Préfaces
p. 13-15
Texte intégral
1Durant les années quatre-vingts et au début de la décennie suivante, les territoires des communes de Mondeville, de Grentheville, de Cormelles-Le-Royal et de Giberville ont fait l’objet de vastes projets d’aménagement. Au fort dynamisme économique des années 1970 répondait l’urgence de se doter de nouveaux équipements et de pourvoir à l’implantation d’entreprises. Parallèlement à l’aménagement de la zone industrielle de Mondeville sud se sont ainsi créés le vaste complexe de L’Etoile et la zone d’activité du Marché d’intérêt régional (devenue par la suite zone d’activités est).
2Ces 198 hectares avaient aussi une histoire, celle d’hommes et de femmes qui très tôt les ont occupés, cultivés, habités et aménagés. Dès avant la Première Guerre mondiale s’était révélée l’existence du village mérovingien et carolingien de la Delle Saint-Martin, et depuis la fin des années 1970 un programme de fouille y était conduit sous l’égide de l’université de Caen avec le professeur Cl. Lorren. Tout près, étaient mises au jour les maisons du village médiéval déserté de Saint-Martin de Trainecourt à Grentheville. Il était donc naturel que les archéologues soient associés aux nouveaux projets, s’adaptant toutefois à leurs contraintes, à commencer par un calendrier serré imposant de nouvelles méthodes de fouille et des choix.
3Quelques années après la fin des travaux, les résultats acquis sont considérables et la collaboration menée entre archéologues et aménageurs, je crois, exemplaire. Il aura fallu pour cela trouver un juste accord pour assurer la sauvegarde et l’étude du patrimoine enfoui, tout en permettant l’aboutissement d’un projet économique majeur pour les communautés. Chacun a fourni des efforts et les résultats sont là pour nous montrer qu’ils ne furent pas vains.
4Ce volume, réalisé par les équipes de l’institut national de recherches archéologiques préventives et le service régional de l’Archéologie, s’attache aux périodes les plus anciennes, le Néolithique et l’âge du Bronze, celles qui ont coïncidé avec l’émergence des premières sociétés agricoles. De ces premiers temps de la paysannerie et de la métallurgie, l’archéologie nous renvoie ici l’image d’un paysage où les installations humaines n’étaient pas encore stabilisées, les techniques agricoles ne permettant pas au paysan de s’attacher de manière continue à son champ. Les modes d’occupation de l’espace ont pourtant démontré une complexité et une hiérarchisation grandissante, qui verra l’émergence de sites de production, de sites cultuels ou fortifiés. Cette évolution aboutira à l’extraordinaire dynamisme des campagnes à l’âge du Fer et au début de l’Antiquité qui ne cesse d’étonner aujourd’hui, à l’analyse des acquis les plus récents de la recherche archéologique. La parution de ce volume ne constitue d’ailleurs que la première étape d’un long travail encore en cours, et qui permettra la publication des fouilles portant sur les périodes postérieures du site, de l’âge du Fer au Moyen Âge.
5Ce travail n’aurait pas été possible sans l’intérêt manifesté par la chambre de Commerce et d’industrie de Caen, la société BEG-Ingénierie et la ville de Mondeville, et les efforts financiers qu’ils ont consentis pour soutenir cette opération. Qu’ils en soient remerciés.
6Comme dans beaucoup de régions françaises, l’archéologie préventive en Basse-Normandie s’est énormément développée durant ces quinze dernières années. Cette politique de suivi régulier de toutes les grandes opérations porte peu à peu ses fruits. Les dossiers d’aménagement dans la plaine de Caen ont été traités régulièrement par le service régional de l’Archéologie à la direction régionale des Affaires culturelles (sous la coordination d’A. Chancerel). On peut même dire que ce secteur, situé aux abords sud du chef-lieu du département du Calvados, a concentré les activités principales de sauvetage de cette région. Les fouilles ont été conduites par des équipes du service régional de l’Archéologie, de l’université de Caen et de l’institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), avec le souci de laisser si possible les mêmes spécialistes pour travailler sur les grandes périodes rencontrées. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que les fouilles débouchent assez rapidement sur des formes diverses de publications.
7Dans le cas présent, les recherches permettent de raisonner sur des surfaces de plusieurs centaines d’hectares et d’aborder une véritable archéologie du territoire, depuis la mise en place des premières communautés de paysans jusqu’aux métallurgistes de la fin de l’âge du Bronze et du début du premier âge du Fer, soit sur une tranche d’âge de près de 5 000 ans. Nous voyons des habitants se fixer, évoluer lentement et modeler l’occupation de la plaine, sans toutefois bouleverser profondément le paysage. Nous sommes en permanence confrontés aux relations que la Normandie entretenait surtout avec l’Armorique, le Bassin parisien et les îles Britanniques. Cette zone de contact permet ainsi de comprendre la diffusion et le développement des cultures et faciès régionaux.
8C’est probablement à cause de la présence de terres très fertiles que les premières communautés paysannes se sont établies dans cette région. Ainsi dès le Néolithique ancien, un bâtiment « danubien » s’implante à Mondeville. Le mobilier associé à cette construction date l’occupation du dernier quart du VIe millénaire avant notre ère, à savoir de la culture de Villeneuve-Saint-Germain, faciès Augy-Sainte-Pallaye (ASP). On pensait jusqu’à présent que la néolithisation de l’Ouest de la France commençait à cette période, mais la découverte récente de plusieurs bâtiments attribués à l’étape finale du Rubané récent du Bassin parisien (RRBP) a été faite sur le même plateau, à 4,5 km de là, à Colombelles. On recule ainsi de près de deux siècles l’arrivée des premiers agriculteurs-éleveurs en Basse-Normandie. Mais la réalité est certainement plus complexe si l’on en juge par la présence en Basse-Normandie des célèbres vases de La Hoguette, céramique au style profondément différent, mais probablement aussi ancien.
9Une autre intervention a permis de mettre au jour un habitat daté du Néolithique moyen II, avec des composantes armoricaines bien marquées, soit du troisième tiers du Ve millénaire avant notre ère. Cet habitat, le premier de cette époque en Basse-Normandie, fait enfin le pendant avec les nombreux cairns et dolmens à couloir de même chronologie fouillés depuis une vingtaine d’années. Le Néolithique récent a aussi été rencontré sous une forme inattendue : une fosse énigmatique contenant des dépôts animaux et humains. L’extrême fin du Néolithique, ou le Chalcolithique, est attestée à l’emplacement du futur Marché d’intérêt régional par la découverte d’un grand enclos vaguement trapézoïdal. Par sa rareté, ce type de structure n’a pas manqué d’interpeller les archéologues. L’appartenance à la phase ancienne du Campani forme, datée du milieu du IIIe millénaire avant J.-C., est établie. Le statut d’habitat rural (édifice agricole ?) est possible en raison de la présence de poteries, de silex taillés et de reste de faune.
10À Mondeville, une autre enceinte de forme curvilinéaire et deux enclos jumelés sont datés de l’âge du Bronze moyen et du début du Bronze final. Les gisements de cette période sont extrêmement rares dans le Nord-Ouest de la France. Les fouilles préventives commencent toutefois à nous apporter des éléments de référence sur des sites de l’âge du Bronze, comme à Tatihou (Manche), Roeux et Étaples (Pas-de-Calais). Malgré l’absence de véritables sites de comparaison, des rapprochements sont tentants avec les îles Britanniques (culture de Deverel Rimbury). À un autre niveau d’analyse, ces sites nous interpellent sur la question de la fonction, du statut et de la contemporanéité de ces ensembles. S’agit-il de fermes importantes, d’habitats aristocratiques, de camps ou autres ? L’idée qui vient tout de suite à l’esprit est celle du modèle décrit pour les fermes indigènes gauloises. Nous aurions dans ce cas à faire à un premier exemple de domaine agricole, mais soyons encore prudents.
11Avec maintenant un peu de recul on peut commencer à mesurer le changement d’échelle dans les études protohistoriques. Jusqu’à présent cette région était surtout connue par ses monuments funéraires du Néolithique et ses nombreux dépôts de bronziers. Le passage à une archéologie extensive et raisonnée permet d’aborder une archéologie du territoire. On peut ainsi s’intéresser à l’ensemble de l’évolution dynamique des sociétés et non plus à des phénomènes particuliers. Le travail qui nous est présenté ici en est le reflet, c’est pourquoi il mérite d’être félicité et encouragé. Pour l’âge du Bronze, ce travail de recherche a tout naturellement trouvé des prolongements dans un PCR coordonné par Cyril Marcigny sur « les habitats et l’occupation du territoire à l’âge du Bronze et au début du premier âge du Fer en Basse-Normandie » qui a profondément bouleversé les connaissances régionales et interrégionales : cadre typo-chronologique pour le mobilier céramique et lithique, analyse ethnologique des sites et caractérisation d’un complexe techno-culturel commun occupant les rivages de la Manche et la mer du Nord.
12Les recherches entreprises dans la plaine de Caen apportent indéniablement de nombreuses indications pour l’étude du Néolithique régional et de l’âge du Bronze. Il faut maintenant souhaiter que d’autres publications paraissent dans les meilleurs délais pour compléter ce panorama.
Auteurs
Directeur régional des Affaires culturelles de Basse-Normandie
Inspecteur général de l’Archéologie
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