Le jeu d’improvisation
p. 58-59
Texte intégral
1Une des spécificités des acteurs de Struth est le caractère imprévisible de leur façon d’agir qui ressemble à l’improvisation théâtrale. Pour cette dernière il est essentiel que deux personnes soient en présence, puisque l’improvisation est une création collective85. Cette condition est également remplie par Struth. Dans ses photographies au moins deux figures peintes ou réelles se rencontrent. Cette rencontre a – malgré le comportement spécifique qu’exige le musée – un caractère ludique et spontané, puisque aucun jeu spécifique ne leur est imposé. Comme dans l’improvisation théâtrale, l’action se crée ici au moment où elle se joue. Ainsi création et représentation coïncident86. L’improvisation a un caractère unique puisqu’une fois répétée elle n’en est plus une. Struth lui-même a fait l’expérience de répéter une scène improvisée qui alors a perdu sa crédibilité : « Dans certains cas, j’ai demandé aux gens de rester figés dans leur position, mais l’effet était déjà perdu. On ne peut pas utiliser ces photographies, puisque la photographie est un médium tellement sensible qu’on ne peut pas mentir en l’utilisant87. »
2Dans le cadre des Museum Photographs, l’improvisation s’équilibre entre les données stables que sont les tableaux et les données instables que sont les visiteurs. Comme si Struth suivait le conseil de Paul Valéry qui écrit : « L’inspiration et le hasard peuvent être excellents dans le détail, ils ne valent rien pour les masses – et les projets vastes88 », le photographe exploite le hasard avec mesure. Ainsi, il conçoit sa pièce en y préservant des espaces libres, à charge pour les comédiens de les remplir en improvisant au cours de la représentation.
3L’improvisation des acteurs se crée en fonction des peintures et Struth lui-même n’intervient pas dans cette improvisation inconsciente. Nous pouvons alors nous demander si les analogies qui existent entre les deux univers ne sont pas de simples effets du hasard et si le photographe ne les a pas seulement saisis. Le hasard est certes présent dans ces scènes, mais on ne peut pas lui attribuer un rôle fondamental. Dans le langage courant, le hasard désigne une occurrence dont la causalité est imprévue ou imprévisible et dont le processus a pu être intellectualisé : « La cause existe, mais n’est pas perçue par l’homme89. » Cette définition peut être rapprochée du procédé de Struth, qui use d’une sorte de « hasard contrôlé ». Pour lui, la cause, c’est-à-dire le tableau, existe, mais il ne connaît pas les circonstances dans lesquelles cette cause déploiera son énoncé. Il ne peut pas prévoir ce qui va se passer devant les peintures, quels acteurs seront sur scène, mais il peut tout faire pour que la photographie réussisse : choisir le cadrage, la lumière, sa position, etc.
4En ce sens, ses images peuvent être considérées comme des œuvres ouvertes, dans lesquelles l’imprévu est plus ou moins limité et contrôlé par l’artiste, contrairement aux œuvres aléatoires où le hasard est entièrement déterminant90. L’acte photographique instantané contraste, dans ce processus, avec la préparation minutieuse des images. Comme au théâtre, l’ambivalence entre les données stables et toute une partie d’improvisation instable crée une tension dramatique dans les Museum Photographs. Cette improvisation, qui fait la part belle aux scènes ouvertes et spontanées, contredit bien évidemment une conception du théâtre illusionniste et fermé.
Notes de fin
85 Voir Henri Gouhier, Le Théâtre et les arts à deux temps, Paris, 1989, p. 145.
86 Ibid., p. 146.
87 Interview de Thomas Struth par Silke Schmickl, Düsseldorf, 14 mars 2001.
88 Paul Valéry, Cahiers 1894-1914, t. III, Paris, 1997, p. 249.
89 Encyclopédie philosophique universelle, 1992 (note 37), t. 1, article : « hasard », p. 1118.
90 Ibid., p. 1119.
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Les Museum Photographs de Thomas Struth
Ce livre est cité par
- Chaumier, Serge. Parisot, Véronique. (2008) Un nouvel interdit au musée : la photographie ?. La Lettre de l’OCIM. DOI: 10.4000/ocim.285
- Baxter, Miranda. (2014) Seeing for the First and Last Time in Thomas Struth’sMuseum Photographs. Photographies, 7. DOI: 10.1080/17540763.2014.930922
Les Museum Photographs de Thomas Struth
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