Chapitre VI. « Espace charnel » – Obsolescence de l’individu, genèse du collectif
p. 241-300
Texte intégral
1Avoir dit que la corporéité détermine l’expérience que l’humain fait du temps, avoir dit que l’histoire et la nature se retrouvent et se répondent dans la « périssabilité » de la chair, comme le relève justement Adorno dans son analyse du concept benjaminien d’« histoire-nature1 », ce n’est pas encore avoir tout dit du lien entre le corps et l’histoire. Il faudrait plutôt dire que cette vulnérabilité ontologique ouvre la « nature », la part de l’humain qui échappe à la prise du sujet, à ce temps dont elle n’est pas la matrice mais qu’elle s’avère disposée à accueillir : le temps de l’histoire humaine, temps constitué par l’agir, scandé par les « événements2 », lisait-on dans la « Préface épistémo-critique » d’Origine du drame baroque allemand. La constellation était présentée comme le fruit de cette rencontre heureuse, où un fragment de la « nature » était reconnu parce que découvert, désenfoui et par là-même transformé en fait dans l’histoire, réalisé dans le champ de l’activité humaine. L’histoire humaine, insiste Benjamin, n’est pas déterminée, sans être non plus contingente : elle est l’actualisation d’une puissance, la réalisation de virtualités dont la nature est grosse.
2Au même moment où le philosophe examine le Trauerspiel baroque, il écrit Sens unique, recueil de textes où il réfléchit sur l’« actualité3 ». Tout semble distinguer Sens unique d’Origine du drame baroque allemand, publié pourtant la même année. Le style et l’objet des deux textes sont différents : le premier – ironie du titre ! – constitue un labyrinthe d’aphorismes explorant l’expérience contemporaine, là où le second veut établir une constellation cohérente où se révélerait l’idée du Trauerspiel baroque. Néanmoins, dans l’un comme dans l’autre, l’enjeu est de saisir le moment historiquement situé « comme le revers de l’éternité dans l’histoire4 ». Dans Sens unique également, la méthode consiste à se placer au point d’indifférence entre l’éternel et l’historique que la « Préface épistémo-critique » nommait « origine », pour se saisir simultanément de l’éternel et de son « revers », l’instant historique. Quelle est donc cette part d’éternel que l’« actualité » actualise en s’en constituant le « revers » ? Et réciproquement : quel est l’« index historique5 » propre au contemporain qui redouble l’éternel en le révélant ? Depuis ces premières réflexions, la confrontation au contemporain devient une préoccupation constante. L’« actualité » est celle de l’entre-deux-guerres, de l’Europe bouleversée par l’expérience dévastatrice et le coût humain de la Première Guerre mondiale, et d’une Allemagne frappée par le coût économique de la défaite. Tandis que, dans la jeune Russie soviétique, un régime de propriété dit communiste et une forme d’organisation sociale orientée par la théorie marxienne cherchent à s’instituer, l’Allemagne passe du régime wilhelminien à la démocratie parlementaire, puis de la démocratie à la dictature nationale-socialiste. Dans son grand ouvrage inachevé Le Livre des passages, ainsi que dans l’essai sur Baudelaire publié en 1939, Benjamin revient, par un détour dans le Paris du xixe siècle, à la « pré-histoire6 » du temps qui est le sien, marqué par l’essor du capitalisme industriel. Si la sécularisation avait été désignée comme la problématique fondamentale de l’époque baroque, celle du contemporain est constituée par la question de la technique dont l’évolution, au siècle précédent comme au siècle nouveau, a été fulgurante. Benjamin procède d’abord à un constat : la révolution technique européenne n’a pas seulement impacté les conditions de vie des êtres humains, elle atteint également les hommes dans leur chair. Il ne s’arrête pas, toutefois, à ce seul constat. Comme le note Gérard Raulet, il cherche « la portée révolutionnaire, critique » de la technique « dans les effets de la technique elle-même7 », et plus précisément : dans ses effets sur l’« appareil perceptif8 » humain – dans son aptitude à modifier dans un même temps la façon dont l’être humain perçoit son environnement et se perçoit lui-même. De texte en texte, du milieu des années 1920 à la fin des années 1930, Benjamin y revient : la technique décompose l’individu dans la masse. De Sens unique à « Expérience et pauvreté » (1933), en passant par l’essai sur le surréalisme (1929), il croit reconnaître dans cette orientation de l’histoire l’occasion de l’actualisation des possibles de la « nature dans l’humain ». Ce qu’il voit progressivement réalisé par la technique, c’est le « corps de l’humanité », le collectif ultime où se rejoignent l’humain et la nature. L’utopie technique est ainsi directement corrélée à une utopie du corps, puisque c’est de l’épanouissement et de la mise en commun des pouvoirs corporels que doit émerger ce corps collectif émancipé, sans anatomie ni visage, désassujetti et désœuvré, ce corps dont Benjamin fait l’acteur de la révolution et la matrice de la « société sans classe ». Benjamin pose ainsi, discrètement et progressivement, les bases d’un matérialisme singulier qu’il nomme « matérialisme anthropologique ». Il se donne pour mission de questionner « l’apothéose de l’organisation et du rationalisme que le parti communiste doit sans cesse mettre en œuvre face aux puissances féodales et hiérarchiques », en relevant l’importance « de ces éléments mystiques qui appartiennent à la corporéité9 », auxquels le parti n’a pas su faire droit.
La foule – Communauté d’expériences
3L’essai de 1933 « Expérience et pauvreté » pointe l’événement qui incisa une rupture historique à l’orée du xxe siècle : la Première Guerre mondiale. Rupture qui trace une schize au cœur d’une même génération, celle « qui était encore allée à l’école en tramway hippomobile », mais qui, tout juste sortie de l’enfance, assiste sur le champ de bataille à « l’effroyable déploiement de la technique » mise au service de la guerre. Si la Grande Guerre est « l’une des expériences les plus effroyables de l’histoire universelle10 », ce n’est pas seulement parce qu’elle est l’expérience d’un immense massacre. Celui-ci n’a pu avoir lieu en si peu de temps que grâce aux nouveaux moyens techniques employés à l’extermination des soldats sur tous les fronts. La guerre de 1914-1918 fait office de révélateur pour cette génération : la technique n’a pas pour seule fonction de transformer la nature en paysage, de dompter le chaos pour y imposer un ordre familier à l’humain, elle peut tout aussi bien transformer à rebours, en quelques secondes, l’espace domestiqué en un « champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices ». D’homo faber, l’homme se voit alors réduit au « minuscule et fragile corps humain11 », bientôt emporté par le maelström qui ne laissera subsister du Ciel, de la transcendance comme du monde, que les « nuages » – et encore, sont-ils eux-mêmes à l’abri de cette atomisation totale ? Les survivants qui rentrent chez eux ne ramènent du champ de bataille aucun récit : aucune « mise en intrigue » n’est possible, aucun sens ne peut décanter de cette expérience du déchirement sensoriel. « Le cours de l’expérience [Erfahrung] a chuté » : nulle parole ne « coule de la bouche à l’oreille12 ».
Choc : la métropole comme champ de bataille
4Ce n’est pas d’abord la confrontation à la mort et à la souffrance, aussi pénible soit-elle, qui conditionne pour Benjamin ce mutisme, car dans la tradition les « paroles impérissables » sont prononcées par les « mourants » pour être transmises, autour du lit de mort, « de génération en génération comme un anneau ancestral13 ». C’est bien plutôt que la mort n’a ici pas lieu dans l’espace familier du foyer, mais sur le champ de bataille où le soldat agonisant et celui qui pourrait recueillir ses paroles n’ont plus de bouche pour parler ni d’oreilles pour écouter. Si l’être humain n’est plus capable de mettre en ordre et en mots le vécu, de produire du sens à partir des données sensibles de l’expérience, c’est parce que son corps ne vit plus que dans l’imminence de sa désintégration. Dès lors que l’impact disloque l’organe de la perception, le monde ne se donne plus que comme chaos. Ce que révèle le déchaînement technique de la Grande Guerre, c’est que l’« expérience » (Erfahrung), comme mise en récit de la perception, procède de l’activité du « centre d’orientation » (Husserl) que constitue le corps propre. Car c’est bien le corps propre, facteur de cohérence perceptive, opérateur de sélections et de raccords, qui file l’écheveau des stimuli et offre à l’« expérience » sa trame : sans cette élaboration préalable, l’expérience sensible n’accède pas à la verbalisation. Finalement, plus que de la constance du paysage, c’est de l’intégrité sensorielle du corps que dépend la formulation de l’expérience, qui rend la transmission possible et assure la cohésion des générations. Dans l’article « Les armes de demain », paru en 1925, Benjamin prophétise une attaque au gaz s’abattant sur Berlin un beau jour de printemps : le « ciel clair » et le « soleil radieux » restent « inchangés14 », mais ils ont été retranchés du champ perceptif de l’humain, frappé de cécité puis de paralysie par le composé chimique qu’il inspire. Dans la guerre passée dépeinte en 1933 par « Expérience et pauvreté » et dans la guerre à venir annoncée dans « Les armes de demain », si l’être humain est toujours, comme l’homme de Vitruve, « au centre » du monde15, son corps n’en donne plus la mesure. Sur le champ de bataille, le pauvre corps humain est pulvérisé par une irrésistible rafale, dans la ville, à l’arrière, il sera bientôt étouffé par une brise au « parfum évoquant la violette16 » : à l’homme du premier xxe siècle, la technique se présente comme une nouvelle nature, létale, qu’il a lui-même enfantée mais qui menace d’échapper à son contrôle pour le priver de ses sens, et par là de tout ce qui faisait son monde.
5La Première Guerre mondiale porte à son paroxysme l’expérience de la caducité de l’« expérience », mais le déclin en a commencé plus tôt, et ailleurs que sur le champ de bataille. Avant le quotidien des soldats au front, la technique a en effet façonné celui des habitants des capitales européennes prises dans la révolution industrielle. Les causes de ce déclin sont précisées dans l’essai sur Baudelaire, et en particulier dans sa section centrale, « Sur quelques thèmes baudelairiens ». Il y fait remonter le « rétrécissement progressif de l’expérience17 » au xixe siècle, à l’« époque de la grande industrie18 » qui atteste de l’expansion du capitalisme. Benjamin ne mène toutefois pas une enquête socio-économique sur les conditions de travail de la classe ouvrière, ni sur les rapports de production propres au capitalisme. Il s’applique à analyser les perturbations provoquées dans le « champ perceptif de l’individu19 » par l’industrialisation de la production, qui induit la technicisation de l’environnement et la concentration des populations dans les capitales. À travers son essai sur Baudelaire, c’est un portrait des « masses habitant les grandes villes20 » qu’il dresse. Qu’est-ce qui fait la « masse amorphe » décrite par Engels dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre, cette cohue composée de « centaines de milliers de personnes, de tout état et de toutes classes, qui se pressent et se bousculent » tout en parvenant à ne pas se faire « mutuellement obstacle21 » ? Qu’est-ce qui engendre la foule, ce chaos stable, ce collectif hétérogène et pourtant cohésif ?, s’interroge en filigrane Benjamin. Rien, répond-il, si ce n’est une expérience sensorielle partagée – celle du « choc » – et la commune capacité à le « parer ».
6La notion de « choc », que Benjamin place au cœur de son analyse du bouleversement perceptif de la modernité, puise dans la théorie de la mémoire exposée par Freud dans Au-delà du principe de plaisir. C’est dans cet essai que Freud énonce sa thèse audacieuse : les « traces mnésiques » ne peuvent pas s’inscrire dans le système « Perception-Conscience », et ce qui est perçu consciemment n’engendre pas de souvenir durable. Pour atteindre cet « autre système » qu’est l’« Inconscient », et s’y inscrire comme « trace mnésique », une « excitation » doit briser la carapace que constitue le système superficiel « Perception-Conscience ». La fonction primordiale de la conscience est la gestion de l’économie psychique, et donc également des apports extérieurs d’énergie que constituent les stimuli sensoriels : il s’agit de « maintenir la quantité d’excitation présente en [elle] aussi basse que possible ou tout au moins constante22 ». Freud propose de matérialiser la conscience sous forme d’une « écorce23 » entourant la matière cérébrale, dans les profondeurs de laquelle se déploie l’inconscient. Les stimuli auxquels la conscience ne parvient pas à faire obstacle font effraction dans l’inconscient. Souvent inaperçus malgré la violence de l’impact – inaperçus à cause de cette violence même, parce que celle-ci défait le système « Perception-Conscience » –, ces événements deviennent « traumatiques », ouvrant dans le psychisme une blessure durable qui pourra prendre la forme d’une névrose. C’est sur cette hypothèse, développée par Freud à partir de l’observation des névroses de guerre, que Benjamin s’appuie pour décrire le psychisme du citadin contemporain. Les stimuli – dans le trafic de la grande ville, sur les chaînes de montage dans l’usine – se donnent d’emblée comme « chocs », donc comme « traumata » potentiels : un instant d’inattention et la collision peut être fatale. La ville est un environnement menaçant, le présage du champ de bataille ; et Benjamin de commenter ainsi la circulation dans une grande ville : « Le déplacement de l’individu s’y trouve conditionné par une série de chocs et de heurts. Aux carrefours dangereux, les innervations se succèdent aussi vite que les impulsions d’une batterie24. » La conscience d’un individu soumis de la sorte à un constant afflux d’excitations « doit être inlassablement aux aguets25 », et tout le système « Perception-Conscience » est rendu indisponible à la contemplation comme à l’analyse.
7C’est dans ce contexte que Benjamin inscrit sa distinction entre « expérience » et « expérience vécue ». L’« expérience » est la mise en récit introspective et rétrospective du vécu : « ce qui nous ramène aux lointains du temps, c’est l’expérience, qui les emplit et les articule26 ». Pas d’« expérience » sans recueillement, sans ces moments de pause qui permettent d’éprouver le temps long, pas de récit sans ce « retour » qui constitue la vie en intrigue, en arc tendu entre une origine et une fin. Ce n’est que comprise comme récit, comme leçon de vie, que l’« expérience » peut être à la fois éminemment personnelle et éminemment transmissible, susceptible d’intéresser les générations à venir. L’« expérience » est le facteur de la cohésion temporelle : celle de l’existence comme celle des générations, dont elle constitue la tradition. Aussi les événements qui lui donnent sa chair sont-ils ceux qui subsistent et se métamorphosent dans l’inconscient – dans ce que Benjamin préfère nommer l’« oubli » –, et qui surgissent, défigurés-transfigurés, à la conscience, à l’occasion imprévisible d’une expérience jumelle qui en réveille le souvenir. Ce sont ces « correspondances » – appariements de sensations, de doux « chocs » affectifs – qui nourrissent l’« Idéal » baudelairien comme la « mémoire involontaire » de Proust, et trament à l’insu du sujet « la seule vie […] réellement vécue » (Proust). Pas d’expérience, donc, sans mémoire, pas de mémoire sans oubli, et pas d’oubli sans rupture de la conscience, sans risque de « trauma », enfin. Car le souvenir – la « trace mnésique » dont l’expérience se ressaisit en lui rendant toute son importance dans l’économie du vécu – n’a pu naître si ne s’est pas d’abord installée « l’agréable ou la désagréable frayeur qui, selon Freud, sanctionne le défaut de défense contre le choc27 ».
8Or, nous dit Benjamin, l’habitant de la capitale moderne ne peut souffrir un tel « défaut de défense », une telle « insuffisance28 » : ce serait laisser s’engouffrer dans son psychisme un tumulte incoercible de stimuli résistant à toute « liaison », ce serait se condamner à la névrose. La stimulation permanente de la fonction protectrice de la conscience empêche la pénétration des « chocs » dans l’inconscient et pare le « trauma » qui aurait pu déclencher la névrose, mais qui aurait aussi pu participer de la formation de l’« expérience ». L’« expérience » ne peut s’engendrer qu’au prix d’une retraite hors du monde, d’une privatisation radicale de l’existence dont Proust a donné un exemple éclatant. Aux habitants des métropoles ne restent plus que les « expériences vécues », instants déliés qu’aucun sens ne vient soutenir. Benjamin propose de considérer que « l’apport spécifique de la défense contre le choc consiste peut-être à assigner à l’événement vécu […] une place temporelle précise dans la conscience29 ». Mais comment la conscience, toute entière occupée à affronter les « chocs », pourrait-elle instaurer une chronologie apte à donner au « moi » son histoire ? L’incessante mobilisation de la conscience n’implique pas un renforcement du « moi », puisqu’une telle modalité de la perception ne saurait devenir aperceptive. Le temps objectif du curriculum vitae ne compense pas la perte de la mémoire, la notification des faits ne parvient pas à se substituer au temps sensé de l’« expérience ». L’« homme des foules » décrit par Engels, Poe et Baudelaire, puis par Benjamin à leur suite, est un homme sans mémoire ni projet, tout entier mobilisé par l’imperceptible anticipation d’un avenir presque déjà présent – le « trauma » – dont l’avènement doit être continuellement empêché.
9Comment la conscience parvient-elle donc à esquiver le « trauma » ? La conscience se prépare au « choc » sur le mode de l’« angoisse30 », explique Freud : en appréhendant la collision, l’individu se donne l’occasion de la percevoir comme telle et donc de laisser le stimulus se volatiliser à la surface de la conscience. Pour l’être humain exposé aux « chocs », tout est affaire d’« apprêtement par l’angoisse31 ». Si l’émotion n’est pas là pour anticiper, pour accueillir le « choc », si l’individu se laisse prendre par surprise, le « trauma » est inévitable : la « frayeur32 » – moment de saisissement, de paralysie psychique et physique, qui intervient dans l’après-coup – constitue le tout premier symptôme d’une telle défaillance. Et Benjamin de poursuivre : être continuellement angoissé, à l’affût du heurt pour s’y préparer, telle est la condition de l’habitant des métropoles.
La modernité ou l’« histoire primitive du caractère réflexe »
10Il ne faudrait pas s’y tromper : l’incessante mobilisation de la conscience ne fait pas de l’individu un être plus réfléchi, plus subtil dans ses perceptions et plus précis dans ses décisions, plus conscient de lui-même, enfin. La conscience en alerte n’est pas médiation réflexive, elle est émotion viscérale, elle est angoisse. Mais Benjamin va plus loin : il inclut discrètement le corps dans son étude du « choc ». Il prend pleinement acte de l’association freudienne entre perception et conscience pour ramener – ce que Freud ne fait justement pas33 – le « trauma » psychique au « trauma » corporel et soutenir la solidarité de la conscience au corps. Parce qu’il ne saurait simplement s’agir d’éviter la névrose, mais qu’il faut bien plutôt prévenir l’accident, l’« apprêtement par l’angoisse » ne suffit pas. Le citadin est ainsi contraint d’opposer aux chocs « la parade de son être spirituel et physique34 ». Si l’homme de la modernité est un être sans mémoire, c’est qu’il est un être de surface : tout se joue au niveau de cette « écorce » cérébrale à laquelle Freud donne le double nom de « Perception-Conscience ». Ce qui intéresse tout particulièrement Benjamin dans l’anatomie hypothétique que Freud donne au psychisme, c’est l’assimilation de la conscience à la perception, à la saisie par les organes sensoriels des stimuli dont le corps est bombardé.
11Benjamin pousse l’hypothèse freudienne jusqu’à son extrême limite : la conscience n’est pas seulement l’écorce du cerveau, elle est devenue épiderme – non plus le noyau de l’humain, mais la membrane superficielle, sensible et souple, de son corps. L’« homme des foules » est entièrement projeté vers son environnement immédiat. La vue même, sens de la distance par excellence, est devenue prédatrice et ne s’occupe plus que de prévoir le contact pour le précipiter ou l’esquiver. La « plus haute performance de la réflexion » ne peut, à ce titre, qu’être le réflexe – ou, faudrait-il préciser avec Paul Ricœur, le « savoir-faire préformé35 » du corps, la capacité à anticiper l’impact imminent et à adopter, dans le délai infime qu’aménage la perception, le geste adéquat. Délai d’ailleurs bien trop bref pour qu’advienne une prise de conscience et que s’élabore une stratégie. Les conditions d’existence contemporaines font exploser le « mythe » moderne du sujet constituant : l’être humain est un corps qui ne doit sa survie qu’à son hyper-conscience, comprise comme l’hyperesthésie commandant à la motricité. La spontanéité de la conscience ne serait plus autre chose que la plasticité corporelle, qui trouve son accomplissement dans les mouvements involontaires et efficaces répondant à la nécessité de l’accommodation rapide à un environnement instable. Adorno ne propose pas sans raison de lire l’essai de Benjamin comme « l’histoire primitive du caractère réflexe36 », à condition de comprendre que le « caractère réflexe » s’y donne comme plus subtil, plus riche qu’il n’y paraît. En empruntant à Freud l’identification de la conscience à la perception plutôt qu’à la réflexion, Benjamin refuse de subordonner la perception à l’intellection et lui donne sa raison d’être dans la génération de savoir-faire corporels, dès lors que c’est le pouvoir adaptatif du corps qui permet au citadin de s’adonner à la « fantasque escrime37 » qu’impose le frayage d’un chemin au cœur de la foule.
12Cette mobilisation spécifique de la conscience – qu’il faut donc paradoxalement comprendre comme participant de l’« entraînement » du « sensorium humain38 » en vue de l’acquisition d’une efficacité motrice inédite – est ce qui rend l’être humain apte à soutenir le rythme accéléré des mouvements de foule, mais aussi à s’approprier les nouveaux outils techniques jalonnant son quotidien. Ceux-ci – interrupteurs, téléphones, appareils photographiques – ont en commun « de déclencher un mécanisme complexe au moyen d’un seul mouvement brusque de la main39 ». Benjamin mesure l’ampleur des effets de la technique sur l’expérience contemporaine en termes d’« innervations40 », notion essentielle introduite dans un aphorisme de Sens unique et présente jusque dans « Sur quelques motifs baudelairiens ». C’est donc à l’impact des outils techniques sur le système nerveux de leurs usagers que s’intéresse Benjamin : la technique, note-t-il, pénètre les corps et les transforme de l’intérieur, en aiguise la sensibilité, en dynamise la réactivité. À rebours de la théorie d’Ernst Kapp, qui fait des outils techniques une « projection d’organes » et retrouve dans le marteau comme dans la machine à vapeur la trace de la « main » qui les a construits, les utilise et qui accorde ainsi « à des formations inertes une lueur d’humanité41 », Benjamin pointe dans la technique ce qui envahit l’organisme, en réforme le fonctionnement et en trouble l’image. Ce n’est pas depuis l’analogie structurelle de la machine et du corps humain que peut être comprise la métamorphose qui s’initie, mais depuis l’électricité qui traverse cellules et circuits et met en mouvement les organismes comme les machines. L’électrophysiologie l’a montré, le corps humain aussi est électrique : c’est en ce point qu’est levée la frontière entre le corps vivant et l’objet technique. Le monde contemporain est un espace sillonné de courants électriques, constellé de corps sous tension. Vivre avec ses semblables et avec son temps, c’est d’abord se soumettre à ces « innervations » nouvelles, pour parvenir à incorporer ces gestes, variés mais simples, d’actionnement et d’évitement, de pression et de recul, qu’enseignent l’immersion dans la foule et l’usage de la technique. La constitution d’habitudes au cœur du chaos porte témoignage de l’efficacité adaptative du corps. À l’« apogée du capitalisme », dans les avenues parcourues de signaux électriques de Paris, Londres et Berlin, l’existence est une affaire de « déclics42 » que le corps doit savoir opportunément déclencher.
La « présence d’esprit charnelle » – Miraculeuse mimésis
13En 1939, dans l’essai consacré à Baudelaire, Benjamin réitère un constat fait quelques quinze années plus tôt dans le recueil Sens unique : la vie dans la capitale capitaliste – vie rythmée de part en part par les signaux électriques des divers appareils balisant le quotidien – induit un bouleversement de la perception, conditionnant à son tour un nouveau mode d’être au monde qui force à repenser le lien du corps à la technique, et, de là, celui de l’anthropologie à l’histoire. Gérard Raulet résume justement l’entreprise benjaminienne : « Benjamin […] va s’efforcer de démontrer que l’appauvrissement de l’expérience a des effets dialectiques43. » D’un texte à l’autre, Benjamin réaffirme une thèse essentielle : le bouleversement du « sensorium humain » par la technique reconfigure la perception des distances, renverse la hiérarchie des sens qui en est le corrélat, et avec elle celle de la conscience et du corps. Du milieu des années 1920 au milieu des années 1930, au gré de petits textes publiés dans Sens unique puis sous forme d’« images de pensée », Benjamin procède à une réévaluation audacieuse de la spontanéité corporelle, qu’il juge apte à transformer les contraintes auxquelles est soumis l’« homme des foules » en occasions d’émancipation. De ces premières réflexions émerge la catégorie fondamentale de la « présence d’esprit charnelle », désignant une forme d’intentionnalité spécifiquement corporelle, irréductible à la pure réactivité – catégorie à laquelle Benjamin reviendra jusque dans ses derniers textes. Il faudra retracer le lien de ce pouvoir du corps avec la « faculté mimétique » sur laquelle s’attardent les essais de 1933, « Doctrine du similaire » et « Sur le pouvoir mimétique », pour en comprendre la portée dans le contexte de la phénoménologie benjaminienne de l’expérience contemporaine.
De l’optique à l’haptique
14Le déclin de l’« expérience » a partie liée avec l’évanouissement des « lointains », leur régression hors du champ perceptif de l’être humain. Dès les « Schémas sur le problème psychophysique », Benjamin faisait du « proche » et du « lointain » les deux catégories essentielles du Körper, soit du corps humain compris comme l’espace où se modèle le comportement éthique. Car « lointain » et « proche », loin de n’être que des catégories spatiales, déterminent le rapport à l’altérité : le premier est lié à l’Éros, au désir amoureux, le second à la sexualité, à l’appétit charnel. Le premier se nourrit de son inassouvissement, le second de la possession qui le comble. Ces modalités du rapport à l’autre engagent respectivement un certain rapport au temps : le désir cherche à perpétuer son élan, le besoin tend à s’annihiler dans les plus brefs délais. Cette polarité entre le proche et le lointain devient plus tard, dans une « image de pensée » intitulée « Amour platonique », celle qui surgit au cœur de l’être aimé entre son « corps », tangible et pénétrable, point d’ancrage du désir sexuel, et son « nom », inaccessible horizon de l’amour platonique44. Dès le fragment sur le problème psychophysique, Benjamin notait : « Plus inconnu encore que l’effet du lointain dans les connections corporelles est l’effet du proche. Les phénomènes qui participent de cet effet ont été rejetés et déclassés depuis peut-être déjà des millénaires45. » Le progrès technique lui offre l’occasion de réparer l’injustice trop longtemps faite au « proche » et de réévaluer la hiérarchie entre l’intime et l’inaccessible, l’actuel et l’idéal, la jouissance et son ajournement. Car la métropole ne connaît pas de lointains : elle obstrue les perspectives, refoule les paysages, rétrécit les cieux.
« Ce lointain bleuté qui ne cède là-bas aucune place au proche et ne s’évanouit pas non plus quand on s’approche, qui, quand on s’avance, ne s’étale pas sous nos pas ni sous notre souffle, mais se dresse devant nous plus fermé et plus menaçant encore, c’est le lointain en trompe-l’œil de la coulisse46. »
15Ce passage de Sens unique est problablement inspiré par les « vers grandioses » de Baudelaire que Benjamin cite plus tard dans « Sur quelques thèmes baudelairiens » : « Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon / Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse47. » Les lointains de la capitale sont les horizons artificiels des décors de théâtre, et bientôt de films, ironiquement impénétrables parce qu’images peintes, ou projetées, sur la surface de la toile ou de l’écran.
16Ce que révèle la magie des coulisses, à laquelle personne ne saurait se laisser prendre, ce n’est peut-être pas autre chose que cela : la « magie des lointains » serait finalement un truc d’illusionniste. C’est l’« aura » elle-même qui se voit ici mise en cause. Car l’« aura », nous l’avons vu, est définie par Benjamin comme « l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il ». Benjamin poursuit : « Suivre du regard, un après-midi d’été, la ligne d’une chaîne de montagne à l’horizon ou une branche qui jette son ombre sur lui, c’est, pour l’homme au repos, respirer l’aura de ces montagnes ou de cette branche48. » L’« aura » procède d’un certain rapport perceptif à l’objet – rapport confidentiel mais jamais captatif, puisque l’« aura » est inspirée, mais doit rester, comme l’air, insaisissable. Rapport en tout cas essentiellement visuel, contemplatif, qui démobilise le pouvoir moteur du corps : quand bien même l’objet « auratique » serait à portée de mains, le spectateur s’interdit de s’en saisir. Tant que le corps s’arrête et que ne subsiste de la perception que le regard – tant donc qu’est maintenue la distance –, la magie opère. Les images où tout n’est que « repos, éternité » sont celles dont la vie a été drainée – celles dont le créateur s’est attaché à « retirer au mouvement même son aiguillon49 » : hiératisme de l’image « auratique » auquel répond l’immobilité de la spectatrice. Le désir est de l’ordre de la fascination, et s’épuise dès que son objet s’avère possédable, c’est-à-dire d’abord palpable.
17Le culte des lointains et le mépris du proche, la préséance du désir sur la relation sexuelle, de l’abstinence sur la satiété, de la contemplation sur la praxis – toute la morale occidentale, enfin – est tributaire d’une certaine « hiérarchie des distances50 », impliquant une hiérarchie des sens qui offre à la vue la prérogative et ravale le toucher, sens prédateur, au bas de l’échelle. Dès le fragment précoce « Perception et corps », Benjamin voyait là le résultat de la détermination historique de la corporéité : il expliquait le privilège accordé à la vue par l’éloignement progressif de la terre ayant abouti à la station bipède. La « signification spirituelle », morale, attribuée à la marche verticale – qui donne au « mythe » de l’homme surplombant la nature son fondement – vient justifier a posteriori cette métamorphose du corps. Or, dans la modernité, le corps accomplit une nouvelle métamorphose, qui bientôt désavoue ce « mythe ». Non que le corps revienne à la quadrupédie : la capitale capitaliste consacre la verticalité. La lecture ne se fait plus dans le livre, qui imposait une position de repos et une concentration du regard propice au recueillement, mais à même les panneaux publicitaires, les écrans : plus de nécessité d’interrompre le déplacement, « la publicité [contraint] l’écriture à se soumettre à la verticale ». La verticale, toutefois, n’implique plus la distance convenant à la vue : l’image et les mots déferlent sur le lecteur comme des « nuées de sauterelles » et « assombrissent aujourd’hui déjà le soleil du prétendu esprit pour les habitants des grandes villes51 ». Depuis la surface érigée de l’affiche, couleurs et contours sont jetés pêle-mêle, « au visage, de manière aussi dangereuse qu’une auto qui vient vers nous en vibrant sur l’écran de cinéma et qui grandit démesurément52 ». « Les choses entre-temps sont tombées sur le dos de la société humaine de manière bien trop brûlante53 » : l’essentiel, dans la « société humaine » industrialisée, s’éprouve à même la peau, par contact. Que reste-t-il des « lettres en néon rouge » de l’enseigne publicitaire ? Plus le mot, écrit Benjamin, mais « la flaque de feu qui les reflète sur l’asphalte54 ». À la lecture manque « la distance convenable » : l’image et le texte, que maîtrisaient naguère le regard, évoquent à présent la sensation épidermique de la brûlure, dans une expérience qu’il faudrait qualifier d’haptique. Le terme « haptique » est introduit par l’historien de l’art autrichien Alois Riegl dans l’ouvrage L’industrie d’art de l’époque romaine tardive, d’abord publié en 1901 et dont la lecture fit forte impression sur Benjamin. Par « haptique », Riegl désigne une modalité du voir mobilisant le sens du toucher – une expérience visuelle qui ne se fait pas dans la distance contemplative mais comme par adhérence à l’objet perçu. L’expérience contemporaine est pour Benjamin une expérience synesthésique qui subordonne la vue au toucher, et voit triompher la proximité sur la distance, l’instantanéité sur le délai.
La présence d’esprit charnelle
18À cet effondrement sans précédent de la distance, Benjamin rapporte la ruine de deux relations a priori antithétiques à l’objet : le culte et la critique. Le culte implique en effet la transcendance de l’objet par rapport au sujet : « le caractère inapprochable est l’une des principales caractéristiques de l’image servant au culte55 », celle qui fonde d’ailleurs son « aura », note Benjamin dans « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». Dans Sens unique, c’était la critique, tributaire elle aussi d’un « monde où ce sont les perspectives et les optiques qui comptent56 », que Benjamin déclarait obsolète, bien qu’elle soit fondée, à l’inverse du culte, sur le surplomb du sujet. Benjamin diagnostiquerait-il l’appauvrissement spirituel de l’homme moderne, conditionné par le rétrécissement de l’horizon à l’environnement le plus immédiat, par la désintégration de la structure sensée que l’on nomme « monde » en une myriade de stimuli ? L’espace électrisé de la grande ville serait alors tout à la fois désenchanté et inintelligible, et le citadin un corps sans perspective de salut ni d’émancipation. Toute l’originalité de la proposition benjaminienne réside en ceci qu’il préfère ne plus faire du salut ni de l’émancipation une affaire d’« optiques », de « perspectives » – de délai attentiste ou stratégique, donc –, mais bien une affaire de tact, c’est-à-dire d’immédiateté. Explorer l’« effet du proche » dans les « connections corporelles », c’est, pour lui, découvrir les ressources encore inaperçues du corps dont l’inféodation au lointain – à la médiation réflexive – temporisait jusqu’alors la vivacité. Benjamin privilégie dans Sens unique, par opposition à la certitude acquise par l’examen critique, une certitude toute corporelle, critique dans le sens où elle opère d’incessantes sélections, mais sans détour ni délai. À cette critique pré-réflexive, Benjamin donne le nom de « présence d’esprit charnelle » (leibhafte Geistesgegenwart). Dans le petit texte « Madame Ariane, deuxième cour à gauche », il pose les jalons d’une pensée de la spontanéité corporelle qu’il filera, en la retravaillant, jusque dans ses tout derniers textes :
« Percevoir exactement ce qui arrive à la seconde même est plus décisif que savoir par avance le futur lointain. Des présages, des pressentiments, des signaux traversent en effet jour et nuit notre organisme comme des chocs d’ondes […]. On ne dépouille pas impunément le corps de sa puissance, qui lui permet de se mesurer sur son propre terrain avec les situations qu’impose le destin, et de les vaincre. L’instant représente les fourches caudines sous lesquelles le destin passe pour s’incliner devant lui. Transformer la menace de l’avenir en instant accompli, ce miracle télépathique seul digne d’être souhaité, telle est l’œuvre de la présence d’esprit charnelle57. »
19La confiance que Benjamin place ici dans les savoir-faire du corps l’engage à esquisser une conception du temps dont il poursuivra l’élaboration jusqu’aux thèses « Sur le concept d’histoire ». Dans la courte méditation de Sens unique, il réaffirme le caractère spatial et temporel des catégories de distance et de proximité. Car là où la distance étire le temps en espace balayé pro- et rétrospectivement par le regard, la proximité le condense. Le temps ne se donne plus alors comme l’étendue à arpenter, à mesurer, à baliser, mais comme le temps authentiquement « qualitatif », intensif, de l’occasion opportune – du kairos. Saisir l’occasion par les cheveux, c’est empêcher que le temps ne devienne celui du « destin », de l’événement que l’on subit parce que l’action a avorté. En donnant au corps le pouvoir de faire ce geste décisif, Benjamin rapporte audacieusement l’auto-détermination de l’individu non à l’usage autonome de l’entendement, mais aux savoir-faire du corps. L’impuissance de l’homme, dit-il, a pour cause la dépotentialisation du corps, la dévaluation de son pouvoir d’anticipation au profit de l’examen rétrospectif, du mouvement de retour propre à la réflexion – d’un savoir qui vient, fatalement, « trop tard ». Dès que l’esprit est arraché à la dynamique de la chair et adopte la temporalité de la médiation réflexive, il s’ampute de sa « présence » et accuse un perpétuel retard. Aussi Benjamin place-t-il l’humain devant une alternative : « interpréter » ou « mettre à profit » les « présages » qui parcourent l’organisme.
« Mais on ne peut faire les deux. La paresse et l’inertie conseillent d’adopter la première attitude, la clarté de l’esprit et la liberté la seconde. Car, avant qu’une telle prophétie, qu’un tel avertissement, ne deviennent quelque chose de médiatisé [Mittelbares], un mot ou une image, le meilleur de sa force s’est déjà évanoui ; cette force, avec laquelle l’avertissement nous frappe de plein fouet et nous entraîne à agir d’après lui, à peine nous en apercevons nous. C’est seulement lorsque nous l’avons laissé échapper, et alors seulement, que l’avertissement se déchiffre. Nous le lisons. Mais maintenant il est trop tard58. »
20L’illusion de maîtrise que donne l’« interprétation » de l’événement, la donation de sens, ne compense pas la passivité à laquelle le corps est condamné : elle est aveu d’impuissance. Seule l’intention non-subjective du corps peut efficacement viser l’événement et, par une prise habile, le transformer en acte pour lever le joug du destin.
Prodiges de l’involontaire
21« Avoir de la présence d’esprit signifie : à l’instant du danger, se laisser aller59. » S’en remettre de la sorte à l’involontaire, n’est-ce pas faire droit, finalement, à une autre forme de fatalité – celle des réflexes incoercibles, d’un agir pétrifié dans l’habitude, tenant son efficacité de ses seuls automatismes ? Non, car ces savoir-faire, si primitifs soient-ils, sont d’emblée donnés comme adaptatifs, et donc comme modulables. Aussi Benjamin remarque-t-il dans son carnet de voyage que savoir marcher à Berlin n’est pas savoir marcher à Moscou : « Le stade infantile commence dès l’arrivée. Il faut réapprendre à marcher sur le verglas épais de ces rues60. » S’approprier un nouvel environnement, c’est découvrir la force de l’habitude autant que sa souplesse. Car le corps est bon élève, pour peu qu’on le laisse mobiliser ses ressources. Benjamin, au fil des petits textes de Sens unique et des « images de pensée », esquisse une théorie de l’apprentissage qui refuse la partition entre la distraction et la concentration, entre l’improvisation et l’exercice, pour faire la part belle à la spontanéité corporelle dans la mise en pratique des gestes acquis. Pour Benjamin, l’exercice n’est en effet pas consécration d’une maîtrise sur le corps, triomphe de la volonté sur l’involontaire. Il est tout au contraire destiné à « fatiguer le maître par l’application et l’effort jusqu’à la limite de l’épuisement pour que le corps et chacun de ses membres puissent à la fin agir à leur guise […]. Le succès, c’est que la volonté, au-dedans du corps, abdique une fois pour toutes en faveur des organes61. »
22Le geste accompli n’est pas celui que commande la volonté consciente d’elle-même, mais celui qui est devenu habitude, c’est-à-dire volonté incorporée. Pouvoir adaptatif que celui du corps, irréductible à la simple réactivité : jamais pur automatisme donc, mais matrice de la « présence d’esprit charnelle », façonnant l’environnement autant que s’ajustant à ses contraintes. Benjamin met au jour la dialectique de l’habitude et de l’attention, qui entretient la plasticité des savoir-faire corporels : « Toute attention doit déboucher sur l’habitude, pour ne pas faire exploser l’individu, toute habitude doit être troublée par l’attention pour ne pas paralyser l’être humain62. » Pas d’attention possible sans la complicité de l’habitude, qui accomplit les tâches ordinaires sans solliciter la conscience ; attention dont les découvertes, bientôt incorporées, empêcheront en retour la sclérose de l’involontaire. L’exercice, actualisation progressive et motivée du potentiel corporel, trouve son couronnement dans l’improvisation, par laquelle s’active spontanément une compétence jusqu’alors inaperçue. La capacité à improviser témoigne du fait que l’exercice dépasse toujours, dans ses résultats, l’objectif que lui avait assigné la volonté : « De nos jours personne n’a le droit de s’entêter sur ce qu’il “sait faire”. L’improvisation fait la force. Tous les coups décisifs sont portés de la main gauche63. » Et si la main gauche peut se découvrir adroite, c’est que l’épuisement, qui est lassitude de l’intention subjective, permet de « donner de la marge64 » au corps – à la volonté qui, en s’y sédimentant, a changé de nature et pris les traits de l’involontaire. Ce qui est vraiment su est ce qui se met en œuvre sans effort de mémoire, sans incitation de la volonté : la spontanéité corporelle s’actualise dans ces compétences acquises, qui se donnent comme réflexes bien qu’elles ne soient ni innées ni incoercibles. Dans cette discrète phénoménologie de la spontanéité corporelle, Benjamin affirme inlassablement une chose : les savoir-faire du corps ne peuvent se déployer qu’à l’instant où s’abolit la conscience qui examine, prescrit et censure. Libéré enfin du « maître », l’esclave s’avère être celui sans lequel nulle maîtrise n’est possible.
23En stipulant que seul le mouvement émancipé du contrôle de l’intention peut être pleinement gracieux ou efficace, Benjamin reprend le fil des réflexions initiées par Schiller dans Sur la grâce et la dignité (1793) et détournées par Kleist dans Sur le théâtre de marionnettes (1810). Pour Schiller, en effet, la grâce est due à la part d’involontaire qui accompagne le mouvement volontaire, car c’est là que s’exprime l’« état d’âme65 » de la personne, comme malgré elle. Quiconque croit pouvoir à dessein produire et reproduire un geste gracieux se condamne à l’échec, puisque c’est la spontanéité du mouvement qui fait son charme. Mais le geste ne peut être gracieux que tant qu’il n’est pas passionnel, expression débridée de la sensibilité : la grâce est la sensibilité s’épanouissant « à la faveur » de l’esprit, jamais contre lui. En poussant la proposition schillerienne à son comble, Kleist porte un coup fatal à l’idéal de la « belle âme », où se disait l’union expressive de l’âme et du corps, de la moralité et de la sensibilité. Car s’il réaffirme bien que la volonté ne peut prétendre à produire un mouvement gracieux, Kleist cherche audacieusement l’absolu de la grâce dans le corps animé bien que sans vie de la marionnette, dépourvue d’état d’âme comme de conscience. Il trouve conjointement l’absolu de l’efficacité dans le corps de l’animal : chez un ours champion d’escrime qui pare indéfectiblement, et avec une totale nonchalance, tous les coups que son adversaire humain tente de lui porter. Là donc où Schiller rapportait la grâce à la ductilité d’un corps animé par la moralité du sentiment, Kleist ne s’en tient plus qu’au ressort des membres. Il n’est dès lors pas surprenant que Benjamin loue « l’image inoubliable » esquissée par Kleist dans son essai : portrait de l’homme « entravé par les bornes que lui impose la réflexivité, suspendu, désemparé66 », entre la marionnette – le corps sans âme – et Dieu – l’âme sans corps. Apprendre à se faire marionnette, c’est pour Benjamin apprendre à se fier non aux impulsions du marionnettiste, mais aux savoir-faire du corps. Ce serait là écouter le conseil de Kleist : « Nous devrions manger une fois encore de l’Arbre de la Connaissance, pour retomber dans l’état d’innocence67. » Et ainsi perdre science et conscience pour retrouver le corps.
Télépathie pratique
24« Miracle télépathique », donc, que l’agir corporel motivé non pas par la volonté souveraine mais par le pressentiment d’une menace imminente qui se transforme, dans l’instant, en défi par lequel le corps éprouve et prouve sa puissance. Benjamin y revient dans la dernière des thèses qui, promet-il, ouvre « la voie du succès » :
« Que le secret du succès ne loge pas dans l’esprit, c’est ce que trahit la langue avec le mot “présence d’esprit”. Donc ni le quoi ni le comment – seul le où de l’esprit est décisif. Qu’il soit présent dans l’instant ou dans l’espace, il n’y parvient qu’en se fondant dans l’inflexion de la voix, le sourire, le mutisme, le regard, le geste. Car seul le corps crée la présence d’esprit68. »
25En attachant la salutaire « présence d’esprit » à la spontanéité corporelle, Benjamin se garde de la projeter dans le domaine de l’occulte. Il se propose d’ailleurs de sonder un tel « miracle » à travers l’examen de phénomènes profanes, notamment dans les réflexions qu’il consacre aux jeux de hasard, et fait du casino « le laboratoire privilégié des expériences télépathiques69 ». Quelques fragments, anecdotes et « images de pensée » sont dédiés au jeu de hasard, et tout particulièrement à la roulette. Benjamin n’a de cesse d’y insister : la télépathie qui a lieu dans le jeu de roulette est d’un genre tout particulier. Et ce parce qu’elle n’advient pas entre deux psychismes, mais entre un corps animé, celui du joueur, et un corps en mouvement bien que sans vie, la boule. La télépathie n’est pas communication immatérielle, pont jeté d’une âme à une autre par-dessus les « lointains », mais bien un presque-contact, dans le vibrant accord que partagent la main tremblante du joueur et la boule vivace. La télépathie ne peut dès lors pas être comprise comme la transmission d’un contenu psychique : elle est le transfert « haptique » – sans contiguïté, donc, mais dans la sensation du frôlement – d’un mouvement. C’est à l’« étincelle qui saute d’un centre à l’autre, dans la région du corps, mobilise tantôt un organe tantôt un autre, et concentre, circonscrit en elle toute l’existence », que doit se fier la main du parieur. Dès que l’œil se désolidarise des autres sens et cherche à introduire dans cette télépathie charnelle la distance nécessaire à l’examen et à la prospection, il rompt le contact télépathique. La vue, précise Benjamin, devenue étrangère à « la langue des signaux70 », ne peut plus participer du « miracle » de la spontanéité corporelle. Comment expliquer que le corps puisse de la sorte se faire « voyant », là même où le privilège accordé à la vue s’avère illégitime ?
26Ce n’est pas un hasard si ce miracle opère sous les auspices du « proche » : si le corps est médium, c’est qu’il est inscrit dans un « médium » charnel plus vaste qui donne au monde sa cohérence. Nous l’avons vu, c’est dans les essais de 1933 « Doctrine du similaire » et « Sur le pouvoir mimétique » qu’une telle idée est mise en place. Benjamin y retrace l’histoire d’un savoir-faire corporel qu’il nomme « faculté mimétique » et dans lequel il faut reconnaître l’une des formes qu’emprunte la « présence d’esprit charnelle ». Cette faculté désigne l’aptitude spécifiquement humaine issue du mimétisme à « produire des ressemblances » : dans son corps mis au diapason de l’environnement, l’être humain éprouve son appartenance au monde, vit, perçoit et élabore son affinité avec la nature animée et inanimée, et jusqu’avec les objets techniques, comme l’enfant qui « joue au moulin et au chemin de fer71 ». Mimer une structure ou un mouvement, c’est toujours apprendre à connaître, et d’abord apprendre à reconnaître sa parenté avec l’étranger, c’est-à-dire à la fois ce qui nous y lie et ce qui nous en distingue. L’impulsion se révèle ainsi savoir-faire, qui sera à son tour donné comme la source d’un premier savoir théorique, opérant par repérage et représentation des similitudes – savoir qui ne devient « magique » que lorsqu’il est mobilisé dans des rituels conjuratoires et divinatoires. Il s’effectue au cours de l’évolution ontogénétique et phylogénétique de l’humain, selon Benjamin, une translation de cette faculté du corps au langage par l’intermédiaire de la représentation de la ressemblance – non plus directement corporelle, mais imagée, puis scripturale –, si bien que le langage est déclaré constituer « la plus parfaite archive de la ressemblance non-sensible72 ». Et pourtant la danse et le jeu portent témoignage d’une persistance de ce savoir-faire corporel au-delà de l’enfance : les deux pratiques sont d’ailleurs désignées comme prophétiques, car elles réactivent dans le corps ce don ancien qui permettait de « lire ce qui n’a jamais été écrit73 » – et d’agir, écrivait Benjamin dans Sens unique, avant que la « prophétie » ne soit devenue « quelque chose de médiatisé, un mot ou une image », et n’ait été spoliée du « meilleur de sa force74 ». Irving Wohlfarth75 a bien mis en lumière la temporalité commune à la « présence d’esprit charnelle » et à la « faculté mimétique » : la « ressemblance », note Benjamin, est « produite – et perçue – par l’homme comme une illumination instantanée. Elle surgit et s’évanouit aussitôt76. » Et celui qui croit pouvoir s’en saisir par l’optique repartira les mains vides. Le langage conserve en fixant, là où le corps, intuitif et plastique, répond aux sollicitations et aux stimulations de son environnement.
27La « télépathie » prophétique n’est donc pas un phénomène magique en soi, elle est le produit de savoir-faire corporels que tous les êtres humains ont en partage et que Benjamin rassemble sous le terme de « présence d’esprit charnelle ». Si ces pouvoirs ne jouissent plus, dans le « monde moderne », de la reconnaissance que lui accordaient les peuples anciens, ils soutiennent souterrainement l’« homme des foules » dans ses trajets quotidiens. Ils ne génèrent plus de savoir sur l’avenir – qu’importe, ils font mieux : ils donnent à l’être humain une prise sur son destin. La mise en regard des aphorismes de Sens unique, des « images de pensée » et des deux essais sur la faculté mimétique suggère que le « pouvoir mimétique » dont Benjamin diagnostique en 1933 la « fragilité croissante77 » trouve justement son accomplissement dans la « présence d’esprit charnelle », qui persiste à produire des « miracles » dans un monde privé du « lointain bleuté ». La progressive liquidation de la magie, qui semble d’abord affaiblir la faculté mimétique, ne se ferait alors pas nécessairement au détriment des pouvoirs du corps : ne permet-elle pas, au contraire, l’épanouissement d’une spontanéité corporelle enfin affranchie des rituels qui lui prescrivaient une forme et une fonction déterminées d’avance ? Le « désenchantement du monde » (Weber) ne signerait pas tant l’inéluctable déclin des pouvoirs du corps que leur actualisation dans l’espace contemporain de la capitale, structuré non par les constellations d’étoiles mais par le vaste réseau des signaux électriques.
« Ivresse de la métamorphose » – Figures de l’utopie par-delà l’homme nouveau
28« Comprendre la langue dans laquelle le bonheur prend rendez-vous avec nous78 » est affaire de télépathie, d’affection à distance. À condition cependant de ne pas voir là un phénomène psychique, mais bel et bien une affection charnelle, qui doit son existence au « pouvoir mimétique » par lequel le corps humain éprouve sa proximité avec ce qui l’affecte et qu’il affecte en retour – l’autre être humain, mais aussi bien l’animal, la plante, l’objet technique. Cette « télépathie » matérielle ne saurait d’ailleurs avoir lieu avec un être absent du champ perceptif de l’individu. L’enfant décrit dans Enfance berlinoise en offre le modèle : tantôt happé par l’élan du papillon qu’il poursuit, tantôt immobilisé par la rigidité de la table sous laquelle il se cache, c’est un être dont le corps est disloqué, projeté à l’extérieur de frontières qui n’existent pas encore pour lui. Jusqu’à ce que l’image du corps propre vienne imposer à l’enfant une Gestalt à partir de laquelle pourra se former son « moi », l’enfant est un petit homme sans qualité – anonyme, d’ailleurs, asexué et sans caractère – au corps aussi insaisissable et inintelligible que celui de la créature kafkaïenne, l’espiègle pelote Odradek. C’est en cela qu’il annonce l’« inhumain » à venir. L’enfant, en effet, pourrait trouver sa place dans le portrait de groupe dressé par Benjamin dans « Expérience et pauvreté », portrait prophétique de l’« inhumain » appelé à prendre la relève de l’humain. Petit « cannibale » qui s’incorpore volontiers ce qui l’entoure, l’enfant a une part d’inhumanité, tout comme les créatures fantastiques peuplant l’essai de 1933 – l’Angelus Novus de Paul Klee, le Mickey du premier Disney, le Lesabéndio de Paul Scheerbart, auxquelles il faudrait ajouter Charlot, qui clopine à travers quelques textes et fragments depuis la fin des années 1920.
29Dans ces figures hétérogènes empruntées à l’art plastique, à la littérature de science-fiction, aux dessins animés et aux films comiques, s’incarne l’utopie benjaminienne de l’émancipation de la spontanéité corporelle. Une utopie que Benjamin s’impose de penser, depuis l’histoire, comme la réalisation rêvée des potentialités du corps humain, actualisées par les nouvelles technologies mais non gouvernées par elles. Un regard attentif sur les images choisies par Benjamin pour figurer l’« inhumain » permet de mesurer l’écart séparant son « utopie du corps79 » des fantasmes contemporains d’un surpassement de la faillibilité somatique effectué grâce aux avancées techniques. L’entrelacement de l’organique et du technique préconisé par Benjamin prend l’exact contre-pied des idéaux productivistes et impérialistes exaltant une humanité amplifiée par ses redoutables outils. L’« inhumain », s’il est traversé par la technique, n’a rien du « corps humain métallique80 » auquel aspire le futurisme. Le constat de l’« innervation » du corps par la technique débouche sur une surprenante célébration du désœuvrement. S’esquisse le rêve d’un corps qui jouit de ses pouvoirs, parce que ceux-ci se sont affranchis de l’impératif de produire et de conquérir.
Éloge du superficiel
30Dans « Expérience et pauvreté », Benjamin fait un constat, le déclin de l’expérience, causé par la pénétration de nouvelles technologies dans la vie quotidienne de l’« homme des foules », et un choix, celui de ne pas déplorer ce déclin mais de l’embrasser pour y voir l’occasion de « reprendre à zéro81 ». Plutôt que de tenter de réanimer l’« image traditionnelle, noble, solennelle d’un homme paré de toutes les offrandes sacrificatoires du passé », se préoccuper de son « contemporain qui, dépouillé de ces oripeaux, crie comme un nouveau-né dans les langes sales de cette époque82 ». Quel « nouveau-né » Benjamin découvre-t-il dans ces « langes » souillées de sang et de sueur, dans le cours d’une époque marquée par la captation capitaliste et belliqueuse de l’innovation technique ? Un être qui ne croit d’ores et déjà plus à l’idéal humaniste parce qu’il sait que seul le profit compte : un être, donc, qui accuse le gouffre béant entre l’unité idéale du genre humain et la réalité de l’exploitation et de la mise à mort d’une partie de l’humanité au profit d’une autre, moins nombreuse mais détentrice des moyens de production et de destruction. L’atout de ce « nouveau-né » : son « manque total d’illusion83 ». Immunisé contre l’idéologie, privé de la capacité à donner sens à son existence, à recevoir et à transmettre un héritage, le « contemporain » vagissant ne croit plus en rien : ne lui reste que la réalité de son dénuement symbolique et matériel. Benjamin propose de « se débrouiller avec peu, [de] construire avec presque rien84 » : loin de louer ici l’esprit d’entreprise, il suggère de faire sienne cette pauvreté subie pour faire advenir la part d’utopie qu’elle recèle. Montrer que la pauvreté est la condition de possibilité de l’avènement d’un monde meilleur, tel est le pari risqué qu’il fait dans « Expérience et pauvreté ». Il y dessine les contours d’un rêve adressé aux exploités, conscients d’être « déshumanisés » par leurs conditions d’existence et prêts à se détourner d’une « image de l’être humain » auquel il leur est, de fait, impossible de se conformer. C’est de cette réalité que se nourrit l’utopie benjaminienne de l’« inhumain ».
31L’Angelus Novus, Lesabéndio, Mickey et Charlot sont en effet d’abord des « créatures » superficielles. Silhouettes nées sur une « planche à dessin » et donc dépourvues de « vie intérieure85 », leurs expressions n’évoquent aucun état d’âme et doivent rester en ce sens indéchiffrables – non pas mystérieuses mais au contraire dénuées de tout mystère, de toute « aura ». Leurs mimiques et leurs gestes obéissent à une « structure interne » comme « une bonne voiture dont même la carrosserie répond avant tout aux impératifs de la mécanique86 », ou sont engendrés par l’entrée en résonance fortuite de leur sensibilité et d’un élément extérieur. Qu’il réponde à une stimulation interne ou externe, leur comportement n’est jamais motivé psychologiquement. Ces figures imposent à l’interprète une nouvelle méthode : ne pas chercher la profondeur, mais s’attarder sur la « strate la plus superficielle des choses », sur « leur plus pure sensibilité87 ». Oublier l’âme, donc, pour interpréter le corps. Les quatre personnages délivrent au critique un enseignement proche de celui offert par les clowns, acrobates et autres artistes de cirque à leur public. À leur vue, « même l’homme le plus borné doit commencer à comprendre que certaines prouesses physiques sont ô combien plus proches de l’essentiel, du miracle, si l’on veut, que les phénomènes de la vie intérieure, qui ne sont parfois que l’apparence banale que revêtent, aux yeux des idéalistes, de telles innervations88. »
Robots improductifs et monstres désœuvrés
32Il faudrait, à vrai dire, répartir ces personnages en deux groupes : l’Angelus Novus et Charlot d’une part – corps mécaniques, « figures d’automates » –, et Mickey et Lesabéndio d’autre part – monstres aux corps élastiques. L’Angelus Novus se présente aux yeux de Benjamin comme la création d’un ingénieur autant que d’un artiste. Assemblage de surfaces géométriques comme découpées dans le papier ou la tôle et imparfaitement collées ensemble, le dessin de Klee semble donner à voir le plan de la carrosserie d’une machine étrangement anthropomorphe : portrait de robot plutôt que d’ange – d’ailleurs, où sont ses ailes ? Charlot rappelle quant à lui, la traditionnelle marionnette de Guignol – « le masque de l’impassibilité en fait une marionnette dans un stand de fête foraine89 » –, mais sa démarche saccadée évoque également le robot. L’incohérence de sa gestuelle interdit en tout cas d’y voir l’expression, intentionnelle ou involontaire, d’une humeur ou d’un souhait. Les corps de ces êtres-là sont rigides, l’ampleur de leur mouvement d’emblée limitée par le mécanisme qui commande à leurs articulations. Et pourtant Benjamin refuse de ne voir en eux que les images de l’ouvrier pétrifié dans la répétition des gestes auxquels le contraint la production industrielle. Car l’ange à la bouche béante et le petit homme au chapeau melon, s’ils partagent des affinités avec les robots, sont des automates inutilisables – destinés à un usage inconnu ou tout simplement défectueux –, en tout cas émancipés de leur fonction. Hybrides de machine et d’être humain, ils donnent à voir une image de l’« inhumain » irréductible à l’idéal de l’« homme nouveau », à contre-courant du fantasme futuriste d’un transhumanisme conquérant. Ce ne sont pas des corps potentialisés par des prothèses techniques, ce sont des corps libres, parce que désinstrumentalisés : leurs gestes et leurs mimiques sont étranges, gauches, souvent risibles, mais, inexpressifs et improductifs, ils ont le privilège de s’être affranchi de la finalité pour n’obéir plus qu’à eux-mêmes.
33La technique, chez Charlot et chez l’Ange, n’a pas pénétré les corps humains pour les augmenter ou les réduire, mais pour les autoriser à ne plus rien manifester, à ne plus rien accomplir : à ne valoir, enfin, que pour eux-mêmes. Ainsi dispensée de compenser la faillibilité du corps humain pour en accroître l’efficacité, la technique déploie réciproquement ses possibles hors de toute injonction productiviste. C’est en cela que les corps de ces créatures de chair et de rouages sont utopiques : inidentifiables, inutiles, désassujettis. À quoi donc ces gestes sont-ils bons ? À rien, si ce n’est à faire rire, suggère Benjamin comme en écho à la fameuse thèse exposée par Bergson dans Le rire (1900), selon laquelle le comique trouve son ressort essentiel dans l’image du « mécanique plaqué sur du vivant90 », qui ramène brusquement l’attention « de l’âme sur le corps91 ». Benjamin, toutefois, ne découvre pas dans ce corps qui a pris le pas sur l’âme « une matière inerte posée sur une énergie vivante92 », mais une matière animée d’une énergie libre, sans principe ni règle. Aussi faudrait-il dire avec Giorgio Agamben que les gestes de Charlot et de l’Ange exhibent une « pure médialité », rendent « visible un moyen comme tel93 », dès lors qu’ils existent sans prétendre rien signifier, ni rien produire. « Pure médialité » également que les gestes des petits automates peuplant le cabinet mécanique minutieusement décrit par Benjamin dans Sens unique :
« Un magicien a devant lui deux récipients en forme de tonneaux. Celui de droite s’ouvre et surgit le buste d’une dame. Elle replonge aussitôt. Celui de gauche s’ouvre : un corps masculin en sort jusqu’à mi-hauteur. Le récipient de droite s’ouvre de nouveau et c’est maintenant un crâne de bouc avec le visage de la dame entre les deux cornes qui en sort. Ensuite quelque chose se lève à gauche : c’est un singe qui se présente à la place de l’homme. Puis tout recommence depuis le début94. »
34Tous les personnages historiques et légendaires, de Jésus-Christ à Napoléon III, sont emportés dans la ronde. Le titre de l’aphorisme – « Hors commerce » – ne doit pas surprendre, car le merveilleux ensemble de poupées animées donne à voir une pure dépense de mouvements, insignifiants, improductifs, inévaluables, et à ce titre inestimables.
35Aux « gens fatigués […] pour qui le but de la vie n’apparaît plus que comme l’ultime point de fuite dans une perspective infinie de moyens », Mickey aussi donne à voir l’« image libératrice d’une existence qui en toute circonstance se suffit à elle-même95 », parce qu’elle ne s’inscrit pas dans l’économie des moyens et des fins.
« Cette existence est pleine de prodiges qui non seulement dépassent ceux de la technique, mais tournent ceux-ci en dérision. Car ce qu’ils offrent de plus remarquable, c’est qu’ils ne mettent en jeu aucune machinerie, qu’ils surgissent à l’improviste du corps de Mickey, de ses partisans et de ses persécuteurs, des meubles les plus quotidiens aussi bien que des arbres, des nuages et des flots96. »
36Si Mickey peut de la sorte tourner en dérision la technique, c’est parce qu’il se l’est si bien incorporée qu’il n’a plus à en dépendre. La technique n’a plus à se faire deus ex machina pour sauver la fragile créature : le corps adaptable de Mickey s’est déjà emparé de ses ressources pour les solliciter à l’instant opportun. Dans les dessins animés de Disney, où « une automobile ne pèse pas plus lourd qu’un chapeau de paille97 », la technique est à taille humaine – ou plutôt : à taille de souris. Car si la souris sans peur est parvenue à « rompre la hiérarchie des créatures instaurée à la faveur de l’être humain98 », c’est qu’elle a su montrer l’image authentique du corps puissant, à l’extrême opposé du corps armé de ses organes techniques, du « dieu prothétique » qu’évoque Freud dans Le malaise dans la culture99 et dont Marinetti a fait son idéal. En effet, Mickey est un corps résilient parce que plastique : sa capacité à absorber les chocs ne tient pas à sa roideur, mais tout au contraire à son aptitude à la métamorphose. Car se faire monstrueux, c’est s’arracher à sa Gestalt, à l’encombrante « armure enfin assumée d’une identité aliénante » (Lacan) qui galvanise l’individu tout en lui imposant des entraves. Le corps de Mickey est un corps dont les pouvoirs s’épanouissent d’autant plus librement qu’il a renoncé à se conformer à une image, à commencer par celle dans laquelle l’être humain croit reconnaître sa ressemblance avec Dieu et, de là, sa supériorité par rapport au reste de la Création. La « créature » Mickey jongle avec l’automobile, l’engloutit et la régurgite à sa guise, exploitant pleinement les potentialités de la technique devenues puissances carnavalesques du corps bouffon, pour l’amusement de tous.
37C’est aussi à cette exigence de monstruosité que répond l’extraterrestre Lesabéndio, figure infigurable qui fascine Benjamin dès sa lecture, en 1917, du roman éponyme de Paul Scheerbart. Lesabéndio, comme les autres habitants de l’astéroïde Pallas, est un corps asexué : son espèce ne se reproduit pas mais extrait sa descendance de noix découvertes au cœur de leur astéroïde. Ce corps étrange, surgissant tout formé de sa coque, est composé d’une unique « jambe-tuyau » élastique, de taille modulable, terminée d’un côté par un « pied-ventouse » et de l’autre par un visage couvert d’une « peau caoutchouteuse100 », capable de prendre diverses formes – mains, télescope, ailes. Dans les deux recensions du roman qui nous sont parvenues, Benjamin loue d’abord la transparence du style de Scheerbart, dénué de tout psychologisme et attaché à saisir la « strate la plus superficielle des choses101 » – plus occupé, en effet, à décrire les prouesses des corps protéiformes de ses créatures que leur « vie intérieure » rudimentaire. Cette ultime référence, à laquelle il faut accorder une place de choix, puisqu’elle occupe Benjamin des années 1910 aux années 1930, se distingue des autres : Scheerbart y raconte l’histoire d’une entreprise, là où Disney et Chaplin font vivre à leurs héros picaresques des aventures accidentelles. Benjamin retrace le projet de Lesabéndio, rêveur infatigable qui convainc ses congénères d’ériger une tour immense destinée à atteindre un autre astéroïde qui forme, il en est persuadé, un astre double avec Pallas. La tour est construite à l’aide d’une abondante main d’œuvre : les chefs Pallasiens brisent une multitude de noix pour obtenir une proles robuste, dont ils organisent l’effort. Mais plus qu’à la technique, il revient au corps d’accomplir l’exploit suprême : Lesabéndio utilise la tour comme tremplin pour se propulser dans l’espace. De là, son corps déjà remarquablement plastique subit une nouvelle mutation, tout son appareil perceptif se métamorphose, il constate l’intense accroissement de ses sensations et fusionne bientôt avec le corps astral dont il a permis la renaissance. Mais l’extraterrestre ne saurait s’arrêter là, car il perçoit grâce à ses nouveaux organes les nombreux astres-frères du Pallas, avec lesquels il aspire à s’unir : « […] Lesa sentit qu’il était devenu un avec l’astre double, et une nouvelle vie commence pour lui – et tout se rapproche et se rassemble102. »
38L’ambition amène l’entreprenant architecte à surmonter la fatigue qui s’empare chaque soir des Pallasiens et les condamne à ne s’adonner qu’à des projets d’embellissement d’envergure limitée. Faut-il voir s’esquisser avec l’exploit de Lesabéndio une utopie conquérante, de celles que Benjamin paraissait pourtant rejeter ? Lesabéndio, le pionnier, le guide, le demi-dieu transformé en constellation, n’initie-t-il pas une expansion qu’on peut s’imaginer sans borne ? Le roman décrirait le triomphe de la volonté, apte à imposer à la matière – corporelle et inorganique – des formes fantastiques. La « créature » devenue étoile : une figure du « surhomme », enfin ? En fait, rien de tel : c’est comme un pastiche de l’idéal nietzschéen que Benjamin lit le livre de Scheerbart. Emporté dans une révolution astrale qu’il ne contrôle pas, mais à laquelle il consent – « je ne pense plus du tout à vouloir moi-même quelque chose. Je suis porté par un puissant courant d’air103 » –, Lesabéndio découvre finalement « l’ivresse que produit la ronde éternelle104 » : le bonheur de tourner en rond. Se libérer de la fatigue, ce ne serait alors pas tant surmonter la paresse par l’opiniâtreté de l’effort que se libérer de l’effort lui-même : s’émanciper de la volonté de puissance pour se laisser aller à une déprise de soi jouissive. Lesabéndio fait sa révolution astrale à des années-lumière de celle de la « Figure [Gestalt] du Travailleur » dont Ernst Jünger brosse le portrait exalté dans Le Travailleur (1932). Face à la Gestalt colossale « immuable et impérissable105 » du « Travailleur » pris dans un processus de production ininterrompu, face à l’homme totalement organisé par la technique, qui produit sa propre mort dans des gerbes de flammes quand il n’a plus d’autre source d’énergie à convertir que sa propre vie, Benjamin préfère voir s’incarner l’avenir de l’humanité dans ces amusantes « créatures », passionnément occupées à ne rien faire.
Utopie de la gratuité
39Les « inhumains » dont Benjamin fait, dans « Expérience et pauvreté », les hérauts de l’avenir, ont en commun avec leur archétype Lesabéndio de montrer que l’utopie technique doit être mise au service d’une « utopie du corps » : la technique est autorisée à altérer le corps dans la mesure où elle travaille à son « innervation » – au déploiement de son potentiel moteur et sensitif –, sans pour autant canaliser son énergie dans des gestes rentables. Ouvrir le corps à l’« ivresse de la métamorphose » (Zweig), mettre à jour les ressources émancipatrices de la « faculté mimétique », telle est la mission que Benjamin assigne à la technique. Il s’agit, d’abord, de libérer le corps d’une « ressemblance avec l’homme106 » illusoire : ne plus s’imposer de ressembler à l’homme, c’est se débarrasser d’une « image de l’être humain » idéologique, simulacre d’un genre humain universel et anhistorique que les faits – les schizes sociales qu’instaurent l’exploitation capitaliste et les massacres impérialistes – discréditent. L’humain « innervé » par la technique, formé et transformé par elle, découvre l’historicité de son corps, et, plus loin, son marquage social. Par là, Benjamin historicise sa propre théorie anthropologique qu’il expose au même moment dans « Doctrine du similaire » et « Sur la faculté mimétique » : le récit de l’inéluctable déclin « phylogénétique- et ontogénétique » de la « faculté mimétique » narré dans ces deux essais est doublé, et défait, par l’annonce de la réactualisation de ce pouvoir corporel dans un contexte historique et social spécifique. Les technologies qui accouchent, dans la métropole du premier xxe siècle, le « nouveau-né » vagissant, donnent à l’humain la possibilité de « reprendre à zéro » : non de régresser au stade infantile, mais d’éprouver le rajeunissement de ses forces, pour s’engager sur une voie nouvelle.
40Voie nouvelle qui n’est pas celle de l’« homme nouveau » – de l’homme aux performances augmentées –, puisqu’il s’agit tout au contraire d’inviter le « contemporain » à ambitionner une oisiveté inédite. Paradoxalement, c’est à la technique qu’il revient de désinstrumentaliser le corps, de l’affranchir de l’économie des fins, pour permettre à ses savoir-faire de s’accomplir dans le lâcher prise. L’Angelus Novus, Charlot, Mickey, Lesabéndio, toutes ces figures, dans l’interprétation insolite qu’en donne Benjamin, incarnent le rêve d’une force de travail désœuvrée. Force de travail, en effet, comprise comme l’entendent les thèses de thermodynamique développées au xixe siècle dans les sciences physiques, notamment par Hermann von Helmholtz qui désigne par ce terme l’énergie habitant la matière, qu’elle soit organique ou inorganique. Anson Rabinbach a montré comment ces théories nouvelles, s’appuyant sur un « concept qui met l’accent sur le déploiement d’énergie par opposition à la volonté humaine, aux buts moraux et même à l’habileté technique107 », font de l’énergie l’équivalent universel du monde naturel et technique. Détournant non sans ironie cette idée déjà largement diffusée à son époque, Benjamin propose d’autoriser la force, indifféremment physique et technique, à se libérer du travail pour ne plus rien produire si ce n’est un mouvement gratuit. C’est en ce point que l’« utopie du corps » se noue à une utopie sociale et politique dont il faut à présent mesurer la portée.
La masse : corps excentrique, chair sans ego
41À la pauvreté intérieure du « contemporain » – « pauvreté en expérience108 » conditionnée par l’exposition accrue aux « chocs » dans un espace aux perspectives obstruées, entraînant la perte conjuguée de la mémoire et du paysage – correspond une pauvreté matérielle que Benjamin incite à pleinement assumer. Les créatures « inhumaines » dont il loue les prouesses se sont débarrassées de leur « intérieur » en même temps que de leur « intériorité ». L’intérieur, auquel Benjamin donne la fonction de préserver la « trace [du] séjour terrestre109 » de celui qui y a habité, n’a rien à offrir à ces êtres sans qualité qui ne prétendent pas imposer d’héritage – objets, institutions, œuvres, leçons de vie – aux générations à venir. Il n’est dès lors pas surprenant que ce soit dans les maisons de verre imaginées par Scheerbart dans Architecture de verre (1914) – ces « espaces dans lesquels il est difficile de laisser des traces110 » – que Benjamin propose de les voir vivre. Car ces humains à venir « aspirent à un environnement dans lequel ils puissent faire valoir leur pauvreté, extérieure et finalement aussi intérieure111 ». Pauvreté totale, donc, et revendiquée, car seule à même de rompre avec la logique du profit – et avec son socle : la propriété privée – qui a perversement engendré cette pauvreté même.
42L’utopie d’un corps et d’une technique conjointement délivrés de l’impératif productiviste, affranchis de l’injonction de croissance, ouvre la voie à une utopie sociale qui engage l’individu à réaliser son appartenance à un collectif où la privation et la précarité peuvent engendrer une forme inédite de puissance. Au fil de réflexions engagées dans des fragments, des « images de pensées », dans le texte sur le surréalisme et un peu plus tard dans l’essai « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Benjamin trace les grandes lignes d’une théorie de l’émancipation des corps, qui veut voir l’individu se dissoudre dans une formation collective, désignée dans les « Schémas sur le problème psychophysique » comme le « corps de l’humanité », dans « Le surréalisme » comme l’« espace charnel », dans « Expérience et pauvreté », enfin, comme la « masse ». Comprendre conjointement l’originalité de la conception benjaminienne du corps collectif et son ancrage dans une réception atypique des écrits du premier Marx, c’est mettre au jour la teneur du « matérialisme anthropologique » dont Benjamin jette les premières bases à la fin des années 1920.
De la classe à la masse
43Plutôt que de vouloir plus, plutôt même que de s’accrocher au peu que l’on a, Benjamin propose de se délester de tout, à commencer par cette propriété privée originaire, premier « intérieur » dont l’« intériorité » fait son bastion : le corps propre, c’est-à-dire le corps compris comme la propriété du « moi ». À l’humain réduit au dénuement extrême, le corps semble être l’ultime propriété privée, sa force et ses compétences, l’unique objet de valeur. Assumer la pauvreté, c’est d’abord accepter de se défaire du sentiment de propriété sur son corps, car c’est cette « propriété » première qui rend l’exploitation possible. Lorsqu’un film de Mickey montre « pour la première fois que le bras, voire le corps, de quelqu’un peut lui être volé », Benjamin y voit révélé le « régime de propriété112 » propre au capitalisme. Si le public peut s’enthousiasmer pour les exploits de Mickey, c’est parce que le corps étrange du cartoon évoque le sentiment d’étrangeté éprouvé par les spectateurs à l’égard de leur propre corps. La saynète où le corps de Mickey est démonté et emporté par des voleurs rappelle l’aliénation du corps dans l’économie capitaliste, reposant sur sa réification et sa subséquente marchandisation comme « force de travail ». Au vu de la réalité de l’aliénation du corps, Benjamin ne prend pas le parti de le déclarer inviolable, d’en faire une enclave de l’intime qu’il faudrait croire incessible. Car un tel argument reposerait sur l’idée de l’intégrité psychophysique de l’individu que dément la division du travail – division qui s’accomplit d’abord dans la partition entre travail manuel et travail intellectuel, puis désintègre l’unité corporelle en gestes de commande. Dès lors que la réalité sociale est dualiste, le rêve de la « belle âme » ne peut être qu’idéologique. Bien plus : faire du corps le fondement de la sphère privée, revendiquer la propriété de son corps, c’est encore se maintenir dans la logique capitaliste. En pointant la correspondance de la « vie intérieure » (Innerlichkeit) et de l’« intérieur » (Intérieur) bourgeois, Benjamin affirme que le retrait dans l’intime ne représente qu’une issue illusoire hors du système capitaliste, puisque celui-ci fait précisément coïncider la propriété de soi et la réification de soi.
44C’est pour échapper à cette logique que Benjamin propose de faire du corps l’inappropriable par excellence : non la chose dont chaque être humain hérite à la naissance et dont il peut librement disposer, mais un faisceau d’énergies éludant la prise. Dans les corps capricieux et inemployables de ses monstres, dans l’utopie scheerbartienne d’un corps gagné par « la rébellion excentrique113 » de ses forces, dans les numéros des clowns, « excentriques » eux aussi, qui jouent des pouvoirs de « dislocation114 » (Dislocierung, Ent-stellung) de leur corps, Benjamin redécouvre la silhouette incertaine du Leib décrit dans les fragments précoces « Perception et corps » et « Sur l’effroi ». Affranchi de son image spéculaire, le corps s’y donnait comme une entité acéphale, informe, « excentrique115 », pénétré par le monde autant que le pénétrant. Le corps des créatures « inhumaines » est un corps enfin assumé comme « impropre » : un corps dont l’excentricité n’est plus contenue par un « moi » constitué propriétaire d’un centre corporel. Plutôt que de chercher refuge dans l’« étui116 » qu’est l’« intérieur », dernier espace où le particulier croit pouvoir se réapproprier son image dans les bibelots qui l’enclosent, Benjamin invite à s’exiler dans la foule – terre d’asile de ce corps évasif qu’aucune Gestalt ne peut définitivement ceindre.
45Que gagne l’individu à se défaire de la sorte de sa dernière possession ? Il y gagne l’occasion d’éprouver son appartenance à la « masse ». Et c’est beaucoup, c’est même tout, affirme Benjamin. Car « l’individu » qui s’enhardit à « donner un peu d’humanité à [la] masse », récupérera un jour sa mise « avec usure117 ». C’est sur cette suggestion déconcertante que Benjamin clôt « Expérience et pauvreté ». Pour lui donner tout son sens, il faut la mettre en regard des thèses exposées par Marx dans sa Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel et reprises pour partie dans L’idéologie allemande, textes que Benjamin ne cite pas dans « Expérience et pauvreté », mais auxquels il se réfère à plusieurs reprises dans Le Livre des passages118. Dans ces écrits de jeunesse qui participent, selon la formule d’Étienne Balibar, du « moment messianique » de sa pensée de l’émancipation, Marx veut voir se retourner « le rien de la déréliction, de l’anéantissement et de la paupérisation absolue » dans « le tout d’une réalisation de l’essence humaine en tant que “communauté” ou plénitude du “genre”119 ». Dans Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, Marx définit le prolétariat comme la « classe » à même de dépasser sa spécificité dans la totalité de « l’humanité ». Caractérisée par la privation absolue, par la perte de tous les attributs qui lui assigneraient une identité et donc des intérêts déterminés, seule cette « classe » qui n’en est pas une peut prétendre à incarner le genre humain :
« Il faut former une classe avec des chaînes radicales, une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une classe qui soit la dissolution de toutes les classes, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles et ne revendique pas de droit particulier, parce qu’on ne lui a pas fait de tort particulier, mais un tort en soi, une sphère qui ne puisse plus se rapporter à un titre historique, mais simplement au titre humain, […] une sphère enfin qui ne puisse s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, qui soit, en un mot, la perte complète de l’humain, et ne puisse donc se reconquérir elle-même que par le regain complet de l’humain120. »
46Étienne Balibar montre bien comment cette thèse puise dans « les variantes “utopiques révolutionnaires” du messianisme juif », qui conçoit « la résolution de l’injustice historique » comme « une recréation du monde, au prix de sa destruction […] plutôt que comme une sortie de la vie, ou un passage dans l’autre monde121. » Il affirme que, pour le jeune Marx, « le prolétariat, lorsqu’il devient conforme à son concept, […] n’est déjà plus une classe (mais la masse) » :
« Seule la masse est révolutionnaire, parce ce qu’elle est la dissolution en acte de la “société” existante, lorsque l’exploitation, parvenue à sa dernière extrémité, a totalement dépouillé les travailleurs de toute “propriété” (Eigentum, mais aussi Eigenheit ou Eigenschaft), de toute particularité issue du passé historique, en les laissant comme nus122. »
47Nudité du « nouveau-né » vagissant dans ses langes – c’est dans cette double tradition, messianique et marxienne, que s’inscrivent les réflexions benjaminiennes sur la masse, dont l’élan révolutionnaire s’exprime dans le « caractère destructeur ». « Détruire en effet nous rajeunit », écrit Benjamin, « parce que nous effaçons par là les traces de notre âge123 ». « Déblayer », « réduire124 » à l’extrême, se défaire de son héritage et de tous ses particularismes, abandonner ses « étuis » jusqu’au dernier – jusqu’à celui du « corps propre » –, c’est se donner le moyen de « renaître » dans ce « corps de l’humanité125 » dans lequel Benjamin, avant même son « virage vers la pensée politique126 », voyait se dissoudre et s’accomplir l’individu. Renoncer à tout, à commencer par une identité de « classe » défendant ses intérêts, c’est n’avoir plus rien à perdre : telle est la stratégie de la « masse » prolétaire dont Benjamin brosse le portrait par petites touches, de Sens unique à « Expérience et pauvreté ». Constituée par la bourgeoisie, qui a « fait de la masse de l’humanité une masse totalement “privée de propriété” [Eigentumslos]127 », la classe-masse du prolétariat-humanité, parce qu’elle n’a aucune propriété à défendre, est la seule qui puisse annihiler la domination et mettre un terme à l’alternance de la « violence fondatrice » et « conservatrice » du droit pointée dans « Critique de la violence ».
Foules sentimentales : Tarde, Le Bon, Freud, Scheler
48De là le privilège accordé par Benjamin à l’idée de « masse ». La pauvreté symbolique et matérielle est absence de signes distinctifs : elle n’est pas quelque chose, elle n’est rien. Impossible de faire de ce néant le socle d’une identité partagée. Benjamin n’appelle pas la « masse » à se saisir d’une identité nouvelle : il propose, tout au contraire, de fêter la désagrégation des identités qui s’y opère. Si l’« homme des foules » est « inhumain », c’est bien parce qu’il ne se reconnaît dans aucune image, pas même dans celle de l’homme. Audacieusement, Benjamin dépouille son collectif de tous les atouts susceptibles de le rendre identifiable « pour soi », et empêche, de la sorte, la masse de s’organiser en particulier à grande échelle. Benjamin prend la masse au mot : une masse est un corps dépourvu de contours caractérisés – un corps à la structure indécelable, à l’anatomie incertaine. C’est sur ce corps nu, sans visage, anonyme, que Benjamin invite à miser.
49Il prend ici le contre-pied des évaluations contemporaines du phénomène des masses, dont il faut relever les éléments essentiels pour mieux saisir, par contraste, l’originalité du propos benjaminien. La masse ou la foule est une formation collective où l’inconscient joue un rôle essentiel : son examen exige que soient introduits des concepts à même de rendre compte de la formation accidentelle et irréfléchie de liens sociaux. Si Benjamin pourrait s’accorder avec Jose Ortega y Gasset pour définir l’« homme-masse » comme « l’homme vidé au préalable de sa propre histoire, sans entrailles de passé », comme l’homme auquel il « manque un “dedans”, une intimité inexorablement, inaliénablement sienne, un moi irrévocable128 », il ne saurait partager le point de vue élitiste adopté par l’essayiste espagnol dans La révolte des masses (1929). Car, aux yeux de Benjamin, c’est précisément l’évanouissement de ce « moi irrévocable » qui offre à l’« homme-masse » une première occasion d’émancipation. Que gagne l’individu à perdre son « moi » ? Une « âme collective », répond Gustave Le Bon. Un corps collectif, insiste Benjamin. La comparaison s’impose avec l’étude fameuse de Le Bon, Psychologie des foules (1895), traduite en allemand sous le titre Psychologie der Massen (1911). Pour Le Bon, la foule devient une entité homogène – plus durable qu’un ensemble d’individus coexistant provisoirement dans un même espace – dès qu’y émerge une « âme collective qui fait sentir, penser, et agir [ses membres] d’une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d’eux isolément129 ». La cohésion de la foule est donc « unité mentale130 », et Le Bon de placer au cœur de son essai l’examen du processus de « contagion » spirituelle. C’est la « suggestibilité » accrue des foules qui permet la transmission rapide de pensées, de sentiments et de projets : les foules sont, affirme-t-il, plongées dans un état similaire à l’état hypnotique, au point que « l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif131 ». Qui décide de la teneur de l’« intérêt collectif » ? Le Bon ne concède aux masses aucune capacité à l’organisation spontanée : il leur faut un « meneur », qui donne, par son pouvoir de suggestion, une structure rudimentaire au « troupeau132 ».
50Le Bon prolonge en cela les réflexions de Gabriel Tarde consacrées au rôle de l’imitation dans l’instauration du lien social. Dans l’ouvrage majeur Les lois de l’imitation (1890), le sociologue fait de la vie sociale « un long rêve collectif133 » dont le contenu partagé est déterminé par la disponibilité, largement inconsciente, à l’imitation, déjà rapprochée ici de l’état hypnotique. Remontant la « cascade de magnétisations successives et enchaînées134 » qui constitue la société, Tarde découvre à sa source une poignée d’individus au « prestige » hors du commun dont Le Bon fera les meneurs de ses foules. Dans l’essai de 1921 « Massenpsychologie und Ich-Analyse », traduit en français sous le titre « Psychologie des masses et analyse du moi », Freud reformule et précise la proposition de Le Bon en termes psychanalytiques : le meneur est objet d’amour pour la foule, dont la cohésion est garantie par cette focalisation libidinale partagée. Freud rattache au sentiment amoureux l’« auto-humiliation du moi » et son corrélat, l’idéalisation de l’objet (ici du meneur), qui se substitue au moi idéal : comme l’hypnotisé, l’« homme-masse » vit un « abandonnement sans restriction, avec exclusion de satisfaction sexuelle135 » – à l’exclusion, donc, de la décharge qui mettrait un terme au désir. La force qui « assure l’unité et la cohésion de tout ce qui existe dans le monde », et dans la masse de façon frappante, est l’« Éros ». Pour Freud, donc, la masse est engendrée par la « pulsion de vie » inhérente au psychisme de chaque individu. Si les êtres humains se rassemblent, c’est « “pour l’amour des autres”136 » – amour collectif médié par l’attachement commun au meneur.
51Si le motif de l’Éros se retrouve chez Benjamin, la libido de sa « masse » n’a pas besoin d’objet extérieur – de meneur – auquel s’attacher. Pourquoi ? D’abord parce que la masse a d’emblée quelque chose en commun : le rien de la pauvreté radicale. Mais Benjamin ne s’arrête pas là : encore faut-il que ce commun fonde une communauté. L’« innervation » envahissante des corps accompagne de ses effets la paupérisation des populations : si la seconde dénude les corps, la première les connecte. En effet, la masse benjaminienne n’a pas besoin de l’image, des paroles et des actes du meneur pour se souder, puisque les corps qui la composent sont d’ores et déjà excités par les expériences sensorielles qu’induit la technique pénétrant uniformément la métropole, fracturant nombre des barrières sociales qui en règlent la topographie. Si la technique nivelle et dé-hiérarchise, elle n’homogénéise pas pour autant, puisqu’elle ne rassemble pas l’identique, mais le similaire137. Ce que les nouvelles technologies stimulent dans le système nerveux de l’individu, c’est le renouveau de cette « faculté mimétique » qui semblait avoir disparu avec l’enfance. Comme Tarde138, Benjamin accorde une place centrale à l’imitation. Mais l’imitation est chez Tarde « action à distance d’un esprit sur un autre », « empreinte de photographie inter-spirituelle », « cliché cérébral139 », disposition mentale, donc, alors qu’elle est chez Benjamin faculté corporelle, imitation non de représentations mais de mouvements. Tarde, Le Bon à sa suite et, par ailleurs, Freud, rapportent la contagion affective au sein des « masses passionnellement excitées » à des phénomènes télépathiques au sens restreint – phénomènes de « transmission psychique directe140 » – qu’ils parviennent mal à s’expliquer : comment cette transmission de contenus psychiques peut-elle avoir lieu dans un contexte où la communication verbale est limitée, voire impossible ? « Tout cela est encore incertain et plein d’énigmes irrésolues », concède Freud dans un article cité par Benjamin141. Il faudra bien trouver un foyer de transmission, d’où la focalisation sur le meneur. En décrivant la « télépathie » comme un savoir-faire corporel, Benjamin fonde la cohésion de la masse non sur une « âme collective », non sur une « unité mentale » incarnée dans la personne du meneur et dépendant d’elle, mais sur la transmission charnelle de formes et de mouvements que favorise la « faculté mimétique ». Dès lors que c’est d’abord par contagion périphérique, transmission d’allure et de rythme, que la masse émerge, ne faudrait-il pas plutôt qualifier l’« imitation » benjaminienne de « mimétisme morphologique », et sa « télépathie » de télékinésie. À condition, justement, de dégager ces termes du domaine surnaturel pour leur faire une place dans la phénoménologie de la spontanéité corporelle.
52Max Scheler s’appuie, dans Nature et formes de la sympathie (1923), tout à la fois sur Le Bon, Tarde et Freud pour comprendre le phénomène de contagion affective au sein des masses, dans lequel il décèle un « “phénomène de fusion réciproque” » apparenté à celui survenant dans l’« acte sexuel amoureux […], par lequel les deux partenaires, enivrés jusqu’à l’oubli de leur personnalité spirituelle, croient se plonger dans le même courant vital, dans lequel il n’existe plus de séparation entre les deux moi individuels, sans que toutefois un nous vienne se superposer à eux142 ». Scheler, malgré l’intérêt qu’il porte au processus de « fusion réciproque des membres de la foule (par contagion cumulative et récurrente) emportés dans le même courant affectif et impulsif qui détermine le comportement de toutes les parties, en le soumettant à son propre rythme […]143 », ne se départit pas de la figure du meneur. Et ce parce qu’il trace une ligne de partage entre la « participation affective » et la simple « contagion affective144 », où ne se réalise pas, selon lui, de communauté d’affects, puisque chaque individu y éprouve l’affect comme étant le sien propre. C’est la « fusion » avec le meneur qui permet à la « contagion affective » au sein des masses de devenir « participation affective ».
53Benjamin ne reprend pas à son compte la distinction entre « contagion » et « participation » affectives. Il déplace implicitement la ligne de partage entre l’affect et le sentiment, et enracine sa « masse » dans le domaine de l’affectivité, où l’affection corporelle se renverse aisément en disposition affective. Il s’intéresse à ces phénomènes où l’expression – dynamique, pour ainsi dire, de contagion du centre spirituel vers la périphérie charnelle, conduisant l’accord des mouvements du corps à ceux de l’âme – cède le pas à la « présence d’esprit charnelle », présence de l’esprit à la surface épidermique du corps, où le geste, la mimique, impulsent et informent l’émotion, voire même la pensée. Benjamin y revient dans une « image de pensée » du début des années 1930 : le corps est « l’éveilleur de la douleur profonde » et de la « pensée profonde145 ». À rebours des théories de l’expression, Benjamin souligne l’efficace de la propagation « centripète » de l’excitation, dans ces moments où le mouvement accouche l’émotion. Il n’est pas surprenant que ces phénomènes se manifestent de façon privilégiée chez les enfants, chez qui, nous l’avons vu, la « faculté mimétique » est encore pleinement vivace et qui vivent « défiguré[s] à force d’être semblable[s] à tout ce qui est autour [d’eux]146 ».
54À l’instar de cette « impression » affective, la contagion qui s’opère d’un « homme-masse » à l’autre est une contagion morphologique et énergétique, s’effectuant par transmission tactile ou haptique et engageant un partage d’affects non encore élaborés en états d’âme. Cette contagion est contagion de gestes, et par là d’affects, mais ni de représentations mentales ni de sentiments à proprement parler – douleur ou plaisir partagés, allégresse ou abattement, croissance ou décrue de l’énergie mise en commun. Dans ces textes rédigés du milieu des années 1920 au milieu des années 1930, Benjamin ne cherche pas à expliquer la genèse spontanée des masses par la psychologie, il propose plutôt une étonnante « physiologie » des corps collectifs. Ce qui fait la masse, c’est la commune plasticité des corps. C’est d’abord sur ce point que la masse benjaminienne se distingue de la foule de Le Bon et de l’avalanche de théories qui prennent appui sur sa « psychologie ». En dérive un deuxième point de désaccord : la contagion se fait, pour Benjamin, de proche en proche, horizontalement. La masse est un corps égalitaire, parce que strictement réticulaire.
Masse métastable : Benjamin avec Simondon
55Pour la distinguer de la masse « impénétrable et compacte dont Le Bon et d’autres ont fait l’objet de leur “psychologie des foules”147» – de cette masse qui n’existe que par et pour son meneur –, Benjamin décrit sa masse comme un corps où « il y a du jeu148 » (aufgelockert) : on y respire. La masse n’est pas à concevoir comme un bloc monolithique, mais comme un réseau de corps s’amplifiant au gré des relations « mimétiques » qui s’établissent. Dans l’essai « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Benjamin fait du public de cinéma l’archétype d’une telle masse, car ce collectif-là est tout à la fois « distrait » et « dispersé » (zerstreut), dépourvu, comme le note très justement Peter Fenves, d’« unité de conscience149 ». Les individus rassemblés dans les salles obscures sont dépouillés, par l’obscurité justement, de leurs attributs sociaux. Dans l’impossibilité de voir les autres, le membre du public éprouve pourtant la présence des autres corps rassemblés sur le plan de la salle. Les « réactions individuelles », note Benjamin, y « prennent en compte, dès le départ, leur transformation imminente en un phénomène de masse150 ».
56C’est dans le rire partagé qu’il voit se manifester, plus que la co-présence de ces corps, leur solidarité. « Dans ses films, Chaplin s’est adressé à l’affect des masses le plus international et le plus révolutionnaire, le rire151 », note Benjamin dans une recension de 1929, avant de l’évoquer à nouveau cinq ans plus tard, dans un brouillon : « Chaplin – la charrue qui laboure les masses ; le rire délie [lockert auf] la masse152 ». Si Benjamin peut faire du rire « l’affect le plus révolutionnaire », c’est parce que c’est un affect véritablement excentrique. Le rire est d’abord une affection du corps, émotion au sens étymologique, puisqu’il ne se prolonge pas dans la « vie intérieure » de l’individu et reste, à ce titre, inappropriable. Il ne donne en effet pas naissance à un sentiment par lequel le sujet retrouverait un accès à lui-même : il n’est pas forcément heureux, certains fous rires « sont suspendus au-dessus de l’abîme de l’effroi153 ». Il n’est pas non plus expressif, il est réaction viscérale à une situation bien plus que manifestation d’un état d’âme. Ces caractéristiques font du rire un affect éminemment partageable : il s’épanouit dans la contagion. Dans l’éclat de rire collectif, l’individu perd la maîtrise de son corps pour se découvrir attaché par un lien transitoire – jamais contraignant – aux autres corps avec lesquels il entre en résonance. Le rire « délie la masse », parce qu’il lui permet d’éprouver son unité sans que cette unité n’ait à se définir, à se pérenniser dans le consensus : sans qu’elle n’ait à devenir « unité mentale », ni, a fortiori, identité collective. Parce qu’il ne suppose aucune disposition émotionnelle spécifique, le rire est un affect fondamentalement ouvert, englobant, auquel tout un chacun peut s’agréger. Il lie sans enchaîner, rompt les hiérarchies puisque le foyer de l’éclat de rire importe peu, mais que compte au contraire l’amplification du chorus. Les relations qu’il suscite ne sont pas intersubjectives, ni même interindividuelles, mais, faudrait-il dire avec Gilbert Simondon, transindividuelles.
57La mise en regard des thèses de Benjamin sur la genèse du collectif et de la théorie élaborée par Simondon dans L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information (1958), si elle se fait au prix d’un anachronisme, est plus fructueuse que la comparaison avec les théories du tournant du siècle. De l’ouvrage très riche de Simondon, on ne retiendra que quelques éléments essentiels, utiles à la mise en lumière de certains aspects, esquissés mais insuffisamment élaborés, de la réflexion benjaminienne sur l’affectivité collective. Simondon ne conçoit pas l’individu comme une réalité toujours déjà donnée, à partir de laquelle s’engendrerait une relation à d’autres réalités individuelles, mais comme une réalité transitoire saisie dans une dynamique ouverte d’individuation opérant par amplification. Le vivant naît d’une individuation initiale « laissant après elle une dualité du milieu et de l’individu », mais cette individuation première « se double d’une individuation perpétuée, qui est la vie même, selon le mode fondamental du devenir154 ». L’individu n’est ni origine, ni fin, mais « réalité relative », « métastable », « une certaine phase de l’être qui suppose avant elle une réalité préindividuelle », dont « l’individuation n’épuise pas d’un seul coup les potentiels155 ». L’individu, stabilisation provisoire de l’énergie dans l’ensemble sursaturé du vivant, est travaillé par cette charge de préindividuel, « réserve d’être encore impolarisée, disponible, en attente156 », qui tend à sa résolution dans une nouvelle individuation. À ce titre, « le sujet est individu et autre qu’individu ; il est incompatible avec lui-même157 ».
58Cette non-coïncidence de l’individu à lui-même l’amène à entrer « à nouveau dans une carrière d’inachèvement158 », qui trouve sa résolution dans une deuxième individuation par laquelle s’actualise (du moins, pour partie) le préindividuel : de là, la genèse du collectif. En effet, « c’est à partir de […] ce non-résolu, de cette charge de réalité encore non-individuée que l’homme cherche son semblable pour faire un groupe dans lequel il trouvera la présence par une seconde individuation159 ». La réalité préindividuelle donne ainsi naissance à la relation que Simondon nomme « transindividuelle », présidant à la genèse du collectif : cette relation ne s’établit pas entre un individu et un autre, mais les traverse et les transforme. L’activité transindividuelle se déploie dans sa forme primaire comme « affectivité », définie comme « ce qui amène la charge de nature préindividuelle à devenir support de l’individuation collective160 ». L’affect, dont Simondon souligne la transitivité, est ce par quoi se manifeste la « rémanence de la phase primitive et originelle de l’être » dans l’individu, induisant une « tendance vers une troisième phase, qui est celle du collectif161 ». Pas de meneur chez Simondon, le collectif est l’individuation nouvelle à laquelle l’individu s’ouvre de par la charge de « préindividuel » qui l’habite et se manifeste d’abord comme affectivité : tendance à l’altération.
59Pour l’interprète de Benjamin, la thèse de Simondon est éclairante dans le sens où elle explique la genèse du collectif par une dynamique de propagation, opérant ici aussi de proche en proche, et rendue possible par la résurgence d’une tension originaire au sein de l’individu qui en interroge la permanence. Benjamin rendait compte de cette tension dans les fragments précoces sur l’excentricité corporelle : l’« incompatibilité » de l’individu avec lui-même se traduisait dans la non-coïncidence du corps à lui-même, dédoublé en Leib et en Körper, où se manifestaient l’intrication du corps et du monde, l’in-différence de l’intime et de l’étranger. Au début des années 1930, dans les essais sur la « faculté mimétique » et dans Enfance berlinoise autour de mil neuf cent, Benjamin expliquait ce phénomène comme la rémanence d’une première phase, que l’on pourrait en effet qualifier de « préindividuelle » parce que précédant la formation du corps en corps propre. L’humain y éprouvait son appartenance à un « médium » charnel au sein duquel le microcosme du corps, se métamorphosant au gré des rencontres sensibles, entrait en résonance avec le macrocosme. Dans « Schémas sur le problème psychophysique » déjà, l’affect, polarisé selon les extrêmes de la douleur et du plaisir, troublait les frontières du corps individuel : dans le plaisir et la douleur, insistait Benjamin, « nulle Gestalt, nulle frontière n’est perçue162 ». Au caractère désindividuant de l’affectivité et de la perception s’adjoignaient les modifications apportées par l’histoire au corps individuel. Aussi peut-on dire que l’individu est, chez Benjamin également, métastable, inquiété par la précarité des frontières de son corps, dès l’abord travaillé par les « ensembles universels163 » qu’il porte en germe et qui tendent à leur réalisation.
60La conjonction de la précarité phénoménologique de la Gestalt et de son altération historique ouvre l’individu à une nouvelle individuation, cette fois non plus personnelle mais collective, par laquelle se concrétise l’« ensemble universel » nommé « humanité » : « L’“individualité” comme principe du corps [Leib] est supérieure aux individualités corporelles singulières. L’humanité comme individualité est l’accomplissement et, en même temps, le déclin de la vie corporelle164 ». Le « corps de l’humanité » – individuation ultime – prend la relève du corps singulier. Cette individuation procède de l’actualisation historique d’un pouvoir du corps : c’est l’avènement de technologies à même de stimuler la « présence d’esprit charnelle » qui accouche ce « corps de l’humanité » auquel Benjamin donne, dans « Expérience et pauvreté », le nom de « masse ». Traversé par les signaux électriques, le corps perd la certitude de ses frontières, et, avec elle, perd aussi son image. Il s’éveille ainsi derechef à l’expérience de l’« excentricité » par laquelle s’éprouve l’individuation en train de s’accomplir. Nul besoin de meneur pour donner à la masse une anatomie, la technique s’occupe d’« innerver » un corps collectif inédit, dont le système nerveux s’étend en rhizome, en réseau, sans limite ni centre de commande, sans épiderme ni organe.
Risques et ressources de l’ivresse collective
61Dans le dernier aphorisme de Sens unique, « Vers le planétarium », Benjamin suggère de réactiver un rapport au « cosmos » que les télescopes, privilégiant la « relation optique avec l’univers », ont refoulé : rapport qui s’éprouvait jadis dans l’« ivresse », expérience sensible totale où s’entrelaçaient indéfectiblement le « plus proche» et le « plus lointain165 ». Si c’est aux technologies nouvelles que Benjamin s’en remet pour susciter cette ivresse, c’est justement parce que la technique fonde d’emblée une expérience synestésique partagée : celle des « chocs » et des « déclics », sensations haptiques quand elles ne sont directement tactiles. Cette technique-là ne projette pas le cosmos, pour l’astronome initié, dans le lointain de la lunette, elle le fait « tomber sur le dos » de la masse. Comme la constellation connecte les étoiles, la technique connecte les corps entre eux et, simultanément, avec leur environnement. « De nouveaux astres se levèrent dans le ciel166 » : ces constellations, néanmoins, ne dessinent pas de figures arrêtées, ne produisent pas de sens, mais nouent et dénouent les liens au hasard des échanges. La technique pénètre et lace les corps organiques et inorganiques sans leur imposer de fonction, donc sans les hiérarchiser : au spécifique elle préfère le générique, au signe distinctif le commun.
62Cette technique largement dématérialisée, insaisissable, inappropriable – « des gaz, des forces électriques », « des courants de haute fréquence » – préside à la mise au monde de « masses humaines167 » qui donnent sa chair à une « physis » collective dont l’individuation déborde et surpasse celle des « peuples et des lignées » : « Les êtres humains en tant qu’espèce sont parvenus depuis des millénaires au terme de leur évolution ; mais l’humanité en tant qu’espèce est encore au début de la sienne168. » Dans cet élan porté par l’« innervation » technique, Benjamin voit l’être humain se fondre dans le corps de l’espèce nouvelle qu’est la masse faite « humanité ». À la silhouette proportionnée, centrée, de l’homme de Vitruve, pivot de l’univers, l’« humanisme » benjaminien préfère la « masse », dénudée elle aussi, mais dépourvue d’anatomie : monstrueuse, excentrée, infigurable. C’est à présent dans l’unité disséminée et sans limite de la masse qu’il faut reconnaître la dynamique d’un univers en expansion.
63L’individuation collective – la genèse du « nouveau corps » de l’humanité – ne peut se faire que dans l’ivresse, épreuve de l’excentricité dont Benjamin s’attache à décrire les effets dans des textes sur le sentiment amoureux et sur l’intoxication. Un aphorisme de Sens unique est ainsi consacré à l’extase amoureuse : « Si est vraie cette doctrine qui dit que la sensation ne loge pas dans la tête et que nous percevons une fenêtre, un nuage, un arbre, non pas dans notre cerveau, mais plutôt à l’endroit même où nous les voyons, nous sommes donc, à la vue de notre bien-aimée, également hors de nous-même169. » Être « hors de soi », c’est excéder l’identité, rompre avec le principe du tiers exclu, ne plus être soi-même ou l’autre, ici ou là, mais vagabonder dans le « médium », dans le « continuum » sensible qui solidarise les termes. Le haschich ouvre lui-aussi à l’expérience de la dépossession de soi : « L’individu est surpris et débordé par tout ce qui lui arrive, y compris par ce qu’il dit et fait. Son rire, tout ce qu’il exprime, le frappe comme s’il s’agissait d’un événement170. »
64L’extase trouve son origine dans l’hyperesthésie, dans l’accroissement de l’affectibilité qui entrave la localisation des sensations et engage la réversibilité de l’intime et de l’étranger. Ces petits textes portent témoignage de l’influence qu’exercèrent sur Benjamin, dès le début des années 1920, les écrits de Ludwig Klages sur l’« ivresse érotique ». Dans De l’Éros cosmogonique, Klages la décrit comme l’expérience d’un « débordement profus, qui […] brise les frontières de l’“individuation” et replonge la vie singulière dans celle des éléments171 ». À cet égard, « l’ivresse qui s’accomplit érotiquement n’est jamais idiopathique, mais exclusivement sympathétique », réclamant que « de l’excitation d’un être fasse partie le fait qu’elle soit partagée avec l’excitation d’au moins un autre être172 ». Dans « Vers le planétarium », Benjamin appuie, dans la droite lignée de Klages, le caractère éminemment partageable de l’ivresse : « […] l’homme ne peut communiquer en état d’ivresse avec le cosmos qu’en communauté173 ».
65Pourtant, comme l’a bien montré Irving Wohlfarth, le petit texte de Sens unique se présente comme un « corps à corps philosophico-littéraire174 » avec Klages, et, plus généralement, avec les tendances conservatrices de la philosophie de la Vie. Car Benjamin y affirme que « l’Éros cosmogonique s’accomplira dans un déchaînement technologique175 » et accorde précisément à la technique, dont Klages est l’ardent pourfendeur, la tâche de raviver l’extase érotique. L’expérience atemporelle, ahistorique de l’extase que Klages voit entravée par la technicisation du monde, par l’« annulation de son contenu de distance176 », est pour Benjamin réactualisée par l’« innervation » technique des corps humains, et ainsi ralliée à l’actuel. Ironiquement, c’est aux « parc d’attractions » que Benjamin confie la mission d’exciter le « frisson177 » d’une déprise de soi voluptueuse qui constitue la jouissance même, dès lors que, selon la belle définition de Ricœur, « la conscience de notre divisibilité profonde qui nous promet à la poussière et celle de notre périphérie exposée et menacée s’y effacent complètement devant la conscience paradoxale d’une intimité informe, dissipée et oublieuse de soi178 ». Cette jouissance, que Benjamin compare à la « béatitude des épileptiques179 », est le symptôme de l’individuation nouvelle, encore inachevée, qui accouchera bientôt du « corps de l’humanité ».
66La révolution que Benjamin appelle de ses vœux ne peut procéder que de l’accomplissement de cette individuation, par laquelle la masse des dépossédés éprouve corporellement sa solidarité, avant même d’avoir pris conscience de ce qui les rassemble, avant même de s’être reconnue une identité collective. Dans l’« image de pensée » « Bel effroi », Benjamin décrit l’imminent basculement de la fête collective en élan révolutionnaire :
« Le 14 juillet. Du Sacré-Cœur les feux de Bengale se répandent sur Montmartre. L’horizon rougeoie derrière la Seine. Des gerbes de feu s’élèvent dans les airs et s’éteignent au-dessus de la plaine. Des dizaines de milliers se pressent sur le flanc escarpé et suivent le spectacle […]. Cette foule amortie n’attend-elle pas un désastre suffisamment grand pour faire jaillir de sa tension des étincelles ; incendie ou fin du monde, quelque chose qui retournerait le chuchotement velouté des mille voix en un unique cri, comme un coup de vent découvre la doublure écarlate du manteau ? Car le cri retentissant d’effroi, la terreur panique est le revers de toute véritable fête de masse. Le léger frisson qui court sur d’innombrables épaules en est le fiévreux désir. Pour l’existence inconsciente la plus profonde de la masse, les réjouissances et les incendies sont seulement un jeu qui la prépare à l’instant de son émancipation, à l’heure où panique et fête se reconnaissant comme des frères après une longue séparation, s’étreignent dans l’insurrection révolutionnaire. C’est à juste titre qu’on célèbre en France la nuit du 14 juillet par un feu d’artifice180. »
67La fête est un « jeu », c’est-à-dire un exercice inconscient : une « ruse » du corps qui lui permet, en prenant part à la contagion affective, d’initier son agrégation au collectif. Mais à quand le passage de l’exercice à la pratique, de l’affectivité à l’agir, du jeu à la révolution ? Et d’abord : comment s’assurer que l’entraînement auquel s’adonne la masse sans s’en apercevoir ne sera pas mis à profit par ceux qui lui restent extérieurs, par la poignée des possédants, la « classe dominante » qui en 1914 a mis la masse à l’épreuve de la technique sur le champ de bataille ? Comment faire en sorte qu’avant même de pouvoir devenir révolutionnaire le corps collectif à peine engendré ne succombe pas à un nouveau « délire de l’anéantissement » – à une nouvelle dépense sacrificielle de chair et de technique comme le fut la Première Guerre mondiale ? Quelques années plus tard, dans « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Benjamin précise l’idée :
« Lorsque l’usage naturel des forces de production est paralysé par le régime de propriété, l’accroissement des moyens techniques, des cadences, des sources d’énergie, tend à un usage contre nature […]. La guerre impérialiste, en ce qu’elle a d’atroce, se définit par le décalage entre l’existence de puissants moyens de production et l’insuffisance de leur usage à des fins de production (autrement dit, le chômage et le manque de débouchés)181. »
68L’industrie de guerre est la finalité – l’exutoire ultime, en réalité – que la classe dominante offre à l’innovation technique, pour éviter qu’elle ne provoque l’effondrement des rapports de production. L’impérialisme et le productivisme ne sont que des couverts idéologiques : il s’agit avant tout d’offrir à la nouvelle « physis » parcourue de spasmes un terrain où puissent s’épuiser ses tensions. Pour Benjamin, nul doute que les propriétaires des moyens de production feront en sorte d’asservir les corps des prolétaires à l’appareil, et l’appareil à la production de marchandises : production de colifichets pour la masse transformée en foule de consommateurs, ou, selon la conjoncture, de mitrailleuses et d’obus pour la masse devenue armée de chômeurs.
Le rêve révolutionnaire
69Donner à l’« humanité » la possibilité de « s’emparer de ce corps nouveau182 » pour le préserver de la servitude et du massacre, tel est l’enjeu du « matérialisme anthropologique » dont Benjamin évoque pour la première fois le concept dans son essai sur le surréalisme (1929) – l’essai où la réflexion sur la spontanéité corporelle est le plus étroitement nouée à la pensée politique de l’émancipation. Dans le projet surréaliste, qui œuvre à « gagner à la révolution les forces de l’ivresse183 », Benjamin voit se poser un problème, qui n’est autre que le reflet de sa propre problématique. Comment négocier « l’extrême vulnérabilité d’[une] position entre fronde anarchiste et discipline révolutionnaire184» ? En d’autres termes : comment faire coïncider une « liberté » qui s’éprouve dans l’ivresse, « sans restrictions dans le temps, sans considération pragmatique d’aucune sorte », comme l’écrit André Breton, avec « l’expérience constructive, dictatoriale, de la révolution » ? Cette interrogation s’impose à Benjamin avec d’autant plus de force que lui-même met au cœur de sa « pensée politique » la « part d’ivresse » que comporte « tout acte révolutionnaire », au risque de négliger la « préparation méthodique et disciplinaire de la révolution185 ». Mais, alors qu’il prétend travailler à la résolution de la dissension entre anarchisme et marxisme-léninisme, Benjamin exacerbe la tension et propose une lecture anarchiste du marxisme, qui désavoue le rôle du parti au profit d’une célébration du caractère événementiel – non déterminé, imprévisible – de l’acte révolutionnaire. La « discipline » révolutionnaire ne dépend pas de l’organisation de la masse, elle est tout au contraire, et de façon paradoxale, pratique partagée de désorganisation.
70Comprendre qu’une pratique de l’excentricité est possible dépend, suggère Benjamin, de la définition de l’ivresse : y voir un état extraordinaire, passionnel, déclenché par des substances intoxicantes ou par des rencontres exaltantes, c’est « souligner, avec des accents pathétiques ou fanatiques, le côté énigmatique des énigmes186 ». Benjamin propose plutôt de chercher l’ivresse dans des expériences banales qu’il nomme « illuminations profanes187 », où l’être humain fait quotidiennement l’expérience de la déprise de soi. Rêver constitue une telle « illumination », comme ont su le montrer les Surréalistes : dans le rêve, les images et les mots ont la « préséance », « pas seulement sur le sens. Aussi sur le moi. Dans l’édifice du monde, le rêve ébranle l’individualité comme une dent creuse188 ». Dans l’essai sur Marcel Proust, écrit la même année, Benjamin s’intéresse à l’état de dérive perceptive induit par le rêve, où les personnes et les choses ne sont « jamais identiques mais semblables : impénétrablement semblables à elles-mêmes189 » – où l’objet transformé en « image » se décompose dans le réseau des correspondances tissé par la « faculté mimétique » qui y fait discrètement retour. Plus qu’à Freud, qui insiste sur l’interprétation du rêve, donc sur sa réinscription dans l’économie d’un sens, c’est au texte de Klages « De la conscience onirique » (1919) que Benjamin se rapporte implicitement190. Klages y livre une description de la perception onirique s’intéressant non au sens des images, mais à leur pouvoir de ruiner le « principe de l’identité et, avec lui, le concept de fait191 ». Le rêve klagesien ne dit rien de l’inconscient du rêveur, mais se donne comme la rémanence d’un rapport au monde pré-réflexif, extatique, que l’ego refoule. L’image onirique, affirme Klages, est l’axe autour duquel s’organise la réversibilité du « moi » et du monde, autorisant le sujet qui rêve à être « simultanément le même et un autre192 ». Dans le texte sur le surréalisme, Benjamin rattache à cette expérience celle de la lecture, « opération éminemment télépathique193 » où les êtres fictifs et les paysages inconnus élisent domicile dans l’« intériorité » de la lectrice et irriguent son cœur. Le rêve et la lecture, par les processus de projection et d’introjection qu’ils initient, effilent le « moi » pour mieux tisser des liens inattendus entre l’intime du corps et le lointain des images. Parmi ces phénomènes d’« illuminations profanes », d’extases quotidiennes, Benjamin cite encore l’attente, la flânerie, la pensée associative. Autant d’expériences où le sujet se départit de ses projets, où la volonté capitule, où le « moi » se dévide comme pour se rendre plus suggestible aux sensations – où à la visée, enfin, se substitue une forme d’« attention flottante » (Freud) dilatant le champ perceptif. Dans « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Benjamin la qualifiera de « distraite » ou de « déconcentrée » (zerstreut). S’exercer à l’« illumination profane », c’est d’abord se rendre disponible à une certaine versatilité du sens, à un moment d’irrésolution où les faits se défont, où l’identité se délite.
Espace d’image, espace charnel
71Dans l’« illumination profane », le rapport au monde ne s’institue pas dans la modalité du projet, et c’est pourtant dans ces instants d’intermittence de la visée que Benjamin voit germer une pratique politique, et plus encore une pratique révolutionnaire dépourvue de programme. Loin d’être réductibles à l’inertie, ces moments de déprise frayent la voie à un agir qui ne répond pas à un objectif, mais aux « signaux [qui] traversent […] jour et nuit notre organisme comme des chocs d’ondes194 » et qui, nous affectant, informent nos gestes. Il faudra donc que le rêveur, la personne qui attend, la femme perdue dans ses pensées – que les « types de l’illuminé195 » énumérés par Benjamin – ne s’abîment pas dans la fascination. En ce point, Benjamin coupe les ponts avec Klages, pour qui la vision extatique est « vision pure » et les images oniriques, images « intangibles196 ». Dans Sens unique, Benjamin condamnait l’image en tant qu’elle était « quelque chose de médiatisé », affection devenue signe n’arrivant à signaler que « trop tard » l’occasion manquée. L’essai sur le surréalisme, en revanche, évoque un « espace d’images » (Bildraum) radicalement actuel, appelé à devenir « espace charnel197 » (Leibraum) – « médium » immédiat : non pas moyen, ni intermédiaire, mais milieu partagé où s’effectue la contagion de mouvements et d’émotions. S’annoncent ici les réflexions sur la « faculté mimétique », où voir et imiter, imiter et voir s’impliquent mutuellement198. Préconiser l’intrication de l’« espace d’images » et de l’« espace charnel », là où l’aphorisme de Sens unique polarisait l’image et le corps, c’est arracher l’image à son statut de signe, de représentation suppléant au réel. L’« espace d’images » n’est pas l’autre du réel, il en est la part escamotée par l’idéologie. Car le monde des « faits », le monde « tel qu’il est », n’est qu’un cliché lacunaire qui fige ce qui est éminemment mobile et altérable. La « classe dominante », intéressée au statu quo et à la docilité des corps, tient son pouvoir de cette manœuvre de captation du regard, rivé tantôt à un monde amputé de ses possibles et présenté comme l’unique et inéluctable réalité, tantôt à des lointains inaccessibles, à des horizons en constante récession.
72Dans cette perspective, affirme Benjamin, la politique comme pratique d’émancipation doit être une politique de l’image engageant directement une politique du corps. L’enjeu est de débarrasser la politique du « stock d’images » consolatrices et normatives – idéologiques – qui en obstruent la trajectoire. Benjamin appelle à la méfiance à l’égard des images des lendemains qui chantent, promesses d’un avenir meilleur destinées à faire oublier la misère présente ou, pire, à lui donner une raison d’être – « opium du peuple » (Marx) que la social-démocratie distribue avec autant de ferveur que l’Église. Si « l’espace de l’agir politique » est un « espace à cent pour cent tenu par l’image », « cet espace d’images ne peut plus être exploré sur le mode de la contemplation199 ». Et ce parce qu’il n’offre rien au regard, mais, reconnectant la perception à l’agir, s’adresse à la « présence d’esprit charnelle ». L’« espace d’images », en effet, « agit directement sur le système nerveux, et rend impossible la mise en place ou à distance d’une représentation200 », pourrait-on dire avec Gilles Deleuze. Il « innerve » les corps et bascule de la sorte dans l’« espace charnel ».
73À cet égard, le travail des avant-gardes est tenu par Benjamin pour exemplaire. Les images surréalistes, puisées dans l’« espace d’images » qu’offrent la capitale et la « grande inconscience vive et sonore201 » de ses foules, n’œuvrent pas à la démobilisation du corps, comme le font les images auratiques dont regorge le « mauvais poème de printemps202 » de la social-démocratie, mais n’ambitionnent pas non plus de prescrire un comportement. Elles procèdent du réel qu’elles fertilisent en retour. Dans cette perspective, la pratique artistique des avant-gardes ne suppose aucune retraite solitaire, mais engage au contraire à transformer l’espace commun, pour mettre au jour le caractère artificiel du réel et, de là, en exploiter la mutabilité. La technique, mais aussi l’art, dès lors qu’ils se montrent aptes à mobiliser et à mutualiser les pouvoirs des corps dans un espace partagé, sont appelés à éveiller la puissance d’agir du collectif. Il leur échoit, comme l’écrit Irving Wohlfarth, de faire de « la polis l’endroit où l’on est hors de soi203 » : d’opérer la dislocation de l’« individu moteur et affectif » pour rallier les savoir-faire corporels et permettre à la masse d’acquérir la salutaire « présence d’esprit charnelle ». L’éveil de la masse – son « innervation » – leur revient, certes, mais pas sa conduite. Des aphorismes de Sens unique à l’essai sur le surréalisme, de l’essai aux « images de pensée », Benjamin insiste sur ce point. Le collectif est un corps qui sait très bien se conduire, pour peu qu’on s’en remette au discernement de sa sensibilité, à l’efficacité de ses savoir-faire :
« Lorsque l’espace charnel et l’espace d’images s’interpénétreront en elle [dans l’illumination profane] si profondément que toute tension révolutionnaire se transformera en innervation du corps collectif, toute innervation corporelle de la collectivité en décharge révolutionnaire, alors seulement la réalité sera parvenue à se dépasser elle-même, comme le veut le Manifeste communiste204. »
74La réalité « parvenue à se dépasser elle-même », c’est l’« espace d’images », les ressources du réel, intégralement actualisé par et dans la masse, dont la performance ultime réside dans son auto-actualisation : son avènement comme totalité anarchique, composite mais solidaire, totalement ouverte, sans extériorité, n’excluant rien ni personne de sa chair contrastée. C’est dans cette incorporation massive – sans tiers exclu – de l’intégralité du réel que Benjamin veut voir se concrétiser le projet marxien de l’« appropriation de la totalité des forces productives » par la totalité des êtres humains, signant l’accomplissement de la révolution.
Le matérialisme politique et la créature physique
75Le chavirement de l’« espace d’images » à l’« espace charnel », de la perception à l’agir, de la « tension » à la « décharge », matérialise, par à-coups, les possibles du réel. L’essai s’achève sur un paragraphe difficile où Benjamin, dans un discret pastiche de Hegel205, donne sa « définition » de la dialectique :
« Car dans le trait d’esprit, dans l’injure, dans le malentendu, partout où l’agir lui-même engendre et est l’image, l’engloutit et la dévore, partout où la proximité se voit elle-même dans son propre regard, là s’ouvre cet espace d’images que nous cherchons, ce monde d’une actualité englobante et intégrale où il n’est pas de « salle réservée », l’espace, en un mot, où le matérialisme politique et la créature physique se partagent, selon une justice dialectique, l’homme intérieur, la psyché, l’individu ou quoi que ce soit que nous voulions leur jeter en pâture, dont il n’y a aucun membre qui ne soit déchiré. Pourtant – en raison même de cet anéantissement dialectique –, cet espace sera encore espace d’images, plus concrètement : espace charnel206. »
76Le passage fait entendre un lointain écho de la Préface de La phénoménologie de l’Esprit :
« Le vrai est ainsi le délire bachique dont il n’y a aucun membre qui ne soit ivre ; et puisque ce délire dissout en lui immédiatement chaque moment qui se singularise, – ce délire est aussi bien le repos translucide et simple. Dans la justice de ce mouvement ne subsistent ni les figures singulières de l’esprit, ni les pensées déterminées […]207. »
77La dialectique, dit Benjamin, est le déchirement membre par membre de l’individu. Dépecer l’indivisible – « l’homme intérieur, la psyché, l’individu » –, c’est mettre au jour ce qui le compose : ses « membres ». L’« individu » est d’emblée travaillé par une différence interne, par la contradiction entre l’unité simple et la totalité composée, entre l’ego et le corps. C’est de cette irréductible désunion que se nourrissent le « matérialisme politique » et la « créature physique », démasquant par là l’idéologie qui fait tenir ensemble le composé instable qu’est l’« individu » grâce au postulat d’un principe unificateur, immatériel et pérenne : « psyché » ou ego. Le « matérialisme politique » et la « créature physique » rappellent l’être humain à sa vulnérabilité somatique, c’est-à-dire à son inscription dans le devenir : l’« homme intérieur » est en fait un corps exposé, et l’individu abstrait un corps composé, en voie de décomposition et de recomposition. L’« anéantissement dialectique » de l’unité postulée, idéelle, permet l’avènement d’une totalité concrète, désignée comme « espace charnel », dans laquelle il faut reconnaître le « corps de l’humanité » évoqué dans les « Schémas sur le problème psychophysique ».
78Benjamin rejoint par un chemin de traverse la critique marxienne du matérialisme feuerbachien, énoncée notamment dans la sixième « Thèse sur Feuerbach ». Marx y reproche à Feuerbach de n’avoir pas compris que l’« essence humaine », à laquelle il ramène les abstractions religieuses, présuppose elle-même l’existence d’un « individu humain abstrait – isolé » et, de là, celle d’une communauté pensée comme « “genre”, comme généralité intérieure, muette, posant un lien purement naturel entre la multiplicité des individus208 ». Marx veut fonder le « nouveau matérialisme » non pas sur l’idée abstraite du « genre humain », mais sur « l’ensemble des rapports sociaux209 » qui, à ses yeux, constitue l’individu réel. L’« individu », à ce titre, n’est pas une unité abstraite, mais un faisceau de relations. Étienne Balibar relève l’emploi du terme français « ensemble » plutôt que du concept allemand « das Ganze ». Cet usage inattendu, explique-t-il, produit « un effet performatif de “détotalisation” », connotant l’« horizontalité », l’« ouverture indéfinie » et la « multiplicité210 » de cette « humanité » qui « revient à son essence (à son mode d’être authentique) en reconnaissant sa propre détermination “sociale”211 », c’est-à-dire relationnelle. Ainsi l’« essence humaine » s’effectue-t-elle dans l’histoire, à l’instant où les êtres humains « entrent en relation avec tous les autres en même temps qu’avec leurs conditions naturelles212 ».
79Dans la lignée de la proposition marxienne, Benjamin voit l’humanité s’accomplir dans l’histoire, au travers de la mise en relation « de la totalité des êtres vivants » et de « la nature : l’inanimé, la plante et l’animal, grâce à la technique213 ». Si l’intégrité de la Gestalt se défait dans le « délire bachique », c’est pour se résoudre et se dissoudre dans l’individualité dernière qu’est l’humanité enfin réalisée. La « dialectique » benjaminienne décrit une double Aufhebung surprenante, qui s’effectue au prix de l’« anéantissement » de la chimérique unité de l’individu. Dans le « corps de l’humanité » est levée et relevée la tension entre l’être historique et social, d’une part, et la « créature », d’autre part, puisque c’est dans le « nouveau corps » social « innervé » par la technique que l’humain entre en relation avec sa « nature ». Est levée et relevée, également, la tension entre le voir et l’agir, entre la théorie et la praxis, dès lors que la théorie, audacieusement définie comme accès à l’« espace d’images », est vision sans réflexion, extase sans retour à soi.
80Pas de réflexivité, en effet, pour le corps collectif sans ego, tout entier travaillé par les tensions qui le parcourent et l’assemblent. Ou plutôt : une réflexivité bien paradoxale, décrite par Benjamin dans une image inimaginable – « partout où la proximité se voit elle-même dans son propre regard » –, qui évoque l’image spéculaire pour mieux rendre la métaphore inopérante. « Dans le trait d’esprit, dans l’injure, dans le malentendu », quelque chose se dit qui échappe au « moi », confrontant l’individu à une faille intime, à une disjonction secrète qui menace ses projets. Dans ces moments d’aliénation – de jaillissement de l’étranger au cœur de l’identique –, l’agir bute sur un obstacle interne et dévie des fins que lui pose le « moi ». C’est de ce moment de déphasage que jaillit l’« image », actant une incohérence au sein de l’individu, signalant une bifurcation que la « présence d’esprit charnelle » doit immédiatement emprunter. L’irruption de l’« image » initie une discontinuité, une altération dans l’agir, qui, de projet individuel, bascule dans l’agir collectif. Pour autant, le décalage n’introduit pas de distance réflexive, de délai où pourraient s’élaborer un savoir et, de là, une stratégie. Car l’image n’est pas le vis-à-vis du corps percevant et agissant. Il faudrait plutôt la décrire comme un pli, comme une torsion dans l’agir.
81Les réflexions de Maurice Merleau-Ponty sur la « chair », présentées dans le dernier chapitre de l’ouvrage inachevé Le visible et l’invisible, jettent un éclairage sur l’idée étonnante d’un écart sans rupture, d’un laps sans déchirure constitutif de la relation du corps au monde, relation d’essentielle proximité, de consanguinité même, qui rend possible le retournement du corps propre en « espace charnel ». Pour Merleau-Ponty, le corps propre, « unité pré-réflexive et pré-objective214 » soutenant l’unité de la conscience, est une unité double, constituée d’un envers et d’un endroit. Car le corps propre est à la fois visible et voyant, sensible et sentant, objet et sujet de la perception, insiste Merleau-Ponty, qui réinterprète l’expérience du « touchant-touché » d’abord pensée par Husserl. La dualité du corps enseigne à l’être percevant que le « visible » n’est pas exclusivement visible, objet de la perception, mais également toujours « voyant ». Le corps propre est, en retour, visible. Le monde n’est pas d’abord objet de la visée subjective, mais « chair » comme le corps propre, « sentant sensible215 », espace où « voyant et visible se réciproquent216 ». Le corps, alors, n’a plus à être « porteur d’un sujet connaissant », n’a plus à être « corps propre », propriété du « moi » : il est originairement et continuellement rattaché à la « chair », à cette « masse du sensible où il naît par ségrégation, […] à laquelle, comme voyant, il reste ouvert217 », et dans laquelle il peut presque basculer pour se découvrir à son tour visible. La « chair », dit Merleau-Ponty, « n’est pas un obstacle entre [le voyant] et [la chose], elle est le moyen de leur communication », le fondement de « ce rapport magique, ce pacte entre [les choses] et moi selon lequel je leur prête mon corps pour qu’elles y inscrivent et me donnent leur ressemblance […]218 ». La corporéité, aurait dit Benjamin, est le « médium » rassemblant le semblable et dans lequel l’être humain circule, éprouvant de métamorphose en métamorphose son appartenance au monde. Benjamin, dans les textes sur le surréalisme et ceux plus tardifs portant sur la faculté mimétique, comme Merleau-Ponty dans Le visible et l’invisible et dans L’œil et l’esprit, pense la relation entre les êtres sur le fond commun d’un « certain terrain de corporéité219 » ou d’un « être intercorporel220 ».
82De cette affinité dans l’évaluation de la corporéité naissent des constats apparentés. Aussi la fascination auratique auquel le poète, selon Benjamin s’assujettit – « Dès qu’on est – ou se croit – regardé, on lève les yeux. Faire l’expérience de l’aura d’un phénomène, c’est lui conférer le pouvoir de lever le regard […]. Le regard de la nature ainsi éveillé rêve et entraîne le poète au loin221 » – annonce-t-elle à bien des égards la séduction du regard exercée, dit Merleau-Ponty, par les choses qui, de visibles, sont devenues voyantes, de surfaces, sont devenues profondeur : « Entre [le peintre] et le visible, les rôles inévitablement s’inversent. C’est pourquoi tant de peintres ont dit que les choses les regardent […]222 » Mais là où Merleau-Ponty voit se recouper immédiatement le « monde visible et celui de mes projets moteurs223 », Benjamin distingue entre deux visions. L’une, vision auratique médusée par l’image et retranchée du corps – vision extatique durablement aliénée aux images. L’autre, ouverture à l’« espace d’images », vision politique en cela qu’engageant le basculement du projet individuel au mouvement partagé, du corps propre au « corps de l’humanité », elle s’abolit dans l’agir collectif – vision extatique immédiatement réincarnée dans le corps collectif. L’enjeu de la politique benjaminienne de l’image est de déjouer la séduction, l’attrait des lointains inaccessibles, pour maintenir l’« image » à portée de main « sur la carte du “je peux”224 », afin d’en faire un point de bascule vers le champ d’un « pouvoir » anonyme, sans sujet.
83Si la perception – l’« espace d’images » – se désolidarise de l’agir et abandonne l’« espace charnel » pour devenir représentation mentale, c’est que le kairos a déjà repris son envol et que l’occasion d’agir autrement que pour soi et par soi est manquée. Car ces instants de désindividualisation offrent l’occasion d’un raccord avec cette « contrée étrangère225 » enclose en chaque individu – avec la charge de « préindividuel », écrirait Simondon – qui rattache le sujet à son autre : non à l’alter ego mais aux « ensembles universels226 » dont il dépend. Peuvent alors prendre corps les « images » in-sensées, surgies non de l’inconscient personnel mais de la corporéité, de l’affectivité partagée. La psychanalyse, qui interprète ces « images » troublantes et tente de donner au « moi » les moyens de s’en approprier le sens, manque cette occasion. Ignorer l’enracinement rhizomique du corps dans le collectif – nature et société –, et de là son pouvoir d’insurrection contre l’instance souveraine, c’est également la limite des matérialismes « scientifiques » qui dominent l’interprétation de Marx au premier xxe siècle. Benjamin oppose aux théories de Carl Vogt et de Nikolaï Boukharine, dont les matérialismes s’appuient sur les modèles déterministes de la physiologie et de la mécanique, les réflexions sur la corporéité, sur sa vulnérabilité et sur sa puissance, menées par Georg Büchner, Friedrich Nietzsche et Arthur Rimbaud, dans la lignée desquels il situe les Surréalistes.
84Le corps ne livre pas un modèle pour le collectif : les organicismes de tous bords, « scientifiques » ou romantiques, guettés par le racisme quand ils ne s’en revendiquent pas, sont fermement rejetés. Le corps est, pour Benjamin, cet espace où l’« image », à peine engendrée comme perception, est « engloutie » et « dévorée » par l’agir, immédiatement transformée en excitations aptes à participer du déploiement d’un système nerveux réticulé et excentrique. Se matérialise ainsi un « espace charnel » collectif, une « masse » s’amplifiant par ses marges, mais dont le mouvement extensif et inclusif est un mouvement de « dispersion », jamais un mouvement de subordination ni de colonisation. Peter Fenves a remarquablement mis en lumière l’importance des concepts de « dispersion » et de « distraction » – de « déconcentration » –, jumelés en allemand dans le terme « Zerstreuung », dans la théorie benjaminienne de la « politisation de l’esthétique » : pour Benjamin, en effet, « seules les masses non-compactes, dispersées ou “diasporiques” sont “réellement” les masses : des pluralités incohérentes, dont les éléments constitutifs ne peuvent être ressaisis comme “unité”227 ». Dans « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Benjamin y reviendra, c’est la « distraction-dispersion » de la masse, son manque de « concentration », qui lui permet de ne pas être pétrifiée par le pouvoir de fascination des images : « […] la masse distraite et dispersée abîme l’œuvre d’art en elle ; elle l’entoure de ses vagues, elle l’embrasse de ses flots228 ». La masse est un corps délivré des images spéculaires et normatives, affranchi de l’« identité aliénante » de la Gestalt (Lacan), un corps en ce sens authentiquement irreprésentable, faisant droit à l’interdit de la représentation.
Désassujettissement
85Pour Benjamin, la politique n’est pas affaire de perspectives, de projets, mais est, comme l’a noté Peter Fenves, une « tâche qui est à la fois tactile et tactique : apprendre à se mouvoir sans synopsis du terrain229 ». Une tactique haptique, donc, qui ne dépend pas de l’élucidation d’une situation et ne relève ni de la stratégie ni du programme, mais de la « présence d’esprit charnelle ». La révolution ne serait pas à concevoir comme une action à visée hégémonique, mais comme le « devenir-masse230 » de la société : comme la métamorphose de l’espace social en un « espace charnel » que n’ordonne aucune violence, mais que solidarise l’affectivité. Qu’une telle métamorphose ne puisse être organisée n’implique pas qu’elle ne puisse s’initier au sein des foules exercées, par l’usage partagé, ludique et récréatif de la technique, à la contagion affective – contagion dans laquelle Benjamin veut discerner la première épreuve d’une mutualisation des forces. L’attention que Benjamin porte au corps – la confiance qu’il accorde à ses savoir-faire, à ses ressources affectives – l’amène à tracer un chemin distinct231, qui n’est ni la voie du matérialisme dialectique, ni la voie dissidente frayée par Georg Lukács. Si Benjamin adhère à la critique lukácsienne du matérialisme dialectique et de son approche déterministe de l’histoire, il ne fait pas de la « conscience de classe » – conscience « de la situation historique de la classe » et des « possibilités objectives232 » qu’elle offre – la clé de l’émancipation. La théorie benjaminienne de l’émancipation, son « matérialisme anthropologique » audacieusement appuyé sur une pensée de la spontanéité corporelle, prend au sérieux la proposition du premier Marx, pour qui, selon le commentaire de Franck Fischbach, « la praxis révolutionnaire n’a pas le sens de l’agir sur soi d’un sujet, mais au contraire celui de la déprise de la masse à l’égard de la figure même du Soi et du sujet233 ».
86Témoigne de cette filiation le passage des « Manuscrits de 1844 » dont Benjamin cite, dans Le Livre des passages, les éléments décisifs pour sa propre « théorie des révolutions comme innervations du collectif » :
« L’abolition de la propriété privée est […] l’émancipation totale de tous les sens… ; mais elle est cette émancipation […] parce que ces sens […] et l’esprit des autres hommes sont devenus mon appropriation propre. En dehors de ces organes immédiats se constituent donc des organes sociaux […], ainsi, par exemple, l’activité en société immédiate avec d’autres […] est devenue un organe de la manifestation de la vie et un mode d’appropriation de la vie humaine. Il va de soi que l’œil humain est conçu autrement que l’œil grossier non humain ; l’oreille humaine autrement que l’oreille grossière, etc.234. »
87Lorsque l’appropriation de la sensibilité humaine est totale et totalement réciproque, la propriété est définitivement abolie. La « discipline révolutionnaire » comme pratique de la « distraction-dispersion » signant l’abandon de toute figure qui, fatalement, localiserait la « masse » et lui imposerait des frontières, en ferait un corps structuré et excluant : telle est l’ironique proposition que fait Benjamin aux partisans de « l’expérience constructive, dictatoriale, de la révolution235 ». Car un corps collectif insaisissable résiste à toute tentative de manipulation comme de direction. La « déprise de la masse à l’égard de la figure même du Soi » est l’« émancipation totale » des corps en effervescence, enfin désubstantialisés, désappropriés, désassujettis.
88Marx donne une double signification à cette dépossession de soi présidant à l’individuation nouvelle dans le corps collectif de la masse :
« Double signification historique et eschatologique : Auflösung (la “dissolution” de la société dans les conditions d’existence du prolétariat, arraché aux conditions de vie et aux formes de reconnaissance institutionnelle qui “intègrent” une classe à l’ordre social) communique avec Lösung (la “solution” ou “résolution” du problème politique de l’émancipation […]), et par conséquent évoque la rédemption (Erlösung) […]236. »
89De même, Benjamin : l’être humain, qui, tel Lesabéndio uni au corps astral de sa planète, s’éveille « à la douleur et à la félicité de la dissolution [Auflösung] dans ce qui est plus grand »237, procède à une « restitutio in integrum », à l’achèvement de « cette réalité séculière éternellement évanescente, évanescente dans sa totalité238 » – à la complétion de cette « masse » où s’entrelacent l’expansion et la décroissance, l’épanouissement et la dispersion.
Puissance sans pouvoir : impossible politique ?
90L’u-topie du corps collectif peut-elle être, à ce titre, encore comprise comme « pensée politique », c’est-à-dire comme pensée de l’organisation du social ? L’interrogation porte d’abord sur la teneur exacte de l’insurrection que la « révolution » semble promettre et sur sa part de violence. L’agir collectif prend-il la forme d’une action collective ? Comment le pourrait-il, en l’absence d’une intentionnalité collective ? L’agir collectif décrit-il autre chose que les phénomènes de propagation, d’affection réciproque qui font la masse ? Il faudrait alors s’imaginer que la « dissolution » de l’individu dans cette individualité collective appelée « masse » implique la décomposition progressive des institutions du pouvoir – que Benjamin regroupait, dans « Critique de la violence », sous le concept de « droit » –, rendues obsolètes par la nouvelle forme des rapports, affectifs et non plus contractuels, qui s’engagent dans la masse.
91Il faut le rappeler : pour se passer du droit – qui est, comme l’affirme Benjamin à la suite de Marx, toujours « privilège239 » (“Vor”-recht) –, l’individu doit avoir tout perdu, n’avoir plus aucun droit, plus aucun intérêt à défendre. Ce n’est que d’une masse d’emblée nivelée par des conditions d’existence réduites au minimum, voire à néant, que peut naître cette masse utopique. Ce pari-là impose de jouer le tout pour le tout, en misant simultanément sur un fait socio-économique – l’accroissement de la perte – et sur un fait anthropologique – l’amplification des affects. Et ce jusqu’à ce que soit atteint le point où la nullité de la propriété coïncide avec la plénitude de l’affect – point d’extrême tension où Benjamin veut voir s’engendrer la masse révolutionnaire. Mais où trouver la garantie que la masse des démunis unis, plutôt que de revendiquer le « titre humain240 », ne s’emparera pas des instances du pouvoir dont elle a trop longtemps été écartée, ne s’arrogera pas les privilèges dont elle était privée ? Comment s’assurer que le corps « massif » ne se referme pas en corps identitaire – classe contre classe, peuple contre peuple – bientôt repris dans l’engrenage de la « violence fondatrice » et « conservatrice du droit » ? L’importance que Benjamin accorde à l’affectivité diffuse, « innervée » par une technique immatérielle et indiscrète, lui permet d’éviter cet écueil théorique. Mais l’« excentricité » du corps suffit-elle à l’immuniser contre les images, silhouettes et anatomies – contre les nouvelles lignes de partage ?
92Se pose alors la question de la viabilité, ou plus précisément de la longévité d’un corps collectif réfractaire aux rapports de force et, a fortiori, à leur régulation institutionnelle. Le lien affectif né de la contagion anonyme – contagion dont l’exemple paradigmatique est l’éclat de rire – est éminemment transitoire et appelle à être constamment renouvelé, au risque de voir les corps de désolidariser. C’est toute la difficulté, pointée justement par Catherine Colliot-Thélène, de cette socialité qui, écrit-elle, « ne peut pas permettre de penser la politique » : « Ne pas se structurer, ne pas durer, s’affirmer impuissant (ne rien faire), ce sont là trois aspects d’une seule et même réalité, la réalité paradoxale de la communauté irréalisable, de la communauté utopique241. » À moins de penser la perméabilité de l’affect et du sentiment, le passage de la diffusion à l’attachement, et, partant, la formation de liens plus durables, quitte à réduire l’ampleur de la propagation et à prendre le risque d’une stabilisation communautaire, voire nucléaire, des relations. Ou alors : s’en tenir au caractère de « crise » – à la provisorité radicale – de ces mouvements collectifs, qui prendraient alors la forme de cette « communauté des égaux » que Jacques Rancière qualifie d’« expérience-limite242 », toujours de l’ordre de l’exception. Mais accorder à ces mouvements la seule valeur critique de mise en question de l’ordre établi, c’est renoncer à l’idéal d’une société sans domination – et, de là, à celui de la révolution comme mouvement radical d’émancipation –, au risque de faire de ces mouvements des moments dans la dialectique du progrès, au risque d’en faire les moteurs de la réforme du droit. Benjamin n’a pas fait cette concession au « réalisme » en politique, mais il n’a pas non plus ignoré la fragilité de sa masse utopique : l’avènement des fascismes en Europe, et, avec une violence inouïe, du national-socialisme en Allemagne, l’y a confronté. Dans les textes écrits en exil, de « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » aux thèses « Sur le concept d’histoire », en passant par l’important Livre des passages, Benjamin affronte les problèmes que soulève sa pensée du collectif charnel.
Notes de bas de page
1 Theodor W. Adorno, « Die Idee der Naturgeschichte », in : Gesammelte Schriften, I, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 345-365.
2 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, traduit par Sybille Muller, Paris, Flammarion, 2002, p. 45.
3 Lettre de Benjamin à Hofmannsthal du 8 février 1928, in : Walter Benjamin, Correspondance 1910-1928, traduit par Guy Petitdemange, Paris, Aubier, 1979, p. 418.
4 Lettre de Benjamin à Hofmannsthal du 8 février 1928, in : Walter Benjamin, Correspondance 1910-1928, traduit par Guy Petitdemange, Paris, Aubier, 1979, p. 418.
5 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le Livre des passages, traduit par Jean Lacoste, Paris, Éditions du Cerf, 1997, p. 479 (traduction modifiée).
6 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, traduit par Sybille Muller, Paris, Flammarion, 2002, p. 45.
7 Gérard Raulet, Le caractère destructeur. Esthétique, théologie et politique chez Walter Benjamin, Paris, Aubier, 1998, p. 62.
8 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » (première version), traduit par Rainer Rochlitz in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 109 (traduction modifiée).
9 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le Livre des passages, traduit par Jean Lacoste, Paris, Éditions du Cerf, 1997, p. 709 sq. (traduction modifiée).
10 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 365.
11 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 365.
12 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 365 (traduction modifiée).
13 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 365.
14 Walter Benjamin, « Die Waffen von Morgen. Schlachten mit Chlorazetophenol, Diphenylaminchlorasin und Dichloräthylsuldif », in : Gesammelte Schriften, IV-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 474 (je traduis).
15 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 365 (traduction modifiée).
16 Walter Benjamin, « Die Waffen von Morgen. Schlachten mit Chlorazetophenol, Diphenylaminchlorasin und Dichloräthylsuldif », in : Gesammelte Schriften, IV-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 474.
17 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 332.
18 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 335.
19 Walter Benjamin, « Manuscrit no 210 », in : Sur Kafka, Caen, Nous, 2015, p. 191.
20 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 344.
21 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 346 sq. Benjamin cite Engels.
22 Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 7.
23 Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 23.
24 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 361.
25 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 341.
26 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 367.
27 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 341.
28 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 339. Benjamin cite Valéry.
29 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 341.
30 Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 10.
31 Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 31.
32 Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 10 (traduction modifiée).
33 Freud soutient qu’« une lésion ou blessure subie simultanément agit le plus souvent à l’encontre de l’apparition de la névrose » (Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 10).
34 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 342.
35 Dans Philosophie de la volonté, Paul Ricœur opère une distinction utile entre les réflexes sensoriels, mouvements innés et incoercibles, et les « savoir-faire préformés », appelés dans le langage courant « réflexes », mais qui en diffèrent en cela que « nous apprenons à les compliquer, à les corriger et même à les inverser ». Les « savoir-faire préformés », qui participent de la « spontanéité corporelle », sont « des ensembles moteurs très variables, réglés par des perceptions » (Philosophie de la volonté, t. I, Le volontaire et l’involontaire, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 299), donc placés « sous le signe du délai, […] source de tous les perfectionnements et de toutes les constructions issues de l’exercice » (p. 305). Les réflexes que décrit Benjamin lorsqu’il parle des « feintes » de Baudelaire seraient, selon cette acception, des « savoir-faire préformés », dans la mesure où ils se déploient bien dans l’anticipation, mais toujours infime, du contact. Ce à condition de ne pas voir dans le perfectionnement de ces « savoir-faire » l’emprise de la conscience, mais bien la qualité adaptative de la « spontanéité corporelle ».
36 Lettre d’Adorno à Benjamin du 29 février 1940, in : Theodor W. Adorno et Walter Benjamin, Correspondance (1928-1940), traduit par Philippe Ivernel, Paris, La Fabrique, 2002, p. 404.
37 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 343. Benjamin cite Baudelaire.
38 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 361.
39 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 360.
40 Benjamin parle de « l’innervation des doigts » par la machine à écrire dans l’aphorisme « Matériel pédagogique » (in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 167). Il revient à l’idée d’« innervation », entre autres, dans l’essai sur le surréalisme, dans des « Images de pensées », dans « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », dans Le Livre des passages, et enfin dans l’essai sur Baudelaire.
41 Ernst Kapp, Principes d’une philosophie de la technique, traduit par Grégoire Chamayou, Paris, Vrin, 2007, p. 199.
42 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 360.
43 Gérard Raulet, Le caractère destructeur. Esthétique, théologie et politique chez Walter Benjamin, Paris, Aubier, 1998, p. 62.
44 Walter Benjamin, « Amour platonique », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 123 sq.
45 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 83 (je traduis).
46 Walter Benjamin, « Objets trouvés », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 190 (traduction modifiée).
47 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 387. Benjamin cite Baudelaire.
48 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (dernière version), in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 278 (traduction modifiée).
49 Walter Benjamin, « Le lointain et les images », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 231.
50 Walter Benjamin, « Wahrnehmung und Leib », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 67.
51 Walter Benjamin, « Expert-comptable assermenté », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 164.
52 Walter Benjamin, « Ces espaces sont à louer », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 205 sq.
53 Walter Benjamin, « Ces espaces sont à louer », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 205.
54 Walter Benjamin, « Ces espaces sont à louer », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 206.
55 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (dernière version), in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 280.
56 Walter Benjamin, « Ces espaces sont à louer », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 205.
57 Walter Benjamin, « Madame Ariane, deuxième cour à gauche », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 219 (traduction modifiée).
58 Walter Benjamin, « Madame Ariane, deuxième cour à gauche », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 219 (traduction modifiée).
59 Walter Benjamin, « Notizen <4> », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 207 (je traduis).
60 Walter Benjamin, « Moscou », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 28.
61 Walter Benjamin, « Exercice », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 193.
62 Walter Benjamin, « Habitude et attention », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 195.
63 Walter Benjamin, « Objets de Chine », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 146 (traduction modifiée). « Mit der linken Hand » dit l’allemand, c’est-à-dire littéralement « de la main gauche » et, au figuré, « les doigts dans le nez ».
64 Walter Benjamin, « Exercice », in : Images de pensée, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 193.
65 « Un mouvement volontaire, s’il ne s’associe pas en même temps à un mouvement sympathique, ce qui revient à dire : s’il ne se mêle pas à quelque chose d’involontaire qui trouve son fondement dans l’état affectif moral de la personne, ne pourra jamais montrer de la grâce, qui exige toujours d’avoir pour cause un état d’âme » (Friedrich Schiller, « Grâce et dignité », in : Grâce et dignité et autres textes, traduit par Nicolas Briand, Paris, Vrin, 1998, p. 26).
66 Walter Benjamin, « Lob der Puppe », in : Gesammelte Schriften, III, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 215 (je traduis).
67 Heinrich von Kleist, Sur le théâtre de marionnettes, traduit par Jacques Outin, Paris, Éditions Mille et une Nuits, 1993, p. 20.
68 Walter Benjamin, « La voie du succès en treize thèses », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 87.
69 Walter Benjamin, « <Tele>pathie », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 188 (je traduis).
70 Walter Benjamin, « <Tele>pathie », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 188 (je traduis).
71 Walter Benjamin, « Sur le pouvoir mimétique », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 359.
72 Walter Benjamin, « Sur le pouvoir mimétique », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 363.
73 Walter Benjamin, « Sur le pouvoir mimétique », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 363. Benjamin cite Hofmannsthal.
74 Walter Benjamin, « Madame Ariane, deuxième cour à gauche », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p 219.
75 Irving Wohlfarth, « Walter Benjamin’s Image of Interpretation », New German Critique, 17 (1)/1979, p. 70-98 ; ici p. 93.
76 Walter Benjamin, « Sur le pouvoir mimétique », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 362.
77 Walter Benjamin, « Sur le pouvoir mimétique », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 362.
78 Walter Benjamin, « La voie du succès en treize thèses », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 85.
79 Walter Benjamin, « Zu <Scheerbart> : „Münchhausen und Clarissa“ », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 147 (je traduis).
80 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (première version), in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 111. Benjamin cite Marinetti.
81 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 366.
82 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 368.
83 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 367.
84 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 366 sq.
85 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 367.
86 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », traduit par Pierre Rusch, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 367.
87 Walter Benjamin, « Paul Scheerbart : Lesanbéndio », in : Gesammelte Schriften, II-2, op. cit., p. 618.
88 Walter Benjamin, Recension : « Ramon Gomez de la Serna, Le Cirque. Paris : Simon Kra 1927. 214 S. », in : Gesammelte Schriften, III, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 71 (je traduis).
89 Walter Benjamin, « Chaplin », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 138 (je traduis).
90 Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 29.
91 Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 39.
92 Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 38.
93 Giorgio Agamben, « Notes sur le geste », Trafic 1/1991, p. 33 sq.
94 Walter Benjamin, « Jouets – Hors commerce », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 203 sq.
95 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 372.
96 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 372.
97 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 372.
98 Walter Benjamin, « Zu Micky-Maus », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 144 (je traduis).
99 Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, traduit par Pierre Cotet, René Lainé et Johanna Stute-Cadiot, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 34 sq. Passage cité par Hal Foster en exergue de son livre Prosthetic Gods (Cambridge, Mass., MIT Press, 2006).
100 Paul Scheerbart, Lesabéndio. Ein Asteroïdenroman, Hofheim, Wolke Verlag, 1986, p. 7 (je traduis).
101 Walter Benjamin, « Paul Scheerbart : Lesabéndio », in : Gesammelte Schriften, II-2, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 618 (je traduis).
102 Paul Scheerbart, Lesabéndio. Ein Asteroïdenroman, Hofheim, Wolke Verlag, 1986, p. 175.
103 Paul Scheerbart, Lesabéndio. Ein Asteroïdenroman, Hofheim, Wolke Verlag, 1986, p. 146.
104 Paul Scheerbart, Lesabéndio. Ein Asteroïdenroman, Hofheim, Wolke Verlag, 1986, p. 166.
105 Ernst Jünger, Le Travailleur, traduit par Julien Hervier, Paris, Christian Bourgeois, 1989, p. 65.
106 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 369.
107 Anson Rabinbach, Le moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernité, traduit par Michel Luxembourg, Paris, La Fabrique, 2004, p. 23.
108 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 371.
109 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 370. Benjamin cite Goethe.
110 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 370.
111 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 371.
112 Walter Benjamin, « Zu Micky-Maus », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 144 (je traduis).
113 Walter Benjamin, « Zu <Scheerbart> : „Münchhausen und Clarissa“ », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 147 (je traduis)
114 Walter Benjamin, « Negativer Expressionismus », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 132 (je traduis).
115 Walter Benjamin, « Wahrnehmung und Leib », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 67 (je traduis).
116 Walter Benjamin, « Paris, capitale du xixe siècle », in : Gesammelte Schriften, V-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 68.
117 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 372.
118 Pour Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, cf. Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, V-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 583 sq. ; pour L’idéologie allemande, cf. Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, V-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 801. Benjamin cite par ailleurs abondamment l’édition des Frühschriften de Marx parue chez l’éditeur Kröner contenant la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.
119 Étienne Balibar, « Le moment messianique de Marx », Revue germanique internationale, 8/2008, p. 143-160 ; ici p. 147 sq.
120 Karl Marx, Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, traduit par Jules Molitor, Paris, Allia, 1998, p. 37.
121 Étienne Balibar, « Le moment messianique de Marx », Revue germanique internationale, 8/2008, p. 143-160 ; ici p. 149.
122 Étienne Balibar, La crainte des masses. Politique et philosophie avant et après Marx, Paris, Galilée, 1997, p. 182.
123 Walter Benjamin, « Le caractère destructeur », traduit par Rainer Rochlitz, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 330.
124 Walter Benjamin, « Le caractère destructeur », traduit par Rainer Rochlitz, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 330.
125 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 80 (je traduis).
126 Lettre de Benjamin à Scholem du 21 juillet 1925, in : Walter Benjamin, Correspondance 1910-1928, traduit par Guy Petitdemange, Paris, Aubier, 1979, p. 359.
127 Karl Marx et Friedrich Engels, L’idéologie allemande. Première partie : Feuerbach, traduit par Renée Cartelle et Gilbert Badia, Paris, Éditions Sociales, 1972, p. 69.
128 Jose Ortega y Gasset, La révolte des masses, traduit par Louis Parrot, Paris, Stock, 1937, p. XIII.
129 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 11.
130 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 11.
131 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 13.
132 Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 69.
133 Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris / Genève, Slatkine, 1979, p. XX.
134 Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris / Genève, Slatkine, 1979, p. 92.
135 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et analyse du moi », traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 53.
136 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et analyse du moi », traduit par Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, Presses universitaires de France, 2010, p. 31.
137 Dans le petit texte « Haschich à Marseille », Benjamin suggère que la technicisation du monde, fondée sur la saisie du générique, ouvre corrélativement un spectre de « nuances » où le « particulier » peut se loger (Walter Benjamin, « Haschich à Marseille », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 208).
138 Gérard Raulet relève certains points de parenté dans « Mimesis. Über anthropologische Motive bei Walter Benjamin – Ansätze zu einer anthropologischen kritischen Theorie », Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 64 (4)/2016, p. 581-602.
139 Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation, Paris / Genève, Slatkine, 1979, p. VIII.
140 Sigmund Freud, « Zum Problem der Telepathie », passage cité par Benjamin dans un brouillon de « Doctrine du similaire » (Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, II-3, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 958, je traduis).
141 Sigmund Freud, « Zum Problem der Telepathie », passage cité par Benjamin dans un brouillon de « Doctrine du similaire » (Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, II-3, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 958).
142 Max Scheler, Nature et forme de la sympathie. Contribution à l’étude des lois de la vie affective, traduit par Maurice Lefebvre, Paris, Payot, 1971, p. 39.
143 Max Scheler, Nature et forme de la sympathie. Contribution à l’étude des lois de la vie affective, traduit par Maurice Lefebvre, Paris, Payot, 1971, p. 40.
144 Max Scheler, Nature et forme de la sympathie. Contribution à l’étude des lois de la vie affective, traduit par Maurice Lefebvre, Paris, Payot, 1971, p. 26. Je conserve la traduction de « Gefühl » par le terme « affect », bien qu’elle ne me semble pas complètement convaincante.
145 Walter Benjamin, « Vers le bas de la montagne », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 197.
146 Walter Benjamin, « La commerelle », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 69.
147 Walter Benjamin, « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit » (deuxième version), in : Gesammelte Schriften, VII-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 370 (je traduis). Par souci de cohérence, je me réfère, sauf quand cela est précisé, à la deuxième version de « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », rédigée en 1935-1936 et que Benjamin souhaitait voir publiée, mais qui ne le fut que de façon posthume. Cette version n’est pas traduite en français.
148 Walter Benjamin, « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit », in : Gesammelte Schriften, VII-1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 370.
149 Peter Fenves, « Is there an Answer to the Aestheticizing of the Political? », in : Andrew Benjamin (dir.), Walter Benjamin and Art, Londres, Continuum, 2005, p. 60-72 ; ici p. 69 (je traduis).
150 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (première version), in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 100.
151 Walter Benjamin, « Rückblick auf Chaplin », in : Gesammelte Schriften, III, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 159 (je traduis).
152 Walter Benjamin, « Hitlers herabgeminderte Männlichkeit », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 103 (je traduis).
153 Walter Benjamin, « Erwiderung an Oskar A.H. Schmitz », in : Gesammelte Schriften, II-2, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 753 (je traduis).
154 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 27.
155 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 24 sq.
156 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 295.
157 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 248.
158 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 249.
159 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 295.
160 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 247.
161 Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Grenoble, Millon, 2013, p. 232.
162 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 79 (je traduis).
163 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 80 (je traduis).
164 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 79 (je traduis).
165 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 227.
166 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 228.
167 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 227 sq.
168 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 227 sq. (traduction modifiée).
169 Walter Benjamin, « Ces plantations sont confiées à la protection du public », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 149 sq.
170 Walter Benjamin, « Haschich à Marseille », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 48. Benjamin cite Fritz Fränkel.
171 Ludwig Klages, De l’Éros cosmogonique, traduit par Ludwig Lehnen, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 85.
172 Ludwig Klages, De l’Éros cosmogonique, traduit par Ludwig Lehnen, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 105 sq.
173 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 227.
174 Irving Wohlfarth, « Walter Benjamin and the Idea of a Technological Eros. A Tentative Reading of Zum Planetarium », in : Helga Geyer-Ryan, Paul Koopman et Klaas Yntema (dir.), Benjamin Studies I, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 65-109 ; ici p. 76 (je traduis).
175 Irving Wohlfarth, « Walter Benjamin and the Idea of a Technological Eros: A Tentative Reading of Zum Planetarium », in : Helga Geyer-Ryan, Paul Koopman et Klaas Yntema (dir.), Benjamin Studies I, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 65-109 ; ici p. 79.
176 Ludwig Klages, De l’Éros cosmogonique, traduit par Ludwig Lehnen, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 219.
177 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 228.
178 Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, t. I, Le volontaire et l’involontaire, Paris, Seuil, 2009, p. 136.
179 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 229.
180 Walter Benjamin, « Bel effroi », in : Images de pensées, traduit par Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 247 sq.
181 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (première version), in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 112 sq.
182 Walter Benjamin, « Vers le planétarium », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 229 (traduction modifiée).
183 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 130.
184 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne » traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 114.
185 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 130. Benjamin cite André Breton.
186 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 131.
187 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 116.
188 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 116.
189 Walter Benjamin, « L’image proustienne », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 140.
190 Le texte de Klages est cité par Benjamin dans « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 84.
191 Ludwig Klages, « Vom Traumbewusstsein », in : Sämtliche Werke, t. III, Bonn, Bouvier Verlag, 1991, p. 179 (je traduis).
192 Ludwig Klages, « Vom Traumbewusstsein », in : Sämtliche Werke, t. III, Bonn, Bouvier Verlag, 1991, p. 179 (je traduis).
193 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 131.
194 Walter Benjamin, « Madame Ariane, deuxième cour à gauche », in : Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, traduit par Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1988, p. 219.
195 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 131.
196 « Mais le secret et le savoir bienheureux de l’initié est de contempler l’image sacrée à distance, tout en se fondant en elle » (Ludwig Klages, De l’Éros cosmogonique, traduit par Ludwig Lehnen, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 219).
197 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 134.
198 Sigrid Weigel a justement pointé le lien de l’essai sur le surréalisme aux textes sur la « faculté mimétique », écrits quatre ans plus tard. Cf. Sigrid Weigel, « Passagen und Spuren des „Leib- und Bildraums“ in Benjamins Schriften », in : Sigrid Weigel (dir.), Leib- und Bildraum. Lektüren nach Benjamin, Cologne / Weimar, Böhlau, 1992, p. 49-64.
199 Sigrid Weigel, « Passagen und Spuren des „Leib- und Bildraums“ in Benjamins Schriften », in : Sigrid Weigel (dir.), Leib- und Bildraum. Lektüren nach Benjamin, Cologne / Weimar, Böhlau, 1992, p. 133.
200 Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p. 53.
201 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 121. Benjamin cite Breton.
202 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 321. Benjamin cite Breton.
203 Irving Wohlfarth, « Walter Benjamin and the Idea of a Technological Eros: A tentative reading of Zum Planetarium », in : Helga Geyer-Ryan, Paul Koopman et Klaas Yntema (dir.), Benjamin Studies I, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 65-109 ; ici p. 82 (je traduis).
204 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 134 (traduction modifiée).
205 Irving Wohlfarth pointe la référence dans « Walter Benjamin and the Idea of a Technological Eros. A tentative reading of Zum Planetarium », in : Helga Geyer-Ryan, Paul Koopman et Klaas Yntema (dir.), Benjamin Studies I, Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 82.
206 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », traduit par Maurice de Gandillac, in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 133 sq. (traduction modifiée).
207 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La phénoménologie de l’esprit, t. I, traduit par Jean Hyppolite, Paris, Aubier, 1941, p. 40 (traduction modifiée). La seconde phrase se conclut ainsi : « mais de même qu’elles sont des moments négatifs et en voie de disparaître, elles sont aussi des moments positifs et nécessaires ». Benjamin n’en tient toutefois pas grand compte : il préfère dans l’Aufhebung le moment destructeur au moment conservateur.
208 Karl Marx, Les « thèses » sur Feuerbach, sixième thèse (titre exact : Marx 1845, les « thèses » sur Feuerbach »), traduit par Pierre Macherey, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 137 sq.
209 Karl Marx, Les « thèses » sur Feuerbach (sixième thèse), traduit par Pierre Macherey, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 137 sq.
210 Étienne Balibar, La philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 2014, p. 232 sq.
211 Étienne Balibar, La philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 2014, p. 229.
212 Étienne Balibar, La philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 2014, p. 235.
213 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 80 (je traduis).
214 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 184.
215 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 178.
216 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 181.
217 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 177.
218 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 189.
219 Walter Benjamin, « Psychologie », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 65 (je traduis).
220 Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1979, p. 185.
221 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 382 (traduction modifiée).
222 Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 31.
223 Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 17.
224 Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 17.
225 Walter Benjamin, « Franz Kafka », traduit par Christophe David et Alexandra Richter, in : Sur Kafka, Caen, Nous, 2015, p. 63.
226 Walter Benjamin, « Schemata zum psychophysischen Problem », in : Gesammelte Schriften, VI, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 80 (je traduis).
227 Peter Fenves, « Is there an Answer to the Aestheticizing of the Political? », in : Andrew Benjamin (dir.), Walter Benjamin and Art, Londres, Continuum, 2005, p. 60-72 ; ici p. 69 sq. (je traduis).
228 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » (première version), traduit par Rainer Rochlitz, in : Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 108 (traduction modifiée).
229 Peter Fenves, « Is there an Answer to the Aestheticizing of the Political? », in : Andrew Benjamin (dir.), Walter Benjamin and Art, Londres, Continuum, 2005, p. 60-72 ; ici p. 72 (je traduis).
230 J’emprunte le terme à Franck Fischbach, L’être et l’acte. Enquête sur les fondements de l’ontologie moderne de l’agir, Paris, Vrin, 2002, p. 161.
231 Des chemins similaires ont été frayés, après la Seconde Guerre mondiale, par Gilles Deleuze et Felix Guattari dans L’Anti-Œdipe et Mille plateaux, où sont mobilisés les concepts centraux de « corps-sans-organes », de « déterritorialisation » et de « rhizome », qu’il est possible de faire communiquer avec le concept benjaminien d’« espace charnel ». Dans le cadre d’une étude sur Spinoza livrée dans L’Anomalie sauvage, Toni Negri commente et élabore la réflexion spinozienne sur la « puissance » (potentia) de la « multitude ». Il forge un concept apte à qualifier une forme contemporaine du collectif (concept repris dans les ouvrages écrits en collaboration avec Michael Hardt, Empire et Multitude), qui entre à bien des égards en résonance avec la notion benjaminienne de « masse ».
232 Georg Lukács, « La conscience de classe », in : Histoire et conscience de classe, traduit par Kostas Axelos et Jacqueline Bois, Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, p. 99.
233 Franck Fischbach, L’être et l’acte. Enquête sur les fondements de l’ontologie moderne de l’agir, Paris, Vrin, 2002, p. 162.
234 Cité dans Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le Livre des passages, traduit par Jean Lacoste, Paris, Éditions du Cerf, 1997, p. 666 (traduction modifiée).
235 Walter Benjamin, « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », in : Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 130.
236 Étienne Balibar, « Le moment messianique de Marx », Revue germanique internationale, 8/2008, p. 143-160 ; ici p. 148.
237 Walter Benjamin, « Paul Scheerbart: Lesabéndio », in : Gesammelte Schriften, II-2, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 619 (je traduis).
238 Walter Benjamin, « Fragment théologico-politique », in : Œuvres, I, Paris, Gallimard, 2000, p. 265.
239 Walter Benjamin, « Critique de la violence », in : Œuvres, I, Paris, Gallimard, 2000, p. 236.
240 Karl Marx, Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, traduit par Jules Molitor, Paris, Allia, 1998, p. 37.
241 Catherine Colliot-Thélène, La démocratie sans « demos », Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 148. Catherine Colliot-Thélène commente ici La communauté inavouable, le livre de Maurice Blanchot sur l’expérience de Mai 68.
242 Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 2007, p. 169. La « communauté des égaux » de Jacques Rancière n’est pas sans rappeler la « masse » de Benjamin : il la situe non dans le domaine du « “propre” d’un groupe ou de sa culture », mais, paradoxalement, dans le non-lieu de l’« intervalle » ou de la « faille », puisque s’y esquisse un « être-ensemble comme être-entre : entre les noms, les identités ou les cultures » (p. 122). Il faut noter toutefois que cette « communauté » n’est pas fondée sur une communauté des affects, mais sur « des moments dialogiques » (p. 174) où prennent parole ceux et celles qui en ont été privés.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le concert et son public
Mutations de la vie musicale en Europe de 1780 à 1914 (France, Allemagne, Angleterre)
Hans Erich Bödeker, Michael Werner et Patrice Veit (dir.)
2002
Des cerveaux de génie
Une histoire de la recherche sur les cerveaux d'élite
Michael Hagner Olivier Mannoni (trad.)
2008
L’occulte
L’histoire d’un succès à l’ombre des Lumières. De Gutenberg au World Wide Web
Sabine Doering-Manteuffel Olivier Mannoni (trad.)
2011
L'argent dans la culture moderne
et autres essais sur l'économie de la vie
Georg Simmel Céline Colliot-Thélène, Alain Deneault, Philippe Despoix et al. (trad.)
2019
L’invention de la social-démocratie allemande
Une histoire sociale du programme Bad Godesberg
Karim Fertikh
2020
La société du déclassement
La contestation à l'ère de la modernité régressive
Oliver Nachtwey Christophe Lucchese (trad.)
2020
Le pouvoir en Méditerranée
Un rêve français pour une autre Europe
Wolf Lepenies Svetlana Tamitegama (trad.)
2020
La parure
et autres essais
Georg Simmel Michel Collomb, Philippe Marty et Florence Vinas (trad.)
2019