Processus cognitivo-affectifs, interactions et structure sociale164
p. 325-352
Texte intégral
1Le cerveau se développe d’une part à travers les interactions qu’il entretient avec lui-même et, d’autre part, en faisant face à son environnement physique et culturel (Elman et alii 1996). L’environnement physique et culturel contraint mais également facilite l’émergence de mécanismes cérébraux cognitifs et affectifs, ainsi que celle de systèmes de croyances et de pratiques culturelles. L’hypothèse fondamentale qui sera défendue ici est la suivante : il existe une continuité entre l’évolution biologique des primates non humains et humains. Cette continuité est présente aussi bien par rapport à l’émergence du cerveau et des mécanismes psychologiques, que par rapport aux pratiques culturelles ou sociales, dont les versions humaines différeraient en complexité. Il faut toutefois relever que, malgré certaines spéculations savantes, nous manquons d’éléments clairs quant à la manière dont l’évolution du cerveau peut être reliée à l’émergence des mécanismes cognitifs et affectifs, à l’usage du langage, aux formes de l’organisation sociale et aux croyances et pratiques culturelles de la vie quotidienne.
2L’évolution historique accélérée (et « récente ») de ces phénomènes triadiques (neuronaux/psychologiques/culturels) dans l’espèce humaine contraste avec celle des primates non humains (malgré une évolution biologique préalable en commun, comme nous le verrons). Elle a créé des systèmes biologiques, psychologiques et culturels différents, certes interdépendants mais irréductibles les uns aux autres, que j’appellerai « niveaux d’analyse » et « niveaux d’explication ». Les humains ont développé des pratiques intelligentes pour tenter d’expliquer l’émergence et le caractère unique de leur espèce. Les recherches démographiques et historiques, par exemple, illustrent bien ces niveaux d’analyse abstraits, avec des notions comme celle de fertilité différentielle ou de structures de migration. Il existe également des termes qui permettent de décrire différents types d’entités socialement organisées (troupe, nichée, essaim, systèmes de reproduction, maisonnée, nidification, colonies, troupeau, familles, clans, tribus, communautés, villages et villes), ou encore différents types d’activités (religions, systèmes de santé, transactions économiques, etc.).
3Chaque niveau donné d’abstraction traite généralement comme allant de soi les processus psychologiques, les usages prosodiques et linguistiques ou les pratiques et croyances culturelles qui rendent possibles les inférences et affirmations à propos des phénomènes examinés. La capacité à créer des niveaux analytiques indépendants est en soi une réalisation humaine extraordinaire ; elle implique la mobilisation de mécanismes cognitifs et affectifs, et celle de croyances et de pratiques culturelles qui fonctionnent en tant que ressources plutôt qu’en tant que thèmes d’enquête.
4Selon moi, les ressources cognitives et culturelles présupposées dans l’étude et l'explication de ces différents niveaux d’analyse ont leurs racines dans un processus appelé « re-description représentationnelle » (Karmiloff-Smith 1992). La notion de re-description désigne la capacité des humains à synthétiser, condenser ou résumer leur pensée (1) en produisant des récits verbaux, des gestes, des mouvements corporels et faciaux, des modèles artistiques et graphiques et, (2) en développant et utilisant des calendriers, des écritures, des outils, des médiums physiques, chimiques ou électroniques. Ces dispositifs re-descriptifs tentent de capturer des expériences et des pensées qui dépassent nos capacités sensorielles. Ces manières de comprendre, par conséquent, nécessitent la production de ressources synthétiques, condensées ou concises.
5Les bébés, les enfants, et par conséquent les adultes, semblent mettre à jour et acquérir de nouvelles connaissances par une « re-description représentationnelle », c’est-à-dire grâce à la capacité de faire un usage flexible des connaissances stockées « en re-représentant, de manière itérative, dans différents formats représentationnels ce que les représentations internes représentent » (Karmiloff-Smith 1992 : 15). Dans ce chapitre, je vais défendre l’idée que la notion de re-description est un mécanisme général au cœur de la manière dont on crée, différentie et intègre différents niveaux d’explication et d’analyse.
6Chaque niveau d’analyse crée ou impose nécessairement une échelle temporelle particulière (millisecondes, secondes, minutes, heures, jours, mois, années, décennies et siècles). L’existence de niveaux d’analyse différents ou indépendants, toutefois, présuppose nécessairement des systèmes individuels et collectifs. Tous les niveaux d’analyse dépendent de facultés humaines identifiables comme, par exemple, la flexibilité de l’intelligence, la récursivité et l’acquisition du langage (Premack 2004). Chaque niveau d’analyse, par conséquent, a développé ses propres perspectives théoriques et méthodes (avec parfois des recoupements), afin de justifier certaines affirmations sur des réalités indépendantes que chacun d’entre eux essaie de contrôler, d’expliquer, de décrire et de prédire. L’autonomie de ces niveaux est fortement défendue, bien que chaque niveau absorbe et dépende des niveaux voisins. Par conséquent, la notion de re-description joue le rôle de fonction intégrative en permettant de comprendre tant la relation que les passages d’un niveau à un autre.
Aspects comparatifs de la cognition et de la culture
7La complexité (plutôt que la continuité) de la cognition humaine par rapport à la cognition non humaine a été attribuée au développement historique extraordinairement rapide de la culture humaine, développement qui distingue homo sapiens de tous les autres primates (Tomasello 1999 ; Tomasello et Call 1997). Le développement accéléré des capacités cognitives et affectives semble avoir été une conséquence directe du fait que les enfants et les adultes ont subi des pressions évolutives liées à l’acquisition et à la transmission des connaissances anciennes et nouvelles pour survivre dans des habitats très diversifiés. Cette « spécificité propre à l’espèce humaine » (Tomasello 1999 : 10) repose sur des caractéristiques individuelles et collectives biologiquement fondées qui facilitent des types particuliers d’apprentissage culturel, comme la création de cadres communs de référence, l’invention et l’usage d’artefacts, le développement de traditions comportementales cumulatives et les résolutions de problèmes en commun. De telles caractéristiques, cependant, existeraient en partie également chez les primates non humains, bien que cela ne constitue pas un centre d’attention pour Tomasello et Call. D’autres chercheurs (Byrne et Whiten 1988 ; De Waal 1989, 1996 ; Russon et alii 1996 ; Johnson 2001 ; Shanker et King 2003) pensent que nous devrions reconnaître dans le développement collectif de la cognition non humaine un précurseur des activités psychologiques et socioculturelles humaines. Au lieu d’affirmer la discontinuité du développement humain, ce courant de pensée souligne la continuité du lien entre primates humains et non humains.
8Pour Tomasello (1999 : 10), l’adaptation biologique des êtres humains a bien requis des processus historiques et ontogénétiques. Toutefois, il ne pense pas que la cognition sociale repose sur des adaptations biologiques spécialisées. De plus, ces processus biologiques ne peuvent pas directement rendre compte de l’énorme effort qui a été nécessaire pour créer les produits et processus cognitifs caractéristiques d'homo sapiens. Tomasello s’appuie notamment sur les travaux de Karmiloff-Smith et de Lev Vygotsky pour proposer des hypothèses quant aux qualités spécifiques associées à la cognition humaine. Par exemple, phylogénétiquement : les humains modernes ont vu évoluer une aptitude à « s’identifier» avec leurs congénères, les amenant ainsi à concevoir ces derniers comme des êtres intentionnels munis d’états mentaux.
9Historiquement : attribuer à autrui des états mentaux rend possible de nouvelles formes d’apprentissage culturel et de sociogenèse, ce qui amène la constitution d’artefacts culturels et de traditions comportementales qui accumulent les modifications à travers le temps historique.
10Ontogénétiquement : les enfants grandissent en étant environnés de ces artefacts et de ces traditions socialement et historiquement constitués, ce qui leur permet (a) de bénéficier du savoir et des techniques accumulés par leur groupe social ; (b) d’acquérir et d’utiliser des représentations basées sur une prise de perspective sous la forme de symboles linguistiques (et d’analogies ou de métaphores construites à partir de ces symboles) ; et (c) d’internaliser certains types d’interactions discursives dans des aptitudes à effectuer des métacognitions, des re-descriptions représentationnelles et une pensée dialogique.
11Le travail de Tomasello, toutefois, ne décrit pas la manière dont émergent les cadres de référence individuels et distribués qui reposent sur un sens commun culturellement implicite, conçu comme allant de soi par les personnes observées. Par exemple, rien n’est dit des conditions intuitives, initiales et tacites, de notre attention sélective et de notre compréhension des autres, de leurs actions, de leurs affects et des conditions physiques locales (comme les artefacts, la lumière et les arrangements spatiaux).
Une vue structurelle de la re-description représentationnelle
12Les processus identifiés par Karmiloff-Smith présupposent un ensemble invariant de mécanismes cérébraux/cognitifs/affectifs, ainsi que des croyances et pratiques culturelles. La discussion sur les capacités représentationnelles métacognitives proposées par Karmiloff-Smith (1992 : 15-21) permet de comprendre aussi bien comment il est possible de concevoir différentes formes d’organisation sociale de niveau « macro » que de développer des interprétations métacognitives portant sur leurs schématisations et narrations représentationnelles (Labov et Waletky 1967) ainsi que sur leurs expériences de vie – notamment sous la forme de contes (Propp 1968) ou de « récits » oraux et écrits (Tilly 1998). Selon moi, il y a plus qu’une ressemblance de famille entre les niveaux re-descriptifs que nous appelons des dessins, des narrations, des contes et des histoires. La base cérébrale/cognitive/affective/culturelle de toutes ces activités renvoie à un continuum entre les activités motrices et verbales propres aux non humains et aux humains, et les niveaux d’analyse abstraits plus récents nommés « histoire », « analyse structurelle », ou encore « modèles démographiques ».
13Un cadre de référence apparenté pour la description de la notion de re-description représentationnelle est la description que Tilly (1998) propose des « ontologies », de même que la notion utile de « récits standards». Tilly décrit différents types d’« ontologies » (individualisme phénoménologique, individualisme méthodologique et holisme). Ces ontologies, note Tilly, ne permettent pas de distinguer les théories naïves de sens commun avec lesquelles les individus et les acteurs collectifs rendent compte de leur vie quotidienne, ainsi que des descriptions visant à rendre compte explicitement des événements causaux et des actions des uns et des autres. Ces deux types de comptes rendus exemplifient les niveaux d’analyse que nous décrivons ici au moyen de re-descriptions représentationnelles. Tilly (1998 : 37-39) nous rend ainsi attentif à « l’incompatibilité logique et ontologique entre les éléments que les analystes de la vie sociale invoquent pour traiter des processus de petites et de grandes échelles ». Par exemple, l’« individualisme phénoménologique » est problématique parce qu’il postule que « la conscience individuelle est le site premier et exclusif de la vie sociale », et par conséquent, il est incapable de rendre compte du fonctionnement des « grandes organisations et des institutions complexes ». L’« individualisme méthodologique » est accusé de souffrir du même problème, car il « fait des individus humains la réalité sociale fondamentale, allant même, dans ses versions les plus économiques, jusqu’à loger dans l’individu un programme utilitaire et un ensemble de capitaux qui interagissent pour générer des choix dans des contraintes bien définies » (ibid. 39). Malgré le fait que cette vue inclue « une structure allocative de type “marché” externe aux choix individuels, il est rare que les individualistes méthodologiques examinent par quels moyens ces structures de répartition font véritablement leur travail » (ibid 40). Enfin, Tilly désigne par « holisme » (1998 : 40) la doctrine selon laquelle les structures sociales ont leurs propres logiques de maintenance. Dans sa forme extrême – qui fut un temps commune en histoire mais qui n’est plus à la mode aujourd’hui –, une civilisation entière, une société ou une culture possède sa vie en propre. Des versions moins extrêmes attribuent des pouvoirs d’automaintenance aux institutions et assignent des logiques autoreproductrices à l’industrialisme, au capitalisme, au féodalisme et à d’autres variétés reconnaissables d’organisation sociale. Le holisme doit examiner jusqu’à quel point, comment et pourquoi une vie sociale de petite échelle, incluant l’expérience individuelle, s’articule avec de telles structures globales.
14Par conséquent, non seulement la perspective holiste ignore l’émergence de la vie sociale à petite échelle et sa nature changeante, mais encore elle ne juge pas nécessaire de rendre compte des mécanismes psychologiques et des pratiques culturelles sans lesquelles il serait impossible de développer des notions représentationnelles redescriptives telles que « civilisation », « société », « culture », « industrialisme », « capitalisme », « féodalisme » et autres termes apparentés. L’analyse proposée par Tilly des ontologies a ainsi l’avantage de montrer comment certains niveaux d’analyse sont faibles d’un point de vue théorique, et difficiles, sinon impossibles, à examiner de manière empirique. Par contre, la doctrine préférée par Tilly, le « réalisme relationnel», est une perspective selon laquelle « les transactions, les interactions, les liens sociaux et les conversations constituent la matière centrale de la vie sociale » (ibid. : 41). Inspiré par les travaux de Karl Marx, de Max Weber ou encore de Georg Simmel, le « réalisme relationnel » doit se concentrer sur les connexions qui s’enchaînent, s’agrègent et se désintègrent rapidement. Les analystes relationnels suivent ainsi des flots de communication, des réseaux d’emplois, des chaînes de connexions conversationnelles, ou encore des relations de pouvoir, le tout à différentes échelles de grandeur.
15Par ailleurs, la notion de récits standard renvoie aux « histoires qui mettent en scène des acteurs individuels ou collectifs, connectés et autopropulsés, qui causent des événements et agissent les uns sur les autres » (ibid. 42-43). Les récits, en tant que comptes rendus structuraux de la vie sociale quotidienne, reposent par conséquent toujours sur des processus cognitifs/affectifs/culturels, que je considère ici comme des re-descriptions représentationnelles.
16Tilly souligne un point essentiel : lorsque les « récits standards » sont produits par une activité de recherche, ils tendent à s’éloigner des explications de la vie quotidienne et ils restreignent notre capacité à relier les processus « micro- » et « macro- ». Les processus sociaux qui contredisent d’après lui les récits standards sont
ceux dans lesquels les effets indirects, involontaires, collectifs des actions individuelles ainsi que les actions médiatisées par des environnements non humains jouent un rôle significatif. De tels processus se retrouvent dans la génération de l’inégalité, les changements organisationnels, les politiques de la controverse, les luttes révolutionnaires, les opérations du marché du travail, les nationalismes, ou encore les migrations (Tilly 1998 : 46).
17Dans ses travaux ultérieurs, Tilly (2004) utilise les récits comme des données pour comprendre comment ceux-ci sont mobilisés par les acteurs en tant qu’explications de niveau « micro » lors de situations récurrentes de leur vie quotidienne. En recommandant l’étude de ces récits, il encourage le lecteur à écarter les situations où les participants font habituellement appel à une sorte de code ou de langage technique, comme dans les cours de justice ou les laboratoires. Il note qu’il est plus approprié de se pencher sur des lieux comme des salles de réunion du personnel, des bars à café, des trains de banlieusards ou des salles d’attente. Tilly suggère d’observer les séquences d’interaction lorsque les participants semblent avoir des doutes sur un événement ou lorsque quelque chose de non attendu, d’intéressant, de dramatique ou de suspect a lieu.
18Tilly (2004) continue en notant que les gens ne se satisfont pas de principes généraux mais qu’ils veulent expliquer des événements concrets. Les récits mobilisés respectent une unité de temps et de lieu, et ils sont généralement restrictifs quant au nombre de personnages mobilisés et d’actions produites. Les acteurs impliqués sont motivés par des dispositions personnelles, et ces récits laissent de côté beaucoup de « causes, de conditions nécessaires, et surtout ignorent les explications alternatives quant à ce qui s’est produit [...]. En bref, en tant qu’elles répondent à des événements de la vie quotidienne qui exigent des explications, les raisons données dépendent du type de récits standardisés qui circulent déjà dans le cadre social du “donneur de raisons” ». La simplification joue un rôle central dans ces récits, comme dans de nombreux cas de re-descriptions.
19La description que Tilly propose des récits n’est pas sans rappeler la compétition qui prend place au niveau cérébral entre les processus cognitifs, affectifs et culturels, lorsqu’il s’agit de recevoir et d’organiser des stimuli sensoriels (qui peuvent s’avérer confus et brouillés). Une compétition de ce type existe également entre les interprétations qui mobilisent les mécanismes cognitifs et celles qui s’appuient sur les croyances culturelles. Ce conflit doit être explicité à chaque fois que nous proposons une interprétation de ce que nous appelons des « données » ou des informations.
20À mon sens, la critique des récits standard que propose Tilly porte sur le fait que de tels récits sont des discours sur soi, volontaires ou artificiellement suscités par la situation d’enquête, qui ignorent la nature située des processus sociaux observables (transactions, interactions, liens sociaux et conversations). De tels processus sociaux observables, comme Tilly le notait (1998 : 41), « constituent le cœur de la vie sociale ». Tilly, par conséquent, met le doigt sur la nature omniprésente et universelle de ces récits pour les êtres humains et sur les manières particulières dont ils dépeignent les différents aspects de la vie sociale. Le défi, toutefois, consiste à trouver le moyen d’étudier les conditions d’émergence de ces récits dans les activités de la vie quotidienne, ainsi que manière dont ces récits influencent le cours de la vie ordinaire.
L’interpénétration de la cognition et de la culture
21L’attention, la perception et la mémoire sont des mécanismes psychologiques de haut niveau essentiels, car ils permettent aux primates humains et non humains (spécialement ceux qui ont été entraînés ou acculturés) de reconnaître leurs congénères, de se rappeler leurs interactions passées, de communiquer entre eux et d’apprendre, grâce à autrui, à résoudre les problèmes qui se posent régulièrement dans leurs habitats.
22Dans Primate Cognition, Tomasello et Call (1997 : 399-400) identifient une série de capacités cognitives propres aux primates, comme la compréhension de l’espace, l’aptitude à discriminer, à catégoriser et à quantifier des objets dans des contextes environnementaux diversifiés. Ils notent que les relations sociales qui portent sur des tiers ont probablement évolué dans des contextes sociaux où des actions sociales compétitives étaient requises en vue de résoudre le problème de la distribution de ressources limitées. Des phénomènes socioculturels comme la « domination », les « alliances », ou encore les relations agonistiques, sont conçus comme une conséquence de cette compétition pour des ressources limitées, qui existe aussi bien chez les primates non humains qu’humains. Selon Tomasello et Call (1997 : 400), une spécificité fondamentale des primates humains réside d’une part dans le développement de capacités re-descriptives permettant à chaque individu de reconnaître ses congénères en tant qu’agents intentionnels et, d’autre part, dans la manière spécifiquement humaine de comprendre le comportement causal des objets. Il existe sur ces questions une très grande littérature et certains pensent que les primates non humains ont une maîtrise rudimentaire de ces aptitudes.
23Un aspect important dans ces modifications spectaculaires propres à la nature du développement cognitif humain a été un changement dans la cognition, qui est passée « d’une entreprise essentiellement individuelle à une entreprise fondamentalement sociale et collective » (Tomasello et Call 1997 : 401-402). Dans ce cas également, certains pensent que les primates non humains, qu’ils soient sauvages ou acculturés, ne sont pas si éloignés des humains, et ils proposent des arguments en faveur de la continuité des espèces (Boesch 1996 ; Call et Tomasello 1996 ; Custance et Bard 1994 ; McGrew 1992 ; Miles et alii 1996 ; Parker 1996 ; Whiten 2000). Si l’on se base sur les propos de Tomasello et Call concernant la relation entre la cognition et la culture, les humains sont considérés comme étant « adaptés à la vie culturelle, avec tout ce qu’elle implique ». Les enfants, en particulier, sont exposés dès la naissance à des mondes sociaux re-descriptifs « emplis de toutes sortes de produits cognitifs collectifs que d’autres ont créés, et qui servent à amplifier et à transformer leurs aptitudes cognitives individuelles » (cf. par exemple, Brunner 1990 ; Cole 1996 ; Rogoff 1990 ; Vygotsky 1978).
24Dans ce cadre, la culture renvoie ainsi à un ensemble varié d’outils et d’artefacts symboliques qui constituent une « sagesse collective » et reflètent « la manière dont la culture construit et catégorise le monde » (Tomasello et Call 1997 : 402). Les humains, par conséquent, sont vus comme uniques dans le royaume animal. Le matériel re-descriptif, l’inventivité symbolique et la modification des produits culturels qui sont transmis aux enfants permettent à ceux-ci de construire puis modifier les activités communes en développant de nouvelles capacités cognitives. Les capacités cognitives et les connaissances humaines, par conséquent, n’ont pu évoluer que dans la mesure où les enfants sont en mesure d’imiter, d’apprendre, de modifier et d’inventer de nouvelles formes de formats représentationnels socialement organisés. L’expression « re-descriptions représentationnelles », du coup, est une manière pratique de résumer le caractère unique des productions et reproductions culturelles humaines. Toutefois, les manières dont les enfants imitent, apprennent, modifient et inventent de nouvelles formes de représentations cognitives et d’organisation sociale demeurent largement inexplorées (Tomasello et Call citent le travail de Cole 1996 ; Tomasello et alii 1993 ; Vygotsky 1978 ; voir également Cicourel et alii 1974 ; Heath 1983 ; Mehan 1979 ; Miller 1982 ; Ochs 1988 ; Philips 1982 ; Rogoff 1990 ; Schieffelin 1990 ; Whiting 1963 – pour citer quelques travaux sur la question).
25Dans la section suivante, je décris quelques éléments fondamentaux de la cognition humaine qui sont essentiels pour les interactions sociales et le niveau d’explication que nous appelons « analyse structurelle ». Ces éléments fondamentaux de nature cognitive et affective ne peuvent cependant pas exister sans l’évolution simultanée de patterns au sein des environnements culturels. Les participants aux interactions de la vie quotidienne s’appuient sur des cadres (« settings ») locaux, sur des attentes par rapport à un environnement donné, sur des connaissances floues portant sur autrui, que ce soit son apparence, ses capacités communicationnelles ou la forme et le contenu de ses actes de langage. Au sein d’environnements spécifiques et de groupes qui interagissent fréquemment, les sources d’informations mémorielles fournissent aux individus une toile de fond essentielle au bon déroulement de leurs activités, y compris langagières. Différents types de mémoire assurent ainsi le bon déroulement des interactions sociales, de même que la capacité des participants à prendre des décisions, à acquérir ou à percevoir des solutions à des problèmes. L’aptitude des personnes dans la vie de tous les jours, tout comme celle des chercheurs, à créer des re-descriptions représentationnelles à tous les niveaux de l’analyse dépend donc de la façon dont la mémoire, le langage et la récursivité lient et maintiennent les interactions sociales.
L’interaction sociale
26L’étude des interactions sociales a pour objet des formes (« patterns ») riches en informations, émergeant localement et rapportées de manière re-descriptive, des comportements non verbaux et para-linguistiques, des actes langagiers directement observables, tacitement dotés de signification puis explicitement codés. Bien entendu, nos capacités cérébrales, cognitives et affectives, tout comme nos pratiques culturelles, limitent la manière dont nous sommes en mesure de noter, en tant qu’observateur, ce qui se déroule dans une interaction. Ainsi, les observateurs, qu’ils soient sociologues ou agents ordinaires, tiennent souvent comme allant de soi des jugements locaux qui se transforment ensuite en des traces mémorielles, implicites et explicites, qui restent toujours sujettes à modification. Aussi bien le chercheur que le sujet observé et/ou enregistré ne peuvent éviter les limitations de leurs mécanismes attentionnels, perceptuels et mémoriels. Les mécanismes de traitement de l’information, toutefois, sont in-formés par des connaissances et des capacités culturelles préalables, ainsi que par des expériences antérieures, qui permettent d’attribuer du sens, de l’ambiguïté ou du non-sens à l’ici et le maintenant immédiat. Les discours et les conversations, tout comme les comptes rendus expérimentaux on-line ou descriptifs, sont également souvent sujets à des interprétations tacites immédiates ou post hoc mais aussi à des re-descriptions, notamment celles que produit le chercheur lorsqu’il analyse de manière répétée un enregistrement audiovisuel et ses retranscriptions.
27Lorsqu’il écoute un enregistrement ou observe une vidéo, l’observateur crée invariablement, et sans s’en apercevoir, un « sens » initial à partir de ce qui est vécu. Ce sens peut apparaître comme évident (Schütz 1953), ou comme quelque chose de su en commun, allant donc de soi. Ces perceptions initiales sont tout aussi inévitablement altérées par les auditions ou visualisations ultérieures, qui peuvent à chaque fois modifier le sens attribué à la perception et au souvenir de ce qui a probablement « eu lieu ».
28Les médecins, par exemple, arrivent souvent à un diagnostic grâce à un processus re-descriptif d’élimination. Lors d’interactions sociales avec un patient, ils font des hypothèses, puis ils éliminent différentes possibilités (en posant des questions spécifiques aux patients), avant de conduire un examen médical de manière à réduire encore davantage les diagnostics possibles.
29L’interaction sociale dans les échanges médecin-patient présuppose des pratiques cognitives, affectives et culturelles qui ressemblent à ce que Bourdieu et Passerait (1977) appellent le « pouvoir symbolique », c’est-à-dire l’imposition de conditions culturellement arbitraires par un pouvoir arbitraire sous couvert d’un ordre légitime. Aussi bien les pratiques médicales que la notion abstraite de « pouvoir symbolique » peuvent être illustrées par l’extrait suivant (Cicourel 1995 : 385-386). Il s’agit d’un dialogue entre un médecin assistant déjà expérimenté (3e année) et une patiente dans une clinique de rhumatologie d’un hôpital universitaire :
D (docteur) : Ainsi, ça ne vous gêne pas que j’enregistre cette conversation ?
P (patiente) : non.
D : Nous n’allons pas dire des choses bien terribles. J’ai parcouru votre dossier tel qu’il est ; c’est très bref, et je sais que vous avez eu une opération de la vulve il y a quelques années. Et à cette époque vous vous plaigniez...
P : C’était il y a 7 ans.
D : Oui, je sais, c’était il y a 7 ans, et à cette époque vous vous plaigniez d’arthrite. Est-ce pour cette raison que vous êtes là aujourd’hui ?
P : C’est bien ça.
D : O.K., parlez-moi un peu de cela.
P : Et bien, en décembre je suis tombée et je me suis cassé l’épaule. Je suis à l’hôpital pendant, quoi ? une semaine ?...et après ça je suis sortie de l’hôpital, bien sûr, où j’étais immobilisée au lit, sauf pour aller aux toilettes, et après être sortie de l’hôpital, ils ont recommencé à aller mal. En fait, au début j’étais en traction.
D : O.K. Dites-moi, parlez-moi de cela... Ah, depuis le début.
H (mari de la patiente) : Maintenant, tu sautes [du coq à l’âne] (« you’re jumpin’ now »).
30Ce fragment constituait l’un des entretiens observés et enregistrés dans cette clinique entre un médecin et une patiente de 60 ans. Cet échange révèle une séquence d’interaction typique dans le système de santé occidental. Les deux participants ont perçu la situation et la visite comme un événement « normal » et aucun d’entre eux n’a questionné la forme ou le contenu de l’échange. Le docteur commence par créer un contexte en faisant référence à l’arthrite possible de son interlocutrice. Son but est d’établir la nature de la déclaration de sa patiente, qui affirme avoir ressenti de l’arthrite 7 ans auparavant. Le médecin s’appuie sur le dossier médical qu’il a en sa possession quand il assume qu’« arthrite» est bien le terme re-descriptif correct à utiliser. Afin de conceptualiser la manière d’obtenir des informations de la part de ce médecin assistant, j’ai consulté son superviseur, une spécialiste en rhumatologie, et j’ai appris que les symptômes décrits par la patiente pouvaient être liés à deux diagnostics : « polymyalgie », une espèce particulière appartenant à une famille plus large de maladies rhumatismales, et arthrite rhumatoïde. La patiente n’avait pas été avertie de ces deux diagnostics possibles.
31Le médecin assistant posa à la patiente différentes questions re-descriptives fondées sur l’information qu’il avait obtenue en ayant lu son dossier. Le médecin nota que la patiente avait subi une opération de la « vulve » sept ans auparavant (selon les dires de la patiente), et qu’à cette période, la patiente s’était également plainte d’« arthrite ». Le docteur demanda également si l’arthrite était la raison de sa venue à l’hôpital ce jour-ci. La réponse synthétique de la patiente (« c’est ça ») semble montrer qu'elle pensait bien que c’était l’arthrite son problème médical. Le médecin chercha à obtenir des informations supplémentaires de la part du patient (« O.K., parlez-moi un peu de cela »). Mais sur les symptômes qui sont rangés sous le terme « arthrite » et sur leur emplacement corporel, il n’obtint pas de détail, ni même n’en demanda. Jusqu’ici, le médecin comme la patiente tiennent le symptôme pour évident. La réponse re-descriptive de la patiente aux lignes fait un lien entre son problème actuel, le fait qu’elle se soit cassé l’épaule et que celle-ci ait été mise sous traction. En fait, la patiente fait un usage ambigu de l’anglo-américain. Par exemple, en faisant référence à « décembre » la patiente évoque un temps passé non spécifié. Elle utilise initialement le présent comme si elle était en train de vivre son séjour au moment même de l’entretien (« Je suis à l’hôpital pendant, quoi ? une semaine ? »), puis elle passe au temps passé (« et après ça je suis sortie de l’hôpital [...] où j’étais immobilisée au lit »). Par moments, le récit de la patiente semble indiquer quelle revit son expérience de l’hôpital et la période de son alitement.
32Notons l’usage anaphorique d’items lexicaux. Par exemple, le « ils » (« ils ont recommencé à aller mal ») qui implique une référence plurielle à une partie du corps, et le « ça » qui semble se référer au symptôme initial (vraisemblablement la douleur) et aux conditions liées à l’arthrite associée avec son épaule. La tentative du médecin d’obtenir davantage d’information suggère qu’il a besoin de recueillir plus de détails de la part de sa patiente.
33Enfin, le mari intervient avec une métaphore synthétique et re-descriptive pour mentionner à sa femme qu'elle donne des réponses qui sont hors contexte et peut-être déroutantes (« Maintenant, tu sautes [du coq à l’âne] »). Par cette métaphore empruntée au langage populaire, le mari semble reprocher à sa femme de ne pas être assez explicite.
34Cet extrait suggère que toutes les interactions sociales requièrent des représentations re-descriptives basées sur des suppositions quant à la situation, qui sont souvent (mais pas toujours) présumées connues et allant de soi. Du point de vue de la recherche, les remarques ethnographiques re-descriptives concernant les cadres (« settings ») institutionnels, « micro » ou « macro », ainsi que l’utilisation d’items lexicaux particuliers sont très utiles. Elles aident à contextualiser les interactions, à identifier le statut social des participants, à saisir la manière dont ils se connaissent, et bien entendu, à reconstituer les suppositions mutuelles quant au but, au contenu et aux résultats anticipés de l’échange.
35L’analyse de l’échange est particulièrement intrigante lorsque le chercheur s’engage dans une étude ethnographique approfondie, car il s’appuie sur le savoir re-descriptif, souvent tacite, qu’il a acquis graduellement sur le groupe social qu’il étudie. Les étudiants en analyse de discours ou de conversation, par exemple, peinent souvent à expliciter les informations re-descriptives ethnographiques qu’ils ont indirectement inférées de leur observation en se basant, entre autres, sur la compréhension de sens commun. Et pourtant leur savoir tacite des situations de la vie quotidienne contribue de manière importante à l’entreprise redescriptive qu’ils mettent en œuvre et qui vise à objectiver, organiser et analyser les usages situés du langage et les aspects pragmatiques de la communication.
36Le savoir tacite devient ainsi un élément intégral d’une tentative redescriptive visant à objectiver les observations et les enregistrements, à organiser et analyser les usages du langage et les aspects pragmatiques de la communication.
Une vue re-descriptive de la cognition distribuée et de la culture
37Une approche cognitive et anthropologique qui réinscrit la culture et les structures sociales au sein de l’évolution historique permet de clarifier et de compléter la caractérisation, proposée par M. Tomasello, de la « culture comme une niche ontologique ». « Les origines ontogénétiques de la culture » telles qu'elles sont décrites par Tomasello concernent des sociétés ou des groupes de petite ou de grande taille. Comme le suggère Roberts (1964), la culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes sociaux de traitement de l’information – une information cognitivement distribuée entre des personnes, des artefacts et des outils (tableau noir, cockpit, etc.). Dans la mesure où l’évolution et la complexification historique de tels systèmes d’information sont graduelles et couvrent plusieurs générations, elles dépassent toujours la capacité et la contribution de chaque acteur pris individuellement (D’Andrade 1981, 1989, 1995 ; Hutchins 1991, 1995 ; Roberts 1964).
38Pour Roberts, une culture donnée peut être vue comme une économie informationnelle où « l’information est reçue, créée, stockée, récupérée, transmise, utilisée, et même perdue » (Roberts 1964 : 438-439). La vision cognitive de la culture proposée par Roberts renvoie au stockage et à la récupération de l’information, ainsi qu’aux processus décisionnels non contrôlés. L’information culturelle est dite « stockée dans les esprits des membres et, dans une plus grande mesure, dans des artefacts ». Roberts a examiné quatre tribus sans écriture (Apache Chiricahua, Mandan, Omaha et Cheyenne) qui peuvent être ordonnées en fonction de la complexité de leurs systèmes d’organisation. Il note qu’en plus de l’importance centrale des artefacts, « l’entièreté des ressources informationnelles de chacune des quatre cultures était stockée dans les têtes des membres de la tribu ou dans celles de personnes extérieures qui communiquaient avec ses membres sans en faire partie » (Roberts 1964 : 439). Par exemple, un conseil dirigé par un chef pouvait perdre et acquérir de nouveaux membres dont les mémoires individuelles et collectives variaient en fonction de qui mourait, ou de qui perdait son autorité ou son pouvoir. Les nouveaux membres amenaient ainsi des intérêts et des souvenirs différents. Ainsi, les mémoires individuelles et collectives d’un groupe variaient en fonction des membres qui mourraient ou qui perdaient de leur autorité ou de leur pouvoir. Elles variaient également en fonction des nouveaux membres, qui amenaient des intérêts et des souvenirs différents. La culture tribale est trop étendue et complexe pour être stockée dans le cerveau d’un seul individu. Avec l’avènement des sociétés industrielles, marquées par l’avancement technologique, cette complexité devint encore plus prononcée, engendrant une forme de division du travail cognitif et social entre les membres « adultes ».
39Aussi intéressante soit-elle, l’approche de la culture que propose Roberts ne rend pas directement compte des processus cognitifs de base, comme l’attention, les émotions et la mémoire, qui ont été mis en œuvre au sein de ces différentes tribus. Elle gagnerait à être articulée aux travaux récents sur les émotions et la cognition (Le Doux 1996) et aux recherches sur les différents systèmes mémoriels humains (Schacter 1995 ; Squire 1987 ; Squire et Kandel 1999), qui montrent que le développement du cerveau humain dépend étroitement de l’interaction entre des mécanismes neurobiologiques et cognitifs et des expériences humaines quotidiennes.
40Les travaux menés préalablement par Roberts permettent de clarifier le compte rendu récent de Tomasello sur la relation entre cognition et culture, sans toutefois s’appuyer sur une observation directe des pratiques culturelles sur le terrain. Même si les travaux de Roberts ne s’appuient pas sur une observation directe des pratiques culturelles mais sur des monographies re-descriptives, représentationnelles d’autres chercheurs, la conception innovante de la relation entre cognition et culture qu’il propose permet de clarifier à bon escient le compte rendu plus récent de Tomasello. En se basant sur le rythme chronologique beaucoup plus lent des primates non-humains, Tomasello insiste sur la rapidité avec laquelle les primates humains sont parvenus à créer des processus cognitifs complexes, des processus culturels et des institutions sociales au cours du temps historique (environ 200 000 ans). Pour apporter des preuves à l’appui de sa vision de l’évolution cognitive et culturelle, Tomasello se base également sur ses recherches, qui mettent bien en évidence l’étendue des capacités proprement humaines que l’enfant développe à partir de l’âge de neuf mois.
41D’Andrade (1989), quant à lui, relie la culture à un énorme système productif, distribué et auto-organisé, qu’il compare à une immense collection de solutions (re-descriptives) partielles de problèmes communément rencontrés par les groupes humains. Dans cette perspective, et ceci est cohérent avec le travail de Roberts, la mémoire est un élément essentiel de la culture, car elle permet la production de modèles cognitifs culturellement dérivés, de même que la création et la reconnaissance d’artefacts. L’évolution culturelle et l’adaptation sont vues comme des systèmes distribués d’apprentissage et de pratiques, qui ne peuvent pas être attribués à des individus en particulier mais qui émergent de décisions localement élaborées et mises en application.
42La culture vue comme une économie informationnelle, et l’évolution culturelle envisagée sous l’angle de systèmes distribués d’apprentissage, suggèrent une vision qui présuppose mais n’aborde pas directement le rôle des interactions sociales et des affects durant ces activités collaboratives. Les visions structurelles de la culture, par conséquent, font allusion, sans véritablement les décrire et les analyser, aux activités observables et aux communications émergentes, affectives, inscrites dans une dimension temporelle.
43En revanche, la démarche empirique d’Hutchins, inspirée des travaux de Roberts et d’Andrade, souligne bel et bien l’omniprésence (bien souvent invisible) dans la vie quotidienne des « efforts coopératifs des humains travaillant dans des groupes socialement organisés » au sein de différents types d’environnement (Hutchins 1991 : 284). Ainsi, partout où il y a division du travail, il y a aussi « quelque cognition distribuée de manière à coordonner les activités des participants ». Il parle ainsi de « travail cognitif » distribué et observable, ou d’un système qui « comprend la distribution de deux types de travail cognitif : la cognition qui est dans la tâche, et la cognition qui gouverne la coordination des éléments de cette tâche. Dans un tel cas, le groupe qui effectue la tâche cognitive peut avoir des propriétés cognitives qui diffèrent des propriétés cognitives de chaque individu pris en particulier » (Hutchins 1991 : 284).
Un exemple d’analyse structurelle
44Les êtres humains ont créé de multiples instruments afin d’obtenir des informations quantitatives et « objectives » sur une population donnée, que ce soit des données démographiques (naissances, morts, fertilité et taux migratoires), des distributions épidémiologiques, des réussites éducatives, des résultats industriels ou des niveaux d’emploi. Bien qu’ils dépendent de processus tacites, non observés, ces instruments de description de la réalité sociale sont considérés comme objectifs. Ils permettent de coder, d’enregistrer et d’agréger une multitude d’événements comportementaux et sociaux dans des structures objectives redescriptives de type « macro ». La constitution de ces structures méta-représentationnelles et re-descriptives est proche des « ontologies » et des « récits standard » dont parle, on l’a vu, Charles Tilly (1998).
45Les pratiques comptables socialement organisées, orientées numériquement, prennent au moins deux formes. Par exemple, (a) le taux de naissance, les statistiques de l’emploi, et (b) les réponses aux questionnaires codés à choix fixe qui produisent des informations de sens commun.
46Grâce aux efforts organisés d’agences bureaucratiques qui enregistrent et classifient les populations et les groupes humains (Lenoir 1995), les distributions numériques deviennent des comptes rendus qui autovalident l’existence de structures sociales. Lenoir s’attaque au type de pensée qui conduit au développement de catégories démographiques utiles pour la gestion de l’État et l’évaluation des conditions sociétales. D’après lui, c’est l'homologie entre la « pensée démographique » et la « pensée étatique » qui a permis à la démographie de se développer et de consolider sa légitimité. Par exemple, les catégories utilisées par les offices gouvernementaux français correspondent à celles qui sont utilisées par les démographes. La diffusion des catégories démographiques a favorisé le développement d’une aura de « neutralité bureaucratique » et a contribué à leur « légitimité » lorsqu’elles étaient utilisées par l’État.
47Basées sur des enquêtes par questionnaires, des catégories démographiques, des données officielles issues du gouvernement ou de groupes privés (ou encore d’autres bureaucraties), les distributions numériques permettent aux historiens et aux chercheurs des sciences sociales d’adopter un niveau d’analyse qui ne nécessite ni l’observation directe de sujets humains, ni la prise en compte des mécanismes cognitifs et affectifs, ni encore celle des détails propres aux interactions sociales quotidiennes.
48La simplification des échelles temporelles liée à l’évitement de l’observation directe a donné aux études structurelles un net avantage ; elles peuvent souvent bénéficier de la fiabilité de leurs instruments afin d’obtenir des données, malgré leur faible validité externe. Il existe également une énorme quantité d’informations secondaires issues de sources gouvernementales, semi-gouvernementales ou commerciales, ainsi que d’enquêtes par questionnaires. Ces banques de données se fondent sur des interprétations re-descriptives, des précédents historiques, des analogues, des métaphores, des patterns ou des cycles qui permettent aux chercheurs de s’attaquer à des problèmes politiques. Ils créent ainsi des modèles et des simulations qui prennent pour objet l’économie, la politique et le système de santé, aussi bien au niveau global que local.
49La fiabilité des analyses structurelles, par conséquent, ne dépend pas de l’identification et de l’étude des mécanismes psychologiques, des pratiques culturelles et des stratégies d’interaction sociale. À ce niveau structurel, les processus dynamiques re-descriptifs et les processus culturels ne sont pas problématisés ; dans les sciences sociales, ils sont au contraire tenus comme allant de soi.
Remarques conclusives
50Dans ce chapitre, nous nous sommes concentré sur les capacités intelligentes humaines qui renvoient aux re-descriptions imaginatives et aux spéculations propres aux sciences cognitives, comportementales et sociales – mais nous aurions également pu mentionner les arts ou la philosophie.
51Les types de données et d’analyses utilisées par les chercheurs en sciences sociales peuvent être compris en faisant référence à la description de Karmiloff-Smith d’un processus développemental essentiel qui a lieu chez les enfants lors de l’acquisition de nouvelles connaissances. Ce processus métacognitif et métalinguistique appelé « re-description représentationnelle » (Karmiloff-Smith 1992 : 15-21) distinguerait les humains de tous les autres animaux en insistant sur la manière dont la connaissance est acquise (ou, en termes plus généraux, créée, maintenue, modifiée ou perdue). Ainsi, selon Karmiloff-Smith,
le mode d’acquisition de la connaissance qui caractérise l’esprit humain repose sur l’exploitation interne des informations (innées ou acquises) qui ont déjà été stockées dans la mémoire. Une telle exploitation consiste à re-décrire ou, plus précisément, à re-présenter de manière itérative ce que ces représentations internes représentent, dans des formats représentationnels différents (Karmiloff-Smith 1992 : 15).
52Et il déclare plus loin :
Autrement dit, la re-description représentationnelle est un processus par lequel l’information contenue implicitement dans l’esprit se transforme ultérieurement en connaissance explicite – ceci survenant en premier lieu dans les limites d’un domaine, et parfois entre domaines différents. (Karmiloff-Smith 1992 : 18)
53Dans la même veine que Karmiloff-Smith, Tomasello note (1999 : 194-195) :
Ce processus [de redescription des représentations] est important. Car en se re-présentant à eux-mêmes leur connaissance sous différents formats – et de telle sorte que le format suivant englobe le précédent – les individus deviennent capables d’utiliser leur savoir de manière plus flexible dans un ensemble plus large de contextes appropriés ; autrement dit, leur cognition devient plus « systématique », comme dans les constructions de généralisation profonde en mathématiques, ou les constructions grammaticales abstraites du langage.
54D’après nous, les re-descriptions représentationnelles ne sont pas seulement basées sur le cerveau et les processus cognitifs et affectifs ; par nature, elles sont également culturelles car elles s’appuient nécessairement sur des activités sociales émergentes, distribuées, qui permettent d’identifier et de comprendre ce qui est jugé « pertinent » ou « non pertinent ». Comme noté précédemment, aucun individu ne peut créer des pratiques, des traditions et des rituels culturels (religion, science, mythologie, etc.) sans que d’autres soient impliqués dans leur production et leur reproduction.
55Le processus de re-description étant devenu de plus en plus omniprésent dans les cultures humaines, l’évolution historique a par la suite conduit à renouveler les mécanismes psychologiques et les processus d’interaction socioculturelle préexistants en élaborant des versions de niveaux de plus en plus hauts. Un résultat important fut l’émergence de stratégies re-descriptives de niveau « méta- » qui s’appuient sur des méthodes de traitement de l’information cognitives et culturelles qui permettent de condenser et de fusionner les informations. C’est cette condensation et cette fusion des informations que notre notion de niveaux d’analyse vise à mettre en évidence – des niveaux d’analyse qui, culturellement, tendent à devenir de plus en plus autonomes et standardisés. Cette autonomie se retrouve dans les pratiques de comptabilisation ou de re-description qui sont mises en œuvre dans des systèmes religieux ou dans d’autres systèmes de croyances apparentés, dans des bureaucraties gouvernementales et non gouvernementales, ou encore dans des institutions académiques.
56Considérons une perspective similaire, décrite par l’économiste Brian Arthur, qui est directement pertinente pour les sciences sociales. Par exemple, dans son résumé, il note que « la complexité dépeint l’économie non comme étant déterministe, prédictible et mécanique, mais comme dépendante de processus organiques toujours en évolution » (Arthur 1999 : 107). L’idée que les économies sont « dépendantes de processus [...] et toujours en évolution » soulève selon lui un certain nombre de questions :
Ce que toutes les études sur la complexité ont en commun, ce sont des systèmes avec de multiples éléments qui s’adaptent et réagissent à des patterns qui sont créés par ces éléments eux-mêmes. [...] Les éléments et les patterns auxquels ils répondent varient d’un contexte à un autre. Mais les éléments s’adaptent au monde – le pattern total – qu’ils co-créent. Le temps intervient naturellement ici via les processus d’ajustement et de changement : lorsque les éléments réagissent, les agrégats changent ; lorsque les agrégats changent, les éléments réagissent de nouveau. À moins qu’ils n’atteignent un certain état asymptotique ou un équilibre, les systèmes complexes sont des systèmes en mouvement qui évoluent constamment et qui se déploient dans le temps. [...] Mais, contrairement aux ions contenus dans un verre de spin qui réagissent toujours d’une manière simple à leur champ magnétique local, les éléments économiques (agents humains) réagissent avec stratégie et prévoyance en considérant les résultats qui pourraient découler du comportement adopté. Ceci ajoute une couche de complication à l’économie dont la complexité n’a pas d’équivalent dans les sciences naturelles (Arthur 1999 : 107-108).
57Un des points les plus fondamentaux mentionnés par Arthur renvoie aux « multiples éléments qui s’adaptent et réagissent à des patterns qui sont créés par ces éléments eux-mêmes ». Dit d’une autre manière, les économistes, tout comme les autres chercheurs en sciences sociales qui se concentrent sur le niveau d’analyse « méta- » ignorent « le déploiement des patterns créés par ses agents ». Pour préserver la validité écologique des observations, les recherches menées sur le terrain doivent être reliées avec celles menées en laboratoire, et vice versa, ou encore avec celles menées à l’aide de simulations informatiques.
58La « complication » que les agents humains ajoutent à l’économie et les autres choix cognitifs/affectifs/culturels/sociaux incluent la reconnaissance que le comportement émergent dépend souvent de la perception des contraintes interpersonnelles et organisationnelles. Les économistes, toutefois, n’étudient pas directement les processus d’ajustement et de changement en observant comment les agents dans une organisation interagissent au quotidien. Ils n’abordent pas non plus les effets liés aux limites inhérentes aux capacités cognitives individuelles lors des prises de décisions économiques (ou autres) au sein de contextes organisationnels locaux.
59Les données et les analyses rassemblées par les spécialistes contemporains en sciences cognitives et sociales, par conséquent, illustrent parfaitement bien le processus de re-description représentationnelle qui permet aux humains de comprendre, aussi bien à un niveau local qu’à un niveau « méta- », les activités de la vie quotidienne et de les inscrire dans des ensembles socialement organisés.
60Autrement dit, les re-descriptions peuvent aussi être vues comme des manières innovantes de produire des comptes rendus condensés et fusionnés d’observations « directes » (y compris des enregistrements audio-visuels), d’expériences contrôlées, d’informations quantitatives dérivées d’un sondage et de méthodes démographiques. Le défi théorique et empirique, par conséquent, est de saisir comment fusionnent et se condensent de manière différentielle et inévitable toutes ces ressources informationnelles (Fauconnier et Turner 2002).
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Notes de bas de page
164 Texte traduit et adapté avec l’autorisation de l’auteur par Fabrice Clément à partir de A. Cicourel (2006), « Cognitive/affective processes, social interaction, and social structure as representational re-descriptions : their contrastive band-widths and spatio-temporal foci » Mind and Society, 5 : 39-70.
Auteur
Professeur émérite de sociologie à l’université de California, à San Diego. Élu à la prestigieuse Académie américaine des arts et des sciences en 1992, il travaille toujours dans ses domaines de prédilection, à savoir la sociolinguistique, la communication médicale, la prise de décision et la socialisation enfantine. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Cognitive Sociology, et Le raisonnement médical.
cicourel@cogsci.ucsd.edu
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Informatique et sciences cognitives
Influences ou confluence ?
Catherine Garbay et Daniel Kayser (dir.)
2011