L'intelligence artificielle vue par un psychologue
p. 303-304
Texte intégral
Jean-François Le Ny avait accepté de contribuer au présent ouvrage. Il avait adressé à l’un d’entre nous le 26 septembre 2006 un résumé, en signalant qu’il modifierait sa contribution « en fonction de ce qu’écriront les autres auteurs ». Son décès, survenu le 26 novembre 2006, ne lui a pas permis de mener ce projet à son terme. Nous croyons cependant être fidèles à sa mémoire en incluant ce bref résumé, bien qu’il n’ait pas été destiné à être publié sous cette forme.
C. G. et D. K.
1Je ne crois pas du tout qu’il y ait des raisons de supposer une parenté particulière entre l’informatique et les sciences cognitives. L’informatique est, à mes yeux, une discipline qui peut permettre de représenter ou de modéliser des connaissances quelconques, allant de la physique à l’économie, en passant par certains domaines de la biologie. Cela est lié à la puissance de la notion abstraite d’information (incarnée dans le couple 0/1). Mais on peut, dès lors, représenter et modéliser aussi des connaissances, ou des théories (c’est-à-dire des ensembles structurés d’hypothèses) dans les divers sous-domaines des sciences cognitives. C’est le rôle de l’intelligence artificielle, en tant que sous-domaine spécialisé de l’informatique.
2Les relations entre l’informatique et les sciences cognitives ont été profondément marquées par un fait sociologique. Les informaticiens ont tous reçu une formation approfondie en mathématiques et logique. De là une propension chez beaucoup d’entre eux à se représenter, et donc à représenter, les phénomènes cognitifs sur la base d’une analogie avec la logique. Or il se trouve que la cognition naturelle ne fonctionne pas du tout comme la logique. La base de la cognition naturelle est, en effet, le cerveau, qui a ses propres modalités de fonctionnement, à structure causale et non logique (au niveau concerné). La logique comme discipline est un produit de la cognition naturelle, mais elle en nie plusieurs caractéristiques essentielles. Les phénomènes de typicité (dit aussi « typicalité »), celui de la représentation « graduée », ou celui de similitude, en sont de bons exemples. Bien entendu aussi les interactions entre cognition et affectivité. Donc les modélisations cognitives qui visent à se rapprocher de la cognition naturelle - ce n’est pas obligatoire - doivent suivre un chemin autre que celui de l’analogie logique : c’est, par exemple, le chemin suivi par les recherches et modèles dits « connexionnistes » ou apparentés. Mais justement, en vertu de ce qui a été dit plus haut, l’informatique en tant que discipline « neutre à l’égard de son contenu » peut parfaitement être utilisée pour modéliser de façon calculatoire des théories qui, en elles-mêmes, sont de nature connexionniste ou causale. Cela n’est pas un paradoxe ; c’est un fait, qu’illustrent un certain nombre de réalisations de caractère informatique, et peut-être le présent livre.
Auteur
Laboratoire d’informatique et de Mécanique pour les Sciences
de l’Ingénieur (LIMSI)
Université Paris-Sud, Orsay.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Informatique et sciences cognitives
Influences ou confluence ?
Catherine Garbay et Daniel Kayser (dir.)
2011