La raison patrimoniale à l’épreuve d’un repas pas comme les autres : l’apthapi en Bolivie
Remerciements
Je remercie vivement Pascal Absi et Élodie Razy pour la générosité de leurs commentaires sur ce texte.
Texte intégral
Introduction
1Parmi les 60 pratiques et expressions latino-américaines enregistrées, entre 2008 et 2018, sur la « Liste représentative du patrimoine culturel immatériel » de l’Unesco1, la Bolivie n’en compte pas moins de cinq : « Les parcours rituels dans la ville de La Paz pendant l’Alasita » (2017), « Pujllay et Ayarichi : musiques et danses de la culture yampara » (2014), « Ichapekene Piesta, la plus grande fête de Saint Ignace de Moxos » (2012), « Le carnaval d’Oruro » (2008) et « La cosmovision andine des kallawaya » (2008). À ce titre, elle se situe derrière le Mexique et le Pérou (neuf chacun) et la Colombie (huit) ; la Bolivie se place juste devant Cuba et le Brésil (quatre chacun). Dans l’ensemble, ces inscriptions concernent des fêtes, des danses, des rituels, parfois des pratiques et des savoir-faire locaux liés à la gestion des ressources naturelles, mais rarement des pratiques alimentaires, à l’exception notable du Mexique avec « La cuisine traditionnelle mexicaine, culture communautaire, vivante et ancestrale » (2010).
2À y regarder de plus près, l’alimentation occupe cependant une place importante dans l’un des dossiers de candidature boliviens, plus précisément dans celui qui porte sur « La cosmovision andine des kallawaya ». Guérisseurs itinérants des Andes (Girault 1984), les kallawaya (« celui qui porte des plantes sur le dos » en langue quechua) exercent, depuis l’époque précolombienne, des techniques médicinales qui procèdent d’une fine maîtrise des pharmacopées animale, minérale et botanique. D’après les informations communiquées dans le dossier Unesco : « Les écosystèmes extrêmement variés [que] traversent [les kallawaya] au cours de leur périple [et qui structurent leur mode d’apprentissage et de transmission] leur permettent […] d’enrichir leur connaissance des plantes médicinales. Avec quelques 980 espèces, leur pharmacopée botanique est l’une des plus riches du monde2. » Or, si l’on en croit les anthropologues qui travaillent sur les kallawaya à l’époque contemporaine (Bastien & Forfang Stauffer 1987 ; Fernández Juárez 1998 ; Rösing 1995), l’apport de ces derniers ne se limiterait pas à l’exercice de la médecine, mais s’étendrait aussi à l’alimentation. À l’occasion des rituels et des repas collectifs auxquels ils participent dans les communautés où ils séjournent de façon temporaire, les kallawaya contribueraient en effet à la circulation et à l’appropriation locale de plantes, de semences, voire de préparations alimentaires anciennes ou inédites originaires du vaste territoire qu’ils parcourent. Autrement dit, indépendamment de leur cosmovision et de leurs connaissances médicinales spécifiques, les kallawaya pourraient parfaitement se présenter comme des « passeurs alimentaires » à l’échelle régionale.
3Quoi qu’il en soit, le rôle des kallawaya dans la circulation des savoirs et des pratiques alimentaires n’est pas évoqué dans le dossier Unesco, et n’est donc pas valorisé comme tel. À cet égard, ce dossier bolivien partage le même sort que l’immense majorité des dossiers latino-américains qui ne mentionnent l’alimentation que de manière très indirecte, alors même que celle-ci fait partie intégrante des pratiques et expressions culturelles concernées. Tant et si bien qu’à ce jour, le Mexique reste bel et bien l’exception3 si l’on cependant écarte toutefois le Guatemala qui – avec « La cérémonie de la Nan Pa’ch » dédiée à la fertilité du maïs – figure sur la « Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente ».
4C’est à l’occasion de mes recherches en Bolivie (1998-2003), c’est-à-dire avant la promulgation de la « Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » de 2003, que j’ai pu rencontrer des guérisseurs kallawaya qui participaient aux repas collectifs offerts à l’occasion de leur passage en ville (La Paz, la capitale administrative, et Cochabamba, la troisième ville du pays)4. Dans ce texte, je ne reviendrai pas sur l’influence des kallawaya en matière de transmission de savoir-faire culinaires, pas plus que sur leur rôle central dans la diversification alimentaire et la circulation des connaissances et des pratiques alimentaires à l’échelle andine – ce que je ferai si j’étais impliqué dans la fabrication d’un dossier de candidature pour la Liste représentative. Je m’intéresserai plutôt ici aux repas festifs, particulièrement tumultueux, auxquels ils prennent part, non pas en milieu rural, mais en milieu urbain. Ces repas expriment, c’est tout du moins l’hypothèse que je formule, une forme de « patrimonialisation ordinaire » au sens où l’emploie Cyril Isnart (2012) : il s’agit d’une pratique sociale ne bénéficiant pas de la reconnaissance officielle et institutionnelle d’une organisation normative et universaliste de type Unesco, mais qui revêt une très grande importance pour celles et ceux qui y participent.
5L’analyse de cette « configuration patrimoniale ordinaire » (Suremain 2015), c’est-à-dire d’une situation qui présente un fort potentiel patrimonial, qui n’a sans doute aucune chance d’être inscrite un jour sur la Liste représentative des pratiques culturelles immatérielles, permet cependant d’en interroger le fondement ou la « raison » implicite. Comme je tenterai de le montrer, l’observation et l’analyse de l’apthapi dévoile une fonction inattendue de l’alimentation, à savoir celle de contester l’ordre politique et social établi par des populations habituellement invisibles et inaudibles dans l’espace public (ouvriers, étudiants, syndicats, associations, couches urbaines populaires…). De ce fait, l’examen de l’apthapi, en tant que pratique et expression culturelle et politique, permet de reconsidérer les rapports entre patrimoine institué et patrimoine ordinaire, mais aussi, plus largement, entre la vulnérabilité culturelle et politique de la population et le caractère « politiquement correct » de la plupart des patrimoines alimentaires formellement reconnus comme tels5. D’une certaine façon, il semblerait que l’apthapi révèle, en creux, les limites de « la raison patrimoniale », entendue ici comme la reconnaissance implicite de ce qui serait digne, ou pas, de reconnaissance, de valorisation et de transmission.
Quelques déclinaisons urbaines et contemporaines de l’apthapi
6À l’époque coloniale, l’apthapi6 désignait déjà, dans la région andine, le repas collectif qui avait lieu pendant la récolte, au milieu des champs. Ce repas réunit encore aujourd’hui les paysans de l’ayllu, terme quechua et aymara que l’on peut traduire par « communauté lignagère7 ». Chaque famille y participe en apportant des victuailles en abondance. En langue aymara, le mot vient du verbe apaña « apporter » ; avec le suffixe thapi, qui indique une réunion d’objets, cela donne ap-thapi, c’est-à-dire « apporter collectivement, réunir8 ». Si, d’après les descriptions rapportées par les anthropologues, le repas réunit habituellement plus d’une dizaine de convives, il peut en compter bien davantage, selon l’intensité des liens de réciprocité et d’échange qui gouvernent les relations de parenté et de travail à l’échelle du champ et, plus largement, de l’ayllu (Fioravanti 1978 ; Platt 1978, 1982 ; Rivière 1983). À cette occasion, hommes, femmes et enfants, indépendamment de leur statut social, mangent ensemble et partagent les aliments centralisés. Dans les campagnes andines boliviennes, les préparations sont nombreuses et diversifiées : chuño phuthi (variété de pomme de terre déshydratée), chuño cocido (variété de pomme de terre déshydratée avec ou sans sauce), jallpa wayk’a (poivron jaune sauté à l’oignon), jawas phusphu (haricots cuits), k’awna (œuf dur ou frit), kanka (viande grillée), millk’itika thixi (fromage local frit), mut’i (grains de maïs bouillis), puquta phuthi (banane grillée), qhatit ch’uqi (variété de pomme de terre), feuilles de coca…
7À l’heure actuelle, force est de constater que l’apthapi se tient dans les régions les plus variées, des hameaux d’Amazonie à la capitale en passant par les hameaux des hautes terres, et qu’il mobilise les groupes sociaux, culturels et politiques les plus hétérogènes. Par exemple, les cooperativistas (mineurs) tiennent régulièrement des apthapi à l’occasion des blocages de routes « musclés » qu’ils organisent contre la fermeture ou la privatisation d’une mine. De même, à l’université, étudiants et professeurs organisent leurs apthapi, parfois ensemble, parfois séparément, pour exiger des frais d’inscription moins élevés. Les associations de femmes ou encore les syndicats de chauffeurs de taxi ne sont pas en reste et préparent des apthapi pour exiger davantage de droits, mais aussi à l’occasion de la fête du saint patron sous la protection duquel elles/ils sont placé(e)s. Le président de la République lui-même, Evo Morales, a récemment instauré des apthapi avec ses interlocuteurs, qu’il s’agisse d’acteurs institutionnels ou de la société civile. Pour ces occasions, les plats sont simples, rapides à faire et très populaires. On prépare, par exemple, le pique macho, une sorte de fourre-tout de morceaux de viande de bœuf, de saucisses, d’œufs, de poivrons, de tomates, de pommes de terre et d’oignons frits, le tout arrosé de mayonnaise et de ketchup ; ou encore le plato paceño (plat de La Paz) composé d’une grosse pomme de terre, d’un ou deux épis de maïs tendres, de quelques haricots de bonne taille et de deux ou trois tranches épaisses de fromage fondu, l’ensemble étant agrémenté d’herbes diverses.
8Récemment, des formes inattendues d’apthapi ont vu le jour à travers les agences de voyages locales qui offrent à leurs clients la possibilité de s’y joindre. Présenté sur les sites internet et les dépliants publicitaires comme un « héritage de la tradition andine », il est alors rebaptisé colective andean meal (repas andin collectif), comida indígena comunitaria (repas indien communautaire), potluck (repas-partage) ou encore native picnic (pique-nique indigène) ! Pour les circonstances, les préparations servies aux touristes sont des recréations « allégées », dites orgánicas (issues de l’agriculture biologique), qui s’inspirent plus ou moins des nourritures paysannes.
9On pourrait multiplier les exemples à foison : l’apthapi n’est pas le monopole d’un seul groupe social, en l’occurrence celui des Indiens des Hautes Terres, mais mobilise de nombreux secteurs professionnels et entraîne les groupes sociaux, culturels et politiques les plus disparates.
10Dans l’ensemble, l’apthapi ne se réduit ni à ce qui s’y mange ni à la façon dont il se déroule : il serait réducteur de penser que ses déclinaisons urbaines et contemporaines ne seraient qu’une pâle réplique appauvrie et standardisée d’une forme d’apthapi originel, nécessairement indien et rural. Ainsi, il est intéressant de constater que, dans les communautés des Hautes Terres, les produits et préparations alimentaires sont déposés sur un ou plusieurs awayos, le tissu brodé dont les femmes se servent pour transporter marchandises et enfants. Mais on utilise également l’awayo en ville, chez celles et ceux qui se déclarent « non-indien(ne)s », et qui sont issu(e)s des corps de métiers les plus divers (vendeuses ambulantes, mécaniciens, cireurs de chaussures…). La seule différence étant qu’en pays quechua et aymara, le tissu permet de dresser la misa (littéralement « messe ») – qui désigne en fait à la fois le petit autel sur lequel on va déposer victuailles et offrandes en hommage aux divinités – et la « table » à proprement parler (même si celle-ci est dressée sur le sol). En ville, c’est plutôt le mot mesa (table) qui est employé, peut-être pour effacer la connotation trop religieuse, ou indienne, du terme misa.
11Qu’ils soient assis par terre, comme dans les apthapi d’étudiants, ou à table, comme dans les apthapi d’enseignants, les manières de table sont des plus décontractées : on se sert à volonté et sans préséance, contrairement à ce qui a cours dans la vie quotidienne. Les commensaux, formant un cercle ou une grande tablée, se servent devant eux. La nourriture passe rapidement de main en main pour parvenir à celles et ceux qui pourraient se tenir à l’écart, faute de place. De même, les vêtements des invités n’obéissent pas aux critères d’élégance de rigueur dans des circonstances formelles. L’important, dit-on, est que les convives se sentent « entre eux » : « ¡Es lo nuestro! » (« C’est à nous ! »). Dans tous les cas, l’ambiance est détendue, les conversations vont bon train et les rires éclatent tandis que, progressivement, les bidons de chicha – une boisson plus ou moins fermentée et alcoolisée préparée à base de maïs, d’arachide, de manioc ou de riz – circulent de bouche en bouche. Mais les boissons servies ne se limitent pas à la chicha : la bière, le singani (une distillation de jus de raisin plus ou moins forte) ou encore le vin, et surtout les sodas, conviennent parfaitement. Immanquablement, les participants se mettent à danser au rythme d’un orchestre plus ou moins improvisé ou d’une sono. De manière générale, il est rare qu’un apthapi s’achève en raison du manque de nourriture ; il est plutôt de règle que les commensaux repartent chacun chez soi munis de quelques provisions.
La portée politique et contestataire d’un patrimoine ordinaire
12Aujourd’hui, bien plus qu’à l’époque où j’ai mené mes enquêtes, il ne se passe pas une semaine sans que ne soit annoncée la tenue d’un apthapi dans les médias locaux, plus particulièrement à l’occasion d’une manifestation, d’un défilé ou d’une réunion d’acteurs liés au monde politique. Hormis dans l’imaginaire marketing des promoteurs du secteur touristique, l’événement est, en quelque sorte, banal et pragmatique, et nullement investi d’exotisme. Effectivement, l’apthapi survient à des moments ordinaires de la vie sociale bolivienne, telles que les prémices d’une revendication ou après la conclusion d’un accord ou d’une action collective. L’apthapi consiste à « célébrer l’être ensemble » et vise à sceller l’engagement des uns et des autres dans la discussion et l’action sociale et politique. On peut toutefois s’interroger sur les raisons d’un tel engouement populaire pour une institution d’origine précolombienne qui semble à la fois traverser le temps, franchir les importants clivages socio-ethniques et de sexe en cours dans la société, et s’adapter aux transformations de celle-ci9.
13Au préalable, il convient sans doute d’évoquer l’importance du choix du lieu où se déroule l’apthapi dans le contexte urbain. L’emplacement est d’autant plus stratégique que le prétexte du repas collectif a la plupart du temps une connotation politique, sociale ou culturelle au sens large : il peut s’agir d’exiger l’annulation de l’augmentation des frais d’inscription à l’université (groupe d’étudiant-e-s), de sommer un élu local de quitter le poste qu’il occupe frauduleusement (groupe de citoyens), de demander au ministère de l’Eau de rénover le réseau de canalisation d’un quartier (groupe de riverains), de « célébrer » (néologisme pour dire « trinquer à ») la mise à disposition d’un local communal destiné à accueillir des formations diverses (groupe de femmes)… Le problème est d’autant plus aigu en ville que les participants investissent l’espace public pour se faire entendre auprès des autorités : parvis d’une église, jardin public, trottoir… Même les apthapi dont on présumerait qu’ils sont plus « confidentiels » débordent toujours, d’une façon ou d’une autre, sur la voie publique. À l’instar de ceux organisés dans l’enceinte des ministères dont les portes, habituellement fermées, restent grandes ouvertes pour l’occasion et sont décorées de ballons et de rubans multicolores. De même, les apthapi organisés chez un habitant finissent par envahir la rue de sorte qu’il est impossible pour les passants de ne pas les remarquer et, éventuellement, de s’y joindre.
14Il n’est pas rare que des panneaux, banderoles, fanions ou drapeaux marquent l’emplacement de l’événement. À La Paz, en particulier, il est remarquable que les couleurs mobilisées pour signaler un apthapi fassent indifféremment écho au drapeau bolivien et à la wiphala, autrement nommée « drapeau aymara ». L’usage du « drapeau aymara », loin s’en faut, n’est pas réservé aux seules populations indiennes. D’ailleurs, les origines de la wiphala demeurent floues : si des hypothèses circulent sur ses origines précolombiennes, de nombreuses autres mentionnent sa création relativement récente lors des grandes manifestations de mineurs, orchestrées par le Mouvement révolutionnaire Túpac Katari (MRTK), au cours des années 1960-197010. Quoi qu’il en soit, régulièrement exhibée pendant les manifestations étudiantes et ouvrières, la wiphala évoque, bien au-delà d’une revendication ethnique classique, la lutte de citoyens ordinaires contre les inégalités sociales de toute sorte et renvoie à l’espoir d’une société plus juste. Elle mobilise de ce fait l’immense majorité de la population, toutes origines sociales et culturelles confondues. Au-delà de ses modalités de déroulement – qui diffèrent en somme assez peu selon les catégories sociales –, l’apthapi explicite des dynamiques sociales, culturelles, politiques, économiques, territoriales ou identitaires aux enjeux très contemporains et localisés qui prennent sens dans le contexte plus large de la société bolivienne.
15Contrairement à ce qui survient dans les organisations classiques (partis politiques, syndicats, associations, groupements…), c’est l’absence de hiérarchie sociale entre commensaux qui frappe l’observateur11. L’absence de protocole sur le plan alimentaire semble renvoyer à l’absence de protocole dans les prises de parole, et laisse une place importante aux déclarations spontanées, sautes d’humeur ou éclats de rire. Contrairement à la règle pendant les réunions syndicales ou paysannes, par exemple, l’ambiance n’est pas à la gravité, même si la cause à défendre ou à célébrer est sérieuse, difficile, voire perdue. L’apthapi serait-il pour autant un espace de discussion, de prise de décision et d’initiative de type acéphale ? S’il est impossible de répondre catégoriquement à cette question, force est de constater que, durant l’apthapi, des femmes, hommes et enfants de conditions différentes ne se définissent plus par rapport à leur rôle ou à la place différenciée qu’ils occupent dans un collectif. Ils poursuivent un objectif identique et s’inscrivent de ce fait sur un pied d’égalité, même si c’est pour une durée éphémère. De toute évidence, il ne s’agit pas de (re)découvrir dans le repas collectif bolivien la forme contemporaine et idéale du « communisme primitif », pas plus que de donner raison au dogme culturaliste colporté par le « populisme scientifique » (Olivier de Sardan 1990). Il s’agit plutôt d’apprécier la forte valeur symbolique, et donc bien réelle (au sens de Godelier 2015), de l’apthapi dans une société fortement cloisonnée. Dans ce sens, l’apthapi serait un espace où une multitude d’acteurs qui, individuellement « sans voix », trouveraient (enfin) un moyen d’expression à travers un collectif. Le repas collectif offrirait ainsi l’occasion de construire, consolider ou légitimer un groupe social où les identités individuelles des convives seraient subsumées sous l’identité collective. En partageant le même repas, qu’ils contribuent chacun à composer en apportant quelque chose à manger ou à boire, les commensaux consolideraient leur sentiment d’appartenance à une communauté d’intérêt.
16Une certaine instrumentalisation de l’apthapi par le politique éclaire, en creux, sa fonction potentiellement contestataire. La récupération, plus ou moins démagogique et populiste, s’applique d’ailleurs à de multiples traditions dans le monde (Hobsbawm 1983). Loin d’être contradictoire, cette instrumentalisation pourrait souligner le caractère politiquement incorrect de l’apthapi qu’elle viserait à mieux juguler. La façon dont les plus hautes instances du gouvernement multiplient les apthapi médiatiques et médiatisés va dans ce sens : le message n’est-il pas de donner à voir au plus grand nombre une société démocratique qui fonctionne et au sein de laquelle les éléments contestataires ne sont pas étouffés, mais conviés à s’exprimer ? S’il est impossible de trancher sur la question des bonnes et mauvaises intentions du politique, force est de constater que le repas collectif, dans ses déclinaisons contemporaines et urbaines, participe bien d’une forme d’empowerment, c’est-à-dire du renforcement des capacités d’analyse et d’action des groupes sociaux, y compris des plus modestes, qui cherchent à améliorer leur sort. L’apthapi serait, en quelque sorte, une sorte d’« embrayeur patrimonial12 », au sens de « déclencheur, moteur ou facilitateur » permettant la consolidation d’une action collective ; en l’occurrence, l’apthapi pourrait être cet embrayeur et les convives ses acteurs.
Conclusion – Un patrimoine alimentaire peut-il être « politiquement incorrect » ?
17Le renforcement de la cohésion d’un groupe social par l’entremise du « manger-ensemble » n’est pas sans évoquer les caractéristiques de la plupart des pratiques culturelles inventoriées par l’Unesco, en particulier « Le repas gastronomique des Français » (Csergo 2011 ; Tornatore 2012) ou « La cuisine traditionnelle mexicaine ». Dans ces deux dossiers, c’est bien l’idée de partage et de transmission de valeurs qui est en jeu, et qu’explicitent pleinement les créations culturelles que sont le repas gastronomique d’un côté et la milpa, l’unité productive familiale de production et de consommation, de l’autre. Dans cette logique, il ne semble pas aberrant de découvrir, dans l’apthapi, une forme inédite de construction patrimoniale. Plusieurs éléments pourraient plaider pour une analyse dans ce sens.
18L’apthapi réunit en effet des convives qui – tandis qu’ils partagent le repas élaboré par leurs propres dons de denrées et boissons – affirment et réaffirment leur sentiment d’appartenance à un collectif par définition éphémère et, par extension, leur adhésion aux revendications et actions menées ou à mener par celui-ci. Lors de l’apthapi, la petite communauté des commensaux qui incorporent la nourriture prend, littéralement, « corps ». Dans ces circonstances, ce n’est pas tant la provenance ou la nature des aliments qui importent, mais plutôt le ton et l’orientation des conversations, l’ambiance et la complicité qui se dégagent du repas collectif. Or ces dimensions fondamentales expriment bel et bien un fort sentiment d’appartenance. L’apthapi serait ainsi irréductible à son contenu matériel et formel, autrement dit à ses « productions concrètes » – pour reprendre l’expression de Julia Csergo (2011 : 17). D’ailleurs, les aliments, préparations culinaires, ingrédients et boissons ne varient que très peu selon les occasions, à l’instar des convenances et de la mise en scène. Il n’y a donc pas de forme paradigmatique de l’apthapi pas plus qu’il n’y a de « modèle alimentaire » (Suremain & Katz 2008) colporté par l’apthapi. Aussi, le choix des aliments mis en commun, partagés et consommés sur place n’évoque pas nécessairement la culture alimentaire andine : il se porte le plus souvent vers des plats populaires consommés au quotidien par le plus grand nombre. L’apthapi s’impose manifestement comme une pratique vivante, faisant l’objet de constants emprunts, réappropriations et transformations. Par ailleurs, dans la mesure où il échappe à toute définition standardisée ou substantialiste, l’apthapi semble renvoyer à la définition de « patrimoine ordinaire » proposée par Cyril Isnart (2012) : il s’agit d’une pratique et d’une expression culturelle qui prend son sens dans la pratique et se développe en dehors de tout appui normatif officiel.
19Le rapport à l’histoire, à la mémoire et à l’avenir est également central dans l’apthapi. Le fait de faire don d’aliments et de boissons, d’en recevoir puis de partager un repas scelle la concrétisation de l’engagement des commensaux dans la défense d’une cause. Le repas collectif amorce, renforce et sanctionne une action passée, présente ou à venir, ce qui constitue une spécificité notable : l’hédonisme mis en scène dans l’apthapi ne s’articule pas uniquement à des « façons de dire, façons de faire » (pour reprendre le titre bien connu d’Yvonne Verdier 1979) centrées sur l’alimentation : il fait directement écho à la sphère du social, du culturel, de l’économique, du politique, du territorial et de l’identitaire. Ce faisant, la pratique très largement répandue de l’apthapi en Bolivie consacre une longue histoire de luttes sociales, de contestations politiques et de revendications ethniques (Lavaud & Daillant 1990). De « pratique de pauvres » en milieu paysan, l’apthapi se transforme en pratique très urbaine et politique, qui participe pleinement au projet décolonisateur de la société dont il devient l’un des symboles forts. Qu’il s’agisse d’une « invention », d’une « ré-invention » ou d’un « renouveau », ce qui est en jeu dans l’apthapi ne concerne donc pas uniquement la dimension alimentaire au sens strict, mais se rapporte à la transformation de la société au sens large (cf. le site du projet ANR FoodHerit)13. Et même si la dimension ou la portée « patrimoniale » de l’apthapi n’est jamais, ou très rarement, explicitée comme telle par des acteurs qui ne disposent pas, dans la plupart des cas, du capital culturel, symbolique ou institutionnel pour en parler, elle n’en est pas moins présente.
20Les tentatives de récupération de l’apthapi par le politique, au sens institutionnel du terme, de même que par le secteur du tourisme (pour des raisons économiques), lui assurent aujourd’hui un généreux succès médiatique. Il pourrait même peut-être devenir une manne financière relativement importante pour certaines communautés des Hautes Terres traversées par les circuits d’éco-tourisme andin (Barrera & Bringas 2009), à condition bien entendu qu’elles prennent l’initiative de leur mise en œuvre et en assurent le contrôle et les ressources produites par la suite. Ce serait là une forme originale de « recours alternatif » au patrimoine (Bondaz, Isnart & Leblon 2012).
21Dans le grand concert de la mondialisation des ressources naturelles et culturelles, au milieu duquel l’alimentation occupe une place capitale, les enseignements de l’apthapi permettent-ils d’insuffler des valeurs moins élitistes, plus démocratiques, dans la réflexion sur les patrimoines alimentaires et leur sélection ? Lorsqu’il n’est pas instrumentalisé par le politique, l’apthapi est, par essence, « politiquement incorrect ». N’incarne-t-il pas, par excellence, l’esprit d’une contestation non encadrée et qui échappe en grande partie aux instances hiérarchiques et institutionnelles traditionnelles de décision, qu’elles soient locales, régionales ou nationales ? Sans doute, parce qu’il est dans une large mesure investi par des acteurs habituellement « sans voix », sa reconnaissance patrimoniale, au sens institutionnel du terme, irait clairement à l’encontre de l’ordre établi. Et il y a fort à parier qu’une (improbable) reconnaissance patrimoniale de l’apthapi ne ferait pas le jeu des politiques, mais bien celui des « sans voix », des marginaux et des plus pauvres. Une question resterait d’ailleurs en suspens : l’image rustre et insolente de l’apthapi correspond-t-elle à l’image que la Bolivie souhaiterait mettre en avant sur la scène internationale ?
22Se pose dès lors, à partir de l’analyse ethnographique de ce repas pas comme les autres, la question de l’antagonisme potentiel des liens entre l’« image de marque nationale14 », qu’une société souhaite valoriser et exporter, et l’image pauvreté et de la vulnérabilité qu’elle voudrait, au contraire, occulter15. En ce domaine comme dans bien d’autres, la raison patrimoniale n’est pas exempte de contradictions et de tensions, lesquelles nourrissent par ailleurs un vaste champ de recherche et d’action dans le champ de l’anthropologie, nécessairement comparative et critique, du patrimoine.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Il faut distinguer la « Liste représentative des pratiques culturelles immatérielles » de la « Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente », et du « Registre des bonnes pratiques de sauvegarde ». Le Pci [patrimoine culturel immatériel] concerne « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes, et le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel » ; il se manifeste « notamment » dans : a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du Pci ; b) les arts du spectacle ; c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel (https://ich.unesco.org/fr/convention).
2 https://ich.unesco.org/fr/RL/la-cosmovision-andine-des-kallawaya-00048?RL=00048. En 2009, la Bolivie a ouvert ses premières « pharmacies interculturelles » qui proposent des médicaments allopathiques et des préparations confectionnées par les kallawaya.
3 Plus précisément, c’est la région du Michoacán qui est censée incarner la cuisine mexicaine dans son entièreté. Le dossier de candidature à l’Unesco a été porté par une structure au statut semi-publique/semi-privé, à mi-chemin entre la fondation étatique et l’entreprise privée : le Conservatorio de la Cultura Gastronómica Mexicana (organe de consultation de l’Unesco, https://www.ccgm.mx/ccgm/es/home/).
4 Mes recherches portaient sur la santé du jeune enfant, plus particulièrement sur les itinéraires thérapeutiques et les processus de microdécisions qui conduisent son entourage à effectuer une démarche de soins, ces derniers étant entendus au sens large (Suremain et al. 2003 ; Suremain 2007a, 2007b). Elles s’inscrivaient dans un projet de recherche interdisciplinaire sur l’approche globale de la santé de l’enfant, financé par l’Union européenne.
5 Formellement, il n’y en a que deux avec le cas du Mexique et de la France (inscrits tous les deux en 2010).
6 En langue aymara, le verbe apthapiñar signifie aussi « récolter », « faire la récolte » ou « recueillir les fruits d’un labeur ».
7 De nombreux ayllus remontent à l’époque précolombienne ; sur la « circulation horizontale » très intense des produits alimentaires (entre autres) entre ayllus dans les Andes (Murra 1975 ; Johnsson 1986).
8 Gilles Rivière (communication orale).
9 L’apthapi commence à intéresser des ministères (Ministerio de Relaciones Exteriores 2009), les ONG et diverses institutions à mi-chemin entre le développement et l’humanitaire, par exemple le Centro boliviano de investigación y acción educativas (Cebiae), http://www.aipe.org.bo/sac/public/mostrar_plugin.php?symbolic_name=LST_AFILIADAS&id_plugin=75&lang=es&id_afiliada=4, qui organise des groupes de parole en vue du « Rétablissement des aliments indigènes » ou encore le projet « Engaged anthropology at Skidmore College », http://skidmoreanthropology.weebly.com/.
10 D’après l’Instituto nacional de arqueología boliviana (Inar), la wiphala compte six couleurs (vert, bleu, violet, rouge, orange, jaune), réparties en quarante-neuf carrés sur sept colonnes et sept lignes. Chaque couleur a un sens, en particulier le violet qui exprimerait l’« idéologie andine », les organisations sociales, l’administration, etc.
11 C’est exactement le contraire qui se passe lors des pasantes (littéralement les « hôtes ») qui désignent les invitations collectives lors des fêtes de Noël par exemple. Un pasante est par définition indiscriminé et réunit des gens qui ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts. Aucun Bolivien ne peut confondre un apthati et un pasante !
12 La notion est empruntée à la linguistique où l’on parle d’« embrayeur de discours » (voir Journée d’étude Fabriq’am (2013) : https://fabriqam.hypotheses.org/944
13 Projet « Patrimoines alimentaire et gastropolitique : une approche critique et comparée », https://foodherit.hypotheses.org/.
14 À propos de « nation branding », voir Appadurai (1988), Bortolotto (2007) et Alvarez (2008).
15 Sur les rapports complexes entre la marchandisation et le caractère intangible des ressources naturelles et culturelles, la littérature est importante. Voir en particulier Appadurai (1986), Bessière (1998), Poulain (2000), Warnier (1998), Bessière & Tibère (2011).
Auteur
Directeur de recherche en anthropologie, UMR 208 PaLoc (IRD-MNHN, France)
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