Chapitre 14. Paysages et climats en moyenne vallée du Rhône : apports de la géo-archéologie
p. 163-208
Texte intégral
14.1 Introduction
1L’approche de la nature médiévale, de son exploitation par l’homme, des interactions de ce dernier avec le milieu naturel, à partir des archives sédimentaires en complément des seuls documents archéologiques et des textes, est une orientation de recherche encore récente en Europe méridionale. Un examen des travaux conduits dans ce sens en Europe du Nord-Ouest faisait plaider J. Chapelot pour une nécessaire vision interdisciplinaire des paysages médiévaux (Chapelot 1978). Cette entreprise s’est développée depuis une quinzaine d’années, sous l’égide d’historiens (Colardelle, Verdel 1993 ; Leveau, Provansal 1993 ; Burnouf 1998). Elle demeure encore restreinte et ponctuelle, souvent par manque de formation, et surtout d’intérêt, des archéologues ou des environnementalistes. L’évolution récente de la discipline, à travers des colloques comme « L’homme et la nature au Moyen Âge » (Grenoble, 1993, dirigé par J. Burnouf et M. Colardelle), « Dynamique du paysage : entretiens de géoarchéologie » (Lyon, 1995, dirigé par J.‑P. Bravard et M. Prestreau), « La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes » (Antibes, 1997, dirigé par J. Burnouf, G. Chouquer et J.‑P. Bravard), des revues (Revue d’histoire des sociétés rurales), des ouvrages (Pour une archéologie agraire : Guilaine 1991), ou des appels d’offres du CNRS (Pirev, Pevs), révèle cependant qu’une partie de la communauté des historiens et archéologues médiévistes a réellement pris conscience de l’intérêt présenté par cet aspect de la recherche.
2« Des rapports réciproques entre l’homme et la nature, l’une des plus apparentes synthèses que nous avons en grande partie sous les yeux est ce qu’il est convenu d’appeler le “paysage” » (Delors 1996 : 9). Si l’archéologie des paysages développée par les carto-photo-interprètes est aujourd’hui « classique », reconnue et intégrée dans les approches historiques (Chouquer, Favory 1991 ; 1992), la vision du monde des campagnes médiévales élaborée par les paléoenvironnementalistes se doit encore d’être confrontée et intégrée à celle qui nous parvient des textes, des écrits en tout genre ou de l’iconographie du monde médiéval. Les travaux récents montrent qu’une véritable approche en archéologie du paysage ou en paléogéographie est permise par des études géo-archéologiques conduites de façon systématique, dans ce qu’on appelle les analyses systémiques (Brochier 1991 ; Berger 1997 ; Berger, Jung 1999). Cette information est ensuite spatialisée au sein d’unités paysagères, confondues parfois avec les territoires agricoles, dans lesquelles s’insèrent des réseaux d’habitats –le site archéologique au sens propre. La pratique d’une géo-archéologie hors site permet de travailler à la restitution des paysages médiévaux, non plus à partir de données textuelles ou archéologiques (os, graines, charbons, etc.) récoltées dans les couches d’habitat, les structures de stockage ou les dépotoirs, mais au centre même des terroirs historiques, dans les archives pédosédimentaires* (marais, colluvions*, alluvions, paléosols, etc.)1 ou les structures agraires (fossés, terrasses de culture).
3Les grands travaux offrent la possibilité d’accéder à une information concernant à la fois des sites d’habitat et l’espace qui les entoure. Ils donnent également sur le terrain des moyens d’investigation de grande ampleur. À l’occasion de la réalisation de la ligne du TGV-Méditerranée, un enregistrement systématique des données géo-archéologiques a été organisé pour toutes les périodes du Tardiglaciaire et de l’Holocène. Les temps historiques ont été traités avec autant d’égards que les périodes de la Préhistoire habituellement favorisées dans ce type d’étude. La documentation exploitée dans cet article est donc issue des couches sédimentaires au sens de formations géologiques constituées, ou ayant évolué (pédogenèse) sous des conditions précises d’environnement et de climat. Il faut souligner que ce travail a bénéficié du poids de l’héritage méthodologique et interdisciplinaire propre à la moyenne vallée du Rhône, et d’acquis antérieurs (et postérieurs) sur l’ensemble du bassin rhodanien permettant une approche spatiale plus large des phénomènes paléo-environnementaux que le seul tracé linéaire.
14.2 Le cadre méthodologique et géographique
4De Valence à Avignon, la ligne du TGV-Méditerranée traverse des paysages variés, parties intégrantes de la moyenne vallée du Rhône et de sa bordure préalpine. Les opérations archéologiques de sauvetage2, réparties en trois phases d’investigation (sondages préliminaires, évaluations et fouilles), ont mis au jour pas moins de soixante séquences sédimentaires comprises entre l’époque romaine et nos jours, et exploitables sur le plan de l’histoire des paysages et des hommes. L’information qui nous intéresse ici est enregistrée dans les dynamiques pédosédimentaires*, qu’il s’agisse d’alluvionnements, de colluvionnements, d’érosion, de genèse de sols. Toutes ces signatures démontrent d’abord que les paysages et le climat se sont modifiés, parfois profondément, au cours des temps historiques qui nous sont proches si on les rapporte à l’échelle des temps géologiques.
5L’ampleur des travaux du TGV permet de disposer, sur une distance d’une centaine de kilomètres, d’une documentation issue du terrain, riche et variée, dont le potentiel est sans commune mesure avec celui proposé par la seule étude approfondie d’un ou de quelques sites. La soixantaine de séquences sédimentaires étudiées ne sont jamais très éloignées les unes des autres, ce qui autorise de multiples corrélations stratigraphiques de proche en proche, et permet d’obtenir de la sorte une certaine continuité de l’information dans le temps et l’espace. Une quarantaine de séquences ont fait l’objet d’un échantillonnage géo-archéologique systématique de toutes les couches distinguées sur le terrain –sédiments en vrac pour les analyses granulométriques ou géochimiques, et sous forme de blocs plâtrés pour la fabrication de lames minces–, mais aussi dans beaucoup de cas pour les restitutions des paysages végétaux –malacologie, étude des phytolithes*, palynologie (en cours), anthracologie (cf. chap. 15).
6La difficulté de dater avec précision les différentes couches identifiées sur un seul site est ainsi en partie contournée par la comparaison avec un ou des sites voisins, où l’une ou l’autre des formations présentes est déjà datée (notion d’« horizon repère »). En l’absence de niveau d’habitat, le degré de résolution d’un à plusieurs siècles permis par la méthode du radiocarbone pour la datation des formations sédimentaires, se révèle encore limitatif dans le cas de l’étude des temps historiques3. Les tableaux chronologiques présentés dans le cadre de cette étude montrent cependant qu’avec la multiplication des sites, le calage temporel des événements pédosédimentaires* peut être envisagé avec une précision acceptable. La variété des milieux géographiques traversés, d’abord étudiés indépendamment les uns des autres, permet de comparer, de discuter, de corréler et enfin de valider les phénomènes climatiques et/ou anthropiques identifiés. Sur ces bases, l’analyse séquentielle des formations pédosédimentaires* récentes de la moyenne vallée du Rhône nous conduit ici à élaborer un cadre chronostratigraphique pour le Moyen Âge. Ce dernier intègre également l’Antiquité tardive et les Temps modernes, dans un souci de raisonner sur la longue durée et de comparer les ambiances et les dynamiques repérées avec celles qui les précèdent et leur succèdent. Une évolution des milieux physiques, du climat, des terroirs et, de façon plus générale, de la relation homme-milieu, est finalement proposée et présentée en sept principales phases morpho-climatiques, du iiie au xixe s. Les périodes précédant et suivant celles du viie au xve s. sont abordées de façon plus succincte.
7La zone géographique prise en compte est la moyenne vallée du Rhône, traversée du nord au sud par le tracé du TGV-Méditerranée, entre Valence et Orange. Située à quelques dizaines de kilomètres au sud du 45e parallèle, elle présente l’intérêt de se trouver dans un secteur de contact des domaines bioclimatiques méditerranéens, médio-européens et alpins. La transition climatique sud-nord est marquée schématiquement, au niveau du défilé de Donzère (fig. 97), par la disparition du pin d’Alep et du chêne vert, remplacés par le pin sylvestre et le chêne pubescent. La pluviométrie est abondante, mais inégalement répartie dans l’année ; la moyenne annuelle peut varier de 800 à 1 200 mm en fonction du relief. La saison sèche est modérément marquée durant l’été. Elle entraîne cependant un bas étiage des affluents préalpins. Seul le Rhône, à régime pluvio-nival, présente un régime continu. Le transect sédimentaire étudié emprunte le couloir rhodanien en rive gauche du Rhône, vers lequel convergent de nombreux cours d’eau d’origine collinéenne ou préalpine. Les milieux traversés peuvent donc subir les influences du domaine montagnard qui ne reste jamais très éloigné. Les Préalpes calcaires du Vercors, du Diois-Baronnies, ne sont distantes que de 15 à 30 km en moyenne, les premiers sommets atteignant 1 000 et 1 600 m d’altitude.

FIG. 97
Cartographie de la zone étudiée : a les principales unités de paysage traversées par le tracé du TGV-Méditerranée entre Valence (26) et Caderousse (84) ; b localisation des principaux sites médiévaux et des séquences pédosédimentaires* hors sites du TGV-Méditerranée cités dans le texte.
8À partir de Valence au nord, le TGV-Méditerranée longe d’abord le pied du Vercors, à l’est de la plaine valentinoise (fig. 97). Après le passage, au voisinage de Crest, de la basse vallée de la Drôme, puis des massifs collinéens tertiaires la limitant au sud, le tracé linéaire atteint la plaine de la Valdaine (ou plaine de Montélimar). Il se rapproche ensuite du fleuve pour parcourir les plaines rhodaniennes du Tricastin et d’Orange. Les données pédosédimentaires* acquises sont successivement regroupées et présentées pour chacune des entités géographiques traversées, qui fonctionnent comme des géosystèmes* présentant des dynamiques sédimentaires propres. Les sites nommés en référence sont ceux qui font l’objet d’un chapitre dans ce même volume.
14.3 La documentation pédosédimentaire par géosystème
14.3.1 La plaine de Valence et le piémont du Vercors (site de référence : Upie/Les Vignarets)
9De Saint-Marcel-lès-Valence à la vallée de la Drôme, la partie nord du tracé du TGV recoupe une diversité de milieux physiques et de substrats géologiques. Du nord au sud : la plaine de Valence et ses terrasses pléistocènes, le pied du Vercors et ses cônes détritiques pléistocènes, et enfin les collines molassiques du bas Dauphiné déterminent une segmentation des conditions sédimentaires (fig. 97a). Il est néanmoins possible d’identifier entre ces différents secteurs plusieurs phases aux caractères pédosédimentaires* voisins (fig. 98) [cf. § 14.4, 14.5].

FIG. 98
Corrélation des principaux événements pédosédimentaires de la partie nord du tracé du TGV (Valence-Chabrillan) : pied du Vercors et basse vallée de la Drôme. Resp. des sondages et fouilles, et réf. bibliogr. : 1 N. Valour (Valour et al. 1996) ; 2, 3, 5, 10 P. Réthoré (1995 ; 1996a ; 1996b ; 1997) ; 4, 7 Y. Billaud (1997a ; 1997b) ; 6 J.‑M. Lurol (Lurol et al. 1997) ; 8 J.-M. Treffort (Treffort et al. 1998) ; 9 S. Martin (Martin étal. 1997) ; 11 A. Lebreton (1996), S. Martin (Martin et al. 1997) ; 12 S. Saintot (Saintot et al. 1997) ; 13 M. Goy (Goy et al. 1996) ; 14 A.‑F. Nohé (Nohé et al. 1995) ; 15 1. Rémy (1997).
10À la fin du iiie s. et au tout début du ive s. ap. J.-C., le Guimand, qui est aujourd’hui un tout petit ruisseau, perturbe considérablement le site romain de Montélier/ Claveysonnes en multipliant des épisodes à très fort hydrodynamisme (Rhétoré 1996a). Plus au sud, sur le site d’Upie/Les Vignarets et de la plaine des Chaux (fig. 99, 100) des alluvionnements, mal calés chronologiquement (postérieurs au ier s. av. J.-C.) pourraient également dater de cette période qui reste encore mal documentée.

FIG. 99
Upie/Les Vignarets : contexte stratigraphique, taphonomie du paléosol médiéval ; extension en surface de ce qui reste conservé du paléosol de l’époque.

FIG. 100
Stratigraphie des nappes alluviales historiques d’Upie/Les Vignarets à Upie/ Les Chaux.
11L’occupation du ive s. de Montélier/Claveysonnes (Rhétoré 1996a) repose sur un paléosol brunifié. Son développement semble se poursuivre au cours du siècle suivant. Les caractères de cette pédogenèse sont : sol brun-gris, d’abord peu structuré à la base, acquérant, dans une seconde période, une structuration prismatique* et une couleur plus foncée, brun-noir. Les carbonatations* secondaires, présentes dès la base, se développent surtout dans la partie supérieure. Ce sol se retrouve de Claveysonnes aux Guillères, dans les sondages T38 àT67 de la phase 1 (Rhétoré et al. 1995). Dans des conditions de bas-fonds (bras ou cours abandonné du Guimand) il peut devenir noir, de type isohumique*. On retrouve ce paléosol plus au sud, sur le site de Chabeuil/Les Brocards, sous sa forme brun/noir à pseudomycélium* abondant. Il y est stratigraphiquement postérieur au ier s. av. J.-C., et antérieur à un alluvionnement de l’Antiquité tardive. Il est en revanche daté par du matériel des iiie-ive s. ap. J.-C. dans les carrières de Montmeyran / Les Trides où il n’apparaît qu’à l’état très partiel sous une forme brun foncé. Il est également très démantelé dans le secteur d’Upie / Les Vignarets-Les Chaux. Il n’a pas été repéré et a très probablement été érodé dans les collines molassiques.
12Cette phase de stabilité se termine progressivement par l’accrétion de sédiments fins limono-argileux, de couleur grise à brun-noir pouvant atteindre 0,5 à 1 m de puissance. La pédogenèse antérieure semble se poursuivre, alors que les secteurs en cuvette (Chabeuil/Les Marais) et certains lits fluviaux (le Guimand à Claveysonnes / Les Guillères) voient leur niveau sédimentaire s’exhausser. Dans les deux cas, cette sédimentation a fossilisé des tessons de céramique sigillée claire. On peut ainsi la dater dans une fourchette chronologique postérieure au paléosol et à l’occupation reconnue entre le ive s. et le milieu ou la fin du ve s.
13En dehors de ces zones en creux, le sol brun-noir qui s’est formé du ive à la première moitié du ve s. est recouvert par des alluvionnements. Ceux-ci sont de forte compétence autour d’Upie et remobilisent les graviers des cônes pléistocènes au pied du Vercors. Les mêmes signatures sont identifiées à Chabeuil/Les Brocards (Rhétoré 1996b). La matrice de ces alluvions torrentielles porte les traces de la pédogénèse antérieure et indique donc l’importance du rabotage de la couverture pédologique reconstituée au cours du Bas-Empire. Les tegulae qui s’y trouvent révèlent les dégâts portés aux constructions humaines. En s’écartant des pentes du pied du Vercors, la sédimentation est moins graveleuse à Chabeuil/ Les Cachets (Billaud 1997a) et Montélier/ Claveysonnes-Les Guillères. Elle devient cependant sableuse, et se révèle plus grossière que les dépôts limoneux à morphologie de sol hydromorphe qui l’ont précédée aux mêmes endroits. Cette accrétion alluviale paraît rapide et ne présente plus de traces d’hydromorphie*. Elle reste mal calée chronologiquement. Elle est postérieure à l’habitat du ive s. et à sa destruction à Montélier / Claveysonnes ; elle est postérieure au iie s. et antérieure au xiiie s. à Chabeuil/Les Cachets (Billaud 1997a). Les sondages de Montmeyran / Les Pétiots (Rhétoré et al. 1995) indiquent qu’un site rural romain est démantelé et colluvié après le milieu du ve s. et avant les xie-xie s. En bas de versant, cette sédimentation présente un caractère plus hydromorphe. C’est la seule formation colluviale reconnue ici pour cette période. L’extension de tous ces dépôts alluviaux révèle une phase caractérisée par un fort hydrodynamisme, responsable de l’exhaussement et de l’instabilité latérale des lits fluviaux, ainsi que par une instabilité accrue sur les versants. Elle débute au cours du ve s. et se termine à une période mal datée du haut Moyen Âge. Un long moment de stabilité morphosédimentaire* lui succède, pendant lequel se développe sur ces sédiments une pédogenèse brunifiante.
14Le paléosol qui en résulte (cf. § 14.4) a été observé à Upie/ Les Vignarets (Lurol et al. 1997) [Fig. 99], Chabeuil/Les Brocards (Réthoré 1996b) et Montélier/Claveysonnes-Les Cuillères (Réthoré 1996a). Il n’est bien daté qu’à Upie/Les Vignarets, où son développement apparaît un peu antérieur et contemporain de l’habitat qui s’étend sur les xe et xie s. (cf. chap. 3). Il pourrait débuter dès 680-945 ap. J.-C. (1208+ 40 BP : ARC 1455), date la plus ancienne obtenue sur le site. À Montmeyran / Les Pétiots, le sol de couleur grise possède une forte charge anthropique (matières organiques, fumier, cendres et microcharbons) dénotant sa mise en culture (terre de jardin). Il contient de la céramique commune grise typique des xie-xiie s., sans doute apportée avec les amendements.
15Ce sol médiéval est tronqué, car découpé lors des phases érosives postérieures ; il ne subsiste que partiellement (fig. 100). La première des phases de troncature interviendrait peu après le xiie s. (Lurol et al. 1997). Les processus hydrologiques responsables des enregistrements observés, tronquent par endroits, mais aussi recouvrent et fossilisent, par le dépôt d’épaisses alluvions, le site médiéval d’Upie/Les Vignarets. Cette nouvelle période de dérèglement des cours d’eau est responsable d’une forte érosion des sols et dénote un fonctionnement torrentiel. Les alluvionnements graveleux reprennent une forte intensité à Chabeuil/Les Brocards et Les Cachets, Upie/Les Vignarets et Les Chaux. Sur ce dernier site, un fossé les date d’avant la fin du xive et du xve s. (Berger, Jung 1999). Le remplissage du chenal des Cachets paraît contemporain des xiiie-xvie s. (Billaud 1997a). Cet épisode particulièrement intense se situerait donc au xiiie s., ou au début du xive s. À Upie, de nombreux chenaux, de 1 à 2 m de profondeur, remplis de graviers, surcreusent les dépôts antérieurs. L’analyse en photo-interprétation des formes hydrographiques fossiles, réalisée par C. Jung (fig. 101), fait apparaître que ces écoulements hydriques intéressent largement les pieds du Vercors (Berger et al. 1997). L’examen stratigraphique des travaux du TGV (fig. 99, 100) démontre que la plupart de ces signatures doivent appartenir à cette phase récente, même si certaines peuvent être attribuées à des phases hydrologiques antérieures dont la signature graveleuse affleure encore près de la surface. À Châteauneuf-sur-Isère/Beaume, on doit s’étonner que le fond de la cuvette où se trouve le site, au pied d’une colline molassique sensible à l’érosion, n’ait conservé aucune accumulation sédimentaire (cf. chap. 1). L’explication la plus plausible serait celle d’une vidange juste antérieure aux premières constructions de l’habitat datées du xiiie s. Le phénomène pourrait donc être plus précoce, ou bien l’habitat pourrait dater seulement de la fin du xiiie s.

FIG. 101
Traces d’hydrographie fossile sur les piémonts du Vercors, proches d’Upie/ Les Vignarets, observées lors de la mission aérienne IGN de 1954 (Chouquer, Jung 1996).
16Les dépôts alluviaux suivants peuvent être attribués à la période moderne. Il s’agit principalement des terrasses dites « historiques » des rivières descendant des contreforts du Vercors : la Véore et l’Ourche. Dans les deux cas, ces alluvions récentes se trouvent emboîtées dans les formations géologiques antérieures, 1 à 2 m en contrebas (fig. 99). Les rivières s’encaissent donc après le xiiie s., les phénomènes d’accrétion intervenant par la suite. Les apports anthropiques de comblement notés du xiiie au xvie s. dans le chenal des Cachets (Billaud 1997a) pourraient être une réponse à ces phénomènes de creusement.
17En rive gauche de la Véore, en face du site de Chabeuil / Les Brocards, des dépôts fins, limono-sableux à argileux, s’accumulent sur 3 à 4 m d’épaisseur. À 2 m de profondeur, la date de 1490 ap. J.-C. à l’actuel (235 ± 55 BP : ARC 1316, Montvendre : tranchée T171) démontre que l’accrétion alluviale, connue historiquement aux xviie-xviiie s., se manifeste bien sur un petit système fluvial comme celui de la Véore, et qu’il pourrait aussi débuter au cours du xvie s. C’est également 2 à 4 m de creusement de plus qu’il faut rajouter à la phase d’incision précédente. À Upie/Les Vignarets, les dépôts modernes de l’Ourche sont plus graveleux (fig. 99). Le cours actuel de ces deux rivières est maintenant incisé de 1 à 2 m dans ces formations récentes. La seule colluvion* repérée et datée de cette période se trouve à Châteauneuf-sur-Isère / Beaume, où elle se met en place juste après le dernier habitat du xve s.
18La plupart des séquences sédimentaires étudiées sur les communes d’Upie, Montmeyran, Chabeuil et Montélier (fig. 98) se terminent par un sable clair, bien trié, pas à peu limoneux. Cette formation qui se trouve juste sous les labours ne porte pas de traces de pédogenèse et n’apparaît pas très ancienne. Elle est postérieure au xvie s. aux Cachets. Sans qu’aucune date ne permette de confirmation, on la rattache, « classiquement », à la période de dérèglement hydroclimatique du Petit Âge glaciaire.
14.3.2 La basse vallée de la Drôme (sites de référence : Crest/Bourbousson, Chabrillan/Saint-Martin)
19À sa sortie des Préalpes calcaires, au verrou de Crest, la rivière Drôme coule dans une plaine large de 3 km, limitée au nord et au sud par des collines essentiellement molassiques (grès tendre tertiaire). La terrasse fluviatile de rive droite est la plus basse ; c’est à la charnière de celle-ci et du versant que se trouvent les sites antiques et médiévaux de Crest/Bourbousson 2 et 3 (fig. 102, 103). La rive gauche, constituée par une terrasse plus ancienne (rissienne), recouverte de lœss, est plus élevée. Elle reste à l’écart des divagations de la rivière, mais pas des écoulements qui se forment depuis les collines de molasse qui la bordent au sud. On y trouve les sites de Chabrillan / Saint Martin 1, 2 et 3.

FIG. 102
Profil stratigraphique des trois sites de Crest/Bourbousson (CB1), (CB2), (CB3).

FIG. 103
Profil stratigraphique schématique de la vallée de la Drôme au niveau des sites de Crest/Bourbousson.
20À la suite d’épisodes de dérèglement hydrologique, clairement identifiés par des dépôts alluvionnaires des deux à trois premiers siècles après J.-C., depuis les versants jusqu’au lit de la Drôme, la période qui couvre l’Antiquité tardive, jusqu’à la fin du ve s., apparaît plus stable. Une pédogenèse brunifiante se développe au moment de l’occupation romaine de Crest/Bourbousson 3 (fig. 102), datée de la fin du iie au ve s. (Bastard, Stephenson 2002). Elle a été suivie dans les sondages de diagnostic sur le tracé du TGV, sur toute la basse plaine de la Drôme (Réthoré et al. 1995). On peut supposer que le cours de la Drôme est alors encaissé de 2 à 3 m (dénivelé séparant l’altitude du sol du toit des graviers romains de la phase alluviale précédente, datée, à 5,7 m de profondeur, par un bois flotté de 175-410 ap. J.-C. [1725 ± 40 BP : ARC 1311 : fig. 103]). Ce paléosol, de couleur brun foncé à brun-gris, présente une structure polyédrique et quelques taches ferro-manganiques d’hydromorphie*. On y rencontre de façon éparse, mais continue, des débris de briques romaines qui pourraient être associés à une mise en culture extensive. Si l’on excepte son association à l’habitat romain de Crest/ Bourbousson 3, il reste mal calé chronologiquement sur toute son étendue dans la basse plaine drômoise. L’alluvionnement graveleux du lit majeur de la Drôme, après la date de 175-410 ap. J.-C. pourrait même en partie lui être contemporain dans sa phase terminale (fig. 103 : ensemble G).
21L’occupation romaine (fin iie-ve s.) de Crest/Bourbousson 3 est séparée du niveau d’occupation des viie à xie s. de Crest/ Bourbousson 2 (cf. chap. 4) par un dépôt de 0,5 à 1 m d’épaisseur de matériel hétérogène graveleux. Cette sédimentation trouve son origine dans de très forts colluvionnements constitués par le démantèlement de vieilles terrasses graveleuses pléistocènes situées à mi-pente et au sommet des collines dominant le site. Quelques nappes de graviers bien classés indiquent que des pluies concentrées peuvent être occasionnellement le moteur de ces écoulements sur les pentes qui sont nécessairement dénudées de végétation. Dans la basse plaine de la Drôme, le paléosol romain est séparé d’un paléosol qui lui est stratigraphiquement postérieur –il est rattaché à l’épisode médiéval suivant– par 1,5 m de sédiments limono-argileux bruns. Les graviers y sont présents, de façon éparse, mais jamais en nappes. Ils représentent, dans la plaine, l’aboutissement ultime des colluvions* repérées précédemment en pied de versant. Cependant, l’épaisseur de l’accrétion sédimentaire entre les deux paléosols (fig. 102, 103) semble devoir impliquer la participation de limons d’inondation de la Drôme et/ou d’affluents locaux. Le contexte morphodynamique ne permet pas encore d’expliquer aisément des débordements aussi importants du lit fluvial de la Drôme. Ces sédiments sont toujours très chargés en microcharbons de bois révélant l’existence de fréquents incendies. Ils sont également marqués par le développement de carbonatations* secondaires (pseudomycéliums*).
22À Chabrillan/Saint-Martin 3 (Rimbault 2000) et Chabrillan / La Prairie (Saintot et al. 1997), des alluvio-colluvionnements, mal calés chronologiquement, remblaient les paléovallons. Ils pourraient se situer dans cette période de l’Antiquité tardive aux débuts du haut Moyen Âge. Toujours sur la commune de Chabrillan, à l’approche du ruisseau Saint-Pierre, les sondages de la phase 1 (Goy et al. 1996) montrent, au fond de ce petit vallon, un exhaussement du lit du ruisseau de 1 à 2 m, durant l’Antiquité et/ou le Moyen Âge (débris de briques : datation en cours). Dans la sédimentation alternent limons argileux et sables provenant de l’érosion du bassin versant essentiellement molassique. Ces dépôts alluviaux sont également souvent chargés en microcharbons.
23Sur le site de Chabrillan/Saint-Martin 1 (moyenne terrasse de la Drôme : Lebreton 1996 ; Martin et al. 1997), plusieurs épisodes morphosédimentaires* ont été reconnus lors de la fouille de la villa antique et de structures associées au prieuré médiéval (cf. chap. 5). Ils apportent plusieurs précisions à la chronologie des événements. Les niveaux d’occupation de la fin du iie s. et de l’Antiquité tardive se mettent en place –à la suite de quelques réaménagements, déplacements de matériaux et remblais– sur des formations alluvio-colluviales épaisses datant du milieu du ier au milieu du iie s. (fig. 104) Au cours de cette phase d’occupation, aucun épisode d’instabilité géomorphologique n’est identifié sur la terrasse rissienne. Une deuxième période de dérèglement hydrologique est reconnue à la suite de la dernière phase d’occupation antique de la villa. Elle est caractérisée par la mise en place d’épais dépôts limono-sableux brun clair, associés à un fort hydrodynamisme qui contribue à démanteler en partie puis à fossiliser la villa (épisodes hydrologiques post ve s. d’après les éléments typochronologiques à notre disposition).

FIG. 104
Chabrillan/Saint-Martin 1 : a coupe stratigraphique sud (d’apr. Martin et al. 1995a) ; b villa : coupe N-S entre les deux murs de la terrasse médiane (zone 3, sondage 7) : phasage pédosédimentaire schématique (d’apr. Lebreton 1997) ; c log interprétatif synthétique des séquences de Chabrillan/Saint-Martin : séquence alluviocolluviale sur la moyenne terrasse de la Drôme.
24Toujours en rive gauche de la Drôme, mais sur les versants calcaires plus élevés, cette phase d’instabilité des versants est également reconnue à La Roche-sur-Grane/Le Verdier (Nohé et al. 1995). Des cailloutis sont remobilisés et viennent s’accumuler au-dessus d’une structure de combustion agraire datée de 425-635 ap. J.-C. (1525 ± 40 BP : ARC 1309). Ce mouvement de cailloutis est à rattacher à une mise en culture de terres (déversement de proche en proche des terres en bas de pente : Blanchemanche 1990) plus qu’à un colluvionnement naturel. Les terres sont transportées en bas de pente par les labours. Elles s’accumulent en bordure du chemin vicinal no 8, qui est respecté ; son origine remonte donc au moins à cette date.
25Tous les versants se stabilisent par la suite. À Chabrillan / Saint-Martin 1 les dépôts alluvio-colluviaux précédents sont marqués par une brunification* et une légère structuration, interprétées comme un épisode d’évolution pédologique (cf. § 14.4). Ce trait pédosédimentaire* révèle la stabilité des paysages environnants. Les niveaux d’occupation suivants, associés à la réoccupation du site à partir du xie s. sous la forme d’un prieuré, se développent depuis la surface de ce paléosol. Les nombreuses structures en creux qui s’ouvrent depuis ce niveau sont très souvent colmatées par un sédiment brun foncé qui témoigne de l’érosion superficielle de ce sol brun, lors de l’occupation médiévale du site (fig. 104). La durée de la pédogenèse peut être évaluée sur le site de Chabrillan / Saint Martin à cinq ou six siècles. À deux kilomètres de là, le paléosol est également visible au pied du petit massif collinéen de Chabrillan / La Prairie (Saintot et al. 1997). Il y est « daté » par un tesson de céramique du viie-viiie s.
26En rive droite de la Drôme, on retrouve ce sol brun sur les sites de Crest/Bourbousson 1 (Treffort et al. 1998), 2 et 3. Il peut être suivi sur toute la largeur de la basse plaine drômoise (sondages de diagnostic), confirmant ainsi l’étendue spatiale de cette période de stabilité (fig. 102, 103). Sa structure est polyédrique en pied de pente, plus massive dans la plaine (cf. § 14.4). Les habitats du viie s. et du xe-xie s. de Crest/Bourbousson 2 (cf. chap. 4) sont pris dans ce même niveau pédologique et permettent ainsi de proposer une fourchette temporelle à sa formation.
27Sur le versant voisin, juste au-dessus du site de Crest/ Bourbousson 2, des nappes de terre progradantes (fig. 102) marquent des terrassements sur les pentes. Ces terrasses de culture, sans murs construits en pierres, fragiles témoins de l’exploitation des versants, sont contemporaines, ou juste postérieures à l’occupation médiévale. De même, en rive gauche, à La Roche-sur-Grane / Les Treilayes, un aménagement des versants calcaires sous forme de terrasses de culture est associé à un habitat du xie-xiie s. Il contribue à la stabilité des pentes au cours du Moyen Âge classique (Blanchemanche 1990). Ces terrasses succèdent à des installations plus anciennes, probablement antiques, et sont fossilisées sous des colluvions* modernes. Elles présentent une terre brune pédogénéisée et très anthropisée –présence de nombreux charbons de bois, tessons, os, etc. (Rémy 1997). Sur les versants calcaires et marneux du bassin valdainais, des processus d’aménagement par l’homme des pentes ont été identifiés à proximité des villages de Châteauneuf et La Bégude-de-Mazenc, La Bâtie-Rolland et Savasse. Leur démantèlement s’amorce probablement à partir du xive s. (Berger 1996a).
28À cette longue période de stabilité généralisée, marquée par le développement des processus pédologiques, succède une phase d’instabilité morphosédimentaire* encore difficile à caler chronologiquement entre le xiie et le xive s. En rive gauche, le paléosol médiéval est irrémédiablement tronqué sur les points hauts et ne subsiste plus que dans les zones légèrement déprimées. À Chabrillan / La Prairie, le sol est d’abord tronqué puis recouvert, à une date indéterminée, d’un puissant alluvionnement sablo-limoneux qui reflète l’érosion des versants. Au fond de la petite vallée voisine du ruisseau Saint-Pierre, qui se comble également, un niveau plus organique, qui marque une rémission dans les apports de terre, a été daté de 1414-1449 ap. J.-C. (480 ± 50 BP : UtC 8479 ; tranchée Chabrillan : T89, c. 12). À Chabrillan/ Saint-Martin, la mise en place de dépôts alluvio-colluviaux limono-sableux, jaunâtres à brun jaune, peu structurés, succède à la pédogenèse précédente. Ils se déposent au cours d’une période toujours mal calée chronologiquement, mais qui pourrait être postérieure au xiiie s. Ces formations, dues à l’érosion des lœss de la terrasse et des sables molassiques collinéens proches, témoignent de la vitesse des ruissellements de pluies parfois concentrées sur des surfaces agricoles peu protégées par la végétation (Lebreton 1996).
29En rive droite, le sol médiéval est emporté par des chenaux de divagation (fig. 103) de la Drôme ou d’affluents locaux. Ce qu’il en reste est recouvert par des limons sableux jaune-brun, chargés en sables molassiques, d’origine alluviocolluviale, provenant du versant septentrional. À Crest/ Bourbousson 3, une étude stratigraphique fine montre que ce dépôt s’effectue en plusieurs épisodes et qu’il est caractérisé par des phases de répit dans une pédogenèse peu prononcée. Dans la partie supérieure, la présence d’un tesson de céramique vernissée blanche indique que l’on est entré dans les Temps modernes. Par la suite, toujours à Crest/ Bourbousson, un important dépôt alluvial de sable molassique jaune, bien trié, sans indice pédologique, s’étale en pied de pente et constitue un cône alluvial volumineux au débouché d’une petite vallée actuellement sèche (fig. 102, 103 : ensemble J). Une telle accumulation suppose le déboisement des versants de molasse et une hydrologie abondante, concentrée, sur un bassin versant réduit.
30Les sondages de la base de travaux d’Eurre/La Condamine (Martin et al. 1995b) ont mis en évidence la formation d’une terrasse alluviale récente de la Drôme, au cours des xviie et xviiie s., et juste après (fig. 103 : ensemble K). Elle présente des faciès d’abord limoneux puis graveleux. La variété des chenaux recoupés démontre qu’un cours tressé* s’y développe dans la phase finale. Sa largeur peut être estimée entre 0,5 et 1 km, d’après l’étude des traces fossiles repérées en photo-interprétation (Chouquer, Jung 1996). Le cours actuel de la Drôme est maintenant incisé de 2 m dans ces dépôts récents.
14.3.3 La Valdaine, plaine alluviale du Vermenon (site de référence : Montboucher-sur-Jabron/ Constantin)
31Le site archéologique de Montboucher-sur-Jabron/Constantin (cf. chap. 8) est implanté au centre de la Valdaine. Topographiquement, les habitats historiques fouillés se trouvent à la limite du lit mineur et du lit majeur du Vermenon, principal affluent du Jabron qui draine la partie méridionale du bassin, en contrebas des basses terrasses pléistocènes à sols rouges fersiallitiques du système Jabron / Vermenon (fig. 105). Cette position en bord de rivière présente des avantages, liés à la proximité des ressources en eau, mais aussi des inconvénients, liés aux dérèglements du lit du Vermenon (crues et sapes répétées, changements de cours incessants, style en tresse*).

FIG. 105
Montboucher-sur-Jabron/Constantin : a localisation du site dans le bassin inférieur du système Jabron-Vermenon ; b cartographie du site archéologique avec les principales coupes observées.
32L’analyse stratigraphique des séquences alluviales historiques du site de Constantin révèle au moins trois phases de torrentialité au sein des formations sédimentaires recoupées dans le lit mineur de la rivière. La première est assurément antique, mais encore mal calée chronologiquement (Haut-Empire). La deuxième est postérieure ou contemporaine de l’Antiquité tardive puisqu’elle provoque le déblaiement d’une grande partie du bâtiment attribué à cette période (Goy, Rémy 1996), et aussi probablement de constructions situées en amont du site et donc hors emprise de la ligne du TGV ; cette phase est caractérisée par des nappes successives de pierres, de tegulae et de céramiques emballées dans une matrice limono-sableuse à sableuse brune (fig. 106 : US 200, 201, 205). L’essentiel de cette sédimentation résulte sans doute du décapage d’une partie de la couverture pédologique alluviale qui s’était régénérée durant le Bas-Empire. Une dernière phase de dérèglement hydrologique, associée à un exhaussement du niveau de la plaine alluviale, paraît postérieure à l’habitat du xie s. Elle est précédée d’une troncature d’une partie des formations sédimentaires antérieures et du sol archéologique associé à l’occupation médiévale. Un alluvionnement brun-jaune plus ou moins grossier se dépose par la suite. Il est repéré sur l’ensemble du site sur une épaisseur moyenne de 0,50 m. Des fossés modernes non datés sont creusés dans ces formations alluviales qui supportent la pédogenèse actuelle.

FIG. 106
Présentation des stratigraphies des tranchées 1 et 356 sur le site de Montboucher-sur-Jabron/Constantin.
33Trois phases de stabilisation du lit mineur du Vermenon sont observées entre ces phases de dérèglement hydrologique, sous forme de paléosols plus ou moins développés. La première est située chronologiquement entre les deux périodes antiques d’instabilité fluviale. Elle repose sur les alluvions grossières qui se sont mises en place au cours de la première partie de la période romaine (fig. 105, 106 : tranchées 1 et 356), en constituant une terrasse alluviale au cours de la seconde partie de l’Antiquité. Cette terrasse alluviale explique l’implantation de l’habitat de l’Antiquité tardive ou du début du Moyen Âge si près de la rivière (Goy, Rémy 1996). La pédogenèse peut être mise en relation avec une phase d’encaissement du lit fluvial et une baisse du niveau hydrique. Le sol d’apparence peu carbonaté sur le terrain, malgré la prédominance des formations géologiques calcaires dans le bassin amont, apparaît en effet brunifié. Il présente une structure grumeleuse et une porosité développée qui indiquent un bon drainage de la basse plaine du Vermenon. La précipitation de carbonates secondaires sous la forme de pseudomycéliums* révèle une augmentation des processus d’évapotranspiration*, ou une diminution des précipitations qui empêche le lessivage des carbonates. Le fossé de drainage qui s’ouvre depuis le sommet de ce paléosol (fig. 105, 106 : tranchée 1) contribue sans doute alors à amplifier l’abaissement de l’aquifère. Le recouvrement et la destruction partiels de ce paléosol et des vestiges archéologiques associés confirment la modification importante de la dynamique fluviale à la fin de l’Antiquité.
34La seconde phase d’évolution pédologique identifiée se développe aux dépens d’alluvions grossières, chargées en matériaux de construction et en vestiges céramiques associés au bâtiment du vie-viie s. Elle est matérialisée par un horizon limono-sableux, de couleur brun foncé, marqué par une structure* assez développée (de prismatique* à polyédrique), une forte porosité d’origine biologique, des carbonatations sous forme de pseudomycéliums* et de nombreux mollusques Ces caractères semblent indiquer une évolution plus longue que celle du paléosol associé au Bas-Empire. Son développement est à associer à une période de stabilité fluviale pluriséculaire. Si le début de son évolution peut être envisagé à un ou deux siècles près (entre le vie et le viiie s.), il n’existe pas de terminus post quem direct pour discuter la fin de son fonctionnement et donc la durée réelle de son développement. Cet état est dû aux phénomènes de troncature postérieurs au xie s. qui ont marqué la terrasse graveleuse sur laquelle s’était implanté l’habitat du haut Moyen Âge (datée du xie s. par la dendrochronologie). Le sol associé à cet habitat n’est donc pas conservé dans l’environnement direct du site, et seules les structures en creux nous sont parvenues (des fosses et un fond de cabane incendié in situ, préalablement creusé dans la terrasse). Cependant, en absence de connexion stratigraphique directe, la ressemblance de faciès entre le matériau composant du sol brun à faciès vertique* et celui du remplissage des fosses du haut Moyen Âge qui entourent l’habitat en terre peut nous conduire à envisager leur contemporanéité.
14.3.4 La basse plaine alluviale du Tricastin (pas de site d’habitat reconnu sur le tracé)
35Les données sur l’évolution des paysages et des climats proviennent majoritairement de l’étude des structures parcellaires fossiles, qui a été initiée dans le cadre du programme « fossés et voirie » du TGV (Berger, Jung 1999), et des sondages linéaires systématiques effectués lors des prospections archéologiques (Ferber, Ronco 1996 ; Alfonso, Cossalter 1996). Une évolution particulièrement fine des ambiances pédosédimentaires* dans la plaine du Tricastin a ainsi été obtenue grâce à l’étude d’une grande série de fossés antiques interstratifiés entre des formations alluviales et des paléosols (fig. 107). Les nombreuses datations au radiocarbone effectuées sur des lits de charbons de bois piégés dans le remplissage des fossés apportent un cadre chronostratigraphique précis pour la seconde partie de l’Antiquité, le début du Moyen Âge et la période moderne. Les datations, moins précises pour ce qui concerne le Moyen Âge classique et le bas Moyen Âge, devront être complétées par de nouvelles analyses radiométriques.

FIG. 107
Les principales séquences pédosédimentaires du Tricastin présentant le palésol du haut Moyen Âge et du nord au sud (d’apr. Berger, Jung 1999). Noter la présence systématique sous cet horizon pédologique de fossés de drainage antiques, parfois recreusés au cours des périodes médiévale et moderne.
36Les réseaux drainants subissent des épisodes de comblement répétés et brutaux au cours des iie et iiie s. de notre ère (sites de Lapalud/Les Girardes, Bollène/Les Brassières). Ces processus sont à mettre en relation avec des épisodes climatométéorologiques particulièrement violents et concentrés d’après les signatures sédimentaires observées (colmatages sablo-graveleux aux Girardes). Dans le réseau d’irrigation du site de Bollène/Les Battras (fig. 107 : no 3), deux épisodes hydrologiques marqués par un très fort hydrodynamisme se produisent entre 43 av.-125 ap. J.-C. (1975 + 45 BP : Ly- 8964) et 205-392 ap. J.-C. (1750 ± 40 BP : Ly-8963). Ils témoignent du manque de contrôle de ce réseau qui canalise le cours du Lauzon. Les canaux sont alors fortement endommagés par des sapements répétés et des divagations anarchiques des flux hydriques (Berger, Jung 1999).
37Plusieurs phases d’atterrissement et d’eutrophisation des réseaux du Tricastin s’observent, faisant suite à une première phase identifiée au début du iie s., jusqu’au début du Bas-Empire (phase 2d des Girardes, phase 2c/2d des Brassières). Elles correspondent à des phases d’abandon de l’entretien des parcellaires, parfois associées à une forte remontée des aquifères (phases 3a et 3b des Brassières, 3a des Girardes) [Berger 2001 ; Berger, Lopez-Saez 2001]. Au cours du iiie s. ap. J.-C., des phases d’alluvionnement sont identifiées sur le site des Ribauds, soit entre 60-316 ap. J.-C. (1850 ± 50 BP : AA-21715) et 149-441 ap. J.-C. (1720 ± 60 BP : AA- 24905) [fig. 107 : no 7]. Les alluvions de crue scellent l’ensemble des quatre premières phases de fonctionnement des fossés, ainsi qu’une voie empierrée et sa recharge (Berger, Jung 1999). Entre le iiie s. et le ve s. (149-441 ap. J.-C. [1720 ± 60 BP : AA-24905]) et 262-550 ap. J.-C. (1625 ± 50 BP : AA-21716), la brunification* des alluvions de crue aux Ribauds, aux Brassières et au Duc indique le ralentissement de l’accrétion, qui favorise ainsi une amorce de pédogenèse (fig. 107 : nos 7-9). Les traits sédimentaires et pédologiques identifiés au sein des unités de remplissage des fossés du Bas-Empire témoignent dans le même temps de l’apaisement des ruissellements superficiels et de la baisse durable des aquifères. Les traces de bioturbation* s’affirment à nouveau après une longue interruption au cours des phases du Haut-Empire. Les processus d’oxydoréduction sont bien développés et témoignent d’une exondation prolongée des fonds de fossés. La formation de pseudomycéliums*, de petits manchons et de quelques nodules carbonatés millimétriques formés aux dépens de la nappe alluviale enfin, pourrait marquer une augmentation des processus d’évaporation et d’évapotranspiration* et donc un probable réchauffement et un assèchement du climat (Berger, Jung 1999) [fig. 107 : nos 7-9].
38Par la suite, la brunification* et la vertisolisation* de l’ensemble des formations pédologiques et des sédiments de comblement des fossés des ve et vie s. (fig. 107 : nos 7-9) révèlent sans doute une rupture dans la gestion des sols avec ce qui précède et une remontée des niveaux hydriques (cf. § 14.4). L’analyse du remplissage des fossés (limons brun foncé) indique sans doute une extension des prairies humides et des milieux palustres dans l’ensemble de la plaine alluviale (Berger, Jung 1999). C’est ce que semblent révéler les analyses malacologiques et phytolithiques préliminaires effectuées sur ce type de faciès pédosédimentaire* (Magnin 1996 ; Peyric, Magnin 1998 ; Verdin 1998).
39La fin du colmatage des fossés de cette phase tardo-antique paraît très perturbée par les crues de débordement du Lez et du Lauzon. Le colmatage du réseau semble rapide, voire « instantané ». Une succession de crues débordantes, identifiables par la coloration jaunâtre dominante des sédiments, peut être évoquée. Parallèlement, un fort exhaussement de la basse plaine s’observe à partir de la fin du ve s., identifié par ailleurs –les sites des Brassières et des Ribauds ont été datés de 420-640 ap. J.-C. (1525 ± 50 BP : AA-21714) et 414-612 ap. J.-C. (540 ± 45 BP : AA-24906). Ces dépôts scellent et protègent de manière remarquable l’ensemble du réseau de drainage antique (fig. 107 : nos 1-9). L’ultime phase d’exhaussement du plancher fluvial est calée dans le cône du Lez‑Lauzon par la date la plus récente obtenue sur le dernier niveau de colmatage du fossé 75 aux Brassières, 560-755 ap. J.-C. (1385 ± 55 BP : AA-24907). Elle indique que les derniers épisodes de crue importants se produisent vers la fin du viie s. ou le début du viiie s. ap. J.-C. Les derniers fossés tardo-antiques identifiés dans le centre et le sud de la plaine du Tricastin présentent de grandes quantités de charbons de bois (Les Ribauds, Les Brassières, Les Battras, Le Chêne, etc.). Cette biomasse calcinée indique la répétition des feux dans la plaine alluviale, mais aussi dans le bassin amont du Lauzon à la fin de l’Antiquité, au moment où se produit cette nouvelle crise hydrologique.
40L’ensemble de ces alluvions subit une pédogenèse marquée, identifiée en stratigraphie du nord au sud de la plaine alluviale (depuis le cône de la Berre jusqu’au cône du Lez : fig. 107). Ce paléosol brun à gris-noir, toujours très structuré (structure prismatique*), se développe au-dessus de la majorité des structures drainantes antiques dont l’arrêt de fonctionnement est précisément daté de la charnière Antiquité tardive-haut Moyen Âge par quatre ou cinq dates au radiocarbone –probablement entre le milieu du vie s. et le début du viie s. ap. J.-C. Une structure archéologique apporte également un terminus post quem précis pour dater le début de la pédogenèse du haut Moyen Âge dans le Tricastin. Le colmatage terminal du réseau d’irrigation des Bartras (phase 9b) est scellé par un foyer associé à de la céramique dite dérivée de sigillée paléochrétienne DSP (lve-viie s.) avant d’être recouvert par un dépôt de crue d’une vingtaine de centimètres, qui acquiert une coloration gris-brun foncé, et une très forte structuration (prismes), d’origine mécanique (succession de phases d’humectation-dessiccation). Cette pédogenèse est associée sur le site des Bartras à de nombreux mollusques, notamment au niveau du fossé 15, dont l’assemblage caractéristique semble attester une reprise forestière (association de Cepea nemoralis, Pomatias elegans et Clausilia : étude malacologique par D. Peyric et F. Magnin, en cours). Cette situation révèle sans doute une déprise humaine sur le secteur, corroborée par l’abandon de l’entretien durable du réseau de canaux des Bartras (Berger, Jung 1999).
41Ce paléosol épais, brun à gris foncé (cf. § 14.4), présente ici une forte structuration prismatique* révélatrice d’une remontée de la nappe alluviale par rapport à la période précédente, et indirectement du maintien d’un haut niveau saisonnier des aquifères dans le lit du Lauzon et du Lez, et dans la cuvette humide située à l’est du Tricastin (sites des Malalones, de Surel [fig. 113a, d] et des Bartras). Il indique aussi une longue pause hydrosédimentaire marquée par l’absence ou au moins la nette diminution des épisodes de crue et l’affirmation des processus pédologiques pendant plusieurs siècles, du vie-viie s. au xiie ou xiiie s. d’après le contexte chronostratigraphique régional (fig. 108).

FIG. 108
Corrélation des principaux événements pédosédimentaires de la partie sud du tracé du TGV : bassin valdainais, plaine du Tricastin, plaine d’Orange. Responsables des sondages et fouilles, et réf. bibliographiques : 1 M. Goy et A. Allimant (Goy et al. 1996) ; 2 C. Vermeulen (1997) ; 3 M. Goy et I. Rémy (Goy, Rémy 1996) ; 4 M. Linossier ; 5 C. Markievicz (1996) ; 6 P. Boissinot et K. Roger (Boissinot, Roger 1999) ; 7 X. Margarit (Margarit et al. 1997) ; 8, 9 C. Vermeulen (1997) ; 10 A. Gelot (Gelot et al. 1996) et X. Margarit (Margarit et al. 1997) ; 11-13 G. Alfonso et N. Cossalter (Alfonso, Cossalter 1996).
42La période de recreusement des réseaux de drainage n’est pas encore connue avec certitude –par manque de datations au radiocarbone essentiellement. Elle s’effectue à partir du sommet du paléosol brun-noir et peut être attribuée relativement à la période comprise entre la fin du haut Moyen Âge et le bas Moyen Âge (du xie aux xive-xve s.). Cette première phase d’utilisation médiévale est scellée par des dépôts limoneux fins, brun-gris-jaune à brun clair, présentant des pseudomycéliums* épars (site des Brassières, des Ribauds, du Chêne). Ils sont plutôt bien structurés (structure* de prismatique* à grumeleuse). Leur attribution chronologique apparaît encore ici relative et fluctuante, mais peut être envisagée antérieurement aux xviie-xviiie s. aux Brassières (1650-1804 ap. J.-C. [220 ± 50 BP : AA-24912], sans considérer le dernier pic de probabilité, trop récent par rapport au contexte historique et sédimentaire). Ces dépôts pourraient être précédés d’un épisode de troncature de la partie supérieure du paléosol médiéval et des fossés drainants associés. L’ambiance pédoclimatique* identifiée dans ces dépôts de crue n’est pas sans rappeler celle identifiée dans les dépôts de la phase 8 de la plaine d’Orange (cf. § 14.3.5) ; son contexte stratigraphique est identique.
43À partir du sommet de ces dépôts, une nouvelle phase de creusements et de curages répétés est observée. Elle révèle la densité des réseaux de fossés drainants, réactivés le plus souvent dans l’axe des parcellaires antiques. Les rares datations au radiocarbone effectuées sur ces fossés révèlent une période d’utilisation centrée sur les xviie et xviiie s. (1650-1804 ap. J.-C. [220 ± 50 BP : AA-24912], 1640-1810 ap. J.-C. [230 ± 40 BP : Béta-109518], 1655-1950 ap. J.-C. [160 ± 50 BP : Béta-109517]).
44Ces fossés modernes sont ensuite fossilisés, ou parfois interstratifiés, dans des formations alluviales de crue jaunâtres, de texture* limoneuse à sableuse fine, pulvérulentes, épaisses (de 0,50 à 0,70 m) et peu pédogénéisés (à structure* particulaire). Ces signatures témoignent d’un exhaussement important du plancher fluvial. La rareté des traits pédologiques et de mise en culture identifiables sur le terrain, dans cet horizon, indique la vitesse de l’exhaussement alluvial et les contraintes exercées sur l’organisation de l’espace agricole. Ces dépôts alluviaux sont identifiés dans l’ensemble de la plaine du Tricastin et témoignent ainsi de la généralisation de ce phénomène hydrologique (fig. 107). Le contexte chronostratigraphique régional situe le principal épisode de « crise hydrosédimentaire » dans la période contemporaine, à partir du xviiie s. (Beta-109517 : 160 + 50 BP aux Devès, et AA-24912 : 220 ± 50 BP aux Brassières) et antérieurement au xxe s.
14.3.5 La basse plaine alluviale d’Orange ou confluence Rhône-Aygues (pas de site d’habitat médiéval reconnu sur le tracé)
45La plaine d’Orange regroupe le lit majeur du Rhône et le cône de déjection holocène de l’Aygues (fig. 97b). Son instabilité morphosédimentaire* au cours des derniers millénaires a été révélée par les études géo-archéologiques effectuées lors des sondages linéaires (Alfonso, Cossalter 1996) et par les études de photo-interprétation de G. Chouquer qui ont permis d’identifier les images de surface actuelles d’un paléoréseau hydrographique important associé à de nombreuses traces de parcellaires historiques, notamment le cadastre C d’Orange (Chouquer, Gonzales-Villaescusa 1996) [fig. 109]. Cette plaine alluviale est caractérisée depuis le début de la période antique par de multiples épisodes de crue, qui ont provoqué la fossilisation des paysages agraires sous plus de 3 m d’alluvions fluviatiles. Les vestiges romains du début de notre ère, niveaux d’habitat, sols cultivés, niveaux de défrichement par le feu, voies, se retrouvent régulièrement entre 3 m et 3,50 m de profondeur (fig. 110).

FIG. 109
Localisation des 10 séquences pédosédimentaires étudiées entre l’Aygues et le Rhône sur le fond parcellaire actuel et des formes paléohydrographiques révélées par l’analyse archéomorphologique de G. Chouquer et R. Gonzalez Villaescusa (1996). Noter que la séquence 1 (Orange/Q600) semble se situer dans l’axe d’une paléovallée de l’Aygues.
1 Orange/Q600,
2 Caderousse/Les Crémades (S1),
3 Caderousse/Les Crémades (S2),
4 Caderousse/Les Négades (S4),
5 Caderousse/Les Négades (S2),
6 Caderousse/Saint-Pierre,
7 Caderousse/Saint-Pierre (S1),
8 Caderousse/Saint-Pierre (S4),
9 Caderousse/E920-921 (S1),
10 Caderousse/Le Camp Redon (SI).

FIG. 110
Proposition de corrélation et phasage pédosédimentaire des sondages de la plaine d’Orange (confluence Rhône-Aygues) : 1 graviers würmiens ; 2 formations sédimentaires déposées au cours de la Préhistoire récente et la Protohistoire (14C en cours) ; 3 formations sédimentaires déposées jusqu’à la fin du Ier s. ap. J.-C. ; 4 formations sédimentaires déposées pendant l’Antiquité, de la fin du Ier s. aux IIe et IIIe s. ; 5 formations sédimentaires supposées de la fin de l’Antiquité (IIIe-IVe s.) ; 6 formations sédimentaires déposées à la charnière de l’Antiquité et du Moyen Âge (Ve-VIe s.), sur lesquelles se développe le paléosol du haut Moyen Âge ; 7 formations sédimentaires supposées déposées au cours du Moyen Âge médian et/ou du bas Moyen Âge ; 8formations sédimentaires déposées à l’époque moderne.
46Cette situation, si elle handicape considérablement la restitution de la dynamique d’occupation des sols par les approches traditionnelles de photo-interprétation et de prospection archéologique pédestre, représente par contre un document paléoenvironnemental d’un grand intérêt, par l’extrême dilatation des séquences pédosédimentaires* (Berger 2001). Dix longues séquences stratigraphiques, situées entre les berges de l’Aygues à l’ouest de la ville d’Orange et celles du Rhône au sud de Caderousse (fig. 110), permettent de reconstituer l’évolution des agrosystèmes et des climats antiques et médiévaux avec une très grande finesse et des pas de temps de l’ordre du siècle. Elles se sont formées dans un système de plaine d’inondation, marqué par une dynamique d’accrétion irrégulière. Quatre séquences alluviales, traitées de façon pluridisciplinaire, permettent de discuter de l’état des agrosystèmes tardo-antiques et médiévaux. Il s’agit des coupes d’Orange / Q600, de Caderousse / Les Crémades, de Caderousse/Les Négades et de Caderousse/ Saint-Pierre. Six autres séquences, moins bien documentées, complètent le cadre chronostratigraphique de cette plaine alluviale.
47Nous avons pu distinguer huit phases pédosédimentaires* dans l’état actuel de l’étude. Leur caractérisation repose sur les repères chronologiques actuellement à notre disposition (une douzaine de niveaux d’occupation et quatre dates au radiocarbone) et sur l’interprétation puis l’association des principaux faciès pédosédimentaires*. Sur certaines coupes, des phases sont regroupées compte tenu du manque de repères chronologiques. Seules les phases 4 à 8b, qui concernent la seconde moitié de l’Antiquité et les périodes médiévale et moderne, seront discutées ici.
48La phase 4 correspond à un exhaussement du plancher fluvial à partir du ier s., postérieurement à une occupation augustéenne, et jusqu’au iie ou au iiie s. de notre ère, soit 70-337 ap. J.-C. (1825 ± 55 BP : AA-20642). Elle est associée à une remontée temporaire du niveau hydrique (formation de limons tourbeux). Les premières analyses malacologiques, réalisées sur la séquence de Caderousse / Les Crémades, confortent l’idée d’une remontée de l’aquifère au même moment (Peyric, Magnin à paraître) [fig. 111].

FIG. 111
Corrélation entre les données pédosédimentaires (J.-F. Berger), les données malacologiques (F. Magnin) et les données pédo-anthracologiques (S. Thiébault) issues du sondage de Caderousse/Les Crémades (confluence Rhône-Aygues, Vaucluse). La courbe malacologique révèle la forte variation des aquifères au cours du premier millénaire de notre ère (phases de remontée importante et durable de la nappe associée à une paludification et phases de baisse associée à l’extension de prairies plus xériques). Les données pédologiques de terrain sont en bonne concordance avec les ambiances paléoenvironnementales successives révélées par les assemblages malacologiques (d’apr. Berger 2001).
49Les niveaux supérieurs de ces couches d’alluvions (phase 5) sont plus oxydés, de coloration gris-brun, plus ou moins clair, et présentent une structure grumeleuse. Les processus pédologiques apparaissent mieux exprimés. Les aquifères plus bas et des précipitations de carbonates secondaires sont ponctuellement observés sous forme de petits nodules carbonatés millimétriques. Des vestiges antiques sont souvent identifiés en surface, mais rarement bien datés, excepté sur le site de Caderousse/Les Négades où un lit épars de céramiques oxydées micacées indique le Bas-Empire (iiie-ive s.). Des dates au radiocarbone en cours permettront de confirmer l’attribution chronologique de cette phase pédosédimentaire*. Un nouvel exhaussement fluvial se produit à la charnière Antiquité-Moyen Âge (phase 6). Il est important car l’épaisseur des dépôts apparaît toujours supérieure ou égale à 0,50 m et atteint parfois 0,70 m, ce qui représente une accrétion moyenne de 3 mm par an. Les processus sédimentaires sont discontinus, régulièrement marqués par des traits pédologiques (structure de micropolyédrique à grumeleuse, porosité canaliculaire). Des lits de charbons de bois sont interstratifés dans ces dépôts alluvionnaires. Ils reflètent des incendies de forêt, faisant suite à une reconquête végétale de la plaine d’Orange. La granulométrie des dépôts est plutôt fine (limon argileux), elle indique des crues à la compétence modérée. La coloration brun-gris à gris-brun plus ou moins violacé, indique une légère brunification* et un enrichissement en matière organique plus ou moins fortement humiliée, qui peut s’expliquer par un couvert végétal plus dense et continu, reconstitution de la ripisylve* ou extension de prairie. Cette période de dérèglement hydrologique est assez bien datée, dans une fourchette qui englobe les ve et vie s. de notre ère. Elle apparaît ainsi postérieure à deux dates au radiocarbone (90-340 ap. J.-C. [1800 ± 50 BP : AA-20636] et 70-337 ap. J.-C. [1825 ± 55 BP : AA-20642-1]) et à un niveau d’occupation des IIIe-ive s., et antérieure à deux dates au radiocarbone effectuées sur des lits de charbons de bois : 430-650 ap. J.-C. (1495 ± 55 BP : AA-20642) et 789-990 ap. J.-C. (1145 ± 75 BP : AA-20635). La période de rémission des crues est clairement assurée entre la fin du viiie s. et le xe s., soit 789-990 ap. J.-C. [1145 + 75 BP] lorsque se forment des dépôts organo-minéraux dans les points bas de la plaine alluviale.
50Un paléosol, bien caractérisé sur le terrain, se développe aux dépens des niveaux de crue de la phase 6 (fig. 110 : coupes 2 à 9). Il est caractérisé par une coloration gris foncé, constante à travers la plaine d’Orange (2,5 Y 4/2), une épaisseur moyenne de 0,25 à 0,30 m, une structure prismatique* bien exprimée (cf. § 14.4). On observe également de nombreux mollusques dans ce paléosol, souvent associés à un environnement palustre ou de prairie humide, plus ou moins densément arborés (Peyric, Magnin à paraître). C’est le cas sur le site de Caderousse/Les Crémades où le spectre malacologique révèle une forte remontée de la nappe phréatique alluviale (fig. 111). Les charbons de bois sont en revanche rares, jamais visibles sur le terrain, malgré la durée de la pédogenèse. Le début de cette pédogenèse est plutôt bien calé, sur le site de Caderousse/Les Négades, par un lit de charbons de bois, juste sous-jacent au paléosol, daté de 430-650 ap. J.-C. (1495 ± 55 BP : AA-20642). Par contre, le terminus de la pédogenèse est encore incertain dans la plaine d’Orange, car aucune datation au radiocarbone n’a été effectuée sur les dépôts sédimentaires supérieurs (datation en cours), et seuls quelques tessons de céramique vernissée de facture moderne sont observés dans les alluvions jaunâtres supérieures (phase 8a). Par analogie avec le cadre chronostratigraphique régional (fig. 98, 108), nous proposons de dater son recouvrement sous des dépôts de crue de la fin du Moyen Âge classique ou du bas Moyen Âge (xiie-xive s.?).
51Dans les secteurs plus déprimés de la plaine d’Orange (petite dépression ou lit abandonné de l’Aygues, en voie d’atterrissement), le paléosol alluvial laisse latéralement la place à des faciès argilo-organiques, plus ou moins tourbeux (fig. 110 : 1, 10). Leur développement est probablement synchrone avec celui de la pédogenèse, d’après une date au radiocarbone obtenue dans le sondage Orange / Q600 sur charbons de bois à la base de la séquence organique (789-990 ap. J.-C. [1145 ± 75 BP : AA-20635]). Elle confirme la nette diminution des dépôts de crue au cours du haut Moyen Âge. Cette corrélation avec un processus pédosédimentaire* identique, à travers l’ensemble de la confluence Rhône-Aygues, affirme l’extension de la pause hydrosédimentaire et la stabilité de cette vaste zone fluviale à partir du viie s. ou viiie s. ap. J.-C. jusqu’au Moyen Âge classique. De petits épisodes de crue ne sont pas exclus au cours des cinq à six siècles d’évolution de ce paléosol (cf. § 14.4), mais ils ne sont jamais suffisants pour fossiliser ce sol. Tout au plus peut-on envisager une légère dilatation du profil pédologique (sol cumulique).
52Une épaisse séquence de dépôts de crue recouvre ce paléosol (phase 7). Elle oscille entre 0,40 et 0,70 m d’épaisseur selon les secteurs étudiés. La granulométrie des dépôts est fine (limons fins ou limon argileux) et révèle la compétence modérée des flux hydriques. Leur tonalité gris clair à gris-beige clair (richesse en grains carbonatés détritiques) est caractéristique et semblable à travers l’ensemble de la plaine d’Orange (fig. 110). Leur structuration n’est pas toujours développée, mais demeure cependant identifiable (structure* de micropolyédrique à grumeleuse). L’ouverture et le fort développement de la porosité canaliculaire contrastent fortement avec le paléosol sous-jacent. En association avec l’augmentation des traits d’oxydation, l’ouverture de la porosité indique une nette amélioration du drainage naturel de la plaine alluviale. Des précipitations de carbonates secondaires sont ponctuellement observées sous forme de petits nodules carbonatés millimétriques ou de pseudomycéliums* identiques à ceux observés dans la plaine du Tricastin (fig. 110 : coupes 4 et 5). D’autres formes de précipitation de carbonates secondaires sont potentiellement identifiables sous lames minces (étude en cours). Ces traits carbonatés révèlent sans doute l’augmentation des processus d’évapo-transpiration dans les sols alluviaux (cf. § 14.4). La datation de cet épisode demeure encore incertaine et relative. Il est postérieur au haut Moyen Âge (paléosol gris foncé sous-jacent) et très probablement antérieur à la période moderne (faciès jaunâtres supérieurs à tessons vernissés) ; un âge relatif fluctuant entre le Moyen Âge classique et le bas Moyen Âge peut être proposé à titre d’hypothèse.
53Une dernière séquence d’alluvions de crue succède (phase 8) à la précédente. Elle apparaît de loin comme la plus épaisse et, du point de vue de la texture*, comme la plus grossière des différentes colonnes sédimentaires étudiées. Cette séquence de crue présente une puissance de 1,50 m en moyenne, avec un maximum de 2,10 m au nord sur les berges de l’Aygues et un minimum de 1,20 m dans le sud de la plaine, au niveau des coupes de Caderousse/Saint-Pierre (fig. 109, 110). Les faciès regroupés dans cette phase alluvionnaire présentent une texture* grossière pour des dépôts de débordement, dominée par les limons et les limons sableux. Leur structuration pédologique est peu développée. Les tonalités sont dominées par le jaune, le brun-jaune ou le brun clair, et le mouchetage de rouille est fréquent (phénomènes d’oxydoréduction). Les processus pédogéniques ont semble-t-il été ralentis par la vitesse de sédimentation. De courtes phases de baisse de la compétence des crues associées à un enrichissement en matière organique et à une légère brunification* révèlent cependant, dans les coupes les plus dilatées (fig. 110 : coupe 1 [phase 8a-b] et coupe 7), la discontinuité des processus d’accrétion sédimentaire. Mais en l’absence de repères chronologiques précis, il n’est pas possible de préciser quand ils se sont produits. Seule la présence de quelques tessons vernissés dans les séquences de Caderousse permet de situer cet exhaussement brutal et important du plancher fluvial à la fin de la période médiévale et/ou au cours de la période moderne. Sur deux coupes (4 et 7 : fig. 110), la dernière phase (8b) de dépôt d’inondation apparaît nettement plus grossière (limons sableux). L’augmentation de la taille des particules déposées dans la plaine d’inondation, à une distance certaine des chenaux principaux, témoigne d’un renforcement de la compétence du Rhône et de l’Aygues, mais peut aussi témoigner du rapprochement d’un ou de plusieurs chenaux actifs au cours d’un épisode de métamorphose fluviale, en relation avec une pluviométrie accrue et une augmentation des apports solides dans les cours d’eau (style en tresse* ?). Compte tenu de la durée de ce dérèglement hydrologique (environ cinq siècles), le taux de sédimentation moyen apparaît important (entre 3 et 4 mm par an). Il révèle un stockage alluvial considérable dans cette zone de sédimentation transitoire, qui dénote une érosion importante dans le bassin versant amont que les systèmes de terrasse agricole modernes n’ont semble-t-il que partiellement régulé.
14.4 Le paléosol médiéval
54L’observation régulière, au-dessus des niveaux antiques, d’un horizon brun à gris, souvent foncé et structuré, plus ou moins épais et présentant les caractéristiques d’un paléosol, nous conduit à en présenter les caractères plus en détail. Cet horizon est marqué par une évolution pédologique modérée, pourtant visible dès les études de terrain. C’est l’une des découvertes les plus importantes des études géo‑archéologiques entreprises sur l’axe du TGV-Méditerranée. La mise en évidence de ce paléosol, déjà repéré dans le bassin valdainais (Berger 1995 ; 1996a), sur l’ensemble du linéaire du TGV, depuis la plaine de Valence au nord jusqu’à celle d’Orange au sud (soit sur 120 km), apporte des arguments permettant d’évoquer un phénomène de grande ampleur, touchant l’ensemble des géosystèmes* médio-rhodaniens. Les répercussions paléoenvironnementales et culturelles sont considérables, autant du point de vue de la structure que de celui du fonctionnement des paysages du Moyen Âge.
14.4.1 Contexte géomorphologique et chronostratigraphique
55L’examen des divers contextes géographiques et stratigraphiques détaillés au chapitre précédent montre que ce paléosol apparaît dans des positions topographiques variées (versant et pied de versant bien drainés, plaine alluviale plus ou moins bien drainée, fond de cuvette humide ou de vallon, paléovallon sur haute terrasse), et sur des substrats sédimentaires différents (graviers et sables torrentiels, limons alluviaux, colluvions*, ou alluvio-colluvions marneuses ou molassiques) [fig. 97, 98, 108],
56L’ensemble des données chronostratigraphiques décrites précédemment permet de situer le début de sa formation dès le vie s., et de façon plus certaine dans les viie-viiie s. La fin du phénomène est envisagée, dans tous les cas étudiés, postérieurement au xie s. (fig. 112). Le début de la pédogenèse est mieux calé chronologiquement que sa fin ; elle s’étend néanmoins sur une durée d’au moins quatre à cinq siècles. Ce paléosol se développe sur des formations sédimentaires qui recouvrent :
57– des bâtiments ou des villae antiques dont la période d’abandon se place entre le ive et le vie s. ap. J.-C. (plaine du Tricastin, Valdaine, piémont du Vercors, vallée de la Drôme, moyennes terrasses de la Drôme) ;
58– des fossés de drainage ou d’irrigation et des voies antiques abandonnés à partir du ve ou du vie s. (plaine du Tricastin [fig. 113a], Valdaine, pied du Vercors) ;
59– des niveaux d’incendie datés du ve-vie s. (plaine d’Orange). Sa limite chronologique inférieure a été plus particulièrement définie à partir de séquences présentant des réseaux de fossés antiques dont l’abandon a été bien daté dans le cadre du programme « fossés et voirie » du TGV (Berger, Jung 1999) [fig. 107, 112]. Sa limite chronologique supérieure (terminus ante quem) n’est pas clairement établie partout. Il apparaît qu’elle est assez précise sur les sites du nord, où les recouvrements et troncatures semblent intervenir rapidement à la suite des occupations des xie-xiie s. (piémont du Vercors, vallée de la Drôme, centre Valdaine). En revanche, elle est beaucoup plus imprécise sur les sites du sud (Tricastin et plaine d’Orange), où le paléosol est recoupé par les réseaux de fossés médiévaux à modernes, à la datation encore incertaine. Plusieurs niveaux d’habitat, ou chemins, de la fin du haut Moyen Âge sont pris dans l’horizon supérieur du paléosol comme à Upie/Les Vignarets, Chabrillan/Saint-Martin, Crest/Bourbousson, Chabrillan / La Prairie, Montboucher/ Constantin (fig. 98, 111, 112). Sur le plan géomorphologique, la fin de cette phase de stabilité est datée par la signature des premiers dérèglements hydrologiques qui lui font suite. Les recouvrements et troncatures qui lui succèdent se produisent dès la fin du xiie s., dans le courant du xiiie, ou encore au xive s. (cf. § 14.3).

FIG. 112
Datation et estimation de la durée de la pédogenèse du haut Moyen Âge au sein des différentes unités de paysages traversées par le tracé du TGV-Méditerranée, par les marqueurs chronoculturels et radiocarbone.

FIG. 113
Les sols du haut Moyen Âge sur différents sites archéologiques : a La Garde-Adhémar/Surel, au-dessus d’une voie antique ; b Mondragon/ Les Brassières, au-dessus d’un fossé de drainage antique ; c Chabrillan/ Saint-Martin 1, au-dessus des niveaux alluvio-colluviaux tardo-antiques et en concordance stratigraphique avec un large fossé médiéval associé à l’occupation du prieuré (XIe‑XIIIe s.) ; d La Garde-Adhémar/ Surel associé à une couche alluviocolluviale à vestiges antiques roulés ; e Caderousse/Les Crémades, dans la plaine d’Orange au-dessus d’une voie antique (noter ici sa forte structuration prismatique).
14.4.2 Caractères macroscopiques de terrain
60Ce paléosol s’est constitué sur les dépôts d’alluvions, ou de colluvions*, souvent épais, mis en place au cours de la période de dérèglement hydrologique qui caractérise la transition Antiquité tardive-haut Moyen Âge (ve-viie s.). Sa texture* est de ce fait souvent fine, soit limoneuse, soit limono-argileuse en plaine ; elle peut être plus sableuse, voire graveleuse, en pied de versant. Il présente une structure* souvent grenue, voire polyédrique, parfois massive et une coloration brun olive clair (2,5 Y 5/6 à 5/4) dans les secteurs bien drainés comme les pieds de versant, les cônes torrentiels ou les terrasses pléistocènes. Il montre une tendance affirmée à la structuration prismatique* dans les bas-fonds (fig. 113e), et une coloration plus sombre variant du brun foncé (10 YR 4/3 à 3/3) au gris-brun foncé (2,5 Y 4/2 à 3/2). On observe parfois des carbonatations* secondaires décrites sous forme de petits filaments blanchâtres pulvérulents (type pseudomycéliums*). On y rencontre relativement peu de fragments de céramique ou de brique, ou encore de macrocharbons centimétriques ou inférieurs, sauf parfois à proximité de sites archéologiques (Chabrillan/Saint-Martin, Montboucher-sur-Jabron / Constantin).
61L’ensemble de ces caractères visuels fait que ce paléosol est aisément repérable sur le terrain et qu’il peut servir de repère chronostratigraphique.
14.4.3 Caractères microscopiques et géochimiques
62Les caractérisations taxonomiques évoquées dans ce paragraphe sont tirées du Référentielpédologique (Afes 1995) établi pour la classification des sols de surface. Elles sont à ce titre sujettes à caution, compte tenu de la complexité à décrire des paléosols souvent tronqués donc dépourvus de leurs horizons supérieurs (organo-minéraux*), et d’une utilisation restreinte de données analytiques (choix des auteurs).
63L’étude micromorphologique de ces paléosols a été entreprise grâce au prélèvement de blocs de sédiment non perturbés4. Elle a porté sur les caractères sédimentaires discrets des paléosols échantillonnés dans le but de discuter des processus de pédogenèse et d’anthropisation des sols au Moyen Âge (fig. 114, 115). Ces analyses microscopiques ont été complétées ponctuellement par des analyses physico-chimiques, granulométriques et minéralogiques5. Les degrés de maturation* et d’altération* sont identifiables par l’état d’organisation du plasma* (ensemble des particules minérales et organiques très fines), par les traits relatifs à l’activité biologique, l’analyse du complexe organo-minéral* (liaison entre les constituants organiques et minéraux), l’arrangement des différents constituants et le degré de dissolution des grains minéraux calcitiques présents et le taux en calcaire des horizons analysés. Les figures microscopiques indiquent que le sédiment a été complètement homogénéisé, dans l’ensemble des prélèvements étudiés, par l’activité biologique du sol, principalement lombricienne. Cette bioturbation* aboutit à une organisation du sol due essentiellement aux excréments de ces animaux. Des figures diagnostiques comme les larges chenaux, les organisations dites en « nids d’abeilles » ou en « assiettes empilées » l’illustrent (sédiment « digéré » et repoussé dans des cavités : tabl. IV, fig. 106, 107). Cette activité des vers de terre se traduit également par la présence de nombreux granules calcitiques radiaires connus dans la littérature sous le nom de biosphéroïdes (cf. § 14.4.5.2) [fig. 114a], produit biogénique des lombriciens.

FIG. 114
Lames minces du paléosol médiéval : a concentration de biosphéroïdes de lombricidés au sein de la matrice du sol (Mondragon/Les Ribauds, v-x, x 40) ; b cellules calcifiées racinaires en connexion dans un chenal biologique (Mondragon/ Les Brassières, sondage 75/30, LN, x 20) ; c comblement d’un chenal biologique en forme de demi-cercle par des cellules calcifiées racinaires (Upie 2, Tranchée 300- m250, LN, x 40) ; d zoom sur une coupe transversale à tangentielle d’un assemblage de cellules calcifiées racinaires. Noter la présence de trois canaux centraux à la racine, non calcifiés (Mondragon/ Les Brassières, sondage 4/3, LP, x 100) ; e revêtement pelliculaire de CaC03 micritique le long d’une porosité en chenal (Crest/Bourbousson 1, Tranchée 16-m2, LN, x 40) ; f microstructure grenue. De petites fissures délimitent les petits agrégats ovoïdes à arrondis (Mondragon/ Les Ribauds, F17/18-28b, LN, x 20) ; g microstructure polyédrique à prismatique avec fissures et nombreux petits chenaux de type racinaire (herbacée ?) et microponctutation de la masse basale par des précipitations de fer et manganèse sur des supports organiques plus ou moins humifiés ; h microstructure grenue à micropolyédrique associée à une porosité fissurale interagrégats développée et à quelques chambres (Upie 2, tranchée 300-m250, LN, x 40) ; i microstructure grenue à subpolyédrique avec quelques longs chenaux racinaires à revêtements argileux épars (Mondragon/ Les Ribauds, F17/18-28b, LN, x 8) ; j concentration d’une microporosité canaliculaire de type racinaire (herbacée ?) orientée verticalement et microponctuation du plasma par des sesquioxydes (Mondragon/Les Brassières, sondage 4/2, Llnc., x 16).

TABL. IV

TABL. IV (suite et fin)
Comparaison à l’échelle microscopique des principales signatures pédosédimentaires et anthropiques enregistrées dans les paléosols de la période du haut Moyen Âge.
64La microstructure de ces sols est souvent bien développée. Elle se présente sous forme de petits agrégats* infracentimétriques de forme grenue ou micropolyédrique dans les secteurs les mieux drainés (tabl. IV, fig. 114, 115). Elle passe à une morphologie prismatique* centimétrique, ou peut parfois être absente (massive) dans les secteurs de très basse plaine alluviale (fig. 114, 115).

FIG. 115
Lames minces du paléosol médiéval : a nodules ferro-manganiques subarrondis à digités (Mondragon/Les Brassières, sondage 4/3, LP, x 20) ; b revêtements argilo-silteux brun foncé, mal orientés ; concentrés le long de la porosité interagrégats (Mondragon/Les Ribauds, F17/18-28b, LN, x 100) ; c revêtements argilo-silteux brun foncé épais en voie d’intégration dans la masse basale (Mondragon/Les Brassières, sondage 75/30, LN, x 40) ; d macrocharbons et petit tesson très roulé dans une masse basale brune très bioturbée et microagrégée (Upie 2, tranchée 200-m15, LN, x 18) ; e ponctuation de la masse basale par des microfragments organiques humifiés ou amorphes et des microcharbons responsable de l’assombrissement du sol (Mondragon/Les Ribauds, F17/18-28b, LN, x 40) ; f fort enrichissement en macrocharbons, en voie d’intégration dans une masse basale microagrégée à gravillons épars (Upie 2, tranchée 200- m15, LN, x 7) ; g concentration de macrocharbons de bois dans une masse basale totalement organisée par l’activité biologique excrémentale (Chabrillan/ Saint-Martin 3, 7/6, LN, x 20) ; h macrocharbons montrant une organisation cellulaire et revêtement argilo-micritique en périphérie d’une porosité canaliculaire (Crest/Bourbousson 1, tranchée 16-m2, LN, x 40) ; i revêtement argilo-poussiéreux à microinclusions d’éléments organiques ou charbonneux en périphérie d’une porosité polyconcave (Chabrillan/Saint-Martin 3, 7/6, LN, x 100) ; j petit fragment de croûte de battance formé dans le paléosol à proximité d’un habitat médiéval (Chabrillan/Saint-Martin 1, 4/15, LN, x 40).
65La porosité est dominée par les fissures interagrégats, d’origine mécanique (générée par les processus de retrait-gonflement), par les chenaux d’origine biologique (racines ou vers de terre) et les formes polyconcaves, caractéristiques de l’entassement d’agrégats* (fig. 114).
66Les traits d’altération* sont présents, mais apparaissent toujours ménagés. Ils touchent principalement les grains calcaires micritiques* (taille : < 4 µm) qui présentent un aspect fondu. Les grains calcitiques et les fragments de coquilles de mollusque en aragonite ne sont altérés qu’en périphérie. Ces processus contribuent à la brunification* du plasma* (par libération des oxydes de fer compris dans les grains calcaires) et à son argilification* (par un phénomène de micritisation* progressive). La stabilité* structurale apparaît donc importante en lame mince, par la taille millimétrique à centimétrique des agrégats*, par la forte incorporation de la matière organique à la fraction minérale fine du sol (tabl. IV, fig. 115) et son évolution (degré d’humification développé). L’enrichissement en matière organique et la décarbonatation ménagée du paléosol sont confirmés par plusieurs analyses géochimiques réalisées sur les sites de Roynac/Le Serre, La Garde-Adhémar/Surel ; Chabrillan / Saint-Martin 1 (Lebreton 1996 ; Reynier 1996).
14.4.4 Indices pédosédimentaires sur la couverture végétale et les cultures
67Les faciès ou signatures de mise en culture sont peu courants dans les prélèvements, excepté à proximité de sites d’habitat comme à Upie/Les Vignarets ou à Chabrillan/ Saint-Martin. Mais dans ces cas précis, on note malgré tout le faible impact des mises en culture sur les sols. La microstructure n’est pas ou peu altérée. Les traces de forts lessivages et de baisse importante du complexe organo-minéral* (exportation par l’eau d’éléments minéraux et organiques tombant sur un sol non protégé) ne sont jamais évidentes. Les revêtements en périphérie des vides (accumulation des éléments exportés par l’eau depuis la surface dans la porosité du sol) ne sont jamais épais ni grossiers (fig. 115). Ils sont parfois enrichis en microparticules organiques ou charbonneuses. On note la rareté des fragments de croûte de battance* (Chabrillan / Saint-Martin 1 : fig. 115j). On observe dans beaucoup de cas un enrichissement en particules organiques et en microcharbons (beaucoup plus fréquents que les macrocharbons). Une part pourrait être due à la couverture végétale naturelle du sol, l’enrichissement représentant la longue durée du sol (quelque quatre à cinq siècles). La prédominance des microcharbons indiquerait alors une couverture peu ligneuse, plutôt herbacée. Des apports réguliers de fumiers, ou simplement d’excréments, ont pu contribuer à fertiliser le sol. Dans les deux cas, l’apport de matière organique a favorisé la bonne stabilité* structurale de ce sol. La pratique de fumures apparaît de toute évidence difficile à discuter, même à partir de données micromorphologiques, car seuls les paléosols situés à proximité d’habitats présentent effectivement des indices évidents de cette pratique, notamment par l’enrichissement en macrocharbons de bois et en tessons émoussés (Upie/Les Vignarets, Crest/Bourbousson, Chabrillan/ Saint-Martin : fig. 115d). Une telle observation avait déjà été faite dans le bassin valdainais à partir de l’étude géo-archéologique de paléosols sur des terrasses de culture des xie-xiiie s., proches de villages médiévaux (Berger 1996a). Les archéologues médiévistes reconnaissent d’ailleurs la rareté des vestiges céramiques dès que l’on s’éloigne des habitats groupés médiévaux. Ce fait a été observé autour des habitats groupés fouillés de manière extensive en Languedoc oriental (Raynaud, comm. pets.). Aline Durand (1998) signale pourtant cette pratique comme étant couramment évoquée dans les textes des xe-xiie s. en Languedoc. Mais il semble, d’une part, que les fumures, présentées comme une règle d’entretien dans les contrats de location des terres (Durand 1998 : 273-320), soient principalement d’origine animale (fumiers), donc difficiles à identifier dans des paléosols évolués, eux-mêmes fortement enrichis naturellement en matière organique, ainsi que par la présence du troupeau. D’autre part, la production et la consommation de céramiques apparaissent fortement réduites dans le monde médiéval méridional, par comparaison avec l’Antiquité ou la période moderne (Raynaud, comm. pers.). Si on ajoute cet argument à l’absence des amphores –céramiques très résistantes–, il apparaît évident que ces faits handicapent sans doute notre perception indirecte de la pratique de l’amendement au Moyen Âge.
68La protection régulière de la stabilité* structurale des sols peut être associée à une absence de pluies concentrées lors de la mise à nu des champs, et/ou aux amendements décrits plus hauts, et/ou à de probables rotations qui sont connues chez les agronomes contemporains pour réduire fortement la destruction des agrégats* pédologiques (Darmody, Norton 1994) et dans la littérature historique comme une pratique courante au Moyen Âge (Duby, Wallon 1975).
69La rareté des indices de mise en culture est confortée par la prédominance des indices d’une bonne protection de la surface du sol par un couvert végétal dense. La prédominance et la densité d’une porosité en chenaux fins, parfois pointus (fig. 114i-j) associée à la présence de cellules calcitisées de racines (cf. § 14.4.5) [fig. 114c-d] et à celle de longues cellules en opale, lisses ou denticulées, qui sont des phytolithes* typiques des poacées (graminées), révèlent un fort enracinement herbacé, de type prairial. L’observation de référentiels sur des sols de prairie actuels révèle une morphologie et une organisation identiques (Courty et al. 1989 : 56). Cette hypothèse est confirmée par les analyses malacologiques préliminaires effectuées dans la plaine d’Orange (Peyric, Magnin à paraître) et par l’étude systématique réalisée sur les paléosols du bassin valdainais proche (Magnin 1996), qui indiquent une structure végétale homogène, de type prairie humide à palustre, plus ou moins arborée. Les assemblages de gastéropodes recueillis dans les secteurs mieux drainés de Crest / Bourbousson et d’Upie / Les Vignarets représentent toujours des espaces très ouverts, mais secs, avec la présence possible de quelques bosquets (Peyric, Grenut 1999). La taille des agrégats* de morphologie grenue, polyédrique dans les secteurs les mieux drainés (fig. 114f-i), est importante, toujours millimétrique, parfois infracentimétrique (à l’inverse de ceux qui sont observés dans les référentiels de sols cultivés). Elle rappelle celle observée régulièrement sous un couvert de prairie, dans la grande plaine du Middle West américain (3,5 mm en moyenne : Darmody, Norton 1994). Les quantités de microcharbons (< 100 pm, peu ligneux) très importantes qui empoussièrent la masse basale de ce paléosol médiéval peuvent être attribuées à des feux pastoraux réguliers, allumés aux dépens de ces prairies, dans le but de favoriser la repousse. Les critères micromorphologiques ne permettent pas de rejeter la présence d’arbres, mais ils ne peuvent être présents que de façon non continue et peu dense. On signalera la présence du chêne vert autour du xie s. à Upie/Les Vignarets (cf. chap. 15), en position plutôt septentrionale –cette espèce a cependant des caractères bioclimatiques ubiquistes–, qui vient corroborer le fait que l’on n’a en tout cas pas affaire à de hautes futaies, au sous-bois touffu et humide. On notera également que l’absence de traces de chablis dans les nombreux paléosols médiévaux étudiés peut conforter cette impression d’un environnement peu boisé.
70L’absence de signes de dégradation structurale et de traits texturaux grossiers –associés au lessivage des terrains mis à nu– révèle que les sols demeurent bien protégés en surface par un couvert végétal dense et qu’ils sont donc peu soumis à des dénudations associées à une mise en culture. L’hypothèse de paysages du haut Moyen Âge marqués par l’extension de prairies permanentes, plus ou moins arborées selon les secteurs, peut être en fin de compte envisagée, la ripisylve* pouvant dans ce type de paysage occuper une place importante.
14.4.5 Indices pédosédimentaires sur le climat
14.4.5.1 Traits liés aux conditions paléohydrologiques
71La coloration olive-brun à gris-brun du sol –due à une plus ou moins forte réduction du fer en l’absence d’oxygène– indique des conditions d’engorgement plus ou moins prolongées contemporaines de la pédogenèse. Dans les points les plus bas, le compactage relatif du paléosol confirme les mauvaises conditions de drainage. Le développement des processus vertiques* (gonflement et retrait régulier des argiles) est affirmé par l’organisation des particules à l’échelle microscopique (granostriation*, porostriation* et microstructure prismatique*). Ils sont le signe d’un haut niveau saisonnier des aquifères et de périodes d’humectation-dessiccation répétées dans les basses plaines alluviales et les fonds de cuvette. La présence d’une microstructure fissurale, associée à la formation de prismes centimétriques (visibles sur le terrain : fig. 113e), révèle une forte dessiccation des sols lors de la saison sèche (processus de vertisolisation*).
72On note parallèlement une imprégnation diffuse par des oxy-hydroxydes de fer et de manganèse. Elle se traduit par la formation de quelques nodules et de petits points ferro-manganiques (aspect parfois tacheté du sédiment). Ces traits liés à l’oxygénation du sédiment démontrent que la saturation en eau n’est jamais continue dans ces basses plaines.
73Des revêtements particulaires –les particules fines sont transportées par illuviation dans le sol– s’observent dans les grandes fissures qui séparent les agrégats* prismatiques* des sols gris-brun foncés des très basses plaines alluviales (fig. 115b). La présence et la localisation de ces traits texturaux assez grossiers indiquent des percolations rapides dans les sols fluviaux par des crues se produisant à la fin de la saison sèche.
14.4.5.2 Traits liés au régime pluviométrique et au bilan hydrique tirés du comportement des carbonates
74Les fluctuations climatiques quaternaires se traduisent par des phases de dissolution-précipitation du matériel sédimentaire calcaire affleurant à la surface de la lithosphère. Mais pour la période holocène, l’utilisation des carbonates pédologiques en tant que marqueurs paléoclimatiques est encore peu attestée dans le domaine méditerranéen nord-occidental (Berger, Brochier à paraître). Les horizons marqués par des précipitations carbonatées sont pourtant assez fréquents dans les séquences pédosédimentaires* holocènes depuis le Préboréal. À l’échelle du sol, les carbonates sont en effet très sensibles aux fluctuations hydrologiques et pluviométriques et se révèlent donc de bons marqueurs paléoclimatiques.
75Sur le terrain, ils se matérialisent sous la forme d’horizons à pseudomycéliums* blanchâtres et pulvérulents souvent développés dans la partie supérieure de l’horizon structural du paléosol du haut Moyen Âge. Leur présence est également attestée dans les horizons de recouvrement sédimentaire immédiatement sus-jacents, comme dans la plaine d’Orange ou le sud de la plaine du Tricastin (fig. 108, 110).
76En lame mince, ces carbonatations* secondaires se matérialisent sous différentes formes.
77• Des cellules végétales calcifiées (fig. 114b-d), fossilisées dans la porosité du sol. Localement, ces cellules calcifiées peuvent apparaître très abondantes (de 5 à 10 %). Pour expliquer leur formation, les auteurs évoquent la pseudomorphose de racines par de la calcite dans des milieux particulièrement riches en carbonate libre (Klappa 1980 ; Jaillard 1983 ; Becze-Deàk et al. 1997). Ils évoquent aussi des stress hydriques pour expliquer la croissance des vacuoles cellulaires par accumulation de carbonate de calcaire (Jaillard 1983). La longueur des calcifications (< 1 cm) et la présence de silice au milieu des assemblages calcitiques évoquent aussi une origine graminéenne (Becze-Deàk et al. 1997).
78• Des revêtements et hyporevêtements* carbonatés (précipitations calcaires dans les pores ou en périphérie des pores du sol) plutôt rares (fig. 114e). Les observations au microscope pétrographique montrent que ces imprégnations de 100 à 200 pm d’épaisseur sont constituées de cristaux micritiques* (de 5 à 20 pm). Brewer (1964), Seghal et Stoops (1972), et Courty et Fedoroff (1985) suggèrent qu’il s’agit d’une évaporation de solutions riches en carbonate, ou de la précipitation de la solution du sol lors de leur percolation le long des pores, ce qui provoquerait leur pénétration dans la matrice du sol. Pour Langhors (comm. personnelle), l’eau interstitielle saturée en calcaire pourrait migrer vers la racine, qui n’absorberait pas la totalité de ce CaC03 en solution, ce qui précipiterait la formation d’un liseré de CaC03 le long des galeries occupées par des racines. Ces précipitations d’origine physico-chimique semblent apparaître uniquement dans les paléosols fluviaux (tabl. IV).
79• Des calcites en aiguilles, se concentrant le long des parois des cavités, sont à associer à l’activité microbienne du sol. Elles se forment dans les gaines de filaments mycéliens où la matière organique en phase d’humification favorise leur développement (Kubiena 1938 ; Becze-Deàk et al. 1997). Ces derniers auteurs évoquent la nécessité d’une certaine humidité dans le sol. Ces longues et fines aiguilles (100/200 pm de long sur 10 µm de large) ont été d’ailleurs identifiées principalement le long de la porosité fissurale grossière dans les paléosols fluviaux (tabl. IV).
80• Des biosphéroïdes (fig. 114a) de petite taille (de 0,5 à 1,3 mm), communs à l’ensemble des paléosols étudiés, sont produits par les glandes calcifères des vers de terre en milieux riches en calcium. Leur concentration apporte un argument en faveur de la stabilité des environnements pédosédimentaires* (Becze-Deàk et al. 1997).
81Les caractères des traits calciques identifiés sont presque identiques et récurrents sur l’ensemble des paléosols de la région étudiée (tabl. IV, fig. 114a). Les macroformes carbonatées comme les processus de concrétionnement du sol ou les nodules calcitiques n’ont par contre pas été observées. Ces traits calcitiques paraissent rarement perturbés par les processus de bio-pédoturbation. Ce peut être l’indice d’un recouvrement rapide des paléosols par des alluvions de crue, suite à la précipitation de ces carbonates.
14.4.5.3 Signification de la présence des carbonates secondaires
82Les carbonatations reconnues dans les paléosols médiévaux apparaissent comme un phénomène secondaire qui ferait suite à une période favorable au lessivage total des carbonates, d’abord dissous et exportés en dehors des profils pédologiques. Il faut imaginer, dans ce deuxième temps, une période marquée par la répétition d’épisodes d’évaporation de solutions riches en carbonate : une phase de stress hydrique, accompagnée d’une très forte évapotranspiration*. Dans tous les cas de figure, le développement de ces carbonates secondaires se produit dans des milieux particulièrement riches en carbonate libre, ce qui modifie les conditions de vie dans le sol pour les végétaux et la faune.
83La présence de formes carbonatées telles les cellules racinaires calcifiées et les (hypo) revêtements micritiques* est particulièrement intéressante, car elle n’est pas attestée aujourd’hui dans les sols de la moyenne vallée du Rhône. Les études sur les carbonates des sols effectuées dans les zones intertropicales ont montré qu’au-delà de 800 mm de précipitations, les profils pédologiques sont totalement libres de carbonates et de concrétions (Seghal, Stoops 1972). Ce processus est vérifié aujourd’hui dans les sols récents de la moyenne vallée du Rhône. Une altération* active des grains calcaires, identifiée sous lame-mince, est associée à une percolation et une exportation rapide des solutions sous forme de bicarbonate hors des profils pédologiques (Berger 1996a). Elle est liée à une pluviométrie abondante, concentrée sur les saisons intermédiaires, automne et printemps, dont la moyenne annuelle oscille entre 800 et 1 000 mm de pluie dans la plaine rhodanienne et ses marges collinéennes. La relation entre le régime hydrique et le régime thermique actuels n’apparaît donc pas propice à la formation de carbonatations.
84Dans les sols de surface actuels, les cellules racinaires calcifiées sont par contre observées régulièrement dans les régions à régime méditerranéen, à saison chaude et sèche prolongée comme dans le Nord-Est de l’Espagne (Herrero, Porta 1987 ; Jaillard et al. 1991). Pour rencontrer ce type de phénomène en France, il faut descendre sans doute très près du littoral méditerranéen, dans la zone plus sèche que représente le delta du Rhône ou le Roussillon (600 mm par an) [études en cours]. Becze-Deàk et al. (1997) évoquent comme condition propice à ces biominéralisations, un régime climatique à saison sèche prononcée, qu’il soit chaud ou froid comme dans les régions à forêt-steppe de Russie.
14.4.6 Données sur l’histoire de la formation du paléosol et l’évolution du climat
85Le développement du paléosol au cours du Moyen Âge marque une stabilité durable de l’ensemble des géosystèmes* médio-rhodaniens, identifiable depuis les versants préalpins jusqu’aux lits mineurs des affluents du Rhône de rive gauche. Cependant, cette pédogenèse n’apparaît pas monophasée. Sa chronologie événementielle, restituable grâce à la hiérarchisation des traits pédologiques aux échelles microscopiques, caractérise deux phases pédogénétiques distinctes. Cette stabilité semble d’abord s’accompagner d’une augmentation de la pluviométrie (régime favorable à la dissolution des carbonates), d’une baisse probable des températures, liées à un haut niveau des aquifères dans les basses plaines et les fonds de cuvettes (caractère vertique* et hydromorphe* des sols, ambiance humide permanente des assemblages malacologiques). Puis un changement est observé au niveau de la dynamique hydrique. Une saturation partielle en calcium s’opère à la suite de remontées capillaires de solutions riches en bicarbonates qui se fixent dans la porosité du sol. De véritables horizons calciques se constituent. Ils se surimposent aux traits de décarbonatation ménagés développés au cours de la première phase de cette pédogenèse et peuvent s’interpréter en termes d’augmentation des processus d’évaporation et d’évapotranspiration* (stress hydrique) associés (ou non) à une diminution des précipitations moyennes. Ces signatures marquent une amélioration climatique à la fin du haut Moyen Âge qui sera discutée plus loin (cf. § 14.5 et 14.6).
14.5 Paysages, climat et activités agropastorales du Bas-Empire à l’époque moderne
86La documentation pédosédimentaire* montre dans chaque région et pour chaque période de bonnes corrélations du nord au sud du tracé (fig. 98, 108). Il est ainsi possible, par le nombre des sondages, des fouilles, des évaluations, de décrire sept grandes phases dans l’évolution des paysages et du climat de la fin de l’Antiquité aux Temps modernes. Le découpage des phases par siècles doit être compris comme un raccourci destiné à se repérer plus aisément dans le temps. Le début et la fin de chaque phase, outre le fait qu’ils peuvent être graduels, restent souvent très imprécis. Cette imprécision sera autant que possible discutée. Elle l’a déjà été en partie dans les chapitres précédents.
14.5.1 Le iiie siècle ap. J.-C. : la fin des dérèglements hydrologiques
87Au cours du ier s. ap. J.-C. –ou de l’époque augustéenne selon les régions considérées– débute une crise hydrologique pluriséculaire, d’origine très probablement climatique, marquée par des crues fréquentes et importantes, ainsi que par une montée du niveau des nappes (Bravard et al. 1992 ; Berger 1996b ; Provansal et al. 1999). Elle se poursuit jusqu’au iiie s. À Eurre/La Condamine, les 6 m d’alluvions grossières de la Drôme, qui n’appartiennent pas forcément dans leur totalité à cet épisode, démontrent également le caractère érosif fort de cette phase sur les versants, contraignant et destructeur à l’égard des occupations humaines. La date de 175-410 ap. J.-C. (1725 ± 40 BP : ARC 1311) obtenue à la base des graviers drômois ainsi que le débordement incisif du Guiman à Montélier/Claveysonnes, à la charnière des iiie et ive s., laisse envisager la persistance de quelques dérèglements, dans le nord du tracé, jusqu’à la fin du iiie s. Ils sont généralisés en Tricastin et dans la plaine d’Orange (fig. 108).
14.5.2 Du ive siècle au milieu ou à la fin du ve siècle : stabilité et pédogenèse
88Cette période est marquée par une pédogenèse brunifiante (brunisol). Elle signe l’arrêt des dérèglements hydrologiques précédents, et la mise en place de conditions de stabilité qui s’étendent sur au moins un siècle et demi. La présence de couches archéologiques (Crest/Bourbousson 3, Montélier/Claveysonnes), parfois de tessons épars (Upie/ Les Trides, Caderousse/Les Négades) et une série de dates au radiocarbone dans les plaines d’Orange et du Tricastin assurent que ces conditions ont prévalu tout au long du ive s. jusqu’au milieu du ve s. La fin exacte de cette ambiance paléogéographique demeure encore quelque peu imprécise (milieu ou fin ve s., début vie s.?). Le passage de sols brun-noir à des sols gris hydromorphes à céramique sigillée claire, dans les cuvettes de Chabeuil/Les Marais, Montélier/ Guillères indique une fin progressive qui pourrait se situer au cours du ve s., alors qu’une accrétion sédimentaire redémarre dans ces zones basses. Cette chronologie demande néanmoins à être affinée, le critère céramique utilisé restant insuffisant.
89La couverture végétale assure en partie la stabilité des géosystèmes*. À côté du tracé du TGV, le paléosol a également été reconnu en Valdaine (Berger 1996a) et dans le bassin versant intramontagnard de la Drôme, à Sainte-Croix (60 av. J.-C.-499 ap. J.-C. [1800 ± 120 : Gif 89873] : Brochier 1990), sur de fortes pentes très fragiles, piégé sur un léger replat d’origine agricole. Comme l’étude détaillée de la séquence de Caderousse/Les Crémades le montre (fig. 111), il ne faut pas imaginer une fermeture complète du paysage, une progression irréversible des friches, mais plutôt une succession de phases d’emprise et de déprise agricole pluridécennales, plus ou moins marquées. Les charbons de bois montrent par ailleurs l’existence de paléoincendies fréquents à l’origine d’ouvertures dans le paysage.
90Dans les basses plaines rhodaniennes, le caractère hydromorphe de l’évolution pédologique (sols gris, redoxisol* fluvique) indique que le niveau moyen des nappes reste haut ; il en va de même, au nord du tracé, dans les bas-fonds et cuvettes au pied du Vercors. On n’y connaît pas de traces de mises en culture. Sur tous ces espaces pouvait s’étendre une vaste prairie humide, propice au pastoralisme. Sur les versants et terrasses pléistocènes mieux drainés, le sol –du moins ce qu’il en reste après les troncatures des phases suivantes– offre de meilleurs caractères texturaux et structuraux. L’épandage de briques au sein de ce sol, de Crest/ Bourbousson au lit majeur de la Drôme, pourrait signaler de possibles travaux agricoles. Le cours de la Drôme est alors incisé et doit se trouver au moins 2 à 3 m en contrebas de ce niveau (pas de limons d’inondation). Cette période est, comme pour tous les autres cours fluviaux, une période de rémission de l’alluvionnement et d’incision. La réduction des crues et l’abaissement naturel des aquifères libèrent des surfaces habituellement inondables et hydromorphes.
91Cette période de calme relatif des hydrosystèmes rhodaniens apparaît enregistrée sur un vaste espace géographique de Lyon à la Méditerranée (Provansal et al. 1999) [fig. 116], et trouve des analogies dans d’autres régions d’Europe (Berger 2001). On pourrait également placer là le moment d’apaisement de la torrentialité alpine et de la partie orientale du Massif central (Cruas, Ardèche) où les cônes torrentiels sont occupés par les Gallo-Romains (Bravard 1993 ; Ballandras 1997). Ce calme hydrologique serait d’origine climatique ; il correspond aussi à une baisse du niveau des lacs des Alpes et du Jura. Un abaissement est noté à partir du iiie s. pour se terminer après le ve s., la date la plus récente connue étant de 447-697 ap. J.-C. (Le Petit Maclu : Magny 1992 ; 2001). Le lac de Paladru, situé dans le piémont alpin, à une centaine de kilomètres « seulement » du tracé du TGV, montre à partir de la date de 328-565 ap. J.-C. (1625 ± 55 BP) des signes de bas niveaux de faible ampleur, mieux marqués en 446-654 ap. J.-C. (1495 ± 55 BP) ; la fin de cette phase est datée de 660-890 ap. J.-C. (1250 ± 55 BP) [Brochier, Druart 1993 ; Borel et al. 1998]. Un bilan hydrique légèrement déficitaire et des pluies plutôt réparties sur la fin et le début de la mauvaise saison pourraient expliquer à la fois l’hydromorphie* des sols des basses plaines rhodaniennes, la baisse de niveau des lacs et les avancées glaciaires (Göschenen 2 : cette avancée restant mal calée chronologiquement et comportant une rémission, cette corrélation est posée à titre de réflexion). Des conditions un peu différentes apparaîtraient dans un deuxième moment de la pédogenèse.
92Au sud comme au nord, le paléosol est marqué par des horizons calciques plus ou moins développés, identifiés également en Languedoc, dans la basse plaine alluviale du Vidourle, sur le site urbain de Villetelle /Ambrussum et le site rural d’Aimargues / Le Rézil, Gard (Berger, Gazenbeek 1998 ; Berger, Jung 1999). Au nord du cours de la Drôme, ils se développent dans les horizons supérieurs attribuables à cette phase. Ils ont été repérés presque à la hauteur de Valence, à Montélier/ Claveysonnes et, plus au nord, sur le haut Rhône à Saint-Romain-de-Jallionas (Berger 1998). Ces accumulations de carbonates secondaires (calcaire dissous, transporté dans les sols et recristallisé) indiquent une forte évapo-transpiration en relation avec un assèchement rapide après les pluies, et un accroissement de la température moyenne (Courty 1990). De telles signatures marqueraient donc un réchauffement à placer dans une phase récente de la formation de ce paléosol. Dans les Alpes suisses, les sols fossiles intramorainiques, caractéristiques de retraits glaciaires, paraissent se situer essentiellement dans la période chronologique 400-550 ap. J.-C. (d’après cinq dates de 1675 ±155 BP à 1450 ± 85 BP, selon Schneebeli 1976 et Röthlisberger 1976 cités par Magny 2001). Ils pourraient représenter une période de rémission au cours de l’avancée glaciaire dite « de Göschenen 2 ». À l’examen d’un ensemble d’indicateurs paléoclimatiques tels que la variation du niveau des lacs, la variation des teneurs du 14C résiduel dans l’atmosphère, l’évolution de la limite supérieure de la forêt, la période des ive et ve s. apparaît comme le maximum d’un cycle de réchauffement du climat (fig. 116), à mi-chemin entre les deux phases de refroidissement que sont celle du premier âge du Fer et le Petit Âge glaciaire (Magny 2001). Ce réchauffement est bien marqué sur les séquences du TGV-Méditerranée par un horizon calcique. Il serait précoce, dès la fin du ive s. en Tricastin et dans la plaine d’Orange (dernier quart du ive s. et première moitié, voire fin du ve s. en Languedoc) et pourrait s’étendre jusqu’au vie s.

FIG. 116
Variations hydrologiques et pédoclimatiques de la moyenne vallée du Rhône (tronçons nord et sud du secteur II du TGV-Méditerranée) comparées aux évolutions d’autres hydrosystèmes et géosystèmes continentaux régionaux et d’Europe occidentale, ainsi qu’à l’activité solaire : 1 d’apr. Borel et al. 1998 ; 2 d’apr. Magny 1993 ; 3 d’apr. Bravard et al. 1997 ; 4 d’apr. Provansal et al. 1999 ; 5, 6 d’apr. Berger, Brochier à paraître ; 7 d’apr. Zoller 1977, et Magny 1992 ; 8 d’apr. Bortenschlager 1977 ; 9 d’apr. Damon et al. 1989, les périodes de plus faible production du 14C (en grisé) sont celles de plus forte activité du soleil.
93En tout cas, les communautés humaines des ive-ve s. ont profité de conditions climatiques plus « clémentes » que celles du Haut-Empire ou que celles qui les suivront dans les premiers temps du Moyen Âge. Elles ont bénéficié, en ce qui concerne leurs terroirs, d’une relâche des dynamiques hydrologiques sur les versants et dans les principaux lits fluviaux (peu d’inondations).
14.5.3 De la fin du ve au viie siècle : nouveaux dérèglements hydrologiques
94Succédant à la période de stabilité précédente, de nouveaux « dérèglements » hydrologiques sont perceptibles dans les lits fluviaux (fig. 98, 108). Leur début est tout aussi imprécis que la fin de la phase antérieure. Toutes les signatures ne sont pas forcément synchrones et peuvent s’étaler du milieu à la fin du ve s., jusqu’au cours des vie-viie s. Dans le sud du tracé, quatre dates au radiocarbone et de la céramique de l’Antiquité tardive placent ces événements entre le ve et le viie s. (fig. 108). Aucun élément chronologique précis n’existe dans les séquences septentrionales du tracé, si ce n’est que ces sédimentations se calent entre le paléosol des ive-ve s. et le paléosol des viie-viiie s. De la même façon, une imprécision demeure sur la persistance de ces phénomènes au cours du viie s., les dates 14C et les céramiques situant le début de la pédogenèse suivante au cours des viie-viiie s.
95Ces dérèglements hydrologiques sont marqués de façon quelque peu différentes au nord et au sud du tracé (fig. 98, 108). Sur les pentes du pied du Vercors les alluvionnements montrent un fort hydrodynamisme (dépôts de galets de 5 à 10 cm), mais il s’agit d’une remobilisation de cailloutis pléistocènes, sans transport sur de longues distances. La matrice des graviers présente des granules de pédosédiments, vestiges de l’érosion et de la mobilisation du sol antérieur, et signes également d’un transport sur de courtes distances. Ces alluvionnements représentent des décharges torrentielles subites, pouvant emporter des aménagements humains (nombreuses tegulae). Les graviers sont déposés dans des chenaux incisés, de 1 à 2 m de profondeur, prenant la forme de cours tressés*, dont la divagation occupait de grandes surfaces au pied du Vercors. Comparativement, les sédimentations repérées au pied des collines molassiques du bas Dauphiné sont moins abondantes, ou ont été plus facilement déblayées dans les phases postérieures. Il est clair cependant que, du fait de phénomènes alluvio-colluvionnaires actifs, les versants molassiques de la basse Drôme fournissent à la rivière une quantité non négligeable de matériel, et que ces versants, comme ceux du pied du Vercors, ne sont pas couverts d’une végétation abondante et sont de ce fait propices à l’érosion (terrains cultivés ?) et à la divagation de cours d’eau caractérisés par une augmentation de leur charge solide et liquide, et par un régime de crue régulier. Il n’est pas impossible que la Drôme ait temporairement étendu son lit majeur jusqu’au pied des collines de Crest/Bourbousson. Des phénomènes alluvio-colluviaux très importants ont également été repérés dans le bassin amont, à Luc-en-Diois, entre le ive et le viie s. (Brochier 1990). Les pratiques agricoles repérées à La Roche-sur-Grane, autour de 425-635 ap. J.-C. (1525 ± 40 BP), démontrent qu’il peut exister sur les versants des mouvements de terre considérables liés à leur mise en exploitation. Ils peuvent être en partie à l’origine de l’approvisionnement en charge solide des rivières.
96Plus au sud, dans les plaines du Tricastin et d’Orange, l’alluvionnement, dû à des crues peu actives sur le plan érosif, reprend et peut atteindre 3 à 4 mm par an ; mais il reste fin, limono-sableux, même sur les cônes alluviaux de la Berre, du Lauzon, du Lez, de l’Aygues. Alors qu’au nord, même dans les bas-fonds, on observe une absence de signes d’hydromorphie*, l’évolution pédologique (vertisol* à gley*) dans les basses plaines rhodaniennes dénote un très haut niveau moyen des aquifères, certaines zones en cuvette pouvant devenir palustres. Les données de la malacologie et de l’anthracologie révèlent une extension des prairies humides où la ripisylve* et la chênaie caducifoliée peuvent tenir une place importante. Cependant, sur les versants, l’instabilité des affluents préalpins est très forte. On observe une succession rapide d’incisions/remblaiements du Lanson, du Bramefaim, de la Riaille et du Vermenon, au cours des ve-vie s. (1600-1490 BP) [Berger 1996a ; 2001], Les flux transportent alors des quantités de tessons, moellons, tegulae, très roulés, qui sédimentent dans les alluvions. De nombreux habitats riverains semblent en partie détruits et mobilisés. Ces alluvions grossières ne parviennent pas jusqu’à la confluence avec le Rhône.
97On remarque que, du nord au sud, tous ces sédiments montrent fréquemment une grande quantité de charbons de bois flottés. La courbe de fréquence des paléoincendies présente un pic de 450 à 700 ap. J.-C. (1600-1400 BP), favorisant par ailleurs l’essor du pin (Berger, Thiébault 2002). La discussion sur l’origine de ces paléoincendies reste ouverte : instabilité et assèchement du climat, et/ou déboisements par l’homme dans l’intention d’étendre pâturages et cultures. Les décharges torrentielles notées sur le nord du tracé s’accorderaient avec un climat contrasté, à saisons sèches et pluies concentrées. Cette configuration climatique serait également responsable des carbonatations secondaires reconnues dans le paléosol antérieur. Par contre, dans les basses plaines, l’engorgement persistant du sol révèle un bilan hydrique plutôt positif.
98Cette phase d’érosion/alluvionnement est sensible dans tout le bassin du Rhône (Bravard 1993 ; Provansal et al. 1999 ; Berger 2001). Dans le bas Rhône (Camargue), les apports ont lieu essentiellement du ve au viie s. et proviennent de l’ensemble des bassins versants : Alpes internes, Préalpes, Massif central (Arnaud-Fassetta 1998). Dans les Alpes, la phase torrentielle de Faucon fait suite à l’occupation gallo-romaine de certains cônes de déjection ; elle pourrait se terminer autour de 1200 BP (Ballandras 1997). Cette phase érosive majeure apparaît à la même période dans le pourtour méditerranéen : en Italie du Sud (Bruckner 1986 ; Neboit-Guilhot 1991 ; Ortolanni, Pagliuca 1994), en Espagne du Sud et de l’Est (Butzer et al. 1983 ; Courty, Fedoroff 1985 ; Avila 2000), en Grèce (Vita-Finzi 1969 ; Davidson et al. 1976 ; Bintliff 1992), en Turquie (Eisma 1964). Un régime climatique propre à cette zonation géographique apparaît donc comme le moteur de l’érosion et du transport de la charge solide dans les rivières. Il faut également que le couvert végétal ait été suffisamment dégradé (déboisements, cultures) pour qu’une signature aussi évidente de ces phénomènes soit enregistrée.
99Le régime hydroclimatique précis qui a soutenu ces alluvionnements demande encore à être précisé. Il est clair tout d’abord que leur importance est due à un fort approvisionnement en charge solide de la part de versants fragilisés. Dans les grandes plaines, le soutien à la charge liquide paraît avoir été maintenu –possible régime pluvio-nival amplifié par une nivosité accrue en altitude ? Les nappes fluviales restent hautes. Cependant, l’élévation du niveau des lacs apparaît comme postérieure. Elle est calée entre 697 et 722 ap. J.-C. dans le Jura (Le Petit Maclu 2 ; Magny 1992 ; 2001), postérieure à 660-890 ap. J.-C. (1250 ± 55 BP) au lac, plus proche, de Paladru (Borel et al. 1998) [fig. 116]. Par ailleurs, sur les versants, l’érosion active et les nappes d’alluvions grossières qui ne sont pas transportées sur de longues distances soulignent un régime torrentiel avec des pluies concentrées, sur de courtes durées, qui apparaît en opposition avec le constat fait dans les grandes plaines. Le vie s. verrait la fin progressive de l’amélioration climatique précédente (cf. § 14.5.2) sur le plan des températures, alors que se développerait un régime de pluies concentrées, et corrélativement une forte activité érosive, conduisant à un exhaussement généralisé des grands systèmes fluviaux, y maintenant les nappes élevées. Les dérèglements hydroclimatiques ne semblent pas s’accompagner d’un abaissement de la température moyenne. La fin de la montée en altitude de la limite supérieure de la forêt, sous l’effet du réchauffement, est située autour de 600 ap. J.-C. (1350 BP) [Kullman, Engelmark 1990].
14.5.4 Des viie et viiie siècles à la fin du xiie siècle : stabilité et pédogenèse
100Une pédogenèse brunifïante se développe à partir des viie-viiie s. (fig. 98, 108, 112). Elle transforme, altère les formations sédimentaires qui s’étaient mises en place à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge. Ses caractères, sa datation et sa signification ont été présentés en détail plus haut (cf. § 14.4). Cette phase de stabilité s’étend au moins jusqu’au xiie s. Sa durée, quatre à cinq siècles, est particulièrement longue. Pendant toute cette période, les formes d’alluvionnement et de colluvionnement sont restées très limitées. Des crues sont enregistrées dans les très basses plaines et ont dilaté quelque peu les profils pédologiques. Les traits microscopiques nous ont montré que la formation de ce paléosol n’a pas été uniforme car deux phases principales se dégagent.
101Le bilan hydrologique serait, en un premier temps, fortement positif (pluies abondantes, peu d’évaporation, températures plus basses). Deux types de terroirs s’opposent alors. Les sols semblent bien drainés sur les pentes et les pieds de versant, les cônes torrentiels pléistocènes et les terrasses quaternaires, terrains que l’on rencontre surtout au nord du tracé (d’Upie/ Les Vignarets à Montboucher-sur-Jabron /Constantin). Plus au sud, ils apparaissent moins bien drainés et sensibles à de rares épisodes de crue dans les basses plaines alluviales et les dépressions suite à la conjonction de deux facteurs : l’abandon généralisé des systèmes de drainage à l’extrême fin de l’Antiquité, à la transition vie-viie s. (Berger, Jung 1999), et la remontée des niveaux hydriques, sous contrainte fluviale en relation avec la péjoration hydroclimatique contemporaine (Provansal et al. 1999). Dans ces dernières unités de paysage, l’extension de prairies humides est des plus probables. Les mises en culture, dont on ne retrouve d’ailleurs pas de traces, y sont limitées naturellement par le haut niveau des aquifères, qui ne gêne en rien, par contre, la pratique du pastoralisme. S’il reste difficile d’évaluer la place exacte tenue par la forêt, il est sûr quelle n’est pas l’élément dominant du paysage. Au nord du tracé, bien que la situation y soit moins tranchée, la prairie a dû également tenir une place non négligeable aux côtés des cultures et de la forêt. Le très grand nombre de microcharbons présents dans ce sol suggère – même s’il faut le relativiser par la longue durée pendant laquelle se fait cette accumulation – des feux de prairie fréquents que l’on peut à titre d’hypothèse attribuer à de l’entretien pastoral, et parfois de bosquets. Comme pour les microcharbons, l’enrichissement en matière organique, peut-être relatif à des formes d’amendement, est difficile à placer dans l’une ou l’autre des deux phases.
102Dans un deuxième temps, la précipitation de carbonates secondaires révèle que seule une période présentant des caractéristiques climatiques différentes de l’actuel –globalement plus sèches et surtout plus chaudes, associées à une augmentation des processus d’évapotranspiration*– a pu favoriser ces signatures. Leur présence peut être interprétée en termes de signal thermique. On assisterait à la remontée, vers le nord de la vallée du Rhône, du climat méditerranéen typique, à saison chaude et sèche prolongée, en association avec une modification du régime de circulation des vents dans le nord-ouest de la zone méditerranéenne. De telles signatures révèlent une amélioration climatique centrée sur la seconde partie du haut Moyen Âge, qui peut être corrélée avec cette période que de nombreux auteurs qualifient de « petit optimum climatique médiéval » (Goudie 1992 ; Lamb 1995). Cette phase s’accompagne d’une modification des conditions de drainage dans les plaines alluviales. Elle se manifeste par un abaissement marqué des mêmes aquifères, en corrélation avec une incision importante des lits fluviaux des petits affluents préalpins de la Valdaine en rive gauche du Rhône (la Riaille à Châteauneuf-du-Rhône, le Lanson à Portes-en-Valdaine, le Bramefaim à la Bégude-de-Mazenc), probablement au cours des xe-xiiie s., processus juste antérieur à 460 ± 60 BP (1307-1361 ap. J.-C.), date du basculement hydrosédimentaire dans le bassin du Vermenon-Bramefaim, et contemporain de 710 ± 50 BP (1231-1394 ap. J.-C.) [Berger 1996a].
103L’amélioration des conditions de drainage naturelles, corrélative à l’amélioration hydroclimatique de la fin du haut Moyen Âge, favorise l’occupation et la mise en valeur des basses plaines alluviales au cours de la période couvrant la fin du haut Moyen Âge et le début du Moyen Âge classique. Ces terroirs fluviaux apparaissent alors très attractifs, car ils présentent des sols riches et faciles à travailler d’un point de vue agronomique : les terres sont légères (limoneuses) et enrichies en matières organiques après quatre ou cinq siècles de pédogenèse. D’autre part, les sols sont bien drainés naturellement du fait de l’encaissement des lits fluviaux, donc ne nécessitent pas un investissement en systèmes hydrauliques –fait corroboré par la très faible densité des réseaux drainants identifiés en surface de ce paléosol (Berger, Jung 1999).
104Ce paléosol n’a pas véritablement été signalé dans d’autres contextes géographiques du domaine méridional français comme un élément déterminant de l’évolution des paysages médiévaux ; on notera le sol brun calcaire décrit en Provence, surmontant la nappe torrentielle post-antique, aux Moulins de Barbcgal, cmne de Fontvielle, Bouches-du-Rhône (Ballais et al. 1993). On peut y voir plusieurs raisons : cette période n’a que rarement fait l’objet d’études géo-archéologiques approfondies ; ensuite la priorité a été accordée, dans les études géomorphologiques, aux phases de dérèglement hydrologique et d’accumulation ; enfin ces évolutions pédologiques, discrètes –relativement aux paléosols interglaciaires utilisés comme repères stratigraphiques en géologie du Quaternaire–, ne sont pas toujours remarquées. Nous avons encore pu observer une pédogenèse semblable (sans carbonatation secondaire) qu’il est intéressant de signaler parce qu’elle se situe en altitude, à 800 m, dans le haut Diois, à Boule/ Merlet (1024-1293 ap. J.-C. [835 ± 90 BP : GIF 89290]) et à Luc-en-Diois, non datée –mais au-dessus de niveaux antiques– sur une colluvion* de pente instable (Brochier 1990). Dans l’est de la région lyonnaise, à Saint-Romain-de-Jallionas, et en Languedoc oriental (plaine du Vidourle), ce paléosol caractérise également la stabilité des hydrosystèmes entre le viie‑viiie s. et le Moyen Âge classique (Berger et al. 2003 ; Berger, Gazenbeek 1998).
105Dans le domaine de la paléohydrologie méridionale, si aucune trace d’évolution pédologique n’est clairement identifiée, il faut signaler l’étonnante concordance des résultats obtenus au cours des vingt dernières années. Les auteurs soulignent l’absence récurrente de signatures alluviales dans les lits fluviaux, probablement associée à l’encaissement des lits, et le développement corrélatif de faciès tourbeux, notamment dans les dépressions. Carmona Gonzales et al. (1985) signalent ainsi sur le site de Valence (Espagne) la longue stabilité du milieu entre le vie-viie s. et le xe‑xie s., comme Bravard (Bravard 1993 ; Bravard et al. 1997), après le viie s. et jusqu’au xiiie s. dans les Alpes du Nord et la région lyonnaise, ainsi que Provansal et Morhange (1995) de la basse Provence à la Provence orientale, dans le même horizon chronologique. La production tourbeuse est également interprétée comme étant un marqueur de la stabilité du haut Moyen Âge corrélée à la forte réduction des apports dus à l’érosion.
106Afin de préciser la succession des différents événements climatiques enregistrés à l’origine de ce paléosol, nous prendrons comme référence l’étude d’une séquence sédimentaire lacustre proche qui offre une très haute résolution chronologique pour cette période. Il s’agit de celle du site de Colletière (Isère), sur le lac de Paladru, au pied des Alpes, à moins de 100 km au nord du secteur pris en compte ici, et toujours dans le même bassin versant, celui du Rhône. L’étude détaillée des microlaminations lacustres, antérieures à l’occupation médiévale de l’an mille du site de Colletière, a mis en évidence un fort abaissement de la nappe d’eau à ce moment. Sur les quatre siècles qui l’ont précédé, les variations de niveau du lac (fig. 116) peuvent être suivies à l’aide de la microstratification avec un pas de temps très court (Brochier, Druart 1993 ; Borel et al. 1996 ; 1998). Le lac de Paladru, qui ne reçoit pas de rivière importante, se comporte un peu comme un pluviomètre ; les variations peuvent être interprétées en termes de bilan hydroclimatique. Les premiers signes d’abaissement apparaissent entre 350-550 ap J.– C. et 450-650 ap J.-C. (cf. § 14.5.3), et perdurent au viie s. Une phase transgressive prend place d’environ 750-800 à 880 ap. J.-C., puis une nouvelle phase régressive, qui va conduire à l’exondation des rives, se met en place de 895 à 946 ap. J.-C. Après une courte transgression de 946 à 974 ap. J.-C., les rives finissent par être exondées de 980 à 1040 ap. J.-C. au moins, date des derniers aménagements humains sur le site. La période de plus fort stress hydrique se situe entre 890-900 et 1040-1100 ap. J.-C., ce qui n’exclut pas des inondations, voire des séries de mauvaises années (remontée du niveau de 946 à 974 ap. J.-C.). Ces phases représentent des variations climatiques de large amplitude puisqu’on les retrouve, dans les grandes lignes, dans le Jura, autour des Alpes et en Europe (Magny et al. 1995 ; Magny 2001).
107La genèse du paléosol médiéval recouvre donc plusieurs épisodes hydroclimatiques. Les tendances régressives l’emportant sur les tendances transgressives qui seraient contemporaines de l’engorgement du sol dans les basses plaines et les cuvettes. On peut supposer que les conditions de déficit hydrique, sensibles sur le piémont alpin, sont encore plus marquées dans notre secteur d’étude situé à l’extrémité septentrionale du domaine méditerranéen.
108Les débuts supposés de la pédogenèse au viie s. ou viiie s. devraient correspondre, en vallée du Rhône, à de bas niveaux des nappes. Aucun trait pédosédimentaire* ne caractérise ce moment. Ils ont pu être gommés par la puissante remontée des nappes qui va suivre. La répartition des pluies dans l’année pourrait être responsable de ces conjonctures différentes. Un bilan hydrique globalement déficitaire et des pluies tombant en fin et début de mauvaise saison pourraient expliquer à la fois les bas niveaux lacustres des vie-viie s., l’avancée glaciaire de Göschenen 2 dans les Alpes (fig. 116), et l’absence de traits pédosédimentaires*, due à une période des pluies peu favorable à leur fabrication.
109L’élévation du niveau des lacs est sensible à partir de 750 ap. J.-C. à Paladru (Borel et al. 1998) et après 697 ap. J.-C. au Petit Maclu (Magny 2001). Ces conditions d’hydromorphie* sont clairement marquées dans le paléosol de la vallée du Rhône. Les bilans hydriques sont positifs, corrélativement à une pluviométrie en augmentation mais aussi à un refroidissement probable du climat. Les glaciers dans les Alpes continuent à avancer (fig. 116).
110La fin du mouvement d’avancée des glaciers reste imprécise –tout comme le début–, mais aucun auteur n’observe d’avancée après 850 ap. J.-C. Nous corrélerons les lits très blancs de craie lacustre à gros cristaux de calcite du lac de Paladru (Borel et al. 1996 ; 1998), qui se développent à partir de 890 ap. J.-C., avec une période plus chaude et sèche qui serait responsable du recul des glaciers, ainsi que des nombreuses carbonatations secondaires observées dans le sol médiéval en moyenne vallée du Rhône. Ces corrélations avec le lac de Paladru nous permettent donc de proposer un calage précis, autour de 890-900 ap. J.-C., au moment où s’abaissent les nappes phréatiques dans les basses plaines. La période d’environ 900 à 1100 ap. J.-C. voit à plusieurs endroits l’exondation des rives lacustres (Magny 1992 ; 1993).
111Se pose maintenant la question de l’« optimum climatique » centré sur l’an mille (Alexandre 1987 ; Lamb 1995) connu aussi sous le nom de little optimum Holocene dans la littérature anglo-saxonne (Goudie 1992). Le paléosol médiéval, dont la formation débute au cours du viie s. ou du viiie s., les données du lac de Paladru que nous venons d’examiner, celles du lac d’Ilay (Magny et al. 1995) montrent que c’est un phénomène qui d’une certaine façon s’étend sur plusieurs siècles, la phase la plus chaude et sèche commençant dès le début du xe s. Les effets sur l’organisation et l’économie de la société féodale n’ont peut-être été sensibles qu’un siècle plus tard, autour de l’an mille, ou alors peut-être s’agit-il du moment où la relation de ces effets nous est mieux connue. Cette amélioration climatique, plus complexe, aurait de ce fait hérité du nom d’« optimum climatique de l’an mille ». Sur la longue durée de l’Holocène, les variations du 14C résiduel dans l’atmosphère, qui reflètent les maxima d’activité solaire (Damon et al. 1989), et les variations de l’isotope 18 de l’oxygène dans les glaces de la carotte de Camp Century au Groenland (Dansgaard et al. 1984) démontrent que l’amélioration climatique, « optimum », serait en fait centrée sur le milieu du premier millénaire ap. J.-C. (cf. § 14.6.2) [Magny 2001]. Il n’en reste pas moins que l’on est en présence d’une amélioration climatique très importante.
112La longue phase qui s’étend du viie-viiie s., au xiie s., associée à la formation du paléosol, est représentative dans son ensemble d’un remarquable calme morphosédimentaire*, comme il n’en a pas existé d’aussi longs à d’autres moments des temps historiques. Les accumulations sédimentaires, même en pied de versant (Upie/Les Vignarets, Crest/ Bourbousson) sont quasi nulles. Ceci suppose la bonne stabilité des versants protégés par la végétation, puis par les aménagements humains à partir du xie s. L’absence de dépôts alluviaux est une donnée générale (Bravard 1993 ; Provansal, Morhange 1995 ; Arnaud-Fassetta, Landuré 1997 ; Bravard et al. 1997). Le delta du Rhône n’est de ce fait pas approvisionné ; le trait de côte méditerranéen n’avance pas de 700 à 900 ap. J.-C. (Fassetta et Vella, comm. orale, Lattes 1998). Quelques épisodes orageux violents, responsables d’inondations dans l’abbatiale de Cruas (Ardèche), en rive droite du Rhône, sont cependant signalés à la fin du viiie et au ixe s. et modèrent quelque peu ce bilan. Des épisodes de crues peu puissantes (dépôts fins) y sont également notés au cours du viiie s. (Bravard 1993 ; Bravard, Tardieu à paraître).
113Il est étonnant de constater que les conditions climatiques plus xériques et contrastées de 900 à 1100 ap. J.-C., voisines de celles connues entre 450 et 600 ap. J.-C., n’ont pas conduit aux mêmes phénomènes érosifs et dépositionnels qu’à cette période (cf. § 14.5.3). Elles ne sont pas, ou moins, associées à des pluies concentrées. On n’observe pas de traces d’illuviations grossières dans les sols, à la différence de ce qui se passe entre 450 et 600. Au moment de l’an mille, les lacs de Paladru (Brochier, Druart 1993 ; Borel et al. 1996 ; 1998) et d’Annecy (Buillit et al. 1997) présentent des arrivées de sédiments détritiques mis en relation avec une exploitation plus intensive de leurs bassins versants. Les alluvionnements détritiques et les colluvions* de pente ne redémarrent en moyenne vallée du Rhône qu’après le xiie s., voire plus tard (fig. 98, 111). Plusieurs aménagements en terrasses, témoins archéologiques encore rares, peuvent être cependant attribués aux xie-xiie s. aux Treilayes (Rémy 1997), à Crest/Bourbousson (Bastard, Stephenson 2002), en Valdaine (Berger 1996a), à Poyol/Pré Roussi dans le Diois (1130-1300 ap. J.-C. ; 775 ± 50 BP : Ballandras 1997). Ces aménagements, s’ils ont effectivement été plus nombreux, ont pu freiner l’érosion sur les pentes jusqu’à leur abandon ou destruction au xiiie-xive s., mais rien ne démontre qu’ils aient à l’origine été réalisés dans ce but.
114Les caractéristiques et l’extension de ce paléosol médiéval nous conduisent à discuter ici d’un parallélisme possible avec les « terres noires » du Nord-Ouest européen.
115La question de l’origine des « terres noires », retrouvées, de manière récurrente, en contexte urbain au-dessus des niveaux antiques, a suscité bien des débats et des études pluridisciplinaires depuis une vingtaine d’années (MacPhail 1981 ; Courty et al. 1989 ; Yule 1990 ; Cammas et al. 1995). Ces « terres noires » (ou dark earth) ont surtout été mises au jour en Angleterre et plus récemment en France en contexte urbain ou périurbain.
116En France, elles présentent une épaisseur moyenne de 0,20 à 0,40 m –mais peuvent dépasser le mètre– et leur chronologie a pu être établie assez précisément entre la fin de l’Antiquité et le xie s. dans les contextes urbains du centre et du nord de la France (Cammas et al. 1995), mais également jusqu’à Lyon (Arlaud et al. 1994a). En Angleterre, leur développement s’amorce plus précocement, dès le iie s., mais plus sûrement à partir des ive-ve s. et se poursuit jusqu’au xe s. (Yule 1990 ; MacPhail 1994). À Londres, il semble que ces dépôts ne se constituent pas avant 700 ap. J.-C. (Courty et al. 1989). Ils existent dans le sud de la France, à Valence (fouilles Rhétoré) dans un contexte chronologique mal précisé, mais qui recoupe la période médiévale.
117Ces « terres » sont très enrichies en éléments organiques, calcinés ou non –principalement d’origine végétale–, accumulés par des rejets humains en périphérie des villes. Elles présentent aussi des matières organiques de type humus (MacPhail 1994). Les auteurs évoquent souvent des paysages de terrains vagues (Courty et al. 1989) ou une pratique horticole, révélée notamment par les études de pollens et de phytolithes* (MacPhail 1981 ; 1994). Ils discutent également d’un abandon prolongé des zones concernées par la formation de ces dépôts, de la stabilité du milieu (Yule 1990 ; MacPhail 1994), d’absence de dépôts sédimentaires naturels (MacPhail 1981) et d’une activité biologique (microstructure granulaire, assemblage excrémental, porosité biologique, dissolution des carbonates, matière organique de type humus, etc. : Courty et al. 1989) responsables entre autre de l’homogénéisation de cet horizon. L’ensemble de ces descriptions nous évoque une certaine durée et une probable évolution pédologique, proche de celle perçue dans les contextes nettement moins anthropisés de la moyenne vallée du Rhône. Même si les auteurs anglo-saxons n’utilisent jamais véritablement le terme de « pédogenèse », son équivalent rural et méridional pourrait être matérialisé sous la forme du paléosol brunifié discuté dans le cadre de ce chapitre, et qui se développe à la même période (fig. 112). On observe donc un synchronisme entre les « terres noires » du centre-nord de la France, de l’Angleterre et la pédogenèse brunifiante caractérisée dans le sud-est de la France. Pourquoi ne pas envisager alors une pédogenèse qui commencerait à se développer sur des niveaux post-antiques, évoluant au cours du haut Moyen Âge en sol cumulique et/ou en anthroposol dans les contextes urbains et périurbains de l’Europe du Nord-Ouest par des rejets ou des amendements réguliers favorisés par la proximité des habitats et la densité des matériaux produits et rejetés par une cité. L’homogénéité des conditions climatiques et pédologiques de l’Europe du Nord-Ouest expliquerait le caractère plus humique et sombre de ces « terres noires » par rapport à l’Europe méditerranéenne, dont les conditions bioclimatiques contrastées favorisent une plus rapide minéralisation des éléments organiques. Cette hypothèse devra être discutée en comparant ces sols aux échelles microscopiques et en recherchant des jalons intermédiaires dans le centre-sud de la France (Bourgogne, Auvergne, région lyonnaise), en contexte rural comme en contexte urbain (Clermont-Ferrand, Lyon, Dijon, etc.). Si tel était le cas, la large répartition spatiale de ces « sols noirs », n’aurait pas seulement une signification anthropogénique, en marge des pôles urbains médiévaux, mais elle pourrait symboliser la longue stabilité du milieu au cours du haut Moyen Âge dans l’ensemble de l’Europe occidentale.
14.5.5 Les xiiie et xive siècles (?) : nouveaux dérèglements hydrologiques
118Le point d’interrogation placé derrière la proposition de datation de cette nouvelle phase pédosédimentaire* souligne toute la difficulté à caler chronologiquement un phénomène de troncature généralisée qui touche, dans le nord du tracé, l’ensemble des dépôts antérieurement constitués. Dans plusieurs cas, cette forte ablation peut être le résultat d’une succession de phases érosives jusqu’à la période actuelle. Mais en général, il s’agit de dépôts d’âge historique, mal datés, reposant en discordance (après troncature) sur le paléosol du Moyen Âge. À Upie/ Les Vignarets, des alluvionnements grossiers, antérieurs aux xive-xve s., viennent épouser et recouvrir les troncatures et incisions qui ont marqué le paléosol. Un fossé médiéval est endommagé, comblé et recouvert de façon brutale autour du xiiie s., puis recreusé à la fin du xive s. (Berger, Jung 1999). L’ampleur des divagations et la puissance des cours d’eau sont alors considérables sur tous les piémonts du Vercors (fig. 100, 101). La relativement bonne conservation des structures d’habitat des xie-xiie s., à Constantin, Bourbousson, aux Vignarets (constructions fragiles : en terre crue ou en pierres à mortier de terre ; cf. chap. 18) plaide en faveur d’un recouvrement (accompagné d’une troncature) rapide après abandon. Cet enfouissement protecteur interviendrait dans une durée ne dépassant guère deux ou trois décennies, et certainement pas un siècle. Sur les versants intramontagnards, la terrasse du haut Moyen Âge de Poyol / Pré Roussi est fossilisée par 4 m de cailloutis de solifluxion. Ballandras (1997) rapporte la forte incision que subissent ces graviers suite à une possible déprise rurale qui serait, à titre d’hypothèse, consécutive à la peste noire, au milieu du xive s. Le paléosol de Boule/ Merlet est également recouvert de 2 m de cailloutis de pente. À Bonlieu/Les Reynière, sur la rive du Roubion, une souche datée de 1053-1252 ap. J.-C. (850 ± 40 BP : Ly 5505) [Brochier 1986] est rapidement recouverte, avant pourrissement, par 2 m d’accrétion sableuse alluvionnaire. À Charavines / Colletière, l’habitat médiéval qui se termine peu après 1040 ap. J.-C. (Colardelle, Verdel 1993) est rapidement ennoyé par une montée des eaux du lac.
119Dans les basses plaines rhodaniennes –Tricastin, confluence Rhône-Aygues–, le sol médiéval est régulièrement recouvert par des limons de crues gris clair qu’aucun élément ne permet de dater précisément. Ils présentent cependant un âge médiéval (antérieur à 240 BP) et leur dépôt, qui correspond au premier épisode d’aggradation fluviale post-haut Moyen Âge, peut être situé entre le xiie et le xive s. (datation 14C en cours). La présence récurrente de carbonatations secondaires au sein des limons fluviaux (cf. § 14.3.3) révèle sans doute une période à la fois pluvieuse et chaude (forte évapotranspiration*), des précipitations centrées sur la saison estivale –coïncidence entre les maxima pluviométrique et thermique–, ou alors une phase d’assèchement prolongée à la suite d’une phase plus humide.
120Cet épisode hydrologique pourrait être –comme souvent– une succession d’épisodes qui se placeraient dès la fin du xie s., dans le xiie s., avec une accentuation au xiiie s. L’instabilité des versants et la charge solide qui transite dans les cours d’eau démontrent qu’ils ne sont pas, même en montagne, recouverts d’une forêt protectrice. Cette phase, disons post‑xiie s., pourtant drastique, trouve peu de correspondances dans le Sud-Est français. Ce qui n’est pas étonnant, car les éléments de datation faisant souvent défaut, on a tendance à en attribuer les dépôts au Petit Âge glaciaire, dont les effets sont mieux connus. Les indications paléohydrologiques sur cette période proviennent principalement de l’étude des archives et des textes médiévaux. Ainsi P. Blanchemanche (comm. orale, Lattes 1999) révèle un nombre plus important d’inondations du Lez (Hérault) entre 1200 et 1330 ap. J.-C. P. Alexandre (1987), dans sa synthèse sur l’histoire du climat au Moyen Âge, insiste sur la succession de quelques décennies particulièrement pluvieuses dans la seconde partie du xiie s. sur l’ensemble de l’Europe occidentale. L’utilisation qu’il fait des sources historiques est cependant critiquée dans différentes revues d’histoire (Burnouf, comm. pers.). J.-P Bravard (1993) évoque la succession de quelques épisodes de crue dans les Alpes entre la fin du xie s. et la fin du xiiie s. et signale le même phénomène en Espagne en citant Butzer et al. (1983). À Lyon, des dommages sont occasionnés au pont de la Guillotière (Bravard et al. 1997). Mais pour lui, il ne semble pas que ces inondations aient modifié le fonctionnement hydromorphologique des cours d’eau dans le bassin du Rhône. Les paysages des vallées médiévales alpines, pour autant que les textes soient crédibles, présenteraient alors tous les caractères d’une hydrologie calme et d’un faible transport de charge de fond –lit unique, moulins, ponts, vergers et vignes riveraines, etc. (Bravard 1993 : 177).
14.5.6 xive-xve s. et xvie s. (?) : alternance de stabilité et d’instabilité, les prémisses du Petit Âge glaciaire
121Une alternance de décharges détritiques ou d’épisodes de crue et de pédogenèses (enregistrées à Crest/ Bourbousson 3, dans la plaine d’Orange) caractérise cette période, qui montre ainsi une succession de phases de stabilité et d’instabilité. Une suite d’événements identiques avait été observée sur les versants calcaires méridionaux du bassin valdainais (Berger 1996a). Un épisode de calme hydrosédimentaire est identifié dans la petite vallée de Chabrillan / Saint-Pierre par la formation de dépôts tourbeux à la date de 1414-1449 ap. J.-C. (480 ± 50 BP). Par ailleurs, au pied du Vercors, la Véore et l’Ourche incisent leurs cours de 3 à 4 m, pour atteindre le niveau où se déposera la terrasse historique des Temps modernes. Sur le bassin de la Drôme, un affluent du Béous, à Poyol / Pré Roussi, entame de 4 m les colluvions* précédentes. Le ruisseau du Merlet, à Boulc, incise également les précédentes colluvions* de pente, sur 4 m de hauteur. Ces incisions débutent après les colluvionnements qui recouvrent le paléosol du haut Moyen Âge et sont d’une durée qu’il est bien difficile de préciser, jusqu’à ce que le transport d’une charge solide conséquente conduise à la formation de nappes historiques, qui s’amorce au xvie, et plus assurément au xviie s. Ces phases de répit peuvent relever de causes anthropiques (déprise agropastorale favorable à la protection des versants et donc au blocage des débits solides) comme hydroclimatiques. Si les textes évoquent de tels événements, notamment au xive s. (guerres, peste), les données recueillies en moyenne vallée du Rhône ne se révèlent pas encore assez précises pour proposer une mise en relation avec les sources historiques.
122Dans les Alpes, la phase torrentielle du Bouchet, connue seulement par les textes, se place entre 1300 et 1450 ap. J.-C. Elle est enregistrée aussi bien dans les Alpes du nord que du sud (Pichard 1995 ; Miramont 1998). La décennie 1350- 1360, en particulier, correspond dans le bassin durancien à une forte période d’aggradation de la plaine alluviale et de recrudescence des crues de forte intensité (Miramont 1998). Ces dates sont souvent discutées pour le début du Petit Âge glaciaire. Pour Jorda et Roditis (1993) ou Bravard (1993), l’origine de la détérioration climatique des Temps modernes est à rechercher dans la crise rigoureuse de la seconde moitié du xive s. Pour les premiers auteurs « l’étude des gels du Rhône pendant le Petit Âge glaciaire témoigne de l’instabilité de cette période, caractérisée –selon des modalités saisonnières et/ou annuelles diversifiées– par la succession de phases de dégradation des paramètres climatiques, séparées par des phases d’amélioration relative ». Cette péjoration climatique provoque une réaction des organismes torrentiels alpins antérieure à la progression glaciaire d’altitude qui définit habituellement le Petit Âge glaciaire (Bravard 1993). Les avancées glaciaires correspondent à un rafraîchissement climatique plutôt centré sur les périodes de précipitations, printanières et estivales. Il apparaît que ces épisodes hydrologiques de la seconde moitié du xive s. sont synchrones avec la période de dégradation climatique reconnue à travers toute l’Europe (Pfister 1980 ; Le Roy Ladurie 1983 ; Lamb 1984 ; Alexandre 1987 ; Bork 1989 ; Bravard 1989 ; Bravard 1993) [fig. 116]. En Allemagne (Basse-Saxe méridionale), des flots dévastateurs et de profonds ravinements semblent caractérisés et datés, dans les formations lœssiques, au cours des décennies 1320-1340. Ils sont associés à une fragilisation anthropique (défrichements) et à une succession d’épisodes de précipitations exceptionnelles (Bork 1989). L’utilisation des données archéologiques pour dater cet épisode (tessons remaniés dans les formations sédimentaires) paraît cependant critiquable et sa datation pourrait donc être rajeunie (Bumouf, comm. pers.).
14.5.7 Du xvie siècle aux xixe et xxe siècles : exacerbation des dérèglements hydrologiques et de l’érosion sur les versants
123Deux types de dépôts sédimentaires sont représentatifs de cette période : les terrasses alluviales historiques sablo-graveleuses, et un dépôt de couleur claire de limons sableux et/ou de sable moyen selon les secteurs, toujours bien classé (fig. 98, 116).
124Dans les cours fluviaux, on assiste à la mise en place de nappes et terrasses historiques, souvent graveleuses (Jabron, Vermenon, Drôme, Ourche, Véore). Les sondages de la phase d’évaluation du TGV montrent que dans le cours inférieur de la Drôme se produit une métamorphose fluviale. Ce cours d’eau adopte alors un cours tressé* au xviie/xviiie s., et/ou peu après. Selon les textes, le lit de la Drôme, à Crest, s’exhausse à partir de 1585 ap. J.-C. (Landon 1996). L’alluvionnement de la Véore –au moins les 2 m supérieurs– débute au moins après 1492 ap. J.-C. Des études réalisées dans le cours majeur du Rhône en Tricastin (Berger, Brochier à paraître) révèlent une bande active beaucoup plus large qu’au xixe s. et des divagations multiples du fleuve (style en tresse*), dont le comblement se réalise vers 235 ± 50 BP (Ly-935), soit plus probablement dans la seconde moitié du xviie ou du xviiie s. en donnée calibrée. Ces formations fluviatiles sablo-graveleuses sont transformées en terrasse depuis l’incision récente du Rhône. La carte de Cassini (fin du xviiie s.) confirme que le Rhône développe alors un style fluvial en tresse*, très élargi dans la plaine alluviale du Tricastin.
125Sur les versants des collines et les terrasses pléistocènes, la systématisation des sondages du TGV a révélé l’existence et l’extension d’une formation superficielle particulière. Il s’agit d’un sable moyen à fin, de couleur claire, bien lavé, bien trié, à fraction fine quasi inexistante. D’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, on le trouve presque systématiquement sous les labours. Il s’agit toujours d’alluvio-colluvionnements de provenance locale. Ils peuvent représenter, du nord au sud, un événement météorologique « cataclysmique », ou être le fruit de plusieurs épisodes hydrologiques non synchrones. Dans les lits majeurs médio-rhodaniens, leur équivalent alluvial a également été observé de manière récurrente, dans la même position chronostratigraphique. Il se présente sous la forme d’une couche alluviale de crue jaunâtre, de texture* limoneuse à sableuse fine, pulvérulente, épaisse (de 0,50 à 0,70 m) et peu pédogénéisée (à structure* particulaire). Ces signatures témoignent d’un exhaussement important du plancher fluvial, généralisé depuis la plaine de la Drôme au nord jusqu’à la plaine d’Orange au sud. La rareté des traits pédologiques et de mise en culture identifiables sur le terrain, dans cet horizon, indique la vitesse de l’exhaussement alluvial et les contraintes exercées sur l’organisation de l’espace agricole. Il a été particulièrement bien caractérisé et daté dans la plaine du Tricastin (fig. 108). Le contexte chronostratigraphique régional situe cet épisode de « crise hydrosédimentaire » majeure dans la période contemporaine, postérieurement à la fin du xviie s., soit aux dates de 1680-1935 ap. J.-C. (160 ± 50 BP) et 1650-1804 ap. J.-C. (220 ± 50 BP), et antérieurement au xxe s. d’après les sources écrites ou orales.
126En aval, sur le bas Rhône, l’alluvionnement se concentre surtout au xviie s., avec une puissance jamais égalée au xviie/xviiie s. (Arnaud-Fassetta 1998). Dans les Alpes, la période 1540-1590 est marquée par une crise hydrologique de grande envergure, qui se caractérise par des crues fréquentes et de forte intensité (Pichard, cité par Miramont 1998). La fin du xviie/début xviiie s. et la seconde moitié du xviiie s. sont aussi l’objet d’une recrudescence de l’activité torrentielle en haute Provence. Des périodes de calme hydrologique alternent avec ces crises fluviales (Miramont 1998). Dans les Alpes, la phase torrentielle de Saint-Julien correspond au moins à la fin du Petit Âge glaciaire (de 1730 à 1900 ap. J.-C.) [Ballandras 1997]. Pour Bravard (Bravard et al. 1997), ces crises majeures de très forte activité fluviale sont interprétables par un changement durable –multiséculaire– des flux. L’excès de charge solide grossière se traduit par l’impossibilité pour les cours d’eau d’assurer son évacuation, ce qui engendre le raidissement de la pente de transport, l’élargissement de la bande d’activité, et une réduction de la profondeur et de la sinuosité des chenaux.
14.6 Conclusion
127Nous soulignerons d’abord que les restitutions présentées ici sur le climat et l’état des espaces occupés par l’homme n’ont été possibles que par une prise en compte de l’ensemble de la documentation sédimentaire, même en l’absence de tout vestige archéologique. Sur la soixantaine de séquences sédimentaires prises en compte, dont une quarantaine étudiée dans le détail, seulement six ont fait l’objet de fouilles. Les données issues des sondages de la phase d’évaluation du TGV, même ceux dits « négatifs », ont autant de poids et viennent compléter celles des sites dits « importants ».
14.6.1 Sur la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge
128Le Bas-Empire n’apparaît pas comme une période d’abandon généralisé de l’agrosystème et de développement des friches (Berger 2001). Sur le plan hydroclimatique, cette période semble même favorable à l’exploitation du territoire (calme hydrologique). Les lits fluviaux sont incisés, les basses plaines rhodaniennes accessibles. Les zones les plus mal drainées, notamment les cuvettes, sont de vastes prairies (Berger 1995). Il ne s’agit pas là de la démonstration d’une économie pastorale, cette option restant à examiner de près sur le plan des vestiges mobiliers et immobiliers.
129Une légère élévation de la température à la charnière de l’Antiquité et du Moyen Âge, dès le ive s. et jusqu’a la première moitié du vie s., favoriserait l’amélioration du drainage naturel dans les points bas. Après une période de stabilité, elle s’accompagne, au vie s., d’un dérèglement hydrologique rendant les accès aux basses plaines, comme aux versants difficiles. Inondations fréquentes, divagations des cours, recouvrements dans les basses plaines, érosions sur les versants sont alors des phénomènes forts et contraignants pour les communautés agropastorales. Ces phénomènes sont connus, en aval, dans le delta du Rhône, et ne conduisent pas à un abandon de l’habitat, qui se concentre alors principalement sur les bourrelets fluviaux, ni à une chute des activités (Arnaud-Fassetta, Landuré 1997). Les accrétions sédimentaires de la plaine rhodanienne contribuent, comme les limons du Nil, à entretenir une certaine fertilité des sols (cependant moindre que celle offerte par le paléosol brunifié développé au cours des ive et ve s.). Et les fortes troncatures et rabotages de ce sol, observés sur les versants, représentent assurément un affaiblissement agrologique important dans ces contextes topographiques, compte tenu des vastes surfaces concernées.
130La rareté des habitats, qui auraient dû logiquement être fossilisés par les limons de crue, a été confirmée par les opérations de diagnostic du TGV conduites suffisamment en profondeur. Elle tient sans doute plus du type de gestion des sols et des contraintes hydroclimatiques que des processus taphonomiques. Ces différents arguments doivent être discutés.
131Les habitats de versants ont été sérieusement détruits par les érosions, comme le montrent les nombreuses briques contenues dans les dépôts sédimentaires. Il peut bien sûr s’agir d’habitats contemporains de cette période, mais il peut s’y ajouter des vestiges remaniés antérieurs, du Bas-Empire par exemple, qu’il n’est pas possible de distinguer s’agissant essentiellement de briques.
132Les recouvrements sédimentaires importants d’une part (vestiges accessibles seulement en fouille profonde sous 2 à 3 m de sédiments dans la plaine d’Orange), et les érosions d’autre part (cf. chap. 7) ont de toute évidence conduit à une perte de l’information archéologique de terrain pour cette période charnière de l’Antiquité au Moyen Âge, contribuant ainsi à la rendre plus obscure. Il faut cependant moduler cette argumentation née du développement dans la région des études taphonomiques (Brochier 1991 ; 1999 ; Berger 1997 ; 2001). En effet, d’autres périodes, auparavant sous-représentées régionalement, ont été très clairement et parfois densément identifiées au sein des formations sédimentaires holocènes (Bronze final, La Tène récente-finale, une partie du Haut-Empire). Malgré la répétition des observations dans les milieux sédimentaires, le haut Moyen Âge demeure toujours sous-représenté (Berger 2001). Il faut chercher l’explication ailleurs, peut-être dans un déterminisme hydroclimatique, que l’on hésite bien souvent à mettre en avant. Les contraintes exercées par la fréquence d’occurrence des crues, par les érosions de berges, par les dépôts d’inondation à la surface des lits majeurs et par la remontée des niveaux hydriques, voire par l’instabilité latérale des lits fluviaux, ont certainement influencé les stratégies d’occupation des terroirs de plaine alluviale ou de fonds de talwegs sur versants. Elles se révèlent sans doute beaucoup plus importantes en contexte rural qu’en contexte urbain, dont les aménagements et les protections apparaissent beaucoup plus monumentaux et efficaces. Si les crues ne jouent pas un rôle déterminant sur la localisation et la durée des sites d’habitat, leur caractère épisodique ne perturbant pas durablement les activités, la montée du niveau hydrique, associée à une métamorphose des milieux fluviaux, est bien plus contraignante. Dans les villes, elle oblige à surélever les réseaux d’évacuation des eaux et, parfois, les réseaux viaires et les structures bâties. Dans les campagnes, l’élargissement de la bande d’activité et l’instabilité extrême réduisent fortement les possibilités d’installation à proximité des lits fluviaux (Provansal et al. 1999).
133Nous avons souligné, ici et là, entre le ve et le viie s., des traces d’exploitation du territoire : paléoincendies, sols déboisés et fragilisés (mis en culture), labours avec déversement des terres vers l’aval, implantation d’un réseau viaire sur versant (La Roche-sur-Grane/Verdier). Ces traces sont ténues, mais elles démontrent qu’une activité humaine subsiste dans la plupart des géosystèmes* et qu’elle est loin d’être négligeable, même si l’on connaît encore peu d’habitats de cette période. Cette observation (anthropisation du paysage/ rareté de l’habitat) a déjà été faite pour la période couvrant les ve-viie s., dans le bassin versant du lac de Paladru (Borel et al. 1998) et sur les bas plateaux limousins (Allée et al. 1997).
134Cet épisode, du fait de la troncature des reliefs et du remplissage des creux par les produits de l’érosion, mais aussi de l’agriculture, est une phase importante d’aplanissement généralisé conduisant au paysage actuel de grandes plaines plates. Les terrasses pléistocènes et versants héritent à l’Holocène ancien d’un paléorelief fait de buttes et vallons qui va mettre plusieurs millénaires à être gommé (Brochier 1997 ; Berger 1996a ; Berger et al. 1997). Il disparaît d’abord sous l’accrétion des basses plaines, mais ce modelé subsiste encore, atténué, sur les versants et terrasses anciennes. C’est ce paléorelief, avec buttes et zones déprimées, encore visibles de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, qui a permis la fossilisation des vestiges de cette période (cf. chap. 18).
14.6.2 Sur le Moyen Âge et l’« optimum climatique de l’an mille »
135La mise en évidence du paléosol du Moyen Âge révèle l’existence d’un long moment de stabilité, au moins égal à cinq siècles, de la fin du viie à la fin du xiie s. L’ampleur des travaux du TGV-Méditerranée révèle l’extension spatiale de ce phénomène à tous les géosystèmes* considérés. Cette période comporte en fait plusieurs phases d’amélioration et de péjoration climatiques. La plus grande abondance des textes à partir du xie s. a quelque peu centré la réflexion sur l’an mille. La présence de ce paléosol du Moyen Âge nous permet d’affirmer que l’on doit considérer ce phénomène sur une plus longue durée si l’on veut étudier les liens entre le climat et les changements socio-économiques majeurs des débuts du xie s. À la suite d’une phase caractérisée par un bilan hydrique fortement positif, dans la première partie du Moyen Âge, jusqu’aux viiie et/ou ixe s., pendant laquelle les sols des basses plaines rhodaniennes restent fréquemment gorgés d’eau, des conditions de nouveau plus chaudes et sèches se mettent en place à partir de 900 ap. J.-C., si la corrélation chronologique établie avec le lac de Paladru est bonne, et cela jusqu’en 1100 voire peut-être 1200 ap. J.-C. Du fait de l’abaissement des nappes, la qualité agrologique de la couverture pédologique, dont la formation a débuté dès le viie s., apparaît alors très attractive, même dans les basses plaines fluviales. Elle se caractérise par un horizon structural assez développé et une bonne stabilité, une porosité biologique importante favorisant l’aération et les circulations hydriques, une bonne profondeur dans les plaines alluviales, les cuvettes et les pieds de versant, favorisant l’enracinement des plantes, et enfin un complexe organo-minéral* développé, enrichi en matières organiques finement intégrées à la fraction fine du sol. Ce sol a donc effectivement pu permettre, à partir du xe s., de bonnes récoltes de céréales, favorisées par la chaleur et quelques pluies d’été. Ces conditions ont été discutées par Colardelle et Verdel (1993) comme pouvant être à l’origine des développements socio-économiques reconnus en l’an mille. Les données de terrain, sur le tracé du TGV, viennent conforter cette hypothèse. On peut y voir un lien entre conditions paléoenvironnementales et évolution économique. On notera cependant que ces conditions existent déjà, dès le début du xe s., un siècle avant les transformations, agricole et démographique, qui caractérisent l’an mille. Les traces de culture, d’après la micromorphologie, restent rares et ne se trouvent qu’au nord du tracé. La plaine rhodanienne paraît rester le domaine des prairies. On peut également se demander si l’appauvrissement des sols médiévaux par le développement des défrichements et des mises en culture n’est pas une idée surfaite, empreinte des conceptions modernistes, voire actualistes de leurs auteurs. De fait, il semble que jusqu’aux xiie-xiiie s. l’action anthropique demeure restreinte et n’affecte que très modérément la couverture pédologique, par une association de facteurs que l’on peut résumer en trois points : bonnes rotations agricoles (?), maintien de vastes espaces en herbe réservés à l’élevage et faible agressivité des processus climatiques. Les changements surviennent à partir des xiiie-xive s. ; l’érosion apparaît alors plus active car elle provoque indirectement, par les phénomènes de crue, le recouvrement du paléosol brunifié du haut Moyen Âge. Ce rajeunissement de la couverture pédologique dans les points bas modifie alors le potentiel agrologique et donc le rendement des sols.
136Si la période 900-1100/1200 ap. J.-C. peut être considérée comme une amélioration climatique, s’agit-il pour autant d’un optimum ? Les données pédosédimentaires* pour le ve s. sont relativement proches, et nous avons vu (cf. § 14.5.2) que cette période pouvait même être considérée comme le maximum d’un cycle de réchauffement du climat, situé à égale distance entre les phases de refroidissement majeures qui ont caractérisé le premier âge du Fer et l’Époque moderne (Petit Âge glaciaire). Sur le terrain, en tout cas, les signatures pédoclimatiques* paraissent voisines. On doit cependant souligner la longue stabilité de deux siècles qui a précédé le xe s. et a pu jouer un rôle dans les comportements humains vis-à-vis du milieu naturel et de son exploitation.
137Durant la formation de ce sol, la forêt, même si elle peut avoir généré une partie de la matière organique du sol, n’apparaît jamais très présente ni très étendue. La présence du chêne vert à Upie et à Chabeuil / Les Brocards, dans le nord de la Drôme, ne s’accorde pas avec l’idée d’une forêt dense, dominée par le chêne caducifolié (cf. chap. 15). Rappelons que la moyenne vallée du Rhône a connu d’importantes déforestations dès le Néolithique, et que l’on assiste depuis à un jeu d’emprises et de déprises sur le territoire, où les espaces ouverts tiennent toujours une bonne place (Brochier 1991 ; Berger 1996a). La vaste forêt « originelle » ou « primaire », couvrant la majorité de l’espace rural et déboisée au Moyen Âge, relève quelque peu du mythe (Burnouf 1998). Quand il y a déboisement, la charge en microcharbons du sol médiéval indique que les incendies jouent un rôle important, mais également, et peut-être plutôt, pour l’entretien des prairies. Les raisonnements doivent intégrer, pour la perception et la compréhension de cette période dite « obscure », la place importante de ces espaces ouverts, indépendants ou en relation avec une forêt toujours discontinue et plus ou moins entretenue –herbages sous couvert forestier–, exception faite peut-être de la ripisylve (forêt-galerie). Ces résultats confortent les restitutions paléobotaniques récentes effectuées dans le Bassin parisien (Leroyer 1997) et l’Ouest de la France (nord de la Mayenne : Barbier 1999). L’ensemble des espaces de ces régions apparaissent en effet déboisés au cours du haut Moyen Âge, et aucun reboisement n’y est enregistré dans les diagrammes palynologiques.
138Le suivi géo-archéologique de la phase de sondages, où la période comprise entre le viie et le xiie s. est facilement repérable, même en l’absence de vestiges, grâce à la présence régulière du paléosol, permet de faire plusieurs observations sur la répartition de l’habitat. Quasiment aucun vestige immobilier n’a été rencontré dans les plaines rhodaniennes du Tricastin et d’Orange. Les fossés agraires synchrones du fonctionnement du paléosol demeurent limités. Dans ces secteurs, les épandages de tessons médiévaux se sont révélés très ponctuels et localisés (Mondragon / Saint Jean) à la différence des périodes romaine et moderne. Est-il alors pertinent de considérer l’existence d’amendements agricoles au cours de cette première moitié du Moyen Âge ? La richesse en matière organique peut provenir des végétaux et/ou, de façon « naturelle », des animaux pâturant dans ces espaces. La question reste quelque peu en suspens. Le suivi rigoureux et systématique des sondages de prospection, tous les 50 m, n’aurait pas manqué de repérer ces éléments. Le sol médiéval, bien recouvert par des accrétions sédimentaires, y est mieux conservé qu’au nord ; il est donc difficile d’envisager une troncature généralisée de l’information archéologique, même si de telles signatures sont localement identifiées.
139La documentation archéologique concernant l’habitat est plus riche dans le nord, là où le sol a été le plus démantelé par les érosions postérieures. Les constructions et la gestion de l’espace se font donc différemment entre les plaines à nappe phréatique élevée, domaine des prairies et du pastoralisme, sans habitat construit, et les versants ou piémonts mieux drainés –habitats, cultures et prairies. Il faut tout de même rappeler que l’information globale sur la plaine rhodanienne et ses cônes détritiques latéraux est fortement biaisée, puisque les vestiges de la période considérée sont régulièrement enfouis sous 1 à 2 m de profondeur et n’apparaissent donc pas dans les labours. La nature même du tracé peut aussi être une cause explicative à cette carence en sites archéologiques du haut Moyen Âge et du Moyen Âge classique. En effet, il ne longe jamais les cours d’eau, et au contraire les recoupe transversalement, la plupart du temps dans la plus petite largeur du lit fluvial –perpendiculairement. Or, deux sites ont été identifiés à proximité des lits fluviaux, et parfois même du chenal actif (Montboucher-sur-Jabron/Constantin). Si l’habitat dispersé médiéval s’est concentré au plus près du réseau hydrologique, au cours d’une période « favorable » marquée par une incision des lits fluviaux et une remarquable stabilité morphosédimentaire*, on peut trouver là une explication au faible nombre de sites identifiés. Enfin, un dernier facteur peut être évoqué, il concerne la dynamique propre du peuplement médiéval, et peut servir de trame explicative principalement pour le Moyen Âge classique. Le regroupement de la majorité du monde rural par la société féodale dans de nouveaux pôles –gros villages et bourgs seigneuriaux– se produit au terme d’une compétition impitoyable qui élimine plus de la moitié des habitats antérieurs (Archaeomedes 1998). Ces habitats groupés, créés pour la plupart au xiie s., perdurent alors jusqu’à nos jours et se retrouvent aujourd’hui en lieu et place de la plupart des villages de la moyenne vallée du Rhône, que le tracé du TGV a soigneusement évité.
140Le transect linéaire quasi continu du TGV fournit, quoi qu’il en soit, une évaluation non négligeable qui permet de poser ces premières questions quant à l’occupation de l’espace.
14.6.3 Sur le bas Moyen Âge et le début des Temps modernes
141Pour ces périodes, le climat commence à être mieux connu par les textes (Pfister 1980 ; Le Roy Ladurie 1983 ; Lamb 1984 ; Alexandre 1987). L’ampleur de certains phénomènes sédimentaires montre que les relations de l’homme au sol demandent à être mieux connues. On se heurte pourtant pour ces périodes récentes à l’imprécision de la datation des dépôts.
142Au bilan de cette période, les phénomènes d’alluvionnement et d’érosion supplantent largement ceux de pédogenèses liés à une plus grande stabilité. L’instabilité paysagère et climatique pourrait être subdivisée en deux sous-périodes. La première, comprise entre la fin du xiie et la fin du xive s., serait plutôt caractérisée par des phénomènes de troncature (passage de flux érosifs réduits dans le temps et de forte intensité ?) et des dépôts peu épais, plus ou moins pédogénéisés. La seconde, à partir du xvie-xviie s., se poursuit jusqu’à la fin du xixe s. et se caractérise par des dépôts sédimentaires épais (de 0,50 à 1,50 m), clairs, grossiers et peu pédogénéisés –accrétion plus continue, ou plus rapide ? La plus ancienne reste à mieux dater, mais on a signalé les problèmes inhérents à la datation précise de phénomènes de troncature. Elle se développe à partir de la fin du xiie s. ou juste après. Elle pourrait être, en partie, responsable de la non-pérennité de l’habitat des xie-xiie s. Elle persiste jusque dans les xiiie et xive s. L’érosion du paléosol du haut Moyen Âge, ou son recouvrement sous plusieurs décimètres de sédiments nouveaux, conduit à une perte de qualité agrologique de la surface du sol.
143Certaines phases sont fortement destructrices à l’égard de l’environnement humain (terroir, agrosystème). Elles ont pu perturber notablement le fragile équilibre économique des sociétés paysannes de cette période. L’accroissement du peuplement à partir du xie s., qui se traduit par une occupation de plus en plus dense du milieu, des déforestations et des mises en culture, participe à l’exacerbation de ces phénomènes géomorphologiques. L’augmentation de la taille des surfaces cultivées (la campagne ou « l’espace agricole fini » du xiiie s. correspond à peu près à l’espace agricole actuel : Duby, Wallon 1975) peut entraîner également une plus grande fragilité des géosystèmes*, même si l’agriculture demeure encore extensive.
144Ces épisodes morphosédimentaires* récents restent cependant très mal datés, souvent par manque d’attention ou d’intérêt de la part des paléoenvironnementalistes ! et les impressionnantes signatures sédimentaires que l’on observe peuvent ne représenter que des moments très courts dans cette histoire. Cependant, il faut noter que de par l’importance des phénomènes morphosédimentaires* observés, sans commune mesure avec ceux qui précèdent dans l’histoire des sociétés, y compris ceux déjà imposants du Haut-Empire romain ! il paraît évident qu’une rupture s’opère dans la gestion des terroirs et dans la réponse des environnements physiques à la charnière Moyen Âge classique – bas Moyen Âge (xiie-xiiie s.). Il conviendra à l’avenir d’en préciser les processus et les rythmes véritables, ceux qui intéressent notre rapport dialectique aux historiens, en portant un effort et une attention plus soutenus sur ces formations récentes par une approche pluridisciplinaire encore mieux intégrée. Comme le soulignent Duby et Wallon (1975), la guerre de Cent Ans, les épidémies de peste noire et les oscillations « humides » du climat sont à l’origine d’un changement de système agraire, sans doute lié aux modifications du système technique opéré au cours du xiiie s. Il paraît avoir modifié les rapports établis entre les sociétés paysannes et les milieux qu’elles exploitaient. On peut par exemple observer en moyenne vallée du Rhône qu’une période de calme morphodynamique et d’abandon « sensible » des terres aux xive-xve s. pourrait entraîner un encaissement des cours fluviaux ; cette proposition reste à moduler, les arguments demeurant encore peu nombreux.
145Les études géo-archéologiques fines et systématiques menées en moyenne vallée du Rhône nous révèlent des cycles et des ruptures dans la gestion des terroirs et dans la dynamique des géosystèmes* médiévaux et modernes, qu’il semble possible de rapprocher des témoignages écrits. Il faut cependant éviter les écueils qui consistent à rechercher à tout prix dans les signatures environnementales leur équivalent textuel. La poursuite de constructions paléogéographiques et paléoclimatiques, menées de façon indépendante des recherches archéologiques et historiques, dans des milieux sédimentaires terrestres variés à haute résolution chronologique et la recherche de marqueurs chronoculturels fiables devraient être les axes à privilégier dans les années à venir pour affiner notre perception de l’évolution paléoenvironnementale des sept ou huit derniers siècles.
14.6.4 Sur la démarche suivie
146L’aspect systématique de l’enregistrement géoarchéologique, sur et en dehors des sites d’habitat, dans le cas de grands travaux comme ceux du TGV-Méditerranée a permis l’accumulation d’un ensemble de données cohérentes qui, corrélées entre elles, permettent de dresser un cadre chronostratigraphique de référence pour la moyenne vallée du Rhône. Le nombre de séquences sédimentaires étudiées et les corrélations obtenues écartent des signatures trop événementielles, résultant d’un accident météorologique –gros orage par exemple. Il est clair que des problèmes de datation précise des phénomènes observés subsistent encore, mais une part du handicap de la datation des formations sédimentaires récentes en dehors de contexte archéologique, à un pas de temps court, est réduit par la multiplicité des observations et des corrélations effectuées. Les résultats seront d’autant plus précis et efficaces que des programmes de recherche pluridisciplinaires antérieurs, comme cela a été le cas ici, auront « préparé le terrain » et pourront être poursuivis par la suite. Le contexte des grands travaux ne permet par contre pas d’affiner suffisamment la notion de terroirs, de système agraire. L’image du paysage restituée apparaît globale, la spatialisation des résultats est à la fois restreinte localement –par l’étroitesse du tracé du TGV– mais aussi généralisable au niveau régional par la juxtaposition d’observations réalisées dans différentes unités paysagères. Un engagement fort sur le terrain, fourni par des spécialistes, avec traitement de l’échantillonnage et analyses, est susceptible de mieux documenter et faire avancer ces questions. Ce type de démarche est particulièrement bien illustré dans le cadre du programme « fossés et voiries » (Berger, Jung 1999).
147Les principales évolutions du paysage et du climat nous paraissent bien perçues dans les enregistrements pédosédimentaires*. La variabilité des dynamiques sédimentaires démontre incontestablement que le cadre physique des sociétés humaines peut se modifier rapidement au cours des temps historiques. L’ampleur de ces modifications est telle qu’il est bien difficile de réfuter l’existence d’interactions entre l’homme et le milieu. L’étude des paléoclimats à plus grande échelle, d’une part, et celle des sociétés humaines, d’autre part, permettront peu à peu de mieux préciser l’origine anthropique ou climatique des phénomènes observés. Le moteur essentiel des transformations aboutissant aux sept grandes phases décrites ici apparaît être d’abord le climat, sans sous-estimer le rôle amplificateur des sociétés agropastorales.
148La géo-archéologie pointe un certain nombre de moments, importants dans l’histoire, reflets d’équilibres et de déséquilibres du milieu physique. Mais le développement des prairies ne signale pas forcément une économie pastorale, ni une amélioration climatique, l’optimum de la production agricole. L’érosion n’est pas active sur les versants si ceux-ci sont boisés, et s’ils ne le sont pas, nous n’en aurons pas de signatures si le régime climatique par l’intermédiaire de la pluviométrie n’est pas capable de détacher, de transporter puis de déposer les éléments qui constitueront les formations sédimentaires. La géo-archéologie est donc loin d’apporter toutes les réponses, qui sont tout autant à rechercher au niveau des sociétés humaines –culture matérielle, structures immobilières, textes, etc. Néanmoins, elle apporte un autre regard sur le déroulement de l’histoire dont l’étude de ces sociétés doit également s’éclairer. L’étude des archives sédimentaires historiques en est à ses débuts et n’a pas encore apporté à l’histoire du monde médiéval tout son potentiel, qui reste considérable et trop souvent délaissé.
1492000
Lexique
150Certaines des notices qui suivent sont extraites de LOZET (J.) et MATHIEU (C.). — Dictionnaire de science du sol. Paris : Lavoisier Tec et doc, 1997. VIII-488 p. 3e ed. revue et augmentée. Elles sont signalées par les inititales DSS.
151Adsorbant (complexe) adj. – Dans le sol, ensemble des forces capables de retenir certains éléments. Il est représenté par la surface active des constituants organiques et minéraux qui jouent un rôle dans l’échange de base. Les deux principaux constituants sont les minéraux argileux et l’humus.
152Agrégat n. m. – Assemblage cohérent et défini de particules du sol, unité fondamentale d’organisation en micromorphologie, unité d’organisation en pédologie.
153Altération n. f. – Décomposition des éléments constitutifs d’un dépôt sous l’action de la percolation des eaux (dissolution, hydrolyse), du climat (température) et des organismes du sol (racines, lombricidés, bactéries, champignons, etc.).
154Argilification n. f. – Enrichissement d’un horizon pédologique en particules argileuses sous l’action de lessivages verticaux ou latéraux.
155Battance – voir Croûte de battance.
156Bioturbation n. f. – Ensemble de perturbations (galeries, déplacement, mélange de sédiments, etc.) résultant de l’activité des organismes vivants (plantes et animaux).
157Brunification n. f. – Processus pédogénétique de type climatique caractéristique des régions à climat atlantique tempéré ou semi-continental. Il produit des humus de type mull, et un horizon (B) ou Bt très pauvre en matière organique et coloré en brun par les oxydes de fer.
158Carbonatation (n. f.) secondaire – Concentration continue meuble ou discontinue de carbonate de calcium dans un sol, sous la forme de revêtements, nodules ou pseudomycéliums* par l’effet de processus physico-chimiques ou biochimiques.
159Colluvion n. f. – Matériau détritique n’ayant généralement subi qu’un transport limité par ruissellement diffus puis déposé le long des pentes ou au pied de celles-ci (DSS).
160Croûte (n. f.) de battance – Croûte millimétrique microlitée formée, à la surface des sols dénudés, par l’impact des gouttes de pluie associé à un ruissellement diffus. Elle s’observe généralement sur des sols cultivés dont la structure est dégradée.
161Évapotranspiration n.f. – Évaporation de l’eau contenue dans les végétaux. Le processus est lié à une augmentation de la température et du vent, qui provoque des remontées d’eau et de solutions le long du système racinaire.
162Géosystème n. m. – Unité géographique constitutive d’un paysage, à petite ou moyenne échelle, qui permet de saisir la structure et l’organisation du milieu physique, ainsi que ses relations fonctionnelles avec les autres échelles spatiales.
163Gley n. m. – Sol formé sur des matériaux non consolidés, présentant des caractères d’hydromorphie* à moins de 50 cm de profondeur. L’horizon à gley se forme au niveau des fluctuations de la nappe aquifère. Ces fluctuations créent dans le sol des conditions alternativement aérobies et anaérobies. Le fer et le manganèse précipitent à ce niveau sous forme ferrique et manganique et se signalent par la présence de taches de couleur rouille ou brun-noirâtre. Dans la partie du profil continuellement sous eau, le fer reste à l’état ferreux (réduit) et se manifeste par une couleur vert bleu.
164Granostriation n. f. – Orientation de plages argileuses dans la matrice du sol autour des grains de sable et de la porosité, par les effets combinés de phases d’humectation-dessiccation et de pressions mécaniques exercées par la microfaune du sol et les racines.
165Hydromorphie n. f. – Modification due à l’insuffisance ou au défaut de drainage du sol. L’engorgement d’un profil favorise le développement d’une microflore anaérobie qui solubilise les éléments minéraux par acidolyse et réduction du fer et du manganèse. Lorsque l’hydromorphie est temporaire, le fer et le manganèse sont réduits partiellement et subissent le phénomène d’oxydo-réduction aboutissant à la formation de taches de rouille. Si l’hydromorphie est permanente, le fer réduit peut migrer ; il est alors responsable de la coloration bleu verdâtre de la partie du profil en anaérobiose complète (DSS).
166Hyporevêtement n. m. – Revêtement imprégnant la masse basale du sédiment en bordure de vides, de grains ou d’agrégats immédiatement contigus à la surface du sol (il peut être calcique, ferrugineux, etc.).
167Isohumique (sol) adj. – Sol dans lequel une partie de la matière organique est minéralisée par l’activité microbiologique, le reste s’accumule (stabilisation physico-chimique et maturation* climatique) en donnant une couleur noire (mélanisation). Pédogenèse associée aux climats continentaux et aux couverts steppiques. Maturation n. f. – Processus d’évolution climatique lente de certains composés humiques stabilisés par voie physico-chimique qui intervient lorsqu’ils sont soumis à l’influence de phases de sécheresse (DSS). Le degré de maturation d’un sol est son état plus ou moins évolué (ou « mûr ») selon l’état et les relations des éléments qui le constituent (minéraux, organiques).
168Micritique adj. – Constitué de minéraux de petite taille (< 20 pm). Revêtement micritique : dépôt sur les parois des vides du sol de minéraux calcitiques d’une taille inférieure à 20 µm.).
169Micritisation n. f. – Désagrégation et fonte modérée des grains calcaires dans un sédiment en voie d’altération dont la granulométrie évolue vers le plus fin (augmentation du nombre de grains de taille micritique* [< 20 pm] très biréfringents en lumière polarisée).
170Morphosédimentaire (stabilité, instabilité) adj. – Qui concerne la morphologie et la nature des sédiments. L’instabilité morphosédimentaire se traduit par le dépôt ou de l’ablation de sédiments, ce qui modifie l’aspect du paysage.
171Organo-minéral (complexe) adj. – Qualifie un horizon constitué d’un mélange de matières organiques et minérales.
172Pédosédimentaire adj. – Qui concerne l’accumulation des sédiments et la pédogenèse.
173Pédoclimatique adj. – Signatures enregistrées dans les sols et résultant de l’action de facteurs climatiques généraux.
174Phytolithe n. m. – Corpuscule inorganique d’origine biologique formé de silice (opale hydratée) ou de calcite, de taille micrométrique. Il est issu de la pseudomorphose de cellules végétales par les acides siliciques qu’absorbent les plantes avec l’eau du sol. L’abondance et la morphologie des phytolithes dépendent de la plante et de la partie de la plante dans lesquelles on les recueille.
175Plasma n. m. – Constituants d’un sol qui ont été remués, réorganisés et/ou concentrés par les processus de pédogenèse. Le plasma inclut tous les matériaux, minéraux ou organiques, de taille colloïdale et relativement solubles, hormis les grains du squelette (c’est-à-dire les grains grossiers, sableux ou limoneux).
176Porostriation n. f. – voir granostriation.
177Prismatique (structuration, microstructure) adj. – Structure fragmentaire caractérisée par des agrégats allongés verticalement, à faces planes et arêtes anguleuses. La section des agrégats est polygonale (DSS).
178Pseudogley n. m. – Qui ressemble à un gley* mais où la réduction du fer est moins générale. Le pseudogley est le plus souvent lié à la présence d’une nappe phréatique temporaire superficielle provenant d’une insuffisance d’évacution des eaux pluviales en saison humide (DSS).
179Pseudomycélium n. m. – Précipitation de calcaire en traînée blanche pulvérulente dans les fissures du sol, les fentes de retrait, autour des agrégats et dans les vides d’origine radiculaire.
180Redoxisol (n. m.) fluvique – Sol de type pseudogley* développé en contexte fluvial.
181Revêtement (n. m.) micritique – Dépôt de minéraux calcitiques de petite taille (< 20 pm) couvrant une surface, principalement celle comprise dans la porosité du sol.
182Ripisylve n. f. – Forêt riveraine des cours d’eau, peuplée par des espèces tolérant un haut niveau de la nappe aquifère (peuplier, saule, frêne, etc.).
183Stabilité (n. f.) structurale – Résistance de la structure du sol à l’action dégradante des facteurs extérieurs, celle de l’eau en particulier (DSS).
184Structure n. f. – Arrangement spatial des particules minérales et leur éventuelle liaison par des matières organiques, des hydroxydes de fer ou les deux. L’assemblage de ces particules solides forme des unités structurales appelées « agrégats élémentaires » (DSS).
185Style en tresse – voir tressé.
186Texture n. f. – En sédimentologie et en pédologie, appréciation de la taille des particules minérales, d’un volume et de l’arrangement des constituants. Texture sableuse, argilo-limoneuse…
187Tressé adj. – Se dit d’un cours d’eau à chenaux multiples enserrant des bancs alluviaux mobiles formés de sables ou de galets.
188Vertique adj. – Qualifie le processus de formation du vertisol*.
189Vertisol n. m. – Sol à complexe adsorbant* saturé, essentiellement caractérisé par l’abondance d’argiles gonflantes (smectites) en liaison intime avec une quantité d’humus très polymérisé (DSS). Ces sols sont de couleur foncée (brun-noir à noir) et se retrouvent souvent dans des stations particulières (dépressions mal drainées) ou sous des climats marqués par des alternances saisonnières (dessiccation, humidification). Ils présentent de larges fentes de dessiccation et une structure* prismatique grossière.
190Vertisolisation n. m – Processus de formation d’un vertisol*.
Notes de bas de page
1 – Les astérisques renvoient au lexique.
2 – Nous remercions, pour l’intérêt porté à ces recherches sur le terrain : la coordination Afan de l’opération du TGV-Méditerranée (ministère de la Culture, Afan, SNCF), pour la moyenne vallée du Rhône : T. Odiot, V. Bel ; ainsi que les responsables d’opération : A. Alliman, G. Alphonso, V. Bastard, E. Ferber, M. Goy, E. Henry, M. Linossier, J.-M. Lurol, S. Martin, K. Mokaddem, A.F. Nohé, I. Rémy, P. Réthoré, J.-M. Treffort, S. Rimbault, V. Savino, N. Valour, C. Vermeulen, les collègues environnementalistes (D. Peyric, I. Grenut, F. Magnin, S. Thiébault, C. Delhon), les photo-interprètes : G. Chouquer, C. Jung ; les services régionaux de l’Archéologie et la Cira interrégionale, et enfin le service publication de l’Afan, G. Bellan, ainsi que O. Maufras pour la coordination du volume.
3 – Le calage chronologique des formations stratifiées étudiées a été favorisé par un programme de datations conséquent sur les sites d’habitats et hors site réalisé dans le cadre de cette opération. Les dates nouvelles sont données calibrées, après Jésus-Christ, avec un intervalle de confiance de 95 % (2 sigmas), suivies en référence de l’âge conventionnel en années before présent (BP) accompagné du numéro de laboratoire où a été effectuée la mesure. Elles sont effectuées dans la grande majorité des cas sur du matériel charbonneux, organisé en lentilles, en lits ou sous forme de charbons isolés (recours à l’AMS dans ce cas précis). Les datations chronoculturelles reposent : –soit sur l’existence de mobilier archéologique en couche ou en structure (signifiée sur les fig. 98 et 108 par une barre : période d’occupation, selon les datations proposées par les archéologues dans les publications ou rapports notés en bibliographie) ;– soit sur du mobilier plus ou moins isolé (symbole des petits ronds avec flèche sur les fig. 98 et 108), dont la datation est moins fiable : risque de dépôt secondaire par alluvionnement ou reprise dans des épandages ; difficulté de la datation sur deux ou trois éléments ou une dizaine tout au plus. La couche qui contient ce matériel n’a en tout cas pas pu se déposer avant cette date. Néanmoins, sur une séquence où existe déjà un repère chronologique fiable, ainsi que dans le jeu des corrélations pédosédimentaires et archéologiques de séquence à séquence, ces repères chronologiques de faible résolution temporelle sont utilisés lorsque l’ensemble fournit une certaine cohérence. Les datations par antéro-postériorité stratigraphique reposent sur des faciès pédosédimentaires particulièrement diagnostiques tels le paléosol brunifié médiéval ou les dépôts alluvio-colluviaux épais et jaunâtres d’âge moderne à contemporain.
4 – Les lames minces et les blocs indurés par des résines synthétiques (formats 7 x 14 cm et 6 x 9 cm) ont été réalisés par les laboratoires de Gand (Belgique dir. G. Stoops) et de l’INA-PG à Paris-Grignon (dir. N. Fedoroff).
5 – Analyses réalisées selon des protocoles standard par des étudiants de maîtrise, DEA ou DESS au cours de l’année 1996 (B. Vannière, A. Lebreton et P. Reynier). Elles concernent des analyses minéralogiques de la fraction argileuse par diffractométrie aux rayons X, des analyses chimiques (% de matières organiques et de CaC03) et granulométriques. Des analyses, sédimentologiques (université de Provence), malacologiques (D. Peyric, I. Grenut, F. Magnin), palynologiques (J. Argant), phytolithiques (C. Delhon) sont encore en cours sur la période considérée. Les résultats seront présentés dans un volume en préparation : Histoire des paysages et du climat de la fin des temps glaciaires à nos jours en moyenne vallée du Rhône d’après les données des travaux archéologiques du TGV-Méditerranée, sous la direction de J.-F. Berger et J.‑L. Brochier. Nous remercions bien sincèrement J.-P. Bravard, J. Burnouf, R. Langhor, O. Maufras, E. Verdel, pour la lecture et les corrections apportées au manuscrit.
Auteurs
Géo-archéologue, chargé de recherche au CNRS – Centre d’études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (UMR 6130)
Géomorphologue, codirecteur du Centre d’archéologie préhistorique de Valence, chercheur associé à l’UMR 5594 du CNRS
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