Chapitre 7. La faune
p. 335-359
Résumés
L’étude de la faune s’est attachée à retrouver les caractéristiques de l’alimentation provenant de l’élevage et de la chasse. D’abondants restes de squelettes animaux ont été retrouvés grâce au ramassage manuel habituel. Le tamisage des prélèvements, peu pratiqué dans les opérations de fouille préventive, a permis d’observer les ossements d’espèces de petite taille. Outre les poissons d’eau douce, on trouve trace de poissons de mer par le biais de préparations alimentaires antiques (garum). L’intérêt de l’étude touchant la faune aviaire tient à la présence d’oiseaux très rarement rencontrés en Gaule, ainsi qu’au fait d’avoir pu détecter des modes de découpe originaux préalables à la consommation. Enfin, de la faune mammalienne émerge la présence du lapin, originaire de la péninsule Ibérique et du Sud de la France mais rarement signalée sur les sites de régions plus septentrionales. Les vestiges de coquillages sont peu abondants.
The objective of the faunal analysis was to identify the dietary elements originating from animal husbandry and hunting. Abundant skeletal remains were recovered through the habitual method of manual excavation. The sieving of samples, which is not often practiced in preventive excavations, allowed us to identify the bones of small species. In addition to freshwater fish, we found evidence of saltwater fish in the Antique food preparations (garum). Through an analysis of the avian fauna, we were able to identify birds that have rarely been observed in Gaul, and to detect previously unknown methods for butchering these animals before consumption. finally, the mammalian fauna shows the presence of rabbit, originating from the Iberian Peninsula and southern France, but rarely observed in more northern sites. There are very few shell remains.
Texte intégral
7.1 Préalables
Dominique Lalaï
1La fouille du Parc Saint-Georges a révélé plusieurs couches archéologiques riches en ossements animaux. C’est le mobilier de six d’entre elles, reconnues comme stratigraphiquement pertinentes pour la compréhension du site, qui est analysé ici. Quatre unités stratigraphiques sont rattachées à l’époque antique et deux à l’époque médiévale. La volonté d’acquérir des lots de restes représentatifs de la faune a conduit à la mise en œuvre systématique de deux modes d’échantillonnage : le ramassage manuel des vestiges et le tamisage de prélèvements de sédiments (tamis à maille de 2, 1 et 0,5 mm) avec tri des refus. Grâce à cette dernière méthode, peu fréquemment pratiquée dans les opérations de fouille préventive, la présence d’espèces de petite taille a pu être perçue.
2À l’issue des collectes, trois classes de vertébrés sont apparues concernées : les mammifères, les oiseaux et les poissons. Elles fournissent dans les contextes antiques des informations particulièrement remarquables.
3Pour les poissons, dont l’étude est publiée par Gaël Piquès, Catherine Hänni et Tony Silvino dans les actes des XXVIIIe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes (Piquès et al. 2008), les données ostéologiques mais également génétiques (des analyses adn ont été effectuées sur des résidus organiques d’amphores) font apparaître une exploitation d’espèces d’eau douce et marine. Parmi les premières, on peut citer la perche, l’anguille, l’esturgeon, la truite, parmi les secondes principalement la sardine et le maquereau japonais. Selon les auteurs, les études ostéologiques ainsi que génétiques permettent d’affirmer que sardine et maquereau étaient employés sous forme de sauce/salaison (garum). Un reconditionnement in situ des préparations, comprenant l’élimination des éléments solides présents dans les saumures, a même pu être envisagé. Enfin, les auteurs abordent une question très actuelle, envisageant l’hypothèse d’une surpêche de certaines espèces de poissons marins dès l’Antiquité – en l’occurrence pour le maquereau japonais dont les tailles apparaissent statistiquement modestes.
4La faune aviaire livre quant à elle de précieuses informations liées à la présence d’oiseaux très rarement rencontrés dans les niveaux antiques, mais encore quant à un mode de découpe original préalable à la consommation de certaines espèces.
5Enfin, au sein de la faune mammalienne, un regard tout particulier sera porté sur le lapin. Il n’est pas inutile de rappeler ici brièvement que l’espèce sauvage, dont la domestication ne semble pas avoir débuté véritablement avant l’époque moderne, est originaire de la péninsule Ibérique et du Sud de la France et que cette aire de répartition reste stable jusqu’au Moyen Âge, période à partir de laquelle de probables importations conduisent à son extension actuelle (Callou 1997). Or, si le lapin est bien attesté en Gaule romaine parmi les faunes du pourtour méditerranéen, les très rares vestiges signalés jusqu’à présent dans des sites plus septentrionaux ne suffisaient pas pour témoigner avec certitude de sa présence (remaniement, présence intrusive ?), et par-là même de possibles importations dès cette époque. Le corpus de restes mis en évidence au Parc Saint-Georges en apporte pour la première fois un témoignage probant.
7.2 Les mammifères
Dominique Lalaï
7.2.1 Provenance et chronologie des restes
6Les restes sont issus de niveaux archéologiques bien reconnus dans la stratigraphie et dont les installations correspondent à des étapes importantes de l’histoire du site. Il s’agit d’une couche de comblement de l’ancien lit de la Saône (Us. 1356) et d’un dépôt de crue (Us. 1378) datés du milieu du iiie s. (phase 6), de comblements de dépressions (Us. 1447, 1483) réalisés entre la fin du ive s. et le début du ve s. (phase 9), et enfin de niveaux de berge (Us. 1471, 1545) respectivement rapportés au xiie s. (phase 12) et au xive s. (phase 13)
7.2.2 État et nature des restes
7Pour les quatre périodes concernées, les vestiges recueillis sont des restes isolés. Aucun squelette (ou partie squelettique) en connexion anatomique n’est présent. La bonne conservation de la matière osseuse est de toute évidence à mettre au compte de la nature sableuse des sédiments encaissants et d’un taux d’humidité élevé permanent. Très peu de traces d’attaque acide par les radicelles des végétaux sont visibles sur les ossements. La grande rareté d’éléments aux surfaces érodées par les intempéries suggère des enfouissements rapides. Il est cependant très vraisemblable, d’après les contextes géomorphologiques mis en évidence, qu’une forte proportion de ces restes a été rejetée en bordure de milieu aquatique, ce dont résulte souvent leur coloration brune. Un exemple est fourni par le crâne de cheval du niveau de berge Us. 1545, dont un côté est brun foncé tandis que l’autre plus clair est resté visiblement hors eau. L’observation est ici renforcée par la présence sur le côté clair et uniquement sur celui-ci, de traces de rognage de rongeurs.
8À noter que les restes provenant du dépôt de crue Us. 1378 ne sont pas « roulés », indiquant que si un transport a eu lieu il s’est effectué sur une courte distance. Seuls deux fragments squelettiques issus du comblement de la dépression Us. 1447 montrent un tel aspect.
9Quelle que soit leur appartenance chronologique, les restes sont le plus souvent très fragmentaires. Cet état témoigne principalement des différentes étapes de l’alimentation carnée, boucherie et consommation proprement dite, qui s’accompagnent parfois de séquelles : incisions, entailles, sectionnements. Les différents stades de la boucherie sont assez bien illustrés, notamment pour les bovins : enlèvement de la peau et élimination des bas de pattes, désarticulation de la mandibule et des os longs, sectionnement du rachis et enfin décarnisation.
10À cette fragmentation principale s’en ajoute une autre, non négligeable, liée à l’action des animaux détritivores (domestiques et sauvages), principalement du chien. Si on trouve parfois quelques restes squelettiques, c’est souvent par les traces de morsure infligées aux ossements (marques de crocs, rognage) que la présence du chien est avérée. Peu nombreuses et beaucoup plus discrètes, les traces de rognage des micromammifères (rongeurs) ont peu porté atteinte à l’intégrité des ossements rejetés.
11Au xiie s., un autre facteur de fragmentation est intervenu : l’action du feu. De nombreux petits fragments brûlés (blancs le plus souvent) sont en effet présents. L’absence, sur les autres restes, de traces de cuisson par rôtissage, pourrait laisser penser qu’ils résultent de l’élimination de déchets alimentaires dans des foyers, et qu’ils auraient ensuite été rejetés lors des vidanges de ces derniers.
12D’une ampleur bien moindre, une autre activité humaine occasionnant une fragmentation des ossements est attestée dans plusieurs niveaux antiques (Us. 1356, 1447, 1483). Il s’agit du travail de l’os, essentiellement ici sur diaphyses d’os de bovins (radius, métapodes). Les restes reflétant cette pratique correspondent principalement à des chutes isolées lors du prélèvement des diaphyses (sciage transversal), plus rarement à des éléments bruts avant façonnage : tronçons de diaphyse, baguettes d’os compact. À noter que dans les lots des Us. 1447 et 1471, deux chevilles osseuses de bovins sectionnées à la base témoignent de la séparation de la corne du crâne et ce, peut-être, dans l’intention de prélever l’étui corné dans le contexte d’un artisanat de corneterie.
13Enfin, il faut noter que très peu d’ossements sont porteurs de stigmates d’origine pathologique. Dans l’Us. 1356, l’extrémité proximale d’un métatarse et une phalange 1 de bovins, mais aussi la diaphyse d’un métacarpe V et l’épiphyse proximale d’un métatarse III de porc, sont affectées par des proliférations osseuses (exostoses). Deux métatarses IV et V appartenant à ce dernier taxon montrent également une déformation de la diaphyse. L’Us. 1483 renferme quant à elle un maxillaire de bovin présentant une pathologie dentaire qui se traduit par un espace accusé entre la quatrième prémolaire et la première molaire.
7.2.3 Les espèces
14Plusieurs atlas et travaux d’ostéologie animale ont été consultés pour la détermination des restes (Barone 1984, 1986 ; Boessneck et al. 1964 ; Callou 1997 ; Helmer, Rocheteau 1994 ; Peters 1998 ; Schmid 1972). En de nombreux cas cependant, nous avons eu recours à notre propre collection ostéologique de référence.
15Du fait de l’état généralement très fragmentaire des vestiges, l’analyse ostéométrique (d’après les mesures proposées par Angela von den Driesch 1976) s’est limitée à la mesure de la grande longueur des os longs complets (gl), permettant ainsi d’estimer les hauteurs au garrot des animaux adultes dont ils sont issus.
16L’analyse de l’importance des différents taxons repose ici principalement sur les nombres de restes. On apprécie des âges de mortalité des animaux selon trois grandes classes, infantile, juvénile et adulte, fondées sur la taille et l’aspect des ossements et quantifiées par le nombre minimum d’individus (nmi). Dans certains cas, une meilleure précision a pu être donnée grâce à l’observation des éruptions dentaires (Barone 1984), ainsi que des soudures épiphysaires (Barone 1986).
7.2.3.1 Milieu du iiie s.
17Deux lots de restes correspondent à cette phase. Le plus riche provient de l’Us. 1356, le second, peu fourni, provient du dépôt Us. 1378 qui scelle partiellement l’épave n° 4.
18Dans une très forte proportion, les vestiges appartiennent à des espèces domestiques [tabl. xli‚ tabl. xlii], et essentiellement aux taxons de la triade classique du cheptel : bovins, caprinés (mouton, chèvre), porc. La faune sauvage comprend le chevreuil, deux carnivores, le lynx1 et une belette ou hermine, et enfin –les mieux attestés– le lièvre et le lapin. La présence du lapin pose question. En effet, à cette période il n’est pas présent à l’état naturel dans cette région de la Gaule.

tabl. xli Nombre de restes déterminés (NRD) par taxon, milieu du iiie s. (phase 6) (- aucun reste).

tabl. xlii Nombre minimum d’individus par taxon et par classe d’âge, milieu du iiie s. (phase 6) (inf infantile ; jv juvénile ; ad adulte ; - aucun individu).
19Ces restes sont-ils les indices d’importation d’animaux ? Le fait est que l’épaisseur stratigraphique les recouvrant exclut l’intrusion d’animaux d’époque plus récente (Moyen Âge et période moderne). Pour certains fragments, la distinction entre lapin et lièvre n’a pu être réalisée. Dans l’inventaire, ils apparaissent en ce cas sous l’appellation « lagomorphes indéterminés ».
Les bovins
20Ces animaux sont très présents dans l’Us. 1356. Parmi les douze individus recensés, dix sont des adultes et deux des juvéniles (l’un âgé d’environ 6 mois, l’autre entre 1 et 2 ans). Aucune différenciation sexuelle n’a pu être effectuée. Dans le lot le plus fourni, on trouve des fragments des principales parties du corps [tabl. xliii]. Les restes issus de la tête, du rachis et du segment moyen du membre antérieur sont cependant nettement sous-représentés. À l’opposé, on observe une présence élevée de métapodes, notamment des métatarses. Les parties riches en viande sont représentées essentiellement par les côtes et l’épaule (scapula et humérus).

tabl. xliii Distribution anatomique des restes de bovins pour le milieu du iiie s. (phase 6) (- aucun reste).
21La mesure d’un métatarse gauche (Us. 1356 ; gl : 241,9 mm) permet d’estimer la hauteur au garrot de l’un des animaux à 136 ou 129 cm suivant que l’on a affaire à un mâle ou à une femelle (Matolcsi 1970).
Les caprinés
22Au sein de la triade domestique, c’est ici le groupe le plus faible, aussi bien par le nombre de restes que par le nmi. Dans un unique cas, la distinction mouton/chèvre a pu être réalisée. Elle a révélé la présence d’un caprin femelle dans l’Us. 1356. Globalement, sur les six individus repérés trois sont adultes (dont deux d’environ 2 ans et un de moins de 4 ans et demi), et trois juvéniles (dont un entre 6 mois et 1 an). Aucun caractère révélateur du dimorphisme sexuel n’a été relevé chez les moutons. La distribution anatomique des restes pour l’Us. 1356 [tabl. xliv], fait ressortir que les parties les plus charnues sont peu ou pas représentées, et particulièrement les segments hauts des membres. Aucune valeur de hauteur au garrot n’est calculable.

tabl. xliv Distribution anatomique des restes de caprinés pour le milieu du iiie s. (phase 6) (- aucun reste).
Le porc
23Il est très largement dominant dans les deux lots fauniques, notamment dans l’Us. 1356 où l’écart avec les autres taxons est bien accusé. Les deux ensembles regroupés comptent vingt-deux individus parmi lesquels dix sont des adultes souvent jeunes (entre 2 et 4 ans), neuf des juvéniles (dont un d’environ 6 mois, cinq de moins de 10 mois, trois entre 1 et 2 ans), et trois des infantiles de moins de 2 mois. Parmi les adultes, on compte six mâles, tandis qu’on trouve chez les juvéniles une femelle (entre 1 et 2 ans). Toutes les parties du corps sont représentées dans les restes [tabl. xlv], même si on relève une carence des deux premières vertèbres cervicales. Les bas de pattes (mains et pieds) sont particulièrement nombreux.

tabl. xlv Distribution anatomique des restes de porcs pour le milieu du iiie s. (phase 6) (- aucun reste).
24À partir des longueurs de leurs os longs, principalement des métapodes, plusieurs hauteurs au garrot d’animaux adultes ont pu être obtenues (Teichert 1969) [tabl. xlvi]. Si on excepte l’animal de 104 cm au garrot, dont on ne peut exclure l’appartenance à l’espèce du sanglier, les porcs présents ont un format compris entre 71 et 83 cm.

tabl. xlvi Mesures d’os longs de porcs et estimation des hauteurs au garrot des animaux correspondants, milieu du iiie s. (phase 6) (g gauche ; d droit).
Le chien
25L’espèce canine est attestée par un unique reste correspondant à un fragment d’humérus d’animal adulte.
Le lynx
26La présence de cet animal est reconnue grâce à la découverte d’une phalange 3 d’individu adulte.
Le chevreuil
27L’unique témoignage de ce taxon est une scapula d’adulte.
Le lapin
28Vingt-et-un fragments osseux ou os complets (dont dix-huit dans la seule Us. 1356), représentant toutes les grandes régions anatomiques à l’exception du rachis, du thorax et de la ceinture pelvienne, et provenant au moins de trois individus adultes, sont attribués à cette espèce. Il est vraisemblable qu’un certain nombre de fragments de côtes et de vertèbres intégré dans le groupe des lagomorphes indéterminés doit lui être rattaché.
Le lièvre
29L’ensemble squelettique illustrant ce taxon est relativement conséquent dans l’Us. 1356 où 61 restes issus de toutes les régions anatomiques sont présents. Les six animaux reconnus sont tous adultes.
Les lagomorphes indéterminés
30Plusieurs vestiges n’ont pu faire l’objet d’une diagnose précise propre à distinguer l’espèce du lièvre de celle du lapin. Ces restes sont essentiellement des fragments de côtes mais aussi de vertèbres, de métapodes et de phalanges.
La belette ou l’hermine (?)
31Une extrémité distale d’humérus et un métatarse IV sont attribués à ces deux taxons, sans que la discrimination soit possible.
7.2.3.2 De la fin du ive s. au début du ve s.
32Deux lots de vestiges concernent la phase 9. Ils proviennent des comblements anthropiques de deux creusements naturels (Us. 1447, 1483). Les deux ensembles fauniques sont quantitativement d’importance inégale, celui de l’Us. 1447 étant le plus fourni en restes.
33Là encore, la faune est essentiellement domestique [tabl. xlvii-xlviii]. La triade classique du cheptel est réduite aux bovins, nettement prédominants, et au porc. À ces taxons s’ajoutent dans les deux lots les équidés, notamment dans l’Us. 1447 où le cheval et l’âne sont attestés, et l’espèce canine. Représenté par un unique reste, le chat est présent dans l’Us. 1483. La faune sauvage, quant à elle, est restreinte à un fragment squelettique de lièvre (Us. 1447) et un fragment de cerf (Us. 1483).

tabl. xlvii Nombre de restes déterminés (nrd) par taxon, entre la fin du ive s. et le début du ve s. (phase 9) (- aucun reste).

tabl. xlviii Nombre minimum d’individus par taxon et par classe d’âge, entre la fin du ive s. et le début du ve s. (phase 9) (inf infantile ; jv juvénile ; ad adulte ; - aucun individu).
34Ces décomptes font apparaître que bovins et porc occupent des positions similaires dans les deux lots fauniques –même s’ils présentent un écart entre eux beaucoup plus marqué dans l’Us. 1447.
Les équidés
35Le cheval est attesté (Us. 1447) par trois éléments dentaires qui pourraient provenir de trois individus adultes. Dans le même lot, un fragment d’os coxal est attribué à l’espèce asinienne. Sur plusieurs fragments squelettiques présents dans les deux ensembles, et plus particulièrement dans l’Us. 1447, la distinction entre l’espèce caballine ou ses hybrides avec l’âne n’a pu être réalisée. Les restes appartiennent aux régions de la tête, du rachis, des ceintures et de la main, et sont rattachés à deux animaux adultes. À noter que la scapula (Us. 1447) est affectée par une trace de découpe.
Les bovins
36Par le nombre de restes aussi bien que par le nombre d’animaux recensés, c’est le groupe dominant ici. Les dix-huit individus reconnus comprennent un juvénile (moins de 2 ans) et dix-sept adultes (dont un de 2-3 ans, un de 3-4 ans, un d’environ 6 ans, un de 9-10 ans et deux très âgés de plus de 10 ans). L’unique identification sexuelle concerne un adulte mâle (Us. 1447). La répartition anatomique des restes fait ressortir la forte présence des parties de la tête, du rachis et des côtes et, plus particulièrement dans l’Us. 1447, celle de l’épaule et des segments moyen et bas des membres antérieurs et postérieurs [tabl. xlix]. Dans les deux ensembles se remarque l’absence ou la carence de la cuisse, partie la plus charnue du membre postérieur.

tabl. xlix Distribution anatomique des restes de bovins pour la fin du ive – début du ve s. (phase 9) (- aucun reste).
37Le lot de l’Us. 1447 renferme de nombreux os longs dont les grandes longueurs permettent d’obtenir suivant le sexe envisagé plusieurs hauteurs au garrot [tabl. l]. La hauteur au garrot est comprise entre 113 et 133 cm dans l’hypothèse de femelles, avec une majorité d’animaux dans l’intervalle 120 à 125 cm, et est comprise entre 119 et 140 cm dans l’hypothèse de mâles, avec un important regroupement d’individus entre 128 et 130 cm.

tabl. l Mesures de métapodes de bovins et estimation des hauteurs au garrot des animaux correspondant selon le sexe, entre la fin du ive s. et le début du ve s. (phase 9) (g gauche ; d droit).
Le porc
38Arrivant au second rang d’importance, ce taxon demeure cependant bien faible. Sur les six animaux identifiés, trois sont des adultes dont deux mâles, deux sont des juvéniles (l’un d’environ 6 mois, l’autre de moins de 1 an), et le dernier est un infantile (moins de 1 mois). Le faible nombre de restes ne permet aucune interprétation sur leur nature anatomique [tabl. li]. Aucune indication sur la taille des animaux n’est disponible.

tabl. li Distribution anatomique des restes de porcs pour la fin du ive–début du ves. (phase 9) (- aucun reste).
Le chien
39Cet animal est représenté par un fragment de mandibule et un fémur de sujet adulte (Us. 1447). La longueur de ce dernier (gl : 199,4 mm) permet d’estimer sa hauteur au garrot à 60 cm (Koudelka 1885). L’Us. 1483 renferme quant à elle une fibula incomplète et une phalange 2 d’adulte.
Le chat
40L’unique témoignage de cette espèce est un fragment de scapula d’animal adulte (Us. 1483).
Le cerf
41La présence de ce taxon est reconnue grâce à un fragment de radius d’individu adulte (Us. 1483).
Le lièvre
42Il est représenté uniquement par un fragment d’humérus d’adulte (Us. 1447).
7.2.3.3 xiie s.
43Les vestiges proviennent du niveau de berge (Us. 1471). À l’exception de trois restes attribués au lièvre, tous appartiennent aux espèces de la triade domestique [tabl. lii].

tabl. lii Nombre de restes déterminés (nrd) par taxon et nombre minimum d’individus (nmi) par taxon et par classe d’âge (Us. 1471), xiie s. (phase 12) (inf infantile ; jv juvénile ; ad adulte).
Les bovins
44Par leur nombre de restes, ces animaux sont les mieux représentés de la triade du cheptel. Parmi les onze individus recensés, dix sont des adultes et le dernier un juvénile (entre 1 et 2 ans). Aucun caractère sexuel n’a été observé. Les restes présents proviennent essentiellement de parties du corps pauvres en viande, notamment la tête, on observe de larges manques au niveau des membres [tabl. liii].

tabl. liii Distribution anatomique des restes de bovins pour le xiie s. (phase 12).
45La fragmentation des rares os longs recueillis ne permet aucune estimation de la taille des animaux.
Les caprinés
46Ce groupe composite est bien attesté dans cette faune. Les sept animaux individualisés correspondent à deux moutons adultes (dont un mâle), à deux chèvres adultes (dont un mâle), et trois caprinés juvéniles (deux d’environ 2-3 mois, un mouton de moins de 6 mois). Si la plupart des grandes régions anatomiques est illustrée, celles de la tête et du membre antérieur le sont plus particulièrement tandis qu’apparaît une carence au niveau du gigot [tabl. liv].

tabl. liv Distribution anatomique des restes de caprinés pour le xiie s. (phase 12).
47Les longueurs d’un radius (gl : 133,3 mm), de deux métacarpes droits (gl : 118,1 et 118,2 mm) et d’un talus (gl : 29,5 mm) de moutons, ainsi que celle d’un talus d’individu indéterminé (gl : 27,6 mm), permettent d’estimer la hauteur au garrot de ces animaux, soit respectivement : 54, 58, 58, 67 et 63 cm (Teichert 1975).
48Au registre des traces de découpe visibles sur les ossements, il faut signaler qu’un crâne a été décalotté, de toute évidence pour en prélever la cervelle.
Le porc
49Bien que légèrement en retrait, sa représentation est voisine de celle des bovins, notamment par le nombre d’animaux présents. Sur les dix individus reconnus, six sont adultes (dont un jeune de 2 à 3 ans et demi) dont un mâle, trois juvéniles (dont un de 4-6 mois et deux d’environ 1 an, mâle et femelle) et un périnatal. La distribution anatomique des vestiges fait ressortir l’importance de la région de l’épaule, dans une moindre mesure celle de la tête, mais aussi les manques au niveau des membres et la carence du jambon [tabl. lv].

tabl. lv Distribution anatomique des restes de porcs pour le xiie s. (phase 12).
50L’unique indice quant au format des animaux provient de la mesure d’un calcanéus (gl : 78,4 mm) qui donne une hauteur au garrot de 73 cm.
Le lièvre
51Un fragment de mandibule et d’os coxal, deux métatarses III et V et deux phalanges 2 pouvant provenir d’un même animal adulte, sont attribués à cette espèce.
7.2.3.4 xive s.
52Ce modeste ensemble faunique provient du niveau de berge Us. 1545. La faune est exclusivement domestique, seul le statut du lapin (domestique ou sauvage ?) pourrait être sujet à caution. On ne peut se prononcer ici sur cet aspect. À côté des taxons de la triade domestique qui prédominent, se rencontrent les équidés avec le cheval et l’âne [tabl. lvi].

tabl. lvi Nombre de restes déterminés (nrd) par taxon et nombre minimum d’individus (nmi) par taxon et par classe d’âge (Us. 1545), xives. (phase 13) (inf infantile ; jv juvénile ; ad adulte).
Les équidés
53Le cheval est représenté dans cette faune par le crâne et les mandibules d’un individu adulte d’environ 6-7 ans, vraisemblablement de sexe mâle. Un métatarse III est quant à lui attribué par sa morphologie et sa longueur (gl : 194,2 mm) à l’espèce asinienne.
Les bovins
54Bien illustrés dans cet ensemble, ces animaux constituent ici le taxon dominant. Les cinq individus identifiés comprennent quatre adultes et un juvénile (de 1 an et demi à 2 ans). Les restes recueillis correspondent principalement à des éléments dentaires inférieurs isolés, des fragments crâniens et de côtes [tabl. lvii]. Aucune donnée concernant le sexe et la taille n’est disponible.

tabl. lvii Distribution anatomique des restes de bovins pour le xive s. (phase 13).
Les caprinés
55Les restes rattachés à ce groupe sont peu abondants. On peut toutefois distinguer moutons et chèvres. Sur les quatre animaux reconnus, deux sont des moutons adultes (un mâle), un autre est une chèvre adulte femelle et le dernier est un infantile de moins de 2 mois. Les vestiges proviennent essentiellement du crâne, des mandibules et des côtes [tabl. lviii]. Là encore, les hauteurs au garrot ne peuvent être estimées.

tabl. lviii Distribution anatomique des restes de caprinés pour le xive s. (phase 13).
Le porc
56Par son nombre de restes, il est très proche du groupe précédent. Les deux individus distingués correspondent à un adulte et à un juvénile (entre 1 et 2 ans). Les mandibules et le tibia apparaissent comme les éléments squelettiques les mieux représentés [tabl. lix]. Le sexe et la taille demeurent inconnus.

tabl. lix Distribution anatomique des restes de porcs pour le Xive s. (phase 13).
Le lapin
57Cette espèce est attestée par un unique fragment osseux correspondant à un fémur d’animal adulte.
7.2.4 Conclusion
7.2.4.1 Interprétations
58Dans les quatre occupations prises en compte, les restes animaux observés sont dans leur très grande majorité des déchets de boucherie et/ou de consommation proprement dite (préparation des repas, rejets d’assiettes). Pour les équidés et les chiens, la faiblesse des témoins squelettiques et l’absence sur ceux-ci de séquelle visible, ne permettent pas de savoir s’ils ont participé au régime carné.
59Quelques vestiges reflètent pour les phases antiques l’existence d’une activité de tabletterie. Si dans la phase 6, au milieu du iiie s., il s’agit de témoignages indirects attestant le prélèvement de la matière première (diaphyse d’os longs de bovins), la phase 9 qui s’étend de la fin du ive au début du ve s. renferme quant à elle quelques fragments osseux résultant d’un premier façonnage (tronçon, baguettes). La corneterie, activité artisanale utilisant les étuis cornés des ruminants, est également illustrée dans ce dernier contexte par des chevilles osseuses de bovins sectionnées à la base. Toutefois, les faibles indices suggèrent que la tabletterie aussi bien que la corneterie ont été des activités de faible ampleur ou, dans le cas contraire, que leurs déchets ont suivi un autre parcours, vers d’autres dépotoirs. Dans le premier cas de figure, on peut envisager des prélèvements opportunistes de matière première directement sur les rejets.
60Enfin, à l’Antiquité tardive est présent un élément squelettique de chat domestique, espèce exotique très rare en Gaule romaine, qui pourrait être un animal de compagnie. Autre espèce féline, mais sauvage, le lynx, animal très rarement rencontré dans les faunes mêmes aux époques anciennes, est identifié par un unique ossement d’extrémité de membre (vestige d’une fourrure ?) (Us. 1356).
61Aux différentes phases ici concernées, l’alimentation carnée repose essentiellement sur la triade classique du troupeau, et l’apport des espèces sauvages, cervidés et lagomorphes, demeure très restreint. Les cervidés sont uniquement présents dans les contextes antiques, tandis que les lagomorphes se rencontrent à toutes les époques. Chez ces derniers, le lièvre, absent dans le lot du xive s., est bien représenté dans celui du milieu du iiie s. Dans celui-ci, la présence de restes de lapins est surprenante. En effet, en Gaule romaine, cette espèce sauvage (la domestication effective de ce taxon ne remontant qu’au début de la période moderne) n’est reconnue avec certitude que sur le pourtour méditerranéen. Plus au nord cependant, le site d’Argentomagus (Indre) a livré sept restes qui lui sont attribués (Callou 2003) et dans l’occupation du ier s. ap. J.-C. de Lutèce un vestige est présent (Oueslati 2006). Dans les deux cas, l’origine de ces éléments demeure toutefois incertaine. Le même doute s’impose à Saint-Georges : y a-t-il cohérence chronologique entre les restes et les niveaux encaissants ? Il est en effet fréquent que des éléments squelettiques d’animaux fouisseurs tels les lapins se retrouvent en situation intrusive. Il semble que cette hypothèse soit ici à écarter, plusieurs observations allant à son encontre. En premier lieu, on ne trouve aucun reste de cette espèce dans les niveaux stratigraphiques de phases plus récentes (à l’exception d’un unique fragment au xive s.) à partir desquelles la contamination aurait pu s’effectuer, notamment au bas Moyen Âge. Il faut ensuite prendre en compte la présence de ces vestiges au sein d’un vaste ensemble de déchets alimentaires. Le fait qu’aucune trace n’ait été relevée sur les ossements peut s’expliquer par un mode culinaire n’impliquant pas forcément une découpe de la carcasse par un instrument tranchant (animal préparé entier). De plus, trois individus au moins sont présents (en réalité vraisemblablement bien plus), et le sont tous au stade adulte qui est celui privilégié pour la consommation de ce taxon. Enfin, toutes les grandes régions anatomiques sont représentées, ce qui exclut l’apport d’ossements associés à des fourrures. Il semble donc qu’il faille enregistrer la présence du lapin au Parc Saint-Georges au milieu du iiie s. Cette présence serait alors le témoin de l’importation la plus ancienne et la plus septentrionale attestée à ce jour en Gaule antique pour cette espèce. L’importation a pu s’effectuer sous la forme d’individus vivants ou morts (préparés) dans un but de consommation, mais on ne peut complètement écarter que la finalité en ait été l’élevage d’animaux exotiques et pourquoi pas de compagnie.
62L’observation des taux de fréquence des groupes de la triade domestique fait ressortir de fortes variations de représentation selon les phases considérées [fig. 297]. Ceci est particulièrement net dans le cas des deux contextes antiques pour les bovins et le porc, et s’explique non par un changement drastique de la consommation carnée mais, comme on le verra plus loin, par des changements dans l’usage des dépotoirs.

fig. 297 Comparaisons des nombres de restes (en %) des taxons de la triade domestique au cours des différentes phases étudiées.
© D. Lalaï.
63Le milieu du iiie s. (phase 6) se caractérise par une domination très forte des restes de porc (75,8 %), les bovins et plus encore les caprinés étant relégués loin derrière. Pour le porc, qui constitue l’espèce de boucherie par excellence, la nature des restes recueillis et les traces qui les affectent, illustrent les différentes étapes de la découpe de boucherie mais également la consommation de la viande (restes culinaires, rejets d’assiettes). Deux types de déchets coexistent donc. Le même constat peut être fait, quoiqu’à bien moindre ampleur, pour les bovins. Pour les caprinés, les restes provenant de parties charnues sont peu ou pas représentés, et l’ensemble squelettique reflète plutôt les premiers stades de la découpe. Si dans ce dernier groupe l’abattage semble avoir concerné de manière identique individus adultes et juvéniles, chez les bovins les adultes ont été fortement privilégiés. Les porcs quant à eux ont fait l’objet d’un abattage important de juvéniles (âgés fréquemment de moins de 1 an), et d’adultes souvent jeunes (2 à 3 ans). Ce type d’abattage et la fréquence élevée d’animaux mâles suggèrent une gestion équilibrée de l’élevage qui, du fait de la présence de vestiges d’individus infantiles (mortalité naturelle), s’effectuait vraisemblablement dans ou à proximité de l’habitat.
64À l’Antiquité tardive (phase 9), les deux dépotoirs concernés montrent des recrutements faunistiques très différents de ceux observés dans l’occupation précédente. Les caprinés n’apparaissent plus, et les taux de fréquence des bovins et du porc s’inversent. Les vestiges issus des premiers constituent alors une écrasante majorité des restes (90,4 %). Leur composition anatomique et les séquelles qu’ils présentent laissent apparaître qu’ils proviennent essentiellement des différentes étapes du traitement boucher (préparation des carcasses, débitage des quartiers, décarnisation). Ces différentes observations permettent de reconnaître la vocation spécialisée de ces dépotoirs : recueillir les rejets encombrants de la boucherie bovine. Les animaux abattus sont quasiment tous adultes, souvent jeunes même si des individus de réforme âgés sont également présents. Cet ensemble faunique illustre ainsi une composante, visiblement importante, de la consommation carnée à cette période mais ne permet pas d’apprécier les participations respectives des différents taxons de la triade.
65Dans les dépotoirs de berge médiévaux (phases 12 et 13), bovins, caprinés et porcs sont toujours associés, et les écarts de fréquence qu’ils présentent n’atteignent jamais ceux rencontrés à la période antique. Dans les deux contextes du Moyen Âge, les restes des trois taxons sont des déchets de boucherie et de consommation proprement dite. Cependant, les premiers semblent primer chez les bovins au xive s. Une caractéristique commune aux trois groupes est l’absence ou le manque important des parties charnues, notamment le segment haut du membre postérieur, et cela pour les deux phases concernées. Ces morceaux ont pu faire l’objet de préparations différentes (salage, fumage…) ou bien, du fait de leur noblesse, avoir suivi d’autres circuits de consommation. Dans le dépotoir du xiie s., les participations des bovins, des caprinés (avec les espèces ovine et caprine reconnues) et du porc sont sensiblement équilibrées, les premiers étant légèrement dominants. Si l’abattage des bovins a porté essentiellement sur des animaux adultes, chez les caprinés et le porc adultes et juvéniles ont été mis à contribution. Bien plus réduites pour le xive s., les données semblent indiquer cependant que les restes de bovins sont majoritaires dans le dépotoir du niveau de berge.
7.2.4.2 Comparaisons
66Quelques comparaisons peuvent être effectuées avec des faunes locales sensiblement contemporaines aux différents ensembles échantillonnés sur notre site.
67La forte domination du porc et la très faible participation des caprinés dans l’occupation du iiie s. à Saint-Georges se retrouvent à Lyon dans les ensembles fauniques des iie-iiie s. de la place de la Bourse (Forest 1990) et de la place des Célestins (Forest 1993), ou encore dans les faunes du début du iiie s. mises au jour 83 rue de la République / 22-24 rue Bellecordière (Argant 1998), et de la fin du iiie s. trouvées à l’hôtel Gadagne (Argant 2000b). Toutefois, l’ensemble de la fin du iie s. et du iiie s. provenant des fouilles voisines, avenue Adolphe-Max (Columeau 1990), se démarque par une très importante représentation des restes bovins, reconnus principalement comme des déchets de boucherie dont une forte proportion illustre une pratique particulière : la découpe de la tête. Une composante bovine aussi élevée s’observe dans les mobiliers issus des deux lots de Saint-Georges de la fin du ive s. et du début du ve s. où les rejets concernent cette fois la quasi-totalité du squelette des animaux. Des dépôts massifs de restes bovins, datés des ive-ve s., sont présents sur le site tout proche de l’îlot Tramassac (Arbogast 1994). Toutes les étapes de la boucherie bovine y sont illustrées et s’exercent essentiellement sur des animaux jeunes adultes. Si on retrouve sur notre fouille une distribution anatomique des restes sensiblement identique à celle de l’îlot Tramassac (Rodet-Belarbi, Yvinec 1990), notamment pour les régions de la tête, du rachis et dans une certaine mesure pour les parties basses des pattes, les côtes y sont cependant nettement mieux représentées et les hauts des membres nettement lacunaires [fig.298]. Il semble ainsi que les deux dépotoirs de Saint-Georges ont essentiellement recueilli des déchets des tout premiers stades de la boucherie.

fig. 298 Comparaisons des distributions anatomiques des restes de bovins.
© D. Lalaï.
68De moindre ampleur que les ensembles précédents, celui recueilli dans l’assainissement des iiie-ive s. de la place des Célestins semble refléter une activité du même type. Parmi les faunes où les rejets sont des reliefs de consommation proprement dite, la place des bovins demeure bien sûr importante mais, par leur nombre de restes, les porcs occupent le premier rang. C’est le cas dans l’ensemble du ive s. de la place des Terreaux (Forest 1994b) et dans celui de la fin du ive s. de l’hôtel Gadagne. Enfin, il convient de noter que tous les assemblages fauniques considérés ci-dessus se caractérisent par une composante ovicaprine toujours très faible.
69Pour le xiie s., la faune correspondante de l’îlot Tramassac donne des éléments de comparaisons. Les participations équilibrées des taxons de la triade domestique y sont très proches de celles que nous avons observées, avec toujours un sensible retrait des caprinés mais une légère avance des bovins.
70Au xive s., un plus grand nombre de faunes locales est disponible pour comparaison, et présente des disparités quantitatives plus ou moins marquées. La prédominance des bovins et le recul des porcs rencontrés par notre fouille se retrouvent dans les ensembles issus des fosses des xiiie et xive s. place de la Bourse et 19-21 rue des Fossés-de-Trion (Lalaï 2003), et du puits du xive s. 83 rue de la République / 22-24 rue Bellecordière. Toutefois, aucune de ces faunes ne présente une primauté des bovins aussi accentuée qu’à Saint-Georges qui trouve peut-être son origine dans l’échantillonnage pratiqué, ou peut-être dans la nature particulière des rejets. Un trait commun à toutes ces occupations réside dans la nette remontée des caprinés qui deviennent, par leur nombre de restes, la deuxième composante domestique. Des variations apparaissent dans les faunes de sites plus éloignés : périurbain avec le dépôt du xive s. attenant à la maladrerie de Balmont, sur le boulevard périphérique nord lyonnais, à Vaise (Forest 1996), où les caprinés représentent le taxon prépondérant (consommation particulière liée à la nature de l’occupation ?), plus rural avec le petit ensemble faunique livré par les fosses des xiiie et xive s. d’Écully (Rhône), place de la Libération (Lalaï 2000), où, si l’on retrouve les bovins au premier rang, les caprinés demeurent très restreints. À l’exception de ce dernier exemple, qui s’appuie toutefois sur un faible corpus de données, il est indéniable qu’au xive s., à Lyon et dans ses environs, les caprinés apportent une importante contribution à la consommation carnée.
71Il ressort alors qu’à l’exception des dépotoirs des ive-ve s. qui renferment des restes spécialisés (boucherie bovine), toutes les autres occupations de Saint-Georges livrent des faunes dont la répartition respective correspond aux tendances alimentaires proposées pour les périodes antique et médiévale à Lyon et en d’autres sites urbains de Gaule (Forest 1994a ; Forest 2000) : une Antiquité qui se caractérise par une abondance des porcs et des bovins, et peu à très peu de caprinés, suivie par un Moyen Âge qui voit les caprinés de plus en plus présents et les trois taxons s’équilibrer.
72Les restes animaux que nous avons recueillis attestent que les abords de la rive droite de la Saône, à toutes les périodes considérées, ont servi de dépotoirs. Ils viennent ainsi conforter les observations effectuées pour l’Antiquité sur des sites voisins –notamment la présence d’importants rejets d’une activité de boucherie bovine aux ive-ve s.– et témoignent que cette vocation de dépotoir de la rive droite de la Saône perdure aux xiie et xive s. Comme cela est reconnu dans plusieurs agglomérations gallo-romaines (Rodet-Belarbi 2003), les déchets, très encombrants et facteurs de nuisances issus de la boucherie bovine, sont rejetés dans des lieux très divers : structures d’habitat abandonnées ou espaces naturels inhospitaliers. Il est manifeste que les abords insalubres de la Saône à ces époques, régulièrement sujets aux inondations, entrent dans cette dernière catégorie.
7.3 Les oiseaux
Vianney Forest
73À l’issue de l’analyse des vestiges d’oiseaux réalisée dans le cadre du rapport final de fouille, et qui portait sur des lots pertinents concernés par une approche paléoécologique commune de contextes bien stratifiés (Ayala 2005), nous avons choisi de focaliser la présentation sur les nombreux ossements livrés par les Us. 1356 et 1378 qui correspondent à la phase de fermeture de la Saône primitive au milieu du iiie s. ap. J.-C (phase 6).
74Le mobilier remis résultait du mélange des ramassages manuels directs effectués lors de la fouille et des tris de refus de tamisages qui avaient été pratiqués principalement à la maille minimale de 2 mm.
7.3.1 Méthodes d’étude
7.3.1.1 Ostéologie aviaire
75L’identification des taxons est beaucoup plus difficile chez les oiseaux que chez les mammifères. Les familles d’oiseaux sont nombreuses, et au sein des plus grandes familles les ressemblances ostéologiques sont assez fortes entre espèces, et même entre genres. Pour certains taxons, cette proximité morphologique se double d’une abondance d’espèces voisines. Suivant la taille de l’individu, les os de la poule se rapprochent par exemple de ceux d’autres galliformes tels le faisan de Colchide (Phasianus colchicus), la pintade (Numida meleagris), le paon (Pavo cristatus), le dindon (Meleagris gallopavo), le grand tétras (Tetrao urogallus), ou le tétras lyre (Lyrurus /Tetrao tetrix). Sans oublier que des poules naines peuvent être de taille proche de très grandes perdrix bartavelles (Alectoris græca).
76Face à un tel foisonnement, les connaissances biogéographiques et historiques constituent un premier fltre. Ainsi à Lyon, à l’époque romaine, le dindon peut être écarté puisque, originaire de l’Amérique centrale il n’est arrivé en Europe qu’au début du xvie s. et n’est attesté archéologiquement à Lyon que dans la seconde moitié de ce siècle (Forest et al. 1995). Mais d’autres espèces exotiques –tels le faisan de Colchide qui vient de la région de la Mer Caspienne, la pintade qui vient d’Afrique, ou le paon qui vient d’Inde– sont connues et élevées par les Romains. De même, si aujourd’hui les tétras sont confinés dans quelques habitats refuges, leurs aires d’extension étaient probablement bien plus larges sur le territoire gaulois, comme le suggère l’os de tétras lyre reconnu sur le site lyonnais de Cybèle (Forest 1999).
77Les mêmes difficultés d’identification spécifique pèsent sur les colombiformes, les ansériformes et les passériformes. Les premiers comptent actuellement trois espèces de pigeons, dont deux pratiquement indistinctes, le pigeon biset (Columbus livia) et le pigeon colombin (Columbus œnas), et deux espèces de tourterelles (Streptopelia sp.). Les espèces et les genres abondent dans les deux autres groupes. Une vingtaine d’espèces d’anatidés (canards au sens large des genres Anas, Brenta, Tadorna, Aythya, Mergus, Anser, Netta, etc.) peuvent avoir la même taille que le canard colvert (Anas platyrhynchos). Quant aux passériformes, il suffit d’énumérer merles, grives, moineaux, bergeronnettes, fauvettes, mésanges, pinsons, rossignols, étourneaux, alouettes, corbeaux, etc. pour imaginer l’océan des possibles.
78À tout ceci, il faut ajouter le surcroît de variabilité morphologique (notamment l’élargissement de l’éventail des dimensions) que peut éventuellement apporter la domestication d’une espèce. En période romaine, la domestication concerne l’oie, issue de l’oie cendrée (Anser anser), le(s) canard(s) (dont le principal est le canard colvert), et le pigeon (dérivé du pigeon biset) –encore qu’à notre connaissance aucun argumentaire biologique d’identification irréfragable les concernant n’ait été publié. De plus, comme très fréquemment en archéologie, un os ne permet pas à lui seul d’attribuer un caractère domestique ou sauvage à l’individu originel. Aussi faut-il recourir à d’autres voies d’approche lorsque deux formes de la même espèce se côtoient dans une région, comme c’est le cas des plus courantes : l’oie, le canard colvert et le pigeon. Des raisonnements indirects fondés sur les comparaisons des nombres de restes ou des fréquences d’apparitions ont été proposés pour le Moyen Âge en France (Forest, Rodet-Belarbi 2010) ou pour les canards et les oies en Grande-Bretagne (Albarella 2005).
79Peut-être parce qu’elle était peu représentée dans les gisements paléontologiques, l’ostéologie aviaire n’a pas développé de vastes études synthétiques comme pour les mammifères. Aussi n’existe-t-il pas, à notre connaissance, de système de clefs de détermination qui permette d’atteindre à coup sûr une espèce à partir d’un organe squelettique, à l’instar des systèmes très complets des flores en botanique.
80Certes des travaux existent (Stewart, Carrasquilla 1997)2 et sont à l’occasion mobilisés ici, mais ils se limitent généralement à certains groupes : les colombidés (Fick 1974), certains galliformes de grande taille (Erbersdobler 1968) ou de petite taille (Kraft 1972). Ces travaux sont parfois généralistes afin d’aiguiller vers certaines espèces courantes d’une zone géographique (Cohen, Serjeantson 1996). D’autres fois, ils sont extrêmement spécialisés, abordant par exemple le vaste groupe des passereaux à partir d’un seul organe comme la tête (Cuisin 1989) ou l’humérus –qui bénéficie d’une assez vaste littérature dont nous n’avons retenu que les ouvrages les plus récents (Jánossy 1983 ; Wójcik 2002)3.
81Par ailleurs, les spécialistes en ostéologie des oiseaux européens sont très rares. Ceux que nous connaissons ne peuvent assurer que leurs propres investigations.
82L’ostéologie aviaire consiste à s’assurer que chaque ossement est identique à celui d’un squelette de référence, et conjointement qu’il se différencie de ceux de toutes les espèces proches. Il faut pour cela disposer d’une collection de référence très volumineuse. En pratique, ce travail est extrêmement long puisqu’il revient à élaborer un système de clefs de détermination. Il relève d’un programme de recherche fondamentale qui ne saurait être mis en œuvre dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive. Nous avons donc adopté une démarche d’identification dont les principales étapes sont les suivantes :
rattacher chaque ossement aux grands types ostéologiques (qui regroupent les grands groupes : galliformes, ansériformes, passériformes…) à partir de notre collection personnelle et des travaux cités ;
établir la similitude morphologique la plus étroite possible avec une espèce de notre collection de référence ;
éliminer l’hypothèse d’autres espèces par la comparaison avec nos pièces de référence, à l’aide des études précédemment évoquées, et en recourant en cas de doute à une collection beaucoup plus riche, en l’occurrence celle du Muséum national d’histoire naturelle4 qui est une des mieux pourvues d’Europe en ce domaine ;
finalement procéder à une première approche systématique de certains taxons à partir de la collection du Muséum national d’histoire naturelle.
83Nous préciserons les modalités particulières d’étude lorsque nous aborderons chaque taxon.
7.3.1.2 Autres données
84Les ossements ont été comptés en nombre de restes (nr). L’estimation de l’abondance relative de chaque organe squelettique (ou d’une de ses parties) au sein d’un taxon s’appuie sur le nombre minimum d’organes (nmo), un « organe » étant équivalent à un « individu ». Il est calculé par comparaison au sein des petits échantillons, par fréquence au sein des grands échantillons, distinctement pour le côté gauche et le côté droit. Cependant, il n’acquiert de valeur utile qu’après une pondération qui consiste à diviser le nmo par le nombre théorique d’organes (p) dans un demi-squelette entier, afin d’obtenir un nombre minimum pondéré d’organes (nmop). Le plus grand des nmop est alors le nombre minimum de demi-squelettes, gauches ou droits, à l’origine des ossements. La somme de ces deux valeurs constitue le nombre minimum total de demi-squelettes, qui sert de référence pour calculer l’abondance relative de chaque organe squelettique (ou d’une de ses parties). L’utilisation du demi-squelette comme unité de décompte évite les difficultés de raisonnement qu’induit l’appariement entre éléments gauches et droits pour calculer le nombre minimum de squelettes entiers. Le taux pondéré de présence (tpp) d’un organe (ou d’une de ses parties) est défini comme le rapport de son nmop total (nmop gauche + nmop droit) à celui du nombre minimum de demi-squelettes (nmop gauche maximum + nmop droit maximum).
85L’analyse de l’âge des animaux repose sur deux classes, juvénile et adulte, définies à partir de la taille et de l’aspect des ossements, et quantifiées par le nmi de comparaison. Un os d’adulte se caractérise par une épiphysation des surfaces articulaires5 et par une matière osseuse dense. Un juvénile possède des os dont les surfaces articulaires ne sont pas épiphysées ou sont incomplètement dessinées, et dont la matière osseuse peu dense se remarque par un aspect superficiel poreux et mat.
86Les données ostéométriques ont été acquises selon les standards de mesures établis par Angela von den Driesch (1976) [tabl. lx].


tabl. lx Inventaire des organes squelettiques d’oiseaux (A.p. Anas platyrhynchos ; A. cr. Anas crecca ; A. cl. Anas clypeata ; Ay. Aythya sp.)
(jv juvénile ; e + ergot présent ; e - ergot absent ; dm + dépôt minéral présent ; dm - dépôt minéral absent ; p protubérance)
(Bb largeur basale maximale ; BF largeur basale articulaire ; Bp largeur proximale ; Bd largeur distale ; Dic largeur crâniale diagonale ; Dip largeur proximale diagonale ; Did largeur distale diagonale ; DiA diamètre
acétabulaire ; Dp épaisseur proximale ; Dd épaisseur distale ; DAP diamètre antéro˗postérieur ; GL grande longueur ; Lm longueur médiale ; Lp longueur articulaire proximale ; SC largeur minimale de la diaphyse ; - pas de mesure). Les dimensions sont données en mm.
7.3.2 Le milieu du iiie s.
871736 ossements ont été rapportés aux oiseaux, dont 96 % proviennent de la seule Us. 1356 [tabl. lxi]. Un nombre important d’ossements (40 %) n’a pu être attribué à un taxon : classés dans la catégorie « divers », ils sont répertoriés selon leurs dimensions [tabl. lxii]. Enfin, on trouvera recensés les nombres minimum d’individus [tabl. lxiii].

tabl. lxi Nombre de restes (nr) d’oiseaux par taxon et par lot, milieu du iiie s. (phase 6) (t. taille ; - aucun reste).

tabl. lxii Nombre de restes (nr) des ossements d’oiseaux non attribués spécifiquement par organe et par lot, milieu du iiie s. (phase 6) (f. forme ; - aucun reste).

tabl. lxiii Nombre minimum d’individus (nmi) d’oiseaux par taxon et par lot, milieu du iiie s. (phase 6) (t. taille ; - aucun individu).
7.3.2.1 Les animaux
La poule
88Nous avons porté notre attention sur la distinction entre la poule domestique6 et les galliformes –faisan, pintade, perdrix– dont les dimensions osseuses indiquent une corpulence proche. À l’exception de trois ossements (cf. infra, « Le faisan de Colchide »), 556 restes identifiés proviennent de la poule [tabl. lxi].
89Dix des 37 individus obtenus sont juvéniles, soit 27 % [tabl. lxiii]. Ce caractère est plus ou moins net : certains os sont très proches en taille de ceux d’adultes tandis que d’autres sont encore très mal formés, évoquant plutôt des animaux que l’on pourrait qualifier d’infantile (mais le stade poussin semble dépassé).
90Toutes les régions anatomiques sont représentées, en proportions diverses [tabl. lxiv‚ tabl. lxv ; fig. 299]. Les noms d’organes sont reportés sur un squelette de poule [fig. 300]. Au-delà des nombres de restes, les nmo révèlent la conservation relative des os. Chez les adultes, ceux de la ceinture thoracique (clavicule ou fourchette, scapula, coracoïde), sont les plus fréquents avec le sternum (bréchet) et le bassin. Au sein du membre pelvien, les tarsométatarses sont plus nombreux que les tibiotarses, eux-mêmes plus nombreux que les fémurs. L’aile est un peu moins fréquente avec l’avant-bras, dont le radius, comme partie la plus abondante. Les os de la tête et les vertèbres autres que lombo-sacrales, sont moins représentés, contrairement aux phalanges pelviennes. Cette hiérarchisation se retrouve chez les juvéniles avec toutefois une grande rareté des os de la tête, des vertèbres, du lombo-sacrum et des côtes. Quel que soit l’âge, la fragmentation osseuse est très variée : os entiers et portions se côtoient sans qu’apparaissent des zones de fractures constantes.

fig. 299 Répartition relative des organes squelettiques de poules adultes et juvéniles (Us. 1356).
© V. Forest, A. Dagand.

fig. 300 Inventaire des organes squelettiques d’oiseau (poule).
© V. Forest, A. Dagand.

tabl. lxiv Nombre de restes (nr) de poules par organe, par lot et par classe d’âge, milieu du iiie s. (- aucun reste ou trace).

tabl. lxv Nombre minimum d’organes (nmo) de poules (Us. 1356) (ad adulte ; jv juvénile ; p nombre d’organes dans un demi˗squelette ; NMOp nombre minimum pondéré d’organes ; TPp taux pondéré de présence d’un organe ; en italique référence à un squelette entier ; - aucun élément).
91La présence de femelles en période de ponte est attestée par des os dont la lumière est plus ou moins obturée par des dépôts minéraux (Driver 1982), soit une vingtaine de pièces. Ces femelles se retrouvent grâce aux tarsométatarses dépourvus d’ergot, au nombre de douze. Elles sont plus abondantes que les mâles dont restent cinq métatarses porteurs d’ergots bien formés7.
92Les dimensions des os sont extrêmement variables, de petites à très grandes [tabl. lxvi‚ tabl. lxvii ; fig. 301]. Alors que le dimorphisme sexuel est naturellement marqué dans cette espèce entre mâles, grands, et femelles, petites, l’échantillon de métatarses comporte un petit mâle8 et de grandes femelles [fig.302]. Cette observation va à l’encontre de la structuration d’un grand échantillon diachronique recueilli dans le Nord de la Gaule romaine au sein duquel il existe une séparation nette entre individus mâles et femelles (Lepetz 1995). En conséquence, dans le cadre d’une analyse de la répartition sexuelle des os de poule, nous ne pouvons suivre le principe ostéométrique énoncé par les archéozoologues travaillant dans cette région, à savoir qu’« il est donc possible d’effectuer la distinction entre les femelles et les mâles à partir de la seule longueur des os » (Clavel et al. 1997 : 4)9.

tabl. lxvi Quelques dimensions osseuses de poule en plusieurs contextes de fouille : Lyon, Gadagne (Argant 2001) ; Lyon, Cybèle (Forest, étude en cours) ; Nord (Lepetz 1995) et Lyon, Saint˗Georges (Us. 1356) (GL grande longueur ; e- ergot absent [femelle] ; e+ ergot présent [mâle] ; p protubérance osseuse en lieu d’ergot [sexe ?] ; f femelle ; m mâle ; c mâle castré ou chapon ; NR nombre de restes ; - aucun élément). Exemple de lecture : 2 coracoïdes de Saint-Georges mesurent entre 48 mm (inclus) et 50 mm (exclus) de long.

tabl. lxvii Quelques dimensions osseuses de poule en plusieurs contextes de fouille : Lyon Gadagne, Lyon Chambonnet (Argant 2001) ; Lyon Cybèle (Forest, étude en cours) ; Nord (Lepetz 1995) et Lyon, Saint˗Georges (Us. 1356) (Bp largeur de l’extrêmité proximale ; e - ergot absent [femelle] ; e + ergot présent [mâle] ; p protubérance osseuse en lieu d’ergot [sexe ?] ; f femelle ; m mâle ; c mâle castré ou chapon ; NR nombre de restes ; - aucun élément). Exemple de lecture : la largeur de l’extrêmité proximale de 3 coracoïdes de Lyon Gadagne mesure entre 11 mm (inclus) et 13 mm (exclus).

fig. 301 Dimensions des tarsométatarses sexés de poules (Us. 1356).
© V. Forest.

fig. 302 Tarsométatarses de poules adultes : 2 mâles (?) porteurs d’ergot, 3 femelles dépourvues d’ergot.
© V. Forest.
93Les ossements portent peu de marques. Les traces de dents de détritivores (rongeurs, carnivores) sont inexistantes. Quelques os ont été carbonisés ponctuellement, c’est notamment le cas de l’extrémité proximale d’une scapula. Des stries de couteau apparaissent çà et là, sans grande régularité, à l’exception de celles qui affectent les reliefs de la fosse crâniale de l’extrémité distale du tibiotarse (dix des douze traces observées). Dans ces cas, lors de la désarticulation entre la jambe (le pilon) et le pied (la patte), le couteau aurait sectionné les éléments tendineux qui solidarisent le tibiotarse et le tarsométatarse.
94Trois os présentent des déformations. La diaphyse d’un radius porte un cal de fracture qui a figé les deux abouts avec un léger décalage axial. Le diamètre de la diaphyse d’un second radius est augmenté suite à une déformation de la paroi osseuse, sans que l’origine de cette lésion soit identifiée. Enfin la texture de l’extrémité distale d’un tarsométatarse de mâle, sous l’ergot, est très remaniée. L’absence des trois trochlées suggère une cassure non consolidée.
Le faisan de Colchide (Phasianus colchicus)
95Deux extrémités proximales de coracoïdes et une extrémité proximale de scapula ont été attribuées à cette espèce10. Ils répondent aux critères proposés par Katrin Erbersdobler (1968) et à d’autres indices repérés à partir de nos exemplaires personnels et de ceux du Muséum national d’histoire naturelle. Parmi ces derniers, nous mentionnerons plus spécialement les aspects de la face caudale du coracoïde et de la moitié crâniale de la scapula. Sur la première, l’arête qui part distalement du processus scapularis va rejoindre caudalement un relief allongé crânio-distalement auquel se résume la largeur de la face caudale à mi-diaphyse [fig.303]. Chez la poule, l’arête ne dépasse pas le tiers de la largeur et borde ainsi une nette surface plane sur la face caudale. La moitié crâniale de la scapula offre plusieurs repères de distinction. Le bord convexe au contact de l’extrémité articulaire est aigu chez la poule, large chez le faisan. Le bord concave jusqu’à la petite saillie est plutôt arrondi chez le faisan, plutôt plan chez la poule [fig.304 : a]. Chez celle-ci, la crête de la petite saillie se prolonge caudalement sur la face convexe par une ligne ténue qui rejoint peu ou prou une rupture de plan crânio-caudale de la convexité [fig. 304 : b].

fig. 303 Coracoïde, face caudale. centre coracoïdes gauche et droit de faisan ; à gauche et à droite coracoïdes gauche et droit de poule.
© V. Forest.

fig. 304 a Scapula gauche, bord concave : à gauche la poule, à droite le faisan ; b scapula gauche, face convexe : à gauche la poule, à droite le faisan.
© V. Forest.
Les petits galliformes
96On entend par petits galliformes les perdrix (Alectoris sp. et Perdix perdix) et la gélinotte des bois (Tetrastes bonasia). Un tarsométatarse et une extrémité proximale d’humérus sont morphologiquement comparables à celles d’une perdrix grise (Perdix perdix). De plus, le premier en possède les caractéristiques ostéométriques (Kraft 1972). Une fibula n’a pu être rattachée à une de ces trois espèces.
Les ansériformes
97Au sein de cet ensemble de 38 restes [tabl. lxi], les dimensions osseuses permettent un premier tri. Cinq groupes apparaissent alors. Classés selon leur corpulence décroissante, ils s’apparentent à l’oie cendrée (Anser anser), au canard colvert (Anas platyrhynchos), au canard souchet (Anas clypeata), à la sarcelle d’hiver (Anas crecca), et à un canard plus petit que la sarcelle.
98Compte tenu du grand nombre d’espèces voisines, il est difficile d’aller plus avant dans la détermination. Tout au plus, d’après la fréquence des espèces, pouvons-nous retenir comme vraisemblable la présence de l’oie cendrée et du canard colvert sans qu’il soit possible de se prononcer d’après les ossements sur leur nature domestique ou sauvage. Un fémur entier a donné l’occasion de procéder à une différentiation la plus exhaustive possible des genres d’anatidés de taille proche du canard colvert11 à partir des collections du Muséum national d’histoire naturelle. Il proviendrait du genre Aythya et plutôt de l’espèce Aythya ferina, le fuligule milouin, canard plongeur de taille moyenne (Peterson et al. 1984).
99Tous les individus sont adultes. Les principales régions du squelette ont été retrouvées, à l’exclusion du crâne, probablement de la colonne vertébrale, des côtes et des pattes [tabl. lxviii]. Les organes sont entiers ou brisés.

tabl. lxviii Nombre de restes (nr) par organe et par lot des principaux taxons autres que la poule et les passériformes, milieu du iiie s. (phase 6) (ad adulte ; jv juvénile ; - aucun reste ou trace).
100Une extrémité distale de tibiotarse d’un individu de la taille du canard colvert est brûlée au point d’avoir pris une teinte blanche. Le relief articulaire médian d’un tarsométatarse d’un canard de même taille porte une strie de couteau sur sa face latérale.
La bécasse des bois (Scolopax rusticola)
101Par sa grande taille, ce scolopacidé s’individualise fortement au sein de sa famille. Seuls les ossements de quelques espèces ressemblent exceptionnellement aux siens. Aussi, la forte similitude entre les vingt os observés et nos échantillons référentiels permet de les considérer comme issus de la bécasse des bois. L’une des trois extrémités distales de tibiotarses trouvés dans l’Us. 1356 portait de fins lisérés osseux prolifératifs qui surlignaient les surfaces articulaires. Les animaux originels sont adultes [tabl. lxiii]. Seuls certains organes squelettiques apparaissent [tabl. lxviii]. Dans l’Us. 1378, un os carpal ulnaire est marqué d’une strie de couteau.
Le râle d’eau (Rallus aquaticus)
102Une diaphyse de coracoïde a permis d’appliquer la même procédure que pour le fémur de fuligule milouin. Parmi les espèces de rallidés observées12, le râle d’eau est la seule espèce originelle possible, tant par la morphologie que par la corpulence.
Les pigeons (Columba sp.)
103Les 42 os de colombiformes se rapportent à ce genre. Les dimensions plutôt petites des os d’adultes écartent la présence des grandes palombes (Columba palumbus) (Fick 1974). Le pigeon biset (Columba livia) ou le pigeon colombin (Columba œnas) sont les espèces probables. De plus, s’il s’agit du premier, la forme domestique ou sauvage du premier ne peut être précisée.
104Les os d’individus juvéniles sont presque aussi nombreux que ceux d’adultes (respectivement 18 et 23) [tabl. lxviii], soit cinq juvéniles pour quatre adultes, ce qui est un rapport assez exceptionnel pour une espèce sauvage. Certaines régions anatomiques sont absentes : la tête, la colonne vertébrale, le bassin et probablement les côtes. Un couteau a coupé parasagittalement un sternum de juvénile.
Les passériformes
105Le très grand nombre de familles, plus d’une vingtaine, et en conséquence le plus grand nombre d’espèces au sein de ce taxon, rend les identifications extrêmement délicates. Néanmoins, l’important volume de l’échantillon osseux, 377 restes [tabl. lxi] pour un minimum de 35 individus tous adultes [tabl. lxiii], nous a encouragé à tenter d’en reconnaître les principaux taxons par une observation visuelle directe [tabl. lxix].

tabl. lxix Nombre de restes (nr) par organe et par lot des passériformes, milieu du iiie s. (phase 6) (- ni reste ni trace).
106Une approche ostéométrique initiale a montré que les plus grands os atteignent la taille moyenne du groupe des grives et des merles (genre Turdus). En appliquant la variabilité maximale13 des mesures au sein des différents organes – parfois de plus de 100 % comme pour la largeur de l’extrémité distale du tarsométatarse (de 1,9 à 4,3 mm) – et en la reliant grossièrement aux longueurs du corps ou de l’envergure (Peterson et al. 1984), il ressort que les plus petits oiseaux sont des espèces assez menues. Les moineaux (Passer sp.) correspondraient à la médiane de cet échantillon. Sont absents les grands passériformes comme la pie (Pica pica), le geai (Garrulus glandarius), et les corvidés : corneille (Corvus corone), corbeau freux (Corvus frugilegus), grand corbeau (Corvus corax), etc.
107Par leurs dimensions, la très grande majorité des vestiges s’inscrit entre le groupe des grives et des merles, et celui des formes proches des moineaux. Nous avons ainsi restreint nos observations comparatives aux familles dont des espèces appartiennent à cet intervalle dimensionnel. Deux os étaient très caractéristiques des différentes familles concernées : la mandibule par son condyle [fig. 305] et son répondant fonctionnel, l’os carré [fig. 306]. Les turdidés, grives et merles, et les sturnidés, étourneaux14, livrent la majorité des organes, respectivement 16 et 11 [tabl. lxx]. Les restes de passéridés (moineaux et autres) sont moins nombreux (7), tout comme ceux des alaudidés (3 alouettes). Les coracoïdes et les tarsométatarses peuvent contribuer à reconnaître ces familles, avec moins de certitude cependant. Les coracoïdes sont tous apparus de type turdidés tandis que les tarsométatarses appartiennent à diverses familles15. Les os plus petits encore sont susceptibles de provenir de nombreuses familles et espèces : turdidés (rossignols, traquets…), petits passéridés, petits alaudidés, sylviidés (fauvettes), paridés (mésanges…), motacillidés (bergeronnettes…), etc.

tabl. lxx Nombre minimum d’organes discriminants par taxon chez les passériformes (Us. 1356) (f. forme ; - aucun organe).

tabl. lxxi Nombre minimum d’organes (nmo) de passériformes (Us. 1356) (p nombre d’organes dans un demi˗squelette ; NMOp nombre minimum pondéré d’organes ; TPp taux pondéré de présence d’un organe ; en italique référence à un squelette entier ; - aucun élément).

fig. 305 Condyle mandibulaire gauche de passériformes : de gauche à droite Turdus, Sturnus, Passer.
© v. Forest.

fig. 306 Os carré gauche de passériformes : de gauche à droite Turdus, Sturnus, Passer.
© v. Forest.
108Parmi les 377 restes, tous les os des squelettes n’ont pas été retrouvés [tabl. lxxi]. Il manque la plupart des vertèbres, les côtes mais aussi des os volumineux tel le coxal, ou solides tel le lombo-sacrum et le fémur. Par ailleurs, si certains os, notamment le coracoïde et le tarsométatarse, apparaissent fréquemment brisés du fait probablement de leur grande fragilité, d’autres tels l’humérus, l’ulna et le tibiotarse semblent avoir été intentionnellement cassés. En effet, l’extrémité proximale du premier, et de manière encore plus marquée, les extrémités distales de la deuxième et du troisième, sont plus abondantes que les autres zones [fig.307]. Il est possible de faire correspondre ces zones avec les fréquences hautes des zones adjacentes, ceinture thoracique (scapula, coracoïde, clavicule) et sternum pour l’extrémité proximale d’humérus, bout de l’aile (carpométacarpe) pour l’extrémité distale de l’ulna. Symétriquement la rareté de la cuisse (fémur) correspond à celle de l’extrémité proximale du tibiotarse. Le bord distal d’une portion de diaphyse de tibiotarse et une extrémité distale de tarsométatarse (Us. 1378) sont légèrement carbonisés.

fig. 307 Répartition relative des organes squelettiques de passériformes (Us. 1356).
© v. Forest, A. Dagand.
7.3.2.2 Restes indéterminés
109Une première catégorie d’indéterminés regroupe les ossements identifiés en tant qu’organes mais non attribués à un taxon précis, soit par impossibilité16, soit par manque de temps [tabl. lxxii]. Ce sont principalement les vertèbres autres qu’atlas, axis et sacrum, les côtes et les phalanges pelviennes. Parmi les vertèbres qui semblent se rapporter principalement à la poule par les dimensions, les plus nombreuses sont les cervicales. Les côtes, parmi lesquelles se rencontrent aussi bien des segments dorsaux que ventraux, semblent appartenir majoritairement à la poule. Les phalanges pelviennes dont les distales (« griffes ») se répartiraient davantage entre tous les taxons. Certaines premières phalanges rappellent celles de la bécasse tandis que d’autres issues de juvéniles évoquent les pigeons. Toutefois, la grande majorité d’entre elles provient de la poule et des passériformes. Quelques phalanges postérieures sont brûlées, deux carbonisées (de couleur noire), une de couleur blanche.

tabl. lxxii Comparaison entre lots osseux d’oiseaux dans les sites antiques de Lyon et hors région selon le nombre de restes (nr) ou le nombre minimum d’individus (nmi). Chaque nr d’un taxon est comparé individuellement à celui, référentiel, de la poule : Lyon Souvenir (Forest en cours) ; Lyon (Argant 2001) ; Saint-Romain de Jalionas (Forest 1998) ; Paris, Meaux (Lepetz, Oueslati 2003) (f. forme ; + présence ; - aucun élément).
110La seconde catégorie contient tous les débris et fragments que nous n’avons pas pu attribuer à un organe squelettique. Ils sont relativement peu nombreux par rapport au total des déterminés, peut-être parce que le tri en amont n’a retenu que les pièces considérées comme pouvant être déterminées à l’aide d’une particularité morphologique.
7.3.3 Interprétations des restes
111Bien que les traces directes d’origine humaine (outils tranchants, cassures systématisées, brûlures) soient assez rares, le spectre faunique fondé principalement sur la poule suggère que les ossements sont des déchets de consommation.
112Si par ailleurs les grandes espèces (oies, canards, râle d’eau, voire bécasse) potentiellement sauvages sont bien des animaux hydrophiles, elles sont trop faiblement représentées – du point de vue de la quantité autant que de la diversité –pour que leurs vestiges puissent être considérés comme provenant d’animaux morts en milieu naturel. Ceci est confrmé par l’abondance des vestiges de passériformes, dont les représentants identifiés ne sont pas de grands amateurs des milieux aquatiques (telles les berges d’une rivière). À quelques exceptions près sans doute, les oiseaux dont les vestiges sont présents dans les différentes couches et en particulier dans l’Us. 1356 ne peuvent avoir été naturellement piégés ; ils ont été capturés, tués puis consommés.
113Il n’est guère possible de statuer sur les étapes du processus alimentaire dont proviennent ces déchets. Chez la poule, toutes les parties sont traditionnellement consommées17, si bien que la notion de déchets de préparation n’existe pas. Tout au plus, la relative pauvreté en restes crâniens et vertébraux autres que lombo-sacraux, permet de supposer qu’après leur partage les diverses parties corps ont connu des parcours distincts : têtes, cous et thorax n’ont pas été rejetés aux mêmes endroits que les autres organes. Par ailleurs, la destruction fréquente, quoique irrégulière, des os longs suggère que les restes de cette espèce sont majoritairement composés de déchets d’assiette. La même hypothèse peut s’appliquer aux vestiges d’oies, de canards, de bécasse, de perdrix, de faisan.
114Pour les passériformes, il en va différemment. En effet, la rareté des humérus, des bassins, des fémurs et des parties proximales des ulnas et des tibiotarses, plaide pour une conservation des parties les plus charnues de ces petits oiseaux alors que les parties « sèches », tête, extrémités des ailes et des pattes, ont été abandonnées. Pour ce taxon, l’hypothèse est plutôt celle d’un rejet de préparation. Les vestiges de sternum et de ceinture scapulaire (coracoïde, clavicule, scapula) auxquels peuvent être ajoutées les quelques extrémités proximales d’humérus, ne sont pourtant pas dénués de muscles, notamment les muscles pectoraux (blanc de volaille). Toutefois, une manipulation précise peut permettre de retirer les muscles de cette région anatomique en même temps que le bras de l’aile, sans emporter les rayons osseux qui la supportent comme il est fait lors de la découpe d’une poule pour l’obtention de l’« aile », qui peut associer l’aile proprement dite à la masse des muscles pectoraux, le « blanc ». Dans ce cas, les vestiges de cette région seraient eux aussi des rejets de préparation.
7.3.3.1 Consommation des oiseaux au iiie s.
115En masse de viande, la poule fournit l’essentiel de l’approvisionnement carné d’origine aviaire. Viennent ensuite les espèces sauvages de taille voisine (oie, canards, bécasse). Mais la véritable diversité alimentaire est majoritairement assurée par une multitude de petits passériformes.
116Les traces d’échauffement étant très rares, la cuisson par rôtissage ne semble pas la plus courante.
117Concernant les passériformes, il n’est guère possible de décrire le sort qui fut réservé aux viandes des régions manquantes. Leur découpe laisse supposer un apprêt soit pour un plat de nature aqueuse (bouillons, ragoûts, etc.), soit pour des grillades dont aucun témoignage ostéologique net ne nous est parvenu. En tout cas, l’observation du partage des carcasses complète notre connaissance des recettes romaines où entrent ces petits oiseaux, puisqu’à l’exception d’excentricités comme les « plats de langues de rossignol » que commandait l’empereur Elagabal (André 1981 : 125), ces recettes ne détaillent pas la manière dont étaient préparés les animaux (André 1981).
7.3.3.2 Élevage et chasse
118La poule est la seule espèce dont le caractère domestique est assuré. Les tarsométatarses montrent qu’il existe toute une gamme d’individus aussi bien mâles que femelles dont les dimensions se confondent (un continuum semble exister entre grandes et petites femelles). Dans ces conditions, il n’est pas possible de déterminer l’existence de morphotypes osseux nettement séparés, et en conséquence de « races » fondées sur des différences de taille. Peut-être faut-il y voir une matérialisation de la coexistence des divers types de poule connus des Romains (André 1981 : 127) ?
119Aucun indice morphologique osseux ne permet de nous prononcer sur la nature domestique des oies et des canards de type colvert. Néanmoins, le contexte de découverte apporte quelques éléments de réflexion. En effet, la présence de petits canards, de bécasse et de perdrix en nombre d’individus équivalents à celui des oies et des colverts tend à indiquer que ces individus aussi sont sauvages. Au contraire, la coexistence de pigeons adultes et juvéniles pourrait signaler l’élevage de ces animaux. Toutefois, le pigeon biset et le pigeon colombin pouvant être sédentaires dans la région Rhône-Alpes (Peterson et al. 1984), la capture de jeunes opérée en milieu sauvage ne doit pas être exclue.
120Plus étonnante est la présence du faisan. Espèce originaire de la région de la mer Caspienne en Asie, elle est connue des Romains. Néanmoins, alors que le paon, l’oie, le(s) canard(s) ou encore la pintade, sont des espèces nettement perçues auxquelles sont réservées des lignes précises dans les traités d’agronomie, le faisan n’est mentionné qu’incidemment dans ces ouvrages18. Peut-être cette espèce n’est-elle pas totalement distinguée de la poule, puisque le croisement entre elles deux serait viable19. Mais nous ne savons pas quand a commencé sa réelle implantation locale en liberté, comme actuellement, où cependant il faut réintroduire régulièrement des individus dans le cadre des activités cynégétiques.
121Globalement, le faible nombre d’individus d’espèces, sauvages ou non, de grande ou moyenne taille (oies, canards, perdrix, pigeons, râle d’eau) ne laisse pas supposer une recherche très active de ces espèces. En revanche, l’abondance des petits passériformes évoque des captures à l’aide de pièges. Les volières des villas romaines sont une autre source d’approvisionnement massif en oiseaux.
7.3.3.3 Comparaisons
122Aux résultats d’études sur un lot osseux de La Tène finale à Lyon, rue du Souvenir (Forest, étude en cours), sur les lots osseux romains de Lyon classés par périodes chronologiques (Argant 2001) et sur la globalité des vestiges de la villa romaine du Vernai à Saint-Romain de Jalionas (Isère) (Forest 1998), voisine de Lyon, ont été réunis ceux des fouilles de Paris et de Meaux (Lepetz, Oueslati 2003) [tabl. lxxii]. D’un point de vue chronologique, aucune évolution sensible de la consommation des oiseaux n’est décelable à partir de cet échantillon.
123Quelques taxons sont communs à toutes les études : la poule, les pigeons, les passériformes et à un degré moindre les oies et les canards. Moins fréquentes sont les perdrix et la bécasse. Nous ne détaillerons pas les autres espèces, assez anecdotiques en nombres de restes.
124Dans tous les sites, à l’exception de Paris et de Meaux où elle est dépassée par l’oie, la poule est le taxon le plus pourvoyeur en vestiges. Au Parc Saint-Georges, les passériformes sont une source volumineuse d’ossements, mais cette abondance s’explique fort probablement par la réalisation de tamisages. En prenant les nombres de restes de poule comme valeur de référence à laquelle nous comparons isolément chaque autre taxon, il ressort que seule l’oie et le canard colvert peuvent être relativement abondants, plus de 16 % par rapport à la poule, à Lyon autour du changement d’ère, à Paris et à Meaux. Néanmoins, sur ces deux derniers, sites les proportions du canard colvert, 16 et 17 %, n’atteignent jamais celles de l’oie, 61 et 64 %. Au contraire, les autres espèces, même fréquentes comme les pigeons, n’atteignent pas les 10 %.
125À la lumière de cette comparaison, le statut de certaines espèces peut être réexaminé. L’abondance des vestiges d’oie à Paris et à Meaux20, du même ordre que la poule, plaide pour sa domestication. Qu’en est-il des oies, des canards et des pigeons au Parc Saint-Georges ? Leur nombre de vestiges ne se distinguant pas de celui d’une espèce assurément sauvage comme la bécasse, on ne saurait les affirmer domestiques. Les préférences gustatives peuvent également être responsables de ces faibles quantités : d’après Jacques André (1981 : 130) le canard semble peu prisé dans le monde romain. Mais les données datées du tournant du ier s. ap. J.-C. à Lyon, et celles de Paris et Meaux, montrent le contraire. Les pratiques alimentaires à l’égard des oiseaux changeraient suivant les régions, voire au cours des siècles. En conséquence, nous préférons pour l’instant ne pas trancher entre les caractères domestique et sauvage des oies, des canards et des pigeons au Parc Saint-Georges.
126À notre connaissance, la présence du faisan est une première archéozoologique en Gaule romaine, si on excepte un os découvert à Augst en Suisse (Audoin-Rouzeau 1993)21. Les faits relatés par Jacques André (1981) suggèrent que cette espèce s’est plutôt implantée à partir des iie et iiie s. ap. J.-C. De fait, le dépôt lyonnais du Parc Saint-Georges s’est constitué au cours du iiie s.
127De même, l’attention portée aux vestiges de passériformes a permis de mettre au jour plusieurs familles que jusqu’à ce jour nous regroupions, à l’instar de nombreux auteurs, sous les appellations « Turdus » ou « turdidés », qui suggèrent la seule présence de grives et de merles. La consommation des étourneaux et des alouettes est ainsi clairement affichée, contrairement à ce qu’indique le corpus général des découvertes. D’après Marie-Christine Marinval (2002 : 75) en effet, les étourneaux apparaissent très peu, toutes périodes confondues. Deux mentions seulement sont médiévales et trois romaines, une en France à la villa de Montmaurin (Aquitaine) au ive s. ap. J.-C. et deux en Suisse. On retrouve cependant les étourneaux sur le site de la place d’Assas à Nîmes (Gard) sous la forme de plusieurs os (crâne, coracoïde, humérus, tarsométatarse) (Forest 2006). Les alouettes n’ont été reconnues à ce jour que sur deux sites médiévaux.
128Concernant la corpulence des poules, une forte variabilité s’observe à Lyon dès le début du ier s. ap. J.-C., par exemple sur les sites de Chambonnet (Argant 2001) et de Cybèle (Forest, étude en cours), tandis que dans le Nord de la Gaule un accroissement semble se dessiner seulement à partir de la fin du iers. ap. J.-C. [tabl. lxvi‚ tabl. lxvii]. Les plus grands animaux sont ensuite absents au ive s. sur le site de Gadagne (Argant 2001).
7.3.4 Conclusion
129L’étude des vestiges osseux d’oiseaux du site du Parc Saint-Georges n’a pas donné les informations d’ordre écologique que nous aurions pu attendre dans un contexte de bord de rivière. En revanche, elle livre de précieuses informations sur un aspect alimentaire des mœurs romaines du milieu du iiie s. encore peu exploré par l’archéozoologie.
130La pratique du tamisage a permis d’étudier la consommation des petits passériformes et de mettre en évidence leur préparation particulière qui consiste à éliminer les extrémités des ailes, la partie crânio-ventrale de la cage thoracique et les bas-de-patte. Au sein des passériformes, plusieurs familles ont été identifiées aux côtés des habituels grives et merles, notamment les étourneaux et les alouettes.
131La poule –qui présente une grande diversité de taille aussi bien chez les femelles que chez les mâles qu’on ne retrouve pas dans le Nord de la Gaule– est l’espèce reine de cet approvisionnement carné aviaire. D’autres espèces permettent de diversifier quelque peu ce régime : des passériformes comme on l’a vu, qui ne fournissent toutefois pas une grande masse de viande, et autres espèces fréquentes à l’époque romaine : oies, canards, pigeons, bécasse, perdrix. À l’exclusion de la bécasse, des perdrix, et de certains canards, il n’est pas possible de préciser la source de cet approvisionnement : élevage de formes domestiques ou captivité (permanente ou temporaire) de formes sauvages, capture de formes sauvages.
132Enfin, deux oiseaux très rarement identifiés sur les sites romains de Gaule apparaissent à Saint-Georges : l’un exotique, le faisan de Colchide, l’autre local, l’étourneau.
7.4 Les coquillages
133Les vestiges de mollusques sont peu abondants : dix valves de bivalves dans l’Us. gallo-romaine 1356, et une dans l’Us. médiévale 1471. Quatre espèces sont représentées. L’huître plate d’Europe (Ostrea edulis), a fourni quatre valves gauches, sept droites et un fragment de zone sommitale d’une valve non latéralisée. Deux valves gauches sont accolées l’une à l’autre. La forme des valves droites est assez régulière, piriforme. Un fragment de valve non latéralisé se rapporte à la bucarde tuberculée (Rudicardium tuberculatum). Enfin, un fragment de bord antéro-ventral de valve droite est issu d’Estonia rugosa, mactridé qui vit aujourd’hui sur les côtes méditerranéennes du Maghreb et du Sud de l’Espagne et de la Sicile (Poutiers 1987), du Portugal au Sénégal en Atlantique (Granier, Penez 1982-1984). À côté de ces bivalves marins, l’Us. 1471 a livré la valve gauche d’un bivalve dulçaquicole, la mulette, du genre Unio ; sa morphologie se rapproche de celle de l’espèce crassus (Pfleger 1989 ; Vrignaud 2004).
134Seule l’huître peut être résolument attribuée à la consommation. Les deux autres fragments de valves marines peuvent simplement avoir accompagné le lot d’huîtres. La valve d’Estonia rugosa témoignerait soit d’une extension plus grande de cette espèce à l’époque romaine, notamment sur les rivages septentrionaux de la Méditerranée occidentale, soit de l’arrivée à Lyon de produits (dont les huîtres) venus de la partie sud de ce bassin maritime.
135Les mulettes sont des hôtes autochtones des cours d’eau européens. La valve retrouvée peut être le reste d’un animal mort naturellement dans la Saône.
Notes de bas de page
1 Détermination par Vianney Forest lors de la consultation de la collection d’ostéologie du Muséum national d’histoire naturelle.
2 Je remercie Aurélia Borvon, Alexandre Bournery et Isabelle Rodet-Belarbi pour leur aide décisive dans la constitution de cette bibliographie.
3 L’important travail d’Eulalia Moreno sur certaines familles de passereaux s’est avéré impropre à notre approche par un défaut de critères concernant les organes rencontrés sur le site.
4 Je remercie ici les responsables de ces collections pour leur accueil toujours bienveillant.
5 Le vocable simplificateur « épiphysation » correspond à la soudure d’une extrémité d’os, l’épiphyse (généralement une extrémité articulaire chez les os longs) issue d’un noyau d’ossification autonome, au corps principal de l’os (la diaphyse chez les os longs).
6 Nous désignerons l’espèce Gallus gallus domesticus par le mot « poule » qui, sauf mention particulière, n’indique pas le sexe de l’individu.
7 Certains tarsométatarses portent une boursouflure osseuse, que nous avons appelée « protubérance », à l’emplacement de la base de l’ergot. L’attribution sexuelle de ce type de relief donne lieu à des interprétations assez variées (mâles castrés ou chapons, femelles âgées…) sur lesquelles nous ne nous attarderons pas, à défaut de connaître une étude biologique approfondie sur ce sujet. Nous avons donc préféré ne pas inclure ces pièces parmi les dénombrements ici présentés. Il convient en outre de mentionner un spécimen d’aspect similaire au premier abord, dont la boursouflure résulte en réalité de la cassure de la base d’un ergot bien développé.
8 D’après les recherches dirigées par Bea De Cupere, des petits tarsométatarses pourvus d’ergot de morphologie « mâle » (De Cupere et al. 2005 : 1584, fig. 8), présentent un léger dépôt minéral dans la lumière de l’os (De Cupere et al. 2005 : 1592), à l’instar des os de femelles en période de ponte. En conséquence, les auteurs attribuent ces os à des femelles. Toutefois ils n’avancent aucune étude pour exclure l’hypothèse que des dépôts minéraux « légers » puissent se réaliser chez les mâles dans des conditions physiologiques anormales.
9 Notre observation n’est pas isolée. Elle se retrouve sur les autres sites lyonnais et sur celui du parc de stationnement Esquirol de Toulouse (Rodet-Belarbi 1995).
10 Les autres faisans connus actuellement en Europe, tels le faisan doré (Chrysolophus pictus) et le faisan de Hamherst (Chrysolophus amherstiæ), sont originaires de Chine (Peterson et al. 1984). Leur présence en Europe est très improbable à l’époque romaine.
11 Les genres Anas, Aythya, Melanitta, Mergus, Tadorna, Netta, Branta.
12 Foulque macroule (Fulicula atra), râle des genêts (Crex crex), marouette ponctuée (Porzana porzana), gallinule poule-d’eau (Gallinula chloropus).
13 La variabilité maximale d’une mesure est définie par la relation suivante : (valeur maximale – valeur minimale) / valeur minimale x 100 (Guintard 1998).
14 Les deux espèces ouest-européennes du genre Sturnus nous ont semblé présentes : Sturnus vulgaris, (étourneau sansonnet) et Sturnus unicolor (étourneau unicolore).
15 Un des tarsométatarses entiers se rapprochait beaucoup de celui de Turdus philomelos (grive musicienne) et un second de Turdus iliacus (grive mauvis).
16 Certains d’entre eux devraient pouvoir être identifiés lors de la consultation minutieuse d’une grande collection de référence.
17 Précisons ici que d’après plusieurs témoignages oraux que nous avons recueillis les pattes de poule sont consommées telles quelles, bouillies ou grillées, ou encore participent à la confection de bouillons et de soupe au cours du xxe s., notamment dans le Beaujolais et le Lyonnais.
18 Nous n’entrerons pas ici dans une analyse détaillée de nos lectures concernant le faisan chez Aristote, Varron, Pline et Columelle. Nos réflexions rejoignent celles de Jacques André (1981)
19 Il est à noter que « le faisan de chasse de nos régions provient du mélange de diverses races de l’espèce type du groupe Phasianus colchicus, répandue dans une grande partie de l’Asie » (Larousse encyclopédique, 1970, article « faisan »)
20 Pour ces deux sites, oies, canards colverts et pigeons bisets sont présentés comme domestiques (Lepetz, Oueslati 2003), sans que les critères ayant permis d’aboutir à cette qualification soient exposés.
21 Ce taxon n’est pas mentionné par Lepetz et Yvinec (2002) parmi les espèces animales importées en France du Nord aux périodes romaine et médiévale. Dans une récapitulation bibliographique, Marie-Christine Marinval (2002 : 72-73) évoque seulement quelques découvertes issues du Moyen Âge. Depuis la rédaction de cette note nous avons trouvé une nouvelle scapula sur le site de la villa Roma de Narbonne dans une couche des ive-ve s. (Forest 2007).
Auteurs
Inrap Méditerranée, UMR 5608 « Travaux et recherches archéologiques, sur les cultures, les espaces et les sociétés ».
Inrap Rhône-Alpes – Auvergne.
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