2 Le texte a été rédigé pour l’essentiel au début de janvier 2011, avant l’épisode final de la chute de Laurent Gbagbo et de ses proches. Rien dans les événements récents n’appelle à modifier l’analyse présentée ici (voir la conclusion). Nous remercions Jean Daudelin, Mariane C. Ferme, Magali Chelpi-den Hamer, Thomas Siron et les membres du projet Transguerres pour leurs critiques et observations qui ont permis de limiter les imperfections du texte. Nous avons opté pour un appareil de notes lourd mais nécessaire pour alléger le texte des indispensables précisions sur les choix méthodologiques et sur le contexte ivoirien.
3 Il avait alors évincé, au cours des élections tronquées et perturbées de 2000, le général Robert Guéï, auteur d’un précédent putsch militaire en décembre 1999 contre Henri Konan Bédié, qui avait lui-même succédé en 1993 au « père de l’indépendance », Félix Houphouët-Boigny. Alassane Ouattara, le candidat réputé « nordiste », n’avait pu se présenter pour cause de « nationalité douteuse ».
4 Les chefs des insurgés sont d’anciens militaires factieux chassés de l’armée sous le régime précédent du général Guéï et des militaires des forces armées nationales. Très rapidement, cependant, Guillaume Soro – ancien dirigeant de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) proche de Laurent Gbagbo, devenu ensuite son concurrent, et proche d’Alassane Ouattara – prend les commandes politiques de l’insurrection. Il est Premier ministre de Laurent Gbagbo après les accords de Ouagadougou de 2007, puis d’Alassane Ouattara après les élections de novembre-décembre 2010.
5 Charles Blé Goudé est ministre de la Jeunesse dans le gouvernement, non reconnu internationalement, formé par Laurent Gbagbo après les élections contestées de novembre-décembre 2010. Il s’est exilé depuis la chute de Laurent Gbagbo. De son côté, la FESCI devient progressivement durant le conflit une milice pro-Gagbo plus particulièrement chargée des actions d’intimidation des opposants.
6 Dans les représentations populaires, la catégorie « jeunes » ou « jeunes gens » s’oppose, d’un côté, à celle des « enfants » et, d’un autre côté, à celle des « adultes » et des « vieux » en charge de responsabilités sociales. L’appréciation de l’âge comporte donc une forte dose d’indexation sociale, selon la position familiale, matrimoniale et économique des intéressés et leur implication dans les activités associatives ou politiques, ce qui rend la catégorie de « jeune » difficilement transposable en termes de tranche d’âge biologique. Dans nos enquêtes, l’exo- et l’auto-identification à la catégorie « jeune » concernent ainsi des personnes dont l’âge varie de fait entre une vingtaine et une quarantaine, voire une cinquantaine d’années. Nous suivrons l’usage local. La question de la participation des jeunes femmes aux organisations d’autodéfense ne sera pas abordée ici. Elle a été marginale quantitativement d’après nos informations – ce qui n’enlève pas son intérêt à la question –, et très peu de femmes ont fait l’objet d’entretien.
7 Le qualificatif de « progouvernemental » ne s’applique aux organisations se réclamant de l’ancien président Gbagbo que pour la période antérieure aux élections de novembre 2010, que celui-ci a perdues.
8 Ce travail ne porte ni sur les mobilisations patriotiques gouvernementales dans les grandes villes ivoiriennes du Sud, notamment à Abidjan, ni sur les mobilisations en milieu insurgé. La première limitation se justifie à deux titres. D’une part, la mobilisation des « jeunes patriotes » – l’appellation se réfère à une mouvance diversifiée, non à une organisation structurée en tant que telle – en milieu urbain est bien couverte par la recherche (Arnaut, 2005 ; Bahi, 2003 ; Banégas et Marshall-Fratani, 2007 ; Banégas, 2006, 2007, 2010a et 2010b ; Dakouri, 2009 ; Konaté, 2003 ; Koné, 2007), contrairement à ses manifestations dans les campagnes et les petites villes rurales. D’autre part, notre recherche s’inscrit délibérément dans l’hypothèse que beaucoup de conflits en Afrique ont des racines agraires sous-estimées (Ferme, 2001 ; Richards, 2005a ; Chauveau, 2005a ; Chauveau et Richards, 2008 ; Bøås, 2009.) Nous avons choisi par ailleurs de ne pas travailler dans la partie nord du pays pour des raisons de sécurité. Le processus de mobilisation du côté des insurgés est très peu documenté empiriquement. On sait que les militaires insurgés et leurs mercenaires d’origines diverses (libériens, sierra-léonais, burkinabè...) sont d’abord rejoints par les « chasseurs » dozos (ou donzo), ressortissants présumés d’une confrérie coutumière présente dans le Nord ivoirien et les pays sahéliens voisins, qui, depuis les années 1990, font profession d’assurer des services sécuritaires à travers tout le pays. Puis les insurgés sont progressivement rejoints par des jeunes gens venus d’horizons divers (Abidjanais et réfugiés de la zone gouvernementale d’origine « nordiste »fuyant la stigmatisation ethnique ; recrutés volontaires et forcés par les chefs de guerre rebelles dans la zone nord) (Fofana, 2008 ; Chelpi-den Hamer, 2010 et 2011a et 2011b ; International Crisis Group, 2003,2004 et 2005 ; Banégas et al., 2009).
9 Négocié et signé à l’écart des instances internationales par le président Gbagbo et le chef des Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro, avec l’arbitrage du président Blaise Compaoré du Bukina Faso, cet accord débouche sur la mise en place d’un nouveau gouvernement de transition chargé d’organiser des élections, avec Guillaume Soro comme Premier ministre et des représentants des partis d’opposition. Ce gouvernement met en place, avant l’éclatement de la crise postélectorale et la « bataille d’Abidjan » de décembre 2010 à avril 2011, un centre de commandement militaire intégré coordonnant les armées rebelle et gouvernementale ; démantèle la zone de confiance entre Nord et Sud ; redéploie au moins symboliquement l’administration territoriale dans la zone nord et finalement réussit à surmonter les obstacles aux opérations d’identification et de recensement électoral des populations. En revanche, la disposition de l’accord de paix concernant le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des combattants des Forces nouvelles dans le nord et des milices progouvernementales n’est pas réellement mise en œuvre avant les élections de novembre-décembre 2010. Pour une chronologie du déclenchement et du déroulement du conflit ainsi que du processus de négociation jusqu’aux récentes élections, voir International Crisis Group, 2003, 2004, 2005, 2007a, 2008, 2010, 2011 et Hofnung, 2011.
10 Seulement « à partir de 2005 dans l’extrême ouest où la situation est restée troublée. Ces comités d’autodéfense villageois sont composés, comme nous le verrons, de jeunes « barragistes » faiblement armés et très peu « militarisés ».
11 Nous ne traitons cependant pas ici de la question spécifique de la démobilisation. Parmi les jeunes gens interrogés ayant participé à des activités d’autodéfense, certains ont espéré et continuent de revendiquer leur recrutement dans l’armée ou les forces de sécurité nationales – comme c’est le cas au plus fort du conflit pour 3 000 de leurs camarades –, ou, à défaut, l’accès aux ressources du désarmement – même s’ils n’ont jamais été armés ni combattants. Sur les combattants démobilisés (ou autodémobilisés) dans l’Ouest ivoirien, voir Magali Chelpi-den Hamer, 2009 et 2011a.
12 Finalement, l’armée des Forces nouvelles, composée pour l’essentiel des ex-rebelles de 2002 et rebaptisée Forces républicaines de Côte d’Ivoire, met fin en avril 2011, au terme de la bataille d’Abidjan, à la résistance de Laurent Gbagbo avec l’appui de l’Opération des Nations unies en Côte d’ivoire (ONUCI), de la force française Licorne et, du moins formellement, des organisations interafricaines.
13 Une brève pré-enquête a été effectuée à Bonoua en Basse-Côte. Tous les sites d’enquête du projet avaient déjà fait l’objet d’études antérieures par au moins un des membres de l’équipe. Commencée en janvier 2007, l’enquête a été composée de modules collectifs successifs d’outillage méthodologique, d’enquêtes de terrain qualitatives et de recueil de données systématiques, de transcription, de dépouillement et d’analyse. Dans chaque région, les sites d’enquête comprenaient plusieurs villages et la sous-préfecture dont ils dépendaient.
14 « Parmi ces mouvements, trois types peuvent être distingués : les forces paramilitaires dans l’Ouest ; les milices rurales ; les mouvements urbains des “Jeunes Patriotes” et les milices. En réalité, cette typologie est purement analytique parce que, d’une part, sur le terrain, les frontières entre ces mouvements sont très poreuses et parce que, d’autre part, nous savons que ces mouvements appartiennent à la même nébuleuse de forces parallèles, organisées et financées en haut lieu par le premier cercle du pouvoir présidentiel. Bien qu’elles ne soient ni homogènes ni toujours coordonnées, nous pouvons considérer ces forces parallèles comme des éléments dans un continuum de privatisation de la violence et de paramilitarisation du pouvoir. » Michel Galy évoque de manière analogue, dans son essai sur le Nord de la Côte d’ivoire contrôlé par les milices rebelles, une « gouvernance par la violence » et un « embryon d’Etat fonctionnant “à la violence” » (Galy, 2007). (traduction des auteurs)
15 Dans l’abondante littérature concernant ce sujet, voir notamment : Durham, 2000 ; Abbink, 2005 ; Richards (ed.), 2005 ; Kalyvas, 2005 et 2006 ; Boas et Dunn (eds), 2007 ; Peters et Richards, 2007 ; Duclos, 2010.
16 Nous ne pourrons évoquer les variations régionales des formes de mobilisation dans ce texte. Nous renvoyons à un autre document en préparation spécifiquement consacré à cet aspect, qui a été partiellement abordé dans Chauveau et Richards, 2008.
17 Ce qui va d’ailleurs de pair avec l’expression fréquente, de la part des observateurs, de jugements de valeur négatifs vis-à-vis des milices ivoiriennes progouvernementales.
18 Nous nous situons dans le prolongement de l’approche de Danny Hoffman, qui cherche à reconsidérer « the meaning of a militia » dans son article sur les Forces de défense civile de Sierra Leone (Hoffman, 2007).
19 Allant de pair avec l’idée que l’instrumentalisation des jeunes gens est facilitée par leur subjectivation et leur engagement politiques façonnés par leur désir « d’émancipation du joug de leurs aînés » (Banégas, 2010a et b).
20 Nous nous inspirons en partie de Sen et Pratten, 2007 : 5, à propos du vigilantism. Voir aussi Lund, 2006a.
21 Pour une approche similaire et complémentaire, à partir des catégories durkheimiennes d’analyse sociale, voir Richards et Vlassenroot, 2002.
22 Sur la notion de « champ social semi-autonome », appliqué par exemple au droit et à ses pratiques, voir Moore, 2000.
23 Sur les milices contre-insurrectionnelles, moins étudiées que les groupes insurrectionnels, voir entre autres : Ferme, 2004 ; Kyed, 2007 ; Higazi, 2008 ; Hoffman, 2007 ; Rolandsen, 2007. Nous ne préjugeons pas des contrastes ou, au contraire, des similitudes pouvant exister dans le cas ivoirien entre les organisations progouvernementales de la zone sud et les organisations rebelles dans la zone nord–devenues, depuis la chute de Laurent Gbagbo en avril 2011, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Toutefois, on retrouve dans le recrutement local et dans l’engagement intermittent des jeunes recrues dans les Forces nouvelles des traits que l’on va observer chez les jeunes des organisations d’autodéfense progouvernementales de la zone sud (Fofana, 2008 ; Chelpi-den Hamer, 2011a et b ; International Crisis Group, 2003,2004 et 2005).
24 Sur les associations de vigilance : Abrahams, 1998 et 2007 ; Lund, 2006b ; Pratten et Sen (eds), 2007 ; Pratten, 2008.
25 En Côte d’ivoire et dans d’autres pays ouest-africains, il peut aussi s’agir d’associations spécialisées de chasseurs traditionnels non originaires des régions où ils louent leurs services sécuritaires (généralement d’origine soudano-sahélienne). Mais alors ces organisations agissent en délégation de pouvoir des autorités locales et sous leur contrôle éventuel en cas d’abus d’autorité. C’est le cas des Dozos évoqués plus loin, qui rejoignent le camp des rebelles dès le début du conflit. Historiquement, l’identification des groupes de vigilants à des chasseurs se rencontre également dans les sociétés du littoral ouest-africain (dans le cas des Yoruba du Sud-Ouest nigérian : Fourchard, 2008).
26 Région comprise entre Danané, Man, Duékoué et Toulepleu, limitrophe du Liberia et non incluse dans notre zone d’enquête. C’est la région qui a été et qui reste le théâtre des plus fortes violences en milieu rural (Marshall et Ero, 2003).
27 Ils furent particulièrement visibles au sein de l'Armée républicaine de Côte d’ivoire soutenant Ouattara lors de la bataille d’Abidjan d’avril 2011, puis lors du « nettoyage » des quartiers favorables au président Gbagbo déchu.
28 Il n’est pas exclu qu’une fraction des migrants originaires du Nord ivoirien et de pays sahéliens voisins, établis de longue date dans cette région mais chassés de leurs terres par les jeunes autochtones durant le conflit, aient rallié les insurgés à cette occasion.
29 Il existe une relative ignorance réciproque de ces deux courants de la littérature en sciences sociales sur les phénomènes de violence sociale et politique.
30 La connotation péjorative du terme « milice » dans la sémiologie populaire peut être plausiblement associée à au moins quatre phénomènes dans l’histoire ivoirienne récente (à partir des années 1990) : la guerre civile au Liberia voisin que la population a pu suivre à travers les médias et qui associe la notion de « milice » aux atrocités commises durant cette guerre (notamment des séquences de violence comme le massacre du président putschiste Samuel Doe par le chef milicien Prince Johnson, enregistré sur cassettes et projeté lors de séances payantes dans les villages) ; le recours par les hommes politiques – dont le président Houphouët-Boigny lui-même – à des hommes de main (les « loubards »), qui agissent en bandes organisées pour intimider ou se protéger de leurs adversaires politiques ; l’emploi des chasseurs traditionnels dozos précités comme agents de sécurité privés par des particuliers et par des hommes politiques dans les villes et dans les zones rurales. Craints pour leur puissance mystique et leur dureté, les chasseurs dozos ont aussi une image négative pour les politiciens et les populations du Sud en raison de leur origine nordiste, de leur violence abusive et de la concurrence qu’ils font aux forces publiques de sécurité ; enfin, l’accusation selon laquelle les milices servent surtout à l’enrichissement de leurs membres, qui apparaît au cours du conflit à propos de certains groupes de jeunes patriotes accusés d’être des « patriotes alimentaires ».
31 La rédaction d’un ouvrage est en cours portant sur l’ethnographie détaillée du dispositif milicien, sur sa territorialisation et sur la mise en perspective de ses variations régionales avec l’histoire politique longue de l’agriculture autour de la « frontière de l’Ouest ». Pour un exemple de reconstitution minutieuse du conflit et des formes de mobilisation dans une région de l’Ouest ivoirien, voir Chelpi-den Hamer, 2011a.
32 L’usage de l’italique indique qu’il s’agit d’une notion locale.
33 La question du vote des étrangers, avec son incidence sur le choix des représentants des populations locales auprès des instances gouvernementales centrales, constitue depuis l’époque coloniale un facteur de dissension, du fait de leur importance numérique croissante dans la population rurale de la zone forestière, mais aussi parce que le Parti démocratique de Côte d’ivoire (PDCI) au pouvoir s’appuie jusqu’en 1990 (de fait jusqu’en 1995) sur le vote de tous les résidents, de nationalité ivoirienne ou non, ayant leur carte d’adhérent au parti, pour asseoir sa suprématie électorale. Dans les campagnes du Sud tout au moins, la rhétorique de « l'ivoirité », lancée en 1996 dans le débat politique à propos de la candidature à la présidence de la République du « nordiste » Alassane Ouattara, se surajoute, sans le créer, à tout un ensemble d’attitudes et de pratiques xénophobes présentes depuis longtemps dans la société ivoirienne.
34 Le projet puis le vote d'une nouvelle législation foncière en 1998 (favorable aux détenteurs autochtones de droits) contribue largement à réactualiser les tensions autour de l’interprétation des droits fonciers existants (Chauveau, 2002).
35 Ancien dignitaire du PDCI et fondateur d’un petit parti acquis au président Gbagbo.
36 Avec un engouement variable selon leur parti d’appartenance, mais aussi selon les régions.
37 La participation des organisations d’autodéfense aux combats contre des rebelles identifiés, aux côtés ou non des forces régulières, est très localisée (essentiellement dans les zones de l’Ouest, limitrophes du Liberia).
38 Les plus suspectés à cause de l’implication du Burkina Faso dans le conflit, mais aussi à cause de leur place dans les économies locales.
39 Alassane Ouattara est accusé par les partisans de Laurent Gbagbo d’être né burkinabè et d’être le principal instigateur du coup d’Etat de septembre 2002.
40 Parti démocratique de Côte d’ivoire, section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain, créé par Houphouët-Boigny avant l’indépendance.
41 Date du premier coup d’Etat du général Guéï.
42 Thèmes largement diffusés par les hommes politiques de l’Ouest proches du pouvoir à propos de la nouvelle législation foncière.
43 Balla Keïta, ancien ministre de Félix Houphouët-Boigny sous le régime du parti unique, s’est rallié au parti du général Guéï après le coup d’Etat de celui-ci en décembre 1999. Ce serait dans le cadre des activités de son parti qu’il aurait été assassiné à Ouagadougou, peu avant le déclenchement de la crise. Il était connu pour avoir été très proche des chasseurs dozos.
44 Entretien avec B.V., jeune autochtone bété, Soubré, 6 mai 2008.
45 Entretien avec le chef du FBI, Soubré. 7 mai 2008.
46 Nous ne pouvons ici détailler les biographies recueillies lors des enquêtes.
47 Par exemple, la coexistence au sein du FBI de Soubré de deux groupes de jeunes pouvant prétendre à la qualité d’autochtones dans la région (bété et bakwè) s’accompagne de tensions à propos du traitement de faveur de l’un des groupes.
48 Voir les analyses de Georges Balandier sur la « coexistence tensionnelle » entre la « séniorité ouverte » à la promotion des générations et la « séniorité fermée ou absolue », qui ont été systématisées par l’anthropologie marxiste du mode de production lignager (Balandier, 1974 : 106-107 ; Meillassoux, 1964). Victor Turner, avec sa théorie de la liminalité et de la contre-structure, a été probablement le plus loin dans la conceptualisation de l’ambiguïté inhérente aux institutions africaines concernant la protection des structures sociales vis-à-vis des effets de la discontinuité intergénérationnelle (Turner, 1990 [1969]).
49 Sur les répertoires de justification en matière de droits fonciers coutumiers africains, voir Jacob, 2007.
50 « Barrer la route » ou sa figure inverse, « marcher » pour occuper la route, est le moyen populaire privilégié pour publiciser la contestation.
51 Une publication sur ce sujet est en cours.
52 Les observations systématiques de Magali Chelpi-den Hamer sur les ex-combattants de l’Ouest vont également dans ce sens (Chelpi-den Hamer, 2011a et b).
53 Pour une analyse contraire portant sur les milices urbaines d’Abidjan : Banégas, 2010a et b, et sur les milices d’insurgés sierra-léonais : Richards, 2005a.
54 On sait que le commandant supérieur de la gendarmerie nationale, le général Kassaraté, originaire de la région de Tabou et fidèle parmi les fidèles du président Gbagbo, est resté très proche de l’institution guerrière kroumen. On dit que, lors d’une visite sur le terrain dans le Sud-Ouest, il aurait revêtu la parure traditionnelle des guerriers kroumen. Pour se défendre contre les rumeurs d’abandon du camp de Laurent Gbagbo en février 2011, il déclare : « Sachez que je suis général de corps d’armée. Mais mieux, je suis chef guerrier en pays krou [...]. Je suis allé avec mes guerriers kroumen pour libérer ma région » (Notre Voie, 4 mars 2011). Après sa reddition et son allégeance au président Ouattara en avril 2011, le général Kassaraté a été nommé ambassadeur du Sénégal.
55 Entretien avec A. P., chef de village.
56 Ou « associations communales de jeunesse » dans les centres urbains. Elles regroupent l’ensemble des jeunes d’un village organisés par origine ethnique, mais concernent surtout les jeunes autochtones. Leur mission est de défendre les intérêts de la jeunesse mais surtout « d’organiser le développement » des villages en appui avec la chefferie. Elles apparaissent comme des intermédiaires entre l’administration locale, les autorités villageoises et la classe des jeunes. Le président des jeunes (qui a remplacé l’ancien chef des jeunes) peut néanmoins jouer un rôle politique influent.
57 Sauf dans les sociétés lagunaires où les systèmes à classes d’âge et à générations sont très vivaces. Dans le cas du royaume abouré de Bonoua, l’institution coutumière sécuritaire des générations abouré a totalement court-circuité les organisations d’autodéfense durant le conflit, sous le contrôle du roi de Bonoua (pré-enquête 2008).
58 Observées dans la région d’enquête de Soubré (villages de Gnamagui, Méagui, Oupoyo) mais également dans celle d’Oumé dans le Centre-Ouest (village de Guépahouo).
59 Nous ne pouvons développer cet aspect concernant l’anthropologie de l’ordre et de la violence et, plus particulièrement, la question des « moments de violence enchâssés dans le “temps de paix” » (Ferme, 2004 et 2001). Il est clair que les sociétés « égalitaristes » de l’Ouest forestier ne relèvent pas du même ordre du secret et de la dissimulation que celui qui prévaut dans les sociétés hiérarchisées de Sierra Leone. Pour une tentative de comparaison, voir Chauveau et Richards, 2008.
60 Il est significatif qu’à Soubré – où il existe un groupe vigilantiste de Dozos dioula avant le conflit –, ce groupe, après s’être dispersé lors du déclenchement du conflit – la plupart des Dozo implantés dans la zone forestière ayant rejoint la rébellion –, se reconstitue sous forme de société de sécurité privée lorsque la situation se calme à partir de 2007, alors que les milices des FBI et du GPP sont en principe en activité. Cela indique la faible confiance des populations locales dans les capacités sécuritaires des milices en question.
61 Mahmoud Mamdani parle de « gouvernement indirect » (1996).
62 Ces aspects sont développés dans Chauveau, 2000 et 2006. Voir aussi Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998 ; Bierschenk, 2000.
63 Ce n’est évidemment pas le multipartisme en tant que tel qui est la cause de la réactivation de l’idéologie d’autochtonie et du tribalisme politique, mais ses effets indirects sur le renforcement de la « citoyenneté locale » comme enjeu dans la compétition politique et l’accès aux ressources.
64 On ne peut s’étendre ici sur les multiples facettes de « l’ordre politique hybride » auxquelles renvoient, dans la littérature récente, les métaphores de « complexes politiques émergents », de « shadow institutions », de « gouvernance sans gouvernement », de « clash of accountahilities », de « pluralité des normes de gouvernance », de « recomposition de l’État africain par ses marges et ses frontières » sociales et spatiales, etc.
65 Parmi l’abondante littérature sur les organisations vigilantistes et les milices ethniques du Sud-Ouest et du Sud-Est du Nigeria : Fourchard, 2008 ; Guichaoua, 2007 ; Meagher, 2007 ; Smith, 2004 ; Watts, 2004.