4. L’usine aux champs
p. 135-176
Texte intégral
1Quoi qu’en disent l’imagerie populaire, la grande presse et les médias pour prolonger le mythe de la Vendée « chouanne », peuplée de paysans « arriérés », le fait est que des paysans, vivotant sur leurs petites borderies, il n’en reste guère. L’agriculture moderne, tout en occupant encore la plus grande partie du territoire, n’emploie plus qu’une minorité de plus en plus réduite d’hommes et de femmes (un travailleur sur cinq dès 1975) sur des exploitations de plus en plus grandes, de 30 à 80 hectares1. La majorité de la population active est salariée2, soit dans les usines locales, soit dans le secteur tertiaire (banques, hôpitaux, commerce). Même si les jeunes, surtout ceux munis de diplômes universitaires, continuent d’émigrer vers les villes pour y trouver un travail, généralement dans le secteur tertiaire, non seulement l’exode rural de jadis a été enrayé, mais la Vendée attire au contraire une main-d’œuvre extérieure au département, y compris des travailleurs immigrés (Portugais, Maghrébins, Antillais, Vietnamiens).
2Cette situation nous plonge donc au cœur d’un problème plus large concernant les régions du monde, en particulier d’Europe occidentale, où la modernisation de l’agriculture s’est accompagnée d’une industrialisation sur place. Contrairement aux théories classiques du changement social, selon lesquelles modernisation et urbanisation vont nécessairement de pair, le modèle vendéen ferait plutôt l’inverse. Il dissémine l’industrie sur le terroir agricole, retient les habitants sur place, faisant côtoyer agriculteurs et ouvriers. Somme toute, au lieu d’urbaniser la campagne, on pourrait aussi bien dire qu’il ruralise l’industrie.
3En tout état de cause, les signes « d’urbanisation » ont beau être indéniables – accroissement des agglomérations au détriment de l’habitat dispersé, différenciation sociale avec la prolifération de nouveaux métiers, diffusion de modes de vie citadins propagés par les médias et l’enseignement –, les dichotomies urbain = moderne/rural = traditionnel3 imposent une grille déformante qu’il faut mettre au rebut si l’on veut saisir les nouveaux avatars de la communauté bocaine et, avec elle, un nouveau modèle de modernisation. Il s’agit en effet d’un troisième terme, qui, s’il combine des éléments de l’un et de l’autre, n’est pas simplement une catégorie « mixte » ou bâtarde, mi-figue mi-raisin, mais un ensemble original, avec ses caractères propres.
4Alors qu’ailleurs l’usine aux champs a fait surgir une nouvelle espèce sociale de pluriactifs, l’ouvrier-paysan, depuis longtemps décrite4, le modèle vendéen en crée une plus complexe, que j’appellerai ouvrier à mi-viage ou même, plus largement, salarié à mi-viage. A la différence de l’ouvrier-paysan qui est simultanément l’un et l’autre, à temps partiel, selon une division journalière, hebdomadaire ou saisonnière, le salarié à mi-viage, chevauche les différents secteurs de l’économie et les zones d’aménagement de l’espace régional selon plusieurs axes, échelonnés sur le temps de vie de l’individu : géographiquement, par sa résidence multilocale ; sociologiquement, par son va-et-vient entre les différents secteurs de production, à mi-temps de vie, mais à temps plein hebdomadaire et annuel ; et finalement par sa place et son rôle dans un vaste réseau d’échanges et de redistribution des richesses où l’on retrouvera les avatars du coublage.
5Il s’agit ici de faire une ethnographie des hommes et des femmes qui sont les agents de ces transformations spectaculaires, et surtout d’en comprendre la logique, à la fois interne et d’un point de vue comparatif. Le lecteur, déjà mis au fait de la vie bocaine contemporaine dans sa dimension historique, proche et lointaine, pourra maintenant saisir dans son dynamisme et sa cohérence, une histoire et une culture en train de se faire, à travers les clivages et les alliances, le tissu complexe et mouvant des relations sociales qui caractérise le nouveau Bocage fleurissant sur le tuf enrichi de l’ancien. Il faudra pour cela retracer ensemble les réseaux de sociabilité et d’échanges qui s’y trament entre les individus ou les groupes, et pénétrer la création d’un complexe socioculturel original, étayé sur une économie non officielle. On y retrouvera à l’œuvre des codes de conduite et des systèmes de valeurs qui, avec une aisance extraordinaire, s’adaptent à des situations apparemment fort différentes de celles auxquelles ont eu à faire face les générations précédentes.
Des sédentaires bien remuants
6L’évolution des statistiques concernant la situation économique et démographique dans son détail entre les années 50 et 80 pour l’ensemble de la Vendée a été finement analysée par Jean Renard et Alain Chauvet (Renard 1975 ; Chauvet et Renard 1978, 1982). D’après leur typologie des aires de production agricole (1982 : 435), notre microrégion en chevauche trois : une partie de ce que ces auteurs appellent la « Vendée centrale », pays de production intensive de Charolais, un morceau du haut Bocage, défini par son dynamisme industriel et démographique, et finalement la bordure du sud Bocage, « moins dynamique ». Par là même notre étude porte sur une sorte de microcosme du Bocage, ce qui permettra de capter, par-delà les typologies et les statistiques, le mouvement social et culturel qu’elles recouvrent et qui les relie.
7Les réseaux de communication que nous allons décrire chevauchent en effet allégrement le quadrillage du département en zones plus ou moins productives de têtes de bétail, tonnes de viandes, hectolitres de lait, produits manufacturés ou nombre d’habitants au mètre carré. Un des phénomènes les plus frappants des transformations de la vie bocaine est en effet l’étrange mobilité multidirectionnelle, à la fois spatiale et sociale, de la population : va-et-vient d’une commune, d’un canton, d’une « zone », d’un département à l’autre, d’une catégorie sociale ou d’un secteur (primaire, secondaire ou tertiaire) à l’autre et ce, par rapport à des axes spatiotemporels de plus en plus complexes.
Résidence multilocale : La bougeotte des « non-actifs »
8Le premier de ces axes est la résidence multilocale caractéristique de ceux classés comme « non-actifs », c’est-à-dire les jeunes et les retraités, groupes d’âges qui représentent à eux deux la majeure partie de la population vendéenne5. Ce phénomène de « bougeotte » commence pour ainsi dire au berceau. De plus en plus de femmes, parmi les jeunes, travaillent à l’extérieur comme salariées, la plupart en usine6. Après une naissance, dès que la mère reprend son emploi – ce qui peut varier entre quelques semaines et un an – elle prend sa voiture et, sur la route du lieu de travail (qui peut se trouver de 1 à 10, ou plus rarement, 15 km de son domicile), confie l’enfant soit à une parente, soit à une gardienne d’enfants rétribuée pour ce service, mais qui n’en prendra pas moins le rôle de « tata ». C’est ainsi que l’enfant l’appellera, et que tout le monde la désigne. Son mari sera automatiquement un « tonton », même s’il n’y a aucun lien de parenté avec la famille de l’enfant. Ce dernier y va peut-être avec son frère ou sa sœur plus âgés et y retrouve des enfants ou nourrissons venant d’autres communes, ou ceux de la gardienne. Entre eux peuvent se créer des liens comparables à ceux des « cousins-frères » du temps jadis : ceux qui, sans être frères, ont été élevés ensemble dans la même maison, couchant parfois dans le même lit. En tout cas, à la différence des garderies d’enfants et des crèches institutionnalisées en milieu urbain, ce système offre dès l’enfance un second foyer qui, malgré la distance géographique, les différences d’habitat avec celui des parents (campagne, bourg ou ville), établit une continuité remarquable avec les mœurs familiales d’avant la diaspora de l’ancienne maison.
9Arrive l’âge de l’école, le temps de seconde résidence diminue. Au lieu de 40 heures, l’enfant est pris en charge dans un autre foyer seulement quelques heures après l’école et le mercredi toute la journée. Il y a aussi plus de chances pour que ce nouveau foyer rapproche l’enfant du domicile des parents, l’école primaire n’en étant jamais bien loin. Ce n’est pas le cas du ces ou ceg. La dispersion commence alors, que la mère travaille ou non. Selon les spécialités, les talents, ou la proximité, les uns vont à Chantonnay, les autres à Pouzauges, Fontenay-le-Comte ou La Roche-sur-Yon, parfois même hors du département, dans des collèges privés, plus réputés. Les adolescents y sont pensionnaires ou demi-pensionnaires. Résidents temporaires des zones urbaines, ils rentrent au bercail en auto-stop, voitures groupées ou cars de ramassage, le mercredi et le vendredi soir, c’est-à-dire régulièrement trois jours par semaine, et plusieurs semaines à Pâques et à Noël. L’été, les plus jeunes partent un mois dans des camps de vacances à moins que des membres de la famille, en particulier les parrains et marraines, vivant hors du département, ne les hébergent. Les plus grands aident leurs parents ou les voisins à quelque travail jusqu’au jour où ils ont le droit de gagner leur vie. Les uns s’embauchent comme stagiaires dans les usines du haut Bocage ou de plus loin, ou comme main-d’œuvre saisonnière sur de grosses exploitations agricoles, ou bien dans les vignobles de la région nantaise, à moins qu’ils ne trouvent un emploi touristique sur le littoral. Tout compte fait, à la fin de l’année, la ville où ils sont pensionnaires, est peut-être le lieu où ils ont résidé le moins.
10Passé quinze ou seize ans, ceux qui se destinent à l’agriculture ou à l’élevage entrent comme pensionnaires dans les maisons familiales. D’autres, inscrits dans les écoles professionnelles font des stages de pâtissiers, cuisiniers, mécaniciens, infirmières, aux quatre coins de la Vendée ou hors du département, jusqu’à Bordeaux. Quant à ceux et celles qui veulent poursuivre leurs études, ils doivent nécessairement résider hors du département, la Vendée étant dépourvue de centre universitaire. C’est donc Nantes, Angers, Poitiers ou plus rarement Bordeaux et Paris qui drainent, de façon temporaire et périodique, les jeunes Vendéens. Ils louent une chambre en ville, généralement à plusieurs, à moins qu’ils n’aient la chance, là encore, d’y avoir quelque parent pour les héberger. Ces étudiants eux aussi reviennent au domicile familial selon une fréquence variable en fonction de la distance : toutes les semaines, une fois par mois, pour les petites vacances et, bien sûr, les grandes, pendant lesquelles ils trouvent souvent un emploi temporaire en Vendée, soit près de chez eux, soit trop loin pour y rentrer dormir, auquel cas ils doivent trouver une troisième résidence temporaire.
11A cela s’ajoute la navette prémaritale entre la résidence des parents du garçon ou de la fille. Dès que les jeunes gens commencent à se fréquenter « sérieusement », la question du va-et-vient entre la famille, le lieu de scolarité ou le travail d’appoint se complique, surtout si les week-ends et les vacances sont les seuls moments où les deux jeunes gens peuvent être vraiment ensemble. Si leur famille respective habite assez loin l’une de l’autre, ce qui est de plus en plus probable, l’un va dormir certains soirs chez l’autre. Arrive un moment où avant de se marier, ils cohabitent à mi-temps, soit chez les parents de l’un ou de l’autre, soit seuls, dans un domicile temporaire improvisé : dépendance d’une ferme abandonnée, deux pièces louées dans un hameau, chambre laissée libre par un cousin parti au régiment. En tout état de cause, ils gardent leur autre résidence le reste du temps, en ville, près des études ou du travail temporaire.
12Le chômage qui s’est étendu au cours des années 80, en allongeant la période dite « non active », a parfois réduit les jeunes sans emploi à la monorésidence, celle de leurs parents. Mais la ténacité des Bocains à trouver un travail, quel qu’il soit, de peur d’être considérés comme « fainiants », leur a donné aussi une motilité, à rythme différent, dans leur chasse aux petits travaux pour des périodes assez courtes, en remplacement, comme stagiaires ou jusqu’à ce que l’employeur ferme à son tour ses portes ou mette les derniers venus en chômage technique.
13A l’autre pôle des âges, les retraités, surtout les veufs, ont aussi, à plus petite échelle, des domiciles « tournants » qui les trimbalent d’un coin de la Vendée à l’autre. Les enfants mariés, voire les petits-enfants, les prennent chez eux à tour de rôle, pendant une semaine, un ou plusieurs mois, un an même. Parfois la migration des veufs n’est que saisonnière. Ils passent l’hiver au chaud chez un des enfants mariés en ville ou dans un bourg d’un canton voisin, et la belle saison venue, regagnent leurs pénates.
Sur les traces des travailleurs : « ceux à la terre », « ceux qui s’embauchent » « ceux à leur compte »
14Plus qu’une catégorie sociale, les travailleurs sont devenus un groupe d’âge, les « actifs ». Ils représentent moins de quarante pour cent de la population, ce qui n’est guère différent de la situation nationale. Il y en a de trois sortes : les agriculteurs (« ceux à la terre »), dont le nombre décline, engagés pour la plupart dans l’élevage intensif de bovins, pour la viande ou le lait, ou hors sol* (volailles, veaux, culture du tabac) ; les salariés, (« ceux qui s’embauchent »), nouvelle majorité – la plupart en usine, mais aussi, et de plus en plus, dans le secteur tertiaire ; enfin « ceux à leur compte », catégorie montante, c’est-à-dire les patrons, petits et gros. Comparés aux groupes d’âge précédents, les actifs paraissent bien sédentaires. Pourtant leurs mouvements d’une zone de la Vendée à l’autre, d’un secteur professionnel à l’autre, les réseaux qu’ils y tracent, les attaches qu’ils y nouent suivent d’autres axes et d’autres rythmes, mais n’en sont pas moins omniprésents.
15Les agriculteurs paraissent les moins mobiles. Ils s’en plaignent. A peine parviennent-ils à prendre quelques jours de vacances par an, en se groupant à plusieurs fermes : « On est attelés à nos bêtes. » Il n’empêche que ce sont des agriculteurs motorisés – presque autant de voitures par ferme que de personnes en âge d’avoir un permis – et qu’hommes et femmes sillonnent quotidiennement la Vendée au-delà de leur canton, vont faire leurs courses en ville, au supermarché, à la banque, restent en contact avec la préfecture, la Maison de l’agriculture, le centre syndical à La Roche-sur-Yon. Les uns « montent » à Poitiers ou même Paris pour des raisons familiales ou professionnelles. Certains même ont fait des voyages d’études aux Etats-Unis, dans ce qui était l’Union soviétique, dans les pays Scandinaves pour visiter des fermes.
16Quant aux salariés, une grande partie se rendent à leur travail à Pouzauges, Chantonnay, Saint-Prouant, Les Herbiers, La Châtaigneraie ou Mouilleron-en-Pareds en cars de ramassage ou en voiture personnelle parfois utilisée à plusieurs. Il ne s’agit plus ici de multirésidence, mais d’un va-et-vient quotidien entre un lieu d’habitation – bourg, petite ville, hameau, lotissement sur un bord de route7 – et le lieu de travail, en ville ou rase campagne d’une autre commune, d’un autre canton ou même d’une autre « zone de production ». C’est là que se nouent de nouveaux liens, de nouvelles amitiés qui se poursuivent en dehors du temps et du lieu de travail. Ces relations sociales transcendent ainsi le lieu géographique dans un rayon de plus en plus grand. Ils s’établissent entre gens qui se reconnaissent comme étant « de même » tout en venant de lieux différents.
17En fin de semaine, les jeunes couples qui travaillent au loin en ville gardent, pendant un certain temps après leur mariage, les habitudes des « non-actifs ». Ils viennent eux aussi avec leurs enfants depuis La Roche-sur-Yon, Fontenay-le-Comte, Nantes, Angers, Cholet ou Poitiers, passer des week-ends chez les grands-parents. Parmi les jeunes couples qui ont le mieux réussi grâce à leurs études ou leur esprit d’entreprise, se dessine même la tendance, commune à la classe moyenne urbaine, d’acquérir une résidence secondaire en campagne, non loin des parents. Inversement, ces derniers sillonnent les routes, pour rendre visite aux enfants dispersés.
18On touche alors à un autre axe, celui qui relie les tracés des individus dans l’espace-temps à leur bien-être social ou, plus encore, à leurs migrations d’un secteur de l’économie à l’autre à différentes périodes de leur vie. Un trait fondamental de la vie bocaine postrévolution verte est en effet ce passage à plusieurs sens, durant la vie d’un individu, entre des catégories socioprofessionnelles appartenant à des secteurs différents (production agricole, usines et ateliers de manufactures, services). Le problème de la mobilité sociale des individus doit être là encore envisagé selon un espace-temps où évoluent les individus, hommes et femmes, leur vie durant.
19Cet état de flux constant peut, a priori, dérouter le sociologue ou l’économiste qui, bien en peine d’appréhender ces phénomènes dans les grilles d’un modèle stable, aurait tendance à les nier, à en réduire l’importance ou à les interpréter négativement. De l’extérieur, cette situation peut donner en effet une impression d’instabilité, indice d’un malaise transitoire créé par les bouleversements de la modernisation. La littérature ethnographique offre pourtant bien des cas semblables parmi d’autres sociétés dites sédentaires et dont certains membres, bien que vivant d’agriculture ou d’horticulture, occupent plusieurs résidences sur différentes paroisses avec les habitants desquelles ils entretiennent des liens économiques et sociaux, sous forme d’échanges et d’obligations familiales et rituelles. C’est le cas par exemple de certaines sociétés des hauts plateaux de Nouvelle-Guinée, comme les Huli (Glasse 1968)8. Chez d’autres peuples à économie mixte, les individus se livrent à des activités diverses (agriculture, chasse et cueillette, pêche, transhumance) dans des lieux variant selon l’époque de l’année ou de la vie de chacun. Ces sociétés n’en ont pas moins été viables, hautement structurées et codifiées avec leur mode de vie, leur économie, leurs règles propres. Il en est de même du nouveau Bocage. Il est essentiel de mettre au jour la richesse et la logique de ses transformations.
Entre les mailles des statistiques : salariés à mi-viage
20A vrai dire, la majorité de la population active en Vendée bocaine se compose de ce qu’on pourrait appeler des ouvriers ou, de façon plus générale, des salariés, « à mi-viage9 ». Par ce terme, on entend que ces individus peuvent jouir, pendant une partie plus ou moins longue de leur vie « active » officielle, d’un statut bien défini de salarié à plein temps – plus probablement en usine, comme ouvrier spécialisé, ou dans d’autres emplois du secondaire et du tertiaire, allant jusqu’aux cadres moyens – mais leur salaire ne constitue qu’une partie de leurs revenus réels ou du capital qu’ils parviennent à accumuler. D’autres ressources, simultanées, antérieures ou postérieures à l’emploi salarié, viennent s’y ajouter. Ces ressources extra-salariales proviennent de deux sources : l’État, sous forme de prestations ou de traitement préférentiel ; et le complexe économico-culturel endogène, sous forme de biens, d’argent et de services.
21De ce fait le mode de vie de ces ouvriers ou salariés ruraux présente des différences notoires avec celui de leurs homologues citadins. Ainsi se dessine une catégorie socioculturelle nouvelle qui, chevauchant les grilles des statistiques, se faufilant entre leurs mailles, constitue en réalité une majorité omniprésente, occultée par les classifications professionnelles traditionnelles et la théorie des classes utilisant comme seuls critères les rapports de production et le niveau des salaires.
22Pour capter ces sources de revenus extra-salariaux et tirer l’incidence qu’elles ont sur le véritable statut économique et socioculturel de ces nouveaux travailleurs, il faut saisir d’abord les mécanismes de transfert, rotation et polyvalences qui relient dans un complexe économico-culturel original, la majorité de nos nouveaux salariés à deux autres catégories sociales, celle des agriculteurs, maintenant minoritaire ainsi qu’une troisième option, maintenant offerte aux Bocains au cours de leur vie : « être son patron ».
De la terre à l’usine ou au patronat : l’accès à la propriété
23Il y a d’abord le grand saut, lorsque le chef d’une exploitation agricole décide de « quitter la terre » et de s’embaucher chez Fleury-Michon, les bateaux Jeanneau, la fabrique de meubles, de chaussures, ou de vêtements la plus proche. On vend le cheptel, les outils et les machines agricoles, une partie de la terre, si on la possède. Parfois il faut régler les comptes avec les frères et sœurs, partis plus tôt, si le partage n’a pas été fait ; finir de leur payer des soultes, si on leur a acheté leurs parts, ou s’acquitter des dettes bancaires. Mais tout compte fait, il reste un capital assez substantiel pour se faire construire une maison neuve sur un terrain que l’on possédait ou que l’on achète, ou pour rénover de fond en comble la borderie sur laquelle on vivait et ses dépendances. En tout cas, ce terrain est toujours assez grand pour y établir au minimum un verger-potager, au plus quelques volailles et lapins, parfois même, surtout dans le sud du Bocage, des moutons. Si besoin est, on fait un emprunt-logement et garde une partie du capital pour mieux s’équiper en réfrigérateurs, congélateurs, machines à laver, fours à micro-ondes, appareils sanitaires plus modernes, renouveler la ou les voitures. Un bon nombre de ceux qui possèdent des bâtiments de ferme aménagent peu à peu les dépendances en gîtes ruraux, pour les louer à l’année ou pendant l’été, grâce à un emprunt à taux favorable et des avantages fiscaux.
24Ce type de transfert de l’agriculture à l’usine est irréversible. Du moins, n’ai-je point rencontré de cas où le grand pas fait, on fasse marche arrière. Par contre, parmi les jeunes, enfants d’agriculteurs ou même la seconde génération d’ouvriers, les transferts de l’un à l’autre secteur peuvent se produire à plusieurs reprises aller-et-retour, si l’on peut dire, dans la vie du même individu. Prenons l’exemple de deux frères, fils d’agriculteurs. Dans les années 60, les parents, encore actifs, occupent en location une assez grande ferme de près de 50 hectares dans le canton de Pouzauges. Le fils aîné reste d’abord avec eux comme aide familial, le puîné travaille à La Roche-sur-Yon comme technicien agricole. Lorsque les parents se retirent, le plus jeune quitte son travail salarié pour exploiter la ferme en gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun) avec son frère. La femme du plus jeune, bien que fille d’agriculteurs, n’a jamais travaillé « à la terre ». Elle était infirmière et abandonne d’abord son poste pour suivre son mari à la ferme, mais elle s’y ennuie et retourne travailler à l’hôpital de Fontenay-le-Comte où elle se rend en voiture tous les jours.
25Autre exemple : deux fils de petits bordiers (une quinzaine d’hectares) sont tous deux salariés, l’un sur une exploitation viticole dans le Muscadet, l’autre comme routier. Lorsque les parents prennent leur retraite, le cadet reprend la ferme agrandie de terres que son oncle, lui aussi retraité, lui loue. Il devient ainsi le locataire de son père et de son oncle. Sa femme travaille en usine comme secrétaire. Après quelques années, il s’aperçoit que cette petite ferme n’est pas rentable, il l’abandonne et s’engage comme chauffeur de poids lourds. Le scénario aurait été différent si la femme avait voulu revenir elle aussi à la terre. Le cas suivant est par exemple assez fréquent : un couple, mari et femme, tous deux salariés, reprennent la ferme familiale, à la retraite ou la mort des parents, le départ d’un frère ou de voisins des parents qui libèrent ainsi des terres contiguës permettant d’agrandir les surfaces cultivables. Cependant la femme continue un moment d’apporter son salaire d’appoint de l’usine, puis démissionne et fait un emprunt pour construire un élevage « hors sol » de volailles, lapins ou veaux sur une partie de la ferme exploitée par le mari. Ainsi le travail en usine sert partiellement à financer le retour à la terre. Lorsque les enfants sont élevés, ou si l’affaire ne marche pas assez bien, la femme a encore l’option de reprendre un travail salarié à l’extérieur.
26Une dernière voie pour le salarié est de s’établir à son compte en empruntant aux banques ou à la famille, pour créer une petite entreprise ou un artisanat ou succéder à son patron parti en retraite : un comptable d’usine prend une franchise d’assurance ; un ouvrier mécanicien dans un atelier de dépannage prend la suite de son patron ; un ancien cordonnier, tailleur ou menuisier fonde une petite fabrique de chaussures, de confection ou de meubles et devient peu à peu chef d’entreprise, petit ou même gros industriel. C’est l’histoire d’une grande partie des industries locales, témoignant du dynamisme de la population10.
27Quant aux jeunes ménages d’ouvriers qui démarrent dans la vie sans argent ni terre, ils parviennent cependant à devenir propriétaires de leur maison plus facilement que leurs homologues des villes. Les jeunes mariés, s’ils travaillent tous deux en usine, ont généralement accumulé des économies placées sur un compte épargne-logement au Crédit agricole, pendant les années où ils étaient nourris et logés chez leurs parents, même s’ils versaient à ceux-ci une petite somme. Les dessous économiques des rites de mariage11 apportent en outre d’autres atouts aux nouveaux mariés pour s’établir. L’accès rapide à la propriété privée dès les premières années de mariage n’est pas en soi un trait caractéristique en France des ouvriers urbains qui vivent plus probablement en hlm. Mais s’agissant de simples ouvriers spécialisés (os) dont les salaires sont inférieurs à ceux de leurs homologues des villes, la taille et la qualité de ces habitations rurales, comparées aux logements urbains, invitent à revoir le problème de l’urbanisation ou prolétarisation des campagnes sur des données ethnographiques plus complètes tenant compte des conditions réelles de vie.
28Commençons par l’espace habitable dont une majorité des salariés ruraux, statistiquement sous-payés, deviennent propriétaires12. Ces habitations sont de deux sortes : les fermes anciennes rénovées et les constructions nouvelles, soit individuelles, soit dans des lotissements qui s’établissent dans les bourgs-banlieues des chefs-lieux de canton comme La Châtaigneraie, Chantonnay, Pouzauges, Les Herbiers. Même si, d’apparence extérieure, ces nouveaux lotissements tranchent parfois sur le style des borderies et métairies anciennes aussi bien que des maisons des bourgs, leur conception intérieure correspond à des critères dictés par l’idéal bocain de la nouvelle maison où il est curieux de déceler les transformations subtiles de l’ancienne.
29Celle-ci n’avait, somme toute, que deux pièces, trois au maximum, et des dépendances. Avec ces maisonnées foisonnantes d’enfants, de collatéraux et de domestiques, on y vivait dans une promiscuité notoire. Seulement, pour tenir tout ce monde, ces quelques pièces étaient grandes, par rapport aux logements modernes, surtout de type hlm. Après la diaspora de la grande famille, ceux qui sont restés en ferme se sont retrouvés dans un espace vital beaucoup plus grand que celui dont jouit la majeure partie des citadins, y compris ceux de la classe moyenne. Devenus propriétaires, s’ils ne l’étaient pas déjà, les nouveaux agriculteurs ont gardé l’ancienne « maison », salle à tout faire autour du feu de cuisine, en séparant parfois le coin cuisine, avec son équipement moderne, du coin sociable autour de la table où l’on mange, parle ou reçoit ceux qui passent ; où l’on tricote et regarde la télévision, ce qu’en termes urbains on appellerait, salle de séjour. La deuxième pièce est transformée, selon les possibilités et la taille de la ferme, soit en chambre à coucher et salle de bains, soit en salon-salle à manger, pour les occasions plus solennelles. En ce cas, les chambres sont prises sur la troisième pièce, s’il y en avait une, sur l’ancien appentis qui sert souvent de salle de bains, et sur les dépendances et les greniers. De l’ancienne ferme, on garde aussi ce qu’on appelle la « cave », en réalité cellier où les hommes se reçoivent et trinquent ensemble, le garage où ils jouent aux palets, une arrière-cuisine (l’ancienne « souillarde ») où l’on garde bocaux, conserves, jambons et le congélateur dont est pourvue toute maison qui se respecte. Dans une autre dépendance, on aménage la buanderie avec machine à laver et un préau attenant pour étendre le linge. Les fermes les plus modernes ont le chauffage central, les autres se contentent de la cuisinière et de poêles mixtes, à bois et mazout.
30Ce nouveau modèle de ferme se retrouve, avec des variations, dans les constructions nouvelles des ménages ouvriers devenus propriétaires, soit en rénovant une vieille maison, soit en s’en faisant construire une nouvelle sur un terrain acheté à un agriculteur ou dans un lotissement. Celui-ci est généralement subventionné par la commune qui achète des terrains regroupés avant de confier la construction à un promoteur. Le droit d’achat est soumis à certaines règles (salaire, nombre d’enfants), mais est en fait largement ouvert aux salariés et plus particulièrement aux ouvriers employés dans les usines de la commune.
31Prenons l’exemple d’un lotissement aménagé par la commune de La Tardière, sorte de banlieue-village de La Châtaigneraie, qui a connu une croissance remarquable depuis une quinzaine d’années. Ce lotissement est partagé en une douzaine de lots. La superficie de chacun varie entre 893 m2 et 1 280 m2. Un jeune ménage d’ouvriers avec deux enfants en bas âge ont pu ainsi s’y faire construire une maison à deux étages de 180 m2, avec un jardin de près de 1 000 m2. On y retrouve les pièces des nouvelles fermes modernisées, grande cuisine, salon-séjour, 3 chambres, une salle de bains et au sous-sol, 2 garages, une buanderie, une cave-cellier dont nous verrons plus loin l’importance sociale. De plus, pour respecter le « chacun chez soi », si important pour les Bocains, les maisons doivent être séparées les unes des autres par un espace suffisant, ou bien tournées dos à dos pour qu’on ait « ses aises ». Au besoin, on plantera des haies vives épaisses, comme rideau de protection.
32En tout cas, contrairement aux apparences, il est clair que la modernisation et les transformations radicales de l’habitat, symptomatiques de l’urbanisation des campagnes, ne conduit pas nécessairement à l’acculturation citadine. Les pouvoirs locaux, commune ou département, doivent tenir compte des critères propres aux Bocains. Les constructions qui ne répondent pas à ces critères ne trouvent pas d’acheteurs. Elles sont louées de façon temporaire, en attendant de trouver mieux. Une maison qui n’a ni jardin, ni cellier, ni garage, et des pièces jugées trop petites, ou qui laisse entendre « les pets du voisin », est jugée « inserviable », indigne d’abriter des humains : ce sont des « cages à poules », dont le hlm urbain est le symbole, l’antimodèle de l’idéal bocain13.
33Au cours des quinze dernières années, l’intérieur de ces maisons n’a cessé de s’améliorer aussi bien en équipement ménager (réfrigérateurs, machines à laver, robots de toutes espèces), en appareils électroniques et audiovisuels (télévision, chaînes stéréo, vidéos, calculatrices, minitels et, plus récemment, micro-ordinateurs) qu’en décoration. Après la vogue du formica, du plastique et du nylon, on retourne aux meubles rustiques, voire anciens, à la boiserie, même pour les meubles de cuisine faits sur mesure en chêne par des artisans, à la faïence et la ferronnerie d’art.
34Pourtant, ces biens de consommation, la propriété et l’espace dont jouissent de plus en plus de Bocains, ne leur seraient sans doute pas accessibles, même avec deux salaires et l’apport des pouvoirs publics (prêts à bon marché, subvention des communes), si d’autres facteurs n’intervenaient. Trois types de biens non taxés accroissent le revenu réel de ces nouveaux salariés : en nature, les produits d’activités de subsistance (jardinage, chasse et cueillette) ; en argent, les petits travaux, déclarés ou non, à la limite des services rendus et du travail au noir ; enfin, les à-côtés du salaire, bénéfices à la fois en nature et en argent, provenant de l’employeur ou de l’Etat.
Autoconsommation : jardinage, chasse et cueillette
35En 1975, lors de mon stage chez Fleury-Michon, un représentant syndical cgt me contait ses déconvenues : impossible de remuer ces Bocains. Une grève organisée pour augmenter les salaires et diminuer les cadences n’aurait été suivie que par « trois pelés et un tondu ». Pourtant, chiffres en main, il était clair que les salaires des os (ouvriers spécialisés) étaient bien inférieurs à ceux des villes. Me faisant l’avocat du diable, je hasardai un parallèle entre les dépenses respectives d’un ouvrier à Pouzauges et à Paris, ne serait-ce que pour se nourrir, vu le prix des légumes et des fruits chez l’épicier, comparé à ceux du jardin. « Mais justement, rétorqua-t-il, faut-il que le jardin soit une institution pour maintenir les bas salaires ? »
36C’était là toucher un point crucial de l’économie politique du Bocage contemporain : entre autres activités de subsistance, le jardinage comme « institution » est-il un moyen d’exploitation ou au contraire d’émancipation ? Il faut commencer par l’espace qu’occupe cette activité dans le territoire agricole. Encore en 1980, plus de 30 % de la surface cultivée était divisée en parcelles de moins de 5 hectares. Alors que la taille des petites exploitations (de 5 à 20 hectares) a considérablement diminué au profit des plus grosses, les moins de 5 hectares se maintiennent, faussant ainsi les statistiques (Chauvet et Renard 1982 : 431)14. On a vu comment, dans le transfert de la terre à l’usine, ou simplement à la retraite, les anciens agriculteurs gardent quelque terre pour eux et en vendent parfois une partie comme terrain à bâtir, à des ouvriers ou à des agriculteurs qui veulent se construire une maison neuve. Ces parcelles servent en partie à faire venir les légumes, fruits, vignes, parfois quelques lapins et volailles, à avoir quelques ruches, non seulement pour la famille qui réside sur place, mais aussi pour les enfants dispersés. En tout cas le surplus est redistribué – nous verrons plus tard comment –, mais assez rarement vendu. Par contre, les Bocains qui, en retraite ou en usine, ont gardé des moutons ou des chèvres, se font, avec la laine, la viande ou les fromages, un petit revenu d’appoint.
37Chasse, pêche et cueillette ajoutent aux produits maraîchers quelques oiseaux et lapins de garenne (sur les chasses communales de moins en moins fournies, à cause du remembrement et des cultures)15, du poisson de rivière ou d’étang (surtout des carpes), des baies sauvages (mûres, prunelles, guignes), une grande quantité d’escargots et de champignons (cèpes, mousserons des prés, trompettes-de-la-mort) pendant la saison, et finalement du miel. Les produits récoltés sont utilisés toute l’année, grâce aux conserves en bocaux, aux confitures et surtout au sur-gelage de fabrication maison, dans les congélateurs géants que presque toute famille possède. De même pour l’habillement, outre celui qu’on obtient à bas prix des usines de confection, les tricots de laine, faits main ou machine, la couture des femmes qui restent à la maison, accroissent là encore le pouvoir d’achat de la famille.
38L’apport économique de ces activités de subsistance est évident. Comme dans l’ancien temps, l’autoconsommation libère l’argent gagné, fût-il par le bétail comme jadis, ou en usine comme maintenant, pour un surplus de bien-être que le salaire gagne-pain ou les petites rentes de retraités, n’auraient jamais pu produire. Soulignons aussi que ces pratiques ne concernent pas seulement les ouvriers, mais aussi des salariés du secteur tertiaire (instituteurs, employés de banque ou de commerce, services médicaux), y compris, surtout depuis les années 80, ceux qui, grâce à leurs études, ont des professions de cadres moyens. Il en est de même de ceux qui se mettent à leur compte (service de dépannage, électriciens, assureurs). En outre, la pratique ancienne de la « petite caisse » trouve son parallèle dans les revenus supplémentaires déclarés ou non, qui, en dehors du travail salarié, apportent un appoint d’argent.
Les à-côtés du salaire : rendre service ou travail au noir ?
39Paradoxalement, si la pratique de la « petite caisse » tend à diminuer chez les « vrais » agriculteurs16, elle se développe et se diversifie au contraire chez nos salariés « à mi-viage », surtout dans les ménages où la femme ne travaille pas et chez les retraités. Chez les hommes, la source la plus fréquente provient de petits travaux qui nécessitent une compétence reliée aux activités de subsistance : l’ouvrier qui récolte le miel de ses ruches, fait l’apiculteur pour les particuliers qui en ont mais ne s’en occupent pas. Les bouchers des abattoirs ou de Fleury-Michon vont tuer et découper les cochons ou plus rarement les moutons, abattus pour la consommation familiale dans les fermes ou chez les ouvriers. D’autres, tels les instituteurs ou employés qualifiés prennent un deuxième travail à temps partiel, généralement à leur compte ou sur commission, comme représentants de commerce ou agents d’assurances. Quant aux femmes, ce sont plutôt des travaux de couture, tricot, repassage, ménage, garde d’enfants, qui alimentent la petite caisse. A cela s’ajoute, pour certaines, la vente à domicile de produits américains Avon (toiletterie et maquillage) et Tupperware (boîtes de rangement en plastique). Comme pour les hommes, il est parfois difficile de trouver la limite entre services rendus à la communauté et travail au noir. Les sommes ainsi gagnées sont du reste trop modestes pour être taxées, du moins en ce qui concerne les femmes au foyer. Lorsque celles-ci trouvent un travail officiel, même à temps partiel comme « aide ménagère » ou « aide-soignante », elles le font sans hésiter.
40La propriété terrienne peut aussi rapporter un supplément à la retraite ou au salaire. Comme nous l’avons vu, d’anciens fermiers devenus ouvriers d’usine louent des gîtes ruraux, anciennes dépendances rénovées, à des vacanciers l’été ou à des jeunes, à l’année. Il faut ajouter le fermage des terres laissées par les retraités aux agriculteurs actifs et, si la terre s’y prête, la vente de produits des moutons et chèvres ou de lapins angora que certains retraités ou ouvriers, hommes et femmes, continuent parfois d’élever. Sur leurs lopins de terre, certains ouvriers cultivent des pommes de terre ou des arbres fruitiers dont ils vendent en gros une ou deux tonnes par an ; d’autres élèvent, soit des faisans ou du gibier d’eau, lâchés ensuite dans la nature pour la chasse à tir, soit des chiens de chasse ou des chevaux pour le compte des actionnaires de chasses.
Avantages supplémentaires : l’employeur et l’État
41Enfin, être salarié à plein temps apporte une série d’avantages sociaux et de bénéfices supplémentaires en nature ou en argent, qui tiennent une place non négligeable, en dehors du revenu légal, et distinguent la position de ces salariés ruraux par rapport à ceux des villes. Ces avantages proviennent de deux sources : l’employeur et l’État.
42En plus du salaire, bien des entreprises locales offrent en effet des à-côtés appréciables qui augmentent le pouvoir d’achat de leurs ouvriers. Ceux de Fleury-Michon par exemple, rapportent de la coopérative de l’usine la viande de boucherie, la charcuterie, les conserves et produits cuisinés, vendus au personnel presque à prix de gros. D’autres obtiennent de leur usine au prix « fabrique » des meubles rustiques, ou des vêtements, des chaussures de sport, ou des chemises « à défaut » Pierre Cardin pour en habiller toute la famille. A cela s’ajoutent les repas à la cantine subventionnés par l’entreprise ainsi que les camps de vacances pour enfants l’été, gratuits pour les plus bas salaires, ou à un prix minime pour les autres. A l’occasion, l’ouvrier en peine va trouver son patron, comme jadis le fermier son propriétaire, pour lui demander, en cas d’urgence, une avance personnelle sur son salaire, sans payer d’intérêt.
43En cela les patrons des grosses usines, issus de la région pour la plupart, continuent d’entretenir avec leurs ouvriers les rapports de patronage qui reliaient jadis messieurs et travailleurs. On verra dans les chapitres suivants, comment ces liens entre patrons et ouvriers, se renforcent au cours des grands rites que sont le mariage et la chasse à courre. Pour le moment, il importe de souligner le rapport de ces avantages venus de l’employeur avec ceux que fournit l’Etat aux salariés comme aux agriculteurs : allocations familiales, allocations logement, sécurité sociale, bourses d’études...
44On ne peut sous-estimer l’importance de ces bénéfices. Les sommes venues de l’État peuvent être en effet égales ou supérieures au salaire reçu, en particulier en cas de salaire unique. En 1975 par exemple, un maçon payé 1 800 F par mois, recevait 1 650 F d’allocations familiales pour cinq enfants à charge, 280 F pour la femme au foyer, soit un peu plus que son salaire, auquel s’ajoutaient l’allocation logement et les bourses des enfants. De ce point de vue on pourrait soutenir que l’État aide ainsi indirectement les entreprises à maintenir les bas salaires des ouvriers, au même titre que « l’institution » du jardin et autres activités de subsistance : sans ses apports supplémentaires, l’ouvrier n’aurait pas suffisamment pour vivre.
45Ces prestations gouvernementales concernent en principe équitablement tous les Français, en proportion de leurs revenus et du nombre de personnes à charge. Pourtant, même sous cet angle, une autre différence sépare ces nouveaux ouvriers ruraux de ceux des villes. Ces derniers, ayant des salaires relativement plus hauts, acquis dans des luttes syndicales, payent des impôts dont une partie nourrit les caisses d’allocations versées par l’État à ceux qui en ont le plus besoin. Or, par suite des relativement bas salaires, de la forte natalité et des déductions liées à la propriété de la maison (emprunt-logement acquis aux caisses locales de crédit à des taux privilégiés par rapport aux villes) ou aux dépenses d’économie d’énergie, une grande partie des jeunes ménages ouvriers du Bocage ne paient pratiquement pas d’impôts pendant plusieurs années et ensuite très peu par rapport aux villes. Ainsi les relativement bas salaires, la forte natalité et la faible imposition de ces ouvriers vendéens les placent, par rapport aux ouvriers syndiqués des villes, en position de bénéficiaires ou d’assistés privilégiés de l’Etat. En cela ils se rapprochent des agriculteurs qui, pour d’autres raisons – impôts forfaitaires et remboursement des énormes dettes professionnelles qu’ils encourent – sont eux aussi faiblement imposés17.
46Il est sans doute difficile de comptabiliser les gains indirects provenant des diverses sources que j’ai analysées pour calculer le revenu réel de nos ouvriers à mi-viage. Encore faudra-t-il tenir compte aussi de la circulation et de la répartition de ces biens extra-salariaux entre les différents individus ou groupes par des réseaux d’échange où nous retrouverons bientôt les avatars du coublage. On peut toutefois entrevoir dès maintenant l’écart économique et socio-culturel qui sépare ces ouvriers ou salariés ruraux de leurs confrères urbains. Le revenu réel et le capital foncier des ruraux sont sans commune mesure avec le salaire qu’ils reçoivent. Sous cet angle, ils feraient plutôt figure de « sous-prolétaires18 », sous l’autre, de paysans « embourgeoisés » ou de « classe moyenne », et ils constituent ainsi un phénomène hybride par rapport aux classifications établies. Reste à savoir comment et dans quels termes cette majorité omniprésente de « salariés à mi-viage » coexiste sur le même terrain avec la minorité décroissante de ceux qui travaillent à la terre.
47Malgré le flux des individus d’un mode de production à l’autre, et les liens de famille et de voisinage entre les deux, ne voit-on pas se dessiner des failles, des ruptures, des conflits qui, dans le travail comme aux heures de loisirs, peuvent mener à la formation de deux classes sociales distinctes, avec des intérêts divergents, voire opposés, se reproduisant chacune séparément19 ? Ou bien la conscience d’être « de même », qui, malgré les différenciations sociales, unissaient jadis les « travailleurs » face à la catégorie des « messieurs », va-t-elle transcender ces différences, soit pour s’ériger en conscience de classe, soit pour continuer les solidarités, et pour ainsi dire, les réflexes communautaires qui caractérisaient le Bocage, perpétuant ainsi le mythe vendéen ?
Ouvriers et agriculteurs : mythe chouan, classe et communauté
Relations verticales : patronage ouvrier, syndicalisme agricole
48Une des conséquences les plus étonnantes de la modernisation de l’agriculture et de l’industrialisation rurale vendéenne est le renversement de l’attitude respective des agriculteurs et des ouvriers envers les pouvoirs qui les dominent. Paradoxalement, les rapports verticaux entre maîtres et travailleurs, avec ses diverses formes de patronage, semblent avoir maintenant quitté la terre pour l’usine. Malgré les bas salaires et des conditions de travail qui laissent souvent à désirer, les rapports entre patrons et ouvriers sont négociés à l’amiable dans des conseils entre personnel et direction. Le parrainage, étayé sur les réseaux de famille, de voisinage, d’amitiés, joue un rôle important dans le recrutement. Il est important de savoir d’où « on est sorti ». La syndicalisation des salariés, surtout chez les ouvriers, et l’incidence des grèves restent très faibles par rapport, à la fois à la moyenne nationale, et au militantisme agricole régional.
49Sans doute conscients de ce qui les sépare de la clientèle des gros syndicats nationaux, cgt, cfdt et fo, nos ouvriers à mi-viage ont montré peu de solidarité avec eux dans les grèves générales. Non seulement les consignes syndicales pour de telles grèves de solidarités ne sont pas suivies, mais ceux qui la font ou incitent à la faire se voient souvent déboutés par leurs collègues. Ce fut le cas de la grève générale qui paralysa la France à la suite de la révolte des étudiants en mai 1968. Les récits épiques qui m’ont été faits par les ouvriers-bouchers de Fleury-Michon lors de mon stage à l’usine en 1975, ressuscitaient les luttes des guerres de Vendée. Quelques syndicalistes entrèrent dans les ateliers pour encourager les ouvriers à arrêter le travail et manifester à l’extérieur. « On n’a rien dit. On s’est juste tournés vers eux, nos couteaux à la main. Ils ont compris et sont partis. Nous on s’est remis au boulot. » Cette grève, d’après eux, étant politique, ne les concernait pas. Ils n’y voyaient nul gain professionnel, mais simplement des consignes venues de l’extérieur, de Paris, centre des grands syndicats, donc une affaire de « Bleus », occasion de rappeler qu’ils étaient vendéens, « Ventres-à-choux », Chouans et ne se laissaient pas prendre au piège. On retrouve donc là, de façon frappante, la méfiance chouanne contre le pouvoir jacobin centralisateur. La fermeture de nombreuses petites entreprises de la région, surtout dans le vêtement, le bois et la chaussure, et le chômage qui s’est étendu vers la fin des années 70 et une partie des années 80 n’a fait que renforcer cette apparente apathie syndicale des ouvriers. L’important pour eux est d’avoir du travail et d’aider l’entreprise à marcher. Dans le secteur tertiaire, d’autres raisons interviennent, telles celles avancées par un facteur pour justifier que les employés de la poste locale restèrent au travail, malgré une grève nationale des ptt, dont il reconnaissait pourtant la raison d’être :
A Chantonnay, on n’a pas fait la grève. On peut pas emmerder les gens. On connaît tout le monde. Les gens à qui on livre le courrier, c’est tous des potes. Le boulanger, le charcutier, tout ça, ils attendent tous le courrier. On peut pas leur faire ça. Les postes, ça marcherait mieux, l’est sûr, si y avait plus de personnel.
50Au contraire, les agriculteurs modernisés, formés dans les groupes de la jac (Jeunesse agricole chrétienne), se sont très vite organisés, non seulement au niveau de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (fdsea*), branche vendéenne de la Fédération nationale du même nom (fnsea*) et d’autres syndicats agricoles, mais aussi de toutes sortes d’organisations qui leur permettent à la fois d’être mieux informés de tout ce qui touche leurs intérêts professionnels et au besoin, de les défendre activement contre les pouvoirs dont ils dépendent ou qui les menacent. Ces pouvoirs ne se réduisent pas, comme dans l’ancien temps, aux propriétaires des terres qu’une bonne partie des exploitants louent encore. Informé par La Vendée agricole, organe de la fdsea, Vent d’Ouest, journal des travailleurs-paysans et/ou les nombreuses publications et réunions d’associations professionnelles plus spécialisées (lait, viande, volailles...), tout agriculteur est conscient que la réussite ou l’échec de son exploitation, les cours du marché et, par là même, le sort de sa famille, ne dépendent pas seulement de son propriétaire, s’il loue ses terres, mais aussi des industries chimiques (fournisseuses d’engrais) et alimentaires (productrices d’aliment-bétail ou acheteuses de bétail et autres matières brutes), de décisions prises à Paris ou à Bruxelles, d’événements politiques qui peuvent se produire à l’autre bout du globe, du temps qu’il fait, non pas seulement dans sa petite région, mais dans les plaines du Minnesota ou les steppes d’Asie centrale.
51Cette connaissance accrue des rouages de son métier et de la conjoncture internationale s’allie à un militantisme qui s’est marqué depuis 1974, soit par des barrages de route, des arraisonnements de camions Fleury-Michon, des manifestations massives pour se faire entendre et reconnaître du public, soit par des actions de soutien à des confrères de la région jugés injustement traités par leurs propriétaires ou par la loi. Dès les années 70, ces derniers ont appris que les fermiers n’étaient plus seuls, sans défense, que ce soit face aux anciens « maîtres » comme dans l’affaire Poivet/de la Débutrie à Rochetrojoux, et celle de Mme de Chanterac à Monsireigne, ou contre l’application pure et simple de lois afférentes au droit de propriété, comme dans l’affaire Huvelin à La Viverie-de-Pouzauges, toutes trois se produisant au cœur même de la région étudiée20. La fdsea a fait amplement état de ces conflits et pris parti pour la défense des exploitants en place. La solidarité syndicale a marché à fond, mobilisant par la presse (La Vendée agricole, organe de la Fédération et les journaux de l’Ouest), le soutien de ses adhérents, sous forme de manifestations pacifiques, et de pression politique21.
52Peut-être plus significative encore est la solidarité déployée par les exploitants de la région dans les causes professionnelles au plan national ou européen. En septembre 1974, la fnsea organisait une journée d’action syndicale dans toute la France pour obtenir de la commission agricole de Bruxelles une augmentation des prix agricoles et le maintien de la fermeture des frontières du Marché commun pour les viandes. Après avoir annoncé en gros titres : « Lundi 16 septembre, de 10 heures à 12 heures, pas de tracteurs dans les champs ! Tous sur les routes avec les agriculteurs de toute l’Europe ! », la semaine suivante, la Vendée agricole pouvait se réjouir du bilan : « Comme dans toute l’Europe, plus de 10 000 tracteurs sur les routes de Vendée. » Me trouvant sur les lieux, j’ai pu constater la participation massive à la manifestation des agriculteurs de notre microrégion : les champs vides, et les tracteurs faisant barrage sur les routes de Saint-Sulpice, La Châtaigneraie, Chantonnay, Pouzauges, au carrefour de Bazoges-en-Pareds, à celui de l’Oie où jadis les Chouans mettaient les Bleus en fuite. Hommes, femmes et enfants occupaient la route, les uns assis sur les tracteurs, les autres debout, distribuant des tracts, ou appuyés contre les talus, plaisantant entre eux, tandis qu’on passait une bouteille où chacun buvait pour se rafraîchir. Sans agressivité, les manifestants arrêtaient momentanément les automobilistes, puis les laissaient passer après leur avoir expliqué leur cause et le bien-fondé de leurs revendications. On y retrouvait ainsi l’atmosphère de la couble, avec sa solidarité entre les membres de maisons qui se connaissent, travaillent, mangent et boivent ensemble, avec pourtant quelque chose de nouveau : la conscience très nette d’appartenir à un vaste ensemble d’autres coubles, réparties non seulement sur le territoire de la Vendée et de la France, mais aussi dans toute l’Europe.
53A l’occasion, ce syndicalisme agricole militant peut même se tourner contre des industries locales dont les exploitants agricoles jugent certaines pratiques nuisibles à leurs intérêts. En 74-75, ce fut le cas de l’entreprise Fleury-Michon, accusée par les agriculteurs d’importer à bas prix des viandes, comme les foies de porc, de pays situés hors de la Communauté européenne comme la Chine, faisant tomber du même coup les cours de la production locale. Sur ce point, les agriculteurs de la région qui arraisonnaient les camions Fleury-Michon allaient directement sur les brisées de leurs parents et voisins ouvriers de l’usine. Se sentant atteints dans leur gagne-pain, la plupart de ces derniers firent front avec leurs patrons et condamnèrent les méthodes employées (comme certains agriculteurs plus modérés, même s’ils étaient d’accord pour protester).
54Cette situation tendrait donc à creuser un fossé entre agriculteurs et ouvriers, d’autant plus facilement qu’on le retrouve, en dehors du travail, au plan de leur participation respective au pouvoir municipal et régional.
Espace social et pouvoir municipal
55Dans l’ancien temps et jusqu’aux premières années de la révolution verte, le pouvoir communal et départemental était entièrement entre les mains des « messieurs », notables du pays, avec une proportion relativement grande de nobles. On a vu comment pour les « travailleurs », fermiers ou artisans, la communauté n’était pas centrée sur le village, mais sur les solidarités entre « maisons » qui s’étendaient de proche en proche sur le Bocage en un vaste réseau, bien au-delà des limites de la commune. Du reste, que pouvaient-ils attendre de celle-ci, puisqu’elle était contrôlée par ceux mêmes qui dominaient déjà leur sort professionnel et domestique ? Cette situation a radicalement changé avec la révolution verte. La commune a pris alors une importance nouvelle pour les travailleurs. Elle leur a ouvert la possibilité de participer activement aux décisions concernant l’organisation de l’espace, non seulement pour le remembrement des terres, mais aussi, avec les pos* (plans d’occupation du sol), l’usage et la répartition du territoire de la commune entre espace agricole et espace d’urbanisme (lotissements, implantation d’usines), l’octroi des permis de construire pour les habitations aussi bien que les ateliers agricoles (porcheries, stabulations...), toutes questions sujettes à litiges, points chauds pouvant mener à des conflits ouverts ou cachés, voire à des affrontements entre agriculteurs et ouvriers. Il importe donc de suivre la composition des conseils municipaux et la représentation respective des divers groupes sociaux dans les mairies.
56Au cours des quinze dernières années, le nombre des anciens notables et nobles comme maires ou conseillers municipaux n’a cessé de diminuer dans les quatre cantons observés, comme dans le reste de la Vendée. Ils ont été remplacés peu à peu, d’abord par les nouveaux seigneurs, chefs d’entreprise comme le pdg de Fleury-Michon, maire de Pouzauges jusqu’à son décès, puis par des professionnels, des cadres moyens et des agriculteurs. La participation active de ces derniers au pouvoir local, comme maires ou conseillers municipaux, est frappante, alors que leur nombre décline dans la population. Par contre, si les salariés dominent au conseil municipal de certaines communes, les ouvriers parmi eux ont tendance au contraire à y être sous-représentés ou même absents22.
57Tout se passe donc à première vue comme si, avec la révolution verte, seuls les agriculteurs, libérés du joug des « messieurs », avaient acquis un pouvoir de défense collective dont ils étaient démunis jadis, et la conscience d’appartenir à une classe sociale avec ses intérêts propres. Les ouvriers au contraire, adoptant une attitude passive, semblent laisser les rouages des rapports de patronage, tempérés, il est vrai, par l’influence de l’État23, régler leur sort professionnel, et leurs intérêts de résidents non agricoles, aux salariés ou commerçants plus instruits. En somme, perpétuant le mythe vendéen/royaliste, ces ouvriers à mi-viage se retrouvent paradoxalement, face à leurs employeurs et au reste de la communauté, comme les fermiers et métayers de l’ancien temps face aux « maîtres ».
58Signes de ralliements et d’identité, ces stéréotypes semblent poursuivre l’image de la Vendée aussi bien de l’intérieur, comme explication facile de différenciations internes, que de l’extérieur, comme modèle de continuité dans le changement social (« Plus ça change, plus c’est la même chose »)24. Reste à savoir si les deux critères sur lesquels repose le mythe – cléricalisme et conservatisme politique –, suffisent à rendre compte du modèle vendéen de modernisation et, plutôt que de l’éclairer, n’occultent pas son originalité. Nous avons montré que dans le passé, c’était déjà le cas. Le présent nous en offre la contre-épreuve.
59En suivant la logique même du mythe, on devrait retrouver le dualisme Chouans/« Bleus », avec une scission cohérente entre d’un côté, les nouveaux agriculteurs modernes, « progressistes », dynamiques, engagés dans le syndicalisme et détachés de l’influence cléricale (qui, d’après le mythe, va de pair avec le Chouan royaliste), et de l’autre, les ouvriers à mi-viage, passifs, sans défense, perpétuant dans leur nouveau mode de vie, aux côtés de quelques « paysans » arriérés qui subsistent, une soumission ancestrale aux maîtres et à l’Église. Or, rien ne serait plus faux. D’abord, ce sont les agriculteurs « progressistes » qui, formés par les Jeunesses chrétiennes, gardent des comportements cléricaux (participation à la messe et aux écoles privées), et les ouvriers conservateurs, soumis aux nouveaux « maîtres », qui se sécularisent, font tout au plus leurs Pâques, et ne gardent avec l’Église qu’un attachement temporaire aux heures de rites de passage (mariage, baptême, communion, décès)25. Ensuite, le dynamisme militant des agriculteurs vendéens se distingue fortement du syndicalisme ouvrier en France, et de ses tendances politiques. La Fédération départementale (fdsea), comme la Fédération nationale (fnsea), est une union professionnelle, s’occupant essentiellement de problèmes d’exploitations agricoles et de la défense des exploitants, sur le plan juridique, fiscal et celui des structures. Ce qui caractérise la Fédération des exploitants agricoles en Vendée, c’est justement le dynamisme de ses adhérents par rapport aux autres régions où elle est représentée26. En outre, la pointe la plus militante des agriculteurs, la ffa*, souvent en désaccord avec la fdsea, est de tendance corporatiste, c’est-à-dire aux antipodes des syndicats nationaux ouvriers. Le modef* (Mouvement de défense des exploitants familiaux), au contraire, d’obédience communiste, a peu de succès dans le Bocage.
60La méfiance générale des agriculteurs à l’égard du syndicalisme politisé des grandes organisations nationales semble donc indiquer une continuité, plutôt qu’une rupture avec l’attitude également distante ou tiède des salariés vendéens à l’égard des syndicats nationaux. C’est ailleurs qu’il faut se tourner pour comprendre pourquoi les solidarités professionnelles face aux pouvoirs jouent chez les agriculteurs, et non chez les ouvriers. La rupture, s’il y en a une, se trouve d’abord dans l’écart entre les rapports de travail à la ferme, parmi les agriculteurs, et ceux qui existent, au sein des entreprises, parmi les ouvriers ou autres salariés. Il faudra voir ensuite s’il n’existe pas d’autres zones de clivage à l’intérieur même de chaque groupe.
61Dans l’ancienne communauté, les rapports de travail découlaient, nous l’avons vu, de deux types d’organisation communautaire, étroitement reliés : l’une, fortement hiérarchique, celle de la maison, unité d’exploitation par le groupe domestique, l’autre, égalitaire, celle de la couble, fondée sur le partage, l’échange de biens et de services entre différentes « maisons ». Or, ces deux clefs de voûte de l’ancienne communauté bocaine ont subi des transformations divergentes chez les ouvriers et les agriculteurs, pendant le temps de travail, mais convergentes, pendant les loisirs. Chez les salariés (du secteur secondaire comme du tertiaire) ces transformations sont en effet étrangères au mode de production, mais essentielles à l’économie non officielle, extra-salariale, où nous retrouverons, au chapitre suivant, les avatars du coublage. Chez les agriculteurs au contraire, le coublage fait plus que jamais partie de l’organisation du travail à la terre, du mode de production même, inspirant de nouvelles formes associatives.
« L’utopie du partage » : modernisation et coublage aux champs
62La solidarité des agriculteurs face aux pouvoirs extérieurs trouve en effet sa réplique dans la coopération entre fermes qui se manifeste par le succès exceptionnel de formes associatives modernes, reconnues par l’Etat, depuis les groupements techniques : ceta* (Centre d’études techniques agricoles), gva* (Groupement de vulgarisation agricole), sica* (Société d’intérêt agricole), jusqu’aux coopératives spécialisées (lait, porc ou volailles), en passant par l’entraide mutualiste, cuma* (Coopération d’utilisation du matériel agricole) et gaec* (Groupement agricole d’exploitations en commun). Alors que les premières établissent l’achat en commun de machines par plusieurs fermes qui peuvent être exploitées indépendamment les unes des autres, les seconds forment une société civile entre plusieurs exploitants agricoles exploitant en commun des terres en propriété ou en location27.
63Or ces gaec n’ont connu en France qu’un bref succès après la guerre. Ils ont augmenté au contraire considérablement en Vendée depuis les années 60 au point d’arriver en tête sur le plan national28. On peut attribuer ce succès au fait qu’il s’agit de moyennes exploitations consacrées à l’élevage. Il existe en effet une nette corrélation au plan national entre ce type d’agriculture et le nombre de ces associations, ce qui est conforme au but visé par la création de ces deux institutions. Pourtant cela ne suffit pas à rendre compte de l’ampleur du phénomène par rapport à d’autres régions. Il s’explique au contraire, dès qu’on compare ces associations nouvelles à l’organisation du travail agricole dans l’ancien Bocage. Par un processus assez remarquable, en créant un cadre juridique à ces associations, l’initiative de l’État a servi de catalyseur à une série de transformations réciproques entre d’une part, des structures préexistantes de l’ancienne communauté et, de l’autre, par rétroaction, l’institution gouvernementale.
64Prenons le cas des cuma. Dès que le crédit est devenu disponible après la guerre29, ces coopératives ont permis aux agriculteurs d’acheter en commun à plusieurs fermes ce que chacune séparément n’aurait pu s’offrir. C’était aller dans la logique même du coublage où plusieurs « maisons » louaient en commun la batteuse et œuvraient ensemble aux récoltes de chacun, à tel point que bien de ces coopératives qui m’ont été décrites comme cuma, n’étaient pas en fait déclarées comme telles30. Leur création s’est effectuée d’autant plus facilement entre membres des coubles existantes que la mécanisation, en supprimant le besoin de bras à l’intérieur de chaque ferme, et réduisant le nombre de personnes qui peuvent en vivre, a rendu peut-être plus que jamais indispensable la coopération entre fermes voisines au moment des travaux saisonniers. L’ensilage en particulier, inconnu ici avant la révolution verte, nécessite non seulement la location ou l’achat de matériel en commun, mais aussi la participation du travail de plusieurs fermes, comme jadis les battages. Le coublage est ainsi la réponse bocaine au problème de la demande saisonnière de main-d’œuvre supplémentaire, résolu ailleurs, comme dans les pays à vignobles ou d’arboriculture, par des salariés migrants, souvent étrangers. Ici au contraire, rares sont les fermes qui emploient des salariés, alors que jadis la plupart avaient domestiques et journaliers, loués à l’année31.
65Ainsi, le but principal de l’institution des cuma converge avec un besoin des agriculteurs : partager le coût et l’utilisation de machines et permettre la mécanisation à moindre frais. Mais le maintien, ainsi que le succès du système, alors qu’il est retombé dans d’autres régions, est attribuable en partie à un but secondaire, propre au Bocage : maintenir la couble, au moment des gros travaux saisonniers, sans laquelle il faudrait sans doute importer de la main-d’œuvre. A cela s’ajoute l’abondance des gaec qui vont généralement de pair avec les cuma, mais non l’inverse.
66La prolifération des gaec reflète des transformations, on pourrait presque dire manipulations, beaucoup plus complexes, à la fois de l’ancien coublage et de l’institution nationale telle qu’elle a été conçue par les organismes d’État. Créés au début des années 60, les statuts de gaec s’inscrivent, comme ceux des cuma, dans le plan général de modernisation de l’agriculture française, mais visent plus spécifiquement l’agrandissement des structures agraires. En favorisant la coopération entre voisins par une aide matérielle et technique32 pour exploiter en commun des terres contiguës, le but était d’assurer de meilleurs rendements sur un espace plus large. Ce nouveau type de coopération entre agriculteurs, même s’il peut renforcer, là encore, les habitudes de travail en commun de jadis, va radicalement à l’encontre de l’ancienne organisation hiérarchique de la production agricole. A la différence de l’ancien coublage en effet, les groupements d’exploitations en commun ne partagent pas seulement le travail et l’utilisation des machines entre travailleurs, mais aussi le capital, les investissements, et partant, les risques et bénéfices, c’est-à-dire ce que jadis fermiers et métayers partageaient, d’une façon ou d’une autre, non entre eux, mais avec les propriétaires, les « messieurs ».
67Auparavant, les décisions d’investissements en matériel, bétail et cultures, ainsi que toutes dépenses afférentes aux bâtiments agricoles, incombaient en effet aux propriétaires. Principales sources de crédit, c’était d’eux que venaient les innovations qui, vu les limites de leurs moyens et de leur compétence agronomique, consistaient essentiellement, jusqu’après la guerre, à l’introduction de nouvelles races bovines, et à quelques améliorations du matériel. Avec ce système, l’agriculture vendéenne, comme celle d’autres régions de France, était notoirement en retard par rapport à d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne et l’Angleterre, sans parler des États-Unis. L’effort de mécanisation et de modernisation des bâtiments agricoles surtout pour l’élevage (stabulations libres, salles de traites électriques, élevages industriels), demandaient des capitaux et des compétences hors de portée de la classe des « messieurs ». En fournissant aux agriculteurs les moyens financiers et juridiques de s’organiser entre eux, le système des gaec leur a permis de s’affranchir d’une des servitudes les plus pesantes de l’ancien mode de production : « ne plus avoir le singe sur le dos ». C’est ce qui a précipité la chute de l’autorité des « maîtres » et libéré les agriculteurs de leur emprise.
68On peut comprendre l’enthousiasme des pionniers de gaec en Vendée, en lisant par exemple, le récit du fondateur d’un des premiers groupements d’exploitations en commun33, Marcel Briffaud à Breuil-Barret (canton de La Châtaigneraie). S’établir en gaec, c’était réaliser une véritable « utopie du partage », pour reprendre le titre de son livre. Formé comme ses associés dans les écoles d’agriculture et un Ceta (Centre d’éducation technique agricole), Briffaud décrit « ce goût du savoir, de l’innovation » qui le conduisait avec ses confrères au Salon de la machine agricole à Paris, « véritable carrefour de l’agriculture mécanique » :
Par le service machinisme de la fn des Cetas, nous étions déjà au courant de tous ces équipements, mais ils ne pouvaient être envisagés sur nos exploitations telles qu’elles étaient. Il nous aurait fallu nous spécialiser sur un unique troupeau (1983 : 106).
69C’est alors qu’a mûri l’idée de se grouper d’abord à trois, puis à quatre agriculteurs, en société civile, emprunter en commun pour construire des ateliers d’élevage modernisés, diversifier leur production (vieux principe du « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier »), tout en étant chacun responsable d’un élevage spécialisé. Tout au long de l’établissement du gaec, les trois associés ont reçu des conseils de l’ingénieur du Ceta qui les encouragea à établir une programmation informatique avec l’École d’agriculture d’Angers. Ce lien avec les organismes de gestion à qui, de plus en plus, les gaec confient leur comptabilité, est certainement un facteur important de meilleure productivité.
70Sur ce plan, le développement des gaec peut passer pour une sorte d’« utopie du partage ». En eux convergent en effet, par une heureuse coïncidence, un des buts visés par la politique agricole de l’État – la modernisation des moyennes exploitations à moindre frais, par la mise en commun de terres – et les nouvelles aspirations de l’ancienne communauté des « travailleurs » – partager équitablement, non pas seulement les moyens de production, mais peut-être surtout, les responsabilités entre ceux « de même ». Véritable innovation, cette conception des gaec fut un moyen d’accomplir un vieux rêve, jamais réalisé dans le passé, en réalité subversif de cet ordre ancien. En généralisant le partage du coublage verticalement à l’ensemble de la production agricole, les gaec consacrent l’indépendance des travailleurs et leur libération des maîtres. Même si les trois quarts des exploitants en gaec restent encore liés à ces derniers par le fermage34, leur relation s’est transformée en une transaction commerciale entre propriétaires et locataires. Devenus en même temps gestionnaires, les agriculteurs peuvent désormais partager les connaissances, les risques en communiquant avec le monde extérieur (ancien apanage des messieurs), et acquérir par là même un sentiment de solidarité avec d’autres agriculteurs, au-delà des limites de l’ancienne couble. C’est ainsi que la coopération en gaec intègre ses membres dans une organisation plus large d’autres coubles, sentiment qui m’avait frappée au cours des grèves nationales et européennes et de mes conversations avec les représentants syndicaux locaux, dont la plupart sont eux-mêmes en gaec.
71Pourtant, la composition de ces groupements en commun pose un problème étonnant. En Vendée comme dans le reste de la France, la majorité d’entre eux associent deux partenaires, rarement trois, reliés par la parenté la plus proche : père et fils (plus de 70 % en 1985), suivis des groupements de deux frères (un peu moins de 20 %), perpétuant, sur des bases nouvelles, les frérèches de l’ancienne maisonnée. Seule une minorité de ces gaec (9,23 % en 1985) fonctionnent entre des membres dont la parenté n’est pas spécifiée (« autres »)35. Bien que ce pourcentage soit légèrement au-dessus de la moyenne nationale (8,47 %)36, il semble indiquer, comme dans le reste de la France, un détournement des buts originels de cette institution. Au lieu d’agrandir les surfaces agricoles en réunissant plusieurs exploitations pour rendre celles-ci plus rentables, les groupements entre père et fils, ou entre frères37 semblent au contraire les réduire, en faisant partager à deux les responsabilités d’une même surface.
72La réalité est, là encore, plus complexe. Elle révèle une série d’interactions et de rétroactions entre les buts et les moyens envisagés par l’État et ceux de la culture endogène rurale. L’objectif limité de l’institution des gaec – agrandir les structures de l’exploitation – n’est lui-même en effet qu’un moyen parmi d’autres, mis sur pied par l’État pour moderniser l’agriculture et obtenir de meilleurs rendements. Si, sous leur forme réduite, intrafamiliale, les gaec n’ont pas atteint, semble-t-il, les premiers objectifs, ils ont fourni aux Bocains un moyen détourné pour atteindre le second, en commençant par une condition préalable à toute modernisation de l’agriculture : se libérer de la tutelle des anciens patrons de maison.
73Encouragé par les jac, l’établissement de la famille conjugale moderne, le « chacun chez soi », « chacun sa cuisinière », nous l’avons vu, a été accueilli avec enthousiasme par les jeunes, dès que la possibilité matérielle s’est présentée d’acquérir leur indépendance. La voie la plus facile a été d’aller travailler en usine. Il n’en était pas de même pour ceux qui voulaient rester à la terre. Si l’indemnité viagère de vieillesse a permis aux anciens « patrons de maisons », de transmettre la gestion des affaires et le partage des biens à leurs successeurs, de leur vivant, cela ne réglait pas le partage de l’autorité avec les fils, tant que le père était encore en activité. Même avec la loi reconnaissant le droit au salaire différé38 des enfants restés à la ferme, cette compensation pour le travail non rétribué n’intervient qu’au moment de la succession, après le décès du chef d’exploitation, créant du reste souvent des conflits avec les enfants salariés, au moment de l’héritage. Entre temps, fallait-il transformer les « patrons » de maisons en employeurs et les enfants ou autres travailleurs familiaux en salariés ? Certains l’ont fait sans grand succès. Aucune ferme, comme employeur, ne peut rivaliser avec l’usine. Si bas que soient les salaires ouvriers, chaque heure de travail est payée, ainsi que les congés et le temps de maladie, sans compter les avantages supplémentaires décrits plus haut.
74En outre, l’utilisation des nouvelles machines, de nouveaux engrais, la construction de stabulations libres ou de porcheries industrielles, nécessitent non seulement des capitaux, donc des emprunts, mais aussi une connaissance de techniques nouvelles de culture et de gestion que les jeunes, garçons et filles, ont apprises dans les maisons d’agriculture, les centres de formation professionnelle et les jac. L’affrontement des générations semblait inévitable.
75L’organisation en gaec offre un moyen terme à ce dilemme, en fournissant l’aval officiel pour effectuer sans heurt, le partage équitable du travail, des responsabilités et des bénéfices au sein des familles d’exploitants, tout du moins parmi les hommes, car les femmes, en tant qu’épouses, sont exclues des gaec, même si elles y contribuent par leur travail. Ainsi, paradoxalement, c’est en rompant avec l’ordre hiérarchique de l’ancienne maison, en brisant le principe de l’exploitation familiale d’antan, que les gaec ont permis à celle-ci de prospérer, en modernisant bien des fermes. L’appartenance à ces formes associatives diverses, des cuma aux gaec, dans l’organisation de la production agricole apparaît en effet comme un facteur important de succès et de bonne gestion, corollaire de la solidarité professionnelle que nous avons vue, hors de l’équipe de travail. Aussi bien au moment de la fondation, que dans son fonctionnement, les exploitants en gaec prennent conseil de centres de gestion à qui ils confient maintenant en plus grand nombre leur comptabilité, tenue au début par les femmes.
76Inversement, les fermes, de plus en plus rares, où les exploitants ont continué de travailler et vivre « en communauté » plutôt qu’en gaec, sont bien souvent aussi les moins bien gérées, les moins « rentables », quelle que soit la taille de l’exploitation ou même le degré apparent de mécanisation. Celles qui ont réussi à survivre, sont souvent suréquipées et, partant, surendettées. Il en résulte des conditions de vie nettement inférieures au reste de la population (agricole comme ouvrière). A la source du problème, on trouve un refus de rompre avec le père ou le frère aîné, et de continuer de vivre « à feu et à pot » avec eux, perpétuant ainsi un mode d’organisation du travail vétuste. Cette situation se trouve surtout dans les familles d’anciens petits bordiers, c’est-à-dire ceux qui possédaient quelques terres tenues dans l’indivision, complétées par d’autres louées en fermage.
77Le système des gaec marche d’autant mieux qu’il est souple, fruit d’un accord libre entre des parties qui se connaissent et s’entendent. La composition peut changer au cours du cycle de la vie domestique des familles nucléaires ainsi associées (mariages, départs, retraites), ainsi que des agrandissements des terres, ou de diversification des cultures. Une des exploitations peut se consacrer à l’élevage intensif de bovins en stabulation, une autre à la laiterie ou à des élevages « hors sol » (porcheries, élevages de veaux ou de volailles) qui, comme leur nom l’indique, ne demandent guère de terrain.
78A long terme, cette diversification et cette rationalisation du travail aboutissent à mieux utiliser les surfaces exploitées et à les agrandir peu à peu, retrouvant ainsi, par une voie détournée, les moyens et les buts originels de l’institution. Tout associé en gaec cherche en effet à s’agrandir et, si l’affaire marche bien, a plus de chance d’y parvenir que s’il avait été seul : achat (avec crédit préférentiel) ou reprise en location de terres libérées par de plus petites fermes abandonnées, faute de successeur, car de taille non rentable. Ce processus n’a fait que s’accentuer au cours des années, le nombre d’hectares en gaec et la surface moyenne des exploitations s’agrandissant au détriment des petites.
79On voit ainsi les rapports dialectiques à l’œuvre dans la modernisation de l’agriculture, processus d’interactions mutuelles entre société englobante urbaine et société rurale, chacune se transformant au contact de l’autre et partageant la responsabilité des innovations. C’est faute de percevoir et de reconnaître ce processus que le mythe de la Vendée conservatrice et retardataire se perpétue. Le système du coublage, issu de la vieille communauté, donc de la « tradition », a été détourné, sinon de ses intentions, du moins de sa fonction originelle, au même titre que l’institution des gaec. Le résultat est bien une forme d’utopie, non seulement par rapport au passé, comme nous l’avons montré, mais aussi au présent. Comme le souligne Marcel Briffaud :
Le principe généralisé du gaec est qu’après la rémunération des capitaux le résultat soit réparti entre les travailleurs à parts égales. Cette façon d’opérer, n’est-ce pas aller à contre-courant de celle de notre société actuelle ? En effet, elle porte en charge le travail et le bénéfice va aux détenteurs de capitaux (1983 : 110).
80Cette utopie cherche sa voie, quelque part entre l’individualisme capitaliste et le collectivisme socialiste, c’est-à-dire, au regard des « modèles » tout faits, nulle part39.
81Ce « nulle part » qui semble tomber dans les interstices des catégories a pourtant une présence, un visage, des formes cohérentes qui, malgré leur constante mobilité, leurs métamorphoses, forment un tout, celui d’une culture en mouvement. Elle s’affirme sous les pressions de forces centrifuges externes à la région, comme à travers les tensions internes accrues entre agriculteurs et salariés. Voir entre eux se dessiner un abîme, menant à la formation de classes sociales distinctes, se reproduisant séparément, ne peut se décider sans explorer plus avant le rapport entre différenciation sociale, économie et communauté.
82Poursuivant notre itinéraire à travers les transformations, pour ne pas dire les ruines, de l’ancienne communauté, on peut saisir la nouvelle en explorant la répartition et la circulation des biens entre ses membres, en particulier l’échange de biens et de services selon de nouveaux canaux de communication creusés à partir de l’ancien coublage, en dehors des modes de production officiels, du secteur primaire au tertiaire. On touche par là même aux codes de conduite et aux systèmes de valeurs qui sous-tendent les relations sociales et économiques. Le symbolisme rituel qui s’en dégage, depuis les menus détails de la civilité quotidienne jusqu’à des célébrations de grande amplitude, révèle une dimension importante de la modernité, aussi bien au niveau régional qu’au plan de la société internationale.
Notes de bas de page
1 Si l’on exclut en effet des statistiques les propriétés de moins de 5 ha (autour de 30 % en 1980 pour toute la Vendée), dont on verra l’usage plus bas, le minimum de superficie viable étant 30 ha pour l’élevage, un peu moins pour le lait, la moyenne des exploitations est entre 30 et 50 hectares et les plus grandes vont jusqu’à 80. Les plus petites exploitations, y compris celles autour de 5 ha sont occupées, soit par des élevages hors sol – volailles, lapins, porcheries, veaux élevés au lait en poudre dans des cages –, soit par des cultures sous plastique comme le tabac.
2 Les salariés représentaient déjà 68 % de la population active en 1975, proportion qui n’a cessé de croître depuis (Chauvet et Renard 1982 : 425).
3 Sur ce problème, voir Rambaud (1969 : 10-15).
4 Cf. Franklin 1969 et 1971 ; Touraine 1961.
5 D’après les statistiques de 1975, seulement 38,4 % de la population du département est active et cette proportion est allée en diminuant depuis lors, par suite de la prolongation de la scolarité et l’abaissement de l’âge de la retraite (Chauvet et Renard 1982 : 425). A cela s’ajoute aussi le chômage des années 80.
La répartition des non-actifs entre les deux tranches d’âge dépend des régions. Les cantons du sud de la Vendée, c’est-à-dire la Plaine, ancienne région « bleue », sont marqués par le vieillissement, alors que les cantons du nord-est et du centre, donc du Bocage « chouan », montrent au contraire une remarquable vitalité démographique avec des proportions de près de 40 % de moins de 20 ans (Chauvet et Renard 1978 : 54-56).
6 En 1981, les femmes constituaient déjà 41 % de la population ouvrière en Vendée (Chauvet et Renard 1982 : 441) et cette proportion continue d’augmenter.
7 La majorité des ouvriers de la région habite dans des agglomérations, petites villes, bourgs, ou gros hameaux. Très peu, sauf ceux qui résident encore chez leurs parents ou avec un conjoint en agriculture, vivent en habitat isolé.
8 Cf. aussi Watson 1970. L’article analyse la situation de sociétés à systèmes qui paraissent désorganisés et flous, par suite de mouvements continus de population.
9 L’expression traduit assez bien celle du concept de « Part-time-life worker » que j’ai entendu I. Wallerstein utiliser pour décrire ce phénomène, au cours d’un colloque de la City University of New York en décembre 1977.
10 Entre 1960 et 1974, plus de la moitié des emplois créés en Vendée avec l’aide de crédits de l’État appartiennent à des entreprises vendéennes. Il faut ajouter à ce chiffre les emplois créés sans subventions gouvernementales, par des initiatives locales (Chauvet et Renard 1982 :539).
11 Cf. le chapitre 6.
12 Déjà en 1982, 62 % de la population ouvrière dans son ensemble en Vendée possédait son logement (Réault 1983 : 135). Si l’on tient compte des ouvriers célibataires, vivant encore chez leurs parents, la proportion des ménages propriétaires serait encore plus grande. Cette tendance n’a fait que s’affirmer.
13 Dans son étude sur le bourg et le village dans le canton de Saint-Fulgent, Chauvet note que « la reconversion actuelle des bâtiments anciens et la construction de nouvelles maisons aboutissent le plus souvent à un repli de chaque famille sur sa propriété délimitée par une haie ou une murette. Aujourd’hui le souci d’isolement dans les villages et les bourgs aboutit aux mêmes ruptures de l’espace habité que la dispersion des gens dans la campagne » (1981 : 490, souligné par mes soins). Si le phénomène que nous décrivons tous deux est le même, notre interprétation est sensiblement différente. Les termes de « repli » et d’« isolement » ne tiennent pas compte de la transformation remarquable des réseaux de sociabilité qui se sont créés le plus souvent hors du voisinage imposé de façon arbitraire par les circonstances.
14 Comptées comme « exploitations agricoles », parce qu’il y pousse quelque chose ou qu’on y élève quelques bêtes, indépendamment de l’usage qu’on en fait, ces petites parcelles font baisser la moyenne départementale de productivité et par là même se voient taxées de « survivances », preuves d’agriculture retardée. Or, comme me le dirent plusieurs de ces petits propriétaires, retraités, ouvriers ou employés : « On n’est pas agriculteurs pour un radis », c’est-à-dire qu’ils n’en tirent aucun revenu d’argent.
15 Nous verrons au chapitre 7 l’importance sociologique des chasses au gros gibier (chevreuil, cerf, sanglier). Par contre, comme appoint de subsistance familiale, il est insignifiant pour la majorité de la population. Tout au plus a-t-on la bonne fortune de manger clandestinement, une fois par hasard, un chevreuil tué sur la route par une voiture ou des morceaux de sanglier partagés entre chasseurs après une battue communale. Les agriculteurs reçoivent plus souvent des morceaux de chevreuil tué par les chasseurs qui traversent leurs champs.
16 Les principales sources de petite caisse en ferme sont les jambons ou les cochons entiers, vendus pour la viande, la volaille et le lait à des particuliers (généralement salariés) et les œufs aux petites épiceries des bourgs. Mais bien des fermes « modernes » abandonnent ou réduisent ces services jugés souvent « peu rentables ». On vend tout au plus les produits bruts, laissant au client le soin de plumer les poulets ou de faire les jambons. Même les producteurs de lait ont cessé de l’écrémer à la ferme et achètent eux-mêmes leur crème, beurre ou lait écrémé.
17 Cette similarité n’empêche pas agriculteurs et ouvriers de s’accuser mutuellement d’être les plus favorisés par l’État, en particulier à cause des disparités entre les bourses d’études reçues par les enfants des uns et des autres. Les « parts » de bourse sont en effet calculées d’après le « quotient familial », constitué par le revenu imposable des parents divisé par le nombre de personnes à charge (les enfants valant une demi-part, les adultes une entière). Les agriculteurs ayant un revenu déclaré forfaitaire, reflétant mal leur revenu réel aux yeux des ouvriers, ceux-ci prétendent qu’un enfant d’agriculteur à âge égal, a plus de chance de se voir attribuer une plus forte bourse qu’un enfant d’ouvrier.
18 Par exemple, dans la conférence mentionnée plus haut (note 5), Immanuel Wallerstein a lancé l’idée qu’une telle classe de « Part-time-life workers » (ouvriers à mi-temps-de-vie) constituait une forme de sous-prolétariat exploité par la société urbaine : main-d’œuvre à bon marché, payée en dessous du minimum vital, grâce au surplus de bras lestés par l’agriculture et au travail extrait indirectement de l’ouvrier, hors de l’usine, par ces modes de subsistance.
Il n’y a guère de doute que ce scénario soit une possibilité réelle. Faute de cas concret, on peut spéculer que le danger est d’autant plus grand que d’une part, les ressources du pays sont plus maigres : agriculture pauvre, ou mal développée, ouvriers pauvres ; et que d’autre part, les liens sociaux sont plus individualistes. Le modèle vendéen est au contraire rendu possible par les deux phénomènes inverses : agriculture modernisée et riche et société qui, comme nous le verrons dans la deuxième partie, a su transformer les solidarités anciennes, elles aussi rénovées. Le fait que deux scénarios si différents puissent découler de la même situation montre qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre des conséquences nécessaires de la ruralisation de l’usine.
19 C’est, par exemple, l’argument de N. Croix (1981 : 91) : « Ce monde ouvrier, sans qualification, sans contacts, sans ouverture, ne peut que se reproduire identique à lui-même. »
20 L’affaire Poivet-de la Débutrie met en cause des moyens utilisés par des propriétaires terriens pour faire travailler leurs terres avec des contrats essayant de contourner les statuts du fermage protégeant les exploitants ; celle de Chanterac, un conflit entre des fermiers et leur propriétaire, femme de l’ancienne noblesse, maire du pays, à propos d’une coupe d’arbres, jugée abusive par l’une, nécessaire par les autres. En conséquence, la propriétaire expulsa le fermier des terres qu’il exploitait.
Dans l’affaire Huvelin au contraire, l’expulsion ne venait pas d’anciens « messieurs », mais d’un parent de l’exploitant, voulant reprendre de celui-ci des terres qu’il lui louait en fermage et ce, pour les faire exploiter par son gendre et sa fille, ce qui aboutissait à démanteler l’exploitation et la rendre non rentable (cf. Vendée agricole, 28 (1202), 28 (1176).
21 L’affaire Huvelin est particulièrement intéressante à cet égard. Les manifestants sont venus sur les lieux, faisant barrage de leur corps, en silence, assis les bras croisés par terre autour de la ferme, pour empêcher la police d’expulser les locataires. En outre, reconnaissant que l’expulsion du fermier était conforme à l’application du droit de propriété et de la loi concernant les reprises de terres, la position de la fdsea a été de mettre en question la justice de cette loi et à faire pression pour la modifier. Un article de la Vendée agricole (8 octobre 1972, p. 5), organe de la fdsea, intitulé « La loi et la Justice » illustre bien la conception du rôle syndical de la Fédération : « Le rôle des syndicalistes est de défendre ceux qui exercent le même métier. En particulier, ils doivent s’élever contre les jugements qui montrent que la loi est injuste envers leur profession. Par leur action, ils font modifier la loi, pour qu’elle coïncide avec la justice. Ils sont ainsi parvenus à rendre illégales des situations injustes qui, autrefois, étaient conformes à la loi... Par sa manifestation de solidarité envers Marcel Huvelin, La fdsea demande que la loi empêche les démantèlements d’exploitations. C’est par des actions semblables qu’elle obtiendra satisfaction... »
Par contre les agriculteurs de tendance ffa soutenaient le frère, au nom du droit de propriété.
22 Prenons l’exemple de la commune de La Tardière, en 1988. Sur quinze conseillers municipaux, 4 sont agriculteurs (dont une femme), 2 enseignants, 2 employés de banque, 2 commerçants (dont une femme), 1 comptable, 1 femme au foyer, 1 contremaître de laiterie, 1 employé des Postes. Un seul se dit « ouvrier », mais en fait travaille à son compte comme tôlier, donc artisan. Aucun os n’y figure, malgré leur nombre assez important dans la commune (la mairie n’a pas de statistiques précises à ce sujet).
Ce décompte donne une proportion de 26,66 % d’agriculteurs, 46,66 % de salariés (dont 0 % d’ouvriers), 20 % de commerçants et artisans (2+1), 6,66 % sans profession (femme au foyer).
23 Sous forme de lois sociales.
24 Conscient de ces difficultés, J. Renard conclut sous un titre voisin (« Saint-Fulgent tout change et rien ne bouge ») un recueil collectif sur le changement social dans le canton de Saint-Fulgent (1981, 19 : 153-196).
25 Les travaux de l’équipe de Saint-Fulgent (Renard 1981 : 169-170) confirment mes propres observations dans les cantons plus au sud et à l’est. La mobilité des salariés à mi-viage que j’ai décrite enlève la pression qui pesait sur les habitants de faire acte de présence à la messe dominicale et, même dans l’ancien temps aux vêpres. Malgré la possibilité d’aller à la messe le samedi soir, celle-ci est perçue par bien des ouvriers comme mordant sur une partie du temps des loisirs remplis, comme nous le verrons plus loin, par d’autres rites. Mais cet absentéisme ne s’accompagne pas d’anticléricalisme. Cf. également Réault 1983 : 141.
26 En 1974, le directeur de la fdsea, M. J.-L. Bohn, nommé en Vendée après plusieurs postes au sein de la Fédération nationale dans d’autres départements, m’a décrit la force de celle-ci en Vendée en termes de rythme de fonctionnement et d’efficacité : nombre de réunions (une réunion mensuelle du conseil avec compte rendu diffusé à tous les délégués, 620 réunions du personnel administratif), fréquence des démarches d’adhérents (12 000 par an, avec une moyenne d’une démarche en personne tous les 8 mois) ; enfin l’efficacité des actions menées dans la région.
27 La majorité des gaec sont aussi en cuma, mais non l’inverse. Sur 108 830 hectares de terres exploitées en gaec entre 1966 et 1985, 86 362 (79,5 %) étaient en fermage, contre 22 468, soit 20,65 % en faire-valoir direct. Cette proportion s’est légèrement accentuée en 1985 avec 80,75 % pour les terres louées et 19,25 % pour celles tenues en propriété (Statistiques du ministre de l’Agriculture).
28 D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture pour la période 1966-1985, le département de la Vendée bat en effet le record national, avec 1940 groupements agricoles d’exploitations en commun sur 108 830 hectares, suivi de loin par le Finistère, en Bretagne, avec 1 396 gaec sur 52 522 hectares et deux départements limitrophes de la Vendée, le Maine-et-Loire, avec 1 101 gaec sur 54 770 hectares et les Deux-Sèvres, avec 976 gaec sur 70 239 hectares. Comme ces statistiques portent sur l’ensemble du département, y compris la Plaine et le Marais où le phénomène associatif est moindre, le Bocage à lui seul se distingue par une préférence exceptionnelle pour les associations en cuma et en gaec
La majeure partie du nombre d’hectares exploités en gaec dans ces trois départements est en fermage, le reste en faire-valoir direct, ce qui ne veut pas dire que les membres de ces gaec soient autant de propriétaires-exploitants. Comme nous l’avons vu, beaucoup peuvent tenir des terres selon deux modes de faire-valoir.
1. Nombre d’hectares exploités en gaec entre 1966 et 1985
Les chiffres pour la seule année 1985 infléchissent la tendance des statistiques 1966-1985, sans la détruire. C’est le Finistère, en Bretagne qui se trouve cette fois en tête avec 159 gaec, suivi de près par la Vendée avec 130 gaec, le Maine-et-Loire 90 et les Deux-Sèvres, 80. Pourtant, si l’on regarde le nombre d’hectares en gaec, c’est encore la Vendée qui, des quatre départements, en a le plus. La diminution relative du nombre des gaec reflète en partie la réduction du nombre d’exploitants sur des terres de plus en plus grandes, fruit de la modernisation de l’agriculture, non d’une diminution du phénomène associatif.
2. Nombre d’hectares exploités en gaec pour l’année 1985
29 Les statuts des cuma datent d’avant la guerre, mais n’étaient pas utilisés, faute d’argent. L’achat en commun des premiers tracteurs a commencé dans cette région dans les années 50.
30 Au début ce furent les tracteurs (dont chaque ferme maintenant possède plusieurs à titre personnel), puis les épandeuses à fumier ou à engrais, les lieuses-batteuses et les ensileuses.
31 Tout au plus certaines engagent-elles l’été des étudiants de la région, généralement fils de salariés, pour combler le manque saisonnier de bras. Entre 1966 et 1985, seulement 3 % des exploitations en gaec (69 sur 1940) recensées en Vendée emploient des salariés. Les statistiques de l’année 1985 ne relèvent plus qu’un seul salarié sur les 130 gaec agréés (Recensement des gaec du ministère de l’Agriculture) :
3. Nombre de salariés employés par gaec
32 En particulier par des prêts à des taux préférentiels, des avantages fiscaux et des conseils techniques de gestion.
33 Il s’agit du gaec « Les Fermiers Réunis », créé en 1966.
34 Entre 1966 et 1985, la proportion des terres exploitées en gaec était respectivement de 79,35 % d’hectares en fermage, et 20,65 % en faire-valoir direct. En 1985, les chiffres correspondants sont respectivement 80,75 % et 19,25 %. Cf. note 26.
35 Voici les statistiques qu’on peut tirer du recensement du ministère de l’Agriculture sur la composition des gaec en Vendée de 1966 à 1985 et pour l’année 1985 :
4. Composition des gaec en Vendée
36 Les chiffres du ministère de l’Agriculture pour la France entière en 1985 sont les suivants :
5. Composition des gaec en France
37 La loi exclut des gaec les épouses, et bien que rien n’interdise en principe le groupement entre père et fille, je n’en ai encore rencontré aucun qui spécifie cet arrangement, alors qu’un bon nombre associe beau-père et gendre. Ce point est important et nous en reparlerons plus loin à l’intérieur du problème des catégories de sexe dans la nouvelle société.
Sur le nombre des associés dans chaque gaec, le recensement du ministère de l’Agriculture donne les chiffres suivants :
6. Répartition des associés dans chaque gaec
38 Décret-loi du 29 juillet 1939. Le Larousse agricole définit le salaire différé en ces termes :
« Fiction légale suivant laquelle les enfants d’un agriculteur travaillant avec leurs parents, sans recevoir de salaire en argent et sans participer aux bénéfices et aux pertes de l’exploitation – alors que d’autres enfants ont quitté le domaine familial – sont censés avoir conclu avec le chef de famille un contrat de travail leur assurant une rémunération forfaitaire, payable en une seule fois au décès de l’exploitant agricole ; cette rémunération constitue un droit de créance contre la succession » (1952 : 1138).
Le montant de ce salaire est fixé chaque année pour chaque département par arrêté ministériel.
39 On pourrait comparer ce mouvement à ce qu’Alain Touraine appelle l’espoir populiste : « le populisme, qui est une des composantes importantes des mouvements régionaux, combat le traditionalisme et le passéisme ; il est modernisateur mais il refuse la dépossession d’une population et d’un territoire dominés par un maître lointain » (1978 : 33).
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