Invariants mentaux et variables sociales
p. 75-100
Texte intégral
1Qu’est-il possible d’appeler sociologie cognitive ? Cet espace de recherche est un peu flou, j’en conviens, et les chercheurs qui y sont associés, Quéré, Thévenot, Cicourel, Lemieux, Conein, Boudon, Pharo... sont loin de définir un objet de recherche unifié. Sperber (1992) a sans doute raison de constater qu’il existe deux acceptions du terme « cognitif » : l’une « forte » qui consiste en une explication naturaliste et mécaniste des phénomènes mentaux, et l’autre « faible » qui caractérise les sciences sociales en général lorsqu’elles se préoccupent des croyances, des idéologies, des savoirs techniques, etc., en mobilisant les notions de rationalité et de représentations mentales. Boudon (1997 : 21), par exemple, ne cache pas que ce qu’il appelle l’étude de la cognition en sociologie est assez éloigné de la conception qu’on peut s’en faire dans les sciences cognitives orthodoxes. Répondant à une question de Yao Assogba sur ce point (Assogba 2004 : 43), il précise : « Quant à l’expression “sociologie cognitive”, elle indique que le sociologue qui entend expliquer tel ou tel phénomène social a intérêt à y voir l’effet d’actions, d’attitudes et de croyances individuelles fondées sur des raisons. »
2La typologie de Sperber ne me semble pas définitive. Je crois, en effet, qu’il existe un espace de travail entre le « cognitivisme faible » et le « cognitivisme fort ». Un espace peu occupé, il est vrai, mais qui, à mon sens, a de grandes potentialités pour l’avenir de la sociologie. Ignorer les progrès des neurosciences et les recherches sur la cognition en général serait contre-productif pour les sciences sociales, mais y prêter attention ne signifie pas quelles doivent renoncer à l’entité « acteur social » pour lui préférer de mystérieuses instances modulaires5. En effet, ce que nous apprennent ces disciplines n’est pas en mesure de nous expliquer, pour le moment, les phénomènes complexes et unifiés qui définissent la pensée humaine, ce qu’admettent sans difficulté les défenseurs les plus convaincus de ces disciplines. Ainsi, Changeux (2002 : 166) écrit :
Toute théorie sérieuse de la conscience devrait se donner pour tâche d’expliquer l’orchestration de ce flux cohérent d’objets mentaux qui donne accès à la validation rationnelle d’une proposition. Nous en sommes encore loin,
3ou encore
L’élaboration de modèles plausibles de cette expérience totale n’est pas encore à l’ordre du jour des neurosciences (ibid. : 1 30).
4C’est aussi le point de vue de Sperber (2002 : 56) :
Je convins alors, et je conviens toujours, que ce que nous comprenons de l’architecture cognitive est beaucoup trop limité, et que le mieux que nous puissions faire est d’essayer de spéculer intelligemment, ce qui est très amusant de toute façon.
5Si la sociologie n’a pas de raison de céder aux sirènes naturalistes et mécanistes de l’orthodoxie des sciences cognitives6, elle ne doit pas défendre, en revanche, des arguments à connotations corporatistes en insistant sur le fait qu’il n’irait pas dans l’intérêt de la sociologie d’accepter la position naturaliste. En science, bien entendu, un argument ne saurait être défendu en raison des services de positionnement qu’il rend sur le marché cognitif. À moins de considérer que l’on est et reste sociologue, même contre les progrès de la connaissance et de concevoir la sociologie comme une science qui explique les phénomènes quelle étudie par la seule détermination des facteurs sociaux, selon une lecture étriquée de la méthode durkheimienne. S’il a une acception scientifique de sa discipline, le sociologue ne peut avoir d’autre recours que d’accepter le dialogue avec des programmes de recherche qui éclairent d’un jour nouveau certaines des questions qui sont aux fondements même des sciences sociales. Les sciences cognitives proposent, en particulier, des hypothèses de travail et une base expérimentale irremplaçable pour toute approche compréhensive.
6Dans un passage célèbre, Max Weber (1971 : 28) définit la sociologie comme :
une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par « activité », [précise-t-il], un comportement humain [...], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif.
7Cette acception de la sociologie propose de considérer le sens subjectivement visé comme un éclairage fondamental de l’action individuelle et, de ce fait, des phénomènes collectifs qui intéressent les sciences sociales. Les travaux des sciences cognitives qui permettent d’affiner les conditions d’expression de cette rationalité subjective et limitée7 sont particulièrement utiles à cette sensibilité scientifique.
8Une sociologie cognitive qui, informée des propositions des disciplines connexes (psychologie cognitive, neurosciences, anthropologie cognitive...), importerait certains de leurs résultats pour éclairer les phénomènes sociaux qui font l’objet de sa curiosité, pourrait revendiquer cet espace de travail intermédiaire entre l’acception forte et l’acception faible du terme cognitif. Ce programme de recherche peut être défini par une intention très générale : voir comment les invariants cognitifs s'hybrident avec les variables sociales pour former cet objet sans cesse renouvelé et pourtant toujours borné par un espace logique restreint qu’il est convenu d’appeler la vie en société. Je me suis intéressé, dans mes travaux, à cette possibilité d’hybridation dans les phénomènes de croyances collectives8, mais elle me paraît d’une portée tellement générale qu’elle doit pouvoir s’appliquer à l’ensemble des objets des sciences sociales.
La paréidolie : « réflexe mental » et raisonnement implicite
9Ce programme peut être introduit par quelques exemples. Celui des phénomènes paréidoliques me semble idéal pour montrer que certains faits qui intéressent la sociologie relèvent à la fois d’invariants mentaux et de variables sociales. C’est que, dans le cas de la paréidolie, une explication par la socialisation, fût-elle primaire, est tout simplement inenvisageable, elle est bien ce qu’on peut appeler un réflexe mental, comme on le verra. Mais c’est aussi, par ailleurs, que certains phénomènes de croyances qu’elle engendre ne peuvent être éclairés qu’en mobilisant des éléments contextuels et sociaux. On est donc là au cœur des objets de la sociologie cognitive.
10L’une des caractéristiques de notre fonctionnement mental est notre capacité à conférer un sens à toutes sortes de combinaisons abstraites – l’alphabet et les nombres en constituent les exemples les plus saillants. Cette aptitude est très utile, mais elle peut être aussi un peu encombrante. La plupart du temps, nous ne prenons pas au sérieux ces exercices de paréidolies. C’est ainsi que l’on désigne une illusion fondée sur la mauvaise interprétation d’un stimulus vague ou imprécis conçu comme un signe clair et distinct. Ce terme qui vient du grec para qui signifie faux, et de eidolon et eidos qui signifie apparence, correspond à des activités bénignes la plupart du temps. Par exemple, celle qui consiste à regarder passer les nuages, en cherchant à y voir des visages connus, des animaux fabuleux ou des objets familiers. Cette tendance de l’esprit humain à la paréidolie est encore utilisée dans certaines expériences psychologiques comme l’exercice d’interprétation de taches d’encre proposé dans le test de Rorschach. Elle est aussi à l’origine de phénomènes de croyances remarquables.
11Il est vrai que ces formes s’organisent quelquefois de façon stupéfiante, elles peuvent paraître dessiner un personnage célèbre, un dessin à forte charge symbolique. Telle tache d’humidité, par exemple, peut prendre l’apparence, pour des esprits bien inclinés, d’un personnage historique ou mythologique. Ces interprétations paréidoliques suscitent, un peu partout sur la planète, de curieuses processions, vers des ponts surplombant l’autoroute, des murs sans charme ou des centres hospitaliers.
12Ainsi, sous une autoroute de Chicago des milliers de pèlerins se massent depuis que, selon eux, l’image de la Vierge Marie serait apparue sur un mur en béton. Cette forme n’est qu’une combinaison, improbable certes, de taches diverses, mais elle n’en inspire pas moins la dévotion. De la même façon, la petite ville de Sierck-les-Bains, non loin de Thionville en Moselle, en septembre 1985, fut l’objet d’une agitation un peu inhabituelle. Sur une des maisons du centre-ville, certains passants remarquèrent une tache d’humidité aux allures étranges. Certains prétendirent même y voir une figure anthropomorphique, plus précisément un visage. Ces taches, si l’on y regardait de plus près, pouvaient, en effet, laisser deviner l’esquisse involontaire d’une face barbue surmontée d’une longue chevelure. Des milliers de personnes interprétèrent ceci comme le signe d’une intervention divine. On prétendit bientôt qu’il s’agissait du visage du Christ. Certains promeneurs firent même tout exprès le détour pour jeter un œil curieux ou dévot sur le Christ de Sierck-les-Bains. Cette histoire eut un peu d’échos, et, bien qu’elle soit oubliée à présent que la figure christique a disparu, elle reste exemplaire du phénomène de paréidolie.
13Le Milton Hospital à Boston, quant à lui, a reçu, en 2003, la visite de près de 25 000 personnes au prétexte qu’une des fenêtres du bâtiment, parce qu'elle avait été mal lavée, laissait voir des taches de graisse qui paraissaient dessiner le visage de la Vierge Marie. De nombreux bouquets ont été déposés sous cette fenêtre et même une boîte pour des dons ! Plus populaire encore fut la Vierge de Ferraz de Vasconcellos en périphérie de Sao Paulo qui reçut la visite de 40 000 personnes. Et que dire de l’engouement que suscita, à Clearwater en Floride, en 1999, une apparition mariale sur une vitre d’un building, devant laquelle près d’un million de personnes se seraient déplacées ? On dit que cette ferveur a même occasionné des problèmes de circulation à plusieurs kilomètres à la ronde.
14Comment prévenir ces interprétations paréidoliques lorsque même une crème glacée écrasée sur le sol peut paraître dessiner les traits de la Sainte Vierge ? C’est ainsi qu’à Houston, aux États-Unis, des gens se sont prosternés devant les restes d’une crème glacée, prétendant voir une apparition de la Vierge de Guadalupe.
15La capacité à percevoir des formes dans la production de phénomènes aléatoires est indubitablement un de ces invariants cognitifs que j’évoquais dans mon introduction. Selon Atran (2006), notre propension à distinguer des visages ou des « agents » à partir de formes confuses serait un héritage biologique de nos lointains ancêtres. Ainsi, explique-t-il, la reconnaissance des visages est probablement une des toutes premières acquisitions du nourrisson. Pour lui, l’identification des visages amicaux ou hostiles devient rapidement vitale. Cette aptitude devient un atout sélectif lorsque le danger est essentiellement humain. Il permet, par exemple, de distinguer un ennemi dissimulé dans des fourrages ou camouflé, et de voir un visage là où il ne semble y avoir qu’amas confus. Ainsi, selon Atran, cette tendance s’est biologiquement développée chez l’homme parce que ceux qui en étaient dépourvus avaient des chances de survivre plus faibles que les autres. Dans ces conditions, nos ancêtres se trompaient souvent, mais cette capacité à imaginer le pire était une garantie de survie dans un environnement très hostile.
16Aujourd’hui, nous aurions donc hérité génétiquement d’une tendance cognitive parfois un peu encombrante mais qui eut son utilité.
17Ce n’est qu’une conjecture, mais il me paraît raisonnable d’admettre, avec Atran, que la manie paréidolique est quelque chose comme un réflexe mental naturel de l’homme. Le problème est que le sociologue cognitif ne peut, selon moi, se satisfaire de ce seul facteur biologique car il ne rend pas compte de toutes les facettes du phénomène paréidolique. Ainsi, pour rendre tout à fait justice à l’exemple de la crème glacée « miraculeuse » de Houston, il faut préciser que les gestes de dévotions furent plus le fait de la population hispanophone (majoritairement catholique) qu’anglophone (majoritairement protestante) qui, elle, resta globalement indifférente à ce qui n’était qu’une glace renversée. La question de savoir pourquoi certains croient voir le visage de la Vierge là où d’autres voient une glace fondue, en particulier, reste entière si l’on voit la paréidolie et ses conséquences comme un simple réflexe de nature biologique. Il est évident avec cet exemple que cette disposition naturelle s’hybride avec un système de représentation. Mais il n’y a pas de raisons non plus de rendre compte du phénomène en invoquant un unique déterminant culturel, car il est sans doute aisé de trouver des individus d’origine hispanique n’ayant pas adhéré à la croyance et des individus d’origine anglophone l’ayant fait. Cette croyance ne se manifeste pas mécaniquement dans l’esprit des individus même lorsqu’ils paraissent avoir des dispositions naturelles ou culturelles pour l’endosser9. Le tableau qui suit montre les différentes situations qui peuvent se rencontrer.

18Si la somme N des individus ayant assisté à la scène était égale à Nh1 + Na1 (c’est-à-dire que l’ensemble des individus, quelle que soit leur origine, a cru voir une apparition de la vierge plutôt qu’une glace fondue), alors l’interprétation du phénomène pourrait se ramener à l’expression d’un réflexe naturel. Si, au contraire, l’ensemble de la population N était composé de Nh1 et Na2 (c’est-à-dire, les hispaniques voient la Vierge, tandis que les anglophones voient une glace), alors une explication de type culturaliste serait satisfaisante. Mais en réalité, l’existence de Nh2 et Na1 (c’est-à-dire des hispaniques qui n'ont vu qu’une glace et des anglophones qui, eux, ont vu la Vierge) indique le caractère stochastique (et non strictement aléatoire) des phénomènes mentaux. En d’autres termes, ces phénomènes s’expriment dans un espace causal restreint, enserrés de liens causais sociaux et naturels, mais ils demeurent le plus souvent imprédictibles rapportés à leur expression individuelle. Nous pouvons faire l’hypothèse que tel individu, ayant telle caractéristique, a des chances d’endosser telle croyance, mais la simple observation de la vie sociale nous montre qu’il ne s’agit jamais que d’un pari.
19Pour rendre compte du caractère stochastique de cette adhésion à la croyance, je propose d’admettre, à la suite de Boudon10, que les conclusions auxquelles parviennent les individus sont inspirées par un raisonnement plus ou moins implicite. Ce raisonnement est sous-tendu par une disposition naturelle et perçu comme plus ou moins convaincant selon le système de représentation (ou si l’on préfère sa culture) de celui qui le conçoit ou le reçoit. Sa diffusion sociale est donc dépendante de plusieurs facteurs, mais aucun ne semble en mesure de déterminer mécaniquement la pensée.
20En effet, ici, les uns et les autres savent très bien qu’il s’agit d’une glace, mais certains d’entre eux y voient une théophanie, tandis que les sceptiques, qui distinguent sans doute, eux aussi une forme semblable à un visage, n’y voient que la production du hasard. Ce n’est pas tant notre capacité à organiser des formes inorganisées qui est déterminante que le rapport de croyance que nous allons entretenir avec cet exercice. Or, la croyance des premiers est fondée sur un raisonnement, comme nous allons le voir, c’est-à-dire sur des raisons. En d’autres termes, le régime de causalité qui est à l’œuvre d’un point de vue descriptif11 ne peut être ramené, compte tenu de l’état d’avancement des connaissances, à des causes efficientes, telles qu’Aristote les définit dans La métaphysique. Et pour reprendre la typologie du Stagirite, le programme naturaliste, en sciences cognitives, ambitionne de substituer le régime efficient de la causalité au régime téléologique (que ces causes efficientes soient conçues comme biologiques ou sociales). Ainsi, il lait appel à des mécanismes sub-intentionnels pour expliquer, par exemple, pourquoi les êtres humains commettent, de façon prévisible, des erreurs face à certains types de problèmes, comme nous le verrons.
Un raisonnement captieux : l’erreur de négligence de la taille de l'échantillon
21Dans notre exemple, les croyants ne sont sans doute pas inconscients du fait que ces taches ont pu se former par hasard, mais la chose leur paraît tellement improbable qu’elle leur semble ne pouvoir être le fait que d’un miracle. Lorsque le hasard produit des formes exagérément signifiantes, pensent-ils plus ou moins explicitement, c’est qu’il y a, là-derrière, une intention, et donc un agent. On ne peut pas dire que cette idée soit totalement déraisonnable, mais elle est inspirée par un raisonnement captieux qui confond les catégories du particulier et du général. En d’autres termes, il est vrai que cet amas de taches, de graisse ou d’humidité a une chance infinitésimale de former quelque chose qui ressemble au visage de la Vierge ou à celui du Christ. Cependant, il est faux de considérer que la chose est improbable en soi, c’est-à-dire en général. La chose devient même tout à fait banale si l’on considère le nombre colossal de taches d’humidité qui se forment chaque jour dans le monde. Il est probable que, chaque année, le hasard produise des figures qui, en raison des dispositions naturelles de l’homme à percevoir du sens dans le non-sens, de la forme dans l’informe, seront interprétées comme des signes. Ici, ce sera le Christ qui sera aperçu, mais là ce sera le Bouddha ou Lénine, selon la sensibilité de chacun.
22Il s’agit ici d’une manifestation spécifique de la confusion entre le particulier et le général. J’ai proposé de nommer (Bronner 2007a) cette confusion : négligence de la taille de l’échantillon. Parce que cette erreur est d’une portée très générale et que l’on en trouve de nombreuses illustrations dans la vie sociale12, ce type de raisonnement captieux constitue une entrée idéale dans le programme de la sociologie cognitive. En effet, il inspire des croyances, des phénomènes aux conséquences individuelles et sociales, qui sont au carrefour des invariants de notre pensée et de certaines des variables de notre vie sociale.
23La négligence de la taille de l’échantillon est une erreur de raisonnement qui a des chances de se manifester lorsque nous sommes confrontés à un événement improbable en soi, mais issu d’un nombre d’occurrences immense. Nous avons, dès lors, l’impression qu’il est extraordinaire puisque nous ne pouvons, ou ne voulons pas, considérer la nature de la série duquel il est issu. Il y a des coïncidences qui nous paraissent donc tellement prodigieuses que nous jugeons raisonnable de ne pas les attribuer au hasard. Le problème est qu’un phénomène peut être extraordinaire (car caractérisé par une probabilité faible d’apparition) et cependant le résultat du hasard, s’il est issu d’un très grand nombre d’occurrences. Cette erreur cognitive est très banale, elle est à l'œuvre, comme on l'a vu, dans les phénomènes de croyances paréidoliques et peut-être rendue plus ou moins attractive selon le contexte social. Les croyances paréidoliques seront particulièrement attractives lorsque les hommes seront confrontés à des événements auxquels ils chercheront un sens parce que, par exemple, ils sont tragiques. Les attentats du 11 septembre n’ont pas suscité que des croyances conspirationnistes. L’effondrement des Twin Towers a été filmé, photographié et ce tragique événement a produit des milliers d’images (ne serait-ce que parce que les films peuvent donner lieu à une analyse image par image). Il était donc probable que parmi certaines de ces images, les volutes de fumée produites par les incendies et l’effondrement des tours dessinent des formes furtives prêtes à être interprétées. C’est ainsi que dans un article daté du 14 septembre 2001, le Philadelphia Daily News se demandait si Satan n’avait pas « dressé sa face hideuse » sur les cendres des attentats survenus trois jours plus tôt. Ce qui justifiait une question aussi saugrenue, c’était une image, issue de la masse de celles qui avaient été tirées de ces terribles événements, sur laquelle on pouvait distinguer une sorte de visage dans les émanations de l’incendie du World Trade Center. Le quotidien précisait que ces volutes de fumée semblaient : « révéler la face de Satan, avec sa barbe, ses cornes et son expression maléfique, symbolisant pour beaucoup la nature hideuse de l’acte qui a semé horreur et terreur sur une ville qui ne s’y attendait pas ».
24De la même façon, Mohamed Al-Faiz, le directeur du Centre d’études islamiques de Colombo (Sri Lanka), a prétendu voir le nom d’Allah écrit en arabe dans le reflux et l’écume de la vague mortelle du Tsunami qui frappa l’Asie à la fin de l’année 2004. Ce qui a permis cet exercice de paréidolie, c’est, expliqua-t-il au quotidien londonien Al-Arab, des photos satellites prises au moment où le raz-de-marée frappait la côte Ouest du Sri Lanka. Les progrès technologiques peuvent dans certains cas favoriser l’expression de la croyance. Ceux qui ont pris le soin de vérifier les allégations de Monsieur Al-Faiz n’ont pas toujours été convaincus que cette vague meurtrière ait dessiné quoi que ce soit. Ahmed Halli, sur un ton un peu ironique, affirme dans Le Soir d’Algérie (janvier 2005) qu’en bon musulman il est allé scruter ces photos, mais qu’il n’y a rien vu de miraculeux. Il faut admettre, avec ce journaliste, qu’il faut un peu d’imagination pour voir un parallèle entre cette vague et le nom d’Allah écrit en arabe. De l’imagination et surtout une certaine motivation, celle qui conduit à penser qu’un drame ayant fait des centaines de milliers de victimes ne peut pas être dépourvu de sens. Le directeur du Centre d’études islamiques de Colombo est formel, le raz-de-marée est une punition : « Dieu a écrit son nom et a châtié ceux qui ont ignoré sa loi. »
25Dans tous ces exemples, le réflexe paréidolique rend possible l’expression d’un raisonnement captieux qui, lui-même, produit une croyance construite en cohérence avec la culture de celui qui l’endosse et quelquefois de ses intérêts à croire.
26Il est permis de s’interroger sur le statut de ce raisonnement.
27Ne pourrait-il pas être, lui aussi, quelque chose comme un réflexe, l’expression d’une instance modulaire infra-individuelle ? Il s’agirait, dès lors, de lui trouver une hypothétique fonction sélective datant du pléistocène pour rendre compte de son caractère universel et inné. Seulement voilà, si la paréidolie est bien une réponse mentale que nous ne pouvons inhiber, de même que nous ne pouvons empêcher les effets de certaines illusions d’optique, quand bien même nous connaissons leur caractère illusoire, il en va différemment pour tous ces raisonnements captieux dont fait partie la négligence de la taille de l’échantillon. Ces erreurs sont certes attractives, souvent universelles et rémanentes, mais leur expression est aussi stochastique (on ne peut jamais être certain qu’un individu y cédera, ni même qu’il y cédera encore s’il y a déjà cédé) et peut donner lieu à un examen conscient et critique de l’individu qui s’y abandonne13. Mais si ces raisonnements captieux ne se soumettent pas aisément aux ambitions descriptives de l’innéisme de la psychologie évolutionniste, il reste à expliquer pourquoi nous faisons si souvent confiance à des procédures mentales qui nous conduisent vers des erreurs sévères. Si elles ne sont pas le résultat d’une programmation biologique, comment rendre compte de leur attractivité alors même qu’elles sont intensivement fausses ? Affirmer qu’elles sont soutenues par une argumentation qui parvient à convaincre le croyant n’est qu’une reformulation du problème, car une question demeure : pourquoi les raisonnements captieux paraissent convaincants, pourquoi ne sont-ils pas abandonnés dès lors qu’ils sont désavoués par la réalité ? Une réponse possible à cette question est un peu inquiétante, mais c’est celle qui me paraît la plus convaincante : loin de désapprouver les tentations inférentielles fautives, le réel nous incite souvent à leur accorder notre confiance. L’expérience est parfois l'alliée le plus indéfectible du faux. De même que le système de Ptolémée, tout en étant faux, était confirmé mille fois par le réel, de même certaines procédures mentales erronées sont affermies par les faits14.
28Supposons par exemple que vous ayez à juger de la validité d’un énoncé A qui a été confirmé par un très grand nombre d’expériences et n’a jamais été invalidé, la raison semble alors vous incliner à considérer A comme vrai. L'expérience confirme A. Pourtant, il se pourrait que A soit un énoncé du type : « La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. » Inspirés par cette croyance populaire ancrée dans les esprits, d’aucuns conseillent même aux malheureux qui seraient pris au dépourvu, à découvert, sous un orage, de se placer, s’ils le peuvent, là où l’éclair vient de frapper afin d’être certains de ne pas être foudroyés à leur tour.
29Cette « loi » sera immanquablement confirmée par l’expérience. En effet, la probabilité que la foudre frappe en deux endroits différents est largement supérieure à celle qu elle frappe deux fois au même endroit. Rien n’empêche intrinsèquement la foudre de s’abattre deux fois de la même façon, la chose est seulement à ce point improbable qu'elle en devient presque impossible. Mais ce que perçoit peut-être moins la logique ordinaire, c’est que la probabilité que la foudre frappe un point A précis et un autre point B précis, déterminés à l’avance, est tout aussi faible. Le sens commun classera les phénomènes en deux grandes catégories : la première, celle où la foudre frappe deux fois le même endroit (A et A), et la seconde, celle où la foudre frappe deux endroits différents (c’est-à-dire qu'elle frappe A et B ou A et C ou A et D, etc.). Bien entendu, la deuxième catégorie de faits contiendra la quasi-totalité des occurrences. Par conséquent, la pseudo-loi selon laquelle la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit n’a aucune chance (ou presque) d’être infirmée et toutes les chances, au contraire, d’être confirmée. Ceci n’indique rien des raisons qui ont fait émerger cette croyance, mais décrit certaines de celles, très fortes, qui ont pu la faire perdurer. Comme l’écrit Engel (1997 : 156) : « C’est parce qu’il y a une relation régulière, de nature causale, entre mes croyances et l’environnement et qu’elles ont pour but de décrire cet environnement qu’on ne peut pas, en général, croire contre l’évidence. »
30C’est selon une logique du même ordre qu’un certain nombre d’erreurs cognitives s’enracinent dans notre pensée ordinaire au point d’être traitées comme allant de soi, et ce avec une probabilité d’autant plus grande quelles sont portées par des raisonnements vraisemblables. Le résultat paradoxal est que ces raisonnements sont faux en intension (ce qui échappe généralement à la conscience), mais vrais en extension, c’est-à-dire dans leur conclusion (ce qui ne peut échapper à la conscience). Ceci constitue une assez bonne raison de les tenir pour vrais.
31Cette idée me paraît avoir beaucoup d’avantages : d’une part, elle rend compte du caractère universel et rémanent de ces procédures mentales erronées, d’autre part, elle rend justice à la capacité des acteurs sociaux de réformer leur jugement.
32Revenons à l’erreur de négligence de la taille de l’échantillon qui, je le rappelle, aura des chances de se manifester à chaque fois que l’individu sera confronté à des phénomènes à probabilité d’apparition faible, mais soutenus par un grand nombre d’occurrences. La tentation inférentielle qui consiste à croire que l'extraordinaire, l’improbable, et l’aléatoire ne sont pas compatibles est tout à fait résistible dans certaines circonstances, elle n’a donc rien d’un réflexe mental. Ainsi, chacun comprend aisément qu’il y ait, chaque semaine ou presque, des gagnants au loto de la Française des jeux. Pourtant chacun sait bien aussi que les probabilités de chances de gagner à cette loterie sont extrêmement faibles. Ici, la compossibilité de l’aléatoire et de l’improbable ne pose pas problème car tout le monde a conscience du fait que le nombre d’occurrences impliquées est immense : des millions de grilles sont remplies chaque semaine. Mais ce n’est pas toujours le cas. En réalité, notre expérience nous confronte assez rarement à des phénomènes constitués de millions d’occurrences. Dans notre vie quotidienne, nous n’avons rarement accès sensoriellement, ou même intellectuellement, à des échantillons de très grande taille. Nous sommes, en quelque sorte, cognitivement démunis face à ce genre de phénomènes.
33Si l’on se rapporte à la définition de la sociologie cognitive que j’ai proposée en introduction, on peut préciser à présent que les universaux de la pensée humaine sont de deux types. Le premier relève du patrimoine biologique de notre espèce (par exemple, le réflexe paréidolique), le second manifeste l’existence d’expériences communes (par exemple, l’erreur de négligence de la taille de l’échantillon). Mais ces invariants ne deviennent des objets qui intéressent la sociologie cognitive que lorsqu’ils s’hybrident avec des variables représentationnelles.
La théorie de l'évolution et sa difficile réception
34Je voudrais donner un dernier exemple de la fécondité de ce programme en mobilisant encore, pour la continuité de mon propos, l’erreur de négligence de la taille de l’échantillon. Cet invariant, comme on va le voir, autorise l’élaboration de raisonnements captieux qui contrarient la diffusion de certaines connaissances scientifiques, et en particulier celle de la théorie darwinienne.
35Cette théorie, élaborée il y a plus de 150 ans et qui constitue encore l’orthodoxie des sciences du vivant, est loin de s’imposer facilement dans les esprits. C’est manifestement vrai aux États-Unis puisque selon un sondage effectué par l’institut de recherche Pew (juillet 2005), les théories de Darwin laissent une grande majorité d’États-Uniens sceptiques. Plus précisément, 26 % d’entre eux seulement se déclarent convaincus par les thèses évolutionnistes. Dans ce pays, on leur préfère de beaucoup les thèses créationnistes ou celles du dessein intelligent, au point d’être favorables à son enseignement dans les écoles.
36Si l’on ajoute, aux résultats précédents, que 38 % des États-Uniens interrogés souhaitent que les thèses de Darwin ne soient plus enseignées, le panorama devient franchement inquiétant15
37Pour expliquer la résistance de l'opinion publique états-unienne à la théorie de Darwin, on invoque souvent l’hypothèse idéologico-religieuse, comme le fait le philosophe des sciences Michael Ruse qui a produit un livre récent (2005) sur la question. C’est assez souvent aussi le ton général et l’hypothèse explicite soutenue par les dossiers de la presse généraliste en France16. C’est parce que la thèse de Darwin contredit une certaine représentation religieuse du monde qu’elle serait si mal acceptée par l’opinion publique américaine.
38D’une part, il est vrai que les États-Unis ont toujours représenté l’exception la plus remarquable à la thèse classique de la sécularisation qui affirme qu’il y a un rapport inversement proportionnel entre le taux d’industrialisation et la place de la religion dans une société17.
39D’autre part, il est vrai que la théorie darwinienne a causé, par exemple, un grand préjudice à la zoogonie biblique. La Bible prétend en effet dans la Genèse (1 : 20-30 et 2 : 7) que les animaux et l’homme ont été créés par Dieu, chaque espèce ayant été générée séparément les unes des autres.
40La théorie de l’évolution rencontre indéniablement des obstacles idéologico-religieux aux États-Unis, c’est entendu. Mais est-ce là tout ? Cette hypothèse flatte évidemment tous les stéréotypes que les Européens aiment entretenir à propos de nos voisins d’outre-Atlantique. Nous aimons parfois les voir comme des esprits immatures, incarnant tout à la fois la première puissance militaire et économique du monde et une idéologie religieuse qui nous paraît obsolète. Cependant, cette religiosité américaine, qui paraît si exotique à beaucoup de Français, constitue-t-elle une explication suffisante de leur difficulté à admettre les thèses du naturaliste anglais ? Si c’était le cas, il serait aisé de trouver, en France, par exemple, des individus capables de produire naturellement des raisonnements « darwiniens ». Comme la suite va le montrer, ce n’est pas le cas.
41Si l’on réalisait une enquête pour savoir si les Français adhèrent aux thèses de Darwin, il est possible d’imaginer que nos compatriotes se déclareraient plus volontiers darwiniens que leurs voisins d'outre-Atlantique. Pour prendre un tel sondage au sérieux, il faudrait être assuré que le sens commun conçoit clairement ce qu’être darwinien signifie, ce dont il est permis de douter.
42Pour tester cette idée, nous avons réalisé une expérimentation18. Concernant précisément les métamorphoses du vivant, elle consistait à soumettre 60 individus à une situation énigmatique.
43Cette situation réelle avait été relayée, faiblement, par la presse19 et était de nature à mesurer les représentations ordinaires de l’évolution biologique. L’énoncé de l’énigme était lu lentement aux sujets volontaires. En plus de cette lecture, cet énoncé était proposé sous forme écrite, et l’entretien ne commençait que lorsque le sujet déclarait avoir compris parfaitement ce qui lui était demandé. Il lui était laissé ensuite tout le temps qui lui paraissait nécessaire pour proposer une ou plusieurs réponses à cette énigme. La grille d’entretien avait été conçue pour inciter l’interviewé à donner toutes les réponses qui lui viendraient à l’esprit. Je n’exposerai pas ici les résultats complets de cette expérimentation20. Il suffira pour illustrer mon propos de convoquer ici ceux obtenus concernant les critères de spontanéité et de récurrence. Le premier consistait à mesurer l’ordre d’apparition des scénarios dans le discours. En d’autres termes, on cherchait à voir quelles étaient les solutions qui venaient le plus facilement à l’esprit des individus face à l’énigme. Le second consistait à mesurer le nombre d’évocations du même type de scénario dans un entretien. Ces critères furent mobilisés pour mesurer les rapports de force entre les différents discours possibles, les solutions imaginées, pour résoudre l’énigme. J’ai retenu, en outre, le critère d'évocation simple qui mesurait le nombre de fois où un scénario avait été évoqué globalement, sans tenir compte de l’ordinalité ou des récurrences dans les différents discours et un critère d'évocation pondérée qui croisait le critère de spontanéité avec celui de récurrence21.
44La population des sujets de l'expérimentation fut échantillonnée selon deux éléments22.
Le diplôme : tous les interviewés devaient être titulaires du baccalauréat. On s’assurait ainsi qu’ils avaient tous été familiarisés avec la théorie de Darwin, à un moment ou à un autre de leur scolarité.
L’âge : la règle préliminaire de cette enquête était de mettre en œuvre l’idée d’une dispersion. Pour contrôler cette dispersion autour des valeurs centrales (l’âge moyen était de 37 ans), j’ai rapporté l’intervalle interquartile à l’étendue. Le premier représentant plus de 50 % (59 %) de la seconde, on s’assurait ainsi d’éviter des phénomènes de concentration des âges.
45Cette situation énigmatique, tirée d’un fait réel, fut donc soumise à ces 60 personnes sous la forme suivante :
À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de ce gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Comment expliquez-vous cette situation ?
46En fait, ce mystère a été révélé et résolu par le professeur Zhang Li, zoologue à l’université de Pékin, qui a mené ses recherches depuis 1999 dans une réserve naturelle dans la région du sud-ouest de Xishuangbanna, où vivent les deux tiers des éléphants d’Asie chinois.
47Les braconniers ne tuant pas les éléphants sans défenses (ceux-ci n’ont aucune valeur marchande pour eux), explique-t-il, ces mutants sont plus nombreux dans la population et le gène qui prévient la formation des défenses se propage parmi les éléphants. Alors que ce gène se trouve habituellement chez 2 à 5 % des éléphants d’Asie, on le trouve, à présent, chez 5 à 10 % de la population des éléphants chinois.
48Cette « énigme », comme on le voit, peut être facilement résolue si l’on mobilise le programme darwinien.
49Cette mobilisation est pourtant, si j’en crois les résultats de l’enquête, franchement contre-intuitive. Beaucoup d’interviewés répondirent, par exemple, que les défenses des éléphants ne leur servaient plus, et que, devenues inutiles, elles tendaient à disparaître :
Normalement, scientifiquement parlant, un être vivant quand il a, que ce soit des poils, des cornes ou n’importe quoi, ça sert à quelque chose, c’est utile. Donc, quand c’est plus utile, ça change par mutation. Apparemment, les éléphants n’ont plus vraiment besoin de leurs défenses comme avant. À quoi ça servait avant ? J’en ai aucune idée, peut-être pour se défendre. Là, ils peuvent vivre dans le cycle alimentaire, et ils se défendent pas tout à fait, ça va. Ils peuvent avoir la nourriture tranquillement. Donc ils n’ont pas besoin de leurs défenses. On peut dire pareil, par exemple, pour les êtres humains. L’homme était poilu avant, puis, avec le temps, comme ils ont tué les autres animaux pour leur peau, pour leur cuir, ils l’ont porté. Après, avec le temps, ils ont eu une mutation, ils n’ont plus vraiment besoin de poils. Moins de poils qu’avant, parce qu’ils n’ont plus vraiment besoin de ces poils pour se chauffer (extrait 1).
50Plus sophistiqués, certains raisonnements soulignèrent que les chasseurs tuent les éléphants pour leur défense d’ivoire. Dès lors, la disparition de ces défenses constituait une adaptation de l’espèce « éléphant » à l’environnement : les éléphanteaux mutaient pour se protéger de la convoitise des chasseurs :
Il y a une mutation génétique concernant les éléphants, à savoir que ça ne sert à rien d’avoir des défenses puisque de toute manière les hommes allaient les tuer et leur piquer. Donc, du coup, ils ne naissent plus avec. Mais ça influe sur la génétique, c’est la peur d’être tué [...]. Comme c’est un danger pour eux-mêmes, ils veulent éviter d’être plus exposés à ce danger, et ainsi, en changeant le problème à sa source, ils peuvent éradiquer le danger (extrait 2).
51Le plus fascinant est que les interviewés soulignaient parfois qu’ils ne faisaient qu’exprimer « une théorie darwinienne », ce fut le cas pour près de 30 % d’entre eux. Un résultat qui serait plus important encore si l’on y intégrait les entretiens où la théorie darwinienne n’est pas explicitement convoquée, mais où le vocabulaire utilisé (sélection naturelle, évolution, etc.) y fait référence.
52Ces scénarios qui semblent si attractifs pour l’esprit ne peuvent prétendre au statut de proposition darwinienne, ils ne sont rien d’autre que les manifestations d’un finalisme implicite qui commande, sans que nous nous en rendions compte, notre représentation du monde du vivant et de son évolution.
53Si l’on retient le critère d’évocation simple, le finalisme s’impose largement dans les discours alors que la solution darwinienne reste en retrait. En effet, les scénarios finalistes représentent 43,3 % des évocations globales et concernent 72 % des interviewés. Le scénario darwinien, lui, représente 12,6 % seulement des évocations globales et concerne 27 % des interviewés23. Ce fait est confirmé avec le critère d’évocation pondérée (qui résulte du produit de l’ordinalité et de la récurrence des scénarios)24.
54Les différentes hypothèses finalistes s’imposent dans les discours : les interviewés les évoquent plus spontanément et y reviennent fréquemment lors de l’entretien.
55Nous ne sommes donc pas intuitivement darwiniens. Nous avons d’ailleurs assez peu de chances de le devenir puisque dans certains cas nous croyons l’être déjà. L’enquête présentée ne révèle pas une sensibilité créationniste (l’hypothèse de l’intervention divine n’est invoquée qu’une seule fois dans les 60 entretiens), mais plutôt finaliste, c’est-à-dire que nous sommes disposés à croire que les mutations génétiques ne se produisent pas aléatoirement, mais tendent vers certaines fins (adaptatives en l’occurrence). Bien sûr, certains interviewés répugnent à un finalisme trop explicite : « Non, les éléphants n’ont quand même pas de conscience de classe ! » (extrait 6), mais ils s’en remettent à de mystérieuses lois de la Nature, qui ne sont pas moins métaphysiques que les propositions créationnistes. Dans les deux cas, la pensée ordinaire à beaucoup de mal à faire une place au hasard.
56Pourquoi le darwinisme est-il si contre-intuitif et le finalisme si attractif pour l’esprit ? C’est qu’un raisonnement implicite et captieux oriente nos intuitions en matière d’adaptation du monde vivant. Si l’on reprend l’exemple des éléphants, on peut le styliser de cette façon :
Les scientifiques constatent qu’il y a de plus en plus d’éléphanteaux porteurs d’un gène qui prévient la formation des défenses. On peut en déduire qu’il y a de plus en plus d’éléphants porteurs de défenses qui donnent naissance à des éléphants sans défenses. Il se trouve que cette mutation, comme toute mutation, est très improbable en soi. On constate qu’elle est fonctionnelle puisqu’elle permet aux éléphants porteurs du gène de ne pas être abattus par les chasseurs. On peut toujours supposer que le hasard fait correspondre cette mutation et les services qu'elle rend à la population des éléphants, mais cela paraît improbable. Dès lors, il faut bien qu’il y ait une force (vitale) qui fasse correspondre l’une (mutation) à l’autre (adaptation).
57La faiblesse de ce raisonnement vient de ce qu'il suppose implicitement la structure de la population des éléphants constante, c’est-à-dire la proportion d’éléphants géniteurs « avec défenses » comme égale à elle-même au cours du temps. Ce qui n’est pas le cas, comme on l’a compris, car si les mutations surviennent bien par hasard (la prévention de la formation des défenses ne fait pas exception à la règle), seules celles qui sont fonctionnelles vont donner un avantage aux individus qui en sont porteurs. Cet avantage peut se transformer en espérance de survie et de reproduction supérieure à la moyenne. En l’occurrence, les éléphants qui seront porteurs du gène seront moins chassés que les autres et auront donc des probabilités de chances de se reproduire plus grandes que les autres. Ce n’est donc pas tant la population des éléphanteaux qui se modifie que celle des géniteurs. Et c’est ce que ne perçoivent ni le raisonnement finaliste, ni le raisonnement néo-créationniste.
58Il y a donc un obstacle intellectuel pour devenir véritablement darwinien. Il n’y a rien d’étonnant à ce que cet « obstacle » se décline de différentes manières selon les cultures considérées. Dans nos sociétés européennes sécularisées, nous aurons une préférence pour le finalisme impensé, dans une société au sentiment religieux solide, comme la société américaine, la théorie du « dessein intelligent » peut être une solution à la difficulté intellectuelle que représente le darwinisme. Si l’on y réfléchit un instant, l’attrait pour le créationnisme se fonde sur un socle cognitif qui n’est pas si dissemblable de celui de notre finalisme implicite.
59Ainsi, si l’on dépasse le seul exemple des éléphants chinois, on voit bien que le caractère contre-intuitif du darwinisme est la conséquence de l'erreur de négligence de la taille de l’échantillon qui est la source cognitive principale des croyances néo-créationnistes et crypto-finalistes. En effet, c’est bien le croisement de la fonctionnalité et du hasard qui paraît inadmissible à tous ces esprits culturellement si différents. Lorsque les choses sont si bien adaptées les unes aux autres, ce ne peut être que la conséquence d’un plan, d’un « dessein intelligent ». Or, il est vrai que la subtilité des entremêlements du monde vivant et les durées nécessaires à l’émergence de ces entremêlements sont tout simplement inimaginables. Les très nombreux sites informatiques qui défendent les thèses du dessein intelligent mettent toujours cet argument en avant. John Rennie s’est essayé à énumérer les objections courantes faites à la théorie de l’évolution dans un article de la revue Scientific American (juillet 2002). La plus courante, explique-t-il, est la suivante :
Il est mathématiquement impossible que quelque chose d’aussi complexe qu'un œil ou qu’une bactérie ait pu apparaître par hasard. Les êtres vivants sont si compliqués qu’ils ne peuvent qu’avoir été créés par une intelligence.
60Le sens commun n’a pas le monopole de ce type d’arguments, on le retrouve, justement, chez certains scientifiques, défenseurs de la théorie du dessein intelligent. Par exemple, Michael J. Behe (1998), biochimiste américain, cofondateur du Discovery Institute de Seattle, considère que certains phénomènes biochimiques, comme ceux qui gouvernent le processus de la coagulation sanguine, sont trop complexes pour ne pas être le fait d’une intelligence supérieure. Le biologiste néo-zélandais Michael Denton (1993) utilise le même argument pour douter que le développement du poumon aviaire puisse être le résultat du hasard. Plus subtile, mais de la même farine, l’idée du mathématicien William Dembsky (2006), prosélyte du dessein intelligent, qui affirme qu’en toute probabilité, la complexité de la constitution moléculaire des protéines, attendu qu’elles occupent un espace très faible des séquences polypeptidiques possibles, ne peut être que la conséquence d’une intention.
61Christian de Duve (2005), prix Nobel de médecine montre bien comment ces raisonnements sont frappés d’une certaine cécité : il souligne que leurs auteurs ne tiennent compte que des infimes probabilités de réussite du vivant, sans voir que ces probabilités sont à rapporter au nombre vertigineux d’expériences de la nature. Et c’est bien ce qui, compte tenu des limites de nos sens et de la durée moyenne de nos expériences, est inaccessible au sens commun. Comme nous n’avons accès, par notre expérience immédiate, qu’aux « réussites » de la Nature sans considérations pour ses échecs très nombreux (on a coutume de dire que 99,9 % des espèces ayant existé un jour ont aujourd’hui disparu), nous avons le sentiment que les choses sont trop bien faites pour que cela soit une simple coïncidence, c’est-à-dire l’expression d’une forme de hasard. Dès lors qu’on a révoqué en doute l’hypothèse du hasard, on ne peut qu’adhérer plus ou moins explicitement à une hypothèse métaphysique. Si l’acception efficiente de la causalité ne peut rendre compte d’un phénomène, alors il faut s’en remettre à son acception téléologique, ce qui revient à admettre qu’une entité le gouverne. La dénomination de cette entité (Dieu, une volonté supérieure, une force vitale, la nature...) et son explicitation plus ou moins assumée dépendront des postulats représentationnels des individus.
62Crypto-finalisme et néo-créationnisme sont, en fait, le côté pile et le côté face d’une même pièce : ils considèrent le hasard comme un hôte indésirable. Ici donc, le même invariant cognitif autorise l’expression de croyances très différentes (néo-créationnisme et crypto-finalisme) selon les variables sociales avec lesquelles ils vont s’hybrider.
Conclusion
63Une des questions théoriques fondamentales que pose la notion de sociologie cognitive est celle de l’entité retenue pour rendre intelligible les phénomènes sociaux. L’un des aspects que j’ai voulu souligner dans cette section est que l'idée de réduction infra-individuelle proposée par certaines sensibilités naturalistes risque d’achopper sur des obstacles descriptifs importants. Cette réduction, en effet, conduit à une conception mécanisée de la pensée ou au moins, prétend décrire les phénomènes de l’esprit en mobilisant le régime efficient de la causalité25. Ce régime causal pourra rendre compte de certains des invariants de la pensée humaine qui s’imposent mécaniquement à l’esprit (comme le réflexe paréidolique par exemple), sans pour autant éclairer le rapport de validation difficilement prévisible que les individus entretiennent avec lui. Il sera, en revanche, inefficace à décrire les conséquences mentales d’invariants cognitifs qui sont fondés sur des arguments et non sur des réflexes. C’est le cas d’un certain nombre de ces phénomènes mentaux que les psychologues cognitifs nomment les biais cognitifs26. Je crois ces travaux très utiles pour la sociologie. L’importation de leurs résultats (et non nécessairement de leur interprétation) pourrait constituer un programme de travail pour la sociologie cognitive une fois admise l’idée que ces invariants ne peuvent avoir une expression sociale et visible que dès lors qu’ils se conjuguent avec un système de raisons positives et/ou axiologiques.
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Notes de bas de page
5 Je défends cette thèse dans Bronner 2006a.
6 Comme le précise justement Cuin (2000 : 182) : « En revanche, si l’on fait dépendre, causalement, les conduites sociales et, à terme, leurs produits collectifs de propriétés psychiques (voire neurophysiologiques, voire physico-chimiques) de l’être humain, non seulement on ne respecte plus la norme d’homogénéité des niveaux d’analyse – ce qui n’est pas vraiment criminel – mais, surtout, on fait dépendre la démarche et la connaissance sociologiques de causalités aujourd’hui encore largement ignorées. En d’autres termes, on cherche à expliquer l’inconnu par l’inconnu, ce qui n’est pas vraiment un gage de succès de l’entreprise cognitive. »
7 Je pense, par exemple, aux travaux de la psychologie de l’erreur que j’étudie selon cet éclairage dans Bronner 2007a.
8 Pour une synthèse de ces travaux, voir Bronner 2003 et 2006b.
9 Cette constatation me paraît fragiliser, d’un point de vue descriptif, les métaphores fréquemment utilisées par les psychologues cognitifs orthodoxes pour rendre compte de ce qu’ils nomment des « biais cognitifs » : Montgomery (1981), par exemple, convoque la notion de court-circuit décisionnel et Piatelli Palmarini (1995) celle de tunnel mental.
10 C’est une position qui définit l’un des axes centraux de son œuvre, mais qu’il a commencé à défendre très fermement dans Boudon 1986 puis dans Boudon 1990.
11 Ce terme indique qu’il ne s’agit pas de se positionner ontologiquement, mais gnoséologiquement.
12 Pour plus d’exemple, voir Bronner 2007b.
13 Voir sur tous ces points Bronner 2007a.
14 Cette constatation affaiblit la définition de l’erreur proposée par Reason (1993 : 31) selon qui cette notion recouvre « tous les cas où une séquence planifiée d’activités mentales ou physiques ne parvient pas à ses fins désirées, et quand ces échecs ne peuvent être attribués à l’intervention du hasard ».
15 L’institut de sondage Gallup analyse l’opinion publique sur ce sujet depuis 1982. Les Américains n’ont pas beaucoup changé de point de vue depuis. En 2004, 35 % d’entre eux pensaient que si l’homme s’était développé pendant des millions d’années, cette évolution avait été guidée par une volonté supérieure (conformément aux thèses du dessein intelligent), tandis que 45 % affirmaient que l’homme avait été crée par Dieu, il y a moins de 10 000 ans, seuls 13 % prétendaient adhérer à des thèses évolutionnistes...
16 Voir, par exemple, La Recherche, 396, avril 1996, ou Le Nouvel Observateur, Hors-série, janvier 2006.
17 Aujourd’hui, par exemple, 95 % des jeunes Américains déclarent croire en Dieu, contre 51 % des jeunes Français et 34 % des jeunes Suédois (Ingelhart, Basanez et Moreno, 1998).
18 Je remercie ici la promotion de maîtrise de sociologie de l’Université Paris-Sorbonne 2005 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.
19 Un encart de quelques lignes dans Libération (19/07/2005).
20 Pour cela, voir Bronner 2007c.
21 Cette mesure n’est pas sans évoquer ce que les psychologues sociaux nomment l'analyse prototypique et catégorielle qui consiste à croiser le rang d’apparition de l’élément et sa fréquence dans le discours et à effectuer ensuite une typologie autour d’éléments sémantiquement proches. Un classement d’éléments cognitifs peut alors être obtenu soulignant le caractère central de certains d’entre eux. Sur ce point voir Vergès 1992 et 1994.
22 Cette expérimentation fut menée de novembre 2005 à janvier 2006, principalement auprès de personnes vivant en Île de France (N = 49), et tous en métropole (Lorraine N = 4, Haute-Normandie N = 4, Midi-Pyrénées N = 3). Cette population était composée de 33 femmes et 27 hommes, de cadres, professions intellectuelles et supérieures (N = 14), de professions intermédiaires (N = 17), d’employés (N = 7), d’étudiants (N = 11), de chômeurs (N = 5), de retraités (N = 4), d’un agriculteur exploitant et d’une femme au foyer.
23 Il ne faut pas oublier que les interviewés pouvaient évoquer plusieurs scénarios, ce qui explique ces résultats.
24 Par exemple : si 3 scénarios sont évoqués par l’interviewé, on attribuera 3 points au premier, 2 au second et 1 au troisième, ce résultat sera multiplié par le nombre d’évocations du même scénario dans la même interview. On obtient ainsi le critère d’évocation pondéré.
25 Clément 2006, Boyer 2001, par exemple.
26 Voir, pour une synthèse collective sur cette notion : Tversky, Kahneman et Slovic 1984.
Auteur
Professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France, il est aussi directeur de la collection « Société et Pensées » aux éditions Hermann. Il est l’auteur, entre autres, de L’empire des croyances, prix Adrien Duvand de l’Académie des science morales et politiques, L’empire de l'erreur — Éléments de sociologie cognitive, La pensée extrême, couronné par le prestigieux European Amalfi Prize for Sociology and Social Sciences et The Future of Collective Beliefs.
gerald.bronner@univ-nancy2.fr
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2011