1 Basée sur des entretiens semi-directifs d’étudiants inscrits dans les CRL, cette étude a permis d’analyser leur itinéraire de formation grâce à leur« feuille de suivi » (voirAnnexe1 en fin de volume). Il est ressorti de cette étude que les intentions formelles des enseignants, ancrées dans leur culture professionnelle, s’opposent en partie aux pratiques informelles des étudiants, dont la trajectoire semble moins liée à un parcours choisi de manière raisonnée qu’à un itinéraire d’apprentissage fortuit, intuitif, construit sur des préférences individuelles. Ainsi, les apprenants utilisent le CRL de manière très personnelle et mettent en place des routines qui facilitent l’apprentissage et réduisent le risque de difficultés, bien plus qu’ils ne développent une réelle autonomie d’apprentissage, éventuellement transférable dans d’autres domaines que celui des langues étrangères.
2 Les travaux de R. Oxford (1985, 1989, 1990) débouchent sur une classification qui se compose de stratégies directes et indirectes. 1) Les « stratégies directes » recouvrent des stratégies : a) « mnémoniques » qui concernent la mémorisation, la création de liens mentaux et d’association, d’images, de sons et de mots ; b) « cognitives » qui ont pour fonction la pratique de la langue, l’émission et la réception de messages, l’analyse, le raisonnement, la compréhension ; c) « compensatoires » qui permettent de contourner manques et carences, grâce à l’intuition ou l’utilisation de périphrases. 2) Les « stratégies indirectes », comprennent des stratégies : a) « métacognitives » qui permettent de se concentrer, porter une attention sélective, organiser et planifier son apprentissage, l’évaluer ; b) « affectives » qui conduisent à réduire l’anxiété, s’encourager soi-même, prendre en compte ses émotions ; c) « sociales » qui renvoient aux comportements à l’égard des autres, aux interactions de questionnement et de clarification, à la coopération, au développement de l’empathie.
3 Les travaux de M. Hrimech (2000, 2002) débouchent sur un répertoire de stratégies qui se compose de stratégies directes et indirectes. 1) Les « stratégies directes » ou « primaires » recouvrent des stratégies de : a) « mémorisation » ou « rappel » pour élaborer des bases de connaissances et de mise en lien ; b) « transformation des informations » par paraphrase, métaphores, reformulation ; c) « restructuration » pour établir les liens entre anciennes et nouvelles informations,par regroupement, hiérarchisation ; d) « élaboration » pour établir des liens logiques, des relations significatives entre concepts, la structure cohérente des nouveaux apprentissages ; e) « compréhension de textes » pour analyser le contenu informatif, la structure des textes informatifs. 2) Les « stratégies indirectes » ou « de soutien » recouvrent les stratégies : « métacognitives » pour gérer et contrôler les autres stratégies, guider, corriger ou ajuster les opérations cognitives par un ensemble d’activités de planification, d’attention, de révision, d’évaluation ; « affectives » pour créer un climat favorable à l’apprentissage et au maintien d’un haut niveau d’activation affective et intellectuelle, la formation d’une image de soi positive, la réduction de l’anxiété ; « sociales » pour identifier les ressources humaines, rechercher de l’aide ou du soutien face aux difficultés.
4 Repéré grâce au questionnaire établi d’après les travaux de D. A. Kolb (1976). Adaptation française du questionnaire par J. Berbaum.
5 Repéré grâce au questionnaire inspiré des recherches de R. Oxford (1985,1989, 1990).
6 Repéré grâce au Test of English for International Communication (TOIEC).
7 Il s’agit de trois étudiants, un homme et deux femmes, qui suivent un cursus de formation initiale en licence et master 1 de biochimie à la faculté des sciences de la vie de l’université Louis-Pasteur. L’expérimentation a eu lieu dans le CRL où ces trois étudiants sont inscrits. Ils ont fréquenté leur CRL durant deux semestres (l’étudiant de licence étant redoublant) et, encadrés par la même enseignante, ils ont participé à des groupes différents.
8 Lors de cette expérimentation, des étudiants volontaires ont passé le TOEIC, complété deux questionnaires sur leur expérience et leurs modes d’apprentissage des langues étrangères et communiqué leurs feuilles de suivi à la fin de leur parcours de formation. Sur l’ensemble de ces sujets, huit étudiants ont été sélectionnés au regard de leur score au test TOEIC (scores faibles / intermédiaires / élevés) ; trois de ces huit étudiants ont ensuite été sollicités et ont accepté de participer à l’étude qui donne lieu à deux contributions dans le présent ouvrage : les chapitres 7 et 8 par F. Roublot.
9 Cette méthodologie, empruntée à J. Theureau (2006 [2004]), consiste à enregistrer en vidéo une séance de travail individuel en CRL (environ 1 h 30 par séance). Au cours de l’entretien d’autoconfrontation qui suit, les sujets visionnent la cassette, explicitent et détaillent leur activité. Ces entretiens, d’une durée moyenne d’1 h 20 ont également été enregistrés sur vidéo, puis intégralement retranscrits.
10 L’expression de l’émotion n’est pas habituelle dans le contexte institutionnel de la formation. Bien au contraire, cette expression est extrêmement contrôlée, voire déniée en tant que brouillage de l’activité intellectuelle.
11 Les hypothèses sous-jacentes à la théorie du cours d’action (Theureau, 2006 [2004]) considèrent « l’action manifeste » comme une unité de comportement significative pour l’acteur (racontable et commentable) ; les actions s’accompagnent d’interprétations (unités de discours privé ou public significatif pour l’acteur) et de sentiments (émotions significatives pour l’acteur). Les questions du chercheur sur le ressenti, ayant pour but de repérer ces actions, interfèrent alors avec la mention spontanée de dimensions affectives ou émotionnelles liées à l’apprentissage.
12 Par exemple : « Et donc ça te touche émotionnellement ? » « Et à ce moment-là, qu’est-ce que tu ressens ? »« Cette période, au niveau émotionnel, tu la vis comment ? »
13 Une attention particulière a dû être portée à l’analyse, car il a fallu discriminer : l’expression « spontanée » dans le registre affectif et émotionnel (prise en compte) ; celle qui est le fruit d’une relance visant à faire préciser l’expression (prise en compte) ; celle qui est suscitée par les relances du chercheur (non prises en compte). Le décompte des interventions induites et spontanées est un calcul délicat. Par exemple, une question sur le ressenti n’implique pas nécessairement une réponse immédiate en termes d’affects ou d’émotions ; parfois les termes rattachés à ce registre apparaissent une ou deux réponses plus loin. On peut donc émettre l’hypothèse que les questions posées lors des entretiens orientent le sujet dans la durée, ce qui complexifie et relativise encore toute tentative de quantification et de représentativité dans le comptage des termes employés.
14 Par exemple, sur les trois cas étudiés, l’un des apprenants visionnait une cassette dont le contenu portait sur la dépression, les tendance suicidaires et les liens entre la biologie (biochimie,facteurs génétiques) et la dépression nerveuse ; l’autre repérait des ressources à propos des migraines, ce qui le concernait indirectement ayant (« une copine qui en a beaucoup ») ; le troisième préparait, au moment du recueil de données, un oral d’anglais de fin d’année, avec le stress lié à ce type de circonstances.
15 Par exemple lorsqu’il s’est agi, pour le second sujet (S2), de déterminer quelles interactions devaient ou non être prises en compte pour l’analyse, il a été décidé que seuls les affects et les émotions en rapport avec l’apprentissage devaient été pris en considération, et non les émotions éprouvées par les personnes filmées sur la cassette portant sur la dépression, ou celles éprouvées par le sujet envers ces personnes.
16 Un tableau des fréquences d’utilisation de mots appartenant au champ lexical de l’affectif pour chaque sujet (S1, S2, S3) durant l’entretien d’autoconfrontation est présenté à la fin de ce texte (Tableau 1).
17 Par exemple : « intéressant », « plaire », « fatigant », « marre ».
18 Dans la suite du texte, les pourcentages ont été arrondis à l’unité inférieure ou supérieure.
19 Soit en valeur absolue : 58 interventions sur 205 pour S1 ; 37sur 382 pour S2 ; 61 sur 355 pour S3.
20 C’est aussi le cas dans les deux autres entretiens, mais dans une bien moindre mesure.
21 Par exemple en consultant sur Internet des pages étrangères ou en visionnant des films en version originale.
22 Par exemple : « Elle, ça m’a particulièrement touchée parce que je trouvais ça... dans un reportage, pour moi, qui était à... vraiment à visée juste informationnelle sur la dépression et ce qu’on pouvait ressentir, je trouvais ça dur qu’elle explique comment elle a essayé de se suicider [...] mais comme moi, j’ai vraiment aucune notion en psycho, ça... ça me fait bizarre d’avoir des reportages comme ça où les gens sont encore vraiment pas bien, bon là ( ?) c’est clairement... pas en grande forme, quoi. Donc c’est vrai que ça fait un peu... c’est un peu déstabilisant. Je m’attendais pas à ce genre d’informations-là. » De manière à obtenir des données homogènes et comparables les termes faisant référence aux émotions provoquées par le documentaire ont été exclus : bizarre (3 mentions), désolé (1), déstabilisant / déstabiliser (3), dur (3), gênant (1), glauque (2), intéressé (1), marqué (1), « particulier » (1), pas agréable, désagréable (3), pas terrible / terrible (1), touché (3).
23 Par exemple, dans le cas étudié, des informations du champ de la psychologie qui ne sont pas directement liées à l’apprentissage de l’anglais pour un étudiant en biochimie.
24 Par exemple : « J’ai pris en notes ... c’était des expressions que je connaissais pas et j’ai pas réussi à noter directement les mots, donc j’ai noté phonétiquement ce que ça me semblait être [...] j’ai continué de noter les explications du psychiatre sur les... sentiments qui étaient exacerbés pendant la dépression, comme les... le sentiment de tristesse. »
25 Les contenus abordés, la liberté d’explorer des ressources en lien direct ou non avec l’objectif principal d’apprentissage, le stress de l’imminence ou non d’un examen, etc.
26 Son style d’apprentissage, sa propre sensibilité, sa sensibilité au registre affectif et/ou émotionnel.
27 Par exemple : intérêt, plaisir, envie, marrant, plaire, aimer, etc.
28 Par exemple : fatigant, frustrant, énervé, pressé, panique, pas très à l’aise, etc.
29 « Ça a mis du temps et puis... j’aime pas trop attendre. »
30 « C’est plutôt du niveau lycée. »
31 « C’est un truc génial pour les fainéants. »
32 « Je reste objectif, je m’économise et je note les mots qui me semblent intéressants à utiliser. »
33 Par exemple : « Dans le sujet, c’est souvent au début qu’on a les informations les plus capitales. »
34 C’est celui où il « n’arrive plus à créer l’image ou la continuité par rapport au début. »
35 Comme, par exemple, ce que revêt pour lui : « Faire plus de travail, du vrai travail. »
36 « Plus on avance dans le texte et souvent plus ça devient technique et plus les constructions de phrases sont... compliquées, les associations de mots sont pas forcément... évidentes. »
37 « J’aurais presque envie que ça continue encore un peu parce que c’était intéressant et... on a envie d’apprendre plein de trucs [...] ;j’en ressors grandi, j’ai appris quelque chose. »
38 « Quand je vois que la suite ne me plaît pas ou m’aide pas à avancer dans la notion de plaisir [...], je saute le petit bout qui m’intéresse plus, enfin je le lis...dans les grosses lignes. »
39 « Même si j’ai 15 en anglais, ben ça sert à rien si on n’arrive pas à discuter. »
40 « C’est de pouvoir un jour faire une conférence en anglais [...] utiliser l’anglais autant que possible[...] ;j’aimerais bien pouvoir suivre une conférence, pouvoir intervenir ou poser des questions, pouvoir parler [...], pouvoir communiquer parce que pour moi c’est plus un outil qu’une... nécessité[...]. C’est vraiment une notion de pratique. »
41 Il mentionne son intérêt pour les sports de glisse, le roller, le skateboard, fait des allusions au cannabis, veut se montrer très détaché, recherche la connivence de l’interviewer, etc.
42 « Je suis la pure scientifique, [...] très carrée. »
43 À différentes reprises dans l’entretien, S3 évoque sa « frustration », son « stress », le fait qu’elle « manque de temps » pour réussir les activités (tout va « très vite » ou « trop vite »), et ceci la met« mal à l’aise », le fait qu’à d’autres moments l’exercice soit « rébarbatif » et qu’elle travaille de manière « machinale », ou encore la « fatigue » qu’elle éprouve alors qu’elle déploie des efforts réels de « concentration », voire sa « panique » lors d’exercices alliant difficulté et rythme élevé d’exécution.
44 Le sujet mentionne finalement que ses résultats ne sont pas si mauvais et qu’il peut relativement se réjouir de ces progrès.
45 Le quota horaire habituellement attribué aux étudiants de son niveau a été dépassé.
46 « J’apprends pas beaucoup de choses. »
47 Tout cela « l’énerve ».
48 Le sujet est « angoissé » par son manque de maîtrise et conclut aux « progrès à faire ».
49 « J’ai l’impression que j’apprends plus en écoutant qu’en lisant. »
50 Tente de transposer ce qui est entendu « en mots écrits, comme si je les voyais devant mes yeux ».
51 Tente de traduire simultanément la bande-son.
52 « J’entends les mots et j’arrive à les transposer en... en mots écrits [...] Je retiens la fin du texte en écoutant et en le voyant, quoi, d’une certaine manière. »
53 « Je pense... comme j’ai une mémoire très visuelle. »
54 « L’anglais, ça peut toujours servir. »
55 « [...] dans l’optique de la présentation », pour l’examen.
56 « Je travaille pas vraiment pour mon futur, quoi. »
57 « J’ai pas non plus appris comme si on m’avait demandé d’apprendre. »