Des nouvelles masses à l’ornement totalitaire
Siegfried Kracauer sur la propagande nazie
p. 103-121
Texte intégral
1Chez les sociologues conservateurs français de la fin du xixe et du début du xxe siècle, le concept de « masse » désigne un étiage de l’ordre social qui abolit dans la violence la division fonctionnelle de la société. Il émerge comme le pôle opposé à celui de peuple, la masse formant une sorte d’anti-type, une figure où se rassemble tout ce qu’un peuple ne doit pas être1. Gustave Le Bon la décrit dans sa Psychologie des foules (1895) comme une formation amorphe – instinctive, déstructurée, manipulable à merci, et représentant à ses yeux une menace pour l’ordre bourgeois2. Si le concept de masse sous-entend historiquement la coprésence des corps dans l’espace, sa visibilité ainsi que son autoperception est quant à elle tributaire des médias. La littérature est au xixe siècle le médium par excellence à travers lequel la masse se perçoit : c’est l’imagination et le regard du poète qui la fait voir. La représentation sensible du politique devient alors un enjeu dans une société en voie de démocratisation3. Au xxe siècle, la représentation littéraire des masses cède la place à leur mise en scène par le film muet – que ce soit par exemple dans Le cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein (1925), dans Berlin. Die Sinfonie der Großstadt (1927) de Walter Ruttmann, ou encore dans Metropolis (1927) de Fritz Lang4. C’est désormais la caméra qui permet à l’individu de jeter un regard sur la masse – une évolution matérielle qui nécessite une « acclimatation des nerfs », comme le soulignera Kracauer dans sa Théorie du film en faisant référence à Walter Benjamin5. Si la photographie expose « ces agrégats aléatoires que sont les foules6 », seul le film est à même de les montrer en mouvement. L’outil de la reproduction, c’est-à-dire le film, est donc inventé en même temps que l’un de ses principaux sujets, du moins à l’époque du film muet. Cet instrument est particulièrement adapté à rendre les masses visibles puisqu’il permet d’alterner gros plans (sur l’individu) et plans larges (sur la foule).
2Ce n’est pas un hasard si le mode de représentation des masses joue un rôle central dans l’analyse de la dictature national-socialiste que développe le critique et théoricien du film Siegfried Kracauer. Comme ses amis Walter Benjamin et Ernst Bloch, ou ses contemporains Serge Tchakhotine et Bertolt Brecht7, Kracauer s’intéresse au destin de l’expérience sensible propre au capitalisme et à la manière dont celle-ci est instrumentalisée par les nazis dans l’esthétisation de la vie politique. Pourtant, son intérêt pour la psychologie collective remonte bien avant 1937. Le thème apparaît en effet dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale, durant laquelle il cherche à comprendre l’enthousiasme belliqueux8, non sans avoir lui-même été un moment influencé par les « idées de 1914 ». Kracauer consacre ensuite plusieurs textes théoriques à la sociologie au tout début des années 1920, dont une réflexion sur le « groupe en tant que porteur d’idées » (Die Gruppe als Ideenträger, 1922), dans lequel il pose la question du rapport de l’individu au collectif – réflexions qui évolueront sensiblement au cours de la même décennie. Parmi les thèmes que Kracauer propose en février 1937 à Max Horkheimer, pour la Zeitschrift für Sozialforschung, on trouve d’ailleurs le suivant – qu’il ne développera pourtant pas : « Une enquête historico-critique des différentes théories des masses qui m’intéresse beaucoup à titre personnel9 ». Toutefois, le concept de « masse » est en réalité omniprésent chez Kracauer – son essai sans doute le plus connu ne s’appelle-t-il pas « L’ornement de la masse » (Das Ornament der Masse, 1927) ? – et on le retrouvera dans le titre originellement conçu pour le projet portant sur la propagande nazie : « Masse und Propaganda10 ».
3Totalitäre Propaganda11, texte composé par Kracauer en 1937 pour la Zeitschrift für Sozialforschung, après de nombreuses négociations avec Horkheimer, ne consiste cependant pas, comme on aurait pu s’y attendre de sa part, en une analyse des films de propagande nazis (qu’il ne visionnera qu’en 1942, aux États-Unis, pour la brochure éditée par la Film Library du MoMA de New York et intitulée Propaganda and The Nazi War Film12). Pour son « traité politique » sur la propagande totalitaire, il étudie surtout les propos sur la propagande émanant des dirigeants nazis, qui lui étaient accessibles à la Bibliothèque nationale de Paris, des ouvrages tels que Mein Kampf (Adolf Hitler), Kampf um Berlin (Joseph Goebbels), les discours de Gregor Strasser dans Kampf um Deutschland, etc. Il se penche en même temps sur les conceptions du fascisme italien en matière de propagande, notamment à partir d’un ouvrage d’Ignazio Silone, Il fascismo. Origini e sviluppo (1934), et de quelques textes de Mussolini.
4L’analyse kracauerienne du nazisme dans Totalitäre Propaganda se situe donc, comme nous allons le montrer, dans la continuité des travaux menés sur les « nouvelles masses » urbaines de la république de Weimar, auxquelles il s’était intéressé lorsqu’il était journaliste au Frankfurter Zeitung, à Francfort mais surtout à Berlin : selon lui, la masse totalitaire va se développer au xxe siècle sur le terreau de la distraction, mais à l’aide d’un moyen plus efficace que celui du divertissement, à savoir la propagande. Sa tâche principale, pour transformer le peuple en masse et devenir un « mouvement », consiste à liquéfier les concepts politiques des partis démocratiques, aboutissant ainsi à un nivèlement des intérêts de classe dans l’espace public. C’est une « solution feinte » basée sur une « réalité feinte » que propose à la crise la propagande nazie, en saturant l’imaginaire politique avec l’idée de la « communauté du peuple ». Le nazisme développe du même coup, entre autres grâce aux nouveaux médias comme la radio ou le film, une nouvelle esthétique de la masse. Celle-ci reflètera la structure binaire du corps collectif totalitaire, la fusion entre masse et Führer.
De la foule dispersée au public
5Les articles de Kracauer parus dans le « Feuilleton » (les pages culturelles) de la Frankfurter Zeitung au tournant des années 1920-1930 sont truffés d’observations sur les masses citadines, leurs lieux de vie et leurs pratiques culturelles. Dans son essai « Culte de la distraction » (Kult der Zerstreuung, 1926), consacré aux salles de cinémas berlinoises, Kracauer décrit les milliers de spectateurs qui en font quotidiennement des « théâtres de masse », des « palais de la distraction » et des « lieux de culte du plaisir »13. Ces « espaces de rassemblement » font confluer les gens en masse, sans qu’aucune interaction entre les individus n’intervienne, comme l’expose la psychologie collective du xixe siècle. On est comme en présence d’une foule « dispersée », « se touchant à distance intimement14 », telle que la définit Gabriel Tarde en 1898 dans « Le public et la foule », trois années après la parution de la Psychologie des foules de Le Bon. Même si Kracauer ne semble pas avoir lu Tarde (les ouvrages de celui-ci ne se trouvent en tout cas pas dans sa bibliothèque privée conservée aux Deutsches Literaturarchiv Marbach), la réflexion tardienne sur les foules nous paraît dans ce contexte éclairante. Comme le souligne Kracauer, les individus, bien que réunis dans une salle de cinéma (comme autrefois dans un théâtre), sont reliés entre eux par des médias et non au premier chef par leur proximité physique (dans la salle). C’est à partir du médium de reproduction qu’ils forment un public (il s’agit à l’époque de Tarde de la presse, dont la capacité à manipuler l’opinion s’était affirmée, notamment à l’occasion de l’affaire Dreyfus). Quelle en est la particularité ? Selon le Tarde de 1898, qui réfute alors l’expression forgée par Le Bon qualifiant son époque d’« ère des foules15 », la formation d’un public doit tout à l’imaginaire social ; si le lecteur d’un quotidien n’éprouve aucun plaisir à lire un article datant de la veille, c’est parce que l’« actualité » d’un événement qui suscite de la curiosité chez lui ne tient pas tellement à l’information elle-même, mais à l’« illusion inconsciente » du lecteur qui s’imagine partager cette information avec d’autres lecteurs la lisant en même temps que lui. Selon Tarde, c’est la « simultanéité » de la perception d’un événement, par un grand nombre d’individus ou par un groupe, qui constitue à travers l’expérience d’une collectivité implicite la masse virtuelle qu’est le public moderne16.
6Dans « Culte de la distraction », Kracauer suit la constitution de ce genre de collectivité par-delà la distance spatiale. À la différence des auteurs conservateurs et antidémocrates du xixe siècle comme Le Bon, il ne la dénonce bien évidemment pas ; il se tient à l’écart de tout jugement normatif et se contente d’observer la texture du phénomène dans la population berlinoise. Tarde souligne que la constitution de publics par le biais d’une « suggestion à distance » relève de la modernité. Il présuppose l’expérience habituelle d’une « vie sociale intense, de la vie urbaine », ainsi que l’exposition régulière de l’individu au regard d’autrui. La formation d’un public, cette « contagion sans contact », nécessite la « pensée du regard d’autrui », donc « une évolution mentale et sociale bien plus avancée que la formation d’une foule »17. On retrouve chez Kracauer une idée semblable. Selon lui, les nouvelles formations sociales n’existent pas seulement dans la capitale, on les trouve également en province. Mais c’est surtout à Berlin, écrit-il, que les « couches qui se disent cultivées » (les « Bildungsschichten ») fusionnent avec les employés pour former un « public homogène de la métropole qui, du directeur de banque à l’employé de commerce, de la star à la sténodactylo, partage le même esprit18 ». Par ailleurs, Kracauer relie l’émergence d’un goût de masse constitué par le cinéma et réunissant toutes les classes sociales à la perte de sens des biens culturels traditionnels, dont le contenu serait selon lui en contradiction avec la réalité économique. Des notions individualistes comme « personnalité », « intériorité », ou encore « le tragique » ainsi que les formes artistiques qui les véhiculent comme le théâtre, ont, à l’en croire, perdu tout fondement dans la mesure où leur regard passe à côté de la misère de l’époque19. Les films, même s’ils se meuvent dans la pure extériorité et donc à la surface des choses, peuvent au contraire permettre au public d’aller à sa propre rencontre, grâce à un médium dont la succession d’images mobiles porte au jour la réalité spécifique. Ainsi Kracauer oppose-t-il la fragmentation des impressions visuelles au cinéma à la fausse totalité de la scène théâtrale. La mise en lumière de la réalité dans le divertissement a pour lui une « signification morale », voire une dimension potentiellement utopique, sous réserve que celle-ci soit en mesure « de susciter et de maintenir cette tension qui doit précéder le nécessaire retournement20 ».
7Kracauer semble toutefois sceptique sur l’avènement prochain d’un tel retournement dialectique. Au fond, fait-il observer, les grandes salles de cinéma « voudraient forcer ce grand désordre des extériorités à former un tout structuré », aspirant en cela plutôt à un « retour réactionnaire » au théâtre21. Or, la distraction – un concept qui ne caractérise pas seulement le sujet spectateur, mais qui est également typique de ce qui est représenté à l’écran – devrait selon Kracauer être de l’ordre de l’improvisation, qui n’est pleinement significative que comme « reflet de la confusion non maîtrisée de notre monde22 ». Par conséquent, la mission du film consisterait idéalement, pour lui, à exhiber cette désintégration du monde au lieu de la recouvrir. Un public politique pourrait alors naître de la masse disloquée des amateurs de salles obscures qui, pense-t-il en 1926, « ne sont pas loin de la vérité23 ».
Individus et collectifs
8Kracauer, pendant que s’engage la première expérience démocratique en Allemagne, s’intéresse non seulement à l’interdépendance des nouveaux médias et à la formation d’un espace public, mais aussi, de manière plus générale, à la question de savoir sur quel mode les idées s’insinuent dans la réalité. Une question que Tarde s’était également posée avant lui. Il avait ainsi souligné, dans le deuxième chapitre de L’opinion et la foule, l’importance de la conversation dans la multiplication des fragments d’opinion. Il s’intéresse à la façon dont l’attention pour telle ou telle idée ou opinion est générée dans l’espace public. Sur ce thème, la réflexion de Kracauer reste nettement plus abstraite. Dans « Le groupe porteur de l’idée » (Die Gruppe als Ideenträger, 1922), il aborde la question à travers une réflexion sur les groupes, et donc sur la relation des individus au collectif. Qu’advient-il de l’individu quand celui-ci s’intègre à un groupe cherchant à faire passer une idée dans les faits ? Kracauer établit une distinction entre deux conceptions du groupe comme porteur d’idées, qu’il tient du reste toutes les deux pour fausses : l’une autoritaire et l’autre individualiste. La conception autoritaire accorde une signification réduite à l’individu, pour autant que l’idée qui demeure toujours immuable quant à son contenu substantiel soit « souveraine », indépendante du groupe. Elle domine les individus qui constituent celui-ci. Dans la conception individualiste, au contraire, l’esprit du groupe est considéré comme formé par la somme de ses membres. L’individu se voit du coup reconnu comme la seule et unique réalité du monde social tandis que l’idée, elle, n’a plus aucune existence autonome24. Kracauer défend quant à lui une troisième position, selon laquelle le groupe serait idéalement « un médiateur entre les individus et les idées qui remplissent le monde social25 ». Des groupes de ce type surgissent quand les hommes s’unissent dans la réalité afin de combattre pour l’idée. Elle n’est donc pas, en ce sens, « transcendante » aux individus ou aux groupes ; les individus constituent bien plutôt un groupe dont l’objectif consiste en la réalisation des idées. L’individu est décrit comme un microcosme dont la conscience n’est pas intégralement remplie par la cristallisation sémantique engendrée par l’idée, dans la mesure où elle est traversée par des pensées en provenance d’autres provinces de l’âme. En tant qu’il est membre d’un groupe, le sujet apparaît comme un « moi partiel » (Teil-Ich)26 coupé de sa pleine essence. Or, cette réduction-là de l’individualité dans la formation du groupe n’est pas négative, mais est une condition nécessaire à l’action politique collective.
9Cinq ans plus tard, l’interprétation par Kracauer des relations entre l’individu et le collectif va radicalement changer. Il ne s’agit désormais plus d’une réflexion sur la constitution des groupes et de leurs idées, mais de l’une de ses interprétations de surface, à savoir « L’ornement de la masse » (1927). Lors de la revue des Tiller Girls, qui lui sert de point de départ, les jambes des danseuses tracent d’innombrables traits parallèles. Ce ne sont plus des individus ni des « moi partiels », mais des parcelles d’humains, « bras, cuisses et autres sections de corps », qui s’organisent pour former une figure ornementale sur scène (comme les mains des travailleurs sur les chaînes de montage). Mais cet ornement « n’est pas pensé par les masses qui le réalisent » ; il ressemble en cela aux « vues aériennes des paysages et des villes en ceci qu’il ne naît pas de l’intérieur des phénomènes, mais qu’il apparaît au-dessus d’eux »27. Ces fragments de masses, selon Kracauer, sont le réflexe esthétique du système économique dominant aspirant à la rationalité. Leur structure reflète celle du processus de production capitaliste qui, comme l’ornement de la masse, n’a d’autre but que lui-même et dans lequel chaque rouage fonctionne sans connaissance de l’ensemble. Son organisation est ainsi – pour l’instant – « soustraite à la conscience de ceux qui la constituent28 ». Dès les années 1920, Kracauer avertit que la rationalité se dérobant à elle-même, qu’il perçoit dans cette image, pourrait ouvrir la voie à la montée des puissances de la nature déchaînée et empêcher l’« avènement de l’humain qui relève de la raison29 ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, pour Kracauer, le capitalisme ne rationalise pas trop, mais trop peu30. Dans l’analyse du film de propagande Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl, ce ne seront plus les jambes des danseuses, mais les « rangées de bras levés » qui formeront l’ornement d’une masse désormais totalitaire31.
10Dans son étude empirico-micrologique du début des années 1930, consacrée aux employés berlinois, Kracauer décrit les conséquences de cette rationalisation défaillante à l’ère de l’entreprise sur la structure sociale et sur la vie politique de la république de Weimar en voie de décomposition. À côté du devenir-masse des employés, dont sont responsables les relations professionnelles uniformes et les conventions collectives, se dessine parallèlement un conditionnement spécifique de la vie intérieure des sujets qui, pour s’affirmer sur le lieu de travail, sont poussés à adopter l’uniforme d’une « morale rose-bonbon ». Au taylorisme dominant dans le monde du travail correspond la rationalisation du plaisir dans les entreprises de loisirs, qui promettent, sous leurs éclats trompeurs, une diversion à la prolétarisation de plus en plus évidente des employés. Voilà un argument qui traversera le traité sur la propagande nazie, Totalitäre Propaganda : Kracauer constate la supériorité de la conscience de classe qui est celle du prolétariat par rapport aux « sans-abri spirituels » des couches moyennes, qui cherchent encore à se distinguer des ouvriers bien que leur condition matérielle soit depuis longtemps comparable à celle de la classe ouvrière. Trouvant un refuge dans une lecture – certes trop simpliste – de Marx (Kracauer parle de « Vulgärmarxismus »), les ouvriers seraient moins perméables à la propagande nazie32. Ce à quoi se tiennent les employés n’est pas le « contenu, mais ce qui brille », et cela à cause de la distraction prodiguée par l’industrie culturelle du loisir. Le caractère propre de la masse va ici s’éprouver de façon sensible : « On se console en même temps de l’impossibilité d’échapper au quantifiable33. » Il n’y a pas que le cinéma à proposer une sorte d’échappatoire à la dure réalité. Les nouveaux stades sportifs participent du même processus de massification que l’industrie culturelle, comme Kracauer le montre (à l’instar d’autres commentateurs de l’époque comme Bertolt Brecht, Robert Musil, Egon Erwin Kisch ou plus tard Elias Canetti) en recourant au grotesque dans « Sie sporten34 ». Si les stades, à l’égal des cinémas, créent un public où les différences sociales sont nivelées et que même les ouvriers participent au « mouvement sportif international », Kracauer y voit une forme de divertissement (moins que dans le film auquel il attribue un potentiel utopique), et souligne que cette occupation ne faisait en réalité que contribuer à l’effondrement d’un véritable mouvement ouvrier international. Le sport serait dorénavant le seul mouvement leur restant35.
11On voit chez Kracauer se développer une sorte de formulation précoce de la thèse controversée du Sonderweg allemand et italien. À la différence des Parisiens, peuple qui s’excite facilement pour la politique et qui aime à s’organiser politiquement36, les masses berlinoises ne produisent nulle collectivité politique qui répondrait de la réalité de ses membres, et les discussions politiques revêtent clairement un caractère d’irréalité qui précède celui de la propagande nazie. Dans un article sur la radio, Kracauer critique en 1932 les directeurs de programme : si la radio affichait auparavant une trop grande neutralité, il faut désormais déplorer, avec le gouvernement Papen, les dérives autoritaires. Attaques contre le « système » parlementaire de Weimar, verbiage sans arguments, vénération du fascisme italien : l’État autoritaire se construit alors que le rôle de la radio se limite à installer, à l’aide des haut-parleurs, un silence assourdissant partout dans le pays37. Kracauer commente, peu de temps avant l’arrivée au pouvoir des nazis, une enquête du Reichsfilmblatt sur la fréquentation des cinémas. Les films populaires, ceux qui cherchent à divertir du malheur des temps par une distraction futile, rencontrent de moins en moins de succès du fait de la paupérisation croissante. L’efficacité de la culture de la distraction en tant qu’anesthésiant lui semble toucher à sa fin38. Voici qu’un narcotique plus dangereux est au programme : la propagande national-socialiste. Elle transformera les nouvelles masses en masse totalitaire.
La dynamisation du champ politique
12À lire l’esquisse des 6 et 7 juillet 1937, Kracauer résume son analyse de la fonction de la propagande comme suit : la propagande est au service du capitalisme monopolistique, de l’impérialisme et de la volonté de puissance nihiliste de la « clique » nazie pour « instiller »39, auprès des petits-bourgeois déclassés et impossibles à réintégrer, la croyance en la solution illusoire que représente la « communauté du peuple » conçue sur le modèle de la communauté des tranchées40. C’est en analysant ses formes que l’on peut comprendre la nature du fascisme, produit de la guerre et de la crise économique41. Kracauer reprend (comme il l’annonce dans l’exposé de 193642) ses réflexions sur les employés récemment prolétarisés et le rapport qu’entretiennent ces employés avec le « prolétariat » proprement dit. Du point de vue de leur fonction sociale et de leur autoperception due à une certaine interchangeabilité dans le processus de production43, les ouvriers font partie intégrante d’une masse dont l’intérêt révolutionnaire consiste justement en l’élimination de l’état de masse. À la différence du nazisme, le communisme ne veut pas « perpétuer la masse mais édifier un ordre social dans lequel chacun […] se verrait octroyer la possibilité de donner la mesure de ses capacités individuelles44 ». La masse révolutionnaire constituerait un état transitoire quoique nécessaire. Même les masses nouvelles, ces « expatriées de classe45 » (à la fois bourgeoises et populaires) qui font exploser les divisions politiques traditionnelles, sont vouées à la révolution, bien qu’elles rejettent à la fois le communisme et le capitalisme. Kracauer déplore du coup – à l’époque du front populaire et de la victoire de Léon Blum en France, où il vit depuis 1933 – l’incapacité des partis de gauche à réunir en Allemagne les deux groupes et reproche au KPD son manque de compréhension des masses nouvelles46. Faute du déclenchement de la révolution, celles-ci auraient cédé aux sirènes des « fausses solutions » (Scheinlösungen) du nazisme. Ne pouvant intégrer les masses ni les faire disparaître, le nazisme rend la masse visible, mettant en évidence le caractère massifié de la masse afin de provoquer chez l’individu l’illusion d’être de facto socialement intégré. La question de l’instrument de liaison qui relie l’individu à la masse se révèle décisive pour décrire le processus de massification. Celui-ci est, pour Kracauer, la clé permettant de comprendre le mécanisme qui porte les couches moyennes prolétarisées à opter pour une solution allant en définitive à l’encontre de leurs intérêts. Il faut pour cela prendre en compte les caractéristiques de la masse totalitaire.
13En effet, les nationaux-socialistes ne s’intéressent nullement aux « masses homogènes47 ». Leur idéal est « la masse désunie rassemblée » d’une « rue » (Goebbels) où se croisent tant d’intérêts divers qu’ils s’affaiblissent réciproquement. L’effort entrepris par les nazis pour suspendre les oppositions de classe sert à dissimuler l’existence même d’intérêts au profit d’une idéologie48, comme l’écrit Kracauer. Il revient sur l’observation qui traverse, comme nous l’avons vu, ses textes de l’époque de Weimar : la culture politique allemande pêcherait en ce que les Allemands attribueraient trop d’importance au fondement idéologique de la politique et négligeraient du même coup la sphère concrète des intérêts. À suivre son analyse, ce serait dès 1929 que la décomposition des partis a relâché le liant idéologique, « liquéfiant » les discours et les concepts jusqu’à ce que ceux-ci puissent être partout rapportés par la propagande, tels une « troupe motorisée de motifs » ou une « escadrille d’idées »49. Ainsi les nazis pratiquent-ils à travers la propagande une « intervention chirurgicale dans la sphère des intérêts et déplacent l’action au niveau des idées50 ». Elle se sert notamment de concepts susceptibles de titiller les masses comme celui de nation ou de peuple, afin de les ajuster à une nouvelle forme, à un nouvel ordre. À ce sujet, Kracauer cite Hitler :
« Aussi longtemps que le peuple allemand de 1914 croyait lutter pour un idéal, il a tenu bon ; dès lors que l’enjeu n’était plus que le pain quotidien, il a préféré abandonner le combat. Nos hommes d’État plein d’esprit s’en étonnent. Pour eux, qu’un homme dès lors qu’il combat pour un intérêt économique, évite de mourir, puisque cela pourrait le priver de la rétribution de son combat, voilà qui leur est impénétrable51. »
14À la différence des « paroles gelées » du Pantagruel de Rabelais, où se produit également une métamorphose des vocables agglutinés52, la métaphore de la liquéfaction des concepts n’a pas ici le sens de faire advenir au langage une vérité, mais signifie au contraire la déliaison dissolvante des mots et de la signification, le décrochage des idées et surtout des intérêts avec une opposition dialectique. Kracauer cite dans ce contexte Gregor Strasser, selon lequel le nationalisme de droite doit se détacher de son lien avec le capitalisme, tout comme le socialisme doit à gauche s’affranchir de l’internationalisme. Ainsi la propagande nazie vise-t-elle une dynamisation d’un champ politique rigide, et voilà pourquoi le nazisme comme le fascisme sont à juste titre désignés comme des « mouvements53 ». Kracauer convoque le pédagogue nazi Ernst Krieck : « En cela le national-socialisme n’est pas un parti ni un programme mais un mouvement fluide et qui fluidifie54. » En effet, la façon dont le nazisme et le fascisme suspendent les antagonismes de classe souligne le caractère massifié du peuple. Or, faire apparaître le peuple en tant que masse, telle est la mission de la propagande.
15Elle y parvient par le déploiement d’une réalité mensongère. Toujours selon Strasser, que cite Kracauer, plus le mensonge est grand plus il est crédible : les gros mensonges seront plus facilement crus par les masses que les petits55. Si Hannah Arendt pense que la diffusion d’une idéologie suppose la cohésion d’un monde fictif et nullement des faits avérés ni une quelconque crédibilité56, le succès de la propagande nazie tient au contraire pour Kracauer à la création stratégique de « contradictions ciblées57 », qui, en raison de leur caractère anxiogène, rapprochent la propagande de la terreur58. L’argumentaire de Franz Neumann dans Behemoth (1942) va sur ce point dans le même sens que Kracauer, quand ce dernier affirme qu’il s’agirait toujours de « vérité » dans la démocratie, vu la concurrence des divers appareils de propagande qui doivent prouver leur valeur par des prestations effectives. À l’inverse, la « vérité » n’intéresse pas le régime nazi, qui incarne la pure volonté nihiliste du pouvoir, ce qui lui permet de recourir aux théories les plus variées en fonction des besoins de l’heure59. Paradoxalement, dit Kracauer, les masses deviennent d’autant plus maniables que les promesses et les réalisations du régime manifestent une incohérence plus flagrante60. Un jour, la volonté du peuple est érigée en instance suprême ; une autre fois, c’est « un organe de réception de la volonté du Führer61 ». Loin de susciter la méfiance, se réalise ainsi la dynamisation progressive des concepts déjà liquéfiés.
16La mobilisation totalitaire des convictions conduit enfin à l’épuisement total des convictions. L’objectif est d’affaiblir la rationalité, de la faire ainsi « sortir de ses gonds », et d’engendrer un sentiment de vertige qui « pousse à fermer les yeux62 ». Mais ça ne s’arrête pas là. La communication contradictoire doit aussi servir à une démonstration de force. Le culte des masses conduit au culte de la personnalité et diminue le « sens de la réalité », jusqu’à ce que celle-ci revête les traits de l’absurdité, comme « un signe vivant de démence63 ».
La masse – acteur ou marionnette ?
17Kracauer distingue différentes phases de la propagande, dont l’aspect évolue, notamment suite à l’arrivée au pouvoir des nazis. Alors qu’auparavant l’idée de la communauté du peuple occupe le cœur de la propagande, cet argument fallacieux aurait fini par perdre son attrait une fois le pouvoir installé. Désormais, la propagande ne représente plus que l’image de la toute-puissance64. L’individu massifié qui adhère au Führer est-il alors seulement manipulé par la propagande, ou bien est-il un acteur du phénomène ?
18La réponse de Kracauer ne peut se lire qu’entre les lignes, dans le contexte de ses propositions sur l’effet de la terreur et de la violence, mais surtout – la présence d’Erich Fromm et de Max Horkheimer dans le texte se fait ici palpable – dans le contexte de la question de la relation de l’individu à l’autorité ou, dit autrement, de son analyse de la relation entre la masse et son « Führer », telle qu’elle est engendrée par la propagande. Même quand Kracauer parle, par endroits, de la suggestibilité des masses et la rapporte à un état d’ordre quasi « hypnotique » où l’homme se voit déplacé dans la masse65, il semble à l’unisson des réflexions de Franz Neumann, mais aussi de Hannah Arendt, à propos des effets limités de la propagande. Comme l’affirment également ces deux auteurs, elle n’a aucune efficacité sans l’appui d’autres facteurs, en particulier la terreur66. Kracauer souligne le rôle joué par l’appareil du pouvoir (le Machtapparat), dont la construction nécessite l’idée d’une « unité nationale » tout comme une mobilisation de la population dans la durée. Or, la mise en place de l’une comme de l’autre ne se conçoit pas sans une mise sous tutelle de la population par le biais de la propagande. Propagande et terreur se complètent l’une l’autre dans le fonctionnement du fanatisme idéologique pour autant que l’une doit légitimer l’autre : « Les flots de sang doivent confirmer que la farce est sérieuse, d’un sérieux sanglant67. » Ainsi, selon Kracauer, la terreur est elle-même propagande68.
19L’angoisse se répand par ailleurs d’autant plus facilement que la violence légale ne se distingue plus de celle qui ne l’est pas. À l’inverse, Kracauer interprète l’amour ostentatoire des animaux en termes de minimisation de la terreur : l’objectif consisterait à se laver du soupçon qu’on traite les hommes comme des animaux dans les camps de concentration69. Par l’effet d’imitation qui constitue les masses, les débordements de violence sont des incitations à la participation ; en temps de crise, quand grimpe la pauvreté et la détresse de la population, les tendances archaïques se renforcent : « Le désir sadique de s’égaler à la nature aveugle à laquelle on est livré, aussi bien que le désir masochiste de se livrer aveuglément à la nature dont on est l’esclave70. » Kracauer se réfère ici non seulement aux analyses d’Erich Fromm sur l’autorité et la famille, mais, au grand dam d’Adorno, à Ortega y Gasset : le processus régressif amène la masse au point où elle sombre dans l’état d’un enfant gâté et cruel, et où elle ne connaît qu’une seule sorte de moyen d’action : « elle lynche71 ». Ce faisant, la relation de la masse à l’autorité procure aux masses un sentiment de triomphe : « Qui se met à plat ventre, rêve d’être un bourreau72. » Le culte du Führer permet de céder à la pulsion masochiste tout en produisant des effets de décharge : l’autoritarisme libère l’individu de la nécessité de toute prise de décision autonome et l’affranchit de ses doutes.
20Kracauer décrit les rouages fonctionnels de la mise en scène du pouvoir autoritaire et du Führer : il renvoie à l’efficace des symboles qui sont eux-mêmes mis en branle sous des formes massifiées dans le but d’exciter les masses (Kracauer parle d’une « forêt vierge de bannières », à l’ombre de laquelle la masse est attirée73) ; à l’efficace aussi de la parole (mais pas de l’écrit qui s’adresse davantage à l’intellect, alors que la propagande vise l’affect), d’une parole qui cherche à « marteler » ses messages destinés à la masse, selon une expression que l’on trouve chez Hitler. C’est ainsi qu’à Nuremberg, les leaders nazis auraient eu une influence sur la condition physique et psychologique des participants aux rassemblements74 : « Les masses réceptives aux suggestions furent balayées par un mouvement continu, bien organisé, qui ne pouvait pas ne pas les dominer75. » Particulièrement efficaces sont les scénarios qui, à l’instar des charlatans du Moyen Âge, « prédisent un déclin certain et promettent un salut qui ne l’est pas moins76 ». À coup de marches incessantes, de vie en camp et de privation de temps libre, la masse est toutefois tenue éloignée de la sphère politique77. Bien plus : tout cela constitue une nouvelle mouture de l’ornement de la masse. La masse se projette elle-même sous la forme d’un ornement esthétiquement séduisant par des actions ritualisées et ordonnées, par des rassemblements en uniformes. Ces ornements servent une fascination esthétique, une incitation au voyeurisme. L’offre fasciste est constituée de « formes dont on ne peut détourner les yeux » : le gigantisme architectural représente le caractère absolu du pouvoir, l’exhibition grandiose du pouvoir arrache les hommes à la sphère de leurs intérêts, vers l’endroit où ils croient avoir part à la splendeur qu’ils se représentent78. Par ailleurs, la force d’attraction du pouvoir réside en ceci qu’il peut certes anéantir, mais aussi protéger79. La masse doit tenir lieu de « patrie » à l’homme isolé qui se sent en sécurité, lové dans une communauté. La propagande nazie, qui apparaît sous une forme éclatante et socialement protectrice, suscite ainsi une oscillation entre divers affects. Elle met en scène le pouvoir de façon à devenir aussi « indispensable à l’organisme qu’une drogue80 ».
21C’est pourquoi la masse, pour résumer l’argumentation kracauerienne, est autant une condition que le résultat de la propagande totalitaire. Même quand Kracauer évoque Hitler en termes de « Maître-enchanteur », s’efforçant à force de rassemblements de plonger les masses d’abord dans un « sommeil hypnotique », dans un « sommeil profond » ensuite81, il ne s’agit pas en fin de compte, selon lui, du « viol » par le Führer d’une masse considérée, comme chez Le Bon, comme une victime passive. La relation de la masse au Führer se développe plutôt sur le mode d’une mise en scène consensuelle82 du pouvoir, qui se fonde aussi bien sur l’identification que sur l’intériorisation de celui-ci83. Une fois que les mécanismes sont installés, la masse finit par s’auto-hypnotiser dès que sont brandis les moindres signaux-clés de la propagande84. Kracauer s’intéresse notamment à partir de 1942, dans son analyse du matériau de propagande filmique, au rôle joué par les médias dans ce processus. En observant elle-même le phénomène de massification à travers les films de propagande (mais également lors des rassemblements, les marches, etc.), la masse s’assure en définitive de son propre pouvoir dès lors qu’elle s’imagine en membre du corps formé par le national-socialisme. L’individu établit par conséquent que le corps de la masse engendre en priorité la position du Führer par l’ordonnancement géométrique de la masse85. Du moment où la masse sombre dans le totalitarisme, elle sombre dans la représentation totalitaire de son propre soi.
22Après la guerre, lors des débats concernant la « culture de masse86 », la question de savoir si l’homme se laisse indéfiniment manipuler est soulevée dans un autre contexte87. Kracauer, dans un essai consacré aux stéréotypes nationaux dans le cinéma américain, se demande si Hollywood peut vendre aux masses des films qui ne montrent pas ce qu’elles veulent voir. Sa réponse traduira une confiance en la capacité d’un jugement collectif : « L’expérience nous a enseigné que même les régimes totalitaires ne peuvent pas indéfiniment manipuler l’opinion publique88. » Kracauer reste méfiant vis-à-vis d’un certain « mythe de la propagande » qui, selon Thymian Bussemer, dominerait la recherche sur ce sujet, jusqu’aujourd’hui89. La propagande, selon Kracauer, ne peut pas tout. Pas de fatalité, donc, à ce que la masse se transforme en ornement. Il avait d’abord vu dans la subjectivité des « masses dispersées » des années 1920 la possibilité d’un tournant dialectique positif qui ne s’est pas réalisé. Toutefois, dans ses ouvrages américains, la question d’un sauvetage possible du réel sera de nouveau omniprésente. Dans Theory of film (1960) comme dans History: The Last Things before the Last (1967), les réflexions sur la propagande sont peu explicites, quoique l’expérience historique du nazisme forme l’arrière-plan omniprésent de ces ouvrages. Le film occupera dans ce nouveau contexte, à l’instar des années 1920, un rôle quasiment opposé à celui d’un moyen de propagande. Moins technique d’hypnose que photographie, le cinéma (comme l’historiographie « critique ») devrait au contraire fournir au spectateur un accès à une couche de la réalité qui lui resterait sinon inaccessible, et du même coup « sauver » celle-ci. Une telle position autorise de penser un tout autre rapport entre esthétique et politique que celui des dictatures totalitaires.
Notes de bas de page
1 Cf. Reinhart Koselleck, « „Volk“, „Nation“, „Nationalismus“ und „Masse“ 1914-1945 », in : Otto Brunner, Werner Conze et Reinhart Koselleck (dir.), Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, t. VII : Verw-Z, Stuttgart, Klett-Cotta, 1992, p. 416 sq.
2 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 3 sq.
3 Susanne Lüdemann, « Unsichtbare Massen », in : Inge Münz-Koenen et Wolfgang Schäffner (dir.), Masse und Medium. Verschiebungen in der Ordnung des Wissens und der Ort der Literatur 1800/2000, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 88.
4 Michael Gamper, Masse lesen, Masse schreiben. Eine Diskurs- und Imaginationsgeschichte der Menschenmenge 1765-1930, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 2007, p. 507 sq.
5 Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, édité par Philippe Despoix et Nia Perivolaropoulou, traduit par Daniel Blanchard et Claude Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 93.
6 Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, édité par Philippe Despoix et Nia Perivolaropoulou, traduit par Daniel Blanchard et Claude Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 94.
7 Ernst Bloch, « Kritik der Propaganda » [1937], in : Vom Hasard zur Katastrophe. Politische Aufsätze aus den Jahren 1934-1939, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1972, p. 195-206 (voir la traduction infra dans le présent volume) ; Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952 ; et Bertolt Brecht, « Über die Theatralik des Faschismus » [1939-1940], in : Gesammelte Werke, t. XVI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1973, p. 558-568.
8 Siegfried Kracauer, « Vom Erleben des Krieges » [1915], in : Schriften, t. V-1 : Aufsätze 1915-1926, édité par Inka Mülder-Bach, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1990, p. 11-22.
9 Lettre de Kracauer à Horkheimer du 5 février 1937, citée d’après Bernd Stiegler, « Nachbemerkung und editorische Notiz », in : Siegfried Kracauer, Werke, t. II-2 : Studien zu Massenmedien und Propaganda, Berlin, Suhrkamp, 2012, p. 841. Le 9 novembre 1936, Kracauer écrit à Adorno qu’un travail sur la propagande et le problème des masses nouvelles figurait depuis longtemps sur sa liste de projets (Theodor W. Adorno, Briefe und Briefwechsel, t. VII : Theodor W. Adorno / Siegfried Kracauer, Briefwechsel 1923-1966. „Der Riß der Welt geht auch durch mich“, édité par Wolfgang Schopf, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2008, p. 324 sq.).
10 Siegfried Kracauer, « Exposé. Masse und Propaganda » [1936], in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 231-238.
11 Siegfried Kracauer, « Totalitäre Propaganda » [1937-1938], in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 11-156.
12 Sur ce texte, voir Johannes von Moltke, The Curious Humanist: Siegfried Kracauer in America, Oakland, University of California Press, 2016, p. 46-59.
13 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 286.
14 Gabriel Tarde, L’opinion et la foule, Paris, Éditions du Sandre, 2006, p. 130. Déjà dans « Les crimes des foules » [1892], Tarde distingue un public dispersé, qui serait celui des philosophes, des romanciers, etc., et le public rassemblé des théâtres (Gabriel Tarde, « Les crimes des foules » [1892], in : Essais et mélanges sociologiques, Lyon, A. Storck / Paris, G. Masson, 1895, p. 73 sq.). Dans Totalitäre Propaganda, Kracauer citera, parmi les théories des masses, Ortega y Gasset et Wilhelm Reich. Sur Reich, voir Christian Borch, The Politics of Crowds: An Alternative History of Sociology, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 194-200.
15 Selon Tarde, c’est vers 1900 que commence véritablement l’ère des « publics », dont les origines remontent à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Pour constituer effectivement ceux-ci, il avait fallu attendre d’autres inventions, comme le chemin de fer ou le télégraphe. Cette théorie est basée sur l’expérience de la communication en temps réel.
16 Gabriel Tarde, L’opinion et la foule, Paris, Éditions du Sandre, 2006, p. 9 sq.
17 Gabriel Tarde, L’opinion et la foule, Paris, Éditions du Sandre, 2006, p. 10.
18 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 288.
19 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 289.
20 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 289 sq.
21 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 290.
22 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 290.
23 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 291.
24 Siegfried Kracauer, « Le groupe porteur de l’idée » [1922], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 123 sqq.
25 Siegfried Kracauer, « Le groupe porteur de l’idée » [1922], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 126.
26 Siegfried Kracauer, « Le groupe porteur de l’idée » [1922], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 129.
27 Siegfried Kracauer, « L’ornement de la masse » [1927], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 62.
28 Siegfried Kracauer, « L’ornement de la masse » [1927], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 62.
29 Siegfried Kracauer, « L’ornement de la masse » [1927], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 67.
30 Siegfried Kracauer, « L’ornement de la masse » [1927], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 66. Sur ce sujet, voir Axel Honneth, « Der destruktive Realist. Zum sozialphilosophischen Erbe Siegfried Kracauers », in : Vivisektionen eines Zeitalters. Porträts zur Ideengeschichte des 20. Jahrhunderts, Berlin, Suhrkamp, 2014, p. 138-142.
31 Siegfried Kracauer, « La propagande et le film de guerre nazi » [1942], in : De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, traduit par Claude B. Levenson, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973, p. 345.
32 C’est ce qu’avancent également d’autres contemporains. Cf. Theodor Geiger, « Panik im Mittelstand », Die Arbeit, no 7, 1930, p. 637-654. Aux États-Unis, la thèse de la radicalisation des classes moyennes a notamment été défendue par Seymour Martin Lipset (dans Political Man: The Social Basis of Politics, New York, Doubleday, 1960) que Kracauer rencontra à New York. Elle a été globalement confirmée, quoique avec des nuances, par la recherche sur le comportement électoral sous la république de Weimar. Ainsi Jürgen W. Falter souligne-t-il que les ouvriers étaient plus réceptifs qu’on ne le croyait à la propagande nazie. Il convient toutefois de distinguer les ouvriers agricoles des ouvriers industriels, qui eux votaient majoritairement communiste. Cf. Jürgen W. Falter, Hitlers Wähler, Munich, Beck, 1991, p. 194-230, ainsi que Wolfgang Kraushaar, « Extremismus der Mitte. Zur Geschichte einer soziologischen und sozialhistorischen Interpretationsfigur », in : Hans-Martin Lohmann (dir.), Extremismus der Mitte. Vom rechten Verständnis deutscher Nation, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1994, p. 23-50.
33 Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 104 sq.
34 Siegfried Kracauer, « Sie sporten » [1927], in : Werke, t. V-2 : Essays, Feuilletons, Rezensionen (1924-1927), édité par Inka Mülder-Bach, Berlin, Suhrkamp, 2011, p. 256 et 528. Cf. Noyan Dinçkal, Sportlandschaften. Sport, Raum und (Massen-)Kultur in Deutschland 1880-1930, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013, p. 138.
35 Noyan Dinçkal, Sportlandschaften. Sport, Raum und (Massen-)Kultur in Deutschland 1880-1930, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013, p. 15.
36 Siegfried Kracauer, « Pariser Beobachtungen » [1927], in : Werke, t. V-3 : Essays, Feuilletons, Rezensionen (1928-1931), édité par Inka Mülder-Bach, Berlin, Suhrkamp, 2011, p. 551.
37 Siegfried Kracauer, « Gestern – heute – morgen. Zum Thema Rundfunk » [1932], in : Werke, t. V-4 : Essays, Feuilletons, Rezensionen (1932-1965), édité par Inka Mülder-Bach, Berlin, Suhrkamp, 2011, p. 262 sqq.
38 Siegfried Kracauer, « Schluss mit dem Klamauk » [1932], in : Werke, t. VI-3 : Kleine Schriften zum Film (1932-1961), édité par Inka Mülder-Bach, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2004, p. 13. À cette époque, les métaphores de l’anesthésie des masses par le film, de demi-sommeil mais aussi de réveil, apparaissent souvent dans ses recensions. Voir par exemple « Tonfilm heute » [1932], in : Werke, t. VI-3 : Kleine Schriften zum Film (1932-1961), édité par Inka Mülder-Bach, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2004, p. 29.
39 Siegfried Kracauer, « Schemata », in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 242.
40 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 26.
41 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 12.
42 Siegfried Kracauer, « Exposé. Masse und Propaganda. Eine Untersuchung über die faschistische Propaganda » [1936], in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 232.
43 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 91.
44 « […] die Masse nicht verewigen, sondern eine Gesellschaftsordnung schaffen, in der alle Menschen, also auch der […] Proletarier – die Möglichkeit erlangen, sich nach Maßgabe der individuellen Fähigkeiten zu entwickeln » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 79 sq.).
45 « klassenmäßig exterritorial » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 119).
46 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 12 et 111-115.
47 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 81.
48 Dans Masse und Propaganda, Kracauer déplore l’adhésion excessive des Allemands aux Weltanschauungen de tous genres qui expliquerait en partie les efforts effectués par le mouvement national-socialiste en termes de propagande. Cf. Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 23. Cette observation apparaît dès les années 1920. Dans « Lutte contre le maillot de bain », Kracauer décrit une conférence tenue par le directeur de l’École socio-pédagogique. Celui-ci, appartenant au mouvement nudiste socialiste, y expose sa « métaphysique de la nudité » devenue mouvement de masse. Kracauer commente alors : « Chez nous, on peut à peine acheter une brosse à dents sans recevoir une vision du monde en cadeau » (Siegfried Kracauer, « Lutte contre le maillot de bain », in : Politique au jour le jour, 1930-1933, traduit par Jean Quétier, avec la collaboration de Katrin Heydenreich, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2017, p. 51).
49 « Ad hoc mobilisierte Motivtruppen » ou « fliegende Geschwader » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 150).
50 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 34.
51 « Solange das deutsche Volk im Jahre 1914 noch für Ideale zu fechten glaubte, hielt es stand; sowie man es nur mehr um das tägliche Brot kämpfen ließ, gab es das Spiel lieber auf. Unsere geistvollen „Staatsmänner“ aber staunten über diesen Wechsel der Gesinnung. Es wurde ihnen niemals klar, daß ein Mensch von dem Augenblick an, in dem er für ein wirtschaftliches Interesse ficht, den Tod möglichst meidet, da dieser ihn um den Genuß des Lohnes seines Kampfes auf immer bringen würde » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 35).
52 Ce sont les mots meurtriers d’un affrontement guerrier qui, devant la violence qu’ils véhiculent, se figent en plein air. Seulement quand l’hiver s’achève, les mots se dégèlent, se fluidifient et la vérité de la douleur engendrée par la violence peut se faire entendre.
53 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 38 sq.
54 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 37 sq.
55 Dans le passage sur la propagande que développe Dialektik der Aufklärung, Horkheimer et Adorno souligneront également la transformation du langage par la propagande en un outil, un levier, une machine, et du coup son caractère mensonger (Max Horkheimer, Gesammelte Schriften, t. V : „Dialektik der Aufklärung“ und Schriften 1940-1950, édité par Gunzelin Schmid Noerr, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1987, p. 287).
56 Selon Arendt, les masses déracinées et non intégrées se révoltent contre le « réalisme » et le sens commun en raison d’un besoin d’évasion face aux réalités de leur perte de statut social (Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, édité sous la direction de Pierre Bouretz, Paris, Gallimard, 2002, p. 671 sq.).
57 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 150.
58 Siegfried Kracauer, « Schemata », in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 243.
59 Franz Neumann, Behemoth. Struktur und Praxis des Nationalsozialismus 1933-1944, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1984, p. 506 sq. ; Jürgen Bast, Totalitärer Pluralismus. Zu Franz L. Neumanns Analysen der politischen und rechtlichen Struktur der NS-Herrschaft, Tubingue, Mohr Siebeck, 1999, p. 105. En cela, Neumann montre déjà ce que des recherches historiques récentes sur la propagande nazie confirmeront. Thymian Bussemer souligne que la pratique réelle de la propagande nazie manquait de cohérence. Les différents acteurs que Kracauer cite tour à tour (Hitler, Goebbels, Alfred Rosenberg, les frères Strasser, Eugen Hadamovsky, etc.) divergeaient profondément dans leurs convictions réciproques. Goebbels, contrairement à Hitler, ne croyait ainsi guère à la possibilité de créer un vertige collectif. Il aurait plutôt souhaité miser sur la séduction en usant de messages subliminaux, d’effets esthétiques combinés à la terreur. Il n’y a en réalité jamais eu de conception théorique élaborée de la propagande nazie. La pratique était constamment adaptée aux exigences du moment. Cf. Thymian Bussemer, Propaganda. Konzepte und Theorien, Wiesbaden, Springer / VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2005, p. 175.
60 Selon Freud (qui se réfère ici à Le Bon), il y aurait deux techniques de contrôle des masses : l’affirmation gratuite et la répétition. Paradoxalement, explique Le Bon, moins les arguments sont convaincants, plus les affirmations suscitent le respect (Sigmund Freud, « Massenpsychologie und Ich-Analyse » [1921], in : Gesammelte Werke, t. XIII : „Jenseits des Lustprinzips“. „Massensychologie und Ich-Analyse“. „Das Ich und das Es“, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1940, p. 83.
61 « Ein Aufnahmeorgan des Führerwillens » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 57).
62 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 59 et 62.
63 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 140.
64 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 152.
65 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 85.
66 Franz Neumann, Behemoth. Struktur und Praxis des Nationalsozialismus 1933-1944, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1984, p. 505.
67 « Ströme des Bluts sollen erhärten, daß die Farce Ernst ist, blutiger Ernst » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 73).
68 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 74.
69 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 71.
70 « Die sadistische Lust, es der blinden Natur gleichzutun, der man ausgeliefert ist, und die masochistische Lust, sich blindlings der Natur auszuliefern, von der man durchwaltet wird » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 75).
71 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 83. Dans la préface de Dialektik der Aufklärung, Horkheimer et Adorno prennent explicitement leur distance avec Ortega y Gasset (cf. Max Horkheimer, Gesammelte Schriften, t. V : „Dialektik der Aufklärung“ und Schriften 1940-1950, édité par Gunzelin Schmid Noerr, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1987, p. 20).
72 « Wer kuscht, träumt davon Meister der Knute zu sein » (Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 75).
73 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 88.
74 En 1942, Kracauer jugera que le film Le triomphe de la volonté (1935) « révèle que les discours devant le congrès n’avaient qu’un rôle mineur », pour laisser la place à l’image (Siegfried Kracauer, « La propagande et le film de guerre nazi » [1942], in : De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, traduit par Claude B. Levenson, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973, p. 343). Dans Théorie du film (1960), Kracauer développera davantage la thématique des effets psycho-physiologiques induits par le cinéma sur le spectateur : Celui-ci est aspiré par un tourbillon d’émotions qui s’apparentent au choc. Dans ce contexte, Kracauer se réfère à Gilbert Cohen-Séat, Essais sur les principes d’une philosophie du cinéma (1946). Devant l’écran, le « moi » de celui qui le regarde, se retire. L’obscurité de la salle de cinéma affaiblit la conscience et réduit instantanément le contact de l’individu avec le réel. Chez les vrais cinéphiles, Kracauer croit avoir observé un « besoin physiologique » de perte de leur moi, afin de concentrer tous les sens à l’absorption des images. Ils rentrent pour ainsi dire dans la catégorie que la psychiatrie dénomme traumatophiles. Cf. Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, édité par Philippe Despoix et Nia Perivolaropoulou, traduit par Daniel Blanchard et Claude Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 237 sq.
75 Siegfried Kracauer, « La propagande et le film de guerre nazi » [1942], in : De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, traduit par Claude B. Levenson, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973, p. 343.
76 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 92.
77 Siegfried Kracauer, « Exposé. Masse und Propaganda », in : Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 234 sq.
78 Adorno au contraire soulignera, une décennie plus tard, dans son essai sur le système psychologique que les agitateurs fascistes américains ont mis en place, non son affectation de grandeur, mais la médiocrité affichée du leader. En se référant à « Massenpsychologie und Ich-Analyse » de Freud (1921) Adorno parlera du Führer comme d’un « great little man ». Pour ce qui est de la question du processus de transformation des individus en masse, il s’oppose, avec Freud, à Le Bon pour critiquer l’hypothèse de la « suggestibilité » et d’un instinct moutonnier. Il souligne au contraire la nature libidinale-autoritaire de la massification, laquelle ne serait que l’expression manifeste de pulsions habituellement refoulées : par exemple, la soif de soumission (Theodor W. Adorno, « Die Freudsche Theorie und die Struktur der faschistischen Propaganda » [1951], in : Kritik. Kleine Schriften zur Gesellschaft, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1971, p. 38 sq. et 43).
79 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 77.
80 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 78.
81 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 86 et 89.
82 Dans le passage déjà évoqué sur la propagande de Dialektik der Aufklärung, Horkheimer et Adorno écriront : « Une communauté où le Führer et ceux qui le suivent se retrouvent à travers la propagande est une communauté du mensonge » (Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 278).
83 Rappelons, encore une fois, la position de Tarde sur ce point : pour lui, le leader est certes un « magnétiseur », mais il a besoin d’un « prestige » que seule la foule peut lui conférer. La relation entre la foule et le leader fonctionne par la suggestion et l’imitation plutôt que sur le mode de l’identification (comme le supposent les schémas d’interprétation inspiré de la psychanalyse). Cf. Urs Stäheli, « Seducing the Crowd: The Leader in Crowd Psychology », New German Critique, no 114, 2011, p. 73 sq. En revanche, dans le passage de La dialectique de la raison consacré à la « société de masses », Horkheimer et Adorno décriront le Führer comme une « projection collective et démesurée du Je impuissant de chaque individu » (Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 255). Voir également Martin Jay, Dialektische Phantasie. Die Geschichte der Frankfurter Schule und des Instituts für Sozialforschung 1923-1950, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1976, p. 191.
84 Siegfried Kracauer, Totalitäre Propaganda, édité par Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2013, p. 106. Ici se profile une idée davantage développée chez Serge Tchakhotine. Elle se base non sur Freud, mais sur la notion de réflexes conditionnés (pavloviens). Cf. Christian Borch, The Politics of Crowds: An Alternative History of Sociology, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 195, note 2.
85 Cf. l’analyse du Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl dans Siegfried Kracauer, « La propagande et le film de guerre nazi » [1942], in : De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, traduit par Claude B. Levenson, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973, p. 343. Le Bon souligne déjà que le leader n’est pas extérieur à la masse, mais fait corps avec elle. Cf. Urs Stäheli, « Emergenz und Kontrolle in der Massenpsychologie », in : Eva Horn et Lucas Marco Gisi (dir.), Schwärme. Kollektive ohne Zentrum. Eine Wissensgeschichte zwischen Leben und Information, Bielefeld, transcript, 2009, p. 93 sq.
86 Comme le remarque Christian Borch, Karl Mannheim et Ortega y Gasset (et on peut ici rajouter Siegfried Kracauer) adoptent un point de vue selon lequel la « culture de masse » émerge « d’en bas », alors qu’il s’agit, pour Horkheimer et Adorno, d’un phénomène imposé aux masses « d’en haut », c’est-à-dire par l’« industrie culturelle ». Cf. Christian Borch, The Politics of Crowds: An Alternative History of Sociology, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 216 sq., note 34.
87 Cf. Christian Borch, The Politics of Crowds: An Alternative History of Sociology, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 216-223.
88 « Die Erfahrung hat uns gelehrt, dass nicht einmal totalitäre Regime die öffentliche Meinung unendlich manipulieren können » (Siegfried Kracauer, « Nationalcharaktere wie Holligwood sie zeigt » [1949], in : Werke, t. II-2 : Studien zu Massenmedien und Propaganda, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2012, p. 511).
89 Thymian Bussemer, Propaganda und Populärkultur, Konstruierte Erlebniswelten im Nationalsozialismus, Wiesbaden, Deutscher Universitäts-Verlag, 2000, p. 5 sq.
Auteur
Stephanie Baumann, maîtresse de conférences à l’université polytechnique des Hauts-de-France. Publications sur Siegfried Kracauer, Walter Benjamin, Theodor W. Adorno. Dernier ouvrage : Im Vorraum der Geschichte. Siegfried Kracauers History – The Last Things before the Last (Paderborn, 2014).
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