L’art politique examiné par la Théorie critique
p. 15-35
Texte intégral
1Comment la Théorie critique, en tant qu’école de pensée hétérogène, pourrait-elle posséder une unité analytique face à la propagande politique, et, plus généralement, face à ce que nous pourrions nommer l’« art politique » ? Problématisée, cette question pourrait sans aucun doute faire l’objet d’une thèse, et c’est pour cette raison que ce texte ne pourra que proposer des pistes de réflexion non exhaustives. D’autant qu’il semblerait raisonnable, même si cela m’est impossible dans ce travail, de mettre en résonance les philosophes, les économistes, les essayistes de l’Institut de recherches sociales et ceux qui, en dehors de l’Institut et parfois en désaccord avec les protagonistes, ont participé à l’élaboration d’une pensée toujours en mouvement.
2Le noyau dur de la Théorie critique est formé par un processus théorique qui s’attache à l’analyse de la crise et de la domination ; c’est in fine ce qui unit les différentes figures de la Théorie critique. Les relations qu’entretiendront les intellectuels de cette mouvance, entre fusion et conflit théorique et politique, éclairent l’extrême variété du spectre d’analyse politique. Mais il est également notable que l’émergence d’une telle théorie corresponde à une période déterminée de l’histoire contemporaine, au sein des pays les plus industrialisés de la première moitié du xxe siècle, et plus particulièrement de l’Allemagne. Ce pays connaît en effet, à la fin du siècle précédent, des changements rapides et profonds du rythme de vie, des évolutions sociales et culturelles, ainsi que des accélérations techniques qui déstabilisent les individus, pris isolément ou dans leurs dimensions collectives. De ce fait, l’urbanisation de l’Allemagne reste certainement l’une des expériences les plus marquantes dans la vie des intellectuels allemands nés entre 1885 et 1910, dont font partie Siegfried Kracauer et Walter Benjamin, mais également Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Franz Neumann, Herbert Marcuse, Hannah Arendt ou encore Günther Anders1.
3Cet événement, cette révolution anthropologique qu’est l’émergence de la modernité dans la vie quotidienne, n’est cependant pas, pour ces derniers – et pour tous ceux qui ont vécu sous le régime politique de la république de Weimar – le seul paramètre de réflexion et d’analyse. En effet, et comme le souligne Ami Bouganim, la vie a indéniablement été marquée par « le souvenir de la dernière guerre et […] la hantise de la prochaine. Partout ils [ces intellectuels et ces philosophes] ne décelaient que médiocrité, bêtise et obscurantisme2 ». Si cela peut sembler exagéré, il est certain que, le temps passant et les crises s’accentuant – politiques, économiques, culturelles et sociales –, les analyses et les travaux de ces juifs allemands – qui par ailleurs deviendront majoritairement, comme le souligne Enzo Traverso à propos de Kracauer, des intellectuels nomades3, refoulés de leur « identité nationale » et religieusement peu ou pas pratiquants – se marquent de l’expérience unique que représente la montée du nazisme, son installation, son entreprise de domination intérieure, son impérialisme, son emprise, ses théories politiques, économiques et culturelles et, bien sûr, son entreprise d’extermination, holocauste ou génocide, que Claude Lanzmann nommera Shoah4 (terme signifiant en hébreu « catastrophe » et qui est le nom officiel donné par l’État d’Israël à cette tentative d’extermination totale).
4Sans doute cet événement sera-t-il l’analyseur principal des véritables chocs, qui s’étendent de la fin des années 1920 à nos jours, que sont la modernité et la rationalité devenue instrumentale qui se transforme alors en un instrument de domination. La dimension politique de la Théorie critique, des travaux de Kracauer ainsi que ceux des autres auteurs et théoriciens, ne se limite donc pas au message objectivement politique de la propagande mais s’étend à l’analyse dialectique et négative de la société moderne et technique. Et c’est sans doute à ce moment-là que nous trouvons la véritable dimension politique de la Théorie critique et de la réflexion, parfois parcellaire, sur ce qu’est la propagande, ce qu’elle représente, ce qu’elle sert.
Raison, négativité et rationalité instrumentale
5En 1963 et 1965, Theodor W. Adorno publia les deux recueils Eingriffe. Neun kritische Modelle et Stichworte. Kritische Modelle 2. Ces deux ouvrages fourniront la matière du volume français Modèles critiques5 dans lequel on trouve le célèbre texte « Éduquer après Auschwitz ». L’entame de ce texte nous renvoie, aujourd’hui encore, à la pensée politique adornienne ; l’auteur y explique qu’« exiger qu’Auschwitz ne se reproduise plus est l’exigence première de toute éducation6 ».
« Elle prend à ce point le pas sur toute autre, poursuit-il, que je ne crois en rien avoir à la justifier. Je ne comprends pas qu’on ne s’en soit pas préoccupé davantage à ce jour. Lui trouver une explication serait monstrueux face à la monstruosité qui se produisit. Mais le fait que l’on ne soit guère conscient d’une telle nécessité montre bien qu’une telle monstruosité n’a pas pénétré profondément dans les esprits, et qu’elle peut se répéter étant donné ce qu’est le niveau de conscience et d’inconscience des hommes […]. On parle d’une menace de rechute dans la barbarie. Mais ce n’est pas une menace, Auschwitz fut cette rechute ; mais la barbarie persiste tant que durent les conditions qui favorisèrent cette rechute […]. La pression sociale continue à peser, même si la misère reste invisible. Elle pousse les hommes à l’indicible, qui prit à Auschwitz des dimensions historiques et mondiales. À la lumière de ce que dit Freud, et qui pénètre jusque dans la culture et la sociologie, […] la civilisation engendre l’anti-civilisation et ne cesse de la renforcer […]. Si la barbarie s’inscrit dans le principe même de la civilisation, il peut sembler désespéré de vouloir s’y opposer7. »
6Ainsi, Adorno ne voyait pas la fin du conflit armé comme le début d’un nouveau monde. La défaite des nazis n’enterrait pas pour autant la barbarie et, une vingtaine d’année après ces horreurs, il perçoit encore les raisons de l’existence d’une anti-civilisation, d’une barbarie inscrite au sein même du principe civilisationnel moderne, des sociétés capitalistes et industrielles.
7Pour la Théorie critique, en effet, le nazisme, et pour Adorno Auschwitz, fut une rechute dans un processus barbare perdurant au sein d’un système plus global de domination qui émerge avec la modernité. La situation dialectique et sa dimension négative doivent proposer une capacité de résistance, seule en mesure de s’opposer au mouvement d’anéantissement susceptible d’être contenu dans la logique universalisante de la Raison. C’est ainsi qu’Adorno remarque dans ce même texte que « la pression d’une universalité dominante sur tout ce qui est particulier, sur l’individu et les différentes institutions, a tendance à anéantir le particulier et l’individuel en même temps que sa capacité de résistance8 ». Force est de constater qu’Adorno n’évoque pas seulement Auschwitz puisque, écrit-il encore, « notre société […] engendre des tendances à la désintégration9 ». Il estime, de la sorte, que jamais les racines profondes de ce qui engendra Auschwitz ne sont analysées, mises au jour, jamais la conscience de ce que furent ces conditions ne semble émerger.
8C’est à partir de ce paradigme que se comprennent les écrits antérieurs des auteurs liés à cette théorie. Kracauer fut par exemple l’un des premiers, après Max Weber bien sûr, à confronter l’évolution de la société allemande, ou plus globalement occidentale, avec le mouvement de rationalisation dominant. Il ne pouvait évidemment pas rester insensible au mouvement de rationalisation du monde. Les intellectuels, de manière générale, ne pouvaient ignorer le processus en cours qui, depuis la fin du xviiie siècle et jusqu’aux années 1960, ouvrait la société allemande au développement capitaliste. Durant cette période, la Raison céda finalement le pas à la rationalisation et à la rationalité technique, scientifique et instrumentale. Chaque action se transforme en une mise en forme rationnelle de l’esprit contre toute possibilité auratique ou symbolique, comme le signale Walter Benjamin.
9Kracauer, tout au long de son parcours intellectuel, met à sa manière en lumière l’émergence de cette rationalité, ainsi que ses conséquences dans et sur la vie quotidienne : quadrillage spatial et temporel, productivité, compétition, développement technique, urbanisation. Pourtant, plus que cela, il démontre à la suite de Marx et de Simmel que ces conséquences ne sont pas des épiphénomènes, ou des extériorités au cadre de vie moderne et capitaliste, mais bien des parties intégrantes qui font société et la réalisent dans un processus dialectique qui n’est pas sans risques. L’une des premières tentatives de compréhension du développement de cette rationalité se trouve dans un travail qui peut être jugé périphérique, mais qui est fondamentalement central tant il montre, d’une part, que cette rationalité est partie intégrante de l’individu et fait progressivement société et, d’autre part, qu’elle deviendra l’un des noyaux durs de la Théorie critique. Il s’agit du Roman policier. Un traité philosophique10, dédié au jeune Adorno et dont la rédaction se termine en 1922.
10Cet ouvrage n’est pas une simple histoire du roman policier. C’est une étude sur la nature même de la société dont Kracauer est le contemporain, avec pour centre l’analyse de la forme de pensée caractéristique du capitalisme : la pensée rationnelle. Celle-ci n’est évidemment pas pure abstraction, et c’est pour cela que Kracauer s’intéresse aux romans policiers en tant que ceux-ci sont l’expression d’une période littéraire, d’une période sociétale, tant sur la forme que sur le fond. Ainsi que l’écrit Enzo Traverso, l’auteur développe sa théorie entre la rationalité qui existe par rapport à une fin et s’institutionnalise, comme le proclame Max Weber, et la raison instrumentale qui deviendra l’« une des catégories centrales de l’École de Francfort11 ». Se pose également la question du lien qui peut se construire ou s’élaborer entre cette première œuvre et les travaux qui suivront. « Son statut reste encore flou, écrit ainsi Thomas Weber, et l’on se demande si un rapport doit être établi entre le Traité et les écrits plus tardifs, contenant une critique matérialiste sans équivoque, ou bien si le Traité doit être nettement dissocié du reste de l’œuvre12. » Cette question est évidemment légitime, puisque, comme le rappelle Thomas Weber, les interprètes de Kracauer plaident souvent pour la dissociation13. Je vais donc prendre le chemin inverse en tentant de démontrer que la logique de Kracauer est déterminée par la mise en question de la ratio et par la critique de celle-ci en tant que système de domination permettant potentiellement de nier l’humanité de l’homme tout en déréalisant le monde, par l’existence d’une religiosité qui remplace la religion, la ratio remplaçant Dieu ou, comme le suggéreront Horkheimer et Adorno, le mythe devenant Raison et la Raison mythe14. La démarche de Kracauer consiste donc à orienter – intentionnellement ou non, consciemment ou non – les premiers travaux qu’il consacre à une critique de la ratio vers une critique de la rationalité instrumentale déterminée15 au sein d’une société qui, entre 1870 et 1945, va connaître, jusqu’à son apex, une religiosité reposant sur cette rationalité instrumentale la plus détestable. Ainsi Le roman policier est-il sans doute la première étape d’une analyse de la rationalité, qui conduit par la suite à l’étude des villes et du développement urbain, à l’étude du travail au sein de cette société urbaine qui voit se développer le monde des employés, à l’étude de l’ornement, du loisir et du spectacle dans une société d’employés à la recherche d’une identité, bourgeoise évidemment, à l’étude de la photographie et du cinéma en tant qu’analyseur d’un monde de plus en plus technique, technologique et « scientifique », à l’étude d’une domination liée au développement de la rationalité instrumentale par l’émergence de ces techniques, de ces technologies et de ces « sciences », à l’étude enfin de l’aboutissement d’une religiosité moderne comportant le schéma dialectique pulsion / raison au travers de la propagande nazie. Autrement dit, le schéma de toute-puissance porté par le détective au sein des romans policiers n’est qu’un fragment de l’analyse générale de Kracauer.
11Dès les premières lignes de son étude sur le roman policier, Kracauer annonce son objectif. Ce travail est une critique de la modernité, tant celle-ci apparaît comme une forme déréalisée de la société vécue. Il perçoit dans l’exercice de style et dans cette forme littéraire que représente le roman policier, et sans doute avant toute autre chose, la puissance de l’esprit moderne, c’est-à-dire une forme de pensée qui s’impose aux êtres et aux objets, aux « choses de la vie », à la nature. Comme le souligne Kracauer, afin de marquer parfaitement les finalités de son étude, « ce dont il s’agit dans ces romans n’est pas la reproduction fidèle de cette réalité que l’on appelle civilisation, mais bien plutôt, et dès le début, l’accentuation du caractère intellectualiste de cette réalité16 », ou la force de l’esprit, sa domination sur les événements naturels, sociaux et culturels. Le projet de Kracauer est de montrer cette puissance qui fait société puisque l’esprit rationnel est celui qui, progressivement, domine à l’époque moderne capitaliste. Il ne s’agit cependant pas seulement d’une norme qui s’imposerait par « habitude », par « coutume » ou par « raison », mais bien du résultat d’un culte, d’un projet que certains révolutionnaires français vouaient déjà à la Raison et qui se développera jusqu’à la rationalité. La religiosité n’est pas un élément anodin, elle est constituante, ce qui peut paraître contradictoire mais explique l’analyse que font Horkheimer et Adorno, dans La dialectique de la raison, de la rationalité et du développement même de l’esprit scientifique. Nous pourrions en prendre pour preuve le chemin fait de détours, de violences et d’incompréhensions, qui mène de la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale. Il ne s’agit pas d’une logique qui s’inscrit au sein d’une démarche euristique, mais d’une suite de rapports de force qui préserve, parfois, la foi et la rationalité – ce qui, en l’espèce, peut paraître paradoxal –, parfois l’un plutôt que l’autre, l’un devenant dominant.
12Il se trouve dans Le roman policier la même perception d’autorité et de religiosité. La ratio du détective, déclare Kracauer, finit
« par éclairer l’obscurité et par reconstituer sans lacune la banalité des faits ; rares sont ceux qui ne finissent par unir quelques couples d’amoureux. Le miracle d’une telle conclusion est la déformation dans la sphère esthétique de la fin messianique, sans inclure la réalité dans laquelle cette fin peut se manifester. L’homme orienté, pour qui le monde ici-bas appelle la rédemption qui en est absente, ne vit la rédemption surréelle qu’à la fin de la réalité, il ne se situe pas lui-même dans cette fin, mais dans la tension vers elle, il vit dans les sphères intermédiaires, mais le royaume lui-même n’est pas sa vie. Ce qui est réel c’est le désaccord, la déchirure, l’ouverture à celui qui ouvre à la fois l’avoir et le non-avoir, et la réconciliation peut venir comme un pressentiment si le divisé qu’il s’agirait de réconcilier existe ; sans quoi elle n’est qu’un son creux […]. S’il y a une fin, ce n’est que là où il y a du tragique. Cette expérience se situe encore dans la sphère de l’humain, tandis que le messianique ne se situe pas à l’intérieur de la réalité humaine, ou seulement incidemment […]. Le roman policier s’accorde avec la philosophie de l’immanence, philosophie close, en ce qu’il comprend la fin sans réalité. Comme il élimine la tension, il fuit le paradoxe existentiel ; et comme la ratio y manifeste sa puissance, la victoire finale qui la confirme est prédestinée17. »
13La dimension immanente du roman policier lui confère la possibilité d’aller vers une fin déréalisée, qui tourne le dos à la dimension humaine par la perfection qui s’y exprime de manière prédestinée, c’est-à-dire avant même que s’exprime l’intrigue, non pas seulement policière, mais de la vie dans sa totalité. La dimension messianique du roman policier éloigne de la réalité, dans une perfection qui est inatteignable et montre « le tragique fondamental de l’humanité, qui consiste en ce que la perfection est irréalisable, parce qu’il n’y a de réalité que dans la relation à la perfection18 ». Le détective kracauerien est celui qui remet le monde à l’endroit au milieu du chaos généralisé des événements et des choses incomprises. L’infaillibilité de l’intellect policier est rassurante dans un monde, celui du xixe et du début du xxe siècle, où la révolution industrielle, les mouvements révolutionnaires et les différentes guerres – dont la Première Guerre mondiale – sont les symptômes d’un mouvement et d’un changement sociétal profonds. Le détective représente alors la possibilité d’un ordre « parfait », inscrit dans la toute-puissance intellectuelle rationalisée dominant l’étrange, la déviance et le crime.
14Kracauer continuera son analyse de la rationalisation de la vie, notamment dans son ouvrage sur la vie des employés au sein de l’Allemagne de la fin des années 192019, leur prolétarisation rampante malgré le développement de désirs bourgeois. Pour sa part, Herbert Marcuse voit dans la rationalité et la production les nouvelles formes d’un contrôle social s’appuyant sur le développement des sciences.
« La double signification de la “rationalisation” doit être placée dans ce contexte. L’organisation scientifique, la division scientifique du travail augmentent énormément la productivité de l’entreprise économique, politique et culturelle, et le résultat est un standard de vie amélioré. En même temps et sur les mêmes principes, cette entreprise rationnelle a produit un état d’esprit, une forme de conduite qui justifient, qui expliquent même les aspects les plus destructifs et les plus oppressifs de l’entreprise. La rationalité technique et scientifique et l’exploitation de l’homme sont liées l’une à l’autre dans des formes nouvelles de contrôle social20. »
15Dans ce cadre, à l’époque capitaliste, les sciences et les techniques, qui rationalisent la connaissance scientifique au niveau de l’exploitation économique et politique de l’homme et de la nature, sont devenues indissociables. Sciences et techniques sont les maillons d’une même chaîne qui participe de l’instrumentalisation des connaissances, objectives et subjectives, au travers de la rationalisation du monde. Cette rationalité est devenue, selon Marcuse, une « technologie21 » qui est « une forme de contrôle et de domination sociale22 ». Les sciences rationalisées sont l’aspect positif et négatif du développement de l’humanité de l’homme. Dans cette unité des contraires, dialectiques, s’expriment les contradictions de la modernité dans un rapport conflictuel de domination. Marcuse soutient que « la méthode scientifique qui a permis une domination de la nature de plus en plus efficace a fourni les concepts purs, mais elle a fourni, au même titre, l’ensemble des instruments qui ont favorisé une domination de l’homme par l’homme de plus en plus efficace, à travers la domination de la nature23 ». Ainsi ces sciences et ces techniques qui se disent filles de la Raison produisent de nouvelles dominations, génèrent de nouvelles pathologies et, désirant libérer l’Homme, finissent par le contraindre lui et la nature dont il est dépendant.
16La rationalisation du monde entraîne une modification radicale de l’être et de son environnement. La première partie d’Éros et civilisation, intitulée « Sous la domination du principe de réalité », décrit principalement les nouvelles formes de domination, leurs structurations rationnelles, les dé-formations instinctuelles24. Ce sont ces dé-formations qui, dans le cycle freudien « domination, rébellion, domination », produisent – selon Marcuse et la logique dialectique – non pas une domination toujours identique, mais une domination altérée qui mène de l’autorité du père à la domination institutionnalisée, impersonnelle, de plus en plus rationnelle et objective, et qui s’étend dans le temps et l’espace vécu. De ce fait, si la domination est dépersonnalisée, la répression l’est également. C’est ainsi que dans l’ordre de la société rationnelle, par le développement d’une société de labeur hiérarchisée, la rébellion elle-même est empêchée par la logique de consommation qui s’articule entre la création des besoins et le « principe de rendement ». Cette logique de la satisfaction met en lumière la dimension compensatoire des satisfactions dans une société régie par le « principe de rendement », qui détourne les désirs instinctuels d’une sexualité de plaisir vers les plaisirs de la consommation d’objets produits industriellement. Si la révolte contre le « père » est possible puisqu’il représente la figure de l’autorité non supportable mais dépassable, la révolte contre les lois qui protègent la vie en société – cette vie caractérisée par la consommation et la satisfaction induite par cette consommation, l’accroissement de cette consommation étant associé à l’amélioration du niveau de vie – est, quant à elle, à l’époque de la rationalité instrumentale, impossible.
17Par cette consommation, les hommes, devenus machines à consommer sous la domination des machines qui produisent, connaissent un processus de « désublimation ». Celle-ci n’est cependant pas libératrice, bien au contraire, mais répressive. Cette « désublimation répressive » s’applique à toutes les classes sociales, même si celles qui en subissent les plus lourdes conséquences sont les classes les plus en difficulté et les basses classes moyennes. Nous sommes donc ici face à l’une des idées les plus fondamentales de Marcuse, qui, in fine, rejoint malgré certaines oppositions celle d’Adorno selon laquelle le « progrès » favorise le contrôle social, la répression, l’auto-répression.
18Cette désublimation participe d’une nouvelle dimension humaine que les philosophes juifs allemands qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale ne peuvent que questionner. Günther Anders y voit dès 1956 l’obsolescence de l’homme25, tandis que Marcuse y perçoit en 1964 une unidimensionnalité.
19La critique de la Raison chez les auteurs de l’Institut, ou proches de la Théorie critique, s’exprime, également et évidemment, dans ce que Horkheimer et Adorno décriront dans le premier chapitre de La dialectique de la raison (1944), et qui s’avère être l’échec de la Raison qui « avait pour but de libérer le monde de la magie » et « se proposait de détruire les mythes et d’apporter à l’imagination l’appui du savoir26 ». De fait, la Raison se renverse dialectiquement en son contraire, et devient « la radicalisation de la terreur mythique. L’immanence pure du positivisme qui est son ultime produit n’est rien d’autre que ce que l’on peut qualifier de tabou universel27 ». Ainsi, « en sacrifiant le penser qui, sous sa forme réifiée, en tant que mathématique, machine, organisation, se venge de l’homme qui l’oublie, la Raison a renoncé à s’accomplir. En soumettant à sa tutelle tout ce qui est unique et individuel, elle permit à la totalité non comprise de se retourner – sous la forme de la domination – contre les choses, contre l’être et la conscience des hommes28 ». La boucle est donc bouclée. La Raison qui devait détruire la destruction est elle-même devenue destructrice sans pouvoir être réellement contrôlée. La bourgeoisie est dépassée par ses désirs de « progrès » et de domination de la nature. Cette domination a mué en destruction et « la Raison, au service du présent, devient une imposture totale pour les masses29 ».
Masse, peuple, foule, accélération
20Comme le notent Horkheimer et Adorno, la Raison est devenue une imposture pour les masses. Quels sont les paramètres qui ont entraîné la transformation du « peuple » ou de la « foule » en « masse », puisque les théoriciens critiques n’assimilent en effet nullement ces trois situations d’agrégations d’individus, et que la dernière est significative d’une situation politique particulière ? Pour Marcuse, par exemple, « les masses et la culture de masse sont des manifestations de la pénurie et de la frustration, et la déclaration autoritaire de l’intérêt commun n’est qu’une autre forme de la prédominance des intérêts particuliers sur le tout30 ». Cette réflexion peut être complétée par ce que l’auteur écrit précédemment dans le même texte : « Le poids et l’importance des masses augmentent avec le développement de la rationalisation. » Il affirme également que « les exigences professionnelles hautement différenciées de l’industrie moderne31 » vont dans le sens d’une normalisation qui vise à la conservation de soi et s’oppose à la liberté des individus. Nous pouvons évidemment identifier une critique de la modernité reposant sur la transformation des individus en masses, car c’est par l’effet de l’accélération – qui dépend pour partie de ce que Marx nomme l’accumulation primitive du capital – que peut s’expliquer le processus économique attirant vers les villes des populations dépourvues de savoir-faire industriel, processus qui a structuré l’industrie, le capital et les populations ouvrières dans le courant du xixe siècle32. Cette accumulation primitive du capital a permis le développement des premières véritables entreprises capitalistes et celui de la rationalité technique dans le processus de production.
21Avant d’aller plus loin et comprendre ce que le concept de masse permet d’analyser, il nous faut comprendre quelles peuvent être les différences entre les différentes formes d’agrégations d’individus, et tenter de décrire ou de définir ce que peut être la « masse » et les différences potentielles qu’elle recèle par exemple par rapport au « peuple » ou à la « foule ».
22Nous pourrions ainsi rappeler que le terme « peuple » vient du latin populus et concerne le processus de peuplement ou de dépeuplement, ce qui relève toujours d’un acte de culture en soi ou d’accroissement de l’humanité de l’homme. Cela participe des formes d’architecture, de l’adaptation à un milieu particulier, des modes relationnels avec l’environnement, avec les formes de voisinage, des interrelations culturelles et subjectives. Le terme de « foule », lui, procède du terme « fouler » qui signifie presser ou proprement « endroit où l’on est pressé ». La foule représente donc un mouvement ou un ensemble de flux. Les interrelations des différents éléments de la foule sont principalement physiques, au sein d’une agrégation plutôt définie par la non-identité. La foule semble sans doute moins « noble » que le peuple, la dimension culturelle y étant moins présente. Marcuse note à ce propos que « la foule est une association d’individus qu’on a dépouillée de toute distinction “naturelle” et personnelle33 », devenant par là « l’antithèse de la “communauté” » lui conférant déjà une dimension normalisée.
23Le terme « masse » vient de « amas », dérivé du latin massa. Il signifierait plutôt entasser. Les dimensions humaines et culturelles tendent ici à disparaître. Si les termes de « peuple » et de « foule » sont caractéristiques de l’humanité, la « masse » concerne autant les objets que les hommes. Nous sommes dans une situation d’indéfinition humaine. Seule la dimension, c’est-à-dire le nombre, qui peut être également indéfini mais élevé, définit la masse. Il ne faut pas négliger non plus le fait que la masse provient d’un entassement, c’est-à-dire d’une superposition informe. La non-identité est ici totale. De ce fait étudier le peuple, la foule ou la masse ne relève pas du même exercice, et l’utilisation de l’un ou l’autre terme définit la nature même de la société.
24La masse, en tant qu’entassement, n’est possible que dans un monde d’accélération de la production, de la consommation, de la spectacularisation du monde vécu. L’accumulation, ou l’amas, l’entassement, correspondent à une forme spécifique de l’accélération dans le monde du capital. Il n’y a pas d’accumulation possible si la vitesse, toujours accélérée, ne permet pas la reproduction et l’accroissement de ce capital. L’accumulation devient de la sorte l’un des fondements des rapports sociaux dominants, si ces derniers ont dialectiquement pour finalité l’accroissement continu du capital. Bien avant Guy Debord, Kracauer avait, dès les années 1920, pressenti en Allemagne la situation problématique que créerait le développement spectacularisé, je devrais dire ornementalisé, de la culture au sein d’une société massifiée par la modernité. Ainsi notait-il :
« La société, consciemment, et sans doute plus encore inconsciemment, veille à ce que cette attente culturelle ne fasse pas réfléchir sur les racines de la culture véritable, et ne débouche pas sur une critique des conditions sur lesquelles repose le pouvoir social. Elle ne réprime pas le besoin de vivre dans l’éclat et la distraction, elle l’encourage comme elle peut, partout où elle le peut. La société ne pousse pas sa propre logique jusqu’au point décisif, elle recule au contraire devant toute décision et préfère voir le charme de l’existence plutôt qu’affronter la réalité. Elle est, elle aussi, portée sur les diversions. Comme c’est elle qui donne le ton, il lui est d’autant plus facile d’entretenir les employés dans l’idée qu’il n’y a rien de mieux que de passer sa vie dans la distraction. Elle se pose comme la valeur suprême, et, si la masse des salariés la prend comme modèle, ils sont presque arrivés là où elle veut les conduire34. »
25La société du spectacle naissante de l’Allemagne weimarienne est le résultat dialectique de la culture dite de masse, de l’accélération de la production et de la consommation culturelle, ou de ce qui sera d’une part décrit en 1935 par Walter Benjamin comme « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique35 », et d’autre part analysé en 1944 par Max Horkheimer et Theodor W. Adorno comme « la production industrielle de biens culturels36 ». Elle est donc et surtout une société d’accumulation, par une accélération allant jusqu’à la massification, et de spectacularisation de cette masse.
26Cette masse n’est plus alors à la lisière de la culture dominante, elle impose cette culture ou, mieux encore, elle devient culture, car l’effet de masse produit la masse. La masse humaine produit le travail, la production de masse, la consommation de masse. Autrement dit, dialectiquement, la masse humaine crée une société de masse totale et cette société de masse totale accroît la masse humaine en tant qu’agrégation d’individus « désaffiliés ». Cette mission de désaffiliation, d’émergence d’électrons, est confiée au « spectacle de la culture » et à « la culture du spectacle ». Horkheimer et Adorno avaient concrètement appréhendé cette dimension lorsqu’ils écrivaient que « la culture est une marchandise paradoxale. Elle est si totalement soumise à la loi de l’échange qu’elle n’est même plus échangée ; elle se fond si aveuglément dans la consommation qu’elle n’est plus consommable. C’est pourquoi elle se fond avec la publicité […] qui sert de refuge à ceux qui organisent le système et le contrôlent37 ». Car, et c’est ici une formidable intuition, la réception et la compréhension des biens culturels n’a de sens que dans une production qui n’est pas industrielle, c’est-à-dire qui ne saurait reposer sur le caractère nécessairement éphémère de tout produit industriel. De ce fait, elle peut devenir « publicité » ou propagande entre les mains de ceux pour qui le « système » fonctionne.
27Kracauer, lui, est conscient dès la fin des années 1920 de la perte d’aura de la culture, puisque dans son texte paru le 4 mars 1926, « Culte de la distraction », il écrit que « les biens culturels que les masses se refusent à recevoir ne sont plus en partie qu’un patrimoine historique, parce que la réalité économique et sociale dont ils dépendaient a changé38 ». Les biens culturels de masse, qui deviennent des biens sous-culturels, dépendent d’une industrialisation reposant sur deux vecteurs : vitesse de production et vitesse de lecture, de compréhension, d’appropriation, de consommation de ces biens par les individus. Or l’accélération de la vitesse de production, de compréhension, d’appropriation et de consommation des biens culturels repose également sur la nécessaire diminution de la complexité du sens qui est le leur. C’est à ce prix que le spectacle peut être le support de l’idéologie dominante, et c’est seulement à ce moment que la culture devient culture de masse ou sous-culture. Hannah Arendt confirme à sa manière les propos de Kracauer en rappelant que « la culture de masse apparaît quand la société de masse se saisit des objets culturels, et son danger est que le processus vital de la société (qui, comme tout processus biologique, attire insatiablement tout ce qui est accessible dans le cycle de son métabolisme) consommera littéralement les objets culturels, les engloutira et les détruira39 ». Ainsi, le « spectacle culturel » qui ne se consomme que dans la massification et la vitesse croissante, car tel est le credo de notre société de consommation, détruit la culture sur les lieux de loisirs et d’éducation.
28L’accélération imposée par les sciences et les techniques modifie les perceptions du monde vécu et, substantiellement, la vie elle-même. « Que nous le sachions ou non, notre façon de penser et toute notre attitude envers la réalité sont déterminées par les principes qui régissent la science40. » L’une des expériences scientifiques les plus marquantes est celle de l’abstraction, qui éloigne petit à petit de la réalité vécue collectivement. Les horizons communs disparaissent et la foi en la machine ou la technique remplace les désirs collectifs. La réalité accessible à l’individu est de plus en plus fractale et de plus en plus différenciée. Cette réalité vécue, ce « monde » comme le dit Kracauer, « est constitué de parcelles d’événements aléatoires dont la succession tient lieu de continuité signifiante. Similairement, il faut voir la conscience individuelle comme un agrégat de restes de convictions et d’activités diverses ; et comme la vie de l’esprit manque de structure, des impulsions émanant des régions psychosomatiques peuvent venir combler les interstices. Des individualités fragmentées remplissent leurs rôles au sein d’une société fragmentée41 ». Ces individus fragmentés sont constituants de la masse humaine tout comme les fragments de la société participent de l’accroissement des secteurs massifiés de la société.
29Il devient alors possible d’évoquer deux types de masses qui correspondent l’un et l’autre à des périodes, sans doute très courtes, de l’histoire. Au début de l’industrialisation jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la massification s’est ainsi construite sur des relents identitaires collectifs. Cette masse se donne à voir au sein des grandes manifestations fascistes ou nazies, et Leni Riefenstahl, dans son film documentaire de commande Le triomphe de la volonté, montre parfaitement l’importance que les nazis accordaient à la masse et la force qu’ils désiraient lui transmettre. Cette masse, qui repose sur la fausse conscience, sur l’abrutissement organisé par les formes du spectacle politique – la propagande – accélérées par la technique, le film, la radio, les journaux, est celle des corps agrégés tendus vers un objectif commun désigné par le pouvoir dominant. Il s’agit d’une masse qui, si elle existe encore, est celle d’un temps révolu, car elle croit encore à un « nous » générique, et par cette croyance même fait exploser toute possibilité d’existence de ce « nous » et provoque toutes les formes de fragmentation de la vie.
30La seconde masse est celle dont parle Anders. Elle est issue de la première, mais elle est travaillée par la technique, par les sciences rationnelles, par la vitesse et l’accélération, par le spectacle, par la massification de la vie elle-même. Cette masse résulte du frottement continuel de la vie avec la technique et la technologie. Autrement dit, et pour la première fois, l’homme de la masse ne se reconnaît pas dans celle-ci, même s’il agit de manière conforme en pensant être autonome. Cette nouvelle masse est une masse individualisée. Ainsi, comme le prétend Anders, « une bonne massification est une massification disséminée42 » qui ne permet pas à l’individu de retrouver les autres individus de la masse. « La “masse disséminée” reste paralysée parce que, malgré ses millions d’hommes, elle reste privée de la capacité de sauter en dehors de l’initiative qui la guide et de s’arracher à son caractère anodin aussi longtemps qu’on la façonne dans des grottes d’ermites distinctes et bien séparées les unes des autres43. » Cette situation, qui interdit donc toute réaction politique – puisque même une masse réunie, contrairement à une masse disséminée, peut toujours peser sur des décisions –, passe aux yeux des individus de la masse pour une « conquête44 ». Cette individualisation au sein de la masse est désormais, et majoritairement, considérée comme une liberté, mais cette dernière n’est jamais analysée comme étant une hétéronomie, une dépendance de l’individu par rapport au tout, car il n’est pas armé pour l’épanouissement. Marcuse, de son côté, ne perçoit pas dans cette masse l’accroissement de la liberté, puisqu’il note à ce propos que « quand baisse le nombre de ceux qui sont libres d’agir librement augmente celui de ceux dont l’individualité a été réduite à la conservation de soi par la normalisation45 ». Pour lui, cette situation est liée à la rationalisation du monde. Il affirme en effet que « la diffusion du modèle hiérarchique des grandes entreprises et la précipitation des individus dans les masses sont aujourd’hui les grandes tendances de la rationalité technologique. Il en résulte la forme mûre de cette rationalité individualiste qui caractérise le libre sujet économique de la révolution industrielle46 ».
31La Raison finit par apparaître comme la possibilité de la perte de soi, de la subjectivité ou du sujet. Marcuse, encore une fois, rappelle que « la culture de masse dissout les formes traditionnelles de l’art, de la littérature et de la philosophie en même temps que la “personnalité” qui se déploie en les produisant et en les consommant47 » ; et Horkheimer et Adorno de préciser :
« La Raison se comporte à l’égard des choses comme un dictateur à l’égard des hommes : il les connaît dans la mesure où il peut les manipuler. L’homme de science connaît les choses dans la mesure où il sait les faire. Il utilise ainsi leur en-soi pour lui-même. Dans cette métamorphose, la nature des choses se révèle toujours la même : le substrat de la domination48. »
Cette manipulation des individus devenus masse ou sur le point de le devenir n’est-elle pas l’une des raisons d’être de la propagande et de la publicité politique ?
Propagande et politique, société du spectacle…
32Il est certain que les « représentants » de la Théorie critique, Marcuse par exemple, ont souvent évoqué le thème de la propagande au travers de deux prismes principaux : le nazisme et le communisme soviétique. Kracauer est sans doute l’un de ceux ayant le plus traité de ce sujet, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il avait un intérêt particulier pour les processus de crise et les petits signes permettant de les analyser. Ensuite, ses thèmes de prédilection – la culture, et particulièrement l’image – le destinaient peut-être plus que d’autres à se questionner sur la propagande, ce qui explique sans doute le choix éditorial effectué par les éditions Suhrkamp d’éditer un recueil de ses textes intitulé Studien zu Massenmedien und Propaganda49.
33Siegfried Kracauer proposera dès 1936 un exposé intitulé « Masses et propagande50 », premier résultat d’un échange qu’il avait eu avec Adorno et qui devait mener à un article pour la Zeitschrift für Sozialforschung51. Le texte repose sur une logique historique partant de la crise qui suit la Première Guerre mondiale, avec la décadence des valeurs bourgeoises « traditionnelles », l’absence de refuge « spirituel », la prolétarisation de la bourgeoisie, le chômage, pour mener à la mise en œuvre de la solution fasciste et au rôle de la propagande. Si la propagande fasciste constitue une innovation, Kracauer n’en aperçoit pas moins la réalisation dialectique d’une société nouvelle qui repose sur le spectacle, devient spectacle, et fait disparaître le réel. « Les méthodes de propagande politique développées dans les pays fascistes constituent une innovation », écrit-il. « Jamais – du moins dans les temps modernes –, on n’a vu, ni ce mélange de terreur et d’influence spirituelle, ni le fait que la propagande ait été dans une telle mesure, non seulement un moyen de réalisation de fins politiques quelconques, mais encore de la politique tout court52. » Le but de cette propagande est pour Kracauer de « produire l’illusion de la réintégration des masses53 » au sein de la société nouvelle, son appropriation à un destin commun.
34Cependant, l’analyse politique des théoriciens francfortois et de leurs proches s’étend au-delà du champ de la propagande. Pour mieux le comprendre, peut-être devrions-nous nous rappeler quelles sont les racines de la propagande, car il est bien difficile de considérer la propagande en dehors de ce que peut véritablement être une société moderne et technique. En effet, le terme de propagande vient du latin propagare, qui signifie propager. Il apparaît au xviie siècle dans le cadre d’une congrégation de la Curie romaine nommée Congregatio pro Gentium Evangelizatione (Congrégation pour l’évangélisation des peuples), dont la mission était la propagation de la foi (de propaganda fide). Cette « propagande » a pour finalité la propagation d’idées et de croyances qui ne visent à aucun moment à répondre à une forme de démonstration ou à connaître la vérité. De ce fait et par extension, il s’ensuit que la publicité politique ou la propagande politique ne peuvent se comprendre en dehors d’une spectacularisation croissante de la vie54 et de l’existence d’une nécessaire fausse conscience55 ; elle est donc davantage qu’elle ne prétend être.
35Nous nous apercevons alors que le travail de Kracauer, majoritairement et en dehors du sujet clairement défini de la propagande, est radicalement politique, dévoilant le spectacle et l’ornement, le mensonge et les arrangements de la fausse conscience. Et c’est bien ce que mettra en lumière Walter Benjamin dans sa recension de l’ouvrage de Kracauer Les employés :
« S. jette un coup d’œil dans les salles d’audience du tribunal du travail et même ici la lumière impitoyable lui révèle “non de misérables êtres humains, mais les circonstances qui en font des êtres misérables”. Une chose au moins est certaine : voilà un homme qui ne joue plus le jeu. Il refuse de se déguiser pour entrer dans le carnaval dont ses contemporains donnent le spectacle – il a même laissé tomber la toque doctorale du sociologue – il se fraie rudement un chemin à travers la foule, pour ici ou là arracher son masque à un malotru56. »
Le carnaval qu’il refuse est celui du déclassement, de la disparition ou de la destruction culturelle, celui du brassage qui génère la masse politiquement dangereuse, comme le peintre James Ensor la montre dans ses œuvres57, entre situations clownesques et trompeuses, mais souvent proches du drame, de la perte de soi, voire de la mort. C’est sans doute pour cela que « démasquer […] est la passion de cet auteur58 ». En cherchant le faux, Kracauer s’attache à montrer les dimensions propagandistes de la vie quotidienne : les amusements en temps de crise, la recherche d’embourgeoisement dans une période de prolétarisation croissante, le superficiel lorsque la mort rôde, le détournement de l’essentiel.
36Kracauer projette les images de ces masses afin de mettre en lumière leurs contradictions et faire apparaître la nature politique de ce monde vécu. Au cours des années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, tant durant la période politique de la république de Weimar, alors qu’il est en Allemagne, que durant son exil sous la période nazie, puisqu’il quittera l’Allemagne au lendemain de l’incendie du Reichstag, Kracauer n’aura de cesse d’analyser le vécu, la quotidienneté, comme terreau des valeurs dominantes, l’art, le cinéma, la photographie comme vecteurs de ces valeurs, avec distance et – contradictoirement – engagement, avec un art consommé pour les détours, les promenades, les flâneries qui mènent, inéluctablement, toujours à l’essentiel : la résistance ou le refus de ce qui ne peut être ou ne doit pas être. Il met au jour la dimension mensongère et propagandiste de la vie quotidienne portée par la rationalité dominante et la technique auto-croissante. Il dénonce, certes avec humour mais toujours radicalement, la fausse conscience qui pousse les ouvriers et les employés à prendre pour modèle les modes de vie des classes dominantes, leurs désirs, leurs choix politiques et sociaux, leurs « loisirs », le spectacle du capital par l’accroissement des villes, des « arts », de la technique et des sciences, tout cela devenant, in fine, propagande.
37Mais ce que démasque par-dessus tout Kracauer à la suite de Marx, c’est le travail à l’époque capitaliste, le processus de production et de distribution des biens et des valeurs (émergence du principe de réalité et disparition de celui de plaisir), au-delà même des richesses, qui structurent les rapports sociaux (de classes), les modes de production industrielle (art, cinéma, culture…), la marchandisation du monde, sa sportivisation (rapport et principe de productivité)59. C’est au travers de l’étude du travail à l’époque capitaliste60, au sein de l’Allemagne weimarienne, que Kracauer analyse la domination, non pas en tant que situation fossile, mais en tant que processus spécifique de la société capitaliste pouvant générer dangereusement la disparition de la conscience, de la connaissance et de la politique démocratique. C’est au travers également de situations variées qu’il propose une critique de la ratio, qui devient, sans être nommée de la sorte, raison instrumentale, rationalité instrumentale, car déformée, de manière pathologique, par le vécu colonisé par des rapports de domination eux-mêmes colonisés par les sciences, les techniques, les rapports de rendement et de productivité. La compréhension du politique chez Kracauer ne peut faire l’économie de cette posture qu’il partageait avec Benjamin et Bertolt Brecht61.
38Franz Neumann, qui étudiera le nazisme, traduira cette conversion de l’acte politique en propagande et inversement :
« Il faut maintenir les masses dans un état de tension permanente pour les empêcher de réfléchir. C’est là qu’intervient la propagande. L’idéologie est un processus incessant de changement et d’adaptation au sentiment dominant des masses. La transformation de la culture en propagande et la fluidité des slogans constituent le quatrième principe d’organisation sociale nationale-socialiste62. »
Neumann évoquera également l’encadrement du travail et des loisirs comme autant de preuves tangibles de l’existence d’une forme propagandiste au sein des activités quotidiennes : il en est ainsi du « Front du Travail » ou de l’« embrigadement des loisirs ». Ces loisirs doivent, pour les nazis, permettre de « gagner des forces pour le travail quotidien63 ». Ainsi, et Neumann en est parfaitement conscient, la propagande dépasse le simple slogan ou message politique. Il en donne lui-même une définition qui peut correspondre à l’appropriation idéologique, par le pouvoir dominant, de la vie dans sa totalité. « La propagande, écrit-il, est la violence exercée contre l’esprit. La propagande n’est pas un substitut à la violence, mais l’une de ses formes. Elles ont toutes deux pour objectif commun de rendre les hommes dociles et de les adapter à un contrôle autoritaire. La terreur s’accompagne du spectacle qu’en donne la propagande64 » et, ajoute-t-il, « la culture nationale-socialiste n’est que de la propagande65 ». Cet ouvrage, édité dans un premier temps en 1942 puis réédité en 1944, ne prend en considération que l’état de la propagande au milieu du xxe siècle, dans des conditions politiques spécifiques. Cependant, Neumann ouvre également des possibilités de compréhension de l’acte politique / propagandiste dans son entière complexité. Chaque acte culturel peut en effet permettre le développement d’une propagande, et parmi ces actes culturels l’adaptation du langage au régime politique n’en est pas le moindre.
39C’est ce qui interpellera Marcuse dès 1942. Il montre dans un premier temps, comme le fera Victor Klemperer de manière plus systématique66, que la propagande nazie reposait sur l’absurdité des nouvelles logiques et du nouveau langage imposés par les nazis. Il démontre que la propagande passe également par une forme d’éducation à la réception du message développé par l’émetteur. Marcuse rappelle cependant également, à sa façon, que la soumission idéologique ne relève pas du simple message politique, de la publicité politique ou du slogan. Ce serait oublier la complexité des travaux des théoriciens de Francfort. Il rappelle que cette soumission n’est possible que par la colonisation du quotidien par l’existence d’une rationalité générant la masse soumise. Il écrit ainsi que « le caractère soumis de l’homme sous le système national-socialiste n’est pas une propriété naturelle immuable mais une forme historique de pensée et de comportement qui va de pair avec la transformation de pans entiers de l’industrie dans l’ordre d’une domination strictement politique67 ».
Sans conclure
40L’art politique analysé par la Théorie critique prend les formes les plus variées. Néanmoins, si certains de ces théoriciens se sont vu reprocher une certaine distance par rapport aux événements politiques – c’est par exemple le cas d’Adorno en 1968 –, il est impossible d’ignorer la radicalité de leurs pensées, de leurs analyses et, pour certains, comme Benjamin ou Kracauer, de leur vie elle-même.
41Le sujet du politique a fondamentalement traversé de part en part leurs travaux : de la critique de la modernité pour tous, aux formes de domination qui en résultaient en passant par les Études sur la personnalité autoritaire d’Adorno, le développement des techniques et des technologies, l’utilisation du temps de travail ou de loisir, l’art, la culture et le divertissement. Peut-on d’ailleurs être plus clair que ne l’ont été ces auteurs sur la finalité d’une société spectacularisée qui n’est devenue que propagande ? Car nous ne pouvons en douter, la multiplication des distractions, des lieux institutionnels, des théâtres, des cinémas, des stades, des cabarets, jusque dans le cœur des villes, les rues éclairées, les magasins et les vitrines, les affiches et les annonces, aménagés pour la vente et qui font spectacle aux yeux des « passants » comme à ceux des « flâneurs », sont au centre des dialectiques lumière / obscurité, compréhension / incompréhension, vrai / faux, réalité / irréalité, conscience / fausse conscience. Siegfried Kracauer ne méconnaissait pas cela lorsqu’il écrivait que « l’effet bienfaisant de la lumière non seulement sur la propension à faire des achats mais aussi sur le personnel pourrait consister tout au plus en ce que ce dernier soit suffisamment ébloui pour prendre son parti des logis étroits et mal éclairés. La lumière aveugle plus qu’elle n’éclaire, et peut-être les flots de lumière qui inonde maintenant nos grandes villes servent-ils tout autant à diffuser l’obscurité68 ».
42N’est-ce pas le rôle même de la propagande que d’éclairer le superficiel pour laisser dans l’ombre l’essentiel ? Faire disparaître ces zones d’ombre politique, c’est au fond ce à quoi se sont attachés ces intellectuels juifs, allemands, et nomades.
Notes de bas de page
1 Ce texte s’attachera plus particulièrement à certaines figures de cette Théorie critique, principalement Kracauer, Adorno, Benjamin, Marcuse et Anders, sans ordre chronologique ou thématique, tant leurs analyses s’entrecroisent et, sans aucun doute, s’altèrent au contact les unes des autres.
2 Ami Bouganim, Walter Benjamin. Le rêve de vivre, Paris, Albin Michel, 2007, p. 229.
3 Enzo Traverso, Siegfried Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, Paris, La Découverte, 2006.
4 Claude Lanzmann, Le lièvre de Patagonie, Paris, Gallimard, 2009.
5 Theodor W. Adorno, Modèles critiques. Interventions – Répliques, traduit par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Paris, Payot, 1984.
6 Theodor W. Adorno, « Éduquer après Auschwitz » [1966], in : Modèles critiques. Interventions – Répliques, traduit par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Paris, Payot, 1984, p. 205.
7 Theodor W. Adorno, « Éduquer après Auschwitz » [1966], in : Modèles critiques. Interventions – Répliques, traduit par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Paris, Payot, 1984, p. 205.
8 Theodor W. Adorno, « Éduquer après Auschwitz » [1966], in : Modèles critiques. Interventions – Répliques, traduit par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Paris, Payot, 1984, p. 205.
9 Theodor W. Adorno, « Éduquer après Auschwitz » [1966], in : Modèles critiques. Interventions – Répliques, traduit par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Paris, Payot, 1984, p. 205.
10 Siegfried Kracauer, Le roman policier. Un traité philosophique, traduit par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1981.
11 Enzo Traverso, Siegfried Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, Paris, La Découverte, 2006, p. 55.
12 Thomas Weber, « La réalité emphatique. Le roman policier. Un traité philosophique. Une première interprétation de la culture de masse », in : Nia Perivolaropoulou et Philippe Despoix (dir.), avec la collaboration de Joachim Umlauf, Culture de masse et modernité. Siegfried Kracauer sociologue, critique, écrivain, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 23.
13 Thomas Weber, « La réalité emphatique. Le roman policier. Un traité philosophique. Une première interprétation de la culture de masse », in : Nia Perivolaropoulou et Philippe Despoix (dir.), avec la collaboration de Joachim Umlauf, Culture de masse et modernité. Siegfried Kracauer sociologue, critique, écrivain, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 23.
14 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974.
15 Voir par exemple Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 51 sqq. L’auteur y montre comment la rationalisation économique engendre des situations de crise par accroissement de la réification du travailleur sur les postes de travail.
16 Siegfried Kracauer, Le roman policier. Un traité philosophique, traduit par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1981, p. 28.
17 Siegfried Kracauer, Le roman policier. Un traité philosophique, traduit par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1981, p. 173 sqq.
18 Siegfried Kracauer, Le roman policier. Un traité philosophique, traduit par Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1981, p. 174.
19 Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004.
20 Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduction de Monique Wittig revue par l’auteur, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 187.
21 Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit par Monique Wittig et Herbert Marcuse, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 200.
22 Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit par Monique Wittig et Herbert Marcuse, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 200.
23 Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit par Monique Wittig et Herbert Marcuse, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 201.
24 Cf. Herbert Marcuse, Eros et civilisation. Contribution à Freud, traduit par Jean-Guy Nény et Boris Fraenkel, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
25 Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit par Monique Wittig et Herbert Marcuse, Paris, Éditions de Minuit, 1968 ; Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, t. I : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, traduit par Christophe David, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances / Ivrea, 2002 ; Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, t. II : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, traduit par Christophe David, Paris, Fario, 2011.
26 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 21.
27 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 33.
28 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 56.
29 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 57.
30 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 284.
31 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 270.
32 Karl Marx, Le capital, livre 1, traduit par Joseph Roy, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p. 528 sqq.
33 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 269.
34 Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 112 sq.
35 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » [1935], in : Œuvres, III, traduit par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000.
36 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, « La production industrielle de biens culturels » [1947], in : La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 129 sqq.
37 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, « La production industrielle de biens culturels » [1947], in : La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 170 sq.
38 Siegfried Kracauer, « Culte de la distraction. Les salles de spectacle cinématographique berlinoises » [1926], in : L’ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, traduit par Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 288.
39 Hannah Arendt, La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, traduit sous la direction de Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1989, p. 265 sq.
40 Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, édité par Philippe Despoix et Nia Perivolaropoulou, traduit par Daniel Blanchard et Claude Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 413.
41 Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, édité par Philippe Despoix et Nia Perivolaropoulou, traduit par Daniel Blanchard et Claude Orsoni, Paris, Flammarion, 2010, p. 420.
42 Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, t. II : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, traduit par Christophe David, Paris, Fario, 2011, p. 181.
43 Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, t. II : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, traduit par Christophe David, Paris, Fario, 2011, p. 181.
44 Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, t. II : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, traduit par Christophe David, Paris, Fario, 2011, p. 181.
45 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 270.
46 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 280.
47 Herbert Marcuse, « Quelques conséquences sociales de la technologie moderne » [1941], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 283.
48 Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison. Fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 27.
49 Siegfried Kracauer, Werke, t. II-2 : Studien zu Massenmedien und Propaganda, édité par Christian Fleck et Bernd Stiegler, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2012.
50 Cf. Olivier Agard, La critique de la modernité dans les écrits de Siegfried Kracauer, thèse de doctorat en études germaniques, sous la direction de Gilbert Merlio, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), t. II, 2000.
51 Il faut noter que cet article considéré comme perdu ne sera jamais publié, puisque Adorno ne le jugea pas de qualité suffisante. Il écrivit ainsi à Walter Benjamin, le 7 mars 1938 : « Gretel et moi, nous avons en main le manuscrit de Kracauer, sans en tirer, semble-t-il, grand profit » (Theodor W. Adorno et Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940, édité par Henri Lonitz, traduit par Philippe Ivernel et Guy Petitdemange, Paris, Gallimard, 2006, p. 275).
52 Cf. Olivier Agard, La critique de la modernité dans les écrits de Siegfried Kracauer, thèse de doctorat en études germaniques, sous la direction de Gilbert Merlio, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), t. II, 2000.
53 Cf. Olivier Agard, La critique de la modernité dans les écrits de Siegfried Kracauer, thèse de doctorat en études germaniques, sous la direction de Gilbert Merlio, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), t. II, 2000.
54 Cf. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
55 Il faut se référer ici, à titre d’exemple, au livre de Joseph Gabel La fausse conscience. Essai sur la réification (Paris, Éditions de Minuit, 1962).
56 Walter Benjamin, « Un outsider attire l’attention. Sur “Les employés” de S. Kracauer » [1930], in : Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 138.
57 Voir par exemple son Autoportrait aux masques (huile sur toile, 1899), et bien évidemment La mort et les masques (huile sur toile, 1897).
58 Walter Benjamin, « Un outsider attire l’attention. Sur “Les employés” de S. Kracauer » [1930], in : Siegfried Kracauer, Les employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle (1929), édité par Nia Perivolaropoulou, traduit par Claude Orsoni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, p. 138.
59 De ce point de vue, son travail dans Les employés est un chef d’œuvre de méthode. La fragmentation de la vie des employés est rendue au travers de ses textes qui tous, in fine, décrivent une réalité historiquement déterminée par la situation liée au travail et à sa nature dans le monde capitaliste.
60 Voir la critique marxienne du travail et de la domination à travers l’analyse de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale. Une réinterprétation de la théorie critique de Marx, traduit par Olivier Galtier et Luc Mercier, Paris, Mille et une nuits, 2009.
61 Sur les relations entre Benjamin et Brecht, voir le travail très intéressant de Erdmut Wizisla, Walter Benjamin & Bertolt Brecht. Histoire d’une amitié, traduit par Philippe Ivernel, Paris, Klincksieck, 2015 ; ce travail met en lumière, de manière parcellaire, les relations politiques étroites qu’ont pu entretenir Benjamin et Brecht auxquelles Kracauer pouvait être associé, notamment dans le projet de revue Crise et critique.
62 Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944, traduit par Gilles Dauvé, avec la collaboration de Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 379.
63 Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944, traduit par Gilles Dauvé, avec la collaboration de Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 403.
64 Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944, traduit par Gilles Dauvé, avec la collaboration de Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 410.
65 Franz Neumann, Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944, traduit par Gilles Dauvé, avec la collaboration de Jean-Louis Boireau, Paris, Payot, 1987, p. 411.
66 Cf. Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, traduit par Élisabeth Guillot, Paris, Albin Michel, 1996.
67 Herbert Marcuse, « La nouvelle mentalité allemande » [1942], in : Sommes-nous déjà des hommes ? Théorie critique et émancipation. Textes et interventions, 1941-1979, Alboussière, QS ? éditions, 2018, p. 179.
68 Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité autoritaire, traduit par Hélène Frappat, Paris, Éditions Allia, 2017, p. 140.
Auteur
Patrick Vassort, maître de conférences HDR à l’université de Caen Normandie. Publications sur la sociologie politique et la Théorie critique. Récent ouvrage : Le sport ou la passion de détruire. Dopage, souffrance et dépression (Le Bord de l’eau, 2015).
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