Les œuvres à l’intérieur du musée
p. 37-40
Texte intégral
1L’analyse des comportements des visiteurs conduit à s’interroger sur la place des œuvres pour ce public de la fin du xxe siècle et sur la fonction actuelle des musées. Dans les recherches récentes sur l’histoire du musée celui-ci a souvent été comparé au temple ou au forum, les deux lieux centraux de l’Antiquité55. Le temple est le lieu de la sacralisation silencieuse, le lieu où un échange spirituel, du moins intellectuel, peut se faire entre visiteur et objet cultuel ; le forum est l’espace dans lequel se cristallisent les débats et échanges de la société. Le musée semble aujourd’hui incarner les fonctions de ces deux lieux si différents : il est un lieu unique de préservation des biens culturels, avec des conventions à respecter, comme le silence et la distance envers les œuvres (temple) et il est à la fois un lieu de communication et de rencontre (forum).
2Au cours des dernières décennies du xxe siècle, la fonction de forum se confirme de plus en plus. Les photographies de Struth en témoignent. Le surgissement de nouveaux publics, d’une nouvelle « clientèle », ainsi que la mutation du temple des muses en lieu de consommation, sont autant d’éléments qui font « qu’on ne sait parfois plus très bien où finit le sanctuaire et où commence le parc à thème56 ». La communication et l’exposition qui semblent progressivement triompher sur la conservation font que l’espace muséal s’affirme de plus en plus comme lieu de promenade et de divertissement, où l’on célèbre le spectacle muséal, les tableaux.
3En revenant sur les Museum Photographs on voit que ces observations se confirment : les visiteurs se promènent, soit en groupe, soit seuls, s’arrêtent de temps en temps pour contempler un tableau puis continuent à flâner. Art Institute of Chicago II, par exemple, met en évidence cet aspect de promenade et trouve de ce fait un écho dans la composition de Caillebotte, qui présente des flâneurs parisiens sous la pluie (ill. 11). Les visiteurs du musée flânent tranquillement d’un tableau à l’autre dans une salle de peintures françaises du xixe siècle, s’arrêtant de temps en temps pour une contemplation plus profonde. Une femme, au premier plan, a même emmené sa poussette et l’on peut se demander, à juste titre, si elle ne remplace pas la promenade quotidienne au parc par une promenade au musée.
ill. 11 Thomas Struth, Art Institute of Chicago 2, Chicago 1990, épreuve chromogène, 184 × 219 cm (cat. 4141)

© Thomas Struth
4Les Museum Photographs de Struth n’enjolivent pas la nouvelle situation muséale, qui apparaît identique dans tous les musées occidentaux. À l’exception de quelques photographies où Struth capte une situation de contemplation silencieuse, comme par exemple Kunsthistorisches Museum III (ill. 12), le musée n’a plus grand-chose à voir avec un lieu saint qui se prêterait à une sacralisation de l’art : il est devenu un « espace public forum, carrefour et miroir des évolutions multiples de notre temps57 ». Le fait que Struth ne photographie que les grands musées du monde où l’on conserve effectivement des œuvres extrêmement précieuses souligne de manière encore plus paradoxale cette situation. Si la visite du musée n’a plus pour objectif de favoriser une véritable rencontre avec l’œuvre, on peut se demander ce qu’il advient du statut actuel des œuvres dans les musées et si les photographies de Struth ne prennent pas acte de cette mutation socioculturelle.
ill. 12 Thomas Struth, Kunsthistorisches Museum 3, Vienne 1989, épreuve chromogène, 145 × 187 cm (cat. 4111)

© Thomas Struth
Notes de fin
55 Pierre Gaudibert, Du culturel au sacré, Paris, 1981, p. 20-25 ; Élisabeth Caillet, À l’approche du musée, la médiation culturelle, Lyon, 1995, préface (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k3328900f/f22.item).
56 Jacques Repiquet, « L’exposition temporaire au musée. L’éphémère et l’éternel peuvent-ils partager le même espace ? », dans cat. exp., Brignoles, 1990 (note 35), p. 49.
57 Jacob, 1992 (note 37), t. 1, article : « musée », p. 1706.
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