Suppléance perceptive et perception humaine
p. 187-214
Texte intégral
Introduction
1Disons le immédiatement, les travaux dont nous allons rendre compte ici n’ont pas vocation à approfondir une conception de la perception comme mécanisme interne impliquant le codage des propriétés (dimensions ou traits) d’un environnement préexistant et des traitements ou calculs visant à la reconstruction, par assemblage des éléments codés, de ce même environnement. Nous posons que la perception est un acte génétique qui fait advenir d’instant en instant, ou plus exactement continûment, un monde propre. La perception comme acte vivant implique la mise en œuvre d’un couplage qui lie dynamiquement le sujet et son monde, fréquemment via une médiation technique. L’acte en tant qu’il est action définit une organisation circulaire dont la forme momentanée et les déformations continues fondent l’expérience. Il ne s’agit donc pas de penser l’assemblage interne d’éléments minimaux et indépendants, mais l’émergence continue d’une forme à partir d’éléments reliés dynamiquement par un organisme vivant en interaction avec l’environnement. En ce sens, l’acte perceptif engage le corps vivant et son organisation, ses moyens d’action et de capture, et l’environnement dans sa matérialité. En d’autres termes, les conditions de cette constitution concernent l’ensemble des contraintes qui, contribuant à chaque fois à la stabilisation de la trajectoire perceptive, modifient le système dynamique. Il est important de considérer ici que la stabilisation et/ou la modification sont générées par le sujet (système) lui-même à travers son engagement, possiblement instrumenté. Aussi est-il pertinent de parler d’autostabilisation et d’automodification.
2Pour l’essentiel, le matériau des travaux de recherches convoqués à la suite concernent la construction d’une expérience perceptive, individuelle et/ou collective, à une échelle de temps microgénétique allant des millisecondes à plusieurs heures. Cette construction est étudiée de façon directe par le recueil des stratégies exploratoires produites par des sujets qui ont le projet de (ou que l’on invite à avoir le projet de) percevoir un objet, possiblement numérique (objet 2D pixellisé ou géométrique), au moyen d’une interface spécifique qui justement organise la relation à l’objet. Nous qualifierons cette relation instrumentée de relation de suppléance.
Suppléance perceptive
Définitions et problématique générale
3Un système de suppléance perceptive est un dispositif de couplage artificiel entre l’organisme et l’environnement auquel il donne accès. Le lien nouveau qu’il réalise entre les actions et les retours sensoriels délivrés à l’utilisateur donne lieu à la constitution de percepts spécifiques. En effet, une relation dite de suppléance s’instaure entre une personne et son milieu, matériel et humain, dès lors que la saisie et l’usage d’un instrument1 ouvrent un horizon d’actions et d’expériences inédites. Une technologie est donc dite de suppléance si son usage modifie le pouvoir d’action de son utilisateur. L’effectivité de la perception et celle du projet d’action de l’utilisateur ne sont possibles qu’à la condition de la constitution de schèmes d’usages nouveaux. Ceci implique une phase d’appropriation et d’apprentissage permettant la constitution effective de ces nouveaux schèmes d’action (Gapenne 2006).
4L’informatique, en tant que technologie de suppléance, sert ici à la définition et au contrôle du système matériel délivrant les données sensorielles et commandant les effecteurs qui permettent d’explorer et de modifier cet environnement.
5Nous pouvons trouver l’origine de cet emploi de l’informatique dans deux révolutions technologiques majeures de la fin des années 1960 : d’une part les systèmes de substitution sensorielle de Paul Bach-y-Rita, et d’autre part l’invention de la souris d’ordinateur par Douglas Engelbart.

Fig. 1 - TVSS (Tactile vision substitution System) de Paul Bach-y-Rita.
6Détaillons le premier exemple qui est moins bien connu. Les systèmes de substitution sensorielle ont été développés pour l’aide aux personnes handicapées sensorielles. Leur principe général consiste à transformer des stimuli propres à une modalité sensorielle (par exemple la vision) en des stimuli d’une autre modalité sensorielle (par exemple le toucher). Le système de substitution visuo-tactile de Bachy-Rita consiste en une matrice carrée de 400 stimulateurs tactiles reliés à une caméra numérique. L’image captée est simplifiée et convertie en noir et blanc (sans niveau de gris) pour commander l’activation d’une « image tactile » de 20 x 20 pixels, c’est-à-dire une matrice carrée de 400 picots tactiles levés ou non selon que la partie correspondante de l’image est noire ou blanche. Cette matrice tactile est appliquée sur la peau, soit dans le dos (première version), soit sur le thorax, soit sur le front (Collins et Bach-y-Rita 1973) et maintenant sur la langue (Bach-y-Rita et al. 2005). Ainsi, ces systèmes rendent disponibles des signaux non accessibles initialement par le biais d’une double transduction : celle qui s’opère au niveau du capteur artificiel et celle qui s’opère au niveau du capteur naturel. Les premières utilisations de tels dispositifs ont montré que, pourvu que l’utilisateur soit actif (manipulation de la caméra, translation, rotation et zoom), celui-ci développe des capacités de reconnaissance de forme spectaculaires. Après une quinzaine d’heures d’entraînement, il discrimine des objets familiers de plus en plus complexes jusqu’à être capable de reconnaître des visages. De plus, cette capacité de reconnaissance de forme s’accompagne d’une mise en extériorité des percepts. L’utilisateur oublie les sensations tactiles qui se succèdent pour percevoir plutôt des objets stables à distance, là-bas devant lui (Bach-y-Rita 1982). La perception d’un objet stable devant soi est bien distincte de la succession des stimuli sensoriels très variables que reçoit le sujet alors qu’il déplace constamment sa caméra. Nous préférons donc parler de dispositifs de suppléance perceptive puisque l’usage de ce type de système est fondamentalement sensori-moteur (et non pas seulement sensoriel) et qu’il offre une expérience vécue spécifique assez différente de celle de la vision (ce n’est pas une substitution) (Lenay et al. 2003).
7Avant de revenir sur les propriétés générales de ce type de système, rappelons l’autre événement technologique majeur qui, à la même époque, allait définitivement transformer les modalités d’emploi de l’informatique : l’environnement du bureau virtuel. Le travail d’Engelbart à l’Augmentation Research Center du Stanford Research Institute avait abouti, tout ensemble, à l’invention de la souris et du curseur, de l’écran et du fenêtrage, de l’hypertexte, de la téléconférence et du partage d’un espace virtuel de travail (Engelbart 1968). En effet, l’essence de cette révolution technologique consistait à utiliser le calcul pour spatialiser de l’information (textes et plus tard images). Or, ceci impliquait qu’une partie du calcul soit dédiée au fonctionnement d’outils pour explorer, lire et écrire dans cet espace numérique. L’espace d’inscription et de manipulation des textes et images n’existe que par le système technique, matériel et informatique, qui y donne accès.
8Dans le cas du TVSS (Tactile Vision Substitution System), le couplage entre actions (mouvements de la caméra) et sensations (stimuli tactiles) passe par le milieu physique. Au contraire, dans le cas de la souris d’ordinateur, le couplage entre actions (mouvements de la souris) et retours sensoriels (mouvements du curseur ou de l’image à l’écran) passe par un calcul numérique. Mais dans les deux cas, l’outil une fois saisi et bien maîtrisé est oublié au profit de l’espace de perception et d’action auquel il donne accès : les stimuli tactiles sur la peau et la caméra dans la main sont oubliés au profit de la perception d’un objet là-bas devant soi dans l’espace ; l’écran de l’ordinateur et les mouvements de la souris sont oubliés au profit de la perception du curseur et des opérations qu’il permet de réaliser dans l’espace numérique (Gapenne et Declerck 2009).
9Dans ces deux exemples, la médiation technique rend clairement accessible ce qui relève en fait du cas général de l’emploi des outils. Quand je saisis un bâton pour explorer la surface du sol, ce n’est plus le bâton comme objet que je perçois, mais les aspérités du sol au bout de ce bâton. C’est ce que décrit fort bien la phénoménologie :
Le bâton de l’aveugle a cessé d’être un objet pour lui, il n’est plus perçu pour lui-même, son extrémité s’est transformée en zone sensible, il augmente l’ampleur et le rayon d’action du toucher, il est devenu l’analogue d’un regard.
(Merleau-Ponty 1945 : 167)
10De même, conduisant une voiture, j’oublie momentanément les vibrations du volant et du fauteuil pour avoir plutôt l’impression de sentir les gravillons ou le bord du trottoir sous mes roues. Il en est de même avec toutes les « annexes » techniques qui transforment notre pouvoir d’action. Ces observations communes peuvent être fondées et généralisées par une recherche fondamentale sur la technique comme composante essentielle de la condition humaine.
11En effet, l’intérêt particulier de la spécification informatique de ces médiations techniques est de pouvoir contrôler précisément les modalités du couplage. La technologie informatique agit comme un prisme qui décompose les éléments généralement confondus dans le fonctionnement et l’usage des outils. On dispose ainsi des moyens pour analyser et tenter de comprendre comment l’outil peut enrichir l’expérience humaine en ouvrant de nouveaux espaces perceptifs, en autorisant de nouvelles opérations cognitives ou la constitution de communautés de pratique et de partage esthétique. En retour, ces analyses doivent permettre de comprendre les conditions d’appropriation individuelle et d’adoption sociale des outils et prothèses. Avant de donner quelques exemples de ces recherches, considérons le panorama des principaux types de suppléance perceptive en considérant le champ de la substitution sensorielle.
Panorama des systèmes dits de substitution sensorielle
12Le principe général de la substitution sensorielle a permis de concevoir un grand nombre de dispositifs de suppléance perceptive, invasifs ou non, destinés aux personnes handicapées sensorielles (Auvray 2006, Visell 2008).
13Les dispositifs invasifs consistent à brancher directement le système sur une aire corticale. Par exemple, Dobelle propose des implants dans le cortex visuel des personnes aveugles. Il s’agit d’une matrice d’électrodes (68 dans la première version) reliée à une caméra vidéo digitale fixée sur des lunettes (Dobelle 1974, 1976, 2000). On sait depuis longtemps que la stimulation électrique du cortex visuel d’un sujet lui donne l’impression de percevoir des points lumineux que l’on appelle « phosphènes ». Par apprentissage de la lecture de ces phosphènes, les quelques aveugles opérés (huit patients en 2006) se révèlent capables de reconnaître des formes simples et de se déplacer dans leur environnement (certains patients ont même eu le plaisir de pouvoir conduire, à petite vitesse, une voiture dans un parking).
14Pour les cas de surdité, il est possible de placer des implants cochléaires qui stimulent directement les nerfs auditifs. Les sons captés par un microphone sont convertis en impulsions électriques pour les électrodes implantées dans la cochlée (Giraud et al. 2000, Niparko 2000).
15On peut aussi utiliser des implants cérébraux couplés à des prothèses motrices comme substituts des effecteurs musculaires. Schwartz, à l’Université de Pittsburgh, a réalisé de célèbres expériences avec des singes qui apprennent à commander un bras robot directement à partir de leur activité neuronale. Les influx électriques sont captés par une matrice d’électrodes et analysés par comparaison avec l’activité observée lorsque le singe manipule un joystick dirigeant le bras robot. On réussit alors à définir un codage de ces signaux électriques permettant de commander directement le bras robot, en l’absence de manipulation concrète. Une fois que le système est maîtrisé, le singe peut apprendre à réaliser des gestes (mouvements d’un curseur sur un écran) qu’il n’avait jamais réalisés auparavant (Taylor et al. 2002). Dans les cas de « locked-in syndrome » où le patient a perdu tout contrôle de son système musculaire, l’équipe du professeur de neurologie Kennedy de l’université Emory d’Atlanta propose des implants dans les aires corticales motrices. Après un apprentissage encore lent et difficile, les patients réussissent à contrôler un curseur sur l’écran de leur ordinateur (Kennedy 2006).
16Les systèmes non invasifs consistent à utiliser des entrées sensorielles fonctionnelles (tactiles ou sonores) pour délivrer au système nerveux central des informations normalement véhiculées par les capteurs d’autres entrées sensorielles. Plus précisément, ces systèmes rendent disponibles des signaux, non accessibles initialement, par le biais d’une double transduction : celle qui s’opère au niveau du capteur artificiel et celle qui s’opère au niveau du capteur naturel. Au-delà de la stricte prothétisation de la transduction, l’intérêt de ces systèmes est qu’ils procurent à l’utilisateur, sous certaines conditions, des expériences perceptives inédites.
17De nombreuses études ont montré l’efficacité d’une substitution de la vision par des stimuli tactiles : localisation spatiale, reconnaissance de formes simples et possibilité de lecture. En outre, on a montré que des sujets utilisant un dispositif de substitution sensorielle sont capables d’effectuer des jugements perceptifs visuels tels que la perspective, la parallaxe, les ombres, l’interposition des objets, et des estimations concernant la profondeur. Certaines illusions visuelles classiques, comme l’effet de la cascade, sont spontanément reproduites (Bach-y-Rita et al. 2003, Guarniero 1977). Nous avons vu plus haut le premier système de substitution visuo-tactile. Une de ses variantes la plus largement commercialisée est l’Optacon (Telesensory Systems, Palo Alto, Californie, USA), dispositif destiné à la lecture. Il se présente comme un large stylet que l’on utilise pour parcourir un texte. Une caméra miniaturisée placée au bout du stylet filme un texte, restitué sous forme de vibrations tactiles par une petite matrice de microvibreurs sur laquelle le lecteur aveugle place l’un des doigts de sa main libre.
18La substitution visuo-auditive a aussi été largement développée. Les travaux pionniers de Griffin (1958, 1959) sur les échos ont suggéré qu’un son échoïque structuré peut aider les personnes à effectuer des tâches comme la compréhension de la localisation, de la taille, de la texture et de l’orientation des objets dans un espace tridimensionnel, ainsi que la reconnaissance d’objets. Cette capacité, qui est une forme d’écholocation, est appelée habituellement « vision faciale » ou « sens de l’obstacle » (Ammons, Worchel et Dallenbach 1953, Cotzin et Dallenbach 1950, Rice 1967). La distance peut être codée par l’intensité du son et l’emplacement horizontal par la disparité interaurale. Les codages diffèrent selon les dispositifs (Heyes 1984, Kay 1964, 1980, 1985) :
- le PSVA (Prosthesis Substituting Vision by Audition) développé par Capelle et al. (1998) ajoute un second codage en fréquence pour l’emplacement vertical ;
- le dispositif The Voice développé par Meijer (1992) et celui développé par Cronly-Dillon (1999) sont basés sur un balayage cyclique de l’image, qui permet de coder la position horizontale. Ce dernier dispositif ajoute un système d’extraction de traits. Les études effectuées avec les dispositifs auditifs ont montré la possibilité de reconnaissance de formes simples (Arno, Capelle, Wanet Defalque et al. 1999, Arno, Vanlierde, Streel et al. 2001, Cronly-Dillon, Persaud et Blore 2000, Cronly-Dillon, Persaud et Gregory 1999), de reconnaissance de formes plus complexes, comme des objets de la vie courante, et de localisation (Auvray, Hanneton et O’Regan 2003).
19Dernièrement l’équipe de Paul Bach-y-Rita (décédé en 2006) a réalisé une impressionnante substitution vestibulo-tactile pour des patients ayant une atteinte bilatérale du système vestibulaire : l’usage d’un accéléromètre couplé à une matrice de stimulateurs électro-tactiles placée sur la langue leur redonne très rapidement un sens de l’équilibre lorsqu’ils ont les yeux fermés (Tyler, Danilov et Bach-y-Rita 2003).
20Ces quelques exemples, correspondant à des prothèses développées pour le monde du handicap, montrent en même temps qu’il n’y a pas de vraie ligne de démarcation entre ce qui relève de la prothèse et ce qui correspond à l’emploi des techniques en général ; c’est pourquoi le concept plus large de « suppléance perceptive » nous semble plus approprié que celui de « substitution sensorielle ». Par exemple, l’écriture Braille peut être déjà considérée comme un cas de substitution visuo-tactile puisque les lettres (informations visuelles) sont converties en des combinaisons de six points en dominos (informations tactiles). Mais, il faut dès lors reconnaître que l’écriture phonétique est elle-même une substitution visuo-auditive puisqu’elle consiste à convertir les sons de la parole en stimuli visuels. La canne d’aveugle peut-être considérée comme une substitution tactilo-tactile puisqu’elle permet à son utilisateur de ressentir, grâce aux vibrations dans le creux de sa main, les points de contact expérimentés au bout de la canne. Mais c’est là le cas de tout outil prolongeant la main (tourne-vis, marteau, épée...). Les lunettes sont des prothèses pour corriger une vision défectueuse, mais leur fonctionnement est semblable à celui de la loupe, de la lunette astronomique ou du microscope optique, qui tous visent à augmenter notre vision. D’ailleurs, pratiquement tous les systèmes de substitution sensorielle que nous avons présentés, invasifs ou non, peuvent être utilisés dans le cadre de projets d’augmentation des capacités humaines (vision de longueurs d’onde au-delà du spectre optique naturel, commande de systèmes de téléprésence, etc.).
21Les systèmes de substitution sensorielle ne font que pousser à leur extrémité, et donc rendre plus clairs et lisibles, les principes généraux du fonctionnement des outils. Ils permettent ainsi une étude systématique des lois d’appropriation et d’usage des techniques.
Espace perceptif et constitutivité technique
22On a vu comment des systèmes de substitution sensorielle comme le TVSS posent le problème de la genèse d’une modalité perceptive chez l’adulte, et en particulier de l’apparaître des objets perçus dans une extériorité, c’est-à-dire de la constitution d’un espace de perception (Pacherie 1997, Auvray et al. 2004). Pour étudier la façon dont à travers l’emploi de l’outil se constitue un espace distal englobant, on peut adopter une méthode minimaliste consistant à réduire au maximum les répertoires d’actions et de sensations accessibles et étudier, dans chaque cas, les objets constituables et les opérations de cette constitution. Nous avons donc réduit le système de Paul Bach-y-Rita à un seul point, une unique cellule photoélectrique connectée à un stimulateur tactile. Quand dans le champ de lumière incidente (un cône de 20°), la quantité de luminosité dépasse un seuil donné, il y a déclenchement d’un stimulus tactile en tout ou rien. À chaque instant le sujet (yeux bandés) ne reçoit donc qu’une information minimale, 1 bit correspondant à la présence ou à l’absence de la stimulation tactile. On a pu montrer que même avec un dispositif aussi simple, la localisation spatiale de cibles lumineuses restait possible.

Fig. 2 - Dispositif expérimental minimaliste pour la localisation spatiale.
23Dans un premier temps, le sujet ne perçoit qu’une succession de stimulations tactiles qui apparaissent suivant ses mouvements. Mais rapidement, avec la maîtrise du dispositif, il oublie cette sensation au profit de la perception d’une cible à distance devant lui. Ici, il est clair que la perception ne peut être fondée sur une simple analyse interne de l’information sensorielle, ne serait-ce que parce que celle-ci ne possède aucune spatialité intrinsèque, mais n’est qu’une suite temporelle de sensations en tout ou rien.
24Remarquons que, dans les conditions d’un tel couplage minimaliste, il est facile de remplacer par un calcul numérique la causalité physique qui déclenche les sensations suivant les orientations de la cellule photoélectrique. Un capteur de mouvement placé sur le doigt définit la position d’un champ récepteur dans un espace virtuel. Dans la situation définie par ce système de suppléance perceptive minimaliste, le passage du monde réel au monde virtuel est parfaitement indifférent pour le sujet. Mais il est alors plus facile d’enregistrer les trajectoires perceptives puis de moduler les conditions du couplage en changeant, par exemple, la forme, la disposition ou le nombre des champs récepteurs.

Fig. 3 - Projection des mouvements de pointage sur deux plans passant par une cible lumineuse verticale (néon).
25Une description plus précise de cette activité perceptive prothétisée sera d’un grand intérêt pour nous donner les concepts qui seront utiles à la description de la suppléance perceptive en général.
26Pour maintenir la perception d’une cible devant soi, le sujet doit sans cesse agir, déplacer la cellule photoélectrique en visant de multiples façons cette cible. Dès que les mouvements cessent, la perception disparaît. En effet, si l’on se place du point de vue du sujet, il est clair que s’il est immobile, de deux choses l’une : soit il pointe en dehors de la cible, il ne lui reste que le souvenir d’une perception qui va en s’estompant ; soit il pointe sur la cible, il reçoit une stimulation tactile continue qui s’impose à la place de la perception d’un objet externe. La perception spatiale correspond nécessairement à la synthèse d’une succession temporelle d’actions et sensations. L’extériorité spatiale de la cible ne peut être constituée que par la possibilité d’aller et venir librement et réversiblement autour d’elle, quittant et retrouvant alternativement le contact. C’est la réversibilité, la capacité de retrouver une même sensation en inversant son action, qui permet de synthétiser la succession temporelle des sensations pour localiser un objet et en définitive constituer l’espace même de cette localisation (Poincaré 1902). Dans les conditions limites définies par ce dispositif, il n’y a pas de perception sans action (Piaget 1936, Paillard 1971, Gibson 1966,1986, Varela, Thompson et Rosch 1991). Chaque position de la cible correspond seulement à un invariant sensori-moteur, c’est-à-dire une loi liant les actions aux sensations qui reste stable relativement aux variations de ces actions et sensations (Lenay et al. 1997, Thouvenin et al. 2003). La cible est localisée en direction et en profondeur quand cette loi est maîtrisée. C’est une bonne illustration de ce que Kevin O’Regan appelle loi de contingence sensori-motrice (O’Regan et Noë 2001).
27Cette conception de la perception active peut se schématiser ainsi :
Dispositif de suppléance perceptive

Fig. 4 - Schéma du couplage sensori-moteur. Le système de perception prothétisée est un « dispositif de couplage » qui modifie le corps propre en définissant les répertoires d’actions et de sensations accessibles au sujet. Via le milieu, les actions « a » causent les sensations « s » : s = g(a) ; et l’organisme définit la stratégie qui détermine ses actions en fonction des sensations reçues : a = f(s).
28Dans cette conception de la perception, on doit très clairement distinguer, d’une part, la « sensation », c’est-à-dire l’input sensoriel délivré à l’organisme, et d’autre part la « perception », c’est-à-dire la loi qui, pour un contenu perceptif donné, définit les retours sensoriels en fonction des actions réalisées. Lors de l’utilisation d’une suppléance perceptive, il faut donc aussi distinguer d’une part la « modalité sensorielle » mobilisée qui correspond au type d’entrée sensorielle vers le système nerveux central et, d’autre part, la « modalité perceptive » définie par le type de loi sensori-motrice auquel donne accès le dispositif, c’est-à-dire le type d’information qui peut être acquise dans l’environnement. Par exemple, pour The Voice et le TVSS, les modalités sensorielles sont différentes, respectivement tactile et sonore. Cependant, pour The Voice comme pour le TVSS, on peut dire que la modalité perceptive est plutôt de type visuel puisque ces systèmes donnent accès à la position et à la forme des objets à distance (par des actions exploratoires de translation et de rotation). Pour rendre compte de la diversité technique des prothèses perceptives, il faudrait donc élaborer des définitions purement fonctionnelles des différentes modalités perceptives. Par exemple, la vision se définirait par un point de perception (point de vue) séparé et à distance de l’objet perçu : les champs récepteurs sont infinis et leurs mouvements sont des rotations et des translations dans les trois dimensions de l’espace. Au contraire, le toucher se définirait par la coïncidence spatiale du lieu de perception (les champs récepteurs) et de l’objet perçu : les champs récepteurs sont finis et leurs mouvements sont des translations tangentielles par rapport à l’objet.
29Illustrons ce point avec un autre système que nous avons développé pour donner aux personnes aveugles accès aux formes numériques présentes sur l’écran d’ordinateur. Le « Système Tactos » (Hanneton et al. 1999) consiste essentiellement en un dispositif de commande de stimulateurs tactiles (cellules braille générant électroniquement le mouvement de petits picots) en fonction des déplacements du curseur sur l’écran d’un ordinateur.

Fig. 5 - Dispositif Tactos comprenant le stylet et la tablette graphique, l’ordinateur et le logiciel Tactos, la matrice de cellules braille piézoélectriques.
30Le curseur correspond ici à une petite matrice virtuelle de 16 champs récepteurs (4 pixels par champ, soit 64 pixels de surface totale). Quand un champ récepteur croise au moins un pixel noir, il déclenche l’activation en tout ou rien d’un picot de la cellule braille. Le sujet a les yeux bandés et le stimulateur tactile est installé sous sa main libre (l’autre tenant l’effecteur : souris, stylet de tablette graphique, touchpad...). Ce dispositif de suppléance perceptive permet donc l’exploration d’une image tactile virtuelle. Pour les applications pratiques, on peut encore augmenter le nombre de champs récepteurs et de stimulateurs tactiles (Ali Ammar et al. 2005, Ziat et al. 2007), mais pour la recherche fondamentale il est au contraire plus intéressant, au moins dans un premier temps, de travailler dans le cas limite où l’information sensorielle est réduite à un seul stimulateur tactile correspondant à un unique champ récepteur. Or, même dans cette version minimaliste, on observe une capacité de reconnaissance de formes (Hanneton et al. 1999). Ces formes ne sont pas données d’un coup au système sensoriel comme un pattern bidimensionnel qu’on appliquerait sur la peau. S’il n’y a qu’un champ récepteur, donc seulement une sensation à chaque instant, il n’y a, là encore, aucune spatialité intrinsèque du signal d’entrée. Si les sujets réussissent à reconnaître des formes dans un espace, ce ne peut être que par une exploration active, en intégrant dans le temps leurs mouvements et sensations tactiles. En ne donnant à chaque instant qu’une entrée sensorielle simple, on a forcé un déploiement dans l’espace et le temps de l’activité perceptive qui peut dès lors être facilement enregistrée et analysée. C’est ce que nous appelons des « trajectoires perceptives » (voir figures 6a et 6b).

Fig. 6a - Fig. 6b - Relevé des traces du geste d’exploration sur la tablette graphique. On voit le geste balayer la forme à percevoir, et on voit la forme se dessiner progressivement (lettres T et P respectivement).
31La précision et la mémoire des données proprioceptives sont trop imprécises (dérive, bande passante limitée) pour que le sujet puisse savoir, dans un repère égocentré, quelles sont les positions de sa main qui tient l’effecteur (souris ou stylet). Une intégration des points de rencontre avec la forme pour la construction d’une image mentale est tout à fait impossible2. Au contraire, cette activité perceptive laisse souvent apparaître diverses régularités comportementales.
32Le sujet commence par des mouvements exploratoires assez amples, mais dès qu’il traverse une ligne, il converge généralement vers un microbalayage de petite amplitude autour de la source de stimulation. Il s’agit là essentiellement d’une opération de localisation : la position d’une singularité spatiale immobile est constituée par une anticipation stable de la stimulation tactile suivant les mouvements du champ récepteur. Dans la mesure où il n’y a pas de localisation directe par proprioception, il faut reconnaître que la connaissance par le sujet de ses propres actions est indirecte. Il y a en même temps localisation de la singularité par des mouvements oscillants et localisation des mouvements du champ récepteur relativement à cette singularité. À chaque instant, le sujet se situe relativement à la forme qu’il constitue. Le « point de vue », c’est-à-dire le lieu à partir duquel est perçu l’objet, n’est pas l’effecteur tenu dans la main, mais le champ récepteur, parce que c’est à partir de ce lieu que je définis mes actions. Le lieu de la perception (le curseur) correspond au point d’action qui se situe dans l’espace même de la forme perçue, et non pas dans l’espace corporel de commande de ces mouvements (la souris ou le curseur). Là encore, « je suis là où j’agis ».
33Cette localisation du point d’action est la condition de la projection dans l’espace ouvert par la médiation technique. C’est par exemple ce que l’on observe dans l’usage courant de la souris d’ordinateur. Le fait que le curseur soit bloqué par le bord d’écran alors que la main qui tient la souris continue son mouvement n’est pas un problème mais bien une aide, parce que c’est à partir du curseur qu’il regarde que l’utilisateur définit son action. Maintenant, si cette action correspond non pas aux déplacements d’un point d’inscription mais plutôt aux déplacements d’un lieu de perception (un « point de vue » en général), alors il y a immersion dans un espace englobant. Le principe fondamental des systèmes de réalité virtuelle est que le calcul numérique renvoie les variations sensorielles correspondant aux actions de déplacement du point de vue. Le point de perception se situe dans l’espace des objets. Si, là encore, il est bloqué, l’utilisateur comprendra naturellement que lui-même est bloqué dans l’espace virtuel. Par exemple, dans un jeu d’action subjective où un mouvement panoramique est bloqué par un obstacle bien que le joueur continue à pousser sur sa manette, il se saura bloqué et cherchera un autre chemin à partir du lieu où il est resté immobilisé.
34Puis, le microbalayage autour d’un premier point de contact se combine avec un déplacement tangentiel, suivant la direction locale du segment de la figure. Ce suivi de contour réalise une anticipation de second ordre qui parie sur la stabilité d’une fréquence temporelle de sensations.
35Mais, si cette stratégie permet de reconnaître des segments droits ou courbes, ce n’est pas encore là la reconnaissance de formes plus complexes, comme des lettres. Celle-ci ne semble atteinte qu’au moment où le sujet est capable de combiner au geste de micro-balayage celui d’une séquence dynamique de traits reproduisant le tracé d’ensemble. Dès lors, le champ récepteur parcourt en oscillant et sans perdre ses bords l’ensemble de la forme.
36On voit bien ici que la perception n’est pas la réception (puis la représentation) d’une forme, mais sa construction active. La trajectoire est à la fois reconnaissance et constitution de la forme. La catégorisation des données perceptives comme s’intégrant à une forme connue se réalise par un geste de synthèse. Ce geste est comme un schème de construction de la forme par lequel les catégories de l’entendement s’appliquent aux données de l’intuition sensible (Piaget 1936). Ici, le schème d’assimilation correspond à une activité concrète, déployée dans l’espace des déplacements du sujet. Il se réalise par une « stratégie gestuelle » produisant, via les retours sensoriels extéroceptifs et proprioceptifs, un enchaînement de mouvements qui permet aussi bien d’inscrire la forme que de la saisir comme un tout dans un geste d’anticipation unique. Au sens littéral, « lire c’est écrire » (Eco 1988, Stiegler, 1994). C’est d’ailleurs ce que l’on valide concrètement en demandant au sujet de dessiner ce qu’il a perçu, c’est-à-dire en fait, de reproduire le geste qui dirigeait son exploration. En étudiant la dynamique des trajectoires perceptives, on observe donc l’activité concrète de constitution d’une forme dans la perception. Dans un second temps, on tente de modéliser ces trajectoires en proposant différentes stratégies a = f(s) pour les générer (Stewart et Gapenne 2004). L’imagination, en tant que capacité à produire des images, se trouve ainsi placée (comme d’ailleurs dans le schéma kantien) au cœur du processus perceptif lui-même, puisque c’est la capacité même de production de la forme qui est nécessaire à sa perception. On ne peut trouver d’exemple plus clair d’une perception comme énaction - production de l’objet perçu - et non pas représentation.
37En réduisant l’entrée sensorielle à un seul champ récepteur (un seul bit d’information à chaque instant), nous avons forcé un déploiement spatial et temporel de l’activité perceptive, ce qui avait l’avantage de permettre son analyse. L’outil fonctionne ici comme un système d’extraction d’opération classiquement réalisée dans l’intimité de l’organisme. Mais dès lors que le parallélisme augmente (avec Tactos on utilise classiquement 16 champs récepteurs disposés en une matrice carrée et, avec le TVSS, 400 champs récepteurs étaient mobilisés dans la version initiale), nous observons une ré-internalisation de l’activité perceptive : l’économie de mouvement et de mémoire permet une perception plus rapide et plus précise.
38La modalité perceptive portée par le système Tactos est bien de type tactile puisqu’il y a coïncidence spatiale des champs récepteurs et de la forme perçue. Mais ceci est indépendant du fait que la modalité sensorielle utilisée soit elle aussi tactile. En effet, dans le cas où il n’y a qu’un champ récepteur, il est possible de substituer à cette entrée sensorielle une stimulation sonore ou même visuelle (un point qui s’affiche sur l’écran). L’activité perceptive sera exactement semblable (Gapenne et al. 2005). Ainsi, la perspective de la suppléance perceptive conduit à remettre en question les définitions classiques des différentes modalités perceptives basées sur les seuls organes sensoriels.
39Finalement, pour bien comprendre les outils en général et les dispositifs de suppléance perceptive en particulier, il convient de thématiser le fait qu’ils existent pour ainsi dire en deux « modes » : saisi et déposé (lorsqu’il n’est pas actuellement utilisé pour l’action pour laquelle il a été conçu). Quand il est saisi et utilisé, un outil est « intériorisé » et devient pratiquement une partie du corps propre, presque au même titre que les organes biologiques de perception et d’action ; corrélativement, l’outil saisi disparaît de la conscience de l’utilisateur qui est focalisée sur ce qu’il peut faire avec l’outil. Mais, à la différence des yeux ou des mains, un outil existe aussi en mode « déposé » ; c’est à ce titre que les êtres humains peuvent déployer leur imagination pour l’inventer et le fabriquer ; et dans la mesure où ceux qui l’inventent, qui le fabriquent et qui ensuite l’utilisent ne sont le plus souvent pas les mêmes personnes, les outils sont d’emblée profondément sociaux. Ce qui caractérise les outils, c’est le va-et-vient entre ces deux modes.
Espace d’interaction et valeurs émotionnelles
40Les systèmes de suppléance perceptive ne sont pas tous forcément des réussites économiques et sociales. L’analyse de ces échecs est particulièrement intéressante pour comprendre les conditions psychologiques et sociales de l’adoption des innovations techniques.
41La réussite d’une innovation technologique ne peut s’expliquer simplement par son efficacité fonctionnelle. L’histoire est pleine d’innovations qui en dépit de leur efficacité pratique n’ont pas été socialement adoptées. Il est donc utile d’analyser ce type d’échecs pour comprendre les obstacles qui se dressent et tenter de définir les conditions qui permettraient de les dépasser. Par exemple, pour les systèmes de substitution visuo-tactile comme le TVSS, passé le premier étonnement devant leur efficacité, on s’étonne tout autant de leur échec économique et social. Pourquoi ces techniques, développées dès les années 1960 et expérimentalement validées dès les années 1970, n’ont-elles pas envahi le quotidien des aveugles et malvoyants ?
42Après avoir réussi leur apprentissage, les aveugles rangent soigneusement leurs appareils dans un placard (à l’exception de l’Optacon qui a rencontré un succès notable pour l’aide à la lecture de textes non transcrits en braille). Les entreprises qui s’étaient lancées dans la fabrication de ces systèmes ont cessé la production (Optacon de Telesensory System) ou fait faillite (Unitech Research). Alors qu’elles commençaient à découvrir cet accès particulier à des objets situés à distance dans l’espace, les personnes aveugles se sont déclarées déçues et déprimées. Bien sûr, de tels dispositifs permettent effectivement de réaliser des tâches particulières qui, sans eux, auraient été impossibles. Mais ce n’est pas le désir fondamental de l’aveugle qui se prête à une telle expérience. Son épanouissement personnel peut fort bien résider en dehors de ces tâches pour lesquelles la vision serait indispensable. Pour décider de s’investir dans des tâches visuelles, il faut que celles-ci apportent un réel progrès de l’expérience vécue. Une des premières demandes des aveugles est de pouvoir conduire une voiture comme tout le monde. Quand on leur dit que cela reste impossible parce que la perception est trop lente et imprécise, ils déclarent ne pas bien « voir » d’autre utilité pratique importante pour ces prothèses. Celles-ci leur semblent de plus inconfortables, non pas tant qu’elles soient lourdes ou encombrantes, mais parce qu’ils refusent de porter un appareillage monstrueux les transformant en « cyborg » aux « yeux » des autres.
43Ce que cherche la personne aveugle qui accepte de se plier à l’apprentissage du dispositif de couplage, c’est davantage la connaissance de ce dont les voyants lui parlent tant : les merveilles du monde visible. Ce qu’elle espère, c’est la jouissance de cette dimension de l’existence qui lui est inconnue ou qu’elle a perdue. Or, ce n’est pas ce qu’apportent ces dispositifs. Il y a, de fait, de nombreuses différences entre ce couplage artificiel avec le milieu et le mode de couplage de la vision naturelle : il n’y a pas de couleur, peu de points, une caméra dont les mouvements sont difficiles et limités, ce qui donne une grande lenteur à la reconnaissance de la situation. Ce couplage sensori-moteur ressemble bien par certains aspects à celui de notre vision, mais l’expérience qu’il permet est toute différente, comme peuvent d’ailleurs bien le comprendre les voyants ou les aveugles tardifs qui se prêtent à son apprentissage. Le dispositif de Bach-y-Rita ne réalise pas une substitution sensorielle, mais une addition, l’ouverture d’un nouvel espace de couplage de l’humain avec le monde. Il faut prendre acte que ces dispositifs ne comblent jamais exactement un déficit, mais qu’ils introduisent plutôt à des modalités perceptives à chaque fois originales.
44Semble manquer le plus cruellement dans cette modalité perceptive prothétique ce que Bach-y-Rita (1997) appelle les qualia, c’est-à-dire les qualités, les valeurs des choses perçues. On montre à un aveugle de naissance l’image de sa femme ou sa propre image dans un miroir, cela ne représente pour lui aucun intérêt précis. On montre à des étudiants aveugles des images de pin-up dénudées, la déception est totale, la perception n’est porteuse d’aucune émotion. Il y a bien constitution d’un objet, capacité de discrimination et de catégorisation, mais pas de valeur émotionnelle attachée à ces percepts.
45Faut-il alors poser qu’il manque quelque chose d’essentiel dans ces dispositifs ? Incapables de donner une « matière » à la perception (couleur, valeur), ils mettraient en évidence ce qui distingue la perception naturelle d’une simple capacité de discrimination et de catégorisation. Nous ne le pensons pas. Comme le remarque justement Bernard Stiegler (1994) à la suite de Leroi-Gourhan (1964), l’homme est originairement prothétique. Sa perception est pratiquement toujours médiatisée, transformée ou assistée par les outils que transmet la culture.
46À chaque fois qu’un outil est saisi, il transforme nos capacités d’agir et de sentir, et il ouvre un nouvel espace de perceptions possibles. Que l’on saisisse un bâton ou un téléphone, que l’on chausse une paire de skis ou de lunettes, que l’on déplace une souris d’ordinateur ou l’archet d’un violon... dans tous les cas l’usage de la médiation technique permet de trouver des invariants sensori-moteurs spécifiques qui définissent un domaine perceptif propre. Or, pour tous ces exemples de technologies qui ont été socialement adoptées, on sait que les champs de possibles quelles ouvrent sont différenciés qualitativement et émotionnellement : le style d’une figure de ski, la sonorité d’un Stradivarius. La question de la valeur émotionnelle attachée aux percepts rendus possibles par une prothèse ne peut donc être simplement renvoyée à l’existence d’un câblage neuronal avec un système cérébral des affects naturels. Ou du moins, si un tel lien existe, il s’agit de comprendre comment il peut s’établir alors qu’il ne préexistait pas. Il faut alors dégager les conditions de l’apprentissage et de la constitution d’un système de goûts chaque fois différent pour chaque dispositif de couplage qui autorise son apparition.
47La similitude de ce constat avec les observations rapportées sur l’absence d’émotion et de signification ressenties par les personnes aveugles de naissance recouvrant la vue tardivement (par abattement de la cataracte) est d’ailleurs frappante et laisse penser que ce n’est pas le principe de la substitution sensorielle proprement dit qui est la cause de l’impossibilité d’accéder aux qualia (Gregory 1990). Il serait vain de croire avoir soulagé l’aveugle dès lors qu’on lui donne accès à de nouvelles informations. Ce qui est toujours en jeu, c’est l’insertion de la personne dans un monde de significations partagées, fonctions d’une histoire collective et d’une cohérence personnelle qui ne doit pas être brutalement perturbée. Pour les systèmes de suppléance perceptive, deux types de solutions nous semblent possibles.
48Dans une première approche, on suppose qu’il manque essentiellement un apprentissage, une intégration de la prothèse dans l’activité dès la prime enfance. Les observations sont très délicates - on intervient difficilement sur un nourrisson aveugle -, mais les quelques résultats obtenus dans ce contexte semblent encourageants et indiquent la possibilité d’une appropriation de ces dispositifs tout en mentionnant leur rejet, une fois l’accès à la fonction (posturale notamment) visée atteint (Bullinger et Mellier 1988, Sampaio 1994, Segond et al. 2007).
49L’autre approche, à laquelle nous allons ici apporter quelques éléments, consiste à travailler sur la constitution collective de valeurs émotionnelles dans des communautés de partage des mêmes moyens de percevoir et d’interagir. Il est remarquable que toutes les observations sur les systèmes de substitution sensorielle rapportées dans la littérature ne fassent état que de son emploi individuel, l’utilisateur se trouvant entouré de voyants, mais isolé dans son mode perceptif particulier. Or, on peut faire l’hypothèse que les valeurs perceptives seraient liées à l’existence d’une histoire et d’une mémoire collective, mémoire qui devrait pouvoir émerger du jeu des interactions de plusieurs sujets dans un même environnement défini par les mêmes moyens d’accès. Les dispositifs de suppléance perceptive donnent ainsi l’occasion d’une recherche empirique concernant les questions anciennes et très générales de l’origine des valeurs attachées aux formes, le passage de la perception individuelle à la reconnaissance d’objet dans un espace partagé, la compréhension de signes dans un système d’expression significatif, la constitution de communautés de préférences et de différences. Il ne s’agit pas ici de repartir de l’immense littérature psychologique, sociologique et philosophique sur ces questions, mais bien plutôt de profiter d’une situation technique et expérimentale originale pour tenter de les reposer de façon contrôlable et observable. Nous nous proposons donc de réaliser une étude fondamentale des interactions perceptives prothétisées.
50Les dispositifs techniques qui servent aux communications sont de plus en plus nombreux (téléphone, visiophone, tchat, mail, pages Web, Réalité Virtuelle, etc.) et permettent des structures d’interaction très diverses (synchrones ou asynchrones, par paire ou par groupe, symétriques ou non, etc.) avec des flux de données plus ou moins importants. Cette diversité technique a, là encore, l’effet d’un prisme qui sépare et révèle la multiplicité des composantes fonctionnelles des interactions interindividuelles. Il est ainsi possible d’envisager une étude systématique qui partirait de situations artificielles limites, permettant une analyse suffisamment complète de la dynamique des interactions, avant de complexifier progressivement ces situations (Auvray et al. 2009). On pressent que l’expérience vécue de la rencontre avec une autre intentionnalité passe en général par une dynamique irréductiblement collective, c’est-à-dire par la constitution d’un « nous » qui permette ensuite à chacun de percevoir la présence d’autrui dans un monde partagé.
Conclusion
51Pour conclure, il convient de commenter explicitement le statut de l’informatique dans la perspective de ce que nous avons appelé la « suppléance perceptive ». Ici, l’informatique ne fonctionne plus comme une métaphore possible de la cognition humaine, telle qu’on la trouve dans les premiers projets de l’intelligence artificielle ou les sciences cognitives de première génération. Elle n’est pas non plus seulement un objet technique, le support d’enregistrement et de transmission de données textuelles ou multimédia. Quand l’informatique est partie prenante d’un dispositif de suppléance perceptive, elle sert à spécifier la médiation des relations entre un sujet humain avec le monde et les autres. Plutôt qu’une opposition entre monde physique et monde numérique, la suppléance perceptive permet de comprendre, dans la perspective de la cognition située, que la technologie informatique s’insère dans l’ensemble des activités humaines comme transformation du couplage entre les hommes, leur environnement physique et leur mémoire externe numérisée.
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Notes de bas de page
1 Dans certaines situations, l’instrument peut être un partenaire humain ou animal (cas du chien guide).
2 Ce qui ne doit évidemment pas conduire à penser que la proprioception ne jouerait aucun rôle dans la constitution de la perception de l’objet distal, notamment en tant qu’elle contribue au ressenti gestuel, ce qui implique de la considérer comme un réseau qui ne se limite pas à des capteurs assurant une transduction donnant lieu à un codage.
Auteurs
Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques) Université de Technologie de Compiègne, Compiègne.
Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques)
Université de Technologie de Compiègne, Compiègne.
Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques)
Université de Technologie de Compiègne, Compiègne.
Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques)
Université de Technologie de Compiègne, Compiègne.
Costech (Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques)
Université de Technologie de Compiègne, Compiègne.
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Informatique et sciences cognitives
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2011