Introduction
p. 35-36
Texte intégral
1Kent Flannery et Joyce Marcus restreignent le terme d’archéologie cognitive à l’étude de tout ce qui, dans les cultures anciennes, est produit par l’activité de l’esprit humain : la cosmologie, la religion, les principes idéologiques qui gouvernent les sociétés et tous les autres traits de comportement intellectuel et symbolique... Bien que les comportements de subsistance ne puissent s’effectuer sans le recours de l’intelligence, ces auteurs les ont expressément omis de leur définition afin de distinguer l’archéologie cognitive de l’archéologie tout court. Ils insistent sur le fait que, sous peine d’être pure spéculation, l’approche cognitive de ces comportements doit être fondée sur des données archéologiques aussi solides que celles utilisées par les archéologues étudiant les activités de subsistance (Renfrew et al, 1993).
2Pour Colin Renfrew, l’archéologie cognitive est l’étude des moyens de pensée des sociétés anciennes ou de leurs membres, étude fondée sur les vestiges matériels qui nous sont parvenus. Comme l’archéologie environnementale et l’archéologie sociale, elle fait partie de l’entreprise générale de l’archéologie, qui consiste à étudier la totalité du passé humain. Et comme pour les autres branches de l’archéologie, elle nécessite qu’on développe des inférences à partir des données archéologiques disponibles. Colin Renfrew reconnaît cependant que le fait de séparer l’archéologie cognitive des autres branches de l’archéologie est artificiel puisque la pensée et l’action humaines sont inséparables (Renfrew et al., 1993).
3Le champ de l’archéologie cognitive doit être subdivisé en deux larges domaines : celui des prédécesseurs de l’homme moderne et celui des hommes modernes eux-mêmes. Le premier s’intéresse au développement des facultés cognitives des plus anciens homininés, qui conduit à l’émergence de l’Homo sapiens. Il constitue à lui seul un vaste champ d’étude. Quel est, par exemple, le lien entre la fabrication des outils et les compétences cognitives ? Quand et comment est apparu le langage ? Quel fut le contexte social qui a permis l’émergence de comportements de coopération dans la chasse et l’habitat ? Toutes ces questions méritent d’être systématiquement explorées avant de commencer à comprendre l’émergence de notre propre espèce et la formation de l’esprit de l’homme moderne.
4Le second domaine concerne l’histoire de l’homme moderne depuis environ 100 000 ans. On sait en effet que notre espèce, Homo sapiens, s’est dispersée à partir de l’Afrique sur une grande partie du globe depuis 50 000 à 40 000 ans. L’appareil cognitif qui dépend directement de la base génétique semble avoir peu évolué depuis 40 000 ans, tandis que la culture a subi des transformations radicales depuis les premiers chasseurs-cueilleurs jusqu’à la conquête de l’espace. Toutes les étapes culturelles et techniques franchies ont leur dimension cognitive : invention de l’agriculture, émergence des villages sédentaires puis des premières villes, usage de l’écriture, développement de la métallurgie, apparition de religions organisées, d’idéologies largement partagées, développement d’États et d’empires. Colin Renfrew fait judicieusement remarquer que, comme plusieurs de ces phénomènes sont apparus indépendamment dans plusieurs endroits du globe et dans des contextes différents, on ne peut leur donner une explication unique d’ordre évolutionniste. L’enjeu de l’archéologie cognitive est donc entre autres de tenter de comprendre comment la formation de systèmes symboliques dans tel ou tel contexte particulier modèle et conditionne d’autres développements (Renfrew et al., 1993).
5Nous présenterons dans la première partie les principaux modèles de l’émergence des capacités cognitives des premiers homininés, dans la seconde les différentes hypothèses concernant les compétences cognitives des Néandertaliens et dans la troisième l’apport de l’archéologie cognitive à la question de l’invention technique tant chez les homininés anciens que chez les hommes modernes.
Auteur
Sophie A. de Beaune (préhistoire), professeur à l’université Jean-Moulin – Lyon 3, centre d’histoire des techniques et de l’environnement, Conservatoire national des arts et métiers (Paris).
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Informatique et sciences cognitives
Influences ou confluence ?
Catherine Garbay et Daniel Kayser (dir.)
2011