Avant-propos
p. 31-38
Texte intégral
Présentation
1En plein cœur de Paris, en 1994, une nouvelle campagne de fouilles s’est déroulée au sein du Collège de France, prestigieuse institution d’enseignement et de recherche dont l’histoire est profondément ancrée dans la « cité universitaire » médiévale de Paris, alors plus grande ville d’Europe. Déjà choisie comme capitale par Clovis, cette ville, Lutèce (Lutetia), était issue d’une modeste agglomération gallo-romaine, chef-lieu de cité des Parisii (fig. 1,2, plan I).

FIG. 1
Principaux sites antiques d’Île-de-France (d’apr. Dufaÿ 1993 : fig. 34).

FIG. 2
Plan de Paris avec la localisation de la ville du Haut-Empire.

PLAN I
Plan schématique de Lutèce durant le Haut-Empire.
2Le Collège de France, situé à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la place Marcellin-Berthelot (Paris, Ve) (fig. 3), nécessitait une restructuration d’envergure. La mission interministérielle des Grands Travaux, maître d’ouvrage du projet, prévoyait la réorganisation de structures d’accueil du public, impliquant la réalisation de salles enterrées sous les trois cours principales de l’institution : la cour d’honneur (fig. 4, 5), la cour Letarouilly (fig. 6) et la cour Budé.

FIG. 3
Localisation des fouilles du Collège de France dans le cadastre actuel. Les trois cours sont en noir.

FIG. 4
La cour d’honneur en fin d’opération, vue du nord.

FIG. 5
La cour d’honneur vers la fin de l’opération, vue de l’est.

FIG. 6
La cour Letarouilly au début des travaux, vue du sud.
3Ce projet, s’implantant au cœur de l’agglomération antique et médiévale de la rive gauche de la Seine, sur le versant nord de la montagne Sainte-Geneviève, entraîna une étude archéologique et historique préliminaire en 1993 (fig. 7) (Du Bouëtiez, Navecth 1993) puis des fouilles archéologiques en 1994 dans les deux cours principales (Guyard et al. 1995) et un diagnostic en 1996 dans la cour Budé. Ces opérations furent exécutées à la demande de la direction régionale des Affaires culturelles d’Île-de-France (service régional de l’Archéologie) par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales.

FIG. 7
Implantation des trois sondages effectués en 1993 (d’apr. Du Bouëtiez, Navecth 1993 : pl. I).
Le contexte historique et archéologique
4Après la sortie de la Carte archéologique de la Gaule (Busson 1998), cette publication est la première monographie d’une fouille archéologique concernant la ville antique. Seul un article de synthèse a offert un aperçu des découvertes effectuées au Collège de France (Goudineau, Guyard 1998).
5En dépit d’un récent chantier boulevard Saint-Michel (D. Busson/CVP), d’opérations ponctuelles rue de la Harpe et rue de la Bûcherie dans les années 80 (P. Marquis/CVP) et d’une opération plus importante en 1987 dans l’îlot d’Arras (P.-J. Trombetta/SRA), les fouilles du Collège de France sont les premières investigations d’envergure dans cette partie nord de la ville antique depuis le milieu du siècle.
6Ces quartiers, restructurés à partir du milieu du XIXe s. (la rue des Écoles et le boulevard Saint-Germain furent respectivement créés en 1854 et 1876), avaient fait l’objet d’observations disparates ayant surtout entraîné la découverte des édifices publics majeurs de Lutèce (fig. 8). Ces observations, essentiellement dues à l’archéologue Théodore Vacquer (1824-1899) à partir de 1844, furent très tôt réunies dans la synthèse de Félix-Georges de Pachtère (Pachtère 1912). Les principales opérations de fouilles de ces dix dernières années s’étaient, quant à elles, concentrées sur le flanc méridional de la montagne Sainte-Geneviève, dans des zones préservées des grands travaux du XIXe s. et actuellement fréquemment réaménagées. Malheureusement, ces secteurs coïncident avec les quartiers sud de la ville antique, abandonnés entre le début et la fin du IIIe s. Les travaux de 1994 devaient donc nous renseigner sur les origines du quartier central, point essentiel pour comprendre la genèse de la ville, l’évolution de l’agglomération et sa structuration. Étions-nous dans des zones d’habitat ou dans un lieu public, distinct ou non du complexe thermal (thermes de l’Est, dits du Collège de France) découvert de 1846 à 1938 (fig. 8, 9) ? Qu’en était-il de la mise en place et du développement de cet ensemble distinct des thermes de Cluny ?

FIG. 8
Centre monumental de Lutèce (d’apr. Busson 1998 : Fig. 6). Le cercle indique l’emplacement des fouilles du Collège de France.

FIG. 9
Les thermes du Collège de France (d’apr. Duval 1960 : fig. 76). Cette présentation (nord à gauche) était destinée à renforcer la symétrie proposée par P.-M. Duval. Les trois cours fouillées en 1994-1995, encadrées, pouvaient contenir la palestre.
7Les fouilles ont révélé une occupation continue depuis au moins l’époque augustéenne (phase la, plan II), caractérisée par des creusements antérieurs à la mise en place du plan urbain (à partir de 4 ap. J.-C.). L’urbanisation a nécessité l’extraction de matériaux pour la construction des rues et quelques fosses ont été rattachées à cette séquence (phase 1b, plan III). L’« habitat » qui a succédé (phase 2) a laissé de nombreuses traces durant toute l’époque tibéro-claudienne, sans toutefois révéler un plan cohérent (plans IV et V). Quelques vestiges originaux et spectaculaires, sans rapport avec les occupations antérieures, ont permis de supposer l’existence d’un bâtiment public dont la fonction est restée obscure (phase 3, plan VI). La succession de remblais qui l’a recouvert (phase 4), afin de constituer une plate-forme horizontale, a permis d’attribuer ces travaux à la construction des thermes de l’Est à la fin du Ier s. ap. J.-C., premier édifice thermal de Paris. On a ainsi pu confirmer son extension vers l’ouest sous la forme d’une palestre (plan VII). Diverses traces de réfection ainsi que la découverte d’un atelier métallurgique (phases 5-6) ont pu être corrélées aux traces de réaménagements de l’édifice thermal mises en évidence lors des fouilles antérieures. Tous ces éléments ont conduit à établir une chronologie fine des événements.

PLAN II
Vestiges augustéens précoces (phase 1a).

PLAN III
Fosses d’extraction du début du Ier s. (phase 1b).

PLAN IV
Premier état de l’habitat du Iers. (phase 2a).

PLAN V
Second état de l’habitat du Ier s. (phase 2b).

PLAN VI
Plan des vestiges antérieurs aux thermes de l’Est (phase 3).

PLAN VII
Plan synthétique des thermes de l’Est et des principaux vestiges découverts en 1994 (phases 4-6).
8Les données sur l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge faisaient cruellement défaut pour cette partie centrale de l’agglomération. L’étude du passage de la ville de la paix romaine (Lutèce) à la cité médiévale (Paris) était en effet devenue un enjeu majeur, les sondages ayant révélé l’existence de sédiments communément appelés « terres noires », mal compris, souvent relégués à la fonction de terre à jardin ou remblai. L’énigme de l’occupation du haut Moyen Âge de ce secteur de Paris devait trouver quelques solutions à partir d’une série d’analyses.
9Outre une boucherie du IVe s. au-dessus de la palestre des thermes (phase 7, plan VIII), les fouilles ont révélé des traces d’occupation mérovingienne (phase 8, plan IX). Cette période est surtout connue à Paris par ses édifices religieux et ses nécropoles (plan X). Grâce à l’étude de « terres noires », nous avons ainsi pu mettre en évidence les rares traces d’habitat urbain de cette époque.

PLAN VIII
Vestiges du IVe s. (phase 7).

PLAN IX
Plan général des terres noires et des structures associées (phase 8).

PLAN X
Plan schématique de Paris à l’époque mérovingienne.
10La quasi-absence de données archéologiques concernant la ville médiévale et moderne de la rive gauche (fig. 10, 11), dite quartier « outre petit-pont » ou « de l’université », enserrée dès le début du XIIIe s. par la longue enceinte de Philippe Auguste, était un problème majeur. En effet, l’histoire de l’urbanisme et de la vie quotidienne était jusqu’à présent peu documentée d’un point de vue archéologique. D’anciennes études en archives (Berty, Tisserand 1897) laissaient présager une urbanisation du quartier dans le courant du XIIIe s., dans une zone de la colline précédemment recouverte de vignes. Les fouilles ont permis de retrouver des éléments de la maison de la Rose et de la maison aux Créneaux (plan XI).

FIG. 10
Plan schématique de Paris au Moyen Âge. Le triangle indique l’emplacement des fouilles du Collège de France et les points noirs les principaux édifices religieux.

FIG. 11
Le quartier de l’Université vers 1770 (d’apr. Hoffbauer 1885). Le cercle indique l’emplacement des fouilles du Collège de France. A école Saint-Thomas ; B collège de Narbonne ; C collège de Sées ; D petit Châtelet ; E restes de l’ancienne enceinte de Philippe-Auguste ; F collège de la Mercy. Le poché noir indique les constructions antérieures à 1610.

PLAN XI
Bâtiments du XIVe s. (phase 9a).
11Les vestiges des collèges de Tréguier et de Cambrai (plans XI à XIII,), institutions religieuses d’enseignement antérieures au Collège royal, fondé en 1530, ont fourni les premiers éléments archéologiques sur ce type d’institution. La fouille des dépotoirs et l’étude des architectures ont conduit à l’établissement d’un phasage serré (phases 9 et 10). La corrélation avec les études d’archives (A.-A. Lichon) a notamment permis d’identifier clairement les bâtiments et les changements de propriétaire.

PLAN XII
Bâtiments du XVe s. (phase 9b).

PLAN XIII
Bâtiments du XVIe s. (phase 10a).
12On pensait, grâce aux documents d’archives, en savoir suffisamment sur la genèse du Collège « royal » puis « de France » à l’époque moderne (plan XIV). Les fouilles ont révélé des aménagements inédits comme des fondations réalisées plus précocement ou un projet de construction engagé resté inachevé (plans XV et XVI).

PLAN XIV
Le collège de Cambrai et le Collège royal entre la fin du XVIIe s. et la fin du XVIIIe s. (vers 1764), d’après un plan conservé aux Archives nationales (A.n. NIII Seine 1126).

PLAN XV
Bâtiments du XVIIe s. (phase 10b) replacés dans la topographie ancienne.

PLAN XVI
Fondations du projet de construction de 1832-1834 (phase 10c).
L’opération archéologique
13En janvier et février 1993, des études archéologiques et historiques préliminaires ont été entreprises par Emmanuelle du Bouëtiez et Antoinette Navecth (Du Bouëtiez, Navecth 1993). Trois sondages furent creusés manuellement dans les futures zones affectées par le projet (fig. 7) : deux dans la cour d’honneur (zone 2) et un dans la cour Letarouilly (zone 1). Parallèlement à ces travaux, une première étude documentaire fut engagée par Emmanuelle du Bouëtiez pour tenter de restituer l’historique de l’îlot du Collège de France. Pour la période gallo-romaine, cette étude s’est fondée sur les résultats de fouilles déjà réalisées à proximité du site, principalement à l’emplacement des thermes de l’Est. Grâce à ces travaux, la préparation de l’opération put être menée à bien. En ayant permis d’obtenir des stratigraphies de référence, mais aussi de définir le type de vestiges, leur densité et leur état de conservation, ce diagnostic a orienté les recherches. Il a aussi livré les premiers éléments de chronologie pour les strates antiques et du haut Moyen Âge, ainsi que les premiers éléments d’architecture (caves, latrines), seuls vestiges subsistant des époques médiévale et moderne.
14Début avril 1994, une première phase de décapage fut réalisée. Ce « curage préalable » a concerné l’enlèvement des pavés de la cour d’honneur, la destruction d’une épaisse dalle de béton cour Letarouilly, mais surtout le curage des caves médiévales et modernes par l’extraction des remblais superficiels (fig. 12). L’intervention fut renouvelée en milieu d’opération (juillet), afin d’accélérer la fouille en lui soustrayant un gros volume de remblais antiques d’un faible intérêt. Un troisième curage fut à nouveau entrepris au mois d’août. Sur les 685 m2 de la cour d’honneur et les 285 m2 de la cour Letarouilly, seuls 400 et 150 m2 ont été fouillés, soit 550 m2 sur les 970 m2 prévus initialement. Ainsi, après six mois et une semaine de fouilles, ce sont 2 130 m3 qui ont été extraits dont 780 m3 fouillés manuellement.

FIG. 12
Partie nord-ouest de la cour d’honneur après le curage préalable, vue de l’ouest. Les sols de caves et les remplissages de latrines sont encore sous les gravats.
15La phase de traitement et d’étude des données (documentation et mobilier), appelée postfouille, initialement prévue pour quatre mois, du 1er octobre 1994 au 31 janvier 1995, a été prolongée de deux mois jusqu’à fin mars 1995 avec une équipe très réduite. Aux six personnes prévues pour cette tranche, deux techniciens ont été associés pendant trois mois. Ces postes supplémentaires correspondaient à un travail spécialisé (quantification de la faune et suivi du paléoenvironnement) entamé pendant la phase de fouille et qui méritait un bilan dans le cadre du document final de synthèse.
16Une dernière intervention de terrain eut lieu dans la cour Budé (la plus occidentale), au début de l’année 1996. Elle devait apporter des compléments essentiels à l’analyse stratigraphique des niveaux du Ier s., dans cette partie la plus proche du cardo antique (rue Saint-Jacques).
17Enfin, un contrat de onze mois (1995-1996), destiné à la réalisation du manuscrit du présent ouvrage, a été financé par la Fondation Saint-Jacques Polignac, en partenariat avec l’Afan. Ce travail a été à la fois réalisé dans les locaux du Collège de France (Meudon), du siège de l’Afan et dans ceux du service régional de l’Archéologie d’Île-de-France, dépositaire des archives de la fouille, qui a assuré un large soutien technique et scientifique.
Auteur
Mission archéologique du Vieil-Évreux, conseil général de l’Eure
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