La transition démocratique à Cuba : à la recherche de l’événement
p. 285-310
Texte intégral
« Plus les dispositifs se font envahissants et disséminent leur pouvoir dans chaque secteur de notre vie, plus le gouvernement se trouve face à un élément insaisissable qui semble d’autant plus se soustraire à sa prise qu’il s’y soumet avec docilité. Cela ne signifie pas que ce dernier représente en soi un élément révolutionnaire, ni qu’il puisse arrêter ou même seulement menacer la machine gouvernementale. » (Agamben, 2007)
1Ce travail a une histoire et il est utile d’expliciter le contexte dans lequel s’est progressivement construite l’énigme de cette recherche, dont le propos initial était de scruter un événement en préparation, celui d’une transition radicale à Cuba.
2L’espace yougoslave est mon terrain habituel d’études depuis la fin des années 1980. J’ai suivi le déroulement tragique de la chute du socialisme et de l’éclatement de la Fédération yougoslave. La question de la démocratisation a été au centre des débats yougoslaves de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Mais le processus qui s’est progressivement mis en place à partir du milieu des années 1980 a été emporté par des difficultés tant structurelles que conjoncturelles. Il a, entre autres, été difficilement compatible d’appliquer un système démocratique à fonctionnement majoritaire dans un contexte où la désignation d’une majorité et d’une minorité avait toujours été soigneusement évitée à cause des risques liés à la gestion de la diversité nationale, religieuse et historique, une logique héritée de l’Empire austro-hongrois et de l’austro-marxisme, qui a fortement influencé l’organisation sociale et politique des pays socialistes européens confrontés aux défis identitaires nationaux et à une forte concurrence des nationalismes. Le principe démocratique « un homme égale une voix » présentait l’inconvénient du risque de limiter l’expression démocratique à un recensement des nations et des nationalités yougoslaves et, en dégageant une majorité et des minorités, d’ouvrir la voie à un système légal de domination d’un groupe sur les autres, et ainsi d’entretenir voire d’exacerber les tensions1. La seconde dimension de la « démocratisation » yougoslave a été le manque de perspectives positives : les leaders politiques du pluripartisme, dominés par les préoccupations nationalistes, ne comprenaient le débat contradictoire que pour régler des comptes avec l’héritage communiste-titiste et avec ses voisins. Le processus de « démocratisation » en Yougoslavie est rapidement passé des libres expressions politiques et historiques à de croissantes agressions physiques, policières puis militaires. Enfin, le processus yougoslave a pris consistance dans un contexte global d’effondrement du bloc soviétique et de règlement de comptes définitif avec le communisme.
3La remise en cause du système construit sous l’autorité du maréchal Tito a été suivie de l’éclatement de la Fédération dans un intense déchaînement de violence. Les efforts d’analyse ont essentiellement porté sur la compréhension d’un tel événement en proposant une reconstruction rationnelle des faits et de leurs enchaînements. Ainsi, la notion d’événement est devenue centrale dans mon travail yougoslave.
4L’expérience de ce travail et le défi théorique que constitue la notion d’événement m’ont incité à envisager un autre angle d’observation, une autre perspective : plutôt que d’examiner l’événement advenu, se placer dans la situation de l’événement en devenir. Et en cela, le contexte cubain présente des avantages considérables. Bien que se situant dans deux conditions historiques très différentes, aussi bien pour l’installation que pour la « sortie » du socialisme, les processus yougoslave et cubain présentent d’importantes similitudes : principalement dans la sphère économique (tentatives hésitantes de mixité étatique/privé), dans celle des libertés sociales et politiques (libéralisation partielle avec d’incertaines frontières entre le permis, le toléré et l’interdit), et un contexte de fortes pressions extérieures.
5L’événement qui s’impose à propos de Cuba porte le nom de « transition ». Mais de quoi la « transition » est-elle le nom ? C’est un terme hautement polysémique : inadmissible dans la bouche des « ennemis », car c’est le nom de la volonté de destruction de l’ordre social établi, il devient bienveillant et utile lorsqu’il est utilisé dans les cercles institutionnels cubains, intellectuels ou politiques. Sur une affiche placardée dans les grandes villes de Cuba en 2008, on peut lire : « Monsieur Bush : Ce peuple ne pourra être ni trompé ni acheté. » Et on y voit un petit garçon qui pousse un conteneur à ordures dans lequel tombent les mots et les phrases, écrites verticalement : « transition », « fonds international pour la liberté de Cuba », « aide humanitaire », « opposition démocratique », « licences pour l’exploitation des ordinateurs, accès à Internet », « bourses pour les jeunes »2.
6La transition est ainsi clairement et radicalement rejetée lorsqu’elle est le nom d’un changement de système politique, mais elle est présentée comme nécessaire, comme la condition sine qua non de la survie des valeurs et des principes de la Révolution, donc de la structure du système politique, lorsque la transition est maintenue dans le cadre de la révolution et du système. Cette dernière acception de la transition est même déclarée s’inscrire dans la continuité de la transition socialiste initiée au tout début des années 1960, avec à sa tête Fidel Castro Ruz et Ernesto « Che » Guevara. Pendant la période la plus dure de la crise qui est apparue avec l’effondrement de l’URSS, Raúl Castro affirmait : « Nous voulons une transition pour perfectionner et améliorer notre socialisme3. » Les dirigeants et les intellectuels qui sont sur la même ligne parlent de « transition dans la transition », d’une nouvelle étape d’une même transition qui se poursuit depuis le « triomphe de la Révolution4 ». En 2002, l’Assemblée nationale a même voté un amendement à la Constitution proclamant la nature socialiste permanente de l’État cubain.
7À l’autre extrémité de cette logique se trouve le souhait d’un changement rapide et radical qui pourrait se présenter sous la forme que lui donne la dissidence cubaine des Etats-Unis, dont voici une des variantes récentes des propositions de transformation de l’économie cubaine :
Des lois pour protéger les investissements étrangers seront introduites ; des négociations pourront s’ouvrir pour compenser ou rendre aux propriétaires originaux, nord-américains et cubains, les entreprises et les propriétés confisquées par le régime de Castro dans les années 60, et les réfugiés cubains seront bienvenus pour visiter, investir et commercer avec Cuba. Le gouvernement des Etats-Unis lèvera l’interdiction de voyager, mettra fin à l’embargo et initiera des programmes d’aide étrangère pour contribuer au développement économique de l’Île. Avec ce scénario, l’économie cubaine progressera rapidement. Le tourisme nord-américain et l’investissement pourront dynamiser substantiellement l’économie, et permettront l’expression de la créativité entrepreneuriale et du talent cubain, largement réprimé par le régime de Castro. Cuba exportera aux États-Unis, non seulement ses produits traditionnels – rhum, tabac, nickel – mais aussi d’autres produits comme les légumes, les agrumes, les poissons et les fruits de mer, et la biotechnologie. (Suchlicki, 2005)
8Le ministre des Relations extérieures, Felipe Pérez Roque, dit simplement que les Nord-Américains appellent transition « le fait de dépouiller les Cubains des terres, des maisons et des écoles pour les rendre à leurs anciens propriétaires de l’époque de Batista qui reviendront des États-Unis5 ». Ce genre de réplique fait immanquablement mouche auprès de la population cubaine qui est, évidemment, très sensible au risque d’être dépossédée des maisons actuellement occupées. Quant à l’aménagement du pouvoir, le projet politique de transition élaboré par les États-Unis sous l’administration Bush fait explicitement référence à l’expérience irakienne.
9Le sénateur Mel Martinez, fils d’exilés né à Cuba mais élevé à Miami, fut nommé à la fin de 2003 coprésident de la Commission d’assistance à une Cuba libre, avec le secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell. La commission cherchait « à accélérer la fin de la tyrannie de Castro » et à développer « une stratégie d’ensemble pour préparer une transition pacifique vers la démocratie à Cuba ». La stratégie était décrite dans un rapport de 500 pages publié en mai 20046, un véritable plan pour éviter que Cuba ne sombre dans l’anarchie et pour créer une économie de marché et un gouvernement élu. Martinez expliqua à Anderson, du New Yorker, qu’ils tenaient le plus grand compte des erreurs commises en Irak.
Par exemple, une structure de gouvernement devrait continuer à exister. À Cuba, connue ce fut le cas en Irak, certains ont du sang sur les mains, mais pas tous. Et il y a des problèmes tels que le réseau électrique, l’habitation et l’alimentation. Ce que nous avons appris en Irak c’est que ces services s’interrompent dans une conjoncture extraordinaire.7
10Le gouvernement Bush adopta le document comme politique d’Etat et nomma comme responsable de la transition Caleb Mc Carry qui, en tant que député, participait au sous-comité pour les Amériques du Comité des relations extérieures du Congrès. Si Castro meurt et si Cuba se déstabilise, Mc Carry pourrait devenir le Paul Bremer des Caraïbes. Mc Carry explique qu’il n’y aurait pas de présence directe et militaire nord-américaine comme à Bagdad, mais que les Etats-Unis « participeront d’une manière très directe » à la transition et qu’« ils envoient déjà des fonds aux dissidents »8.
11Je ne reviendrai pas sur le renversement d’orientation et de sens du processus de transition, qui faisait initialement partie de la terminologie révolutionnaire marxiste et désignait une étape intermédiaire qui allait de la prise de pouvoir révolutionnaire à l’instauration du socialisme et qui a pris le sens d’une étape qui mène de la dictature et du totalitarisme vers la démocratie libérale et l’économie de marché. Mais il est évident que la position officielle cubaine se réfère à cette filiation sémantique initiale, alors que les opposants, les dissidents et la politique des États-Unis utilisent la notion de transition dans son sens dominant actuel, désormais intégré à la panoplie idéologique néo-libérale.
12Ce paradigme démocratique a désormais réussi à s’imposer comme seule référence légitime et efficace de gouvernance. Ce modèle de démocratie, politiquement et économiquement libéral, fait l’objet de théorisation, d’idéalisation et de naturalisation tant au niveau idéel et scientifique qu’au niveau des formes de gouvernement concrètement adoptées (Lijphart, 1984). Pourtant Cuba résiste à cette logique et cherche à se maintenir dans un processus socialiste.
Révolution, résistance et alternative
13Cuba s’est construite sur deux piliers fondamentaux que sont la résistance et l’alternative. L’histoire de l’île a été telle depuis la révolution que la résistance a fini par s’imposer face à l’alternative. L’alternative, comme dynamique, a été très tôt stoppée dans son élan pour des raisons qui sont hétérogènes, mais le résultat a été très rapidement l’alignement sur l’existant. En l’occurrence l’existant en termes de socialisme était représenté par l’URSS. Et la résistance a largement camouflé le manque de construction alternative ; une résistance à l’environnement hostile des États-Unis et une alternative qui s’est engluée dans le « socialisme réel » soviétique. Le défaut de construction alternative est particulièrement évident dans le domaine de la production économique puisque, après la révolution, Cuba est globalement restée dans le schéma de la quasi-monoculture d’avant la chute de Batista, même si le cadre et les principes d’échange avaient radicalement changé : les produits échangés contre tous les autres besoins du pays étaient le sucre, le rhum, le tabac et le nickel. En échange de ces produits et d’une formidable position géostratégique, l’URSS pourvoyait à tous les besoins matériels de l’île. Alors qu’une nouvelle temporalité avait été instituée avec l’avènement de la révolution, aucune alternative économique n’a été recherchée pour sortir de la dépendance absolue, ni par la diversification ni par l’industrialisation.
Les chiffres de la macroéconomie ont cessé d’avoir de l’importance. En revanche, on questionnait l’amélioration des problèmes quotidiens (alimentaires, vestimentaires). [...] Le PIB n’était réalisé que par le commerce extérieur. Nous étions donc dans l’incapacité de contrôler notre économie. [...] En 1971, Cuba est face à deux réalités basiques. La première relève du développement économique socialiste accéléré. Cuba a été contraint de produire une énormité de sucre pour le marché soviétique et allemand afin de faire la balance dans ses relations internationales. Mais de ce fait, il a éternisé cette mono-exploitation, éloignant ainsi le projet d’une économie indépendante. [...] Et Cuba de s’appuyer sur l’Union soviétique à un degré qui n’était pas convenable. [...] Cuba parvient alors à l’universalité de l’éducation, de la santé, de la sécurité sociale grâce aux efforts entrepris mais également grâce à ses échanges internationaux. Si ces derniers ne lui permettent pas un développement économique autonome, ils lui offrent, en revanche, un nouveau modèle de consommation de masse et confortable que j’ai nommé état de bien-être socialiste. (Heredia, 2009)
14Depuis l’événement révolutionnaire jusqu’à aujourd’hui, la nouvelle temporalité9 est désignée par le terme « révolution » : la révolution ne désigne pas l’événement délimité dans le temps qui a permis de prendre le pouvoir et de transformer radicalement l’ordre social dans le sens de l’intérêt du peuple, mais une situation longue, un processus inscrit dans la durée ; de sorte que « révolution » ne se présente plus sous la qualité d’une action mais d’un état, qui reçoit ses lettres et sa dimension de noblesse par l’acte de résistance. Dans la terminologie cubaine, il est dit qu’avant la Révolution, le peuple résistait contre le régime de Batista, qui mettait le pays au service des intérêts des États-Unis ; suite « au triomphe de la révolution »10, « peuple », « régime » et « pays » ne faisant plus qu’un, la résistance a été dirigée vers l’extérieur hostile11, principalement contre les États-Unis, et l’embargo qu’ils ont imposé. Et la résistance est devenue une dynamique du pouvoir.
En 1991, Fidel invite les Cubains à imiter Maceo12 et à refuser de se rendre : Cuba doit être un « eterno Baraguá ». Le maître mot sera la « lutte ». La légitimité repose sur un rappel constant des luttes passées. La Révolution couronne un « siècle de luttes ». Une continuité existe entre les différentes générations de combattants – celles de 1868, de 1895, de 1933 – et la génération de 1959, qui a pour mission de compléter le travail commencé par ses devancières. Un avenir radical exigeait un passé radical. L’histoire est source de modèles à imiter. Elle inculque le sens du combat, de l’abnégation, du sacrifice. La Révolution confère une visibilité nouvelle aux historiens révisionnistes et à leurs œuvres. Elle puise généreusement dans ce fonds pour affirmer, définir et défendre la Révolution face à l’opposition interne et externe. (Morin, 1996)
15La résistance était devenue le principe du peuple et de la Cuba « révolutionnaire », dont l’histoire commence bien avant la prise de pouvoir par les Barbudos ; la terminologie de la résistance réalise l’unité historique cubaine depuis la lutte contre les Espagnols jusqu’à celle, contemporaine, contre les États-Unis. En cette période post-soviétique où l’identification d’un ennemi responsable des difficultés du pays n’est pas aisée, le langage de la résistance et de la lutte qualifie même la quotidienneté des gens : « lucha » – lutte – est devenu le synonyme de « vie quotidienne » et « luchando »13 celui de « vivre au quotidien », « lot quotidien », sous-entendu « résister pour survivre ». Ce terme est communément utilisé pour qualifier les moments et les scènes difficiles de la vie sociale, qui sont parfois d’une grande banalité. Comme cette séquence dans ce chariot à traction chevaline qui fait office de bus collectif à Cienfuegos. Chargé au maximum de ses capacités, le chariot rempli d’une dizaine de personnes était tracté par un seul cheval. Les passagers maugréaient car ils étaient serrés les uns contre les autres ; alors pour détendre l’atmosphère et lancer une conversation toujours facile à initier, j’ai dit : « pauvre cheval », et une femme d’une soixantaine d’années m’a répondu : « pauvres Cubains, oui, toujours obligés de lutter pour survivre14 ».
16L’objet de cette résistance quotidienne n’est jamais explicitement désigné, et pas seulement par crainte. Il y a une sorte de fatalisme, une résignation aux difficultés dont les individus ne voient pas la fin, et qui semblent inséparables de leur histoire ; et c’est en cela que la période de « soviétisation » de la société cubaine, des années 1970-1980, si oppressante qu’elle ait pu être sur le plan des libertés politiques, intellectuelles et des mœurs, reste une période faste et plutôt heureuse dans le souvenir de l’immense majorité des Cubains, car exempte de difficultés matérielles.
La révolution, aboutissement de l’histoire de la résistance
17Dès la prise du pouvoir, le 1er janvier 1959,1e régime cubain révolutionnaire a eu comme tâche prioritaire d’éviter son renversement et d’éviter qu’il n’y ait d’autres renversements par les armes. Pour se maintenir au pouvoir, les nouvelles autorités ont eu à lutter militairement de manière prolongée. Le contrôle du pouvoir ne semble pas avoir été consolidé avant le milieu des années 1960. Car si l’épisode de la tentative d’invasion de l’Île, dans la baie des Cochons, par des exilés cubains soutenus par les États-Unis, en avril 1961, est un épisode glorieux, relaté sous tous les angles, la guerre qu’a dû mener l’armée révolutionnaire cubaine contre les forces contre-révolutionnaires jusqu’en 1965 a été beaucoup plus discrète. Cet épisode de l’histoire cubaine est réduit à la « lutte contre les bandits de l’Escambray15 ».
Depuis près de 50 ans, les « livres témoignages », le cinéma, la presse et les dirigeants ont [...] minimisé l’ampleur de ces affrontements armés, n’évoquant que des « actes de vandalisme », perpétrés par des « bandits » asociaux en collusion avec les « mercenaires » recrutés par Batista et la CIA. (Bloch, 2008)
18Le sentiment de danger externe, largement justifié par un environnement immédiat des plus hostiles et agressifs, a toujours été un des ingrédients fondamentaux de la large cohésion nationale et patriotique, alors que mettre l’accent sur le danger interne eût été exactement contre-productif. Le degré d’agrégation de la société au régime révolutionnaire et à sa politique a été en grande partie réalisé au travers de la personne du chef charismatique, Fidel Castro Ruz. El Comandante en Jefe16 signifie la révolution jusque dans les dangers concrets auxquels ils sont tous deux exposés. Ainsi, la résistance cubaine est fortement symbolisée par le nombre impressionnant d’attentats dont il aurait été victime. Officiellement, il est dit que Fidel a survécu à 638 tentatives d’assassinat.
19Du fait des graves difficultés de santé de Fidel Castro, il a été décidé de mettre en scène ces attentats dans une série télévisée intitulée « El que debe vivir » (Celui qui doit vivre), diffusée en huit épisodes par la télévision cubaine au printemps 2010 ; il est également annoncé que Luis Adrián Betancourt, journaliste et écrivain, publiera en 2010 en Espagne un livre sur ce même thème17.
20Cette série est une superproduction extrêmement coûteuse et ambitieuse qui a mobilisé plus de 200 acteurs et plus de 800 figurants. La vie et les qualités de Fidel y sont intimement et profondément associées au destin du peuple et de la révolution. La série vise à souligner aussi bien les dangers qui les guettent que la force qui les porte.
21Le récit de ces attentats, ou projets d’attentats, contribue à la grandeur du personnage et à sa qualité de « commandant en chef » : indestructible mais mortel. Incarnation de la révolution, leurs images sont intimement associées, indestructibles par les forces externes, mais travaillées par l’épuisement de leurs énergies internes. C’est ainsi qu’il qualifie lui-même les risques pour la révolution : dans son célèbre discours de l’université de La Havane le 17 novembre 2005, Fidel Castro prédit : « Ce pays-ci peut s’autodétruire, cette révolution peut se détruire. Ceux qui ne peuvent pas la détruire, ce sont eux ; nous, en revanche, nous pouvons le faire, et ce serait notre faute18. » La seule différence étant que la disparition physique de Fidel est inévitable, alors qu’il n’y a a priori aucune fatalité à la disparition des acquis et des idéaux de la révolution. Ce qu’il pointe ainsi, c’est le phénomène de corruption, mais les analystes cubains critiques ne sont pas dupes des faiblesses du régime et pointent tous l’absence de démocratie comme le mal le plus dévastateur du pays. C’est ainsi que l’exprime un sociologue cubain, Aurelio Alonso :
Fidel estime que si la révolution ne peut être détruite de l’extérieur, elle peut se saborder elle-même. Il signale la corruption comme le mal pouvant provoquer cette destruction. Je pense qu’il a raison, mais qu’il n’a pas tout dit. Je me demande en plus si l’écroulement du système soviétique était essentiellement un effet de la corruption, même si la corruption faisait certainement partie de la structure des déviations. À mon avis le socialisme peut être renversé par la bureaucratie et l’absence de démocratie aussi bien que par la corruption. Je ne parle pas là de systèmes électoralistes, des confrontations pluripartidaires, des luttes de campagne, ni des alternances au pouvoir. Je parle de la démocratie, que nous n’avons pas été capables de créer sur Terre, bien que nous croyions tous savoir ce que c’est. (Alonso, 2006)
22Dans tous les discours révolutionnaires post-seconde guerre mondiale jusqu’aux mouvements altermondialistes, « résistance » et « construction de la société alternative » sont présentées comme deux éléments compatibles et complémentaires. Toutefois, l’expérience cubaine montre une relation entre « résistance » et « alternative » beaucoup plus complexe car l’insistance exclusive sur la résistance ne laisse pas de place au développement de la démocratie.
23En raison d’un déséquilibre entre résistance et alternative, l’alternative a toujours été proche de la stagnation, et cette stagnation a toujours été déguisée par la vitalité continue et noble de la résistance. Cette prédominance de la résistance a fini par lui attribuer un « excès diagnostique » : la nécessité de la résistance pouvait être invoquée pour diagnostiquer l’impossibilité de l’alternative (Sousa Santos, 2009).
24Des intellectuels cubains font actuellement la démonstration historique qu’aucune possibilité de construction alternative viable et satisfaisante ne peut se construire sans démocratie. Et cette évidence de la nécessité démocratique ne s’impose pas aux intellectuels cubains par le biais des groupes d’influence « anticastristes », très actifs aux États-Unis, où ils bénéficient d’une très importante aide financière19. Ces organisations ont effectivement quelques relais sur place, mais restent sans prise conséquente sur la société cubaine : l’anti-étasuanisme est très bien entretenu par le régime et la dissidence de Floride se discrédite en médiatisant des projets économiques effrayants pour la grande majorité de la population de l’île. C’est ainsi que la fondation espagnole, El Real Instituto, évaluait l’état de la dissidence cubaine des années 2000 :
Bien que l’opposition et le mécontentement aient augmenté à Cuba, les groupes dissidents sont faibles et souvent infiltrés par la sécurité d’État cubaine. Sans accès aux médias contrôlés par l’État et constamment harcelés par la police, ces groupes éprouvent des difficultés à s’organiser et à fonctionner. Beaucoup de ses dirigeants ont montré beaucoup de courage pour défier le régime. Toutefois, maintes et maintes fois l’appareil de sécurité les a discrédités ou détruits, et ils ne représentent pas aujourd’hui une menace forte pour le régime. Dans un passé récent, des groupes dissidents et des projets d’opposition ont été développés. Le plus connu est le projet Varela, qui a rassemblé des milliers de signatures pour demander à l’Assemblée nationale de modifier les lois de Cuba et de permettre des élections pluripartites. Pour la première fois depuis plus de quatre décennies, un grand nombre de Cubains se sont mobilisés pour faire une pétition au gouvernement. La réponse de Castro a été rapide et brutale. Il a organisé son propre plébiscite pour déclarer le caractère communiste permanent et inviolable de son régime et d’empêcher l’Assemblée nationale d’examiner de tels projets. (Suchlicki, 2005)
Démocratie et nouvelle posture de l’État
25C’est au contact des expériences des gauches latino-américaines désormais au pouvoir dans plusieurs pays que l’idée de démocratie est redevenue une idée neuve et phare à Cuba. La fréquentation de l’Institut de philosophie de La Havane a été instructive à cet égard20. Dans les discussions que j’ai eues avec les membres de cette institution, ce sont les développements en cours dans les pays comme la Bolivie et l’Équateur qui attiraient le plus leur intérêt. Contrairement au Venezuela, dont le système est le plus souvent décrit comme la mise en place d’un capitalisme d’État, les processus bolivien et équatorien sont valorisés parce que beaucoup plus axés sur la coopération des citoyens, qui se voient offrir la possibilité de participer à l’élaboration de projets de société présentés comme beaucoup plus conséquents.
26L’Institut de philosophie est une des institutions où des réformes du système politique et économique cubain sont pensées et proposées. Il s’y exprime une diversité d’options économiques et politiques – inutile de dire qu’elles relèvent toutes du socialisme. Humberto Miranda Lorenz, philosophe et militant associatif, représente une de ces options, qu’il qualifie de libertaire. Il porte un intérêt particulier à l’histoire et aux expériences économiques et politiques de la République fédérative socialiste de Yougoslavie car ses recherches ont l’autogestion pour objet21. À son sens, l’autogestion peut constituer une bonne inspiration pour l’avenir cubain qui doit nécessairement être « radicalement » différent de ce qu’est Cuba aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de changements économiques, mais également et surtout de changements politiques. Il insiste beaucoup sur le fait que la chose la plus importante est de changer le fonctionnement pyramidal du système politique, avec davantage de participation de la population. Les individus devraient être investis d’un réel pouvoir de décision. L’autre point important mis en avant, relativement aux indispensables réformes politiques, est la nécessité de réduire considérablement, ou de faire complètement disparaître, le nombre d’élus qui ne sont pas issus d’une élection directe, mais sont soit élus soit désignés par de grands électeurs. Le souci écologiste est également présent dans la volonté affichée de « désurbaniser la ville et les esprits », l’environnement de vie concret et les façons de penser.
27Le concept central de cette « désurbanisation » est le « Buen Vivir22 » (bien vivre), principe désignant une vie harmonieuse et équilibrée entre les hommes et les femmes, entre les communautés, et entre les êtres humains et la nature. En pratique cela implique du savoir-vivre en société, le respect de l’égalité, l’absence d’exploitation et du respect envers la nature en préservant son équilibre. Le Bien Vivre est déjà un concept incorporé au débat de l’Assemblée constituante de l’Équateur. Le concept de Buen Vivir est proposé par les peuples indigènes de Bolivie, d’Équateur et du Pérou pour désigner la relation de l’homme avec la nature, avec l’histoire, avec la société, avec la démocratie.
28La transformation du socialisme cubain est désormais toujours pensée en connexion avec les changements en cours dans les pays amis d’Amérique latine, à la différence que dans les pays à l’orientation bolivarienne, comme la Bolivie, l’Équateur et le Venezuela, le sentiment populaire dominant semble être que les conditions de vie matérielles et spirituelles s’améliorent, qu’ils accèdent à plus de confort, à plus d’éducation et à plus de culture ; alors qu’à Cuba l’impression est exactement inverse, les gens ont surtout le sentiment d’avoir beaucoup perdu depuis la chute de l’URSS. Pour Humberto, « la période actuelle est à la fois un désastre matériel et une chance intellectuelle ».
29L’Institut de philosophie est un acteur du processus de transformation de la société cubaine, mais le centre incontesté de l’élaboration de la réforme de la transition dans le socialisme est l’ICAIC (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos) dont le président est Alfredo Guevara. Il est aussi le président du Festival du nouveau cinéma latino-américain qui se tient au mois de décembre à La Havane, et qui est un rendez-vous important du cinéma du continent américain, avec la projection régulière de films espagnols et français. Alfredo Guevara est un personnage important de l’histoire cubaine. Il passe pour être un des plus anciens communistes de la nomenklatura de Cuba : il aurait intégré l’ancien Parti communiste de Cuba dans les années 1940, et y aurait fait adhérer Raúl Castro. De façon certaine il est, avec Eusebio Leal23, un des piliers fondamentaux de la culture et de la politique culturelle cubaines.
30La revue de l’ICAIC, Temas, est le média le plus prestigieux de l’activisme intellectuel et politique de la rénovation du système. À sa lecture, il est indéniable qu’il existe une discussion critique et une réflexion sur la manière de développer autrement le socialisme, mais ce travail n’est pas médiatisé, et le grand public n’a pas connaissance de ces débats. La revue est très peu distribuée en dehors des points de vente principalement fréquentés par l’élite intellectuelle réformiste ; il pourrait également sembler paradoxal qu’elle soit bien diffusée dans les centres touristiques, mais cela n’est paradoxal qu’en première approximation, car mettre une telle revue à la portée des étrangers contribue à donner une image positive, « démocratique », du pays. L’ICAIC est l’institution phare de la construction de la transition cubaine dans le cadre du socialisme. Le numéro double 50-51 de 2007 était entièrement consacré à la question de la transition, avec la participation d’intellectuels et d’hommes politiques, et une importante retranscription d’un débat intitulé « Sur la transition socialiste à Cuba : un symposium » (Sobre la transición socialista en Cuba : un simposio), auquel ont participé des universitaires, des hommes politiques et des responsables d’instituts (comme l’Institut de philosophie) et de revues (Casa de las Américas, Marx Ahora, Temas24.) À côté de Temas, d’autres revues médiatisent parfois des propositions de transformation sociale qui vont toutes dans le sens d’une transition socialiste25. Mais la population est très largement coupée de ce débat et ne lui accorde que peu d’intérêt. Du côté de la pratique, des expériences participatives sont timidement apparues depuis la chute du bloc de l’Est. Les intellectuels réformistes de gauche amplifient leur importance et y voient les prémices d’une démocratisation de la participation populaire26, mais les initiatives de loin les plus importantes qui se manifestent dans la société ont pour objectif des gains économiques. Le retrait partiel de l’État de certains espaces de la société n’a été que marginalement occupé par des idées et des pratiques alternatives. Aucun mouvement notable ni en direction d’une « transition socialiste » ni en direction d’une « transition libérale » n’a été observé. La gestion de l’espace médiatique des chaînes étrangères est symptomatique du fonctionnement social et des paradoxes actuels qui agissent dans la société cubaine. Il est officiellement interdit d’installer chez soi les chaînes étrangères, et pourtant une bonne partie de la population urbaine de file est connectée aux chaînes câblées nord-américaines de langue espagnole (états-uniennes et mexicaines) mais ce n’est pas pour regarder les programmes qui diffusent des informations alternatives, mais des telenovelas (feuilletons), plus excitantes, et du baseball en plus grande quantité27.
31Non seulement l’efficacité du dispositif de contrôle d’État prive la propagande américaine de visibilité dans l’espace public mais cet exemple montre aussi que l’espace privé lui échappe également très largement. Et puis il y a un facteur qui dessert les interventionnistes états-uniens, c’est le fait que les gens se tiennent de plus en plus à distance de l’État, ils font leurs affaires en parallèle du dispositif étatique, à la limite de la légalité et de l’illégalité. L’État, ces dernières années, n’a fait qu’élargir l’espace dans lequel ce développement est possible. De sorte que la présence de l’État n’est plus vécue de manière aussi oppressante que par le passé. La mise à distance de l’État dans la vie et les activités quotidiennes est le résultat d’un double mouvement apparent : d’abord, celui des usagers qui sont par nécessité dans une dynamique de contournement des règles et des lois, ensuite celui des agents institutionnels qui ont nettement moins de conviction à les faire respecter, ou beaucoup plus d’intérêt à veiller de manière sélective à leur observation, et cette sélection se fait dans le cadre et avec les règles d’un marché établi. Il en va ainsi par exemple de l’accès aux chaînes d’Amérique du Nord dont il était question plus haut. La connexion se fait par des câbles qui se confondent avec ceux qui sont légalement posés pour le branchement du téléphone ou de l’électricité. Afin de jouir des programmes étrangers, il est indispensable de payer la personne qui loue illégalement la connexion, mais aussi les agents des compagnies nationales d’électricité et du téléphone. Lors des contrôles, ces agents sont parfois contraints de couper les connexions lors de leur passage dans la journée, mais ils reviennent le soir pour rétablir les branchements. Dans un rapport de proximité, l’État est présent dans la vie des citoyens par l’intermédiaire des représentants des institutions de services et de sécurité. Dans les situations évoquées ici, il s’agit principalement des agents des compagnies du téléphone, de télévision et des télécommunications, des inspecteurs du travail et de l’habitat, ainsi que des responsables des Comités de défense de la révolution28 et des services de police.
Économie et pouvoir en temps de « période spéciale »
32La disparition du socialisme en Europe a engendré une période de « crise économique très profonde et de discrédit mondial du socialisme29 ». Suite à cet événement, le niveau de vie des Cubains chute dramatiquement et apparaît une pénurie de nourriture, d’électricité, de gaz et de médicaments. Les dirigeants cubains entreprennent alors d’importantes réformes, et font du tourisme la principale ressource économique. L’entreprise privée et le travail autonome sont autorisés dans certains domaines, tout comme les investissements étrangers et le dollar américain (remplacé en 2004 par un peso convertible d’égale valeur), et, depuis 2009, sont également autorisés les doubles emplois qui permettent de doubler des salaires beaucoup trop bas eu égard aux prix des produits de consommation courante, qui semblent davantage être alignés sur le pouvoir d’achat des touristes que sur les salaires cubains. De plus en plus de produits ne sont accessibles qu’en échange de pesos convertibles, alors qu’au mieux une petite partie du salaire est réglée en CUC30. Ces efforts ont permis au système cubain de résister, mais cette réussite ne va pas sans la création de paradoxes et de déséquilibres qui s’accentuent.
33Cette activité a un effet pervers de taille pour la société cubaine. Des secteurs économiques pourtant indispensables au développement du pays sont de plus en plus délaissés au profit d’une économie émergente aux salaires et aux conditions plus alléchantes. Ainsi, les inscriptions dans des études telles que l’agronomie, les sciences naturelles et les mathématiques, ainsi que des branches techniques ont vu leurs taux baisser de 32 % à 57 %, alors qu’elles ont augmenté de 565 % dans les humanités et les sciences sociales31, principalement dans des spécialités liées au tourisme. Même les professionnels de la médecine sont tentés de quitter leur emploi pour les activités du tourisme. Un des entrepreneurs ayant le plus réussi parmi ceux que j’ai rencontrés durant mes séjours à Cuba a abandonné son activité de vétérinaire pour se consacrer à son entreprise touristique. Le tourisme permet principalement trois sortes de revenus : la location de chambres dans sa propre maison, les commissions sur les services proposés aux voyageurs et des opérations qui ont un caractère durable, effectuées au bénéfice des étrangers.
34Au début des années 1990, les visiteurs étrangers furent dans un premier temps strictement cantonnés dans les espaces hôteliers puis, avec la croissance et la diversité de la demande, un nouvel espace d’accueil a progressivement été ouvert aux touristes : les « chambres chez l’habitant » (casas particulares). Avec l’ouverture de ces nouveaux lieux d’accueil, l’économie touristique officielle, qui reste très encadrée et contrôlée, s’est enrichie d’une dimension privée. Le domaine des locations privées s’est structuré sous l’impulsion d’individus dynamiques qui ne se contentent plus de gagner de l’argent en louant seulement des chambres, mais en proposant des services complets de prise en charge des individus et des petits groupes lors de leurs séjours et de leurs déplacements touristiques dans le pays.
35Ces agents touristiques tirent de ces services un important profit sous forme de commission. Des moyens de captation de la clientèle ont également été développés, qui jouent d’une part sur la peur et d’autre part sur la séduction. D., un important entrepreneur touristique du centre de La Havane, a institué la mise en garde et l’évocation des services possibles en un rituel d’introduction systématique à l’arrivée des visiteurs. Il dit à chaque visiteur qu’il ne faut pas sortir le soir avec un sac et qu’il ne faut jamais avoir sur soi des affaires de valeur. Et lorsque, par exemple, Valérie, une jeune femme française, lui répond qu’elle a l’habitude de voyager et qu’elle n’est pas bête au point de sortir avec des bijoux de valeur, il lui répond : « Mais ici, ce n’est pas comme ailleurs, Cuba c’est beaucoup plus dangereux », alors même qu’il n’est jamais sorti de Cuba et qu’en dehors de La Havane, il ne connaît que Matanza, la ville la plus proche32. Le talent oratoire et la peur de l’inconnu aidant, cette opération est le plus souvent efficace pour se rendre indispensable aux touristes pendant leur séjour. La séduction est une autre manière, complémentaire, de vendre ses services aux voyageurs étrangers. Les discours sont systématiquement plaqués sur les attentes supposées des visiteurs. Et ici l’objet politique joue un rôle important. L’échange que j’ai eu avec J., un jeune guide « indépendant », est révélateur à cet égard :
36Q. : Lorsque vous êtes entre vous, est-ce que vous parlez de politique ?
37J. : Entre nous, jeunes, non. Jamais. On s’en fout. Moi j’en parle parce que je suis obligé, enfin aussi parce que je suis curieux. J’en parle beaucoup avec les touristes, parce que je sais qu’il faut en parler. Les Français aiment parler de politique. J’en parle aussi avec les Cubains plus âgés. Les vieux parlent de politique aussi.
38Q. : Tu en parles de la même manière avec les étrangers et avec les Cubains ?
39J. : Oui et non. Avec les Cubains tu peux aussi être critique, mais avec les étrangers c’est une manière de créer une intimité, une relation de confiance. Les discussions politiques avec les étrangers font partie du « travail »33, pour que les gens se sentent à l’aise et en confiance. Les touristes s’imaginent qu’il est interdit et dangereux de parler de politique à Cuba, alors ça crée une relation plus proche, plus de confiance.
40De manière globale, les sujets de conversation avec les touristes font l’objet d’un minutieux apprentissage ; en ce qui concerne la France, cela fait pleinement partie de l’apprentissage aussi bien dans la formation de l’Alliance française que dans les études de français à l’université.
41Les loueurs de chambre qui bénéficient de la recommandation d’un guide touristique de renommée internationale, comme le Guide du routard pour ceux qui sont spécialisés dans la clientèle française très nombreuse sur l’île, peuvent prétendre à une position dominante dans ce champ économique, qui est concurrentiel, hiérarchisé et organisé en réseau. La hiérarchisation au sein du réseau est déterminée en fonction du degré de proximité avec les ressources que constituent les touristes. Les livres touristiques assurent une clientèle abondante et régulière. Pour être en bonne place dans le guide, il est important d’avoir un bon récit à raconter sur l’histoire de sa maison pour valoriser le patrimoine mis à la disposition des touristes. Il s’agit ensuite d’entretenir ce récit patrimonial par une mise en scène adéquate. Les imageries révolutionnaires et musicales sont largement utilisées, cela va de soi. D., qui dit et pense pis que pendre de Fidel Castro et de la révolution, s’est inventé une filiation révolutionnaire où il a mis en scène son père dans le rôle d’un compagnon de lutte du Che de la Sierra Maestra, avec photos aux murs et anecdotes prétendument transmises par le père. Et tout ça pour la cause marchande. Les récits racontés aux touristes contribuent pour l’essentiel au prestige de la maison, car ces récits deviennent des qualités constitutives de la maison. Le tourisme cubain est tel qu’il demande à être alimenté en mythologie principalement composée de révolution, de sensualité et de musique.
42L’adoubement par un manuel spécialisé n’est toutefois pas suffisant pour assurer une position dominante dans le réseau des entrepreneurs touristiques. Les qualités développées pour s’élever dans la hiérarchie du champ touristique sont également relationnelles, linguistiques et culturelles, ce qui donne à l’Alliance française une place particulièrement importante. Cette institution d’enseignement linguistique et de propagation culturelle compte plus de cinq mille étudiants à La Havane. Et son efficacité est indéniable : il est troublant d’entendre ces professionnels, souvent jeunes, parler le français parfois sans aucun accent et développer des thèmes de la société française comme s’ils étaient familiers de la France.
43Les touristes constituent une ressource durable pour les agents touristiques qui développent une activité économique parallèle à celle de l’État. Les touristes qui arrivent chez un agent, soit parce qu’ils ont réservé soit parce qu’ils ont été guidés localement vers lui, sont pris en charge par lui et restent identifiés à lui. Lorsque l’agent les oriente vers un autre loueur de logement, que ce soit dans le quartier ou en province, il encaisse une commission de 5 CUC34 sur un prix de location qui varie entre 15 et 25 CUC. Bien souvent, les touristes demandent des contacts de logement pour leur voyage dans le pays, et lorsqu’ils ne le font pas l’agent le leur propose. De sorte que l’agent peut toucher une commission sur chaque nuitée du séjour. D’où l’importance pour l’agent d’être intégré dans deux réseaux indispensables pour son activité : un en amont, qui guide les touristes jusqu’à lui, et un autre en aval, qui lui permet d’avoir une location à proposer aux touristes quel que soit leur souhait de destination dans le pays. En plus des commissions, l’agent touristique tire un profit substantiel en ne déclarant pas une partie de ses locations domestiques. Voici la description que fait S. de son activité :
Je paie 300 CUC de taxes par mois pour deux chambres que je loue. Les chambres de location sont limitées à deux. Les propriétaires paient différentes taxes : municipale, provinciale et l’impôt sur le chiffre d’affaires (10 %). Il y a trois manières courantes qui permettent aux propriétaires des casas particulares d’arriver à se garantir un bénéfice convenable : 1) Ne déclarer qu’une chambre ou deux et en avoir trois35, et payer un inspecteur qui va couvrir la magouille.
Le tarif habituel de l’inspecteur est de 300 PN36 2) Déclarer une somme bien moindre que le prix encaissé : en haute saison, j’encaisse 25 et je déclare 15 ; en basse saison, j’encaisse 2037 et je déclare 12. Certains déclarent 10, mais cela me semble exagéré. 3) Ne pas déclarer systématiquement toutes les nuitées. Le samedi soir, on peut sans risque ne pas déclarer l’intégralité des clients parce que le samedi soir et le dimanche, il n’y a pas de contrôles.
44Les tenanciers des « casas particulares » ne déclarent pas toutes les chambres et ils ne déclarent pas toute la somme prélevée aux touristes. L’État ferme indéniablement les yeux car il pourrait facilement contrôler sur les guides touristiques les prix pratiqués par ceux qui y figurent et qui déterminent les prix pratiqués par tous. Une bonne partie des activités sur l’île se passe de manière non légale, en dehors des lois, mais sans que cela soit ignoré des autorités de l’État.
45L’arrivée des étrangers sur l’île offre aussi d’autres opportunités de gains importants. Ainsi L., que je connaissais depuis mon premier voyage en 2007, dès mon arrivée lors de mon deuxième séjour, s’est immédiatement vanté de posséder désormais un studio. L’affaire m’avait d’abord intrigué parce qu’il est officiellement impossible de devenir propriétaire d’un bien immeuble, mais elle fut également éclairante sur une dimension de l’économie non officielle qui était encore inédite pour moi. Il m’a appris que l’affaire avait été menée avec un riche Italien de 56 ans qui a une « fiancée » cubaine de 19 ans originaire de la province. Pour qu’elle puisse s’installer à La Havane, il fallait lui trouver une vraie raison. Et c’est la mère de L. qui l’a trouvée. L’activité financière principale de sa mère est d’arranger la « vente » et les « achats » des biens immeubles. Elle connaît les moyens de contourner les lois qui sont censées rendre impossibles les transactions autres que les permutations38. Elle est professeur de philosophie de profession et son père est journaliste dans une des plus importantes institutions de l’État.
46Outre sa compétence de rendre possibles les transactions immobilières légalement impossibles, elle peut également résoudre d’autres difficultés liées aux questions de résidence. Cette jeune « fiancée » n’avait aucune raison administrativement valable de s’installer à la capitale. Elle n’avait pas de famille et le déplacement ne s’est pas fait à la demande des autorités économiques dans le cadre d’une délocalisation professionnelle. Le seul moyen qu’elle avait de s’installer légalement à La Havane était de se marier. Et c’est ce qu’elle a fait sous la direction de la mère de L., qui a employé son fils pour cela. La maman a négocié le salaire de son fils en nature : un appartement sur le Malecon. Le « couple » est resté marié quatre mois39. À cette occasion, j’avais aussi appris qu’il s’agissait du quatrième mariage de L.
47Toutes ces activités seraient impossibles sans une mise à distance de l’État par les individus et sans un retrait important des institutions officielles, qui sont les manifestations d’une nouveauté déjà advenue.
Retour à l’événement
48L’État, par l’intermédiaire des représentants qui le constituent, donne l’impression d’abandonner la prétention et la capacité à la maîtrise totale de la société ; entre un laisser-faire pragmatique et une impuissance désormais structurelle, il est difficile de trancher. Car à y regarder de plus près, les deux dimensions sont présentes. Le laisser-faire pragmatique est indéniable, car les activités qui se déroulent à la marge ou en dehors de la légalité sont nécessaires au fonctionnement de l’économie nationale. De plus, les autorités, qui sont quelque peu frileuses dans cet inévitable processus de transformation sociale, peuvent être rassurées par l’idée de laisser la libéralisation économique dans une situation d’illégalité tolérée. Ces deux dimensions sont assurément perçues comme avantageuses par les dirigeants cubains qui doivent gérer des changements nécessaires mais qui craignent d’en perdre le contrôle. Les avantages de cette situation d’illégalité tolérée sont à la fois économiques et politiques. D’une part, cette économie non légale produit des richesses indispensables à la population et donc à la stabilité sociale ; et d’autre part, cela laisse la possibilité aux représentants de l’État d’intervenir de manière répressive pour l’étouffer, si les changements prennent un tour trop menaçant pour la structure politique et sociale en place. Cet espace non légal, mais largement toléré, fonctionne comme une soupape de sécurité qui doit prévenir toute dérive de libéralisation capitaliste, un espace qui est aussi un temps nécessaire pour donner la possibilité à l’ensemble de la structure de se transformer, afin d’éviter une implosion similaire à celle des pays socialistes d’Europe et de se donner la possibilité de sélectionner progressivement les éléments qui devront désormais, en cette période post-soviétique inédite, signifier la révolution et la démocratie.
49Il est impossible de prévoir le sens dans lequel se développera la société cubaine dans le futur, mais il est évident que ces espaces socialement investis à distance de l’État40 sont potentiellement des lieux d’expérimentation des capacités créatrices des sujets individuels et collectifs. Ces capacités s’affirment actuellement principalement dans le domaine économique, alors que les sphères culturelles41, politiques et associatives42 sont beaucoup moins investies. Et finalement, loin d’être une société qui serait travaillée par les enjeux de l’événement annoncé, nous observons une société qui se reconstruit et se restructure dans l’espace des possibles ouverts par l’événement qui a déjà eu lieu, celui de l’effondrement du socialisme d’Europe. L’événement s’est produit parce qu’il y avait des raisons pour qu’il advienne, mais il se distingue de l’avènement car celui-ci est un aboutissement de la somme d’actions ultérieures, alors que ce qui fait événement, c’est précisément ce qui surprend, ce qui dérange, ce qui déconcerte, ce qui étonne. Et cela a bien été le cas avec la disparition de l’Union soviétique et du monde qu’elle a contribué à structurer. L’échec du socialisme en Europe a bien des causes identifiables mais son effondrement était loin d’apparaître comme une conséquence logique au moment où il s’est produit. Les récits logiques ont été construits ultérieurement. En revanche, le décès de Fidel Castro adviendra inévitablement, et quels que soient les sentiments qu’il suscite – amour, haine ou indifférence –, cela ne surprendra personne. La société cubaine vit maintenant depuis des années sans la présence physique du chef historique, et ce sans véritables bouleversements. Quant à l’effondrement du système, la période euphorique de ses ennemis est passée avec les années 1990. Désormais, l’enthousiasme des acteurs « anticastristes » de l’étranger, et singulièrement des États-Unis, est retombé au niveau de la routine d’une économie qui ronronne.
50L’événement a donc bien été la disparition du socialisme d’Europe, car là se situe la ligne de partage, la rupture d’intelligibilité. Mais le cas cubain indique aussi que l’événement ne se confond pas avec une origine, car l’origine ne fait pas grand cas de ce qu’il y avait avant. Malgré « la crise économique très profonde et le discrédit mondial du socialisme », la temporalité de Cuba est toujours celle de la révolution, qui se présente comme l’aboutissement et la synthèse de toute l’histoire de la résistance du « peuple cubain ». La résistance est un puissant élément de légitimation politique et elle a été constituée en valeur absolue ; ce qui a largement imprégné l’imaginaire social et en a fait un repère central de la vie quotidienne. Mais si ce dispositif de résistance permanente est efficace dans une posture de défense face à des dangers extérieurs, cela semble être un frein puissant à un redéploiement structurel de la société cubaine favorable à des relations sociales moins contraintes et moins hiérarchiques. La libéralisation économique, qu’elle se développe légalement ou dans l’ombre de l’économie officielle, gagne l’ensemble de la société, car elle répond à une nécessité sans alternative. De sorte qu’un retour en arrière ne semble pas envisageable, et les entreprises privées, déjà nombreuses mais encore illégales, sont appelées à se répandre. L’événement de l’effondrement et du discrédit du socialisme a radicalement rompu avec la conception d’une économie qui ne serait pas de marché. Ainsi l’organisation régionale ALBA43, constituée en 2005, bien que favorisant le secteur économique public, par opposition au « Consensus de Washington »44 qui prônait la privatisation des entreprises publiques, ne vise pas la suppression du secteur privé. Mais si des conceptions libérales de l’économie pénètrent la société cubaine, la démocratisation politique est, en revanche, largement délaissée dans les préoccupations sociales exprimées dans la vie quotidienne, et les tentatives sont faibles même dans des espaces qui permettraient leur éclosion. Il est paradoxal, mais symptomatique, de constater que les individus qui réussissent le mieux dans la nouvelle économie du tourisme sont le plus souvent porteurs de discours nostalgiques de la période soviétique, dont ils ont pourtant définitivement fait le deuil.
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Notes de bas de page
1 Sur ce point, pour la Yougoslavie depuis sa création, voir J.-F. Gossiaux (2002).
2 « Señor Bush : Este pueblo no podrá ser engañado ni comprado : « transición », « fondo internacional para la libertad de Cuba, ayuda humanitaria », « oposición democrática ». « licencias para suministros de computadoras, accesso a internet », « becas para jovenes ». »
3 » Queremos una transición para perfeccionar y hacer mejor nuestro socialismo » (Juventud Rebelde, 7 mai 1995).
4 « El triunfo de la Revolución » désigne la prise du pouvoir par les révolutionnaires, alors que la Revolución est un processus ininterrompu jusqu’à aujourd’hui.
5 Pagina 12 (www.paginal2web.com.ar), 6 août 2006, traduction sur http://risal.collectifs.net/spip.php?article1875.
6 http://2001-2009.state.gov/p/wha/rt/cuba/commission/2004/c12236.htm.
7 http://risal.collectifs.net/spip.php?articlel875.
8 Pagina 12 (www.paginal2web.com.ar), 6 août 2006, traduction sur http://risal.collectifs.net/spip.php?article1875 ; voir aussi The New Yorker du 31 juillet 2006 : http://www.newyorker.com/archive/2006/07/31/060731fa_fact_anderson#ixzz0mfzDnfVX.
9 Fernando Martinez Heredia (2009), qui est probablement le penseur le plus influent de Cuba, distingue trois périodes dans la temporalité de la révolution : « Il y a vingt ans de cela, j’ai avancé l’idée d’une périodisation en trois étapes. La première débute avec le triomphe de la révolution jusqu’aux années 1970. La seconde s’étale jusqu’au début des années 1990 et la troisième (depuis) – encore faudrait-il s’interroger si elle est en train de s’achever ou non. »
10 Expression qui, à Cuba, désigne le prise de pouvoir révolutionnaire le 1er janvier 1959.
11 Même les dangers internes ne seraient que les résultats de manipulations extérieures.
12 Né en 1845 et mort au combat le 7 décembre 1896 près de La Havane, paysan métis de Santiago de Cuba, Antonio Maceo Y Grajales est un combattant et héros de la lutte pour l’indépendance de Cuba. Surnommé le Titan de bronze pour sa force et sa couleur de peau, il participe à la guerre des Dix Ans (1868-1878) et à la guerre d’indépendance (1895-1898). Antonio Maceo succède au président Céspedes, mort à la bataille de San Lorenzo en 1874, « à la tête des rebelles. Il refuse le pacte de Zanjón (10 février 1878) qui n’accorde à l’île qu’une autonomie relative et maintient l’esclavage. C’est « la Protesta de Baraguá » (15 mars 1878) devenue pour le peuple cubain symbole d’intransigeance révolutionnaire. Il est communément souligné en contrepoint, que l’indépendance des États-Unis a été réalisée en maintenant l’esclavage.
13 « Luttant », forme qui inscrit l’action dans le temps prolongé.
14 Voir aussi V. Bloch (2005/2006) et L. Karnoouh (2007).
15 Région montagneuse située au centre du pays.
16 « Le Commandant en chef » ou tout simplement « El Comandante » est le surnom de Fidel Castro qui est utilisé à Cuba et dans toute l’Amérique latine. Seuls les détracteurs de Fidel Castro, aux États-Unis et en Europe, utilisent l’expression « Líder Máximo » qui n’est jamais employée à Cuba.
17 Voici quelques extraits de la présentation médiatique de la série.
« Celui qui doit vivre : la série sur les attaques organisées contre Fidel »/Par Miguel Angel Ribalta
« La première de la série « Celui qui doit vivre » a eu lieu à l’Institut supérieur des sciences de la police MININT « Eliseo Reyes » Capitán San Luis. En huit chapitres, il est montré comment la vie de Fidel a toujours été en danger, menacée par les plans de 638 attaques, qui ont été neutralisées par le travail efficace des organes de sûreté de l’État, les Forces armées révolutionnaires et le peuple de Cuba. » http://www.tvcubana.icrt.cu/noticias/el-que-debe-vivir-serie-sobre-atentados-organizados-contra-fidel/
« Celui qui doit vivre », série télévisée cubaine fera ses débuts dimanche.
« Celui qui doit vivre » est une expression d’Abel Santamaría, combattant de la Moncada, en se référant évidemment à Fidel. La mafia n’a pas pu venir à bout de Fidel. Ni la CIA, ni les contrerévolutionnaires, ni le terroriste Posada Carriles. Le chiffre est astronomique, un record du monde : 638 opérations, les tentatives d’assassinat échouées ou avortées.
« Celui qui doit vivre est le titre choisi pour la série de huit épisodes qui débutera à la télévision cubaine, dimanche, après trois années de travail. Un succès assuré de télévision pour essayer de synthétiser un demi-siècle plein d’embuscades de rue, d’opérations suicides, de glace au chocolat empoisonnée, de grenades au lieu de balles de baseball, de bombes sous les égouts, de fusils à longue portée, de bombes sur la plage, de Bazookas à l’aéroport. La réalité ressemble à de la science-fiction. Les complots ont commencé avant le triomphe de la révolution. En 1953, pendant le procès où Fidel a entonné <« l’histoire m’absoudra », le prisonnier au numéro 4914 a évité la mort grâce à l’aide de ses codétenus et des surveillants qui ont changé ses plats empoisonnés. [...] Pour le dernier épisode, la télévision cubaine a choisi le complot échoué lors du Sommet de 2000, au Panama. Le groupe de Luis Posada Carriles a été arrêté avec 20 kilos de plastic et des armes explosives. Depuis que la CIA considère son élimination impossible, les tentatives infructueuses d’assassinat ont été presque exclusivement le fait de Posada Carriles, qui a consacré sa vie à cet ouvrage. Il a essayé sans succès au Mexique (1991) et en Galice (1992). En 1994, ils y sont presque arrivés durant une promenade en calèche avec Garcia Marquez à proximité de Cartagena de Indias. En 1997, l’US Coast Guard a neutralisé un yacht, La Esperanza, avec des fusils de calibre 50 mm à lunettes de visée et rayon infrarouge. » http://noticias.cibercuba.com/2010/03/03/7195/%E2%80%9Cel_que_debe_vivir%E2%80%9D_serie_de_la_tv_cubana_se_estrena_el_domingo
18 Prononcées par Fidel Castro, ces phrases sont régulièrement reprises et citées dans les discours des hommes politiques. Raúl Castro dans son allocution du 1er janvier 2009, pour le cinquantième anniversaire de la Révolution cubaine, à Santiago de Cuba : http://www.emba-cubalebanon.com/rau1010109f.html.
19 En 2008, l’aide à différentes initiatives qui œuvrent en faveur du renversement du régime cubain s’élevait à plus de 30 millions de dollars rien qu’en provenance du programme de l’agence des États-Unis pour le développement international, USAID ; voir http://www.usaid.gov/locations/latin_america_caribbean/country/cuba/Les principaux bénéficiaires de l’agence de l’État américain sont : American Center for International Labor Solidarity (ACILS), Center for a Free Cuba (CFC), Cuba Dissidence Task Group (CD I G), Cuba Free Press (CFP), CubaNet, Cuba On-Line, Florida International University – International Media Center (FIU-IMC), Freedom House, Institute for Democracy in Cuba (IDC), International Foundation for Election Systems (ILES), International Republican Institute (IRI), National Policy Association (NPA), Pan American Development Foundation (PADF), Partners of the Americas, Rutgers University, Sabre Foundation, U.S.-Cuba Business Council (USCBC) ; voir http://www.usaid.gov/locations/latin_america_caribbean/country/pubs/program_report/appendix_a.html
20 En dehors d’échanges amicaux et intellectuels, il m’a été donné de suivre, de 2007 à 2009, la préparation du « VIII TALLER INTERNACIONAL SOBRE PARADIGMAS EMANCIPATORIOS, LOS PROCESOS DE ARTICULACIÓN POLÍTICA EMANCIPATORIA. Desafíos de los movimientos sociales en los nuevos escenarios en América Latina, Grupo América Latina : Filosofia Social y Axiología (GALFISA), Instituto de Filosofía y Centra Memorial Dr. Martin Luther King, Jr. », qui s’est tenu à La Havane du 2 au 5 septembre 2009. Cette expérience fut à bien des égards riche et dense, car cette rencontre a regroupé des acteurs engagés dans des projets et des luttes d’« émancipation » dans l’ensemble de l’Amérique latine.
21 Alors que Fidel Castro a toujours explicitement rejeté l’autogestion et la voie yougoslave ; voir Cien horas con Fidel. Conversaciones con Ignacio Ramonet, Oficina de Publicaciones del Consejo de Estado de la República de Cuba, La Habana, 2006.
22 À propos de ce concept, voir Davalos (2008).
23 El Historiador de la Ciudad de La Habana (l’Historien de la ville de La Havane), en charge de la rénovation de la vieille Havane, qui est probablement le projet de rénovation et de restauration le plus ambitieux au monde. Il a aussi sous sa responsabilité l’ensemble de l’exploitation touristique et patrimoniale de la vieille Havane.
24 http://wwvv.temas.cult.cu/sumario.php?numero=50-51
25 Casa de las Américas, Enfoques, Caminos, La Jiribilla, La Gaceta de Cuba, ou encore des revues musicales, principalement de hip-hop, comme Movimiento, mais qui est à parution très irrégulière.
26 Armando Chaguaceda Noriega, « Asociacionismo y participación ciudadana : algunas reflexiones desde Cuba », http://www.alterinter.org/articlel937.html ou http://www.alterinter.org/article1937.html pour la traduction française.
27 C’est un phénomène général pour toutes les familles qui tirent des revenus du tourisme.
28 Los Comités de Defensa de la Revolución. Organisation populaire de niasse fondée le 28 septembre 1960 et organisée par quartier. Elle a joué un rôle important dans l’éradication de la contre-révolution armée, mais aussi dans l’accomplissement des programmes d’alphabétisation et de santé publique. Ils ont dans leurs prérogatives l’organisation de la vie de quartier. Ils veillent aussi bien au respect des normes idéologiques, à la tranquillité physique du quartier qu’à l’obligation de la vaccination des enfants. Si la fonction de surveillants politiques des Comités est péjorativement qualifiée, celle de garant de la sécurité des quartiers est largement saluée.
29 F. M. Heredia nomme ce que Fidel Castro a lui-même désigné comme la « Période spéciale en temps de paix » ou encore le plus souvent appelée tout simplement « Période spéciale ».
30 Peso cubain convertible.
31 Carmelo Mesa-Lago (2005), voir le livre auquel cet article se réfère : F. Álvarez et J. Máttar (eds.), Política social y reformas estructurales : Cuba a principios del siglo XXL LC/L.2091, Sede Subregional de la CEPAL en México/Instituto Nacional de Investigaciones Económicas (INIE)/Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo (PNUD), México D.F., 2004. Les chiffres cités ici datent de 2003, mais un autre indicateur, bien que subjectif, confirme cette tendance : actuellement les concours d’entrée dans les formations préparant aux métiers du tourisme ont la réputation d’être les plus difficiles et les plus concurrentiels.
32 De plus, cette dramatisation sécuritaire est contraire à l’affirmation qui prévaut dans toutes les autres circonstances sociales, où la sécurité de la vie à Cuba est mise en avant quels que soient par ailleurs les reproches faits au système ; Voir aussi à ce propos V. Bloch (2005/2006).
33 Guide, accompagnateur, loueur de chambres, « ami ».
34 Plus rarement 10 CUC.
35 Il semble que trois chambres à louer soit le nombre habituel.
36 Peso nacional.
37 En fait, le plus souvent les propriétaires disent que le prix est également de 25 CUC en basse saison, mais qu’ils peuvent descendre jusqu’à 20 CUC. S. dit qu’en basse saison, si quelqu’un reste un mois, il peut louer la chambre au prix de 18 CUC/jour.
38 À Cuba, en ce qui concerne les biens immobiliers, il est impossible de voir un panneau avec l’inscription « à vendre », mais uniquement avec l’indication « se permuta » – « à permuter ».
39 Les procédures de mariage et de divorce sont très simplifiées à Cuba. Pour le divorce, une simple déclaration est suffisante.
40 Même si les institutions de l’État gardent un œil vigilant sur ces activités, il n’est pas certain qu’elles aient encore la capacité de s’y opposer frontalement, à supposer qu’une volonté politique se dégage en ce sens.
41 Voir par exemple M.-L. Geoffray (2007).
42 Et ce malgré l’optimisme d’Armando Chaguaceda Noriega, « Asociacionismo y participación ciudadana : algunas reflexiones desde Cuba », http://www.alterinter.org/articlel937.html ou http://www.alterinter.org/articlel937.html pour la traduction française.
43 L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – Traité de commerce des peuples – Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América – Tratado de Comercio de los Pueblos (ALBA – TCP).
44 Concept théorisé par l’économiste John Williamson sur la base des dix mesures recommandées aux économies en difficulté, notamment en direction de l’Amérique latine, par les institutions financières internationales qui siègent à Washington (Banque mondiale et Fonds monétaire international).
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