Design et outils sémantiques : quelles relations ?
Note de l’éditeur
Atelier animé le 18 octobre 2013 par Alexis Chazard, professeur dans l’option design graphique à l’École supérieure d’art et design Grenoble-Valence.
Texte intégral
Définir, identifier
1Il est proposé d’entendre « Web sémantique » comme corpus de standards, d’outils, de langages, qui ont pour but de « mettre en relation ». Les outils sémantiques comprennent d’autres éléments au-delà du Web sémantique. Une définition des outils sémantiques peut être : « comment faire comprendre un texte en langage humain à des machines ? » Les influences du design sur les outils sémantiques : que signifie le passage de « Web sémantique » à « outils sémantiques » ?
2Gilles Rouffineau1 évoque les propositions de Jean-Gabriel Ganascia2 sur des cartographies de contenus. Celui-ci travaille sur la forme « table des matières » (LIP6, laboratoire de sciences cognitives, université Pierre-et-Marie-Curie, ouvrage à paraître). Il faut noter que la notion de plan de site a presque disparu. On constate actuellement, pour les sites Internet, une utilisation croissante de pieds de page dans une forme proche des tables des matières traditionnelles. La table des matières est déjà une manière de visualiser les données : que devient-elle à l’heure des outils sémantiques ?
3L’attention est portée sur le procédé de listes ordonnées qui génèrent des cartes, automatisées sur un modèle sémantique, par des dispositifs d’analyse de contenu. C’est ce qui est à l’œuvre au sein du projet en cours nommé « RECIT » (REprésentation Cartographique et Insulaire de Textes3). Il s’agit ici de cartographie dynamique présentant des îles, des tâches centrées à partir de mots ou de nuages de mots.
Cartographie imaginaire de « 2001, L’Odyssée de l’esprit »

Jean-Gabriel Ganascia
Interface d’écriture ou interface de lecture ?
Écriture
4Yann Alary présente un projet de master en design graphique Réalisé en 2013 à l’ESAD (école d’art et de design Grenoble-Valence), portant sur une typologie des différents documents en fonction des choix de formats dans l’archivage du contenu issu du Web4. Le corpus des documents archivés est en ligne. Des listes ou des tags permettent d’accéder à ces documents et d’articuler les données entre elles, en utilisant par exemple la TEI (Text Encoding Initiative).
5Par ailleurs, Yann Alary imagine les liens qu’il peut y avoir entre l’édition imprimée et le Web5.
Lecture
6Côté lecture, il faut évoquer le travail de Moritz Stefaner, qui développe une interface élégante6 :
This radial browser was designed to display complex concept network structures in a snappy and intuitive manner. It can be used to visualize conceptual structures, social networks, or anything else that can be expressed in nodes and links.
7Un des aspects pertinents est de produire des outils qui se reconfigurent en fonction des besoins des utilisateurs. Mais, selon certains, le principe de graphe présenté habituellement dans la représentation du Web sémantique peut ne pas être pertinent, spécialement en sciences humaines et sociales7.
A close up of ancient and medieval philosophy ending at Descartes and Leibniz

Drunks&Lampposts
8L’un des questionnements autour du lien entre design et contenu intelligent est : comment aller plus loin que la description, aller au-delà des « jolies » interfaces ?
Développer des modèles sémantiques plus expressifs
9L’insertion des outils sémantiques dans les environnements numériques quotidiens du chercheur met en tension la modélisation des connaissances qui est effectuée par le biais de ces outils et la complexité (en termes de finesse) des objets manipulés. Certains souhaitent l’apparition d’un « HTML5 du Web sémantique », qui serait plus ouvert et plus tolérant, comme l’est le HTML5 par rapport à certains autres langages de programmation. Le Web sémantique devrait correspondre à une « folksonomie » (indexation personnelle) pour tous.
10Il y a un vrai risque « d’aplatissement » des informations en sciences humaines et sociales. Par exemple les « infobox » sur Wikipédia ou DBpedia (http://dbpedia.org/About) peuvent apparaître comme très réductrices (même si, dans certains contextes, elles ont un intérêt réel). Or, depuis 1994 il existe le modèle CIDOC CRM (Conceptual Reference Model/Modèle conceptuel de référence8) qui est bien plus intéressant. Ce modèle est plus structuré tout en laissant davantage de place à l’incertitude grâce à la diversité des manières de décrire des connaissances.
11L’enjeu de la recherche actuelle serait de l’ordre de la synthèse : comment faire se retrouver taxonomies et « folksonomies » ? C’est-à-dire, comment décrire un champ de connaissance de manière structurée tout en prenant en compte les modes d’organisation spontanés de chacun. Il s’agit de développer des modèles plus « expressifs » (qui permettent de traiter l’incertitude, les différences d’interprétation, etc.). Réfléchir sur des outils d’éditorialisation sémantique est un défi actuellement pour le design : voir par exemple les outils Texico ou Pundit.
12Pundit est un outil d’augmentation sémantique des pages Web9 :
Augment Web pages with semantically structured annotations
That is allowing annotators to include machine readable semantics in their annotations, by linking to the Web of data and by collaboratively building a knowledge graph, connecting and contextualizing (unstructured) Web content.
Présentation de quelques travaux du Medialab
« The whole is always smaller than its parts »: l’interrelation entre outils et théories sociales
13Paul Girard présente l’expérience intitulée « Experiments in Art and Technology » (EAT)10, un exemple de cycle itératif. Il s’agit d’une vraie collaboration entre design, SHS et informatique. Une base de données avec interface graphique lui a été fournie, accompagnée d’une réflexion sur lesdites données (qui considère t-on comme acteur, que considérons-nous comme projet, etc. ?).
La logique « mapping by doing » (ou « mapping in the making »)
14Le schéma est dynamique dans l’appréhension cognitive des informations : le chercheur lit les archives et extrait des données. Il a instantanément un retour graphique qui lui permet d’interroger ces dernières sur de nouvelles bases. Le chercheur comprend son sujet de recherche en le questionnant, tandis qu’il le structure en le visualisant sous forme de datascape (paysage de données).
15Ce cycle itératif entre consultation et visualisation, cette triangulation chercheur-designer-ingénieur est la marque de la collaboration entre sciences sociales, ingénierie et design.
16Le designer et le chercheur doivent se parler pour savoir quelles formes visuelles font sens. Dans les dispositifs développés par le Medialab, les données structurées restent maîtrisées par le chercheur dans le back-office.
17Le projet EAT utilise des dictionnaires multitagués ouverts (et non pas ontologiques). S’il y a définition d’une ontologie, elle doit être nourrie par ce qu’utilise le chercheur, être la moins générique possible.
18La représentation réalisée avec Gephi est un résultat, mais elle ne correspond pas au début de la recherche. La question qui se pose est la suivante : auraient-ils pu se passer de la représentation via Gephi ? La réponse qui se dégage tend à dire que la représentation est un output possible qui permet de relancer les questions de recherche. La phase la plus importante de ce travail est la structuration des données.
19Exemple de collaboration design/structuration de données d’une archive d’histoire de l’art : le datascape
20Une présentation du projet EAT est disponible sur le site du MediaLab11,12 :
The project, in collaboration with E.A.T. (represented by Julie Martin), is based on the organization’s numerous activities, developed in art and non-art contexts, including realized and unrealized works and projects from the 1960s to the present day, through a “datascape”. In the first place, the aim is to describe as extensively as possible the stories of works of art or projects, from their design and development stages to their different exhibitions and receptions. One of the main challenges is to produce a digital archive displaying the process of collaboration, not merely catalogue E.A.T.’s productions. Secondly, the archive will map these works and projects as networks of people, organizations, places and technologies, so as to better understand E.A.T.’s identity using the theories of Science and Technology Studies.
21Toujours dans le cadre d’EAT, une autre articulation des travaux fournis par les chercheurs avec les designers est visible à travers l’étude de l’élaboration d’une installation de Robert Rauschenberg, intitulé Oracle Work13. Dans cet exemple, le chercheur en histoire de l’art travaille sur la relation entre artistes et ingénieurs. La timeline déployée détaille les phases de conception de l’œuvre de manière graphique. Au-dessous sont décrits les différents temps qui constituent le graphe : en cliquant sur ces entrées, on accède aux sources littéraires et textuelles (à droite de la page Web).
22Dans l’optique d’explorer une réflexion plus théorique, élaborée sur l’articulation et le lien entre datascape et théorie sociale, il paraît pertinent de retenir cette référence : « The Whole is smaller than its parts »14.

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Notes de bas de page
1 Rouffuneau G. (dir.), Transmettre l’histoire, Paris/Valence, B42/École supérieure d’art et design Grenoble-Valence, 2013, 231 p.
2 J.-M. Ganascia, éthique et technologie de l’information (PDF), http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/8373/MURS_2005_45_78.pdf?sequence=1 (Consultée le 17/01/2014).
3 Actes de CIFT 2004, RECIT : Représentation cartographique et insulaire des textes, p. 59-70 (PDF), en ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/06/25/35/PDF/sic_00001258.pdf
4 Alary Y., CV, http://yannalary.com/ (Consultée le 17/01/2014).
5 Alary Y., lary! (rubrique DatArchive), http://yan.dn.free.fr/ (Consultée le 17/01/2014).
6 Stefaner M, Relation Browser, http://moritz.stefaner.eu/projects/relation-browser/ (Consultée le 17/01/2014).
7 Drunks&Lampposts, Graphing the history of philosophy, http://drunks-and-lampposts.com/2012/06/13/graphing-the-history-of-philosophy/ (Consultée le 17/01/2014).
8 The CIDOC, Conceptual Reference Model (Home Page), http://www.cidoc-crm.org/ (Consultée le 17/01/2014).
9 Pundit, What is Pundit?, http://www.thepund.it/ (Consultée le 17/01/2014).
10 Leclercq C., et Girard P., 2011, « The Experiments in Art and Technology Digital Archive », Rewire 2011: The fourth International Conference on the Histories of Media Art, Science and Technology, Liverpool, Angleterre.
11 E.A.T. Datascape, An Exploration of the Experiments in Art and Technology Archives, http://jiminy.medialab.sciences-po.fr/eat_datascape/ (Consultée le 17/01/2014).
12 Médialab, The Experiments in Art and Technology (E.A.T.) Datascape, http://www.medialab.sciences-po.fr/fr/projets/e-a-t-datascape/ (Consultée le 17/01/2014).
13 Oracle Work, http://jiminy.medialab.sciences-po.fr/eat_datascape/project/3 (Consultée le 17/01/2014).
14 Latour B. et al., 2012,, « The Whole is Always Smaller Than Its Parts: A Digital Test of Gabriel Tarde’s Monads », British Journal of Sociology, vol. forthcomin. ; prépublication disponible sur http://www.medialab.sciences-po.fr/publications/the-whole-is-always-smaller-than-its-parts-how-digital-navigation-may-modify-social-theory/

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