1 Ainsi le débat ouvert pendant quelques semaines en juin-juillet 2016, sur le site Academia.edu, par Gary Campbell et Laurajane Smith autour du texte leur communication au 3e congrès de l’Association of Critical Heritage Studies (Montréal, 7-10 juin 2016) et sur la question de la posture critique (Campbell & Smith 2016). J’en fais un bref commentaire dans Tornatore (2019).
2 « Patrimoine et anthropologie, quoi de neuf ? Actualité d’un domaine de recherche », Centre Georges-Chevrier (UMR 7366), université de Bourgogne, décembre 2014-juin 2015. Cet ouvrage n’est pas à proprement parler les actes du séminaire ; mettons que ce dernier en est le prétexte.
3 Avec la création, en particulier, en 2012, de l’Association of Critical Heritage Studies.
4 Terme emprunté à John Dewey, auteur d’une « théorie de la valuation » (2011) : néologisme en français, il condense les idées « prendre soin », « chérir » ou « estimer » et « émettre des jugements évaluatifs ». J’ai suggéré son application au patrimoine (Tornatore 2014 : 43).
5 Voir en particulier le chapitre 4 : « Fuite dans l’immédiat, déchéance de l’axe passé-présent-avenir » (Chesneaux 1996 : 67-85).
6 On lira avec un plaisir non dissimulé la récente critique, toute en finesse, qu’en propose Jérôme Baschet (2018).
7 Deux textes importants permettent de comprendre la dimension politique de ce projet : Lebovics (2005) et Barbe (2013).
8 L’éclairage que je propose, dans les lignes qui suivent, de l’ethno-anthropologie du patrimoine ne repose certes pas sur la prise en compte de l’importante bibliographie sur le sujet, mais sur une expérience singulière, soit le moment du patrimoine ethnologique, qui d’ailleurs a accompagné le développement et le déclin de l’ethnologie de la France. Ce moment est cependant resté peu commenté de l’extérieur – il n’est par exemple pas mentionné par Florence Weber (2012) dans son panorama biographique, « De l’ethnologie de la France à l’ethnographie réflexive ».
9 Au passage, à ma connaissance, la première occurrence de ce terme se trouve sous la plume d’Aliette Geistdoerfer (1981).
10 Cela a suffisamment été dénoncé par le chantre des lieux de mémoire de la nation française, Pierre Nora.
11 Et à mettre « les avancées scientifiques effectuées grâce [à ces] programmes » (Bromberger 2014 : 150) au bénéfice de l’ethnologie alors qu’elles relèvent d’une dynamique pluridisciplinaire.
12 À noter deux entreprises moins historiennes que réflexives que j’ai animées avec Noël Barbe : un séminaire, « L’instauration du patrimoine ethnologique. Projet scientifique, catégorie d’actions publiques et instrument de gouvernementalité : retour sur une expérience française » (Paris, Lahic / MCC, décembre 2010-septembre 2011), et un colloque, « Du moment du patrimoine ethnologique », Dijon, (CGC / IIAC, 7-8 décembre 2016) (en cours de publication).
13 Ce texte est la transcription d’une communication prononcée en 2013 et publiée à titre posthume (Fabre 2016).
14 Au même moment s’achevait la publication du grand œuvre de Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, que Daniel Fabre voit « comme un tombeau ou un cénotaphe du principe central d’organisation du savoir historique, décliné et partagé, que fut la nation pendant deux siècles » (Fabre 2016 : 45).
15 Il en est de cela comme, de manière générale, de la thématique du patrimoine. La réflexion de Daniel Fabre, développée dans plusieurs articles et introductions d’ouvrages collectifs, était en cours de synthèse – voir en particulier « La pérennité » (Fabre 2014), texte à la tonalité fortement programmatique –, elle a malheureusement été interrompue par son décès en janvier 2016.
16 Pour nuancer la focalisation du propos sur l’espace français, il faut savoir que, selon ses dires, Daniel Fabre appuyait son analyse sur la prise de connaissance d’une grande diversité de travaux anthropologiques que lui valait sa position de membre (et de président) de la section 38 du CNRS dans le courant des années 2000.
17 Voir en particulier Barbe (2003, 2007, 2013), Faraut (1998, 2000), Rautenberg (2003), Tornatore (2004, 2007).
18 Dans un premier temps, je l’avais appelé « tournant critique »…
19 L’usage de ce terme n’était pas anodin, car fortement influencé par la sociologie de l’expertise de Jean-Yves Trépos (1996) ; il me valut de sévères critiques de la part de mes collègues de la MPE.
20 Le mot était énoncé alors que n’avait pas encore fleuri toute la production sur le paradigme participatif et que la raison participative du PCI, encore en gestation, n’avait pas été montée en épingle.
21 On doit à Bruno Latour (2001) un premier développement sur la notion d’attachement comme ce qui fait faire, perspective poursuivie par Antoine Hennion (2010, 2015).
22 Voir en particulier les travaux de Chiara Bortolotto (2011).
23 Programme de recherche financé par l’ANR (2013-2016) et piloté par Anath Ariel de Vidas et Valentina Vapnarsky. Ariel de Vidas était d’ailleurs venue présenter l’argument général de ce programme dans le séminaire : « Voyage en patrimonologie amérindienne : le projet FABRIQ’AM » (12 décembre 2014).
24 Voir l’atelier de démarrage, 23-24 mai 2013 (Lesc-MAE, Nanterre).
25 Instituant un statut de domaine public payant, lequel est contredit par les droits coutumiers.
26 « Ethnographic truths are thus inherently partial – commited and incomplete » (Clifford 1986 : 7, souligné dans le texte).
27 Plus exactement, une visée de complétude qui s’accorde avec l’idée que toutes les cultures sont incomplètes (Santos 2016 : 135).
28 L’image du banquet est avancée par Noël Barbe (ce volume) l’empruntant à René Char. Je l’avais, de mon côté, empruntée à Philippe Lucas (Tornatore 2010).
29 En même temps, le banquet est l’indice même du dépassement de la notion de patrimoine. Je ne suis pas loin de considérer que cet « âge du patrimoine », dans sa version à la fois étatico- et capitalo-centrée, est peut-être en train de se terminer, laissant la place à une multitudes d’attachements et à un intérêt pour la constitution de « communs ».
30 Cette question est traitée dans son mémoire d’habilitation à diriger des recherches (Isnart 2018).
31 Ce pouvoir de rupture a d’ailleurs largement été démenti par la suite (Khaznadar 2014).
32 Il y a lieu cependant de nuancer cette dénégation. L’immense apport de la théorie de l’acteur(·rice)-réseau a été de restituer aux objets leur place de partenaires à part entière dans les interactions sociales. Les objets de patrimoine sont des êtres qui comptent et qui, étant donné le sens du patrimoine comme moyen d’attribution d’une valeur visant la durabilité, comptent doublement. J’ajouterai que, s’agissant d’êtres relevant d’une politique d’État, soit une politique d’aménagement et de contrôle, ils nous comptent.
33 Forces armées révolutionnaires de Colombie.
34 La tension entre l’officiel et le local que montre cette situation rappelle, toutes proportions gardées, les jeux de la mémoire de l’histoire et de l’identité dans la ville sicilienne de Catalfaro, décrits par Berardino Palumbo (2000).
35 Pour une autre expérimentation de cette injonction participative, voir le travail que Noël Barbe, Marina Chauliac et moi-même avons mené avec l’équipe du Parc naturel régional des Ballons des Vosges (Barbe, Chauliac & Tornatore 2015).
36 À partir de 2004, la MPE change d’intitulé et devient Mission à l’ethnologie. Le programme « Mémoire de l’immigration, vers un processus de patrimonialisation » est un de ses tout derniers programmes lancés sur appel d’offre. Il en est issu un ouvrage collectif (Barbe & Chauliac 2014a). La Mission à l’ethnologie disparaît de l’organigramme du ministère de la Culture en 2010.
37 De ce point de vue, la tension entre identité et altérité semble indépassable : cette critique ne risque-t-elle pas d’être en contradiction avec la critique culturaliste énoncée par Lila Abu Lughod (voir supra) ?
38 « Expériencer » est directement traduit de l’anglais « to expérience ». J’ai suivi le choix de Stéphane Madelrieux (2012a : 1012), qui préfère recourir à ce néologisme plutôt qu’à « faire l’expérience de », estimant qu’il est en accord avec la thèse de Dewey, car « il ne présuppose pas un sujet et un objet bien défini de l’expérience ».
39 Dewey (2012b : 1022), c’est l’auteur qui souligne.
40 En témoigne l’intérêt récent pour les patrimoines et patrimonialisations « ordinaires » (Isnart 2012, 2018 ; Verguet 2013 ; Fabre 2016) ou « citoyennes » (Tornatore 2017).
41 Encore faut-il se dégager d’une conception étatico-centrée. Significativement, la notion de patrimoine de proximité, inventée par l’État dans un objectif d’économie financière, n’a pas manqué de susciter des commentaires acerbes : « Gérer la mémoire collective suppose de la distance », écrit Jean-Michel Utard (2005 : 143) dans un article où il oppose le patrimoine au « proximoine ».
42 Il va sans dire que l’une et l’autre coexistent aujourd’hui : la nomination d’un « Monsieur Patrimoine » par l’actuel président de la République et la mise en place d’un « loto du patrimoine » relèvent bien d’un souci de raviver la coloration nationale du patrimoine, de nourrir un « imaginaire français » (« Patrimoine : Macron à la rescousse d’un “imaginaire français” », Libération, 31 mai 2018).
43 C’est-à-dire le fait que l’on considère « les manières de faire une expérience » au détriment de la prise en compte concomitante de « ce dont il est fait une expérience » (Dewey 2012a : 434-435), le comment prenant le pas sur le quoi – sans envisager que la manière puisse provenir d’une adaptation à certains aspects des choses dont on fait l’expérience.
44 « Christoph Brumann a recensé une trentaine de raisons du discrédit dont [la culture] fait l’objet, parmi lesquelles on trouve des accusations d’abstraction et de substantialisation, de suprématisme occidental et de généralisation abusive, de consensualisme mou dissimulant “différences”, contradictions et conflits. Cependant il se pourrait que la notion de culture puisse encore rendre de bons services – notamment, d’après C. Brumann, celui de tenir tête aux usages réactionnaires dont elle-même fait l’objet » (Zask 2003 : 111).
45 D’où l’importance accrue du mécénat, public et privé, et du parrainage culturel. Regina Bendix soutient la thèse d’un déplacement historique du mécénat de la création artistique et architecturale vers la préservation et la sauvegarde de pratiques culturelles, populaires, traditionnelles, ethniques : « Je dirais que les régimes du patrimoine nous en disent long sur l’évolution de la valeur de la culture, en particulier ses dimensions esthétiques matérielles et immatérielles. Mais je dirais aussi que la compréhension des régimes patrimoniaux dans le cadre plus large du parrainage culturel et de l’histoire du mécénat élucide la nature des ressources de la culture » (Bendix 2015 : 230, ma traduction).
46 Voir sur ce point la critique de la métropolisation des villes, comme phénomène du néolibéralisme urbain, par Guillaume Faburel (2018).
47 Laquelle consiste à mesurer les prises de la Convention aux conceptions en vigueur de la culture et des traditions célébrées dans l’espace national. L’ouvrage récent qui met en regard les politiques de la tradition en Suisse et la « prise » suisse de la Convention (Hertz et al. 2018) est exemplaire de la démarche.
48 Il faut faire la différence entre les actions patrimoniales s’inscrivant dans la mise en œuvre de la Convention et fortement soumises au poids des États, et les actions qui relèvent d’une saisie et d’une interprétation « libres » de la catégorie de PCI, laquelle connaît un certain succès populaire.
49 Peu d’éléments matériels ont été protégés, i.e., selon la loi française, labellisés « Monuments historiques », au titre du patrimoine ethnologique : des cabanes en roseau dans le Roussillon, des arènes de bouvine démontables en Languedoc…
50 Comme l’a parfaitement résumé Christian Jacquelin, « le PCI, c’est le patrimoine ethnologique sans les ethnologues » (communication orale).
51 Nonobstant le rejet radical dont le mot « folklore » peut être l’objet, comme dans la tradition scientifique française – voir par exemple Khaznadar (2001 : 19-20) –, et la clarification de la distinction, si elle est possible, entre folklore et folklore studies.
52 Il s’agirait d’un populaire qui se jouerait de l’opposition occidental-non occidental en ce qu’il s’appuierait sur une compréhension métaphorique de l’opposition Nord-Sud : le Sud comme métaphore de la souffrance humaine causée par toutes les formes de domination (Santos 2016).
53 Le tournant ontologique en anthropologie est révélateur de l’insatisfaction croissante suscitée par le concept de culture et de son incapacité à rendre compte du fait que la réalité puisse être performée sur la base d’autres conceptualisations que celles qui instruisent les partages nature-culture ou science-politique. Sur l’ontologie relationnelle et pluriverselle qui, ainsi, se démarquerait de l’ontologie moderne naturaliste, à prétention universelle, voir Escobar (2018).
54 Voir par exemple les actes du symposium de Bad Homburg, « Public foklore : Forms of intellectual practice in society » (1998) publiés dans le Journal of folklore research (1999) et introduits par Bendix & Welz (1999), qui confrontent les situations américaines et allemandes, folklore studies et Volskunde.
55 « Médiateur·rice », « intermédiation », « traduction », « transmetteur·rice », « passeur·se », « facilitateur·rice »… les termes sont multiples qui entendent à la fois traduire brokerage / broker et s’y substituer. Le terme « cultural broker » n’apparaît dans les « Directives opérationnelles pour la mise en œuvre de la Convention » qu’à partir de 2016 et il est traduit dans la version française par « agent » ou « médiateur culturel » (www.ich.unesco.org/fr/directives). Comme le remarquaient Bendix & Welz (1999 : 112, ma traduction), « nous vivons à une époque où l’on parle de plus en plus de la connaissance elle-même en termes de production et de commercialisation. Le concept de courtage culturel incite à se demander dans quelle mesure un tel usage terminologique n’est qu’une analogie avec le langage du marché et dans quelle mesure il est une preuve de l’influence du marché dans la structuration de l’enquête et du service public ». Ceci peut expliquer cela.
56 Créée en 1982, à l’inspiration de Chérif Khaznadar, la Maison des cultures du monde (MCM) est une institution de promotion des « arts traditionnels » (Khaznadar 2001), via en particulier son Festival de l’imaginaire. Elle a pour but de favoriser les échanges et les dialogues entre les formes d’expression et les identités culturelles des peuples du monde et de promouvoir la diversité culturelle. La connaissance-reconnaissance des expressions culturelles est animée par le souci de lutter contre la dépersonnalisation et l’homogénéisation culturelle sous l’effet de « la loi du marché capitaliste » (ibid. : 22). En 2005, la MCM a inauguré à Vitré son Centre de documentation sur les spectacles du monde. En 2011, Le Centre a été désigné par le ministre de la Culture « organisme compétent pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur le territoire national » en application de la Convention et est devenu Centre français du patrimoine culturel immatériel (CFPCI) (www.maisondesculturesdumonde.org/).
57 À Paris-V et à Nice-Sophia Antipolis.
58 Refus de la pensée dualiste opposant le corps et l’esprit, concept d’interdépendance pour formuler l’imbrication du corps et de l’esprit, mise en convergence du corps de l’auteur·e et du corps du·de la spectateur·rice, notion de performance… sont parmi les traits avancés pour définir l’objet de cette « discipline émerveillée » (Pradier 1996 : 41).
59 « L’anthropologie théâtrale est l’étude du comportement scénique pré-expressif qui est à la base des différents genres, styles et rôles, mais aussi des traditions personnelles ou collectives » (Barba 2004 : 29).
60 Voir le travail de recherche-action que j’ai réalisé avec Anne-Sophie Haeringer et Éliette Guine (Haeringer, Guine & Tornatore 2015).
61 Parmi celle-ci, la création en 2017 de la fédération des totems occitans et catalans, Totemic (www.totemic.occitanica.eu/fr/accueil/). Celle-ci se situe dans le sillage de l’inscription sur la Liste représentative du PCI en 2008, au titre des « dragons et géants processionnels de Belgique et de France », du « Poulain de Pézenas », une figure carnavalesque désignée comme « animal totémique ».
62 Voir par exemple la critique produite par Dorothy Noyes sur les transformations de la fête de la Patum à Berga (Catalogne) consécutivement à son inscription en 2008 sur la Liste représentative du PCI (Noyes 2011).
63 Cette perspective est développée dans Barbe (2019) et dans Tornatore (2019).