda, la médecine anthroposophique, l’eurythmie et la Communauté des chrétiens.
2 Il existe de nombreuses autres conférences de Steiner sur l’art, notamment sur le théâtre, la peinture, l’art de la parole, la danse, etc., mais le cas de l’architecture nous semble particulièrement intéressant au regard de la thématique de ce volume.
3 Parmi ces réalisations, citons les écoles de Heidenheim et de Essen respectivement construites en 1967-1974 et en 1979 par Werner Seyfert, l’école de Stuttgart-Uhlandshöhe construite en 1975-1977 par Johannes Billing, Jens Peters, Nikolaus Ruff et Rolf Gutbrod, le jardin d’enfants de Wellington (Nouvelle-Zélande) construit en 1981 par Fiona Christeller, le jardin d’enfants de l’école de Stockholm-Bromma (Suède) construit en 1967 par Erik Asmussen, Arne Klingborg et Fritz Fuchs, l’école de Toronto (Canada) construite en 1972-1793 par Denis Bowman.
4 Ces philosophes se rattachent à l’idéalisme hégélien comme Christian Hermann Weisse (1801-1866) et Friedrich Theodor Vischer (1807-1887), au réalisme comme Johann Friedrich Herbart (1776-1841) et son disciple Robert Zimmermann (1824- 1898), à Schopenhauer et Hartmann, à l’esthétique populaire et éclectique comme Moritz Carrière (1817-1895) ou à l’histoire de l’esthétique comme Rudolf Hermann Lotze (1817-1881) et Max Schasler (1819-1903).
5 Dans « Goethe père d’une esthétique nouvelle », Steiner tient Alexander Gottlieb Baumgarten pour un pionnier dans le domaine de l’esthétique et cite aussi Winckelmann, Lessing, puis Goethe, Schiller, Schelling, von Hartmann, Vischer… Il juge sans intérêt réel toutes les tentatives antérieures, y compris celle d’Aristote, qui ne connaît pas de « principe d’art plus élevé que l’imitation de la nature » (Steiner 2009b : 13-15).
6 Zimmermann choisit d’ailleurs comme épitaphe ces mots de Schiller : « Die Vertilgung des Stoffs durch die Form ist das wahre Kunstgeheimnis des Meisters ». Cette conception de la forme esthétique qui l’oppose à la matière, considérée quant à elle avec un certain mépris, Herbart l’aurait faite sienne principalement pour des raisons éthiques, en s’appuyant sur l’éthique anti-eudémonique de Kant, auquel il succéda en 1809 en tant que titulaire de la chaire de philosophie de l’université de Königsberg (Ziechner 1908).
7 Haeckel est connu pour avoir forgé le terme « écologie »: « Unter Oecologie verstehen wir die gesammte Wissenschaft von den Beziehungen des Organismus zur umgebenden Außenwelt, wohin wir im weiteren Sinne alle„ Existenz-Bedingungen “rechnen können. Diese sind theils organischer, theils anorganischer Natur; sowohl diese als jene sind, wie wir vorher gezeigt haben, von der größten Bedeutung für die Form der Organismen, weil sie dieselbe zwingen, sich ihnen anzupassen » (Haeckel 1866).
8 Haeckel a peint et dessiné dans des cahiers les formes des organismes vivants qu’il observait et étudiait.
9 Voir dans le présent volume l’article de Jean-Michel Pouget.
10 Lettre du 17 mai 1787 de Goethe à Herder, citée in Steiner (2002 : 36).
11 Sur l’influence de ces doctrines sur la conception théosophique et anthroposophique des corps de l’homme, voir Choné (2009).
12 Pour un développement plus récent de ces réflexions voir Adams et Whicher (1982).
13 Sur la parenté entre l’art et la science, voir aussi Choné (2006).
14 Steiner expose plus en détail cette renaissance dans Mystique et esprit moderne : « L’éveil de mon moi suscite une nouvelle naissance, spirituelle celle-ci, des choses de l’univers. […] Voici un arbre. […] Une réplique idéelle de l’arbre existe en moi. Cette réplique me dit sur l’arbre infiniment plus que l’arbre extérieur lui-même peut me dire. C’est de moi que rayonne vers l’arbre, la notion de ce qu’il est. L’arbre n’est plus cet être isolé là, dans l’espace. Il devient un élément de tout l’univers spirituel qui vit en moi. […] Le concept d’arbre devient partie intégrante du monde des idées qui englobe le règne végétal ; il s’insère dans le processus de développement des êtres vivants » (Steiner 1987b : 22 ; trad. 1967 : 133).
15 Dans l’esprit de Steiner, Jürgen Strube a proposé récemment différents exercices permettant d’éveiller cette faculté en observant ce qui se déroule en nous lorsque nous pensons (Strube 2012).
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