Les milieux du Parti social-démocrate
p. 21-56
Texte intégral
1À la suite de la défaite nationale-socialiste de 1945, le SPD (Sozial-demokratische Partei Deutschlands [Parti social-démocrate allemand]) se reconstitue après douze ans d’interdiction sur le territoire allemand. De nouvelles institutions voient le jour, les dirigeants et les intellectuels chargés du travail théorique ne sont plus similaires à ceux qui faisaient du SPD des années 1920 La Mecque du marxisme. C’est à la description de ces transformations que ce chapitre va se consacrer.
2Un modèle d’organisation du travail programmatique, indépendant de l’Université, prévaut dans les années 1920. Le parti produit et consacre ses propres clercs. La figure du « théoricien dirigeant » socialiste, fin connaisseur des arcanes du marxisme, cède la place, après 1945, à des intellectuels d’un nouveau type, en particulier universitaires. Une division du travail entre savants et politiques s’instaure, qui contredit la confusion des rôles au sein du SPD historique ; au cœur de cette dynamique : la déstructuration du parti et de son milieu (Sawicki, 2017), c’est-à-dire des organisations (syndicats, presse partisans, associations, coopératives, etc.) qui lui servent de vivier.
3Pour rendre compte de cette mutation, nous avons passé en revue les commissions en charge des programmes statutaires du parti des années 1920 aux années 1950. Nommées « commissions programmatiques » et composées de quelques dizaines de personnes, elles ont en charge la rédaction des projets de programmes définissant la ligne doctrinale du SPD. Entre 1921 et 1959, trois programmes statutaires sont adoptés (tableau 1). Ces commissions sont mises en place par une décision votée lors d’un congrès – assemblée représentative des militants et plus haute instance du parti. Elles élaborent un projet que le comité directeur du SPD diffuse au sein des instances locales et de la presse du parti avant qu’il ne soit modifié et adopté lors d’un prochain congrès.
Tab. 1 – Commissions programmatiques (1920-1959)

4La transformation de la composition sociale de ces commissions a son importance. Elle est génératrice de tensions entre le comité directeur et sa commission programmatique. Direction politique du SPD, le comité directeur est l’exécutif collégial du parti. Élu par le congrès, ce cénacle, composé d’une vingtaine de personnes dans les années 1920 et d’une -trentaine dans les années 1950, a à sa tête le président du parti et, à compter de 1958, un présidium composé du président (Erich Ollenhauer) et de deux vice-présidents (Waldemar von Knoeringen et Herbert Wehner). À la suite d’une motion votée lors du congrès de Berlin en 1954, une commission programmatique se réunit à partir de 1955 pour préparer un programme statutaire, qui sera celui de Bad Godesberg. La commission de 1955 a une durée d’existence longue (trois ans), mais ce n’est pas son projet qui est soumis au congrès de Bad Godesberg : en 1958, elle perd la main sur la rédaction du programme. Ces deux éléments (durée, nomination d’une seconde commission) ne sont pas ordinaires. Son projet de programme est, par la suite, aux mains d’une commission « restreinte ». À l’opposé, dans les années 1920, les deux commissions programmatiques de 1921 et 1925 siégeaient une ou deux années, et continuaient de se réunir durant les congrès pour défendre et modifier leurs projets. Le SPD des années 1950 semble donc avoir rencontré un problème avec sa commission programmatique, qu’il nous faudra élucider.
5En dépit des efforts de ses dirigeants et de ses militants, le SPD qui se reconstruit après 1945 ne ressemble pas, à bien des égards, au parti des années 1920. Les difficultés de la commission de 1955 ont à voir avec la transformation du parti lui-même et de la division du travail en son sein. Ses viviers, les carrières typiques des hauts responsables, les modes de salarisation des auxiliaires du parti ont changé, entraînant la transformation de la répartition des rôles au sein de l’organisation. Cette nouvelle morphologie n’est pas indépendante des formes de savoirs et de sciences engagées dans la production des programmes.
6La sociologie qu’on envisage ici commence donc par une analyse des producteurs des programmes – de leurs milieux et des modes de collaboration institués dans la division partisane du travail. L’enjeu est de penser la production idéologique comme une entreprise collective, et comme la marque de transformations plus globales au sein des rapports entre parti et société.
7Cette étude s’inscrit dans une littérature déjà très riche consacrée aux intellectuels du parti. Sur l’époque de l’Allemagne impériale essentiellement (1871-1918), elle met en évidence le lien entre l’histoire programmatique du SPD et celle des intellectuels de parti. L’historien Thomas Welskopp montre, en particulier, que l’universitaire déclassé, décrit par Robert Michels, n’est pas l’intellectuel social-démocrate type (Welskopp, 2000a, p. 44-45). La social-démocratie avant 1878 se structure autour d’une culture ouvrière que la dichotomie chefs/masses inertes avancée par Robert Michels parvient mal à cerner. En revanche, Thomas Welskopp souligne l’autonomisation des chefs idéologues du SPD à compter de l’exil qui leur est imposé après l’interdiction de leurs activités social-démocrates entre 1878 et 1890 (Welskopp, 2000b). Cette institutionnalisation est analysée par l’ouvrage d’Ingrid Gilcher Holtey consacré à Karl Kautsky considéré comme le « pape » du marxisme, où elle y décrit l’invention d’une position de théoricien de la social-démocratie et les tensions entre savants du parti et enjeux politiques (Gilcher Holtey, 1986).
8Les travaux consacrés à Weimar sur ce thème se font plus rares que les travaux consacrés à l’Empire et prennent essentiellement la forme de biographies historiques (Bock, 1998). Les intellectuels qui y sont analysés sont rarement des intellectuels de parti (Gangl et Raulet, 2007 ; Gangl et Roussel, 1993). Concernant la période après 1945, plusieurs contributions historiques d’importance sont consacrées à des universitaires et à des membres influents des commissions programmatiques. Elles les saisissent uniquement sous l’angle biographique, comme individus.
9Par contraste, ce que l’on envisage de faire dans ce chapitre s’apparente davantage à un portrait de groupe, à une biographie collective des membres des commissions, en tenant compte de ce que leurs caractéristiques sociales révèlent du Parti social-démocrate.
10Ce chapitre met d’abord en évidence la reconfiguration intellectuelle du SPD telle qu’elle peut être saisie à travers la modification de la composition des commissions programmatiques. Ces commissions voient leurs membres accroître leur capital académique pendant que s’amenuise le poids des intellectuels dotés d’un capital produit par des institutions plus purement partisanes, comme la presse. Dans un deuxième temps, ce chapitre analyse la mutation du milieu partisan au principe de ce changement. L’externalisation de la production du capital intellectuel à l’Université est le pendant de l’échec, après 1945, de la reconstitution des journaux partisans et de nouveaux liens tissés avec les milieux scientifiques.
Le nouveau régime intellectuel du SPD
11Les conditions d’accès aux commissions se sont transformées entre les années du SPD weimarien et l’après-Seconde Guerre mondiale. Les membres des commissions programmatiques présentent des caractéristiques sociales spécifiques qui rendent possible leur participation à l’élaboration du programme. La mise en évidence de ces caractéristiques sociales permet de questionner le fonctionnement de la production programmatique par la contextualisation historique. La mise en relation des deux périodes permet, par ailleurs, de problématiser les conditions de reconnaissance et de recrutement de ces individus. Ce qui est en jeu est la transformation des liens entre le parti et la société allemande, en particulier ses liens avec les milieux intellectuels – son régime intellectuel.
Les commissions comme observatoires du fonctionnement de l’organisation partisane
12L’observation historique de la composition des commissions programmatiques permet d’explorer les ressources de cette production et les systèmes de relations entre les acteurs et l’organisation qui les fondent. Une analyse prosopographique – une étude des caractéristiques collectives des membres de ces commissions – rend « possible la compréhension en dehors du cadre juridique et institutionnel, qui ne se transforme pas ou très lentement, du vrai fonctionnement des institutions […] saisissant les acteurs, leurs interactions, la structure de leurs carrières, leurs mentalités, etc. » (Bulst, 1986, p. 39). Neithard Bulst donne à la prosopographie l’objectif « d’enquêter sur les caractéristiques fondamentales communes d’un groupe d’acteurs dans l’histoire, à travers les moyens d’une analyse collective de leurs vies » et de dégager une « grammaire des relations sociales » (Bulst, 1986, p. 37-38), en « insérant le personnel considéré dans la société dans laquelle il vit, société que cette recherche prosopo-graphique devrait nous permettre de mieux connaître » (Bulst, 1996, p. 111). On voit bien la parenté entre les intentions de cette prosopographie de l’état moderne et celle de cette enquête d’histoire sociale des idées politiques.
Tab. 2 - Âge moyen dans les comissions programmatiques

13Les données biographiques de 102 personnes ont été collectées : 41 pour les commissions de 1921 (29) et 1925 (21) et 61 pour les commissions de 1955 (59) et 1959 (7). Huit individus participent aux deux commissions de 1921 et 1925, cinq participent à la commission de 1955 et à celle de 1959.
Tab. 3 - Âge à l'entrée dans la comission

14Les membres des commissions, essentiellement des hommes (88 % pour les deux commissions de 1921 et 1925 et 93 % en 1955), ont environ quarante-huit ans dans les années 1920 et cinquante ans dans les années 1950 (tableau 2). Leur carrière est donc avancée. Le nazisme semble avoir eu comme effet d’avoir fait reculer la tranche d’âge la plus représentée d’une dizaine d’années : de quarante-cinquante ans sous Weimar à cinquante-soixante ans par la suite. Même si les théoriciens des années 1920 sont relativement jeunes, les commissions comptent encore parmi leurs membres les pères fondateurs de la social-démocratie et de sa théorie, à l’instar de Karl Kautsky et d’Eduard Bernstein.
Commissions 1921 et 1925

Commissions de 1955 et 1959 (*)

15Le nom de Kautsky revient dans les années 1950. Dans la commission de 1959 – cette commission restreinte qui prend la main sur le programme à la fin du processus –, on voit apparaître le fils de Karl Kautsky, Benedikt. Ce dernier (1894-1960) est docteur en économie dès 1920. Avant d’être déporté en 1938, il est au service d’institutions ouvrières autrichiennes. S’il devient enseignant à l’université de Graz en 1950, et est, en 1959, directeur d’un institut bancaire coopératif, c’est plutôt en tant que rédacteur du programme social-démocrate autrichien de 1958 qu’il est convié à participer à la commission du SPD.
Illustration 1 – Photographie de la commission programmatique réunie à Görlitz (1921). Bonn, AdsD, FES 6/FOTA069331

16Les analyses sociographiques mettent en évidence l’affaiblissement de la contribution des institutions socialistes dans la formation des intellectuels du parti. La reconnaissance intellectuelle dépend, après la Seconde Guerre mondiale, de l’Université et des titres universitaires. En parallèle de cette évolution, les intellectuels universitaires sont désormais le plus souvent dépourvus de mandats ou de postes dirigeants au sein du parti : se dissocient donc savoir et pouvoir.
17La mutation du personnel partisan est d’abord visible au niveau du recrutement professionnel. Pour le mettre en évidence, on se base sur la première profession lorsque les sources le permettent. Les commissions des années 1920 sont dominées par des ouvriers à 45 % (dont 12 % d’ouvriers du livre). La commission de 1955 est à 13 % ouvrière (n = 56, données manquantes pour cinq individus). À 45 % (25 sur 56 renseignés), la commission est composée d’individus dont la première profession retrouvée est l’encadrement ou une profession intellectuelle (cadre administratif ou d’entreprise, enseignant).
Tab. 4 – Un niveau de diplôme en accroissement

18Dans les années 1920, les commissions programmatiques sont composées d’individus dotés d’un fort capital politique qu’ils cumulent avec une activité intellectuelle au sein des organisations de la presse partisane. Faiblement dotés en capital universitaire, ce sont souvent des ouvriers qui « réussissent à s’élever aux fonctions d’intellectuel, par exemple rédacteur d’un journal [dans la presse sociale-démocrate] au sein du parti » (Kautsky, 1960, p. 305), suivant la voie d’ascension classique au sein du SPD. En 1955, le cumul de ces deux reconnaissances, politique et intellectuelle, se fait plus rare. Apparaissent des universitaires sans mandat et une plus forte distinction entre capital culturel et capital politique. La reconnaissance culturelle n’est plus liée à la maîtrise des savoirs intellectuels partisans, à des postes de journalistes de parti, à des articles dans les revues socialistes.
19La transformation du recrutement des commissions est aussi visible au niveau de la formation des membres des commissions. 70 % des membres des commissions des années 1950 ont suivi une formation universitaire contre moins du quart dans les années 1920. Au sein de ces commissions, l’Université a donc détrôné la formation militante. Dans 53 % des cas, le niveau de diplôme revendiqué en 1955 est le doctorat (tableau 4). Nous n’avons pas isolé l’école du parti, fondée à Berlin en 1906 et refondée à Bergneustadt en 1956, en raison du peu de données recueillies à ce sujet : dans les années 1920, on recense un individu ayant suivi une formation annuelle et deux y exerçant une activité salariée. D’autres ont suivi des formations au sein d’autres institutions ouvrières ou syndicales.
20Cette transformation du profil des membres des commissions dénote une mutation du milieu social-démocrate autant qu’une mutation de la répartition des rôles au sein du parti. Elle montre que la commission programmatique n’est plus une instance de direction, mais une instance de production cantonnée à un rôle intellectuel. Dans les années 1950, le lien entre la réflexion intellectuelle sur la ligne du parti et la fixation de la ligne n’est pas direct comme il l’avait été lorsque les commissions programmatiques cumulaient poids politique et reconnaissance intellectuelle.
21Symptomatiquement, cette élévation du niveau de formation s’accompagne d’une érosion du niveau de participation à la presse de parti (tableau 5). En analysant la presse sociale-démocrate des années 1920, on montrera qu’elle joue un rôle crucial dans la production des compétences et de la reconnaissance intellectuelles. C’est à un chassé-croisé entre presse socialiste et Université que nous avons affaire.
22L’érosion du capital politique moyen détenu par les membres des commissions est un autre constat saillant (tableau 6). La détention de mandats électifs et de postes exécutifs (gouvernements locaux et nationaux) est, chez les membres de la commission de 1955, moindre que dans les années 1920, pour ce qui concerne les députés ou les ministres. Cet écart s’accroît lorsque l’on ne tient compte pour le calcul que des parlementaires au Reichstag ou au Bundestag sur la période (tableau 7).
23Sur un point, ces commissions ne diffèrent pas : la présence importante de membres du comité directeur (tableaux 8 et 9). Un tiers des membres du comité directeur appartient à ces commissions sur la période (14 et 35 % dans les années 1920). Au sein de la commission de 1955, ils concentrent un capital politique important : la moitié des membres de la commission n’a aucun mandat, quand les membres du comité directeur, qui ne constituent que 18 % des membres de la commission, lui fournissent le tiers du total de ses élus et dix de ses douze députés au Bundestag.
24Les femmes des commissions ont des trajectoires spécifiques. Elles sont, en effet, issues d’organisations féminines ou d’associations caritatives gravitant dans l’orbite du parti et sont en charge des questions féminines au sein du comité directeur du SPD : questions pédagogiques, culturelles, familiales, question de l’égalité homme-femme. En revanche, leur consécration intellectuelle est équivalente dans ses formes à celle des hommes : dans les années 1920, ce sont des intellectuelles de parti écrivant dans les journaux du parti et dirigeant des journaux spécialisés dans les questions d’égalité homme-femme alors que dans les années 1950, leur position au sein de la commission dépend de capitaux plus spécifiquement universitaires. Pour elles, vaut aussi l’effacement de l’intellectuel de parti au profit de l’universitaire.
25Enfin, près de la moitié des membres des commissions des années 1950 ont pris part à la résistance au nazisme ou ont dû quitter l’Allemagne après 1933. Certains ont suivi le Sopade (Parti social-démocrate en exil), d’autres ont pris part à d’autres groupements politiques, notamment le KPD (Kommunistische Partei Deutschlands [Parti communiste d’Allemagne]).
L’histoire de Willi Eichler, qui dirige la commission programmatique de 1955, est liée à son militantisme au sein d’une organisation de jeunesse, la Ligue socialiste militante internationale (ISK). Fondé dans les années 1920, ce groupement politique se fait connaître durant la résistance allemande au nazisme. Membre du comité directeur et, après 1951, permanent du SPD en charge des actions de formation et du programme, Willi Eichler, d’origine modeste (son père est postier et sa mère employée de maison), n’a pas de formation secondaire. Il effectue un apprentissage dans le commerce mais quittera son poste d’employé au début des années 1920 pour devenir permanent de la Ligue internationale de la jeunesse puis de l’ISK. Après avoir été fait secrétaire particulier du président, Willi Eichler en est lui-même devenu -dirigeant en 1927. Il était également journaliste de l’organisation. Après 1933, il s’exile en France puis à Londres où il mène le rapprochement de l’ISK et du SOPADE.
Tab. 5 – L'origine du capital intellectuel : de la presse à l'Université

Tab. 6 – Des responsabilités politiques en diminution

Tab. 7 – Une proportion de députés en forte baisse

26La participation à la résistance au nazisme est, d’ailleurs, l’un des critères mis en avant par Wolfgang Abendroth pour expliquer, à côté de son expertise juridique et de sa notoriété, sa propre nomination dans la commission programmatique de 1955 (Abendroth, 1976, p. 250).
Professeur à l’université de Marbourg, ce fils d’instituteur né en 1906 a étudié le droit et l’économie dans les années 1920 et soutenu une thèse à l’université de Berne en 1935. Dans les années 1920, Abendroth appartient au Parti communiste allemand (KPD) puis à un groupe de la dissidence communiste et ne peut plus étudier ni exercer d’activité dans le secteur public après 1933. Il est donc employé de banque jusqu’à son arrestation en 1937 pour activités antinazies. Il sera condamné à quatre années de travaux forcés. Soldat dans un bataillon disciplinaire après 1943, il déserte et se joint à la résistance grecque. Il est fait prisonnier par les Britanniques en 1944 et est libéré en 1946. Il devient professeur de droit public, d’abord dans la zone d’occupation soviétique puis en RFA, avant d’être nommé professeur de science politique à Marbourg.
Tab. 8 et 9 – L'intrication des commissions programmatiques et du comité directeur

27Les membres de la commission sont peu compromis (à 5 %) avec le régime (et peu ont connu une carrière sans à-coups après 1933). Futur ministre de l’Économie de Willy Brandt, Karl Schiller (1911-1994) apparaît, en ce sens, comme tout à fait atypique : son appartenance aux SA puis au NSDAP et sa carrière ininterrompue (il soutient son habilitation en 1939, est membre d’un groupe de recherche puis nommé professeur en 1944 sans pouvoir néanmoins assurer cette charge puisqu’il est mobilisé) ne sont pas le lot commun, y compris de ceux qui n’ont pas eu d’activité de résistance entre 1933 et 1945.
Les théoriciens-dirigeants des années 1920
28Étudiant les socialistes guesdistes français du début du xxe siècle, Marie Ymonet constate qu’un groupe de « théoriciens-dirigeants » (Ymonet, 1984, p. 14) cumule autorité intellectuelle et pouvoir politique. Ces théoriciens-dirigeants sont formés, par leurs activités militantes ou salariées au sein du parti, à la production idéologique. Le même constat vaut, d’après notre analyse, pour le SPD des années 1920 : le mandat intellectuel est souvent couplé au mandat politique.
29Durant cette décennie, les diplômés de l’Université, cela a déjà été signalé, ne sont pas les plus nombreux dans les commissions programmatiques : ils sont 22 %, dont 12 % de docteurs, auxquels doivent être ajoutés 7 % d’instituteurs qui se voient dispenser, à cette époque, une formation hors de l’Université. Cette proportion n’est pas négligeable ; cependant, plus de la moitié des membres des commissions ont commencé leur carrière par une profession manuelle : fabricant de cigarettes, maçon, peintre, typographe, mineur, jardinier, ouvrier-tourneur ou manœuvre, pour ne donner que quelques exemples. Du côté des professions libérales et intellectuelles, on compte trois juristes, un médecin, quatre enseignants (instituteurs et professeurs de lycée), deux professeurs d’université (tableau 10).
30Les membres des commissions des années 1920 détiennent un pouvoir politique au sein du parti. Dans leur écrasante majorité, ce sont, de 1921 à 1925, des professionnels de la politique au sens wébérien : ils vivent tant pour la politique que de la politique. Ils sont 34 (82,9 %) dans ce cas (tableau 10). Leur centralité se décèle également dans leur forte concentration à Berlin, où 58 % se retrouvent pour y occuper des postes au sein des institutions centrales du parti (Bonn ne joue pas ce rôle pour les membres de la commission de 1955). L’accès aux fonctions partisanes (aux postes de permanents du parti et des organisations) est, pour l’essentiel, un moment de conversion et de changement de trajectoire : les membres y acquièrent un capital politique délégué par le parti et aussi une compétence intellectuelle.
31Ce sont, par ailleurs, des intellectuels de parti. S’ils ont, aux deux tiers, une formation professionnelle et peu de titres scolaires, ils ont en revanche travaillé plus de dix années en moyenne au sein des journaux du parti. Leur activité de rédacteur dans la presse partisane (exercée par 75 % des membres) les a conduits à accumuler un capital intellectuel qu’ils ne détenaient pas en sortant de l’école. 13 % ont, en outre, été permanents syndicaux. Ils acquièrent par là une compétence et une reconnaissance théorique au sein du parti. Ainsi, Arthur Crispien (1875-1946), ouvrier (peintre) devenu professionnel de la politique, notamment, grâce à sa collaboration à la presse du parti, est l’auteur de brochures (en particulier, un Abécédaire marxiste [Crispien, 1931]) et du programme de l’USPD1 (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands [Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne]) (Crispien, 1920), en même temps que député et vice-président de ce parti.
32On trouve, dans ces commissions, les rédacteurs en chef de grands journaux et de grandes revues du parti. Par exemple, après avoir interrompu le lycée et avoir exercé la fonction d’employé de commerce, Wilhelm Sollman (1881-1951) est rédacteur en chef du Rheinische Zeitung [Gazette rhénane] à partir de 1911. Il est cofondateur du Sozialdemokratischer Parlamentsdienst en 1921, qui devient en 1924 le Sozialdemokratischer Pressedienst (c’est-à-dire l’agence de presse du parti). Diplômé d’économie, Friedrich Stampfer (1874-1957) est rédacteur en chef de l’organe officiel du parti, Vorwärts, à compter de 1902. Les rédacteurs en chef de l’organe théorique du parti (Die Neue Zeit jusqu’en 1923 puis Die Gesellschaft) sont bien sûr sélectionnés.
Tab. 10 – Des élus ouvriers. Premières professions exercées et professions principales au moment de la nomination des les commissions de 1921 et 1925 (en %)

33Les membres des commissions sont donc bien des théoriciens disposant de mandats politiques. En conséquence, il n’est pas étonnant que les caractéristiques des membres de la commission et ceux du comité directeur soient proches. Seuls 20 % environ des membres des deux instances ont effectué des études universitaires. Le recrutement social est néanmoins plus élevé que celui des membres du comité directeur : la part des membres du comité directeur exerçant comme première profession un métier ouvrier s’élève à 64 %, contre 45 % pour les membres de la commission.
Tab. 11 – Données synthétiques sur le comité directeur du SPD en 1921 et 1925

34Ce cumul des fonctions politiques et scientifiques de parti, qui fait de ces acteurs des dominants au sein de l’organisation politique, s’érode dans les commissions des années 1950.
Le savant et le politique : une division du travail après 1945
35Le mandat intellectuel est, pour la commission de 1955, découplé du mandat politique : on assiste donc à une nouvelle division partisane du travail. La séparation du capital politique et du capital intellectuel est rendue visible par la forte présence d’universitaires sans mandat politique au sein de la commission. À côté de ces universitaires sans mandat, un groupe de politiques sans ressources intellectuelles (scolaires) se distingue.
36Un groupe de spécialistes, plus spécifiquement d’universitaires sans mandat, apparaît dans la commission de 1955. 17 de ses membres occupent un poste scientifique (trois assistants, trois chercheurs dans un institut syndical, 11 professeurs). Deux membres de la commission sont des hauts fonctionnaires de la justice. Et huit ont un emploi de permanent du parti en lien avec l’expertise ou la formation, comme Willi Eichler. Les membres de la commission programmatique sont ainsi moins de 40 % à détenir un mandat législatif, local ou national, au moment de la commission contre 80 % dans les deux commissions des années 1920. À l’inverse, les universitaires sans mandat sont presque inexistants dans les commissions de 1921 ou de 1925, et les permanents sans mandat y sont également faiblement représentés.
Tab. 12 - Premières professions et professions principales au moment de la nomination des commissions de 1955 et 1969

37En retour, le comité directeur du SPD concentre le capital politique, mais peu de capital universitaire. La part des diplômés universitaires au sein du comité directeur est (plus de deux fois) inférieure à la moyenne constatée pour la commission de 1955 (68 %). 11 membres du comité directeur appartiennent à la commission, dont six n’ont pas reçu de formation universitaire. Presque tous les dirigeants nommés à la commission de 1955 ont, en revanche, un mandat politique. Ce sont les représentants du comité directeur qui concentrent la quasi-totalité des députés au Bundestag de la commission (9 sur 12).
38L’apparition d’un personnel universitaire sans mandat venant s’adjoindre au personnel politique est donc une nouveauté. On assiste ainsi à une transformation du système de production de la compétence intellectuelle. Celle-ci est aussi visible dans le recrutement professionnel des membres des deux commissions des années 1950 (tableau 12). Un tiers des membres de la commission commence leur carrière comme cadre, deux fois plus que dans les années 1920. Ouvriers ou employés sont moins représentés que dans les années 1920 : les ouvriers représentent 13 % de l’effectif, les employés 21 % (contre la moitié auparavant). En revanche, un cinquième des membres commence leur carrière dans les organisations partisanes ou syndicales comme salariés dans les années 1920, à l’instar du président du parti, Erich Ollenhauer.
Erich Ollenhauer (1901-1963) est élu président du SPD après le décès de Kurt Schumacher en 1952. Il le demeure jusqu’à son mort en 1963. La carrière d’Ollenhauer est celle d’un permanent du socialisme weimarien. Fils de maçon, il suit une formation de vendeur qu’il achève en 1918 en même temps qu’il adhère au SPD après avoir, en 1916, adhéré à la Jeunesse ouvrière socialiste [sozialistische Arbeiterjugend]. En 1919, il est journaliste au Volksstimme de Magdebourg puis est permanent de la Jeunesse ouvrière. En 1933, il accède au comité directeur du parti. Il émigre à Prague puis à Paris et à Londres. Il organise l’émigration de membres du SPD et participe à l’unification des groupes de résistance à Londres. Il est élu en mai 1946 vice-président du SPD.
39Sa trajectoire n’est pas sans lien avec celle du vice-président du parti, Herbert Wehner, même si celui-ci est issu du KPD.
Wehner est le fils d’un cordonnier et d’une couturière de Dresde, et a fait un apprentissage dans le commerce, mais son activisme politique (anarchiste) a fait bifurquer sa carrière. Dans les années 1920, Wehner (1906-1990) vit sans doute d’activités politiques dans la presse anarchiste. En 1927, il adhère au KPD et y acquiert rapidement des responsabilités salariées, d’abord au service du Secours rouge [Rote Hilfe] puis comme député au Landtag de Saxe (en 1930). Devenu cadre du KPD, Herbert Wehner est victime d’une purge durant son exil en Suède. De retour en Allemagne après-guerre, il adhère au SPD et devient député en 1949. Il est, en 1958, considéré comme un représentant de l’aile marxiste du parti.
40En 1955, ce sont les universités et les organismes de recherche qui produisent, reconnaissent et salarient les experts du parti. L’activité scientifique au service du parti nécessite désormais des titres et des postes de recherche. La recherche scientifique a été rendue autonome de l’activité politique.
41Ce constat est, du reste, partagé par les contemporains. Un rapport au comité directeur, présentant la nécessité de la constitution d’un bureau scientifique du SPD, l’indique de manière claire :
« Seules quelques personnalités politiques ont, de nos jours, la possibilité de collaborer à la recherche scientifique, et même dans ce cas, un individu ne peut avoir de vision que sur un segment de la recherche scientifique2. »
Tab. 13 - Données synthétiques sur le comité directeur du SPD (1945-1960)

Tab. 14 – Niveau de diplôme dans les principales instances dirigeantes du parti

42Les spécialistes du parti doivent désormais jouir d’une reconnaissance extérieure au parti. En atteste un échange épistolaire entre Heinrich Albertz et Willi Eichler. Membre de la commission de 1955 et lui-même diplômé de théologie, Heinrich Albertz (1915-1993) détient, de par son militantisme et son occupation de postes ministériels, une compétence dans le domaine des réfugiés et des expulsés allemands. Depuis 1949, il est aussi président de la grande association caritative du mouvement ouvrier [Arbeiterwohlfahrt]. Le « pasteur des réfugiés » s’étonne de la constitution très académique de la commission :
« En réponse à ta lettre du 5 mars [1955], je dois te dire que je suis profondément impressionné par le nombre de grades universitaires dans les propositions de composition de la commission programmatique. Si j’ai bien compté, sur 34, ils sont 28 et seuls six n’ont pas de titre universitaire. Cela me fait une drôle d’impression3. »
43Le capital universitaire fait une « une drôle d’impression », en particulier à un théologien qui a suivi une partie de ses études sous forme de séminaires illégaux sous le nazisme. Éclairant les critères de sélection des membres de la commission, c’est par leur compétence qu’Eichler justifie leur présence au sein de la commission :
« En ce qui concerne les universitaires dans la commission, nous sommes obligés de prendre des gens qui ont étudié des questions spécifiques de manière approfondie et, de nos jours, comme tu le sais, cela va de plus en plus de pair avec l’exercice d’une profession académique4. »
44Eichler considère la formation et la recherche universitaires comme un indicateur approprié de la compétence, en partageant l’étonnement d’Heinrich Albertz, puisqu’il considère comme nouveau (« de nos jours », « de plus en plus ») ce lien entre expertise sectorielle et activité universitaire.
45L’autonomisation du capital intellectuel est corrélée à une érosion de la surface politique des membres de la commission de 1955, si l’on veut bien entendre par là une diminution de leur détention de positions de pouvoir au sein du parti ou de mandats électifs. La détention d’un mandat au Reichstag ou au Bundestag diminue significativement entre les commissions de Görlitz et d’Heidelberg et celle de Bad Godesberg. 22 membres de la commission (33 %) ont un mandat dans un Landtag ou au Bundestag lorsque la commission se réunit, contre 80 % des membres des commissions des années 1920. Seule un peu plus de la moitié dispose ou a disposé d’un mandat ou d’un poste ministériel (tableau 6). Le capital politique collectivement détenu par la commission est donc plus faible et concentré entre les mains d’un nombre d’acteurs plus réduit que par le passé : on assiste donc à l’arrivée en politique d’universitaires sans mandat.
46Cette situation n’est pas liée à une mutation du personnel politique social-démocrate. Elle serait plutôt due à la délégation à une commission d’un travail perçu comme scientifique. Une telle surreprésentation universitaire ne se retrouve d’ailleurs, à cette époque, dans nulle autre instance politique au sein du parti, hormis dans les instances d’expertise (tableau 14).
47À l’inverse, les membres du comité directeur, après 1945, ne détiennent pas un capital universitaire comparable à celui concentré dans la commission. Leur légitimité est d’abord politique et élective. De 1945 à 1960, 71 individus ont siégé 4,3 années en moyenne au comité directeur, la moitié y a siégé plus de quatre années et un tiers (19) dix années ou plus. La première élection au comité directeur se fait à quarante-neuf ans en moyenne. Ces membres du comité directeur sont à près de 90 % (62) dotés d’un mandat législatif ou membre d’un exécutif, à 60 % (43) au Bundestag et à 27 % (19) députés dans un parlement régional ou ministres d’un Land. En revanche, 15 % d’entre eux sont titulaires d’un doctorat (11, dont deux honoris causa) : 54 % des membres de la commission présentent ce niveau d’études. Seuls deux (3 %) sont professeurs contre 15 (24 %) dans les effectifs de la commission programmatique. Les études universitaires sont également rares (un tiers, contre 65 % pour les membres de la commission). Si le tiers d’entre eux exerce des professions intellectuelles, un cinquième (16) est issu d’une profession ouvrière et 13 sont employés. Au cours de leur carrière, un certain nombre migre d’un groupe professionnel à l’autre (en particulier en passant d’une profession manuelle à une profession intellectuelle). Il faut attendre les années 1970 pour que les députés sociaux-démocrates au Bundestag s’alignent sur le modèle des autres groupes parlementaires, accordant une place importante aux diplômés de l’université. Les non-diplômés qui étaient majoritaires au sein du Bundestag en 1949 représentent 30 % de l’ensemble des députés en 1972 (Wessel, 1997, p. 91). En 1949, la moitié des députés sociaux-démocrates ne sont pas allés au-delà de la scolarité obligatoire. À l’inverse, les près de 40 % de diplômés universitaires de 1949 (65 % pour la commission) en deviennent plus de 60 % vingt ans plus tard (Achin, 2005 ; Best, Hausmann et Schmitt, 2000, p. 150-151).
48En résumé, la composition des commissions révèle que, dans les années 1920, le niveau de formation des membres est faible. Ce personnel politique, par ailleurs d’origine essentiellement populaire, a acquis des compétences intellectuelles au sein du parti et, notamment, de ses organisations journalistiques. Ces individus détiennent, en revanche, un fort capital politique.
49Dans les années 1950, la situation est clivée entre universitaires et scientifiques sans mandat et dirigeants politiques. Les universitaires sont faiblement dotés en capital proprement politique. En revanche, ils coexistent avec des dirigeants détenant des mandats électifs, plus rarement diplômés et occupant peu de fonctions de recherche alors que l’activité académique est corrélée dans le discours indigène à la capacité à rédiger le programme.
La mutation des viviers de recrutement des commissions programmatiques
50La mutation du profil des membres des commissions programmatiques sanctionne l’échec des efforts entrepris après 1945 pour reconstituer certains segments organisationnels du milieu social-démocrate. Ainsi, les associations sportives, organisations sociales-démocrates de masse de la république de Weimar, ne renaissent pas, de même que, par exemple, les chœurs, théâtres et harmonies ouvrières du SPD (Klenke, Lilje et Walter, 1992).
51On sait aussi que les liens entre le SPD et les syndicats perdent après 1945 leur caractère quasi organique, notamment en raison de la fondation, en 1949, de la centrale confédérale qu’est le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund [Confédération des syndicats allemands]) : celle-ci met fin à la segmentation du syndicalisme allemand entre syndicats sociaux-démocrates et syndicats confessionnels, en particulier catholiques.
52Cette unification syndicale oblige les dirigeants à euphémiser les liens entre DGB et SPD par une reconnaissance de l’indépendance formelle des deux organismes, même si les syndicats continuent à fournir une aide au parti et si les syndiqués sont encore largement présents dans les rangs de ses effectifs et de sa direction (Pirker, 1979 ; Schönhoven, 2003). Les secrétaires des travailleurs, sortes de permanents syndicaux spécialisés dans la défense de cas personnels et vivier important de la social-démocratie, disparaissent en tant que groupe social, ce qui modifie davantage encore le rapport entre social-démocratie et syndicalisme.
53La mutation du milieu social-démocrate a un impact direct sur le recrutement intellectuel au sein du parti. Cependant, il ne faut pas anticiper les mutations dans la composition militante du parti et faire de Bad Godesberg le symptôme d’un « embourgeoisement » qui sera plus tardif. Bad Godesberg ne saurait avoir quelque chose à voir avec une quelconque érosion de la base ouvrière du SPD. En effet, les travailleurs constituent encore dans les années 1950 plus de la moitié des plus de 600 000 membres du SPD. À côté des 12 % de retraités en 1952, les ouvriers, qualifiés et non qualifiés, représentent 45 % de l’effectif du parti, les employés, 17 %. Entre 1956 et 1966, les ouvriers représentent toujours plus de 50 % des nouveaux adhérents. Ce n’est qu’après 1967 que l’afflux massif de nouveaux membres, issus des mouvements étudiants, altère cette composition. Dans les années 1970, les ouvriers représentent moins de 30 % des nouveaux adhérents, les étudiants et élèves entre 10 et 15 % et les employés autour de 22 %. Or, ce sont les années 1969-1973 qui drainent les plus fortes cohortes de nouveaux membres : entre 75 000 et 155 000 nouveaux adhérents chaque année, contre 50 000 entre 1960 et 1967 (Heimann, 1984b, p. 2 173 et suiv.). Aussi, en 1977, les ouvriers ne représentent-ils plus que 22 % des membres du SPD, 31 % en intégrant les retraités. De la même manière, les archives du SPD indiquent de manière claire que les ouvriers sont considérés comme la cible électorale principale du parti dans les années 1950. Si Bad Godesberg est une mutation idéologique, cette mutation ne peut donc pas être directement corrélée à l’érosion de sa base militante ouvrière ou à une transformation de la cible électorale, qui n’aura lieu que plus tard.
54Les transformations du milieu partisan vont dans le sens d’une autonomisation de certains milieux professionnels (journalistes, universitaires) vis-à-vis du monde politique. Cette autonomisation aux modalités différentes à l’égard du parti conduit à fonder les conditions matérielles et sociales d’une division partisane du travail.
D’une presse partisane, école des cadres du parti, à une presse indépendante
55Dans les années 1920, la participation à la presse de parti est typique du cursus honorum social-démocrate. Cette presse disparaît sous son ancienne forme après 1945. Cette transformation du milieu a une incidence sur la division partisane du travail.
56Les entreprises de presse ont partie liée avec le développement des organisations partisanes : presse et parti sont des « frères siamois de la politique » dans les années 1920 (Kantorowicz, 1922, p. 3). Le rôle des journalistes dans la constitution du personnel politique n’est pas une spécificité allemande. De manière générale, les journalistes ont « des chances d’accéder aux postes de direction politique », notait déjà Max Weber (Weber, 1963). Mattei Dogan souligne l’importance de cette filière de recrutement sous la IIIe et la IVe République en France – le journalisme marque le cursus honorum d’un sixième des députés de la IVe République et d’un tiers des députés de la IIIe République. Mattei Dogan renvoie à Max Weber qui « remarquait au lendemain de la Première Guerre mondiale que de plus en plus la politique se faisait en public, avec des mots parlés ou écrits, et que, pour cette raison, les publicistes politiques, tout particulièrement le journaliste, étaient devenus les représentants les plus importants de l’“espèce parlementaire” » (Dogan, 1967, p. 483).
57L’activité journalistique forme les bases d’une notoriété individuelle et, du point de vue de l’organisation politique, rend possible le maillage d’un territoire. Cette notoriété donne les chances d’être élu dans une démocratie représentative (« pour être élu, il faut d’abord être connu » [Dogan, 1967, p. 482]). Les entreprises de presse permettent, par ailleurs, de déployer un réseau national de correspondants de presse, de structurer une offre politique ou de consolider la notoriété d’une marque partisane (Offerlé, 1988 ; Phélippeau, 2002).
58D’une manière plus générale encore, la social-démocratie – et, avec elle, l’essentiel des autres organisations partisanes – est liée à des entreprises de presse qui sont des organes du parti au niveau local ou national (Vorwärts, la revue Die Neue Zeit puis Die Gesellschaft). Ces journaux sont partisans et offrent des postes par lesquels la plupart des rédacteurs des programmes dans les années 1920 sont passés.
59Entre 1919 et 1933, on sait que la part des permanents du parti et de sa presse au sein du Reichstag fluctue entre 45 et 51 %. Cette évolution est liée à l’accroissement en nombre du groupe social-démocrate qui met un terme, dans la vie parlementaire allemande, à la domination des notables. Entre 1867 et 1933, près de 50 % de tous les parlementaires sociaux-démocrates dans toutes les chambres (Reichstag et ensemble des diètes des États) sont salariés du parti ou des organisations ouvrières avant leur élection. Cette proportion est plus forte pour le Reichstag : les trois quarts des députés sociaux-démocrates sont en effet des permanents.
60De 1919 à 1933, 30 % travaillent comme journalistes de parti au moment de leur élection et 50 % ont transité par la presse partisane au cours de leur carrière. Cette situation correspond à celle qui prévalait entre 1871 et 1918 (Sperlich, 1983, p. 53). Après la Seconde Guerre mondiale, leur nombre décline : moins de 15 % des députés sociaux-démocrates déclarent comme profession antérieure celle de journaliste (en général) en 1949 et cette proportion décroît continûment sur la période 1949-2000.
La presse sociale-démocrate sous Weimar
61La presse constitue un maillon crucial d’objectivation de l’existence du SPD : presse de masse, elle fait exister la marque socialiste. Son implantation, interrompue par la loi sur les socialistes (1878), est très rapide après l’abrogation de celle-ci en 1890. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène purement social-démocrate : toutes les organisations partisanes allemandes disposent de leurs entreprises de presse. Cet investissement partisan poursuit un objectif d’agitation politique et d’éducation populaire. Le rôle propagandiste donné à la presse le montre : ainsi, pour mesurer l’efficacité de la presse sociale-démocrate, les rapports d’activité du parti calculent un rapport entre le nombre de lecteurs et le nombre d’électeurs.
62Le lien consubstantiel entre presse et parti fait des scissions partisanes des opportunités de création d’entreprises de presse. Entre 1917 et 1920, à la suite de la naissance de l’USPD en opposition à la politique militaire de la majorité du groupe social-démocrate, 119 journaux voient le jour. D’après les comptes rendus des congrès du parti, le SPD en conserve, en 1920, 139, sous forme de propriétés directes du parti ou, dans six cas, sous celle, traditionnelle, de mandataires privés. Le nombre de titres de presse sociale-démocrate est en expansion jusqu’en 1929. Les tirages s’établiraient à 1 700 000 exemplaires quotidiens en 1919 et à 1 090 000 en 1924 (Stöber, 2014, p. 247).
63En 1921, un questionnaire envoyé aux entreprises de presse (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, 1921, p. 37-39) indique que 300 rédacteurs travaillent dans la presse sociale-démocrate (à l’exclusion des entreprises de l’USPD) dans 144 journaux. Il faut y ajouter environ 800 salariés administratifs et 3 000 salariés dans le domaine technique de l’impression ainsi que les nombreux collaborateurs occasionnels qui ne sont pas dans des relations contractuelles avec la presse, mais qui reçoivent des honoraires fixés par des conventions collectives. Pour les écrivains comme Kautsky, ces honoraires, tirés de l’édition de livres, brochures et articles, peuvent constituer une part importante de leurs revenus5, même si, par ailleurs, les rémunérations des rédacteurs sont basses. Comme la plupart des journalistes sociaux-démocrates, Kautsky est d’ailleurs membre de l’association de la presse ouvrière (Verein Arbeiterpresse dont les statuts datent de 1901 et 1902). Cette association est destinée à l’ensemble des personnels des entreprises de presse du parti et de ses organisations6. Elle fournit une assurance en cas d’invalidité, ou de décès pour une veuve ou des enfants.
64En 1925, la presse sociale-démocrate est l’une des presses partisanes les plus importantes. Cette année-là, en Allemagne paraissent 3 152 titres, dont la moitié environ sous contrôle partisan. Parmi les journaux contrôlés par un parti, si le SPD fait moins bien que le Zentrum par exemple (284 titres), 142 titres sont sociaux-démocrates, ce qui représente 4,5 % de la presse quotidienne allemande (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, 1925, p. 65). Cette proportion culmine en 1929 avec près de 10 % des titres de presse, 203 titres (Boll, 2002, p. 183). La crise de 1929 conduit à une rationalisation des entreprises de presse (diminution du nombre de journaux). En 1932, il reste 135 titres de presse sociaux-démocrates (Koszyk, 1972, p. 314).
65Le journalisme social-démocrate se professionnalise au début du xxe siècle. Cette presse dispose, en effet, de critères de définition de l’excellence professionnelle, d’institutions objectivant le groupe et d’une autonomie liée aux caractéristiques personnelles mais aussi aux capacités de mobilisation collective. Dotés d’une caisse de mutuelle, les rédacteurs de journaux disposent d’une école et leur savoir-faire est même objectivé dans des manuels. Leur travail est organisé autour d’agences de presse, officielles (Kampffmeyer, 1929) et privées, d’initiative individuelle, distinctes de celles de la presse « bourgeoise ». Cette presse s’auto-nomise de la direction du parti à travers la constitution de commissions de presse en charge du fonctionnement des journaux et des conflits entre directions locales du parti et journalistes. Waltraud Sperlich rappelle qu’il « est reconnu à la commission de presse [chargée de trancher les litiges concernant les questions journalistiques] un statut égal à celui du comité directeur du SPD en raison des conflits qui surviennent de manière sporadique entre le comité directeur et cette commission de presse et en raison du manque de clarté des domaines de compétences » (Sperlich, 1983, p. 39).
66Cette autonomie se conçoit donc aussi comme la capacité d’un groupe de résister, au nom de critères professionnels, aux injonctions des dirigeants politiques, alors même que la stratégie des journalistes et leurs représentations de leur métier sont indissociablement politiques et sociales.
La presse comme école des cadres du parti
67Les dernières décennies de l’Empire et les années de la république de Weimar sont celles de l’institutionnalisation d’une carrière politique sociale-démocrate au cours de laquelle le passage par le journalisme fait figure d’étape dans le cursus honorum des hommes et femmes politiques. Le journalisme de parti est un des lieux de conversion du militantisme en compétence intellectuelle et organisationnelle. Pour le dirigeant du SPD, August Bebel, « les salles de rédaction de la presse ouvrière fonctionnent comme les universités pour les enfants d’ouvriers » (Stampfer, 1957, p. 27). Cette presse est une institution d’acquisition de compétences lettrées et permet la reconnaissance intrapartisane de ces compétences.
68Issus majoritairement des couches sociales ouvrières, les théoriciens des commissions ont, pour les trois quarts d’entre eux, exercé une activité de journaliste du parti. Ceux qui ont reçu une formation secondaire ou supérieure intègrent fréquemment le parti par ce type de fonction et s’y font un nom. À côté de ces intellectuels, Karl Kautsky distingue les « prolétaires qui réussissent à s’élever aux fonctions d’intellectuel dans le parti – par exemple celles de rédacteur d’un journal » (Kautsky, 1960, p. 305). Ces postes permettent une salarisation rapide au service du parti (Sperlich, 1983, p. 42), et donc de vivre de la politique.
69Ces formes de professionnalisation constituent des étapes parfois décisives dans les carrières politiques des membres des commissions programmatiques des années 1920. Trois trajectoires, deux d’ouvriers en ascension et une d’une employée en reconversion socialiste, montrent le rôle que peut jouer la presse dans le cursus politique.
Ouvrier, Wilhelm Keil (1870-1968) décrit dans ses mémoires son activité journalistique comme l’événement déclencheur de sa carrière politique (Keil, 1947, p. 55). Ayant achevé son compagnonnage en 1893, il devient immédiatement collaborateur d’un journal puis employé syndical. En 1896, il est rédacteur au Schwäbische Tagewacht puis est élu au parlement de Wurtemberg et au Reichstag en 1900 et en 1907. Il cumule les trois fonctions jusqu’en 1911 puis de 1923 à 1930. Il devient ministre de 1921 à 1923.
Membre du SPD en 1895 et imprimeur pour la presse du parti en septembre 1898, Paul Löbe (1875-1967) passe en janvier 1899 à la rédaction, exclusivement ouvrière (Löbe, 1949, p. 46-47), du Volkswacht de Breslau. Il y reste jusqu’en 1920. À partir de 1903, il est candidat du SPD au Reichstag. Il est élu député à l’assemblée nationale de Weimar en 1919. En 1920, il devient député et président du Reichstag (1920-1933), ce qui l’amène à collaborer à Volkswacht comme correspondant à Berlin.
Membre du SPD dès 1908, Toni (Sidonie ou Tony) Sender (1888-1964) abandonne son poste d’employée dans une entreprise privée en raison de son recrutement dans un journal de l’USPD en 1919 (Steen et Weiden, 1992, p. 41), le Volksrecht de Francfort-sur-le-Main. Ce recrutement s’accompagne la même année d’une candidature à l’assemblée nationale. Elle est élue au Reichstag l’année suivante et siège jusqu’en 1933.
70La salarisation par le parti est pour beaucoup la condition sine qua non en vue de candidater (ou de faire campagne) pour le SPD. Cette salarisation libère les individus des risques professionnels qu’encourent ceux qui militent ouvertement pour le SPD – cette situation de risque professionnel explique le poids des permanents politiques (et des entrepreneurs indépendants) dans le recrutement social des députés. Arthur Crispien évoque, dans son autobiographie, l’insécurité professionnelle liée à son militantisme et la protection apportée par une telle salarisation7. D’ailleurs, cela vaut aussi pour certains diplômés d’université et fonctionnaires, rayés des cadres pour leur appartenance au SPD et auxquels la presse fournit une carrière compatible avec leur engagement politique.
71La presse sociale-démocrate répond aux exigences théoriques et scientifiques du parti. Paul Kampffmeyer signale, ainsi, que ce qui fait un bon journaliste est la connaissance des théories, de l’histoire et de la littérature scientifique du SPD. Le « cursus de formation des rédacteurs » objective ce savoir-faire scientifique et politique8. Son public est essentiellement ouvrier et son objectif est à la fois théorique (rapporter les événements d’un point de vue socialiste) et pratique. Il s’agit de « créer ce qui n’existe pas encore en dépit des 150 journaux sociaux-démocrates : le vrai journal-type ouvrier, solide et intéressant, qui saurait commenter des événements correctement rapportés d’un point de vue socialiste », ainsi que le décrit Adolf Braun (1862-1929).
Ce dernier, juriste d’origine juive autrichienne, devient rédacteur d’un journal autrichien dès la fin de ses études. Il occupe des postes dans la presse du SPD avant de devenir en 1898 rédacteur en chef du Fränkische Post, membre du comité directeur du SPD et député de 1919 à 1927.
72C’est au sein de son journal qu’il crée une formation d’une durée de six semaines qui alterne cours théoriques donnés par Adolf Braun (sur le fonctionnement de la presse, la législation, le rubricage) et exercices rédactionnels.
73Au-delà des compétences lettrées, les « pères du journalisme de parti, écrit Sperlich, voient dans leur activité de rédacteur une quasi-formation au poste parlementaire » (Sperlich, 1983, p. 43). Le passage par la presse agit comme un moment de socialisation aux théories socialistes – certains rédacteurs sont décrits comme des « professeurs du socialisme » –, mais aussi comme des lieux de reconnaissance des compétences intellectuelles, certains articles servant de discours aux acteurs centraux du SPD (comme pour leurs discours au Reichstag [Dittmann et Rojahn, 1995, p. 43‑45). En tant que lieu de socialisation politique et lieu d’acquisition d’une visibilité politique, la rédaction des journaux apparaît comme une étape dans la carrière des théoriciens-dirigeants du SPD. Président du SPD, Erich Ollenhauer le rappelle dans son éloge funèbre de Wilhelm Dittmann :
« L’histoire de la vie de Wilhelm Dittmann est l’histoire du mouvement ouvrier allemand, surtout l’histoire de la social-démocratie allemande depuis le début de ce siècle. À à peine trente ans, Wilhelm Dittmann est devenu journaliste à Bremerhaven puis à Solingen, puis secrétaire du parti à Francfort-sur-le-Main et enfin de 1909 à 1917, à nouveau, journaliste à Solingen. En 1912, lors des dernières élections parlementaires avant la Première Guerre mondiale, Dittmann a été élu au Reichstag en raison de la confiance que lui témoignèrent les électeurs de la circonscription de Remscheid-Lennen-Mettmann. Il demeura député plus de vingt ans9. »
74Ce condensé de l’histoire de Dittmann, auquel on pourrait ajouter qu’il a été rédacteur en chef de l’organe officiel de l’USPD en 1922, souligne l’importance des postes de journaliste dans des entreprises partisanes, mais aussi le fait que ces postes se cumulent. Lieux de formation théorique et pratique à la politique, ils n’enferment pas dans une carrière qui serait celle des « lettres » ou de l’écrit.
75Les positions journalistiques ou éditoriales ne sont, du reste, pas les seules positions intellectuelles que ces membres des commissions occupent, ou ont occupé, au sein du réseau des organisations. Pour se limiter tout d’abord aux positions dans le « monde culturel » de la social-démocratie, plusieurs membres de la commission ont fait un passage par le directoire du théâtre berlinois, Volksbühne (Bonnell, 2014). De même, certains collaborent à la constitution des archives et de la bibliothèque centrale du parti. La presse, cependant, joue un rôle crucial en raison de son importance dans le cursus honorum social-démocrate et de sa vocation consciemment socialisatrice. L’emploi journalistique est le moment de la conversion intellectuelle des militants, pour beaucoup de fils et filles d’ouvriers.
L’échec de la reconstruction de l’empire de presse social-démocrate
76Certains courriers à la direction du SPD, dans la deuxième moitié des années 1950, déplorent que les sociaux-démocrates en soient « réduits à utiliser la presse indépendante dont les tendances sont pourtant connues » alors qu’à l’Est, l’« ancien système de presse a été immédiatement remis en état10 ». Pour les dirigeants du SPD, Weimar est en effet un modèle. La reconstitution du parti va au-delà de la seule organisation : elle s’étend au milieu partisan et à la reconstitution d’un ensemble d’institutions considérées comme la base du parti (maisons d’édition, associations diverses comme l’association de jeunesse Die Falken et l’association caritative Arbeiterwohlfahrt, fondation puis école dans les années 1950).
77Parmi ces institutions, la reconstruction de l’empire de presse socialiste fait pourtant long feu. Ce ne sont pas tant les moyens matériels qui manquent, même s’ils sont une entrave certaine, que la relation organique entre presse et parti qui est brisée par le nouvel environnement professionnel et réglementaire.
78Les dirigeants du parti cherchent à reconstituer cette base du système d’action partisan tel qu’ils le connaissent. Dès 1945, la holding de presse du parti (Konzentration GmbH) est remise sur pied. En 1948, 23 quotidiens ont été créés dans les trois zones d’occupation occidentales. Les entreprises de presse de la zone soviétique sont, certes, souvent refondées (comme le renommé Leipziger Volkszeitung) mais passent sous contrôle du parti unique, et les journaux de Prusse orientale sont, eux, bien sûr, perdus en raison du déplacement des frontières allemandes. À l’Ouest, à côté de Vorwärts, d’autres journaux aux noms prestigieux sont fondés, comme, à Cologne, La Gazette rhénane (créée en 1946, liquidée en 1951), à laquelle Karl Marx avait contribué avant son exil londonien, le Fränkische Tagespost (1948, quotidien à partir de 1953, liquidation en 1971) d’Adolf Braun à Nuremberg ou le Sozialdemokrat (créé en 1946, liquidé en 1951) d’Eduard Bernstein à Berlin.
79Plusieurs obstacles rendent la reconstitution des entreprises de presse socialistes difficile. D’une part, le contrôle par les Alliés des publications à travers la distribution des licences d’autorisation et du papier. La politique de distribution des licences à l’Ouest marque un changement d’époque qui aboutit à la mise en place d’une presse quotidienne indépendante. Les Alliés attribuent des licences en nombre limité (Dussel, 2011) et ne les attribuent pas à des organisations mais à des personnes physiques. Cette forme d’organisation, si elle n’empêche pas, après la fin du système des licences, la prise en main par Konzentration GmbH de la plupart des entreprises de presse, pose des bases juridiques d’un journalisme plus -détaché du parti.
80En outre, les journaux sociaux-démocrates subissent le double effet d’une baisse du lectorat, divisé de moitié entre 1949 et 1953, et de la volonté de concentration des entreprises par le parti. Sa direction cherche, en effet, à rationaliser l’usage des moyens en raison des importantes subventions accordées par Konzentration à certains journaux (500 000 DM au Sozialdemokrat en 1950, Die Freiheit à Mayence, en « quasi-faillite », demande une augmentation de capital de 80 000 DM [Albrecht, 2003, p. 387]). Le cas de la Gazette rhénane illustre les difficultés économiques des journaux socialistes. Le journal fait l’objet de plusieurs plans de « rationalisation » dès les premières années d’exploitation11. Entre 1950 et 1951, le journal perd 10 % de sa diffusion. Des banques syndicales sont appelées à la rescousse et accordent des prêts à la Gazette rhénane qui absorbe le Rheinecho, un autre journal socialiste. En 1952, un plan de licenciement est décidé. Le processus de concentration se poursuit fin 1952 où la Gazette est absorbée par un groupe de presse plus important. Dans ces opérations, le SPD perd la part minoritaire du capital qu’il avait acquise.
81Le nombre de journaux sociaux-démocrates reste donc limité. Il stagne autour d’une vingtaine de titres dans les années 1950, et est plus faible qu’à la fin des années 1940. Le nombre de rédactions est donc plus limité. Ce mouvement de concentration de la presse est d’ailleurs général en Allemagne. Peu de villes de plus de 10 000 habitants disposent de plus d’un quotidien, comme c’était le cas dans les années 1920. En 1964, 18 % des circonscriptions ne disposent que d’un seul journal local (en plus des journaux nationaux). Dans les années 1970, le SPD cède une partie de ses imprimeries et de ses journaux, même si Konzentration GmbH dispose toujours de capitaux dans un ensemble d’entreprises de presse. En bref, l’empire de presse social-démocrate ne renaît pas de ses cendres.
82Par ailleurs, et peut-être plus fondamentalement, la professionnalisation du journalisme – c’est-à-dire le fait que le journalisme s’institutionnalise comme une profession autonome dotée de ses propres règles – interdit que soient rétablis des liens organiques entre journaux et partis, quand bien même des liens capitalistiques existeraient. Les journalistes ne sont plus nécessairement membres du SPD et les rédacteurs en chef sont les seuls en contact avec Konzentration GmbH12. Dans l’orbite du parti, le type de journaux dominant est celui d’une presse sympathisante, d’orientation sociale-démocrate mais dont les journalistes restent indépendants (Brünner, 1996, p. 75-77). En 1950, un seul journal conserve, dans son ours, une référence explicite au parti. Ainsi, plus important tirage des journaux sociaux-démocrates (il fait plus du tiers du tirage global), le Hamburger Morgenpost est fondé sur le modèle d’un journal de boulevard et non d’un organe politique (Wimmer, 2012). Une nouvelle conception du journalisme basée sur l’indépendance se dégage : une professionnalisation journalistique, non partisane, semble devenir la norme.
83L’exemple de Fritz Sänger peut illustrer cette nouvelle revendication d’autonomie. Membre du SPD depuis 1920, Fritz Sänger (1901-1984), instituteur de formation, est en 1927 rédacteur d’un journal professionnel des enseignants. Interdit d’exercice après 1933, il devient journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung à partir de cette époque. Après la guerre, il est élu parlementaire au Landtag de Basse-Saxe en 1946 et nommé rédacteur en chef du service de presse social-démocrate. Dès 1947, il abandonne cependant la carrière politique pour se consacrer à la direction de l’Agence de presse allemande.
84Lorsqu’il en est licencié en 1959, il met un point d’honneur à ce que lui soit reconnue la neutralité de sa direction : il n’aurait pas « mêlé ses convictions socialistes avec le traitement des nouvelles » (Sänger, 1978, p. 205 et suiv.). Cette même année, il est secrétaire de la commission préparant l’ultime version du programme de Bad Godesberg. Analysant, en 1957, les causes de la défaite électorale du SPD dans une lettre à Erich Ollenhauer, Fritz Sänger constate qu’il « n’a pas été possible de mettre les journaux proches du parti sur une même ligne ». Il souligne qu’il est important d’instaurer une « relation de confiance » avec les journalistes qui « travaillent librement » : « Les journalistes doivent être informés et non régentés13. » La carrière journalistique se distingue donc de la carrière politique et est associée à des standards d’indépendance, étrangers au journalisme partisan des années 1920.
85La presse constituait l’espace de production le plus évident des compétences intellectuelles dans un SPD weimarien dirigé par des ouvriers se formant sur le tas. La déstructuration du milieu social-démocrate conduit à renforcer le poids des institutions « bourgeoises » dans sa production intellectuelle, en particulier des institutions universitaires qui s’ouvrent aux sociaux-démocrates après 1945.
Université et milieu partisan
86L’Université n’est pas, en Allemagne, l’espace le plus accueillant pour les sociaux-démocrates, ni sous l’Empire ni sous Weimar, et l’on ne peut pas considérer que 1945 constitue une césure massive. Néanmoins, l’Université s’ouvre plus que par le passé aux sociaux-démocrates, ce qui suffit à en faire un vivier potentiel, qui va être, en 1955, très largement sollicité.
Une transformation des relations entre Université et parti
87Entre 1920 et 1950, les rapports entre Université et parti changent. Sous Weimar, le cumul des positions des membres des commissions programmatiques (journaliste, député, rédacteur du programme, etc.) équivaut à un cumul de ressources (politiques et intellectuelles). Avec l’entrée d’universitaires au sein de la commission, le modèle devient celui d’un échange de ressources entre l’Université (la recherche dite « libre ») et le parti. 21 membres de la commission de 1955 exercent une profession dans la recherche : 18 sont affilés à des universités et instituts, un est professeur ordinaire à l’Académie du travail de Francfort financée par la Hesse et le DGB, trois sont chercheurs dans un centre de recherche syndical. Parmi ces 21 individus, 15 sont professeurs.
88Dans les années 1920, le SPD se défie des milieux universitaires. Les théoriciens du parti contrôlent la ligne politique et cantonnent l’activité des universitaires aux besoins techniques, sans possibilité d’intervention sur la théorie générale du parti. Ainsi, l’Association des universitaires sociaux-démocrates, composée de détenteurs de diplômes universitaires, fournit une expertise technique à la direction du parti. La domination de dirigeants-théoriciens limite néanmoins son intervention dans la définition du programme du parti. Les théoriciens-dirigeants du SPD combattent constamment les interventions de cette association dans les orientations stratégiques et idéologiques du parti. À la fin des années 1920, les velléités d’intervention de ces universitaires dans la ligne du SPD se font plus insistantes et valent à l’association de perdre le soutien du parti (Walter, 1990).
89Ces relations méfiantes sont renforcées par la faiblesse de l’ancrage de la social-démocratie au sein du corps professoral universitaire. Isabelle Kalinowski a noté l’hostilité de l’Université allemande vis-à-vis du marxisme (Kalinowski, 2006, p. 227-228), que d’autres historiens soulignent aussi, à travers également les controverses liées aux enseignements de professeurs sociaux-démocrates. La faiblesse de l’insertion des sociaux-démocrates au sein de l’Université découle également du faible intérêt des scientifiques sociaux-démocrates pour la carrière universitaire. Ce faible ancrage général n’empêche pas les scientifiques du parti les plus reconnus de recevoir des propositions de chaires universitaires, tels Eduard Bernstein et Karl Kautsky. Le premier accepte une charge de cours (1920), mais abandonne rapidement son activité à la Humboldt pour se consacrer à sa seule activité politique (1921). Le second décline les propositions de chaire universitaire qui lui sont faites. Leur carrière intellectuelle se fait donc dans le parti.
90Après 1945, l’Université ne devient pas massivement sociale-démocrate. Les professeurs sociaux-démocrates y restent rares. Cependant, le parti développe une politique systématique de structuration de ces réseaux universitaires. Le coordinateur des questions culturelles au SPD envoie ainsi aux professeurs sociaux-démocrates des demandes pour constituer des listes de membres, servant aussi bien à sélectionner des experts qu’à orienter les étudiants socialistes : il s’agit d’une liste de noms associés aux institutions des enseignants concernés. Cette liste de noms dont on s’est servie pour construire l’analyse recense 35 professeurs ordinaires qui seraient membres ou sympathisants du parti en 1951 (sur un total de 1 700 chaires existant en République fédérale en 1955) et 25 professeurs extraordinaires14. 23 enseignants dépourvus du titre de professeur seraient également membres du parti. Ces données ont pu varier jusqu’en 1955 et être sous-estimées en 1951 (en particulier, certaines universités n’ont pas été recensées). Cependant, à moins d’un écart très important, l’effort de mobilisation des universitaires sociaux-démocrates dans le travail programmatique est notable puisque la commission de 1955 rassemble 15 professeurs ordinaires sur les 35 recensés.
91Les professeurs sociaux-démocrates ne sont pas répartis aléatoirement en RFA. On distingue des pôles de force : l’Institut de science politique de Marbourg autour de Wolfgang Abendroth, la Freie Universität de Berlin dont le poids va croissant au fil du temps, la Deutsche Hochschule für Politik ainsi que des instituts pédagogiques. La Freie Universität de Berlin, la Deutsche Hochschule für Politikwissenschaft (qui fusionne avec la première en 1959), des Hochschule, ouvertes à des étudiants sans baccalauréat (Hochschule für Arbeit, Politik und Wirtschaft de Wilhelmshaven décidée en 1947 en Basse-Saxe), sont (re)fondées après-guerre. Les instituts et nouvelles universités salarient près de la moitié des universitaires (9) de la commission de 1955.
92Le recrutement social-démocrate de ces institutions est facilité par l’implication des autorités politiques dans leur création. En effet, les nominations universitaires peuvent avoir des ressorts partiellement politiques. D’une part, la conjoncture est favorable, lors de la constitution de nouveaux instituts, à des individus qui ne sont pas compromis avec le nazisme. D’autre part, la volonté du SPD est de changer les rapports de force – notoirement défavorables à la social-démocratie – au sein des universités allemandes. Wolfgang Abendroth signale la contribution des élus et ministres socialistes à sa carrière en Allemagne de l’Ouest. D’après lui, ses nominations, après son départ de la zone d’occupation soviétique, ont une dimension politique : sa première nomination dans l’université nouvelle, alternative et ouvrière de Wilhelmshaven (1948) aurait une telle dimension tout autant que son poste à l’université de Marbourg. Ce dernier viserait à rééquilibrer la science politique dominée par la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands [Union chrétienne-démocrate d’Allemagne]) dans le Land de Hesse (1950) (Abendroth, 1976, p. 208). Le social-démocrate Walter Auerbach (qui n’est pas membre de la commission) donne un autre indice de ce rôle des autorités politiques dans la nomination des universitaires après 1945 : de retour d’émigration, le ministre-président de Basse-Saxe lui propose une chaire dans une Hochschule. Il la décline en indiquant qu’il ne souhaite pas être « quasi imposé » à une faculté. La conjoncture politique de la dénazification (dans le cadre de l’Université) est donc favorable à la montée en puissance d’un personnel académique social-démocrate.
93Les syndicats fournissent un autre vivier scientifique au SPD, grâce, à la fois, aux « académies » destinées à la formation des travailleurs et à un centre de recherche créé au sein du DGB. La fondation du WWI (Wirtschafts- und Sozialwissenschaftliches Institut [Institut de science économique et sociale]) qui devient rapidement un organisme de recherche, doté d’antennes dans plusieurs villes d’Allemagne de l’Ouest. Ce centre de recherche salarie trois membres de la commission de 1955.
94Des viviers de recrutement d’un personnel scientifique sont donc constitués après 1945. L’Université et les centres de recherche fournissent surtout des conditions matérielles d’existence indépendante du SPD, et posent les bases d’une autonomisation du personnel scientifique.
De la politique à la science
95La carrière scientifique se distingue, en outre, de plus en plus nettement d’une carrière politique, y compris pour ceux qui sont salariés au sein d’instituts syndicaux ou partisans. Certes, certains – comme Karl Schiller ou Carlo Schmid (1896-1979) – cumulent mandats et postes universitaires.
Juriste, habilité au début des années 1930, Carlo Schmid est, ainsi, membre du comité directeur du SPD depuis 1947, président de la fédération de Wurtemberg et député depuis 1949. Il est aussi professeur de science politique à l’université de Tübingen depuis sa réouverture en 1946.
96Cependant, d’autres universitaires et intellectuels du SPD font souvent le choix de renoncer à leurs mandats politiques lorsqu’ils en ont.
97Secrétaire général du conseil de la zone d’occupation britannique et secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie de Rhénanie-du-Nord-Westphalie de 1948 à 1950, Gerhard Weisser bifurque en quittant le gouvernement de Rhénanie-du-Nord en 1950 pour occuper la chaire de politique sociale de l’université de Cologne. Le refus constant d’Otto Stammer (1900-1978), professeur de sociologie à la Freie Universität de Berlin, d’entrer en lice pour briguer la chambre des députés et le sénat de Berlin constitue un autre exemple d’installation dans une carrière universitaire. Ce type de professionnalisation existe aussi au sein des organisations syndicales et politiques. Même, en leur sein, ce type de spécialisation peut s’opérer en abandonnant des positions politiques (notamment des mandats). Ainsi, Willi Eichler abandonne sa carrière élective pour se spécialiser dans la formation idéologique au sein du SPD dès le début des années 1950. Avec le renforcement des moyens financiers de la Fondation Friedrich Ebert, c’est de cette dernière organisation qu’il devient salarié en 1958. Également membre de la commission programmatique de 1955, Viktor Agartz (1897-1964) participe à la fondation de l’institut de recherche de la DGB, le WWI. Pour occuper sa nouvelle fonction, il abandonne ses activités politiques. Membre du SPD et intellectuel non compromis avec le régime national-socialiste, il a été, en effet, nommé à la direction du conseil économique britannique, puis de la bizone américano-britannique jusqu’en 1947 (Ludwig Erhard le remplace pour la trizone). Membre du Landtag de Rhénanie du Nord en 1947, Agartz est l’un des membres fondateurs de l’institut de recherche et en assure la direction avec le président du DGB, Hans Böckler et le Pr Kuske15 jusqu’en 1949. Il en reste le directeur scientifique jusqu’en 1956, date à laquelle il est exclu du SPD et du DGB (en raison d’un conflit interne au WWI). Cette professionnalisation autorise une autonomisation des individus vis-à-vis du parti.
Conclusion
98Le régime intellectuel social-démocrate, si l’on veut bien appeler ainsi les formes de division du travail assignant des rôles aux intellectuels au sein du parti ainsi que la valeur des capitaux intellectuels, s’est transformé après la Seconde Guerre mondiale. Les intellectuels se sont autonomisés du parti, alors même que le SPD est né de l’intrication entre savoir et pouvoir, en rendant le pouvoir fonction du savoir acquis sur la société et en garantissant l’autonomie de la théorie marxiste face aux institutions bourgeoises.
99Cette transformation est le produit de ruptures dans de multiples secteurs de l’activité partisane. La « professionnalisation » du journalisme fait ainsi disparaître les journalistes partisans, et avec eux, les possibilités d’un cumul des ressources intellectuelles et politiques aux mains de théoriciens--dirigeants issus de la classe ouvrière. Le vivier de recrutement, que constituaient les journalistes de parti, disparu, la voie est libre à une collaboration plus étroite avec des universitaires. Une division des tâches apparaît tendanciellement dans le fonctionnement du parti. Cela modifie de manière plus substantielle le rôle et la place du savoir dans l’organisation.
100Cette différenciation des fonctions, distinguant intellectuels et dirigeants, érode de manière durable la capacité du SPD à produire une idéologie distincte des idéologies dominantes au sein du monde universitaire. Le parti n’est donc plus immunisé contre la « science bourgeoise » qu’il dénonçait dans les années 1920. Il ne dispose plus, en effet, d’un système autonome de production et de certification du savoir, puisque ses savants sont désormais inscrits dans les circuits classiques de production symbolique. Pour comprendre les effets de la modification du régime intellectuel du parti sur sa doctrine, il faut néanmoins aussi tenir compte du type d’universitaires mobilisés pour lesquels importe « la vieille idée socialiste selon laquelle le savoir est un pouvoir ».
Notes de bas de page
1 L’USPD est une scission du SPD fondé en 1917 à partir de la forte minorité du parti hostile à la guerre autour d’Hugo Haase, et incluant les plus grands théoriciens du parti comme Kautsky et Bernstein.
2 Bonn, AdsD, comité directeur – secrétariat Erich Ollenhauer, 390, rapport sur l’établissement d’un bureau scientifique du SPD.
3 Bonn, AdsD, comité directeur – secrétariat Willi Eichler 0 1699, lettre d’Heinrich Albertz à Willi Eichler du 8 mars 1955.
4 Bonn, AdsD, comité directeur – secrétariat Willi Eichler 0 1699, lettre de Willi Eichler à Heinrich Albertz du 15 mars 1955.
5 Amsterdam, IISG, Eduard Bernstein, H7 et Kautsky Familie, 11700, 11780, Kautsky 1857-1858.
6 Amsterdam, IISG, Karl Kautsky, 1885.
7 Bonn, AdsD, Arthur Crispien, 2, autobiographie.
8 Cf. Franz Osterroth : Bonn, AdsD, Franz Osterroth, « Erinnerungen », 2 tomes, t. I, p. 60 et suiv. (autobiographie).
9 Bonn, AdsD, Wilhelm Dittmann, 6.
10 Bonn, AdsD, comité directeur – secrétariat Erich Ollenhauer, courriers des sections, lettre d’Arthur Hübner à Waldemar von Knoeringen du 27 juillet 1959.
11 Bonn, AdsD, Willi Eichler, WEAA000210.
12 Die Zeit, « SPD Konzern », 2 octobre 1964.
13 Bonn, AdsD, comité directeur – secrétariat Erich Ollenhauer, 387, lettre de Fritz Sänger à Erich Ollenhauer du 21 septembre 1957.
14 Amsterdam, IISG, Wolfgang Abendroth, 59.
15 Bruno Kuske (1876-1964) commence sa carrière comme instituteur. Il reprend ses études dans les années 1900 et devient professeur ordinaire de l’université de Cologne en 1919. Membre du Parti social-démocrate, il est suspendu en 1933 avant qu’il devienne, sous le régime national-socialiste, l’un des intellectuels les plus influents en matière de géographie politique, discipline capitale pour la définition des frontières du Reich en particulier après le début de la guerre. Après-guerre, ses contacts syndicaux des années de Weimar lui permettent de jouer un rôle de conseiller économique auprès de l’Oberpraesidium de Düsseldorf (zone d’occupation britannique) puis de participer à la fondation de l’institut de recherche syndical du DGB.
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