L’historiographie religieuse en France depuis la Révolution française
Esquisse d’un parcours
p. 9-55
Texte intégral
1La question qu’il m’a été demandé de traiter dans ce chapitre dépasse bien évidemment le seul cadre temporel des dix ou vingt dernières années. Les traditions historiographiques ont en effet, dans chacun de nos deux pays, une vie très longue et perdurent bien au-delà du temps qui les a vues naître : les traces de ce passé ne cessent d’imprégner, même si nous en sommes parfois inconscients, notre propre manière d’écrire l’histoire. Je voudrais, en introduction, partir d’une citation et d’une anecdote. La citation est extraite d’un compte rendu, rédigé en 1943 par Lucien Febvre, sur le premier volume de l’Histoire de la pratique religieuse en France de Gabriel Le Bras, qui venait d’être publié :
Un pays comme la France, un vieux pays de civilisation, écrit-il, dont tous les éléments autochtones ou importés, antiques ou relativement modernes, ont subi finalement l’action et les influences multiples d’une religion, le christianisme qui lui-même s’est enrichi, au cours de son histoire de cent rapports étrangers tous fondus en lui finalement et marqués de son empreinte – un pays comme la France, n’en point connaître, pour toutes les époques et toutes les parties, le véritable esprit chrétien ; n’en point prendre la température religieuse aux époques décisives de troubles, de crises et de rénovation ; ne point même poser le problème, alors qu’il s’impose et que, s’agissant par exemple de la Révolution française, il s’est tout de suite dressé devant un Jaurès dont je me rappelle toujours, depuis que je le lus pour la première fois il y a quarante ans, les pages, les belles pages sur l’esprit religieux qui continuait d’animer tant d’hommes du peuple entraînés à jouer un rôle décisif dans le mouvement révolutionnaire : c’est se vouer d’avance à une totale incompréhension de tout ce que fut ce pays dans son passé. C’est courir et accepter ce risque d’inintelligence qu’acceptent d’un cœur de plus en plus léger, semble-t-il, ces pédagogues impavides qui, munis d’une paire de ciseaux et d’un pot à colle, fabriquent au gré des réformes, des ministres et des régimes successifs, les redoutables et monstrueux « programmes » qui guident l’activité non seulement des futurs bacheliers mais des futurs agrégés d’histoire1.
2J’ai délibérément choisi ce texte vieux de soixante années, d’une part parce qu’il nous ramène, avec l’évocation de l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès, plus d’un siècle en arrière, en 1901, au moment d’un conflit paroxystique entre les Églises et l’État – et le moins qu’on puisse dire de cette histoire « socialiste » est qu’elle considère la foi religieuse comme une vieille superstition2. D’autre part, le texte de Lucien Febvre ne manque pas de reprendre, en France au moins, une actualité surprenante au moment où, à la suite d’un rapport rédigé par le philosophe Régis Debray et remis en février 2002 au ministre socialiste de l’Éducation nationale, Jack Lang, sur la nécessité de renforcer l’étude du fait religieux à l’école3, l’Assemblée nationale a voté un amendement qui inscrit cet enseignement spécifique au titre des orientations générales de l’école française4. Pour que l’enseignement laïc et républicain français s’ouvre à cette étude au point que le législateur éprouve le besoin de l’imprimer dans la loi, il a fallu que des bouleversements, une véritable révolution, affectent en profondeur l’ensemble de la société. Telle était la citation que je souhaitais rappeler.
3J’en viens à l’anecdote passée totalement inaperçue mais significative, elle aussi, d’un changement : le 7 décembre 1985, la Société d’histoire ecclésiastique de la France, lors d’une assemblée générale extraordinaire, décide de changer de dénomination et de s’appeler Société d’histoire religieuse de la France par deux cent dix-sept voix, contre six et deux abstentions. Aucun exposé des motifs ne vient justifier cette décision et la revue qui est l’organe de cette société maintient son titre ancien Revue d’histoire de l’Église de France5. On peut naturellement évoquer des raisons d’opportunité : les bibliothécaires, en règle générale, n’aiment pas, pour les séries de revues dont ils conservent le dépôt, les modifications de titre. Mais on peut aussi supposer que la continuité de la titulature correspond à une volonté de conserver explicite l’ancrage catholique d’une revue qui n’a jamais caché ses origines confessionnelles. Il est probable, en revanche, que les transformations de l’historiographie religieuse depuis 1960 aient conduit le bureau de la Société, et notamment son secrétaire Marc Venard, à proposer une désignation moins obscure à nos contemporains qui, dans une France post-chrétienne, associent désormais le terme ecclésiastique au seul clergé. Au reste, la brève nécrologie du président de la Société, Guy Duboscq, publiée dans la revue en 1995, évoquant la décision prise dix ans plus tôt, se contente de faire sobrement état de la volonté, pour la Société, « d’élargir ses centres d’intérêt et de franchir éventuellement les strictes limites confessionnelles de l’Eglise catholique romaine6 ». La revue d’histoire ecclésiastique suisse (Zeitschrift für schweizerische Kirchengeschichte) a été beaucoup plus explicite sur les buts qu’elle poursuivait lorsqu’elle s’est transformée en Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte : la modification du titre entérine bien un changement de paradigme scientifique porté par une nouvelle génération d’historiens ; il s’agit de passer d’une perspective confessionnelle et apologétique à une approche des phénomènes religieux de type anthropologique et cette évolution est d’autant mieux acceptée que la revue n’a jamais été, dans son existence presque séculaire, rattachée à une faculté de théologie7.
4L’événement minuscule que je viens de rapporter tout comme le texte de Lucien Febvre nous rappellent que, selon la formule de Benedetto Croce, « il n’est d’histoire que contemporaine8 » : comme toutes les autres historiographies, l’historiographie religieuse est fille de son temps. Chaque génération d’historiens relit, à nouveaux frais et selon les exigences du présent, les documents hérités du passé. Mais, sans doute plus que dans d’autres secteurs de l’histoire, l’historien s’inscrit dans une mémoire dont il n’a pas forcément conscience et les combats anciens qui ont parcouru le champ de recherche qu’il étudie ne cessent, à son propre insu, d’habiter son travail comme si les failles du passé rejouaient au cœur de l’entreprise historiographique.
5Mon propos sera délibérément limité à la France puisque c’est la règle même du jeu de cet ouvrage, mais il conviendrait de faire toute sa place à la réception, en France, des historiographies étrangères et à leurs modalités d’appropriation par les historiens français.
Tradition, théologie et historiographie : les ruptures de la Révolution française
6S’il ne s’agissait ici que de répondre à la question « de quelle discipline l’histoire religieuse relève-t-elle en France ? » la réponse pourrait être apportée immédiatement et il serait assez facile, je crois, d’obtenir un consensus de l’ensemble de la profession sur l’évidence, communément acceptée, que l’histoire religieuse appartient pleinement à la discipline historique. Encore faut-il s’interroger sur le pourquoi de cette affirmation. Cette donnée de fait dans notre pays est issue d’un combat de très longue durée, bataille frontale qui a opposé théologie, ici essentiellement catholique, et progressive émergence de l’historiographie, débat où gallicanisme et jansénisme ont joué un rôle central. La question pourrait être encore formulée de manière différente : pourquoi l’histoire que nous appelons désormais « religieuse » en ce début du xxie siècle, est-elle demeurée si longtemps, et à ce point, confessionnelle, apologétique et polémique ? Ou, à l’inverse, comment était-il possible, il y a encore trente ans, d’écrire une thèse d’État sur les évêques de la France d’Ancien Régime comme groupe social, sans évoquer de manière solide et la formation théologique qu’avaient reçue pendant dix années au moins ces prélats tant à la Sorbonne qu’au Collège de Navarre ou dans d’autres séminaires parisiens, et leur très considérable production de lettres pastorales qui constituent, en elles-mêmes, un genre littéraire et un mode régulier de controverse9 ?
7C’est ici qu’il est utile de faire un détour par la Révolution française qui, dans notre pays, a bouleversé non seulement les institutions – et tout particulièrement les institutions intellectuelles – mais aussi les modes de penser l’histoire et ses rapports avec la théologie. Il y a presque un siècle, en 1911, Albert Mathiez consacrait un livre à Rome et le clergé français sons la Constituante, livre significativement dédié au protestant Louis Méjan, directeur des cultes au ministère de l’Intérieur qui fut chargé de mettre en œuvre la loi de séparation des Églises et de l’État. Cet ouvrage pourfendait les historiens « ultramontains » et défendait deux thèses. D’une part, il soutenait, avec Edme Champion, le caractère acceptable de la Constitution civile du clergé, la preuve en étant donnée par le catholicisme sincère des « Constituants qui ne voulaient nullement porter atteinte à la religion mais qui s’imaginèrent au contraire la fortifier en mettant son organisation en harmonie avec les institutions nouvelles » : la rupture se serait faite non pas sur des raisons religieuses mais sur des raisons politiques, du fait des liens du pape avec le « complot aristocrate » et les cours étrangères, et de son refus de transiger sur la souveraineté du peuple. D’autre part, les intérêts spirituels étaient beaucoup moins en jeu que des intérêts purement temporels puisque Avignon et le comtat Venaissin, terres appartenant au pape, se trouvaient désormais occupés10.
8Albert Mathiez reconnaissait honnêtement ne pas s’être rendu à Rome aux Archives du Vatican11, et personne n’était allé voir les sources romaines concernant la Révolution française jusqu’à la thèse, publiée en 2004, de l’abbé Gérard Pelletier sur Rome et la Révolution française : la théologie et le politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)12. Or cette thèse récente renverse de manière significative l’historiographie de cet écheveau si complexe à dénouer, en montrant que les enjeux théologiques ont bien été centraux pour Rome et que la Constitution civile du clergé y a été immédiatement perçue comme l’aboutissement d’un processus pluriséculaire, qu’il fallait désormais trancher.
9Le jugement qui prévalait à Rome n’était pas focalisé sur la seule partie française mais reliait très étroitement les affaires de France à la condamnation théologique des actes du synode toscan de Pistoia qui s’était déroulé en 1786 à l’initiative de Scipione de Ricci, évêque janséniste de Pistoia et Prato, sous la tutelle du grand-duc Pierre-Léopold de Habsbourg-Lorraine. Les deux congrégations particulières chargées à Rome d’examiner chacun des dossiers se réunissaient souvent le même jour et elles eurent le même secrétaire. Dès 1791, le brouillon d’une correspondance destinée à un chanoine de Notre-Dame de Paris, écrite par l’un des secrétaires du cardinal Garampi, qui est en même temps l’un des principaux théologiens romains, expose bien la version du siège apostolique :
À vouloir chercher l’origine des choses, l’histoire nous enseignera que les libertés de l’Église gallicane sont ces ajouts qui l’ont rendue esclave de la puissance séculière. Celle-ci, sous le prétexte de protéger cette liberté contre les soi-disant entreprises des papes, a peu à peu mis la main sur l’encensoir, et a finalement renversé l’autel. Les évêques eux-mêmes, jaloux de cette liberté mal conçue, ont attenté peu à peu au nœud qui devait fortement les lier au centre de l’unité. Ils se sont opposés aux avis que les papes voulaient leur donner dans leurs affaires. Ils ont rendu inefficaces les efforts de la chaire romaine, et ont invoqué l’appui du bras séculier pour arrêter les mesures prises par le successeur de saint Pierre. Se soustrayant ainsi par jalousie dans les cas particuliers aux dispositions de l’autorité établie sur eux par Jésus-Christ, il se sont trouvés enfermés dans les rets d’une puissance incompétente.
Le comble des maux et du scandale s’est accompli dans l’Assemblée de 1682 avec les quatre fameuses propositions du clergé [...]. Ces susdites propositions donc, non seulement ont fait une plaie mortelle dans les matières de discipline, mais ont ouvert une très large porte aux erreurs dans le dogme. Une fois niée l’infaillibilité du pape décidant ex cathedra, s’il ne lui est pas uni le consensus de l’Église, alors il n’y a plus moyen de condamner péremptoirement et d’éliminer efficacement une nouvelle hérésie du catholicisme. L’expérience notoire, continue et universelle, prouve trop bien ce point. Tous les novateurs, tous les hérétiques du siècle passé et du présent mettent leurs erreurs, même les plus monstrueuses, sous le couvert du bouclier des propositions de 1682. Et cela non seulement en France, mais en Italie et dans le monde entier. Le pape peut condamner autant qu’il veut, et avec la plus grande solennité les erreurs, les déclarer hérésie, les anathématiser en usant des expressions les plus fortes : on ne pourra rien en conclure. À défaut d’un tel consensus de l’Église dispersée, on trouve toujours des appuis, et non des moindres, pour se garantir des foudres. Même un concile œcuménique ne suffit pas. Quelques évêques qui ne sont pas d’accord en concile suffisent aux novateurs pour se défendre. Ainsi l’infaillibilité du pape étant ôtée, on peine infiniment, et l’on ne parvient en fait jamais à abattre l’erreur. Beaucoup de catholiques de cœur, trompés en esprit sur la non-infaillibilité du pape ne savent pas regarder comme condamnées péremptoirement les erreurs de Baius, Jansénius, Quesnel et tant d’autres qui se sont produites dans les deux derniers siècles. Le pape essaie à présent de condamner les hérésies qui résultent du synode de Pistoie et de la Constitution prétendue civile du Clergé de France [...]. Maintenant, il est temps de prêcher la vérité super facta. On a trop cédé aux considérations humaines aux dépens de l’Église, peut-être irréparablement13.
10Un tel texte est tout à fait symptomatique, dans la mesure où il lie étroitement, dans une même réprobation, gallicanisme et jansénisme. Constatant l’échec et l’épuisement d’une pratique pluriséculaire de condamnation solennelle de l’erreur parce que les monarques, les parlements, et les Églises nationales s’opposent à la réception des énoncés dogmatiques romains, tels qu’ils s’expriment sous une forme juridique où l’erreur est séparée de la vérité, la théologie romaine entend réaffirmer haut et fort que le magistère romain est gardien et interprète de l’Écriture et de la Tradition. De la souveraineté apostolique du successeur de Pierre, elle déduit que le pontife est investi non seulement d’une primauté d’honneur mais d’une primauté d’ordre et de juridiction sur l’Église universelle dont dérive celle des évêques, ce qui le dote dans l’ordre de la foi d’une prérogative d’infaillibilité dont il peut jouir à titre séparé. Avec la Révolution française, nous sommes à la fin d’un âge théologique et à l’affirmation solennelle, par le siège apostolique, de son monopole de détection de l’erreur théologique. Car, dans le même mouvement, la bulle Auctorem fidei qui, en 1794, condamne les Actes du synode de Pistoia – c’est le super facta dont parlait le texte du théologien Bolgeni – met en valeur deux points essentiels : d’une part, l’autorité du pontife romain qui reçoit directement de Jésus-Christ, par la succession de Pierre, le pouvoir du ministère dans l’Église universelle, tandis que le gouvernement des diocèses est, lui, soumis à des dispositions supérieures, relatives soit à la foi et aux mœurs, soit à la discipline générale, dont le droit réside dans les souverains pontifes et les conciles généraux. La bulle relève en outre, la « témérité insigne et pleine de fourberie » qui a consisté, au synode de Pistoia, à adopter les articles de l’Assemblée générale du clergé de France en 1682 et à les placer dans un décret qui a pour titre De fide14. D’autre part, contre toute la thématique janséniste du xviiie siècle, la bulle réaffirme l’intégrité de la tradition ininterrompue en déclarant hérétique la proposition selon laquelle « dans ces derniers siècles un obscurcissement général s’est répandu sur les vérités de la plus grande importance qui concernent la religion et qui sont la base de la foi et de la morale de la doctrine de Jésus-Christ ». La référence aux « beaux jours de l’Église naissante » pour refuser les serments imposés par l’Église de Rome est fausse et injustifiée et blesse le droit ecclésiastique ; quant à l’affirmation selon laquelle « une connaissance quelconque de l’histoire ecclésiastique suffit pour obliger chacun à confesser que la convocation d’un Concile national est un des moyens canoniques par lequel se terminent dans l’Église les controverses des nations respectives à l’égard de la nation et de la religion », elle est tout simplement schismatique et hérétique. Le propos de cette ultime condamnation est lié à une conjoncture très concrète : la question d’un concile national avait été discutée à l’Assemblée constituante et l’on sait que l’Église ex-constitutionnelle tente de se réorganiser par des conciles nationaux en 1797 et 1800.
11Mais, plus profondément, la bulle Auctorem fidei, qui est une prise de position contre tous les réformismes et les anti-curialismes du xviiie siècle, est un rejet catégorique de la théologie positive gallicane qui ramène les questions de droit à des questions de fait, le dogme à l’histoire, la vérité à la preuve documentaire, à l’attestation écrite des Pères15. Du même coup, ce que condamne résolument Rome, c’est tout le mouvement d’érudition historique qui a procuré les grandes éditions des Pères de l’Église et écrit l’histoire de l’Antiquité tardive. Car les jansénistes du synode de Pistoia ne font que porter à ses ultimes conséquences le mouvement qui, dans la théologie gallicane au xviie siècle, a fait des temps apostoliques et de l’Église des premiers siècles un paradigme de pureté et d’innocence corrompu par les siècles d’ignorance et de barbarie. La Révélation s’étant achevée dans l’Écriture, ce qu’il convient de reproposer aux fidèles c’est le dépôt de la foi, transmis par Jésus-Christ, attesté dans l’Église primitive par le consensus des Pères. Ce que Rome entend désormais arrêter, c’est un primitivisme subversif qui mine, par la recherche historique, l’autorité de l’Église et de son chef. Même si aucun pays ne reçut officiellement la bulle, sinon l’Espagne qui donna l’exequatur en 1800, et si la sentence semble dans son contexte immédiat « être tombée dans le vide », comme l’écrit Gérard Pelletier, celle-ci constitue une affirmation qui inaugure un nouveau régime ecclésiologique16.
12On est donc ici au point d’orgue d’un très long conflit qui a vu s’opposer deux conceptions antithétiques de la Tradition et où les méthodes philologiques et historiques se trouvent engagées, tout particulièrement celles de l’histoire ecclésiastique.
13Théologie catholique et historiographie ne font pas bon ménage au moment où cette dernière s’interroge sur sa propre épistémologie. À titre d’exemple, rappelons que les Leçons d’histoire prononcées par Volney dans l’amphithéâtre du Muséum d’histoire naturelle où se donnent les cours de l’École normale de janvier à mars 1795 sont quasi contemporaines de la bulle Auctorem fidei et que Volney y définit l’histoire « comme une véritable enquête de faits : et ces faits ne nous parvenant que par intermédiaires, supposent une interrogation, une audition de témoins. L’historien qui a le sentiment de ses devoirs doit se regarder comme un juge qui appelle devant lui les narrateurs et les témoins des faits, les confronte, les questionne, et tâche d’arriver à la vérité, c’est-à-dire à l’existence du fait tel qu’il a été. Or ne pouvant jamais voir le fait par lui-même, ne pouvant en convaincre ses sens, il est certain qu’il ne peut jamais en acquérir la certitude au premier degré ; qu’il n’en peut juger que par analogie ». D’où une interrogation tant sur la nature des faits, leur vraisemblance et leur probabilité, leur possible mesure selon l’état des connaissances exactes déjà acquises, que sur la fidélité des témoins, les passions ou les préjugés qui déforment les objets, et sur la partialité, volontaire ou non, de l’historien lui-même, qui ne sait ou ne peut se dégager des habitudes, des affections, des opinions préconçues dans lesquelles il est né17.
14Pour le propos qu’il s’agit de traiter ici, reconnaissons simplement que la Révolution française, par sa violence même, a suscité une affirmation radicale de l’intransigeance romaine et, en retour, a opéré un déracinement du gallicanisme. Non seulement parce que l’Église ex-constitutionnelle dirigée par l’abbé Grégoire n’avait rigoureusement aucune chance d’être reconnue ni par Rome ni par Napoléon, mais parce que la signature du Concordat en 1801 a conduit le pontife romain à un acte de juridiction sans précédent : la demande faite à l’ensemble de l’épiscopat français d’Ancien Régime, demeuré, dans sa quasi-totalité, fidèle au siège apostolique, d’une démission pure et simple de la charge reçue18. Moins du tiers des évêques concordataires est issu de l’épiscopat de l’Ancien Régime. Or, c’est quasiment au même moment (1799) que le Camaldule Mauro Cappellari – futur pape Grégoire XVI – publie son ouvrage Il trionfo della Santa Sede contre gli assalti de’ novatori combattuti e respinti colle stesse loro armi qui proclame l’immutabilité du gouvernement et de la structure de l’Église qui est une monarchie, la primauté absolue du pape et son infaillibilité au dépôt de la foi19. À cet égard, le voyage en France du pape Pie VII à l’occasion du sacre de Napoléon est doté d’une charge symbolique extrêmement forte puisque le Pape y effectue une visite pastorale des paroisses de la capitale, qui purifie les lieux saints profanés par les sans-culottes et renoue directement le lien de l’Église de France avec Rome20. Face à cette montée en puissance du catholicisme intransigeant depuis le siège romain, il faut, dans le même mouvement, faire état des ruptures fondamentales que la Révolution a portées dans les corps ecclésiastiques de l’Ancien Régime : la disparition définitive des grandes congrégations savantes (bénédictins de Saint-Maur et de Sainte-Vanne, chanoines de Sainte-Geneviève, congrégation de l’Oratoire par exemple) et le transfert de leurs bibliothèques et de leurs archives dans les dépôts publics scelle un arrêt majeur de l’érudition ecclésiastique – et pas seulement de celle-ci mais de l’ensemble du travail historique21. Par ailleurs, la suppression des anciennes facultés de théologie – et tout particulièrement de celle de Paris – qui formaient l’élite du clergé gallican et qui, par la qualité professionnelle de leurs membres, jouissaient d’une autorité enseignante, entendaient participer à la régulation théologique et rendaient des arrêts solennels (determinationes) marqués d’un incontestable caractère doctrinal, constitue une seconde rupture tout aussi fondamentale que la première, même s’il faut avouer que la querelle janséniste avait singulièrement affaibli le corps des docteurs, le pape Clément XI ayant, par un bref du 18 novembre 1716, suspendu les privilèges canoniques de la Faculté de théologie de Paris22. Cette brusque dispersion et disparition des grands corps de l’intelligence religieuse sous l’Ancien Régime a entraîné un déracinement profond du gallicanisme et du jansénisme qui sont mortellement atteints (même s’il en subsiste quelques témoins fervents) et, par contrecoup, celui de l’historiographie ecclésiastique qui, sous l’Ancien Régime, avait pris plusieurs formes : soit celle d’une histoire de l’ensemble de l’Église universelle, soit celle d’une recension systématique des diocèses français avec la collection mauriste de la Gallia Christiana, soit déjà celle d’une histoire de chaque diocèse particulier.
Les facultés de théologie dans l’Université de France au xixe siècle : un échec
15La création de nouvelles facultés de théologie dans le cadre de l’université impériale ne pouvait à aucun moment venir compenser cet anéantissement. Celles-ci obéissaient à une conception professionnelle où à chaque grade décerné auraient dû correspondre des dignités et des fonctions dans la hiérarchie ecclésiastique. Mais, établies sans aucune concertation avec les évêques, et encore moins avec le siège de Rome, elles n’ont en réalité jamais reçu l’agrément des autorités ecclésiastiques catholiques. Ces dernières ne jugent pas acceptable le fait que les professeurs soient nommés après un concours (où elles n’ont que le droit de proposer des candidats) par le Grand Maître de l’université qui pourrait être un protestant ou un athée, et révocables par celui-ci sans que la condamnation canonique prononcée sur la doctrine de tel ou tel professeur soit automatiquement suivie d’effet. C’est d’ailleurs le programme d’enseignement de ces facultés qui est visé puisqu’elles professent la Déclaration des Quatre Articles de l’Assemblée du clergé de France de 1682, condamnée désormais par les évêques eux-mêmes qui partagent l’intransigeantisme de Rome, et puisque les évêques n’ont aucun droit de contrôle sur les livres utilisés. Placées de surcroît uniquement dans les métropoles ecclésiastiques, chefs-lieux d’académie, elles violent, par ce seul fait, la juridiction ordinaire des évêques : ces derniers refusent donc d’y envoyer leurs séminaristes et le Saint-Siège, avec lequel le gouvernement français – particulièrement sous le Second Empire – a cherché à négocier la reconnaissance canonique des grades, ne l’accordera jamais, la pierre d’achoppement étant le contrôle que Rome entend exercer sur les matières et les livres d’enseignement, et, dans une moindre mesure, sur la langue de celui-ci qui doit rester le latin. Faute d’élèves ecclésiastiques, les facultés de théologie catholique ont dès lors végété jusqu’à leur suppression en 188523. Les deux facultés de théologie protestante de Strasbourg et de Montauban n’ont évidemment pas rencontré ces mêmes problèmes, mais elles ne semblent pas avoir eu, au moins jusqu’en 1860, une activité scientifique extrêmement développée24.
16En réalité, dans le courant de la première moitié du xixe siècle, la priorité essentielle des évêques aura été de reconstituer rapidement un corps clérical bouleversé par le schisme, l’action déchristianisatrice de la période de la Terreur, et par les départs du ministère : il s’agit d’abord de former un clergé zélé et pieux et de faire vivre ensemble des prêtres qui ont adopté, dans le cours des événements troublés, des prises de position parfois antagonistes. Le rapport entre mémoire et histoire joue ici en faveur d’un oubli et d’un silence sur le passé. Comme l’écrit, à l’orée d’un excellent Répertoire biographique de l’épiscopat constitutionnel paru en 1907, le chanoine Paul Pisani,
il est facile de comprendre pourquoi ne fut pas étudiée une histoire qui ne pouvait donner lieu qu’à des polémiques irritantes et dangereuses. On ignora toute cette histoire parce qu’on voulait l’ignorer. Quand un demi-siècle se fut écoulé depuis la Révolution, on ne savait plus rien de la crise qui avait désolé l’église de France25.
17On ne peut exclure l’idée qu’une damnatio memoriae ait pesé sur l’historiographie de toute cette période chez les catholiques. L’heure est davantage à constituer des martyrologes des « victimes » ecclésiastiques de la Révolution qu’à analyser les causes et les enjeux des conflits qui se sont déroulés26. À tout le moins, les sciences dites ecclésiastiques ou sacrées n’ont-elles pas été particulièrement cultivées et développées dans les séminaires français, même au sein du meilleur établissement d’études qu’était le séminaire de Saint-Sulpice à Paris27.
18C’est en réalité des Églises protestantes qu’est venue en France l’essor d’une historiographie religieuse. Il est vrai que ces Églises n’entretiennent pas le même rapport au passé que les catholiques. La mémoire des persécutions subies sous la monarchie, des dragonnades à la révocation de l’édit de Nantes et à la guerre des Camisards, y est vivace et la Révolution y demeure perçue comme l’inauguration de temps nouveaux avec le vote, le 23 août 1789, de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme qui proclame que nul citoyen « ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». La Société de l’histoire du protestantisme français, fondée en 1852 et dont le premier Bulletin paraît l’année suivante, s’est donné selon ses statuts le but de « recueillir et faire connaître tous les documents inédits ou imprimés qui intéressent l’histoire des Églises protestantes de langue française ».
19Elle se fonde donc sur un culte positif du document – pièce d’archive, manuscrit ou imprimé de bibliothèque – et donne un cadre très large à ses travaux qui ne se limitent pas à l’histoire religieuse et ecclésiastique mais concernent également l’histoire littéraire (sermons, dissertations théologiques) et scientifique, aussi bien que l’histoire politique et économique, particulièrement celle des Églises du refuge28. Ce n’est pas un hasard si la Société se place d’emblée sous le patronage de François Guizot, nommé président honoraire, qui fut en 1833 le fondateur de la Société de l’histoire de France et des collections de documents originaux que celle-ci s’est donné pour tâche de publier29. Mais cette histoire documentaire est en même temps apologétique et mémorielle. Sont membres de droit de la Société tous les pasteurs protestants et tous les professeurs et candidats de théologie, sans distinction de confessions : il s’agit d’une « œuvre de famille » qui « entend dissiper les erreurs et les préjugés qui ont obscurci ou dénaturé sur trop de points les annales d’une minorité persécutée, faire reparaître les grandes figures de nos ancêtres, retracer le tableau si émouvant de ces vies pures, montrer au monde ces exemples vivifiants et nous édifier nous-mêmes par l’étude instructive du passé ». L’histoire est ici aliment de la foi réformée et maîtresse de vie car, comme le dit la circulaire initiale du Comité directeur, il est
bon que la génération actuelle soit entretenue et comme retrempée dans la connaissance des choses d’autrefois, il est bon qu’elle sache combien les générations qui l’ont précédée ont eu à lutter et à persévérer, quelle fidélité, quel désintéressement, quelle constance ont été déployés dans ces luttes. La tradition en a conservé le souvenir ; il faut empêcher que ce souvenir s’efface lui-même et périsse30.
20La Société de l’histoire du protestantisme français entretient donc un patrimoine de mémoire qui exalte les martyrs de la Réforme, les protestants persécutés par le roi « dictateur » qu’était Louis XIV, soutenu dans l’entreprise des conversions forcées par l’épiscopat gallican, et qui exalte aussi la résistance du Désert huguenot. C’est d’ailleurs dans cette même perspective que la Société développe des lieux de mémoire – tel le Mas Soubeyran à Mialet dans le Gard devenu musée du Désert et point de rassemblement annuel depuis 1911-, inaugure des plaques ou des monuments dédiés aux grands ancêtres31.
21Est-ce à dire que les catholiques aient été totalement absents du champ de l’historiographie ? Non, puisque naît en 1866 la Revue des questions historiques, fondée par une équipe rédactionnelle d’anciens élèves de l’École des chartes qui se donne pour objectif de « s’attaquer aux faits et, à l’aide de sources originales soigneusement recherchées, au moyen de textes scrupuleusement étudiés, des témoignages sévèrement contrôlés [...], de rétablir la vérité historique ». Significativement les collaborateurs de cette revue sont quasiment tous laïcs, à l’exception de quelques religieux particulièrement combatifs comme le bénédictin Dom Chamard venu y défendre la thèse de l’apostolicité des Églises de la Gaule chrétienne. Cette absence des religieux est le signe, en ces années de la fin du Second Empire et du début de la IIIe République, que les prêtres savants sont encore peu nombreux. Elle atteste peut-être aussi, chez ceux-ci, une certaine hésitation à s’engager sous la bannière de la vision très polémique de l’histoire que proposent les directeurs de la Revue des questions historiques. En effet, si les collaborateurs de celle-ci ne font plus qu’un usage restreint, maladroit et contradictoire de la thèse d’une conduite providentielle de l’histoire, ils replacent leur attachement au document à l’intérieur d’une apologétique empruntée au catholicisme le plus intransigeant : la Révolution y est perçue comme le mal absolu tandis que sont affirmées une défense et illustration de la monarchie, seul régime légitime, dont le retour est explicitement souhaité32.
Le « moment protestant » et l’institution des sciences religieuses
22Le tournant des années 1870-1910 constitue un moment extrêmement fort dans le rapport entre histoire, mémoire, et historiographie, particulièrement au plan religieux. Certains spécialistes ont pu même parler d’une « crise allemande » de la pensée française33. Il est sûr que, dans l’exacerbation des nationalismes, la défaite de la France devant l’Allemagne a accéléré le processus d’acculturation des sciences historiques françaises aux méthodes exégétiques, philologiques et critiques allemandes. De ce point de vue, la faculté d’État de théologie protestante repliée de Strasbourg à Paris et refondée en 1877 a joué un rôle de médiateur et de ferment particulièrement actif34. Mais cette révolution épistémologique s’est accompagnée du plus violent affrontement entre l’Église catholique et les républicains, un instant masqué par le très court épisode « légitimiste » qui a suivi la capitulation. En effet, en seulement une vingtaine d’années se succèdent la laïcisation de l’enseignement primaire, l’élimination des congréganistes de l’enseignement public puis la suppression des congrégations elles-mêmes par la loi sur les associations de 1901, et enfin la séparation des Églises et de l’État en 1905 : autant d’éléments qui attestent un choc frontal et durable, lequel redéfinira dans le très long terme les rapports entre le politique et le religieux en France.
23Sans revenir ici sur ces faits, par ailleurs très bien connus, il faut toutefois examiner plus particulièrement le sens des phénomènes qui se déroulent dans le champ des études religieuses. Si, le 12 juillet 1875, les évêques ont pu soutenir devant une Chambre « introuvable » la liberté de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire la possibilité d’ériger des facultés catholiques libres, ils marquent par là même leur désintérêt ostensible pour les facultés de théologie d’État qui se trouvent désormais condamnées. Moins de dix ans après l’arrivée des républicains au pouvoir, le budget des facultés catholiques est supprimé le 21 mars 1885. Surtout, dans ce moment très particulier de la IIIe République qu’on a pu appeler le moment « protestant »35, se produit un renversement épistémologique et institutionnel fondamental, favorisé par les républicains protestants qui agissent dans les assemblées parlementaires36.
24En 1879, le Sénat décrète l’institution d’une chaire d’histoire des religions au Collège de France, dont le premier titulaire nommé en 1880, Albert Réville, est un protestant libéral. En 1886 – soit moins d’un an après la suppression du budget des facultés de théologie catholique – est créée la V section de l’École pratique des hautes études, section dite des sciences religieuses, qui, à l’origine, compte en son sein sur onze enseignants cinq professeurs protestants, dont quatre avaient été pasteurs. Ce qui naît alors est une transformation profonde du champ des études religieuses avec la séparation entre théologie et sciences religieuses, le développement des sciences comparatives, et en particulier de celle des religions allant du Proche à l’Extrême-Orient, l’essor des connaissances bibliques grâce aux fouilles archéologiques et aux analyses philologiques – mais ces dernières sont déconnectées de la théologie dogmatique-, l’extension de ces études à l’ethnologie des peuples dits sauvages et une nouvelle approche des phénomènes religieux par la sociologie. La nouveauté réside tout à la fois dans l’extension du champ des recherches à l’ensemble des religions, la diversité des disciplines et des méthodes mises en œuvre, l’application de celles-ci au domaine chrétien sans aucun rapport de soumission à une quelconque dogmatique37. C’est dans ce contexte que naît la Revue de l’histoire des religions fondée par Maurice Vernes – un protestant lui aussi – en 1880. L’objet de ce périodique est l’étude des religions anciennes et modernes de l’Orient, mais des seules religions anciennes pour ce qui est de l’Occident. Il s’agit, comme l’écrit dans l’introduction du premier numéro le fondateur, de soumettre à la critique historique aussi bien les religions de l’Inde et de l’Égypte que le développement intellectuel et religieux du peuple juif, sans blesser aucune susceptibilité. Se défendant d’inféoder la revue à une secte chrétienne contemporaine, fût-elle la plus libérale – « l’historien qui se double d’un dogmatiste ne fera jamais qu’une histoire suspecte » – Maurice Vernes écarte de son propos les religions modernes de l’Occident parce qu’il veut « s’abstenir de toucher aux questions que soulève la controverse contemporaine des différentes églises chrétiennes ». Il se réclame explicitement de l’article que Gabriel Monod, quatre ans plus tôt, en 1876, a placé en tête du premier numéro de la Revue historique et qu’il cite longuement. À ce titre la Revue de l’histoire des religions ne sera selon son fondateur qu’une branche spécifique des études historiques générales, restera « indépendante de toute opinion politique et religieuse », ne prendra « aucun drapeau », ne professera « aucun credo dogmatique » et ne s’enrôlera « sous les ordres d’aucun parti »38.
Sciences religieuses et histoire : recherche et enseignement
25Le profond changement institutionnel que constitue la création de la Ve section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études présente l’avantage, aux yeux des républicains, d’éviter l’introduction tant dans les universités d’État que dans l’enseignement secondaire et primaire, de l’histoire religieuse comme discipline39. Pour Gabriel Monod comme pour Ferdinand Buisson, qui fut directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’Instruction publique de 1879 à 1896, ni les professeurs ni les instituteurs n’auraient le tact et le talent d’enseigner l’histoire religieuse sans y mêler leurs opinions religieuses personnelles, quelles qu’elles soient, et cet enseignement serait perçu par les parents eux-mêmes comme une marque d’hostilité à l’égard de leurs croyances. De ce point de vue, l’histoire spécifiquement religieuse restera longtemps marginale au sein de l’université d’État, où son enseignement passe davantage par l’étude des grands auteurs qui font partie du canon des études secondaires littéraires, tels Pascal, Racine et Bossuet40. Sans doute la Revue historique, organe explicitement patronné par les professeurs d’histoire de l’université publique, se donne-t-elle pour but de « contribuer à former par l’exemple d’une bonne méthode les jeunes gens qui veulent entrer dans la carrière historique, encourager et maintenir dans la bonne voie ceux qui y marchent déjà, servir à tous de centre de ralliement et d’information ». Tout en se voulant impartiale, neutre et laïque, toute renfermée dans le domaine des « faits », elle développe en réalité une vision darwinienne de l’histoire qui est une évolution vers le progrès, et se propose de contribuer à la solidarité nationale tant par le lien qu’elle entretient avec les générations qui ont précédé l’historien (celui-ci doit les étudier avec sympathie) que par l’effort de cohésion dans le présent pour rendre force et unité à un peuple vaincu par l’Allemagne en 1871. Mais, dans le même mouvement, la Revue historique, qui s’autodéfinit comme le manifeste d’une école « méthodique », est une revue de combat qui répond, trait pour trait, à la catholique et monarchiste Revue des questions historiques. Si la Revue historique, face à la science allemande, entend rendre à la France la première place dans l’historiographie, sa conception du temps présent est très chargée d’implications politiques et religieuses : elle puise ses collaborateurs les plus fidèles et les plus productifs dans le protestantisme libéral ; elle ne cache pas ses sympathies pour une République modérée, éloignée des violences et des excès de la Commune (que Gabriel Monod – qui fut un témoin attristé de cet épisode – condamne) ; elle soutient la thèse de la nécessité de la Révolution française, même si elle réprouve ses dérives meurtrières et ses « folies » ; elle lance enfin des attaques violentes contre le catholicisme de l’époque moderne et contemporaine : « C’est en se momifiant qu’il [le catholicisme] s’est conservé intact. Sans doute il y a beaucoup perdu, il a renoncé à rien produire d’original à l’avenir, ni en sciences, ni en philosophie, ni même en théologie [...]. Il n’y aura plus de théologie catholique ; le catholicisme ne pourra plus briller que par des œuvres secondaires, travaux d’érudition comme ceux des Bollandistes et des Bénédictins, travaux d’archéologie ou de linguistique. Le royaume de la pensée lui a été à jamais fermé par les décisions infaillibles qui lui ont imposé pour règle les canons de Trente et la théologie de saint Thomas d’Aquin », écrit par exemple Gabriel Monod41.
La réaction catholique
26Face à ces transformations épistémologiques, institutionnelles et politiques, qui modifient en profondeur son rapport à l’État et à la société française, la hiérarchie catholique réagit vivement. Il n’est pas question de revenir ici sur la crise, bien connue, qui trouve son paroxysme dans la condamnation du modernisme, remarquablement analysée par les travaux d’Émile Poulat42, Pierre Colin43 ou récemment par François Laplanche44. Ces débats tournent, pour l’essentiel, autour de l’exégèse biblique, de l’analyse philologique et littéraire des textes (en particulier ceux des Écritures), de leur critique historique et des apports des fouilles archéologiques, comme aussi autour de l’histoire des origines de l’Église. Ils pourraient donc paraître en partie extérieurs au champ chronologique d’analyse du présent ouvrage. Pourtant, l’étude de l’histoire de l’exégèse dans la longue durée permet de comprendre comment se construisent des systèmes culturels cohérents où les matériaux – codes, normes, représentations – inscrits dans le langage biblique et réinterprétés par les commentateurs s’articulent avec des pratiques, qu’il s’agisse des lectures plurielles qui en sont faites, des sermons ou de la liturgie en acte : les travaux capitaux de François Laplanche45 ou de Bernard Roussel46 au cours des trente ou quarante dernières années nous l’ont démontré.
27De cette réaction catholique, on donnera ici seulement quelques traits. Le conflit frontal du catholicisme a très certainement entraîné une fossilisation des positions institutionnelles et des discours officiels de chacune des parties en cause. Il a accentué le sentiment obsidional éprouvé par les savants catholiques devant les avancées d’une critique qualifiée globalement de « protestante » et prolongé, du même coup, le caractère apologétique et controversiste de l’histoire religieuse. Il y a bien, en ces années, ce que l’on pourrait appeler un dialogue impossible, tension qui est d’ailleurs interne au catholicisme lui-même. Le cas de l’abbé puis Mgr Duchesne, ancien élève de l’École française de Rome, est tout à fait emblématique à cet égard. Il refuse tout d’abord d’entrer dans l’enseignement supérieur public, parce qu’il veut servir les nouvelles facultés « libres » et contribuer à initier « le clergé aux bonnes méthodes de travail ». Il n’accepte une direction d’études à la IV section de l’École pratique des hautes études (Sciences philologiques et historiques) qu’à la condition de pouvoir continuer à enseigner à l’Institut catholique de Paris. Il représente bien, comme il se définit lui-même, un « petit Concordat » à lui seul.
28Pourtant, il est exposé à un double front de critiques et d’oppositions. D’une part, en tant que prêtre catholique, il ne peut, à aucun moment, engager un dialogue avec des collègues protestants. Il refuse donc la collaboration avec la Revue de l’histoire des religions que lui proposait dès 1881 Maurice Vernes : pour ce dernier, « l’introduction du christianisme, l’organisation des premières Églises en Gaule n’est point sans doute une affaire de dogmes mais d’histoire ; ce sont des faits à établir exactement. Je ne crois pas qu’il puisse subsister quelque malentendu entre ceux qui, séparés par leurs opinions philosophiques ou religieuses, cherchent avant tout à savoir ce qui a été ». À quoi l’abbé Duchesne réplique que s’il existe effectivement « des terrains scientifiques où peuvent se réunir des personnes séparées par leurs opinions philosophiques ou religieuses », sa collaboration à la Revue de l’histoire des religions ne serait pas « facilement acceptée en France par l’opinion d’un monde religieux qui aurait le droit de s’inquiéter » si un « professeur dans une école catholique de sciences religieuses » allait « travailler à une revue où le christianisme ne peut être traité que comme une religion quelconque et non comme la vraie religion ». Pour les mêmes raisons, l’abbé Duchesne refuse en 1886 la direction d’études qui lui est proposée lors de la création de la nouvelle section de sciences religieuses de l’École pratique des hautes études. Il y a des barrières qu’un prêtre catholique ne doit pas franchir s’il veut pouvoir continuer à recevoir un accueil positif au sein des membres de sa propre Église47.
29Car, dans le même temps, l’abbé poursuit le but qu’il s’est tracé dès sa sortie de l’École de Rome : former le clergé aux méthodes modernes de la critique philologique et historique. Le Bulletin critique de littérature et d’histoire, qu’il a fondé en 1880 avec l’aide de collaborateurs choisis dans la congrégation de l’Oratoire, vise à fournir des instruments de travail au clergé des divers diocèses en le tenant au courant des publications qui paraissent par des comptes rendus critiques et réguliers : pour l’abbé Duchesne, la meilleure apologétique est d’abord une histoire véridique ; il entend donc se restreindre délibérément aux causes secondes, écartant aussi bien une histoire apologétique, édifiante et surnaturelle que se refusant à toute théologie ou exégèse dogmatique, position qui lui est reprochée dans le milieu du clergé intellectuel48. S’il contribue aussi à ébranler nombre de légendes hagiographiques et à détruire la thèse de l’apostolicité des Églises de Gaule49, sa position n’en est que plus fragile à l’intérieur de l’Église catholique puisque son Histoire ancienne de l’Église est mise à l’index le 24 janvier 1912, signe que le type d’histoire qu’il entend promouvoir n’est guère apprécié par les théologiens romains50. L’année suivante, en 1913, Mgr Duchesne qui est alors directeur de l’École française de Rome refuse d’entrer dans le comité de patronage de la Revue de l’histoire de l’Église de France, demandant à l’interlocuteur qui le sollicite d’attendre l’arrivée d’un autre pontife sur le trône de saint Pierre, signe qu’il ne veut pas par sa présence, désormais suspecte, gêner une revue qui naît51.
30Il serait sans doute exagéré de juger la « réaction » catholique à l’aune du seul cas de Mgr Duchesne. La surveillance romaine sur les universités catholiques est, il est vrai, particulièrement tatillonne : la reconnaissance canonique de l’École de théologie de Paris ne date que de 1889 et, en 1906, le préfet de la Congrégation romaine des Études reproche aux recteurs des cinq universités catholiques françaises de donner trop d’importance, dans les thèses de doctorat, « à des discussions d’histoire et de critique sur des points très minutieux et singuliers, tout en laissant les questions les plus amples et les plus universelles de théologie dogmatique et de philosophie rationnelle ». Ces facultés de théologie libres feraient « ostentation d’une érudition facile » qui « cache le plus souvent la faiblesse intellectuelle », dédaignant « les spéculations sévères » dont « on ressent aujourd’hui plus que jamais le besoin »52. Cette remontrance est déjà l’aveu que les méthodes d’histoire et de critique pénètrent à l’intérieur du monde des clercs. C’est d’ailleurs ce même but que poursuit la Revue d’histoire de l’Église de France fondée en 1910, dont les lecteurs sont en 1914, pour 57 % d’entre eux, membres du clergé : elle vise à promouvoir au sein de son lectorat les études d’histoire ecclésiastique locale53. Méconnaître le mouvement de l’érudition ecclésiastique entre 1870 et 1930 serait passer à côté de l’une des transformations les plus importantes de l’historiographie. Sans doute, le cadre intellectuel qui sous-tend les monographies de paroisses, de cantons, de diocèses reste-t-il fondamentalement apologétique et controversiste – il s’agit bien d’écrire une histoire de l’Église, l’espace local étudié étant partie prenante de l’Église universelle54 – dans une logique qui demeure antiprotestante et contre-révolutionnaire : il est significatif que pour la période de la Révolution française soit systématiquement réemployé le terme de persécution qui renvoie directement aux dénominations de l’Antiquité tardive55. Mais les clercs ont fini par comprendre que leurs ouvrages ne seraient recevables – et donc reçus – que s’ils acceptaient de se plier aux règles en usage dans la profession historique contemporaine. Pour ne prendre qu’un seul exemple, celui de la Révolution française, le chanoine Paul Pisani, docteur ès lettres et en théologie peut, en 1907, condamner sans détour, au seuil de son Répertoire biographique de l’épiscopat constitutionnel, toute une littérature du troisième quart du xixe siècle qui, plus oratoire que scientifique, glorifiait les bons prêtres « persécutés, dénoncés, traqués comme des bêtes malfaisantes » et qui, tombés dans les mains de leur ennemis « savaient mourir comme des martyrs » tandis que les curés jureurs, par effet de contraste, se trouvaient présentés « avec tous les vices opposés aux vertus des confesseurs de la foi. Par cette logique simpliste qui préside à l’élaboration des légendes on en vint à créer deux types caractéristiques : le héros et le traître, et l’on n’en sortit pas »56. Si l’auteur ne cache pas dans ses notices son anti-gallicanisme et son hostilité à l’égard de la Constitution civile du clergé, il produit, à l’usage de ses confrères, un monument d’érudition positive qui prend pour cadre la France entière et vise à dépasser une vision étroitement locale ou diocésaine des phénomènes. Cet effort pédagogique d’un transfert des méthodes usitées dans le monde universitaire vers l’univers clérical se poursuit dans les revues locales des sociétés savantes, par la constitution de comités diocésains d’histoire et d’archéologie ou dans les pages de la Revue d’histoire de l’Église de France, trouvant son point d’achèvement dans les trois volumes de l’Introduction aux études d’histoire ecclésiastique locale publiés sous la direction de l’abbé Victor Carrière de 1936 à 1940, somme d’histoire érudite dédiée au culte de la monographie d’histoire locale, qui n’est pas dénuée de controverse antiprotestante ni de polémique contre la Révolution relue à la lumière de l’intransigeantisme romain57. Pourtant, au moment où cette somme paraît, elle est déjà le « tombeau » d’une histoire qui est en train de disparaître58. C’est aux raisons de ce retournement qu’il convient maintenant de s’attacher.
Les mutations des années 1930 : quatre exemples
31En effet, ce paradigme d’une histoire confessionnelle, controversiste et apologétique se trouve très rapidement remis en cause et va s’effacer progressivement. Les années 1930-1960 constituent à cet égard un tournant majeur, même si les effets de cette lente révolution épistémologique ne se font effectivement sentir qu’après cette dernière date. La rupture de la guerre 1914-1918, la crise économique de 1929, la montée des totalitarismes qui forment l’arrière-fond de ces transformations ont, sans nul doute, joué un rôle dans cette réévaluation. En tous les cas, les combats sociopolitiques qui opposaient républicains et traditionalistes sous des drapeaux religieux ont perdu de leur importance. Même du côté de Rome, sans qu’il y ait aucunement eu un dégel de la méfiance et de la censure, la condamnation de l’Action française rend de nouveau possible un espace de travail limité pour les exégètes et pour les théologiens catholiques ; on ne saurait non plus négliger tout le renouveau intellectuel porté, du côté de la pensée catholique, par la réinstallation des ordres religieux comme les jésuites et les dominicains59. Mais surtout, devant les hypothèses que formulent les sciences sociales, l’historien cesse de postuler une transparence de la conscience à elle-même et une identité entre le croyant et le pratiquant des xvie et xviie siècles et ceux du xxe siècle. Ce qui était jusque-là analysé comme une tradition reçue dont l’évidence s’imposait devient un passé dont l’écrivain est à jamais éloigné et séparé : le geste de la coupure qui autorise l’opération historiographique, l’emporte sur l’homogénéité supposée60. Comme le dit Lucien Febvre, il s’agit de sortir du « froc » des querelles d’antan et des catégories héritées des guerres entre catholiques et protestants, afin de comprendre les « révolutions du croyable » qui se sont déroulées entre la mentalité des hommes du xxe siècle et celle de ceux du xvie siècle, fussent-ils les plus éclairés61.
32À titre de symptômes de ces déplacements majeurs quatre œuvres publiées dans les années 1920 et 1930, issues d’horizons intellectuels extrêmement différents et partant de prémisses très éloignées les unes des autres, pourraient être ici prises en considération. Au premier chef, celle de Lucien Febvre lui-même qui se méfiait des étiquettes fixées par avance et des classifications historiographiques héritées pour l’étude des courants d’idées qu’il voulait analyser, estimant qu’elles contribuaient davantage à obscurcir qu’à éclairer le champ de recherche. Il se refusait à postuler une universalité des catégories qui aurait traversé les diverses époques de l’histoire, et il récusait le recours à la notion d’influence pour expliquer les rapports entre les idées et la réalité sociale, contre toute la tradition d’histoire intellectuelle – et tout particulièrement l’histoire littéraire qui l’avait précédé. En inventant la notion d’« outillage mental », c’est-à-dire les instruments linguistiques, conceptuels et affectifs disponibles et partagés à une époque donnée, il espérait retrouver la structure intellectuelle des contemporains de Rabelais, même si l’accès de ceux-ci à cet outillage mental se trouvait inégalement réparti. Tout l’intérêt de l’œuvre de Lucien Febvre réside dans cette ouverture à une analyse des représentations collectives et des perceptions du monde62. Nous pouvons évidemment trouver aujourd’hui – mais le reproche serait anachronique – qu’il ne s’interroge guère sur les mécanismes d’intériorisation et d’appropriation, pas plus que sur les procédures d’inculcation ou de transmission. Il faut plutôt reconnaître que tout le travail de Lucien Febvre s’est porté sur les limites de ce qu’il est possible de penser à une période déterminée, sur le fonctionnement du langage (lexique et syntaxe) et la structure des perceptions, qui ne sont pas a priori identiques à ceux de l’historien qui les étudie63.
33Attentif comme il l’était à la production historiographique de son temps, Lucien Febvre n’a pas manqué de saluer deux œuvres contemporaines qui l’intéressent au premier chef et qui dans leur singularité ont marqué profondément l’histoire religieuse française : celles d’Henri Bremond et de Gabriel Le Bras. Il est tout à fait significatif qu’il ait consacré dans la Revue de synthèse un compte rendu au tome IX de l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours de l’abbé Henri Bremond, volume dédié à La vie chrétienne sous l’Ancien Régime, et qu’il y souligne de manière appuyée l’originalité, à cette date, de la thématique abordée :
Il est peu de sujets d’une semblable importance pour la connaissance véritable de l’ancienne France ; mais, il en est peu aussi dont semblent se méfier pareillement les historiens de tout bord et de toutes tendances : ceux qui ne veulent pas faire sa part, toute sa part à la religion dans les recherches et les autres aussi, je veux dire ceux-là qui le mieux pourraient nous donner de bonnes études de « vie religieuse », de dévotion, de pratiques pieuses dans « l’ancien temps » – les prêtres notamment et les religieux – et qui se détournent de tels sujets s’offrant à eux d’eux-mêmes, pour s’obstiner à en traiter d’autres... quelquefois beaucoup moins indiqués64.
34Ce que salue Lucien Febvre dans l’œuvre de l’abbé Bremond c’est l’attention portée à la piété du plus grand nombre (même s’il regrette l’absence totale de statistiques), à ces fidèles restés dans la pénombre, que délaissent et l’histoire cléricale, davantage portée à l’étude des grandes figures de l’Église, et l’histoire universitaire, qui s’intéresse plus aux querelles théologiques dans le rapport qu’elles entretiennent avec le pouvoir politique qu’à la vie religieuse populaire. Il n’entre pas dans notre propos d’évoquer ici la philosophie religieuse qui sous-tend l’immense monument édifié par l’abbé Bremond : celui-ci est à la recherche d’une essence d’un fait religieux indifférent aux frontières doctrinales, essence qu’il identifie à l’expérience mystique la plus extrême, celle de la désolation, de la détresse, de l’absence, qui échappe au discours. Les travaux de Michel de Certeau65, d’Émile Goichot66, comme la réédition en 2006 de l’Histoire littéraire du sentiment religieux67, ont éclairé dans toute leur complexité la genèse, les conditions de l’écriture et le contexte de cette œuvre portée tout entière par une inquiétude religieuse contemporaine. Trois éléments devraient au moins retenir ici notre attention : tout d’abord cet ouvrage que l’on pourrait qualifier d’histoire « moderniste » a échappé aux foudres de la censure romaine, en dépit de nombreuses alertes, des réticences et des arrière-pensées de toutes sortes68. Est-ce parce qu’elle s’enfermait, par principe, dans l’enclos orthodoxe des mystiques catholiques ? Toujours est-il qu’elle a été reçue, et pas seulement par le public catholique, même si celui-ci était le premier destinataire. En second lieu, cette Histoire littéraire opère un bouleversement de la grille de lecture du xviie siècle religieux : l’histoire universitaire était, depuis le livre de Sainte-Beuve69, centrée sur l’abbaye de Port-Royal, sa spiritualité, les œuvres de tous les amis du monastère, au premier chef Pascal et Racine, symboles d’une résistance gallicane et janséniste à l’oppression romaine et jésuite. L’abbé Bremond déplace doublement le foyer de l’analyse : d’une part en amont, en montrant la vitalité spirituelle du tout premier xviie siècle ; d’autre part en aval, en manifestant la portée du débat sur le mystère du pur amour, tout aussi central que la discussion théologique autour de la grâce divine et de la liberté humaine, « point d’aboutissement d’un mouvement séculaire »70. Enfin, en s’intéressant aux minores, à la turba magna des petits mystiques, il met en question la critique littéraire universitaire attachée aux « grands classiques » qui forment le canon de l’enseignement secondaire. Par sa chronologie comme par l’extension du répertoire des auteurs spirituels où il puise, l’abbé Bremond invite clairement historiens et historiens de la littérature à repenser leurs méthodes et leurs outils d’analyse. Mais cet appel n’a pas été immédiatement entendu, tant l’œuvre est anomique par rapport aux modèles reçus. Trop « catholique » aux yeux de l’Université laïque, trop replié sur la littérature spirituelle catholique du xviie siècle, et à l’intérieur de celle-ci, sur l’expérience des seuls mystiques « orthodoxes » qu’il prétend théoriser, l’auteur, par les interrogations qu’il se pose, ne se situe pas dans une démarche historique mais dans une visée proprement philosophique : l’œuvre questionne l’essence du fait religieux au-delà des frontières doctrinales, souligne l’inadéquation du discours à la réalité, cherche à saisir ce qui survit, dans l’expérience, à l’écroulement des certitudes dogmatiques. Mais, du même coup, sa perspective apparaît trop interne au catholicisme lui-même pour franchir aisément les murs des départements d’histoire et de littérature des universités d’État71, même si l’enseignement républicain ne se désintéresse pas totalement des phénomènes mystiques traités surtout sous l’angle de la psychologie (Henri Delacroix) ou de la pathologie (Jean-Martin Charcot, Théodule Ribot, Pierre Janet) et si, dans cette configuration, l’on doit faire toute sa place à l’œuvre pionnière d’un Jean Baruzi, professeur au Collège de France, sur Jean de la Croix et les mystiques72. Du côté de l’Église catholique, on a déjà évoqué les très fortes résistances suscitées par l’Histoire littéraire du sentiment religieux tant à Rome que dans le clergé intellectuel français – sulpiciens, dominicains ou jésuites en particulier –, le goût déclaré de l’abbé Bremond pour l’éclat et la controverse n’étant pas de nature à apaiser les conflits. Le moindre paradoxe de la réception de cette œuvre n’aura pas été que les lecteurs les plus fervents de l’abbé Bremond furent justement des membres du clergé, anciens séminaristes formés à la méthode de l’oraison mentale et à la lecture spirituelle telles que l’enseignement s’en était perpétué dans les grands établissements diocésains où ils se préparaient aux ordres73.
35À l’ouverture de cette contribution, nous avons tenu à citer le début de la recension que Lucien Febvre a faite de l’Introduction à l’histoire de la pratique religieuse en France de Gabriel Le Bras : pour Lucien Febvre, ce livre est à la fois un « appel aux travailleurs en quête de sujets féconds » et un « appui aux bonnes études, à la convergence des saines disciplines », à tous ceux qui mènent le combat pour une même cause, celle de « l’histoire humaine », nous dirions aujourd’hui l’anthropologie historique74. Juriste, Gabriel Le Bras a participé immédiatement après la Première Guerre mondiale au renouveau de l’université de Strasbourg où il noue des liens intellectuels forts tant avec Maurice Halbwachs qu’avec Marc Bloch et Lucien Febvre. On ne saurait trop souligner le rôle essentiel qu’il a joué dans la réintégration de l’histoire religieuse au sein de l’université républicaine : dès 1931, il a rédigé un article programmatique dans lequel il propose une enquête nationale consacrée à la pratique religieuse en France selon une double démarche, à la fois contemporaine et régressive dans le temps pour saisir les causes de l’état présent de la pratique religieuse chez les catholiques français75. Ce spécialiste du droit canon médiéval se situe constamment, pour appréhender son objet, au carrefour de plusieurs disciplines : la science politique, puisqu’il emprunte une partie de ses modèles d’interprétation au Tableau politique de la France de l’Ouest d’André Siegfried paru en 1913, la sociologie d’Émile Durkheim et Marcel Mauss, les études du folklore telles qu’elles ont été développées par des hommes comme Arnold Van Gennep ou Pierre Saintyves, et bien évidemment l’histoire. Dans son Introduction à l’histoire de la pratique religieuse en France, il s’étonne que, en dépit des fermes invitations de Marcel Mauss, les sociologues se soient si peu occupés de la vie religieuse de leurs compatriotes, tandis que les clercs ont été guidés par des préoccupations apologétiques plutôt que par les méthodes critiques, et il ajoute : « Attitudes collectives, causes sociales. Si l’immense majorité des ruraux de la Bretagne non bretonne assiste à la messe dominicale, tandis que les églises de la Creuse marchoise sont vides ; si le bourgeois tient aux solennités saisonnières tandis que l’ouvrier les néglige, ce n’est point par élection individuelle, ou par caprice divin que l’on peut expliquer le contraste. La réponse appartient à la science sociale76. » Le juriste demande donc que l’on reconnaisse la force des coutumes territoriales, hiérarchiques, c’est-à-dire des conditions sociales de la pratique qui renvoient à des terrains, des structures, des traditions disparates, même s’il ne s’agit nullement d’éliminer « le drame de chaque conscience individuelle ». Le but est bien d’examiner les logiques à l’œuvre dans les représentations collectives qui déterminent les attitudes, les comportements, les pratiques. À coup sûr, toute l’œuvre de Gabriel Le Bras pourrait s’analyser comme une réflexion sur la tyrannie de la coutume, et la décomposition de cette même coutume.
36On a légitimement pu faire observer combien l’indice retenu valait uniquement pour les catholiques mais s’appliquait assez mal aux communautés protestantes. En transformant l’application d’une prescription canonique des évêques de la Réforme post-tridentine en objet scientifique, Gabriel Le Bras se refusait cependant à toute identification sommaire ou mécanique entre croyances et pratiques : il assignait à l’historien la tâche d’expliquer et de saisir en profondeur les ressorts, les modes et les représentations de la foi au sein de chaque groupe social, la croyance comme la pratique étant soumises à des conditions temporelles et spatiales qui en rendaient le rapport instable et changeant. Plus sans doute qu’aucun historien de son temps, parce qu’il s’était donné pour règle, dans ses voyages réguliers au cœur des provinces, d’être un observateur attentif des pratiques contemporaines, Gabriel Le Bras était sensible aux frontières qui lézardent l’espace français tant entre les confessions qu’à l’intérieur du catholicisme où les degrés de ferveur ou d’indifférence s’étageaient selon des configurations sociales, politiques et culturelles extrêmement complexes. Mais en déplaçant délibérément le regard d’une histoire des institutions et des querelles théologiques vers une histoire des pratiques et de ceux qu’il appelait les « anonymes », il pouvait surtout espérer un triple bénéfice. Il a tout d’abord recueilli progressivement l’attention puis l’adhésion d’un clergé et d’un épiscopat inquiets des fractures décisives qu’ils voyaient s’opérer sous leurs yeux : l’exigence d’une connaissance exacte de l’état des fidèles est apparue de plus en plus nécessaire à une pastorale incertaine de ses choix, soucieuse d’une « reconquête » missionnaire. Quelques clercs ont fréquenté dès avant la guerre de 1939, la conférence donnée à la Ve section (Sciences religieuses) de l’École pratique des hautes études par Gabriel Le Bras et le relais d’une sociologie spécifiquement « pastorale » et dépendante de la hiérarchie catholique est pris dès 1946 par l’abbé Fernand Boulard, aumônier adjoint du mouvement de la Jeunesse agricole chrétienne. En second lieu, en mettant l’accent sur la nécessité de dresser des statistiques précises et des cartes, Gabriel Le Bras, rejoignait un paradigme porté par les économistes et les historiens de l’économie, mais aussi par le courant de la revue Annales d’histoire économique et sociale. L’activité scientifique de celui-ci se situait résolument aux frontières de plusieurs champs de recherche et ce n’est pas un hasard si Lucien Febvre l’appela à entrer dans le corps professoral de la toute nouvelle VIe section de l’École pratique des hautes études dont l’une des visées était justement de décloisonner les disciplines. Il faut toutefois reconnaître – et c’est le troisième point qu’il convient de retenir – que la sociologie religieuse rétrospective appelée de ses vœux par Gabriel Le Bras n’a pénétré le milieu de l’histoire universitaire qu’à partir du début des années 1960, tant l’histoire diplomatique et politique et l’histoire économique se trouvaient dans une situation dominante à l’université. Il aura fallu, grosso modo, une génération pour que les esquisses et les intuitions exprimées dès les années 1930 portent leurs fruits dans les thèses comme dans les ouvrages destinés au public universitaire77.
37En contrepoint de ces trois grandes œuvres qui, par des voies très différentes, ont ouvert des pistes neuves à l’histoire religieuse en France, il est tentant de mentionner un livre proprement inclassable, dont le rayonnement fut assez limité à sa parution en 1927, mais qui devait rapidement devenir un classique après sa réédition en 1956 : il s’agit de l’ouvrage de Bernard Groethuysen, Origines de l’esprit bourgeois en France78. Dans une lettre adressée à Marc Bloch à la fin d’octobre 1929, Lucien Febvre, lecteur pourtant insatiable, condamne sans appel le livre qui lui est tombé des mains, en des termes dont la violence laisse à penser que l’ouvrage n’est pas seul en cause : « Le bouquin qu’il a pondu finalement, c’est l’histoire de la montagne qui accouche d’une souris – car Dieu sait s’il me rasait déjà, aux alentours de 1910-1912, avec ses histoires ! Et ce bouquin est illisible, absolument et totalement illisible, sans portée, sans vie, sans accent, comme ce pauvre de la Gruithuyse [sic] lui-même79» Le projet philosophique qui sous-tend l’ouvrage a été ici totalement incompris et il faut bien reconnaître que la réception de la version française de ce livre a été, pour le moins, réservée, en tous les cas au sein de la corporation des historiens80. Cette réticence tient sans doute pour beaucoup à la différence délibérée entre les deux versions, allemande et française, de l’ouvrage. De la version française, Bernard Groethuysen a éliminé les introductions méthodologiques et les références théoriques, supprimé des passages entiers de sa démonstration en contractant certains chapitres (ainsi ceux sur le jansénisme) et réduit au minimum l’appareil critique de notes, ce qui enlève au livre une bonne part de son ambition intellectuelle : il publie l’ouvrage dans une nouvelle collection de la NRF, la Bibliothèque des idées, qui se veut un lieu de rencontre entre savants et écrivains et vise un large public cultivé. À l’inverse, l’édition allemande, publiée en deux volumes chez l’éditeur universitaire Niemeyer à Halle en 1927 et 1930 bénéficie tout à la fois de l’explicitation des soubassements théoriques de l’œuvre et du dispositif critique qui manquent à la version française. Cette différence délibérée tient pour une grande part à la double vie que mène l’écrivain, passeur de la culture allemande en France : ici, il travaille dans le champ d’une scène « littéraire », celle de la Nouvelle Revue française, de la revue Commerce publiée par les soins de Paul Valéry, Léon-Paul Fargue et Valéry Larbaud, ou des Décades de Pontigny organisées chaque année par Paul Desjardins81 et il y présente son livre comme un essai ; en Allemagne, l’ouvrage se situe pleinement dans les débats philosophiques et sociologiques autour de l’émergence de la modernité et de ses rapports à la religion, dans le sillage de Dilthey, de Troeltsch, et de Sombart. Ce qu’il importe à Groethuysen de mettre au jour, c’est le type humain du « bourgeois » et sa Weltanschauung, la pensée « anonyme » d’un temps, les idées de ceux qui n’ont pas laissé de nom, ces laïcs cultivés qui argumentent contre la vision du monde portée par les représentants de l’Église, avec en arrière-plan la question des origines de la Révolution française : l’originalité de sa méthode (qui marque la distance prise vis-à-vis de son maître Dilthey) a été de prendre comme source massive de son information les sermons et de lire en creux, à travers les argumentations polémiques des prédicateurs, les conceptions du monde des « enfants du siècle » qui « raisonnent et veulent examiner avant de croire » ; il ne se satisfait pas en effet d’une Geistesgeschichte établie à partir des seuls « créateurs intellectuels ». De ce point de vue, le choix de la France et de la période qui précède la Révolution est tout autre que fortuit : c’est, pour l’auteur, la période où « la masse ordinairement muette est venue à la parole ». On peut, dès lors, comprendre pourquoi la réédition du livre en 1956 a connu un grand retentissement auprès des historiens : elle arrivait au moment où, en France, l’histoire des mentalités prenait réellement son essor avec des figures comme Georges Duby82, Philippe Ariès83 ou Robert Mandrou84, et le livre s’appuyait sur l’exploitation intensive d’un type de source massive, alors que les historiens étaient justement à la recherche de séries de données homogènes, répétées et comparables. Quelles que soient les critiques que nous pouvons aujourd’hui porter sur le modus agendi de Groethuysen vis-à-vis de ses sources, la fécondité des questions qu’il posait à l’histoire religieuse de l’époque moderne invitait à vérifier ou infirmer ses hypothèses sur d’autres terrains.
38Au total ce qu’ont apporté les années 1930 – et les œuvres citées ici ne l’ont été qu’à titre d’exemple – est un renouvellement profond des interrogations et des méthodes : les certitudes qui fondaient l’histoire des idées et/ou l’histoire religieuse se sont délitées, les hypothèses venues de l’anthropologie, de la sociologie ou de la psychologie ont pénétré les questionnaires des historiens et modifié leur approche.
L’élan de l’historiographie religieuse, symptôme d’un effacement du religieux ?
39À partir des années 1960 la montée en puissance de l’historiographie religieuse a été très rapide et sensible, accélérée par le déclin d’un modèle d’histoire économique qu’avait incarné avec force Camille-Ernest Labrousse, professeur à la Sorbonne, et par le transfert des intérêts d’un certain nombre d’historiens économistes vers le champ de l’histoire religieuse : il suffit de citer les noms de Pierre Chaunu, de Jean Delumeau ou de François Lebrun, venu, lui, des horizons de la démographie historique. Il n’est pas anodin que l’histoire religieuse ait été massivement réintroduite dans l’université laïque par la voie de la sociologie religieuse rétrospective héritée de Gabriel Le Bras. Sans doute n’avait-elle jamais totalement disparu – les départements de littérature française s’étaient d’ailleurs employés à développer les travaux sur la spiritualité des grands écrivains du xviie siècle ou sur la religion des Lumières – mais les études s’étaient focalisées plutôt du côté d’une analyse des rapports entre Église et État ou du jansénisme politique, si l’on excepte la grande thèse de René Taveneaux sur Le jansénisme en Lorraine, où étaient subtilement conjuguées l’étude des écrits théologiques et celle des réseaux de production, de diffusion et de réception de ceux-ci qui manifestaient la porosité des frontières entre les Provinces-Unies, les Pays-Bas catholiques et la France85. Sans doute faut-il aussi mentionner que la Ve section de l’École pratique des hautes études (Sciences religieuses) avait créé, dès 1943, deux directions d’études, l’une d’histoire de la Réforme et du protestantisme (scindée en 1964 en une chaire d’histoire du protestantisme et une chaire d’histoire et théologie de la Réforme), l’autre d’histoire de l’Église médiévale et moderne, transformée en 1952 en chaire d’histoire du catholicisme moderne et contemporain, changement de dénomination qui n’est pas sans signification. On sait quel éclat ont donné à ces deux directions d’études leurs titulaires respectifs : dans la première, Lucien Febvre, puis à partir de 1948 Émile-Guillaume Léonard, qui relia d’emblée l’histoire du protestantisme français à celle des autres confessions et courants protestants d’Europe86, et dans la seconde Jean Orcibal, qui forma à l’analyse de la genèse, des lexiques et de la réception des textes spirituels de très nombreux auditeurs parmi lesquels beaucoup de religieux envoyés par leurs congrégations et ordres respectifs, afin que, munis du bagage intellectuel acquis à l’École pratique des hautes études, ils puissent participer à une relecture des textes fondateurs de leur propre famille spirituelle87. Mais cet enseignement, localisé dans la capitale et dans un grand établissement de recherche scientifique, demeurait de toute façon réservé à une élite restreinte d’auditeurs.
40Le changement d’orientation des sujets de thèse a coïncidé, dans le temps, avec une ouverture des postes offerts au sein de l’université publique du fait de la massification des effectifs étudiants, puis à la création de groupes de recherche en histoire religieuse tant dans les diverses universités qu’au Centre national de la recherche scientifique. De 1960 à 1990, et même au-delà, les historiens ont donc multiplié les indices quantitatifs pour cerner tout à la fois les périodes et les zones géographiques de plus ou moins grande ferveur ou indifférence religieuse, en dépouillant les sources les plus variées, depuis les formules testamentaires d’invocation et les demandes de messe jusqu’aux séries d’orientations sacerdotales ou d’entrées masculines et féminines dans les congrégations et ordres religieux, aux registres d’entrée ou de délibération des confréries de dévotion ou des congrégations mariales, aux données démographiques comme le taux des naissances illégitimes ou l’observance des temps « clos » (Avent et Carême) pour la célébration des unions nuptiales, depuis les courbes des recettes et dépenses des fabriques paroissiales jusqu’à la structure iconographique des ex-votos ou des retables. On pourrait également souligner combien les acquis récents de l’histoire du livre, fondée en France par Henri-Jean Martin, ont permis d’établir une chronologie fine de la production religieuse, de mesurer le poids, dans chaque période, des éditions de la Bible et de ses différents commentaires, celui des écrits théologiques et des livres spirituels, de servir une géographie différentielle des lieux d’impression et une sociologie des écrivains. Les argumentaires de la littérature de controverse, les thématiques des prédications, des manuels de confession et de cas de conscience comme des livrets de piété ont été observés à la loupe, tout comme l’analyse des inventaires de bibliothèques – qu’il s’agisse de bibliothèques de communautés ou de particuliers, ecclésiastiques ou laïcs – a pu cerner des horizons de réception88.
41La liste ici présentée n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Qui peut d’ailleurs, aujourd’hui, être assuré de maîtriser la bibliographie d’un domaine de recherche ? Celle-ci sera en outre analysée de manière beaucoup plus approfondie à travers les divers chapitres du présent volume. La monumentale Histoire du christianisme, parue en 1990 et 2000, permet de mesurer en partie le chemin parcouru depuis l’Histoire du catholicisme en France dirigée par André Latreille et publiée à la fin des années 195089 et l’Histoire générale du protestantisme d’Émile-Guillaume Léonard. La volonté de prendre en compte l’ensemble des confessions chrétiennes, même si celles-ci sont souvent davantage juxtaposées qu’imbriquées, dit bien le souci de penser une histoire commune des confessions dans leur développement spécifique comme dans leurs relations réciproques, signe que le mouvement œcuménique du xxe siècle a rejailli sur l’historiographie. L’accent mis sur les croyances, sur les laïcs, sur les mouvements collectifs traduit bien certaines des inflexions majeures qui ont traversé l’historiographie religieuse au cours des quarante dernières années. Comme l’écrit Claude Langlois, c’est bien en quelque sorte le « testament » d’une génération qui est entrée dans la carrière universitaire après 1960 et qui assume tranquillement une histoire religieuse sécularisée, indépendante de toute orthodoxie doctrinale, quelles que puissent être, par ailleurs, les convictions intimes des auteurs90. Cette remarque générale ne signifie pas pour autant que ces dernières ne puissent investir encore, ici ou là, la production historiographique91 et parfois, fût-ce inconsciemment, l’instrumentaliser dans une perspective de foi, au risque de certains anachronismes regrettables92.
42Cette prolifération d’une historiographie religieuse, comme ce monument qui vient d’être achevé, attestent aussi qu’une tradition reçue est devenue un passé. On pourrait sans aucun doute mettre en rapport cette montée en puissance avec deux événements de la seconde moitié du xxe siècle : les bouleversements du catholicisme qui ont été sans doute accélérés par l’application des décrets du concile Vatican II (mais dont la genèse est bien antérieure) d’une part, la crise culturelle qui met en question l’ensemble des modèles de référence éthiques et politiques et dont les événements de 1968 n’ont été qu’un symptôme particulièrement fort, d’autre part. Sur le premier point, il est clair qu’une certaine forme de catholicisme a disparu ou disparaît sous nos yeux : celle qui associait la fréquentation obligatoire de l’office dominical, la présence massive d’un clergé séculier, la confession auriculaire et le culte des saints. En 2006, les deux tiers des Français se disent encore catholiques mais à peine plus de 5 % pratiquent régulièrement93 ; depuis trente ans, les ordinations sacerdotales stagnent à un étiage annuel compris entre 100 et 130, et l’âge moyen du clergé catholique français dépasse désormais 70 ans94. Il y a bel et bien un « Ancien Régime » du catholicisme, le monde évanoui d’une civilisation paroissiale que nous avons du mal à imaginer95 et, s’il est vrai que l’écriture de l’histoire, comme l’écrit Michel de Certeau, est un tombeau dressé pour les morts afin de faire place aux vivants, cette prolifération historiographique est effectivement un signe sans équivoque96. À l’intérieur même du catholicisme, les débats qui se sont noués autour de la réception et de l’interprétation des textes du concile Vatican II – rupture ou continuité dans la tradition ?-, débats qui ne sont pas clos97, ont mobilisé surtout des théologiens et des intellectuels, clercs et laïques, et n’ont pu faire l’économie d’un schisme. La virulence des oppositions qui se sont manifestées atteste la diversité des critères herméneutiques à l’œuvre : la tradition est-elle un corpus fermé d’énoncés, de pratiques et de coutumes qui doit être conservé intact, ou est-elle un processus d’actualisation qui vise à répondre aux questions et aux urgences d’un temps ? Ces débats invitent au moins l’historien à ne pas séparer les énoncés conciliaires de leurs conditions d’énonciation, à analyser les textes depuis leur préparation et leurs versions successives jusqu’à leur promulgation et leur réception dans les divers pays, à reconstituer en quelque sorte l’ensemble de leur trajectoire, en acceptant de prendre le concile comme acte et événement spirituel98 : il n’est certainement pas dans les compétences de l’historien de déterminer s’il y a une « bonne » ou une « mauvaise » interprétation des « textes authentiques de l’authentique Vatican II99 ». En revanche, il peut s’attacher aux formes et au sens du travail d’élaboration des textes conciliaires comme aussi aux enjeux qui se nouent autour de la mise en œuvre des réformes engendrées par les décrets et canons du concile : ainsi l’immense travail de traduction dans les diverses langues vernaculaires des textes liturgiques latins en conformité avec la constitution De sacra liturgia (4 décembre 1963)100, ou l’aggiornamento des modèles de formation sacerdotale dans les séminaires à la suite du décret Optatam totius (28 octobre 1965)101. Les mutations qui ont affecté la configuration des communautés protestantes en France sont d’une ampleur tout aussi considérable avec la lente décroissance des Églises dites historiques (Église réformée de France, Église luthérienne) et la poussée des mouvements évangéliques et en particulier des pentecôtistes, qui compteraient aujourd’hui 200 000 fidèles alors qu’ils n’étaient que quelques milliers en 1945102.
43Sur le second point, c’est-à-dire la crise culturelle dont l’ampleur a été révélée par les événements de 1968, on notera, par-delà la mise au jour de la fragilité des contrats langagiers sur lesquels repose une société, que l’un de ses effets, parmi d’autres, aura été la rupture du lien qui unissait en profondeur la culture républicaine laïque à la culture catholique, la première s’étant longtemps modelée sur cette dernière au-delà même de l’affrontement idéologique qui opposait l’Église à l’État. L’hypothèse d’une progressive « exculturation » du catholicisme au cours des trente ou quarante dernières années, pour reprendre l’expression employée par Danièle Hervieu-Léger, c’est-à-dire de l’amenuisement de sa « capacité à produire des significations collectivement partagées dont la source religieuse soit clairement identifiable », doit désormais être prise en considération, même si les traces du passé chrétien de la France sont encore bien visibles (ainsi lors des élections présidentielles ou législatives), à la manière dont les photographies aériennes permettent de déceler d’anciennes fortifications ou villae romaines enfouies, des routes ou des chemins qui ne sont plus parcourus103.
44Il reste que cette histoire religieuse sécularisée a aussi ses points aveugles et ses laissés pour compte. Il serait tout à fait illusoire d’imaginer que l’historien d’aujourd’hui est plus perspicace que celui d’hier. Même si les instruments d’analyse dont il dispose ont pu se perfectionner par rapport à ceux qu’utilisaient ses devanciers, sa production historiographique demeure relative au lieu où elle s’élabore104. Tout d’abord, la focalisation des études sur l’histoire sociale et culturelle de la religion, particulièrement dans le cas du catholicisme, a laissé largement de côté l’analyse de la littérature théologique. Faut-il y voir la marque, comme le suggère Jean-Louis Quantin, de « l’anti-intellectualisme volontiers cultivé par le catholicisme du second vingtième siècle105 » ou l’héritage ancien de partitions tacitement acceptées dans les objets d’analyse, attribuant aux clercs les questions de théologie, d’exégèse, ou de spiritualité106 ? Ce qui est sûr, c’est que le corpus théologique de l’époque moderne n’a été qu’à peine exploré : comme le note Bruno Neveu, il se trouve en quelque sorte défendu par « sa masse, son expression latine et sa présentation nécessairement technique ». Or, en dépit des succès de la théologie positive qui empruntait la voie historique et érudite pour exposer la foi, la théologie spéculative a continué à manifester, aux xviie et xviiie siècles, une belle vitalité dont on a sous-estimé, jusqu’à une date récente, « la persistante domination sur les esprits, en prenant pour argent comptant les défis et les sarcasmes lancés contre la scolastique moderne par les partisans de la théologie positive et les adeptes de la nouvelle philosophie107 ». Autre exemple à méditer : c’est méconnaître complètement le xixe siècle catholique que de ne pas faire toute leur place aux mariophanies et aux mariologies (au sens de discours organisés sur Marie) qui se sont développées pendant cette période et qui ne peuvent se réduire aux seuls énoncés dogmatiques prononcés et définis par le Magistère. C’est toute une anthropologie du fait marial dont il convient de restituer les cohérences ; celle-ci s’inscrit, pour une large part, dans une renaissance et une réappropriation de sanctuaires antérieurs, mais elle possède aussi ses caractères spécifiques qu’il s’agit d’analyser tels la romanisation de la piété, l’appel à la sculpture monumentale et le choix de nouveaux modèles iconographiques108. De ce point de vue, une histoire non confessionnelle du phénomène religieux telle qu’elle se pratique aujourd’hui en France se trouve désormais confrontée à des défis majeurs. La disparition des pasteurs protestants et des prêtres séculiers ou religieux catholiques qui étaient détenteurs de savoirs sur la théologie, l’exégèse ou la liturgie, pour ne citer que trois champs particuliers où ils étaient considérés comme des autorités « légitimes », requiert désormais que les historiens se dotent volontairement de compétences nécessaires dans ces domaines, compétences qui ne s’apprennent ni à l’université laïque d’État, ni non plus dans les facultés catholiques ou protestantes dont l’orientation vise davantage la vie présente des Églises que leur passé. Il est significatif que les questions les plus pertinentes posées à l’historiographie religieuse moderne soient venues d’historiens disposant d’une très forte formation théologique et philosophique en ces domaines, tels Émile Poulat, Michel de Certeau, François Laplanche, Bruno Neveu ou Bernard Roussel. Or si l’on veut comprendre en profondeur quel fut l’impact réel des querelles théologiques sur les fidèles, il est nécessaire de comprendre la mutation des positions adoptées sur telle ou telle question, le sens des condamnations et leur portée effective au niveau de la pratique, faute de quoi on manquerait sans doute un essentiel. Cette immense production, contrairement à un préjugé tenace, n’est certainement pas placée sous le signe de l’invariance. Bien plus, les énoncés théologiques ne doivent pas être analysés dans la seule perspective d’une histoire des dogmes – qui peut avoir sa légitimité – mais dans celle de leur énonciation concrète, de leur réception et de leur diffusion, de leur articulation avec des codes sacramentels et liturgiques, et avec les normes éthiques des comportements. C’est à ce prix seulement que nous pourrons saisir les enjeux des sociétés religieuses d’autrefois, la porosité ou l’étanchéité de leurs frontières, les passages des unes aux autres, les constructions progressives de leurs identités, les règles sur lesquelles s’accordent ou s’opposent les acteurs109.
45Ensuite, l’analyse socioculturelle laisse entière la question de l’appropriation et du for intime du croyant. Qu’en est-il de l’accueil des modèles de piété proposés et de la réception des Écritures chez tel individu, telle famille, telle communauté, qu’elle soit paroissiale, religieuse ou spirituelle ? C’est ici que le déplacement des intérêts de l’historiographie depuis les objets vers l’observation des pratiques – tel, dans le domaine de l’histoire du livre, le mouvement qui est allé d’une analyse matérielle de la bibliographie vers l’étude des pratiques de lecture110 – s’est révélé fécond, tout comme les hypothèses venues de l’anthropologie ont pu être essentielles à un renouvellement des questionnaires. L’un des auteurs qui a le plus contribué à ces transformations est sans doute Alphonse Dupront dont le rayonnement, au-delà de l’enseignement qu’il donna tant à l’École des hautes études en sciences sociales qu’à la Sorbonne, est récent, puisque le recueil d’articles intitulé Du sacré, précédé d’une longue étude sur son propre « itinéraire » intellectuel, a tout juste vingt années d’existence111 et que sa thèse sur le Mythe de croisade entièrement rédigée dès 1956 n’a été publiée qu’en 1997, soit quarante et un ans après sa soutenance112. L’approche singulière, par cet historien, d’une anthropologie du sacré, centrée sur les pèlerinages, les croisades ou l’iconographie, a nourri une série de recherches fécondes qui ont prolongé les pistes de travail qu’il proposait. Le monument historiographique qu’il a consacré à l’inscription du désir récurrent de croisade, après la fin des Croisades elles-mêmes, au sein de configurations politiques et religieuses très différentes a montré comment l’imaginaire occidental avait été imprégné, dans la longue durée, de poussées eschatologiques, de tentatives de faire advenir le règne de Dieu par la rencontre, à Jérusalem, de l’immanence et de la transcendance. Ce type d’interrogation a permis de revenir au centre même de questions religieuses qu’une approche moralisante ou controversiste interdisait de traiter : Denis Crouzet a pu, à partir de celles-ci, manifester la dynamique sacrale qui est à l’œuvre dans les troubles de religion. Ceux-ci ne sont pas réductibles à une pure analyse en termes socio-économiques pas plus qu’à une anthropologie qui déshistoriciserait les massacres. Par un examen précis du scénario des rituels de destruction et de tueries qui sont en jeu, on peut repérer la force d’une charge symbolique qui n’est plus lisible à notre conscience contemporaine et dégager le sens des systèmes de signes qu’ils énoncent : pour les papistes, poussés par la dénonciation prophétique de prédicateurs qui annoncent l’imminence de l’instauration du royaume de Dieu, les gestes constituent tout à la fois une dépossession d’eux-mêmes et l’affirmation de leur fidélité à Dieu, mais aussi l’expression, à travers l’acharnement sur le corps des huguenots, du dévoilement du mal absolu, de la « bête immonde » que ces derniers représentent. À l’inverse, les foules huguenotes agissent avec méthode, application, on pourrait presque dire avec planification et leurs actes peuvent s’interpréter comme des violences de la raison de la Parole de Dieu qui seraient destinées à assurer la glorification du Dieu de l’Évangile par l’extirpation de tout un système de signes permettant aux hommes de dialoguer avec le divin : images ou reliques au premier chef. Les interrogations venues de l’anthropologie ont ici permis d’approcher le versant le plus obscur des affrontements religieux, qu’une historiographie confessionnelle ou controversiste ne pouvait et ne voulait pas regarder en face : l’étrangeté, radicale pour nous, de ces violences a pu être décodée grâce à une analyse qui articule précisément énoncés et conditions d’énonciation des sermons et des prêches, organisation des campagnes de guerre et déploiement des codes rituels113. Une thèse récente sur les montagnes languedociennes au temps de la Révolution a montré combien montagne « patriote » et montagne « réfractaire » s’étaient affrontées sur le fond d’un réveil des vieux antagonismes religieux entre protestants et catholiques et de reviviscence des mémoires populaires des anciens conflits : guerres de Religion, guerres du duc de Rohan dans les Cévennes contre les troupes du roi Louis XIII (1621-1629) et guerres des Cévennes sous le roi Louis XIV. Des failles anciennes, qui ont modelé dans la longue durée les frontières entre les confessions, rejouent à l’occasion des épisodes violents qui accompagnent les réformes ecclésiastiques de l’Assemblée constituante puis l’action déchristianisatrice et la Terreur : la « bagarre » de Nîmes qui oppose les 14 et 15 juin 1790 catholiques et protestants ravive le souvenir de la Michelade, massacre perpétré par les protestants dans la même cité plus de deux siècles plus tôt (29 septembre 1567)114. Bien d’autres exemples auraient pu être choisis pour montrer la fécondité des apports de l’anthropologie à notre connaissance du phénomène religieux à l’époque moderne : ainsi pour l’étude des liturgies, des pèlerinages ou de la dévotion aux reliques. Je voulais seulement esquisser ici quelques-unes, parmi d’autres, des lignes de force qui ont récemment renouvelé l’approche des phénomènes religieux.
46Dans ce trop bref et trop partiel parcours, j’ai souhaité explorer les complexes assises sur lesquelles repose l’historiographie religieuse en France et qui permettent de comprendre ses spécificités et ses évolutions par rapport à celles, très différentes, que l’on peut observer en Allemagne ou en Italie. Celle-ci n’a conquis sa légitimité et son autonomie que lentement, tant à l’égard d’une histoire « ecclésiastique » et cléricale que vis-à-vis d’une histoire « laïque » qui ne voulait comprendre le phénomène religieux – et notamment les conflits, les violences et les agressions (par exemple des guerres de Religion ou de la Révolution) – qu’à travers des variables sociales, économiques ou politiques sans l’étudier pour lui-même, dans l’assurance tranquille que la culture religieuse relevait de la routine, de la superstition ou de la Contre-Révolution. Pour revenir au point d’où j’étais délibérément parti, c’est-à-dire aux condamnations romaines au temps de la Révolution française, on pourrait in fine se demander pourquoi l’histoire française du catholicisme est demeurée si longtemps et à ce point « gallicane » ou à tout le moins gallo-centrée, et si peu « romaine ». L’écriture de l’histoire religieuse aurait-elle un modus gallicus bien particulier et n’y faudrait-il pas voir la trace, inconsciente, laissée par des conflits anciens qui ne cessent de rejouer dans notre présent ? Nous n’avons qu’une poignée d’historiens qui s’intéressent à la papauté pour elle-même, même si plus nombreux sont ceux qui s’attachent à étudier les rapports entre Rome et la France. Pourtant, avec l’ouverture des archives romaines du Saint-Office et de l’Index, c’est toute une histoire des pratiques de lecture qui s’ouvre, et qui devrait permettre de mieux comprendre comment, à l’époque moderne, fonctionne l’articulation dialectique entre orthodoxie, hérésie, et de plus en plus hétérodoxie, et de saisir finement la diversité des grilles de lecture des censeurs. On pourrait faire les mêmes observations à propos de l’attitude des censeurs établis à l’intérieur des congrégations et ordres religieux pour filtrer la production spécifique à chacun d’eux. L’analyse des commentaires de l’Écriture, depuis les écrits théologiques jusqu’aux sermons et aux catéchismes, devrait aider à appréhender en profondeur les types d’appropriation communautaires qui ont pu s’élaborer. Il y a longtemps, en France, que l’on ne demande plus à l’historien du religieux s’il est croyant ou non, ce qui relève de sa conscience intime et non de son travail d’historien (même s’il est vrai que ce sont davantage des historiens de tradition catholique qui travaillent sur l’histoire du catholicisme, de tradition protestante sur celle du protestantisme, etc.). On lui demande seulement de rendre compréhensible à nos contemporains l’altérité d’un passé, qui nous est devenu opaque : l’historien ramène de ses fouilles aux limites temporelles de la société à laquelle il appartient un récit qui rend pensable un passé. S’agissant du passé spécifiquement religieux, il lui faut percevoir, dans le même mouvement, non seulement les modalités très diverses selon lesquelles des communautés ou des individus ont reconnu la Parole d’un Dieu incarné, ont cru en elle et s’en sont quotidiennement nourris, mais aussi le lent processus par lequel, à partir du xviie siècle, le système qui faisait des croyances le cadre de référence des pratiques s’est mué en éthique sociale, lézardant ainsi le socle de l’alliance entre un langage chrétien issu de l’Écriture et de la Tradition, et les pratiques sociales qui se désorbitent des dépendances religieuses115.
Notes de bas de page
1 Lucien Febvre, « La pratique religieuse et l’histoire de la France », in : id., Pour une histoire à part entière, Paris, SEVPEN, 1962, p. 834-835. Ce compte rendu du premier volume de l’Introduction à l’histoire de la pratique religieuse en France de Gabriel Le Bras a d’abord paru dans les Mélanges d’histoire sociale, 1943, p. 31-35. La recension, par le même Lucien Febvre, du second volume de cette Introduction, publié en 1945, a paru dans les Annales ESC, 1946, p. 350-351.
2 L’allusion de Lucien Febvre à l’Histoire socialiste : 1789-1900 dirigée par Jean Jaurès vise surtout le passage suivant (t. I, Paris, Jules Rouff, 1901, p. 539) : « L’immense majorité du peuple en 1780 et 1790 n’aurait pas souffert que l’État, rompant tout lien avec l’Église, proclamât que la religion était simplement une affaire privée. Il y avait dans l’ordre religieux un abîme entre la classe ouvrière d’aujourd’hui dont une partie est délibérément incroyante, et le peuple de 1780. Ne pas reconnaître cette prodigieuse différence des esprits et juger sévèrement l’œuvre religieuse de la Révolution française, c’est ignorer précisément le travail profond de la Révolution elle-même. Le peuple de 1789 était habitué, par les siècles, à considérer qu’il n’y avait pas de vie publique sans monarchie et religion. Et il ne dépendait pas de la Constituante de défaire en une minute, l’œuvre séculaire de servitude et de passivité. » Voir, plus globalement, les pages 539-548 de l’Histoire socialiste.
3 Régis Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : rapport au ministre de l’Éducation nationale, préface de Jack Lang, Paris, Odile Jacob – CNDP, 2002.
4 La loi votée par l’Assemblée nationale le 2 mars 2005 déclare dans son article 8 : « Les orientations et les objectifs de la politique nationale en faveur de l’éducation ainsi que les moyens programmés figurant dans le rapport annexé à la présente loi sont approuvés. » Le rapport annexé précise, à propos de l’enseignement de l’histoire du fait religieux : « L’enseignement du fait religieux est présent de manière diffuse dans les programmes de nombreuses disciplines : histoire, lettres, arts plastiques ou musique, et il peut facilement s’inscrire en langues et en philosophie, mais n’est toutefois ni clairement défini ni réellement structuré. Dans le monde d’aujourd’hui où le fait religieux marque tout à la fois l’actualité en permanence et constitue l’une des clés d’accès à la culture comme aux arts, cette situation ne peut être jugée satisfaisante. Il convient donc, dans le respect de la liberté de conscience et des principes de laïcité et de neutralité du service public, d’organiser dans l’enseignement public la transmission de connaissances et de références sur le fait religieux et son histoire. Cela suppose, en premier lieu, que les jeunes enseignants reçoivent eux-mêmes une formation spécifique adaptée en IUFM, et que l’enseignement du fait religieux figure aussi dans les plans de formation continue. Cela supposera, en second lieu, que des outils pédagogiques utiles soient conçus et réalisés. Cela supposera, enfin, une insertion judicieuse de cet enseignement dans les programmes des principales disciplines concernées. » L’amendement qui a abouti à ce texte avait été voté le 18 février précédent sur proposition de M. Jean-Pierre Brard, député (PCF) de Seine-Saint-Denis.
5 Revue d’histoire de l’Église de France, LXXII, 1986, p. 197 : compte rendu de l’Assemblée générale extraordinaire de la Société d’histoire ecclésiastique de la France en date du 7 décembre 1985.
6 Bernard Barbiche, « Guy Duboscq (1909-1994) », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXI, 1995, p. 389.
7 Voir « Debatte zur Namensänderung der „Zeitschrift fur schweizerische Kirchengeschichte“ », Zeitschrift für Schweizerische Kirchengeschichte, 96, 2002, p. 171-180 et, dans le même numéro, l’article de Franziska Metzger, « Die kulturgeschichtliche Wende in der zeitgeschichtlichen Freiburger Katholizismusforschung », p. 145-170. Voir aussi le compte rendu de l’Assemblée annuelle de l’Association d’histoire ecclésiastique suisse en date du 3 mai 2003 où le changement de titre est adopté (ibid., 97, 2003, p. 192-194) et l’éditorial de Urs Altermatt dans la première livraison parue sous le nouveau titre (Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, 98, 2004, p. 5-6). Les actes du colloque Religion, Geschichte, Gedächtnis, tenu à Fribourg les 28 et 29 avril 2006 pour le centième anniversaire de la revue, apportent une ample moisson d’indications sur le changement de paradigme : ils ont paru dans le no 100, 2006, de la même revue.
8 « Ogni vera storia è contemporanea », Benedetto Croce, Teoria e Storia della storiografia, Bari, Laterza, 1917 ; traduction française, Théorie et histoire de l’historiographie, Genève, Droz, 1968, p. 13-14.
9 Michel Péronnet, Les évêques de Vaurienne France, 2 volumes, Lille, Atelier de reproduction des thèses, 1977.
10 Albert Mathiez, Rome et le clergé français sous la Constituante. La Constitution civile du clergé. L’affaire d’Avignon, Paris, Armand Colin, 1911 ; voir particulièrement p. 1-11, 317-356, 398-417, 512-520.
11 Ibid., p. 10. L’historien le plus attaqué par Albert Mathiez est Pierre de La Gorce (1846-1934) dont la « récente et pieuse apologie » – il s’agit de l’Histoire religieuse de la Révolution française dont le premier volume a paru en 1909 – a pour principal défaut de ne jamais se demander « si la politique du pape pouvait avoir été influencée par d’autres intérêts que les intérêts spirituels » (p. 9).
12 Gérard Pelletier, Rome et la Révolution française : la théologie et 1a politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799), Rome, École française de Rome, 2004.
13 Texte cité ibid., p. 204-206. L’auteur est vraisemblablement le théologien Gian Vincenzo Bolgeni.
14 La Déclaration des Quatre Articles de l’Assemblée du clergé de France de 1682 est effectivement insérée à l’article XVI du Decreto della Fede e della Chiesa, voté le 20 septembre 1786 (Atti e decreti del Concilia diocesano di Pistoia dell’anno MDCCLXXXVI, Pistoia, Bracali, 1788, p. 81-83, réédition anastatique, Florence, Leo S. Olschki, 1986, par les soins de Pietro Stella).Voir également le second volume de cette édition par Pietro Stella : Introduzione storica e dacumenti inediti, Florence, Leo S. Olschki, 1986, p. 217-234.
15 Sur l’importance de la bulle Auctorem fidei, voir Philippe Boutry, « Tradition et autorité dans la théologie catholique au tournant des xviiie et xixe siècles. La bulle Auctorem fidei (28 août 1794) », in : Jean-Dominique Durand (dir.), Histoire et théologie. Actes de la journée d’études de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine, Paris, Beauchesne, 1994, p. 59-82 ; Philippe Boutry, « Autour d’un bicentenaire : la bulle Auctorem fidei (28 août 1794) et sa traduction française (1850) par le futur cardinal Clément Villecourt », Mélanges de l’École française de Rome Italie et Méditerranée, 106-1, 1994, p. 203-261 ; Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontificat romain de la bulle In eminenti (1643) à la bulle Auctorem fidei », in : id., Érudition et religion aux xviie et xviiie siècles, Paris, Albin Michel, 1994, p. 385-450 ; G. Pelletier, Rome et la Révolution française., op. cit. (note 12), p. 285-299.
16 G. Pelletier, Rome et la Révolution française..., op. cit. (note 12), p. 298-299. La réaction janséniste à la bulle semble avoir été très faible.
17 Daniel Nordman (éd.), L’École normale de l’an III. Leçons d’histoire, de géographie d’économie politique, Paris, Dunod, 1994, p. 61-65, première leçon datée du 3 pluviôse an III (22 janvier 1795).
18 Voir G. Pelletier, Rome et la Révolution française..., op. cit. (note 12), p. 527-528, 534.
19 Ibid., p. 499-507.
20 Sur le voyage de Pie VII dans la capitale française, voir Jean-Marc Ticchi, « De Rome à Paris à la suite de Pie VII : la visite de l’abbé Cancellieri en France lors du sacre de Napoléon Ier (1804-1805) d’après son journal de voyage », Benedictina, 51-2, 2004, p. 335-436 ; id., « Les manifestations de la dévotion au pape au cours du voyage de Pie VII à Paris en 1804-1805 », Revue d’histoire de l’Église de France, 93, 2007, p. 429-460.
21 Voir sur les bibliothèques religieuses à la fin de l’Ancien Régime Dominique Varry, « Les bibliothèques monastiques en 1789 », in : Yves Krumenacker (dir.), Religieux et religieuses pendant la Révolution (1770-1820), vol. 1, Décadence ou ferveur ? Actes du colloque de la faculté de théologie de l’université catholique de Lyon (15 au 17 septembre 1992), Lyon, Profac, 1995, p. 121-145 ; Marie-Hélène Froechlé-Chopard (dir.), Livres et culture du clergé à l’époque moderne, Actes du colloque de Marseille (31 mars-1er avril 1995), Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXIII, 1997, p. 15-225 ; Bernard Dompnier et Marie-Hélène Froeschlé-Chopard (dir.), Les religieux et leurs livres à l’époque moderne. Actes du colloque de Marseille-EHESS, 2 et 3 avril 1997, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000.
22 Voir à cet égard Bruno Neveu, L’erreur et son juge, remarques sur les censures doctrinales à l’époque moderne, Naples, Bibliopolis, 1993, p. 81-128 ; id., « De la gloire à la survie : les facultés de théologie en France du xiiie siècle au xixe siècle », Revue des sciences religieuses, 78, 2004, p. 91-104.
23 Voir à ce propos B. Neveu, Les facultés de théologie catholique de l’Université de France, 1808-1885, Paris, Klincksieck, 1998.
24 Voir, pour la faculté de Montauban, les « Mémoires du pasteur Pierre Souché (1804-1878) » présentés et annotés par André Encrevé, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 133, 1987, p. 621-643 : le mémorialiste y dénonce les séries de promotions de professeurs faites sans tenir compte des vœux des Églises.
25 Paul Pisani, Répertoire biographique de l’épiscopat constitutionnel (1791-1802), Paris, Alphonse Picard, 1907, p. VIII.
26 Voir par exemple parmi d’autres, Abbé Guy-Toussaint-Julien Carron, Les confesseurs de la foi dans l’Église gallicane, à la fin du xviiie siècle, ouvrage rédigé sur des mémoires authentiques, Paris, A. Leclère, 1820, 4 volumes ; Abbé Aimé Guillon, Les martyrs de la foi pendant la Révolution française, ou Martyrologie des pontifes, prêtres, religieux, religieuses, laïcs de l’un et de l’autre sexe, qui périrent alors pour la foi, Paris, Germain Mathiot, 1821,4 volumes.
27 Voir Philippe Boutry, « Vertus d’état et clergé intellectuel : la crise du modèle sulpicien dans la formation des prêtres français du xixe siècle », in : Problèmes d’histoire de l’éducation. Actes des séminaires de l’École française de Rome et de l’Università di Roma-La Sapienza (janvier-mai 1985), Rome, École française de Rome, 1988, p. 207-228 ; Michel Launay, Les séminaires français aux xixe et xxe siècles, Paris, Cerf, 2003, p. 91-113. On notera cependant sur la création par Mgr Affre, archevêque de Paris, de l’École des Carmes : Brigitte Waché, « L’École des Carmes 1845-1875 », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXI, 1995, p. 237-255. Voir aussi Jacques-Olivier Boudon, « L’épiscopat français et le développement des hautes études ecclésiastiques au xixe siècle », ibid., p. 219-235.
28 Voir les statuts de la Société de l’histoire du protestantisme français, titre I, articles 1 et 2, statuts établis en mai 1852 et publiés dans le Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1re année, 1853, p. 6-7 ainsi que le « Cadre des travaux » de la Société qui développe le sens de ces articles, p. 9-11.
29 Voir à ce propos Laurent Theis, « Guizot et les institutions de mémoire », in : Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, vol. 2-1, La nation, Paris, Gallimard, 1986, p. 569-592.
30 « Circulaire du Comité » des douze membres fondateurs de la Société, juin 1852, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1re année, 1853, p. 11-14.
31 Voir Philippe Joutard, « Le musée du désert. La minorité réformée », in : Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, vol. 3, Les France, 1, Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 530-569. Cette œuvre de mémoire se poursuit encore aujourd’hui : voir, par exemple, Daniel Langlois-Berthelot, « Deux témoignages de la mémoire protestante » (Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 149, 2003, p. 307-322), qui évoque la restauration, le 12 juin 2000, d’une stèle érigée le 25 mai 1896 à La Combe-Les-Loges (Charente) rappelant le souvenir des assemblées tenues en ce lieu à l’époque des persécutions, et l’érection d’une nouvelle plaque, le 25 août 2002, à Grand-Ry (Charente) pour commémorer le drame survenu le 22 février 1688 à cet endroit où les dragons, surprenant une assemblée en prière, tuèrent plusieurs centaines de personnes. Une première plaque avait été apposée le 3 juin 1951 sur le mur d’une grange voisine (ibid., 98, 1952, p. 197-209).
32 Voir l’introduction au premier numéro de la revue rédigée par son fondateur le marquis Gaston Du Fresne de Beaucourt : Revue des questions historiques, 1, 1866, p. 5-10. L’auteur entend entreprendre un « grand travail de révision historique » : « Toute l’histoire de l’Église est à reprendre en sous-œuvre. Loin de nous la pensée de contester le mérite des travaux dont l’érudition moderne, et surtout l’érudition allemande a enrichi la science. Mais il reste à triompher de préjugés trop répandus encore et qui s’imposent à l’opinion ; il faut vulgariser les progrès acquis et montrer qu’il n’y a jamais prescription contre la vérité. » (p. 7)
33 Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française 1870-1914, Paris, Presses universitaires de France, 1959.
34 Voir André Encrevé, « La fondation de la faculté de théologie protestante de Paris », Études théologiques et religieuses, 1977, p. 337-370 ; id., « Politique et religion à l’aube de la IIIe République : la nomination des professeurs de la faculté de théologie de Paris (1877-1879) », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 123, 1977, p. 477-553 ; Daniel Robert, « La faculté de théologie protestante de Paris de 1877 à 1906 : essai d’aperçu général », ibid., p. 554-616.
35 Voir les actes du colloque Les protestants dans les débats de la Troisième République, Paris, 3-6 octobre 1978, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 125-5, 1979.
36 Voir à ce propos Patrick Cabanel, « L’institutionnalisation des sciences religieuses en France (1879-1908) », ibid., 140, 1994, p. 33-79 ; id., Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 ; id., « Les intellectuels protestants, des intellectuels organiques de la Troisième République », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 149, 2003, p. 401-418.
37 Voir Jean Baubérot (dir.), Cent ans de sciences religieuses en France à l’École pratique des hautes études, Paris, Cerf, 1987, particulièrement les contributions de François Laplanche, « Philosophie et histoire des religions en France au xixe siècle », p. 33-48 et d’Émile Poulat « L’institution des “sciences religieuses” », p. 49-78. Émile Poulat a développé ce dernier texte dans Liberté, laïcité. La guerre des deux France et le principe de modernité, Paris, Cerf-Cujas, 1987, p. 285-334 ; François Laplanche, La Bible en France entre mythe et critique, xvie-xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1994.
38 Voir l’article liminaire du premier numéro de la Revue de l’histoire des religions, 1880, rédigé par Maurice Vernes ; François Laplanche, « La méthode historique et l’histoire des religions ; les orientations de la Revue de l’histoire des religions », in : Michel Despland (dir.), La tradition française en sciences religieuses. Pages d’histoire, Québec, Université Laval (Les cahiers de recherche en sciences de la religion, 10), 1991, p. 85-105 ; Patrick Cabanel, « Un fils prodigue du protestantisme : Maurice Vernes (1845-1923) et l’histoire des religions », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 149, 2003, p. 481-510 ; voir également l’introduction de François Laplanche au volume 9, Les sciences religieuses, du Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, Paris, Beauchesne, 1996, p. VI-XXV, et la notice « Maurice Vernes », p. 660-661.
39 Voir Michel Despland, « Les sciences religieuses en France : des sciences que l’on pratique mais que l’on n’enseigne pas », Archives de sciences sociales des religions, 46-116, 2001, p. 5-25.
40 On doit pourtant noter en 1906, soit immédiatement après la séparation des Églises et de l’État, la création d’une chaire d’une « histoire des idées et de la littérature chrétiennes depuis le xvie siècle à nos jours » à la Sorbonne, dont le but était de donner leur place aux faits religieux dans l’Université laïque : son premier titulaire fut Alfred Rébelliau, dont la thèse de doctorat avait porté en 1891 sur Bossuet, historien du protestantisme. Cet enseignement entrait dans le cadre d’une nouvelle section d’histoire du christianisme à la faculté des lettres de Paris, où Charles Guignebert occupait la chaire d’histoire du christianisme antique qu’il inaugura en affirmant que « l’histoire chrétienne est une histoire comme les autres » qui sera « étudiée dans l’absolue sérénité de l’indifférence scientifique ». À la vérité selon la foi, l’université républicaine oppose les limites de la raison dans le cadre d’une histoire comparée des religions. Voir à ce propos François Laplanche, La crise de l’origine. La science catholique des Évangiles et l’histoire au xxe siècle, Paris, Albin Michel, 2006, p. 27-28, 30-38, 116-120.
41 Voir l’article inaugural de Gabriel Monod dans le premier numéro de la Revue historique, « Du progrès des études historiques en France depuis le xvie siècle », republié dans Revue historique, CCLV, 1976, p. 297-324 ; voir également Charles-Olivier Carbonell, « La naissance de la Revue historique. Une revue de combat 1876-1885) », (ibid., p. 331-351. La dernière citation est extraite d’un compte rendu du livre de Martin Philippson, professeur à l’université de Bruxelles, Les origines du catholicisme moderne. La Contre-Révolution religieuse au xvie siècle (Bruxelles, Muquardt, 1884), ibid., XXVI, 1884, p. 106, où Gabriel Monod expose ses idées personnelles. Voir également Charles-Olivier Carbonell, Histoire et historiens, la mutation idéologique des historiens français (1865-1885), Paris, Privat, 1976, p. 436-444 et 495-583 (sur la méthodologie historique de la revue et ses rapports avec l’historiographie allemande).
42 Émile Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris, Casterman, 1962 ; id., Modernistica : horizons, physionomies, débats, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1982 ; id., Liberté, laïcité : la guerre des deux France et le principe de modernité, Paris, Cerf-Cujas (Éthique et Société), 1988.
43 Pierre Colin, L’audace et le soupçon : la crise moderniste dans le catholicisme français, 1893-1914, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.
44 F. Laplanche, La crise de l’origine..., op. cit. (note 40).
45 François Laplanche, L’écriture, le sacré et l’histoire : érudits et politiques protestants devant la Bible au xviie siècle, Amsterdam, Holland University Press, 1986 ; id., La Bible en France..., op. cit. (note 37) ; id., La crise de l’origine..., op. cit. (note 40).
46 Voir l’autobiographie intellectuelle à laquelle se livre Bernard Roussel dans l’article : « De l’exégèse à l’anthropologie historique : une explication en guise d’un au revoir ! », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 150, 2004, p. 462-472 ; Christian Grosse, « Le rituel comme commentaire », ibid., p. 473-480 ; Philippe Büttgen, « Les normes et leur interprétation. De l’histoire de l’Église à l’histoire de l’exégèse dans les travaux de Bernard Roussel », ibid., p. 481-496, et la liste des travaux de Bernard Roussel, ibid., p. 497-505.
47 Voir en particulier la lettre de l’abbé Duchesne à Maurice Vernes en date du 31 janvier 1881 où il refuse la collaboration qui lui est offerte à la Revue de l’histoire des religions, citée par Brigitte Waché, Monseigneur Louis Duchesne 1843-1922. Historien de l’Église, directeur de l’École française de Rome, Rome, École française de Rome, 1992, p. 252.
48 Voir la lettre de Mgr d’Hulst à l’abbé Duchesne en date du 28 août 1885, citée par Brigitte Waché, ibid., p. 221 : « Cela m’a fait regretter que vous ayez trop peu de goût, et aussi trop peu d’estime pour la théologie. Pour mettre les théologiens à la raison, il faudrait être un peu des leurs et ne pas les dédaigner en bloc. Ce dédain est-il dans votre esprit ? En tous les cas, il est sur vos lèvres, sous votre plume [...]. Une autre chose que je regrette, c’est que vous n’ayez pas encore eu l’occasion de rien écrire pour la défense directe de la vérité chrétienne. Toute votre vie est consacrée à la défense indirecte, et vous avez cent fois raison de craindre l’apologie hâtive [...|.Vous êtes prêtre, vous avez une revue à vous, et vous êtes encore vierge d’un article qui conclue pour la foi. C’est peut-être ce qui scandalise le plus. »
49 Ibid., p. 191. Voir aussi Bernard Joassart (éd.), Monseigneur Duchesne et les Bollandistes. Correspondance, Bruxelles, Société des Bollandistes, 2002.
50 Voir B. Waché, Monseigneur Louis Duchesne..., op. cit. (note 47), p. 601-603, particulièrement la lettre de Mgr Duchesne à Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, en date du 9 décembre 191 1 : « Il s’agit de la conception même de l’histoire telle que, me semble-t-il, elle a prévalu jusqu’ici. On exige de moi une histoire surnaturelle, édifiante, apologétique ; j’avais cru que l’histoire doit se consacrer d’être véridique et que, sauf en certaines vues d’ensemble, elle doit se restreindre à l’étude des causes secondes. Voir de son mieux, d’après des documents authentiques, ce qui s’est passé au regard des hommes, puis l’exposer le plus clairement à ses contemporains en une langue qu’ils puissent comprendre, tel est, me semble-t-il, le rôle de l’historien : scribitur ad narrandum non ad probandum. »
51 Victor Carrière, « Discours prononcé le 11 février 1936 lors du dîner destiné à fêter la promotion au cardinalat de Mgr Baudrillart, président de la Société d’histoire ecclésiastique », Revue d’histoire de l’Église de France, XXII, 1936, p. 135-136.
52 Lettre-circulaire du cardinal Francesco Satolli, préfet de la Congrégation des Études à la Curie romaine, 10 septembre 1906, texte cité (d’après Questions actuelles, 1er décembre 1906) par É. Poulat, Liberté, laïcité..., op. cit. (note 37), p. 348-349.
53 Voir Bernard Barbiche, « La société d’histoire religieuse de la France », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXVI, 2000, p. 707-716 ; Claude Savart, « La Revue d’histoire de l’Église de France : analyse rétrospective », Revue d’histoire de l’Église de France, LXVIII, 1982, p. 5-29.
54 Voir Sylvain Milbach, Prêtres historiens et pèlerinages dans le diocèse de Dijon (1860-1914), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2000.Voir également Des bénédictins érudits aux prêtres régionalistes, Actes du colloque de Montpellier, juin 1983, Revue d’histoire de l’Église de France, LXXI, 1985, p. 5-118.
55 Les prêtres érudits s’inscrivent ici très clairement dans la tradition inaugurée dès la Révolution française par Pierre d’Hesmivy d’Auribeau, ancien oratorien devenu vicaire général de l’évêque de Digne puis émigré à Rome, qui écrit des Mémoires pour servir à l’histoire de la persécution française, recueillis par l’ordre de Notre Très Saint Père le Pape Pie VI et dédiés à Sa Sainteté, 2 volumes, Rome, Louis Perego Salviani, 1794-1795.
56 P. Pisani, Répertoire biographique..., op. cit. (note 25), p. ix.
57 Victor Carrière, Introduction aux études d’histoire ecclésiastique locale, t. I, Les sources manuscrites, Paris, Letouzey et Ané, 1940 ; t. II, L’histoire locale à travers les âges, Paris, Letouzey et Ané, 1934 ; t. III, Questions d’histoire générale à développer dans le cadre régional ou diocésain, Paris, Letouzey et Ané, 1936.
58 Dès les années 1920-1930, les traits les plus accusés de cette historiographie cléricale commencent en effet à s’estomper. Il suffit de songer aux travaux sur l’histoire politique des protestants français aux xviie et xviiie siècles (1920 et 1925) de l’abbé Joseph Dedieu (1878-1960), qui s’interdit toute discussion dogmatique ou polémique, ou à ceux de Μgr Joseph Roserot de Melin, ancien membre de l’École française de Rome : la contribution de ce dernier dans l’ouvrage de V. Carrière cité à la note précédente, « L’établissement du protestantisme en France jusqu’aux guerres de religion » (op. cit., t. III, p. 133-246), contraste vivement avec celle, résolument antiprotestante, de l’abbé Carrière lui-même, « Les épreuves de l’Église de France au xvie siècle » (ibid., p. 247-509).
59 Sur ces modifications tant dans l’exégèse que dans l’histoire des origines chrétiennes, sous l’impulsion de la critique de la Formgeschichte, incarnée par Bultmann, voir F. Laplanche, La crise de l’origine..., op. cit. (note 40) ; Pierre Colin (dir.), Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920, Paris, Cerf, 1997 ; Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.
60 Voir Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 74-78.
61 Voir Lucien Febvre, Au cœur religieux du xvie siècle, Paris, SEVPEN, 1957, p. 146, et p. 301-309.
62 Voir tout particulièrement Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 1942 ; id., Origène et Des Périers ou l’énigme du « Cymbalum Mundi », Paris, Droz, 1942. Rendant compte de ces deux ouvrages, Pierre Jourda écrivait en 1943 : « À l’heure où [...] l’on pouvait croire connaître le xvie siècle et se faire de lui une image exacte, Lucien Febvre, en deux ouvrages également ardents, nous propose une nouvelle façon d’interpréter le siècle de la Renaissance [...]. Il rend au siècle sa véritable physionomie » ; et il ajoute à propos du livre sur Rabelais : « son livre fera époque » (« Le problème de l’incrédulité au xvie siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, XXIX, 1943, p. 262-275).
63 On se reportera ici à l’excellente analyse de Roger Chartier dans son chapitre « Histoire intellectuelle et histoire des idées », in : id., Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998, p. 27-66.
64 Lucien Febvre, « La dévotion en France au xviie siècle », Revue de synthèse historique, 52, 1932, p. 199-203 (citation p. 199-200). On n’a souvent voulu retenir de ce compte rendu que le développement initial du recenseur : « Et comme j’en voudrais plus, et cent fois plus, et mille fois plus », alors qu’il s’exclame un peu plus loin : « Qu’il [ce livre] est riche cependant ! d’esprit et de savoir ; de malice et d’émotion, d’intelligence et de sensibilité aux idées, aux sentiments, aux personnes humaines. » Le tome IX de l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France a paru cette même année 1932.
65 Michel de Certeau, « La métaphysique des saints. Une interprétation de l’expérience religieuse moderne », in : Jean Dagens et Maurice Nédoncelle (dir.), Entretiens sur Henri Bremond, Paris-La Haye, Mouton, 1967, p. 113-141, repris in : Michel de Certeau, Le lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, Paris, Seuil-Gallimard (Hautes Études), 2005, chap. iii, « Henri Bremond, historien d’une absence », p. 59-88.
66 Émile Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux. Genèse et stratégie d’une entreprise littéraire, Paris, Ophrys, 1982 ; id., Henri Bremond historien de la « faim de Dieu », Grenoble, Jérôme Millon, 2006.
67 Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de Religion jusqu’à nos jours, édition intégrale et augmentée sous la direction de François Trémolières, Grenoble, Jérôme Millon, 2006, 5 volumes.
68 Voir É. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux..., op. cit. (note 66), p. 125-158, 221-233, 238-273 ; id., « Un historien : le cas Bremond », in : id., Henri Bremond historien de la « faim de Dieu », op. cit. (note 66), p. 191-212.
69 Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, 5 volumes, Paris, 1840-1859. Sur ce livre, voir Pour ou contre Sainte-Beuve. Le « Port-Royal », Chroniques de Port-Royal, no 42, 1993.
70 Voir à ce propos Henri Gouhier, « Conclusions », in : J. Dagens et M. Nédoncelle (dir.), Entretiens..., op. cit. (note 65), p. 215-220 et dans le même ouvrage la contribution de Louis Cognet, « Bremond et Port-Royal », p. 99-108, qui souligne la faiblesse de l’œuvre de Bremond sur Port-Royal.
71 Voir à ce propos Jean-Pierre Jossua, Pour une histoire religieuse de l’expérience littéraire, Paris, Beauchesne, 1985 ; id., « Le jeune Bremond et la littérature », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 84, 2000, p. 623-633 ; Dinah Ribard, « L’anachronique ou l’éternel. L’abbé Bremond et l’histoire littéraire », Cahiers du Centre de recherches historiques, 28-29, 2002, p. 39-54 ; Sophie Houdard, « Humanisme dévot et “histoire littéraire” », introduction au volume 1 de l’édition de l’Histoire littéraire du sentiment religieux... publiée en 2006, op. cit. (note 65), p. 23-51.
72 Voir à ce propos Emile Poulat, L’Université devant la mystique. Expérience de Dieu sans mode. Transcendance du Dieu d’Amour, Paris, Salvator, 1999 ; et la réédition des textes de Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, introduction d’Emile Poulat, Paris, Salvator, 1999 (1re édition, 1924 ; 2e édition revue et augmentée, 1931) ; id., L’intelligence mystique, textes choisis et présentés par Jean-Louis Vieillard-Baron, Paris, Berg International, 1985. L’œuvre de Jean Baruzi subit les foudres des théologiens catholiques.
73 Voir Joseph Rogé, Le simple prêtre, sa formation, son expérience. Tournai, Casterman, 1965, p. 92-106 (l’oraison au grand séminaire). Analysant les mouvements de pensée et de sensibilité collective dans les grands séminaires français entre 1890 et 1950, l’auteur souligne la présence d’une période « mystique » immédiatement après la Première Guerre mondiale (1918-1925), où l’accent est mis sur la vie mystique avec l’impact de l’Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux. La publication de l’Histoire littéraire a pu bénéficier de ce climat religieux (p. 132).
74 Lucien Febvre, « La pratique religieuse et l’histoire de la France », in : id., Pour une histoire à part entière, Paris, SEVPEN, 1962, p. 834-843. Cet article regroupe deux comptes rendus parus l’un dans les Mélanges d’histoire sociale, 1943, p. 31-35, l’autre dans les Annales ESC, 1946, p. 350-351 sur les deux volumes de l’Introduction à l’histoire de la pratique religieuse en France de Gabriel Le Bras en 1942 et 1945, Paris, Presses universitaires de France (Bibliothèque de l’École pratique des hautes études, Sciences religieuses).
75 Gabriel Le Bras, « Statistique et Histoire religieuses. Pour un examen détaillé et pour une explication historique de l’état du catholicisme dans les diverses régions de France », Revue d’histoire de l’Église de France, XVII, 1931, p. 425-449, texte repris in : id., Études de sociologie religieuse, vol. 1, Paris, Presses universitaires de France, 1955, p. 1-24. Il conviendrait, en outre, de s’interroger pour savoir dans quelle mesure le choix délibéré du terrain de la pratique ne s’inscrit pas, chez Gabriel Le Bras, dans un refus d’aborder les questions théologiques après les condamnations romaines du modernisme.
76 G. Le Bras, Introduction..., op. cit. (note 74), vol. 1, p. 18-19.
77 Nous nous permettons ici de renvoyer à notre article, Dominique Julia, « Un passeur de frontières. Gabriel Le Bras et l’enquête sur la pratique religieuse en France », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXXII, 2006, p. 381-413. Voir également la contribution de Bernard Dompnier dans ce volume.
78 Bernard Groehuysen, Origines de l’esprit bourgeois en France, t. I, L’Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1927 ; 2e édition, Paris, Gallimard, 1956 ; 3e édition, Paris, Gallimard (Tel), 1977. Sur ce livre, on pourra se reporter au dossier dirigé par Bernard Hours et Catherine Maire, Catholicisme et bourgeoisie. Retour sur les Origines de l’esprit bourgeois en France, Actes de la table ronde sur Bernard Goethuysen, Lyon, 2002, Cahiers du Centre de recherches historiques, 32, octobre 2003.
79 Lettre datée de la dernière semaine d’octobre 1929, Marc Bloch, Lucien Febvre, Correspondance, édition établie, présentée et annotée par Bertrand Müller, vol. 1, La naissance des Annales 1928-1933, Paris, Fayard, 1994, p. 224-225. Lucien Febvre répond à une lettre, aujourd’hui perdue, de Marc Bloch, où celui-ci, qui fait un séjour de travail à Berlin, proposait pour leur revue commune, les Annales, la collaboration de Bernard Groethuysen, qu’il a probablement rencontré, puisque ce dernier exerce son activité de Privatdozent à l’université de Berlin pendant les semestres d’été.
80 Voir l’article de Bernard Hours, « Réception et fortune historiographique des Origines de l’esprit bourgeois », in : B. Hours et C. Maire (dir.), Catholicisme et bourgeoisie..., op. cit. (note 78), p. 33-55.
81 Voir François Chaubet, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2000.
82 Voir le chapitre « Histoire des mentalités » qu’il a rédigé in : Charles Samaran (dir.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard (Encyclopédie de la Pléiade, 11), 1961, p. 927-966.
83 Philippe Ariès, Attitudes devant la vie et la mort du xviie au xixe siècle, quelques aspects de leurs variations, Paris, Institut national d’études démographiques, 1949 ; id., L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960.
84 Robert Mandrou, Introduction à la France moderne (1500-1640). Essai de psychologie historique, Paris, Albin Michel, 1961.
85 René Taveneaux, Le jansénisme en Lorraine, 1640-1789, Paris, Vrin, 1960.
86 Voir Problèmes et méthodes d’histoire des religions. Mélanges publiés par la section des Sciences religieuses à l’occasion du centenaire de l’École pratique des hautes études, Paris, Presses universitaires de France, 1968, p. 251-274 ; Émile-Guillaume Léonard, Histoire générale du protestantisme, 3 volumes, Paris, Presses universitaires de France, 1961-1964.
87 Voir la préface de Jacques Le Brun, « Jean Orcibal 1913-1991 », in : Jean Orcibal, Études d’histoire et de littérature religieuses, xvie-xviiie siècles, études réunies et présentées par Jacques Le Brun et Jean Lesaulnier, Paris, Klincksieck, 1997, p. 7-21.
88 Plutôt que de proposer une bibliographie qui dépasserait les limites de cette contribution, on se permet de renvoyer aux actes du colloque organisé par la Société d’histoire religieuse de la France, l’École nationale des chartes et le Centre de recherches historiques sur les sociétés et les cultures de l’Ouest européen, Rennes, 15 septembre 1999 : Un siècle d’histoire du christianisme en France. Bilan historiographique et perspectives publié dans Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXVI, 2000, p. 321-769.Voir également les bilans historiographiques de Claude Langlois : « Des Études d’histoire ecclésiastique locale à la sociologie religieuse historique. Réflexions sur un siècle de production historiographique », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXII, 1976, p. 328-346 ; « Trente ans d’histoire religieuse », Archives de sciences sociales des religions, 63-1,1987, p. 85-114.
89 André Latreille, Étienne Delaruelle, Jean-Rémy Palanque et Réné Rémond (dir.), Histoire du catholicisme en France, 3 volumes, Paris, Spes, 1957-1962.
90 Claude Langlois, « Faire l’histoire du christianisme », in : Jean-Marie Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez et Marc Venard (dir.), Histoire du Christianisme, vol. 14, François Laplanche (dir.), Anamnèse, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 15-35.
91 On lira avec intérêt la diversité des réponses de vingt-cinq historiens aux questions posées par Jean Delumeau sur les rapports réciproques entre convictions religieuses et pratique historiographique, Jean Delumeau (dir.), L’historien et la foi, Paris, Fayard, 1996.
92 Jean Delumeau, au nom du « nouveau » modèle de christianisme qu’il appelle de ses vœux, ne s’interdit pas des jugements de valeur sévères sur « l’ancien » modèle qu’il a étudié dans ses ouvrages, inversant ainsi le vieux cadre apologétique ; voir son chapitre « L’historien chrétien face à la déchristianisation », ibid., p. 83-99 et ses ouvrages : Le christianisme va-t-il mourir ? Paris, Hachette, 1977 ; Un chemin d’histoire. Chrétienté et christianisation, Paris, Fayard, 1981.
93 Enquête de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) réalisée sur 30 000 personnes, La Croix, 14 août 2006.
94 Voir Hervé Le Bras et Monique Lefebvre, « Une population en voie d’extinction : le clergé français », Population, 38-2, 1983, p. 396-403 ; Martine Sevegrand, Vers une Église sans prêtres. La crise du clergé séculier en France (1945-1978), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, où l’auteur insiste sur les départs du clergé séculier entre 1965 et 1974 ; Denis Pelletier, La crise catholique : religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002. Depuis 2004, les ordinations de prêtres diocésains sont inférieures à la centaine par année.
95 Voir à ce propos Yves Lambert, Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de 1900 à nos jours, Paris, Cerf, 1985.
96 M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, op. cit. (note 60), p. 117-120.
97 Comme l’a montré le récent motu proprio Summorum Pontificum (7 juillet 2007) du pape Benoît XVI, accompagne d’une lettre aux évêques, sur l’usage de la liturgie en langue latine.
98 Voir les chroniques écrites sur le vif par Alphonse Dupront pour le journal Le Figaro, « Vatican II : chroniques d’un événement “spirituel” », in : id., Genèses des Temps modernes. Rome, les réformes et le Nouveau Monde, textes réunis et présentés par Dominique Julia et Philippe Boutry, Paris, Gallimard-Seuil, 2001, p. 337-351, et son article « L’Église et le monde. Réflexions phénoménologiques sur Vatican II et la Constitution Gaudium et Spes », ibid., p. 353-370. La masse des journaux rédigés par des participants au concile (évêques, experts, observateurs) et désormais publiés permet aujourd’hui de prendre pleinement en considération cette dimension.
99 Selon l’expression du cardinal Joseph Ratzinger, in : Joseph, cardinal Ratzinger et Vittorio Messori, Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 1985, p. 32. Le prélat oppose la redécouverte du « vrai » concile qui n’est pas « rupture » mais « continuité » de la Tradition à un « prétendu “esprit” du concile qui, en réalité, en est un véritable “anti-esprit” » (p. 30-39). Pour expliquer la crise de l’Église catholique, il met en cause à l’intérieur des « forces latentes, agressives et centrifuges » et, à l’extérieur, « l’impact d’une révolution culturelle en Occident » conduite par « la nouvelle “bourgeoisie du tertiaire” avec son idéologie libéralo-radicale de type individualiste, rationaliste, hédoniste » (p. 31-32). Devenu le pape Benoît XVI, Joseph Ratzinger a repris la même thématique dans son discours à la Curie romaine à l’occasion de la présentation des vœux de Noël (22 décembre 2005), opposant une « herméneutique de la continuité » à une « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » qui provoque de la confusion et citant, à ce propos, un passage du De spiritu sancto de saint Basile, qui évoque ainsi la situation de l’Église après le concile de Nicée : « Le cri rauque de ceux qui, en raison de la discorde, se dressent les uns contre les autres, les bavardages incompréhensibles, le bruit confus des clameurs ininterrompues a désormais rempli presque toute l’Église en faussant, par excès ou par défaut, la juste doctrine de la foi... » Voir à ce propos les réflexions de Gilles Routhier, Vatican II. Herméneutique et réception, Montréal, Fides, 2006 ; Christoph Theobald (dir.), Vatican II sous le regard des historiens : colloque du 23 septembre 2005 Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, Paris, Médiasèvres, 2006, colloque tenu à l’occasion de l’achèvement de l’édition française de l’ouvrage dirigé par Giuseppe Alberigo (dir.), Histoire du concile Vatican II (1959-1965), 5 volumes, Paris, Cerf et Louvain, Peteers, 1997-2005.
100 Voir, pour la France, Florian Michel, « Entre traduction et tradition : philosophes, philologues et théologiens dans un débat conciliaire », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXXII, 2006, p. 434-475. Il conviendrait naturellement de faire une analyse comparée de ce type de travail dans les divers pays de la catholicité.
101 Il manque encore, sur la crise des séminaires français au cours des quarante dernières années, des études d’ensemble solides. Sur l’évolution récente du statut social du prêtre, voir Céline Béraud, Le métier de prêtre : approche sociologique, Paris, Éditions de l’Atelier, 2006.
102 Sébastien Fath, « Baptistes et pentecôtistes en France, une histoire parallèle ? Le baptisme, une culture d’accueil du pentecôtisme (1820-1950) », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 146, 2000, p. 523-567 ; id., Du ghetto au réseau : le protestantisme évangélique en France (1800-1905), Genève, Labor & Fides, 2005.
103 Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003. L’auteur examine en particulier les mutations contemporaines de la famille, p. 169-205. Voir déjà les remarques de Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, p. 183-226 et 253-263.
104 M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, op. cit. (note 60), p. 65-79.
105 Jean-Louis Quantin, « Le rigorisme : sur le basculement de la théologie morale au xviie siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXIX, 2003, p. 23-43 ; id., Le rigorisme chrétien, Paris, Cerf, 2001.
106 Il est significatif que les études les plus récentes et les plus neuves sur la faculté de théologie de Paris à l’époque moderne proviennent du père James K. Farge, membre de la congrégation de Saint-Basile et professeur à l’Institut pontifical d’études médiévales de Toronto (pour le xvie siècle) et de l’abbé Jacques M. Grès-Gayer, professeur à la Catholic University de Washington : deux clercs, enseignants dans des universités catholiques, l’un au Canada, l’autre aux États-Unis. On ne saurait oublier non plus le rôle déterminant des travaux du chanoine Astrik Ladislas Gabriel (1915-2003), membre de l’ordre des Prémontrés, directeur de l’Institut médiéval de l’université Notre Dame (Indiana), sur l’université de Paris au Moyen Âge.
107 Bruno Neveu, « Pour une histoire de l’augustinianisme », in : Kurt Flasch et Dominique de Courcelles (dir.), Augustinus in der Neuzeit. Colloque de la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel 14 au 17 octobre 1996, Turnhout, Brepols, 1998, p. 175.
108 Alphonse Dupront, Du sacré. Croisades et pèlerinages, images et langages, Paris, Gallimard, 1987, p. 163-171,340-365 ; Joachim Bouflet et Philippe Boutry, « Un signe dans le ciel » : les apparitions de la Vierge, Paris, Grasset, 1997 ; Claude Langlois, « Mariophanies et mariologies au xixe siècle. Méthode et histoire », in : Jean Comby (dir.), Théologie, histoire et piété mariale. Actes du colloque, Université catholique de Lyon, 1-3 octobre 1996, Lyon, Profac, 1997, p. 19-36 ; François Angelier et Claude Langlois (dir.), La Salette. Apocalypse, pèlerinage et littérature (1856-1996), Grenoble, Jérôme Millon, 2000. Pendant des décennies, le seul connaisseur des dossiers documentaires de la voyante Catherine Labouré, de Bernadette Soubirous et Lourdes, de Pontmain a été l’abbé René Laurentin (né en 1917) qui vient, en collaboration avec Patrick Sbalchiero, de publier un Dictionnaire des apparitions de la Vierge, Paris, Fayard, 2007.
109 Voir Bernard Roussel, « Histoire de l’Église et histoire de l’exégèse au XVIe siècle », Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance, 37, 1975, p. 181-192. L’auteur insiste sur la nécessité d’aller au cœur de l’opération exégétique elle-même et des instruments qui sont à la disposition des exégètes pour saisir pleinement leur démesure dans leur assurance de saisir un sens « simple, unique, vrai » de l’Écriture par la grammaire, la philologie et la rhétorique, comme aussi sur l’utilité d’établir leur sociologie pour comprendre leur univers culturel. Voir aussi les articles cités à la note 46.
110 Voir Hans Erich Bödeker, Gérald Chaix et Patrice Veit (dir.), Le livre religieux et ses pratiques. Études sur l’histoire du livre religieux en Allemagne et en France à l’époque moderne, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991 ; Philippe Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Cerf, 2003, p. 489-564 ; Louis Châtellier et Philippe Martin (dir.), L’écriture du croyant, Turnhout, Brepols (Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences religieuses, 125), 2005.
111 A. Dupront, Du sacré..., op. cit. (note 108).
112 Alphonse Dupront, Le mythe de croisade, 4 volumes, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1997.
113 Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610, 2 volumes, Seyssel, Champ Vallon, 1990.
114 Valérie Sottocasa, Mémoires affrontées. Protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
115 Voir à ce propos le chapitre de M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, op. cit. (note 60), p. 153-212 : « La formalité des pratiques. Du système religieux à l’éthique des Lumières (xvie-xviiie siècle) ».
Auteur
[1940], directeur de recherche (émérite) au Centre national de la recherche scientifique, où il est entré en 1971, a été successivement assistant puis maître assistant à la Sorbonne et à l’université de Paris-I (1965-1971), professeur à l’Institut universitaire européen de Florence (1989-1993) et co-directeur du Centre d’anthropologie religieuse européenne (École des hautes études en sciences sociales) de 1994 à 2005. Ses travaux se sont orientés dans deux directions : l’histoire de l’éducation à l’époque moderne (constitution du réseau scolaire français, sociologie de la réussite ou de l’échec scolaire, statut des enseignants, contenu des programmes, etc.) et l’histoire religieuse de la période moderne. Il a dirigé ou co-dirigé plusieurs programmes européens sur l’université, les pèlerinages ou l’histoire de l’enfance. Parmi ses publications : Les collèges français du xvie au xviiie siècle. Répertoire des établissements (avec Marie-Madeleine Compère), 2 volumes, Paris, 1984 et 1988 ; Pèlerinages et pèlerins dans l’Europe moderne (xvie-xviiie siècles) (dir., avec Philippe Boutry), Rome, 2000 ; Gilles Caillotin pèlerin. Le Retour de Rome d’un sergier rémois 1724, Rome, 2006.
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