Chapitre VII. L’Europe de l’Ouest
p. 343-380
Texte intégral
1Encore un regard sur l’Europe totale. Nous parlons d’Est ou d’Ouest, mais avons-nous raison, et ce morcellement est-il juste ? La géographie à l’antique nous condamne, c’est sūr. Reprenons-en la fidèle image exposée par Hamdānī1. Que nous dit-elle ? Que l’Europe (Awrūfā) recouvre la Celto-Galatie, le pays des Celtes, dans son acception la plus large et la plus ancienne, depuis l’Europe de l’Ouest jusqu’à cette région centrale de l’Asie Mineure à laquelle certains d’entre eux, installés là par les rois de Bithynie, au iiie siècle av. J.-C, donnèrent leur nom2.
2Déjà, pourtant, ce quadrant nord-ouest de l’œcoumène, constitué par la Celto-Galatie, n’est pas homogène. Comme si la géographie avait pressenti l’histoire, divers pays se détachent du bloc : ceux que Hamdānī définit comme « tirant vers la zone centrale de l’œcoumène », ou encore ceux qui, pour le temps que nous étudions, relèvent de Byzance ou de l’Islam : Égypte, Hellade, Achaïe, Crète, Cyclades, Chypre et rivages méditerranéens de l’Asie Mineure. Resteraient, sur les franges de ce sous-ensemble, la Thrace et l’Illyrie, zones de contact entre les mondes byzantin et slave (bulgare).
3De cette « Europe » au sens large, voilà donc isolée, au moins, une bonne partie de la mouvance byzantine. Mais qu’en est-il des autres pays ? Si nous nous référons à la liste de ceux qui composent la vraie Celto-Galatie3, nous devrons exclure encore, pour retrouver notre Europe occidentale, l’Asie Mineure, de l’intérieur cette fois (Galatie). La Bastarnie et la Germanie posent plus de problèmes : nul doute qu’avec la première, nous ne soyons renvoyés à l’Europe de l’Est, selon une diagonale haute Vistule-bouches du Danube, mais le pays tire son nom d’un peuple que les sources anciennes font germain ou tout comme4. Au reste, Ptolémée, modèle avoué de Hamdānī, étend-il la Germanie jusqu’à la Vistule, ce qui permet à son lointain successeur de la baptiser « pays des Slaves »5. Ainsi remis au goût du jour, le pays germain peut bien être celui qui lutte contre ses puissants voisins à l’est de l’Elbe et de la Saale ; il ne saurait se concevoir toutefois comme l’autre Germanie, celle qui tient solidement le pays entre Elbe et Rhin,
4Il est vrai que ces noms de pays font figure de purs et simples exercices de style cartographiques, d’articles de nomenclature qui apparaissent, et disparaissent, le temps d’une mise en place du monde habité : que sont-elles d’autre, l’Italie, la Gaule, l’Apulie, la Taurinie (le pays de Turin), la Celtique ou l’Hispanie ? La Bretagne seule est mieux partagée : son nom à elle quitte le carcan figé du vieil héritage, passe dans les autres textes de nos géographes ; et la Sicile aussi : mais c’est que l’histoire, ici, a pris la relève et réussi, en faisant musulmane6 la grande île, à tirer de l’ombre épaisse de l’antiquité un vrai visage de vrai pays.
5Les grands noms, les vrais, ce sont ceux des peuples, ceux qu’on ne trouve pas dans la cartographie gréco-romaine, ceux qui, en ces iiie/ixe-ive/xe siècles, font l’histoire de l’Europe. La Celto-Galatie, c’est aussi, dit Hamdānī — c’est d’abord, aurait-il dû dire — les Espagnols, les Francs, les Slaves et les Turcs occidentaux. Par quoi, on le voit, on rejoint des clivages déjà connus ; et d’où il suit que notre Europe de l’Ouest se réduit à deux peuples et même à un seul : car Espagnols (al-Isbān) et Hispanie (Sibāniyā), c’est tout comme, tout cela appartient à la vieille histoire, et ne nous fournira guère de matière à traiter. Les Francs au contraire, ou l’histoire en marche, s’ils n’accaparent pas tout entière la vision de nos géographes, la dominent. Côte à côte, il est vrai, avec un des fragments de ce passé que nous venons de présenter comme perdu. Mais quel fragment ! Celui qui, finalement, les unit tous, la pierre d’angle : l’Empire romain (ar-Rūm) qui, grâce à son épigone, champion et rival d’Orient, grâce, aussi, à la Rome éternelle, réussit encore à brouiller la carte et les mémoires.
Au Nord : les Normands
6Dans nos textes, les Normands ne sont que des fantômes. Si, dans son histoire d’alors, l’Islam, au moins à l’occident, les connaît bien7, sa géographie, à peu près, les ignore8. Un seul texte ou presque : celui de Ġazāl (153/770-250/864)9, que nous ne connaissons qu’à travers des fragments conservés par des auteurs postérieurs. Qu’il ait été ou non ambassadeur de l’émir umayyade d’Espagne, ‘Abd ar-Raḥmān II, auprès des Normands du Jutland, reste encore une question, difficile à trancher : on la reprendra un peu plus loin10. Constatons, pour l’instant, que les données de Ġazāl s’inscrivent sur deux registres différents.
7Pour le premier, qui relève du récit, avouons notre perplexité : les deux thèmes qui le constituent se trouvent déjà dans le compte rendu d’une autre ambassade de Ġazāl, mais à Constantinople : la plus ancienne, pour les uns, la seule réelle, pour les autres. Premier thème : l’humiliation imposée par le souverain étranger au représentant de l’émir, forcé, pour accéder à l’audience, de passer par une porte si basse qu’il va devoir s’incliner : la vieille trouvaille du joug. Jeu d’enfant, pour notre ambassadeur, que de passer l’obstacle assis, en se propulsant sur les mains. Debout derechef aussitôt après la porte, Ġazāl, dans son discours, se donne le beau rôle : tout en glorifiant son hôte, il lui dénie, comme à tout homme, la gloire véritable, celle qui n’appartient qu’à Dieu. A quoi le monarque ne peut que se rendre, en avouant que Ġazāl a retourné la situation à son profit. Mais d’ajouter que, n’eūt été l’immunité du diplomate, l’affront ne fūt pas resté impuni.
8Thème rebattu que celui des honneurs humains et divins, thème qui s’inscrit bien, trop bien, dans la parénétique musulmane11. Mais le récit de Ġazāl nous promet plus de doutes encore, lorsqu’il nous conte l’amitié un peu tendre qui liera bientôt l’ambassadeur à la souveraine. Il lui écrit des vers, la voit souvent et puis, inquiet de la tournure que prennent les choses, espace ses visites : c’est ici le lieu de se rappeler que Ġazāl est un authentique poète, et la place que tiennent les thèmes d’amour dans la production en vers de l’Espagne musulmane.
9Tout cela, donc, trop beau, suspect. Pourtant, l’attitude de la reine nous invite à plus de réflexion. Ġazāl s’éloignant d’elle pour ne pas la compromettre : « la jalousie, dit-elle, n’est point dans nos habitudes. Chez nous, les femmes ne restent auprès de leurs maris qu’autant qu’elle le veulent, et quand leurs maris ont cessé de leur plaire, elles les quittent12. »
10Ici, nous sommes dans un autre registre, descriptif celui-là : or, nous connaissons déjà cette liberté de mœurs, vraie, supposée ou exagérée, que le monde musulman prête aux femmes du Nord, turques, bulgares ou slaves. Cette liberté est mise en rapport, comme toujours, avec le paganisme : tant que celui-ci subsiste, avec le culte du feu13, une femme peut épouser qui elle veut (même son fils ou son frère), sauf la réserve d’une mésalliance. Mais le christianisme, nous dit-on, l’a emporté, les Normands convertis razziant leurs frères païens : si le texte conservé est bien celui-là même qu’écrivit Ġazāl, dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle, il serait en avance d’une centaine d’années sur l’histoire de la christianisation du Jutland.
11Derniers renseignements, enfin, sur la contrée elle-même, qui serait vaste, fort peuplée, et comporterait de nombreuses îles de toute taille14 : paysage de terre et d’eau, donc, qui évoque assez bien le Jutland occidental et septentrional15. Que conclure ? Si l’on en croit Ġazāl, son absence aurait duré vingt mois ; embarqué, pour partir, au port de Silves, il aurait essuyé une forte tempête après avoir doublé le cap Saint-Vincent ; il serait revenu par Saint-Jacques de Compostelle et Tolède. Tous ces détails ne feront qu’ancrer chacun des deux camps dans sa conviction, preuve irréfutable de la véracité du voyage pour les uns, dernière et impudente touche d’imposture pour les autres. Encore devra-t-on poser à ces derniers, qui réclament, pour croire, davantage de renseignements sur le pays normand, la question suivante : pourquoi ces mêmes Normands ne sont-ils pas décrits dans les textes des historiens arabes de l’Espagne musulmane relatifs aux raids des envahisseurs16 ?
12Une chose est certaine, en tout cas. Les traits rapportés par Ġazāl aux Normands — ceux au moins qui composent le registre descriptif — ne peuvent pas s’inspirer de Byzance. Ils viennent d’ailleurs, d’un Nord très vague, où les brumes entrecroisent les silhouettes de peuples divers sans doute, mais parfois rapprochés, en raison de leur éloignement même, au sein de thématiques voisines. Poser le problème de l’authenticité de l’ambassade de Ġazāl au Jutland, ce n’est pas trancher catégoriquement, dans un sens ou dans l’autre, en excluant, pour les besoins de la cause, l’un ou l’autre des deux registres narratif ou descriptif ; poser le problème, c’est, tout en récusant le premier de ces deux registres, par trop suspect, se demander, à partir de la trop brève évocation du pays et de la société normands, si elle est fille du voyage réel ou, au contraire, de la projection des envahisseurs très réels de l’Espagne dans un Nord imaginaire qui les habillerait alors des traits que l’on attribuait à tel ou tel de ses peuples.
13Tel est, par exemple, le cas de Mas’ūdī, qui confond les Normands avec les Russes et, se demandant d’où et par où ils viennent jusqu’à l’Espagne, pose l’existence d’un bras de mer communiquant avec l’Atlantique, à l’ouest, et, à l’est, avec la mer d’Azov : on voit quels brouillards enveloppent nos mers de l’Europe du Nord, depuis le golfe de Gascogne jusqu’au fin fond de la Baltique17.
Bretagne et autres îles18
14Brumes des mers ou de nos textes, les Normands vont, disions-nous, comme des fantômes. Est-ce d’eux qu’il s’agit, se nourrissant d’une substance blanche fournie, entre aubier et cœur, par un arbre mystérieux, en une île qui pourrait être celle de Ré, alors que, l’hiver venu, la froidure interrompt pour un temps les grandes navigations19 ? Et cette île de ‘Āhq qui, chaque hiver encore, dépêche, vers les cieux moins rudes du pays de Rouen, ses oies sauvages, aux pattes et bec rouges20, cette île déserte, connue seulement des naufragés auxquels œufs et poussins fournissent une provende inespérée, relève-t-elle du monde ouvert aux courses normandes : Heligoland ou, plus au nord, les Halligen frisonnes21 ?
15Voici qui est plus net : l’Irlande22, donnée comme seule résidence fixe des Mağūs23, dans la partie nord-ouest du sixième climat, et fort vaste : mille milles de tour. Mœurs et vêtements, nous dit-on, sont normands, la pièce essentielle de ce dernier étant le manteau à capuchon, payé fort cher, et frangé de perles pour nobles. La grande activité, c’est la pêche à la baleine ou plus exactement au baleineau, dont la chair, aussi blanche que noire est la peau, constitue, une fois salée, une nourriture de base.
16Encore faut-il, pour qu’elle soit tendre et véritablement propre à la consommation, que le baleineau soit tout jeune : né en septembre, il est chassé d’octobre à janvier. La tactique consiste à l’apprivoiser par des cris et des battements de mains, jusqu’à ce qu’il vienne, tout contre le bateau, accepter les flatteries et se faire gratter vigoureusement la tête : entre ces rudes caresses et le premier coup asséné, avec une masse de fer, sur le harpon muni de crocs, le baleineau ne fera pas la différence. Quand il comprendra, il sera trop tard et le puissant cordage qui, par l’intermédiaire d’un anneau, prolonge le harpon, permettra de ramener la bête morte lorsqu’elle aura épuisé ses derniers soubresauts. Il ne restera plus, avant de la haler au rivage, qu’à éloigner la mère en répandant sur l’eau de l’ail pilé, dont l’odeur lui est insupportable.
17Voilà au moins, pour une fois, les Normands qui sortent de l’ombre. Les Bretons, eux, n’existent qu’à travers leur pays (Brṭīniya, Brāṭāniya)24, situé en plein Océan, au voisinage de la mystérieuse Thulé, qu’on inclut parfois dans les douze îles qui composent la Bretagne. Ce pays du Nord-Ouest extrême, où le jour peut durer jusqu’à vingt heures, s’identifie, pour Ibn Rusteh, à une grande ville, située sur le littoral et gardée par une statue qui a le pouvoir d’endormir ceux qui se présentent et de les livrer ainsi sans effort aux questions des enquêteurs. Mais est-ce la ville, ou le pays tout entier, qui est soumis à l’autorité de sept rois ? Le texte, dans sa construction grammaticale, ne permet pas de le préciser ; s’il s’agit de la ville — ce « littoral » s’entendant au sens large, comme le domaine touché par la marée — nous aurions peut-être là une lointaine, une très vague allusion à Londres, que son éminente position établit carrefour des différents royaumes saxons installés de part et d’autre de la Tamise25. L’allusion à l’Heptarchie des temps anglo-saxons, en tout cas, est fort nette. Et correcte aussi : car, que ce chiffre de sept soit historiquement faux, vu le nombre des royaumes d’alors, le texte d’Ibn Rusteh le laisse bien entendre : non pas « sept rois », mais « sept rois parmi d’autres »26.
18Quoi qu’il en soit, la Bretagne, déserte ici, cultivée ailleurs, est chrétienne27 ; elle aligne ses montagnes, rivières, villages et mines28 ; elle commerce, enfin, à en croire les Ḥudūd al-ālam, qui la mettent en relations régulières avec l’Espagne et le Rūm, ce Rūm dont elle constituerait le dernier territoire. Avec lui, première mention d’un nom, d’un grand nom que nous aurons à retrouver par la suite, et première interférence entre Rūm et Francs, puisque aussi bien la grande ville de Bretagne est située, nous dit-on, à quatre mois de ces derniers.
L’Espagne infidèle : des Francs aux Gascons
19L’image que les géographes arabes se font des pays limitrophes de l’Espagne musulmane29 est fort simple. D’est en ouest, au nord des territoires de l’Islam, ils distinguent les Francs, les Ġaliğaškaš, les Vascons ou Basques, et les Galiciens.
20Mais avant que de les décrire, un retour s’impose à ce passé de l’Espagne pré-musulmane que nos auteurs résument pour leur public moyen. Il tient en deux noms, ceux d’un peuple, al-Isbān, et d’un roi : Luḏrīq30. Les Isbān (ou Išbān, Ašbān) descendraient de Japhet et leur nom rappellerait celui de la ville d’Ispahan (Iṣbahān). Ils auraient disparu de la surface de la terre, tout comme le dernier de leurs rois, tué par Ṭāriq, le conquérant musulman, et qui portait le nom de Luḏrīq (Rodrigue, Roderic), lequel, à la vérité, est une titulature commune à cette dynastie pré-musulmane. Histoire célèbre que celle du dernier en date de ses représentants31 : l’Espagne comptait alors une des merveilles du monde, sous la forme de deux édifices, dont l’un contenait, avec vingt-quatre couronnes des prédécesseurs de Luḏrīq, la table de Salomon. Mais l’autre ? Rigoureusement clos de vingt-quatre serrures, chaque roi ayant fait placer la sienne, il intrigue la curiosité cupide de Luḏrīq. Passant outre aux mises en garde du clergé, qui s’offre à lui donner autant d’or qu’il espère en trouver dans l’édifice, il brise la porte et découvre « des cavaliers arabes, enturbannés, armés d’arcs et de flèches ». La même année, les Arabes envahissent l’Espagne.
21Histoire ancienne, déjà. Au reste, les gens d’Espagne sont-ils vraiment fils de Japhet ? Mas’ūdī, qui l’affirme, donne ensuite l’opinion des intéressés eux-mêmes, lesquels prétendent à une origine galicienne32. Cette revendication de continuité nous amène aux temps de nos auteurs. Disons tout de suite que la répartition qu’ils proposent des peuples de l’Espagne infidèle recoupe assez bien la réalité des faits ; en allant d’est en ouest, non seulement nous parcourrons quatre pays bien distincts, mais nous entendrons, de plus en plus fort, les bruits de la guerre.
22A l’est, donc, les Francs (al-Ifranğa)33, à savoir la marche de Catalogne, comté de Barcelone ensuite. Comme voisins du monde musulman espagnol, ces Francs n’apparaissent guère dans nos textes : rien à voir, en tout cas, avec les notations, relativement abondantes, sur les Francs en général. A peine nous dit-on que Ṭāriq fit un moment la paix avec eux, qu’ils sont chrétiens et que leur pression s’exerce notamment sur Tortose34, au débouché du fleuve « venant de Saragosse » : l’Èbre. Iṣṭaẖrī est le seul à évoquer l’appartenance de ces Francs à la mouvance carolingienne, lorsqu’il leur donne un roi nommé Charles (Qārluh)35. Ibn Ḥawqal enfin, reprenant un thème courant, celui de la comparaison Francs-Galiciens, laquelle donne le nombre aux premiers, mais plus de vaillance aux seconds, insiste sur le manque de combativité des voisins francs de l’Espagne, volontiers enclins aux accommodements et aux alliances familiales avec les habitants de celle-ci36.
23Glissons un peu à l’ouest : face à la région de Huesca (Wašqa), c’est le pays des Ġaliğaškaš, Ġaliğaskaš, Ğāsqas37. Beaucoup de graphies possibles, mais un seul peuple : celui de Jaca, les anciens Jacetani, avec lesquels commence à entrer dans l’histoire de la Reconquista, par le refuge de ses hautes vallées, le pays d’Aragon. Ceux-là, on ne les connaît pas trop encore : on les place parfois sur la mer, peut-être parce qu’on ne distingue pas très bien leur nom de celui des Galiciens (al-Ğalāliqa), Ibn Ḥawqal faisant même d’eux un peuple lombard38. De façon plus sûre, on sait qu’ils sont chrétiens et font écran entre le monde musulman et les pays « francs », entendons sans doute : ceux de l’autre côté des Pyrénées occidentales. Au demeurant cette appellation de Francs rejaillit-elle, à l’occasion, sur les Ğāsqas. Signe des temps : de tous les peuples en lutte avec l’Islam, on les tient pour les moins redoutables.
24Un pas encore à l’ouest, et nous voici chez les Basques ou Vascons (al-Baskuns, al-Waškand, al-Waškans)39 ; en face, cette fois, l’Islam porte le nom de Tudèle (Tuṭīla). C’est le pays de l’Èbre moyen, que Mas’ūdī confond allègrement avec le Tage ; c’est, surtout, le pays de Navarre, qui commence à s’affirmer avec vigueur : entre Galice, pays francs40 et Espagne musulmane, les Vascons, chrétiens41, constituent une grande nation, la troisième par le nombre après les Francs et les Galiciens, mais la première pour l’énergie guerrière : un véritable dard42 dans la chair espagnole.
L’Espagne infidèle : Galiciens et vue d’ensemble
25Sous le terme de Galiciens (al-Ğalāliqa)43, nos géographes entendent l’ensemble que constituent, outre la Galice, les pays de Léon, des Asturies et de Vieille-Castille : tous ceux, en un mot, qui font face aux régions musulmanes de l’autre côté d’une diagonale joignant grossièrement la Navarre au quart supérieur de notre Portugal44. En terre d’Islam, ce sont les villes de Medinaceli, Guadalajara, Tolède et Merida — ces deux dernières assez loin en arrière de la zone-frontière — qui apparaissent comme les pièces essentielles du dispositif de défense45. De l’autre côté, les places fortes ou résidences royales : Arnedo, Léon, Zamora surtout, la redoutable, avec ses sept enceintes protégées par des douves46. Quelques échos de batailles parviennent à nos textes : souvenir des premières offensives, quand l’Infidèle était acculé à ses montagnes47, puis du règne de ‘Abd ar-Raḥmān III, avec l’échec de l’expédition contre la région de Zamora, le repli devant la fougue galicienne et vasconne, d’autres batailles enfin, à l’avantage des Musulmans cette fois48.
26Mais toujours, de toute façon, le sentiment persistant que l’Islam espagnol tient là, avec ces Galiciens, ses plus dangereux adversaires49. Les Francs sont nombreux, mais pèchent par défaut de vaillance : un Galicien vaut plusieurs d’entre eux à lui tout seul50 ; les Vascons, eux, sont vaillants51, mais pèchent par leur trop petit nombre. Les Galiciens, finalement, représentent comme une moyenne, mais une moyenne stable, solide. Infailliblement en guerre avec l’Islam voisin, ils ont pour eux cette force des sociétés organisées : l’obéissance à un pouvoir. Pouvoir royal : Mas’ūdī cite les noms des souverains asturleonais ou, comme il dit, galiciens : Alphonse III (Adfūnš), Ordoño II (Urdūn) et Ramiro II (Ruḏmīr)52. Pouvoir religieux : les Galiciens, comme tous les autres Francs53, reconnaissent l’autorité de « celui qui gouverne à Rome » et sont chrétiens, de rite melchite54 : n’imaginons surtout pas un fondement sérieux à cette irruption, en pleine Espagne, de modèles chrétiens orientaux55. L’épithète de melchite n’a sans doute d’autre valeur que classificatoire, et permet de distinguer les Francs des Slaves, donnés, eux, comme jacobites ou nestoriens56.
27La tendance, on le voit, est à intégrer ces Galiciens, avec le reste de l’Espagne infidèle, dans un ensemble plus vaste : celui des pays francs et, au delà, de l’Europe occidentale, voire de l’Europe tout court : n’oublions pas que Mas’ūdī et Ibn Ḥawqal font de la Galice le terme des raids turcs ou bulgares57. Ibn Ḥawqal58, toutefois, est le seul à rationaliser un peu les choses : il distingue, dans ce qu’il appelle l’Ouest (Maġrib), une partie « occidentale », à savoir l’Afrique du Nord, Egypte comprise, et une partie « orientale », depuis les marches syriennes de l’Empire byzantin (Rūm) jusqu’à Rome, la Calabre, la Lombardie, les Francs et la Galice. Ailleurs, il définit le littoral byzantin comme partant de l’Océan et passant par la Galice, les Francs, Rome et Athènes, en précisant qu’il englobe tous ces pays dans le territoire byzantin : relevons au passage, une fois de plus, les flottements de la classification, Rūm désignant ici, finalement, toute l’Europe moins celle des Slaves.
28Mais, sans doute insatisfait de ce schéma, Ibn Ḥawqal, dans d’autres passages, voit dans l’Espagne une presqu’île touchant, du côté de la Galice et des Francs, au « petit continent » (al-barr al-aṣġar), dit aussi « petite terre » (al-arḍ aṣ-ṣaġīra). Que faut-il entendre sous ces mots ? Parlant du « canal de Constantinople », Ibn Ḥawqal le fait venir de l’Océan pour se déverser dans la Méditerranée : nous connaissons déjà cette croyance à une mer Noire se prolongeant, par une mer d’Azov démesurément étirée vers le nord, jusqu’à l’Océan à travers les pays slaves59. Ainsi se détache, à l’ouest de ce bras de mer mythique, une « petite terre » définie comme une presqu’île englobant une partie de l’Empire byzantin et des régions slaves, les pays francs, la Calabre, la Galice et l’Espagne : « presqu’île qui ne relève pas du grand continent, ne lui est reliée d’aucune façon et forme une entité indépendante ».
29C’est dans l’intérieur de cette presqu’île mal connue, où les montagnes (Alpes, Pyrénées) sont confondues dans une représentation unique, mais sans nom60, que nous allons maintenant pénétrer.
Les Francs : un grand peuple, un territoire incertain
30Le mot de Francs (Faranğa, Ifranğa) est certainement celui qui, sous la plume de nos auteurs, revient le plus souvent pour évoquer ce que nous appelons Europe occidentale61. Mais cette insistance n’est finalement que le signe d’une très grande incertitude, comme si, depuis les Turcs et en passant par les Slaves, la géographie des peuples se diluait peu à peu dans le flou de la carte ou, si l’on préfère, d’horizons que l’on scrute de loin, de trop loin, à partir du cœur des pays d’Islam.
31Francs ou « Africains » ? A plusieurs reprises, Mas’ūdī62 confond évidemment les Francs et les Afāriqa, habitants de la vieille Ifrīqiya, l’Africa de l’antiquité romaine.
32Francs ou Slaves ? Ibrāhīm b. Ya’qub, qui pourtant passa par là, range chez les seconds les villes de Schleswig, Paderborn et Soest63. Or, il y a beau temps déjà que l’Empire carolingien a affirmé son autorité sur ces pays, avant qu’ils passent, lors du partage de Verdun, dans la mouvance de Louis le Germanique. Mais peut-être y a-t-il, chez Ibrāhīm, un vague souvenir de ce que fut l'Imperium Romanum. Si les trois villes citées lui échappèrent en effet, celles qui sont données pour franques en firent partie : Bordeaux, Saint-Malo, Rouen, Utrecht, Aix-la-Chapelle, Mayence et Augsbourg, mais aussi Fulda64 et l’italienne Cortona65. Des renseignements vagues à ce point ne sauraient toutefois offrir une base solide à notre réflexion : le même Ibrāhīm, qui fait de Cortona une ville franque, déclare par ailleurs, à propos de l’Adriatique, que ses deux rives sont occupées par les Slaves66.
33Francs ou « Romains » ? Le dernier terme (ar-Rūm) recouvre beaucoup plus que les souvenirs de la latinité : il renvoie aussi bien à Byzance qu’à Rome et, surtout, retrouve une vigueur nouvelle avec la fondation du Saint-Empire Romain Germanique : « roi du Rūm » est le titre donné par Ibrāhīm à Othon Ier67. S’agissant plus précisément des Francs, Mas’udī, Isḥāq b. al-Ḥusayn, Ibn Ḥawqal et les Ḥudūd al-ālam évoquent à eux tous un vaste territoire du Rūm (l’Europe au nord de la Méditerranée) dont les Francs, avec Rome pour capitale, relèveraient en même temps, on l’a vu, que la Bretagne68.
34Francs ou Français ? Entre les parties orientale et occidentale de l’ancien Empire carolingien, la distinction n’apparaît pas toujours. Germains ou Goths, en tout cas, ne font que de discrets passages dans nos textes69, et l’Allemagne ne peut être devinée qu’à travers la mention des luttes menées par les Francs contre les Slaves70. En revanche, la proximité de l’Espagne et, surtout, un texte de Mas’ūdī parlant de Paris ainsi que des rois francs depuis Clovis, renvoient à ce qui fut la « Francia occidentalis », puis la France71. Ibrāhīm b. Waṣīf Šāh, quant à lui, semble comprimer les époques et les peuples : il donne aux Francs, pour capitale, Trèves — qui fut résidence de l’empereur Constance Chlore, puis chef-lieu du diocèse des Gaules — tout en faisant guerroyer ces mêmes Francs avec les Slaves (ce qui renverrrait aux pays germaniques) et avec les Lombards (ce qui renverrait aux Carolingiens)72.
35Assignons donc aux Francs la position et les limites que nos textes leur donnent et considérons-les, ainsi qu’on nous y invite, comme un tout73. Peuples du Nord et de l’Ouest, assez lointains pour avoir jadis suscité l’humeur aventureuse d’Alexandre, les Francs relèvent du sixième climat et, pour ce qui est des divisions de l’antiquité, de l’Europe (Arūfä) et de la troisième nation (umma), où ils se retrouvent avec les Slaves, les Grecs anciens (al-Yūnāniyyūn) et les Rūm. Leurs limites sont, à l’est, les Slaves et, au sud, la Méditerranée, celle-ci connue notamment par un golfe qui « s’avance vers le pays de Narbonne » et serait long de deux cents milles74. A propos de cette ville, on notera que, malgré tout ce qu’on a pu nous dire sur les Francs de la marche de Catalogne, Narbonne continue d’être présentée comme la dernière ville de l’Islam espagnol75.
Les Francs : notations discrètes et vues d’ensemble
36Les Francs n’apparaissent pas chez tous nos auteurs, tant s’en faut, et lorsqu’ils se montrent, c’est en quelques mots, quelques phrases au mieux. Seuls, Mas’ūdī et Ibrāhīm b. Ya’qūb sont un peu plus prolixes, le second surtout.
37Regroupons d’abord les notations éparses : du pays franc, on prétend savoir qu’il est synonyme de montagnes et de défilés, d’arbres et de fleuves, d’îles nombreuses enfin : par ce dernier trait, tout comme par le froid et la complexion qu’il modèle, nous rejoignons la description classique des pays du Nord : slaves, russes ou normands76. Grand peuple, ou plutôt association de plusieurs peuples, dotés d’une langue qui leur est propre, les Francs sont tantôt chrétiens, soumis à l’obédience de « celui qui gouverne à Rome », tantôt adorateurs du feu ou même athées77.
38Dernière notation : le commerce, signalé comme important. Le Tanbīh de Mas’ūdī cite les peaux de renard noir importées de chez les Burtās, tandis qu’Ibn Hurdāḏbeh s’attache, lui, à préciser davantage le rôle des Francs dans le trafic international. A la vérité, ce rôle est de pourvoyeurs, non de transitaires, les échanges restant aux mains des énigmatiques Juifs rāḏānites. Ceux-ci, polyglottes comme il convient, et négociants d’esclaves, de fourrures ou d’armes, assurent, par mer, les communications des pays francs avec Péluse (al-Faramā), la mer Rouge, l’océan Indien et l’Extrême-Orient, ou bien vers Constantinople, ou encore vers Antioche, Bagdad et, de nouveau, les mers de l’Inde et de la Chine. Quant à leurs itinéraires terrestres, ils mènent, par les pays francs et l’Espagne, jusqu’à l’Afrique du Nord, l’Égypte, Bagdad et, par l’Iran méridional, jusqu’à l’Inde, encore et toujours, et l’Extrême-Orient78.
39La première vue d’ensemble un tant soit peu cohérente nous est fournie par Mas’ūdī dans les Prairies d’or79. Il s’agit, on l’a dit80, non pas des Francs en général, mais de la « Francia occidentalis » qui, à la suite du traité de Verdun (843), devait devenir la France. Après avoir fait descendre les Francs de Japhet, en compagnie de tous les peuples du Nord, depuis les Turcs jusqu’à l’Espagne, Mas’ūdī les déclare chrétiens et même melchites, comme les Galiciens81. « Pourvus de vastes territoires et de nombreuses villes » — très exactement cent cinquante82 — les Francs sont constitués en une confédération dont les princes reconnaissent l’autorité d’un roi unique résidant à Paris (Barīza), la capitale. Ce roi, Mas’ūdī en sait le nom, d’après un livre qui lui « tomba sous la main » en Égypte et qu’il déclare avoir été rédigé par Godmar, évêque de Gérone, en 328/939-940. Le résumé que nous en donne Mas'ūdī comporte, il est vrai, pas mal d’incertitudes, mais nous pouvons y lire les noms de Clovis, converti au christianisme par sa femme Clotilde, et, après lui, de Dagobert, Carloman, Charles (Martel)83, Pépin, Charle(magne), Louis (le Débonnaire), Charles (le Chauve), Louis (II, le Bègue), Eudes, qui aurait négocié, contre six cents livres d’or et autant d’argent, l’évacuation de son territoire par les Normands, pour une durée de sept ans84, et enfin Charles (le Gros), Charles (le Simple) et Louis (IV, d’Outre-Mer), qui règne au moment où écrit Mas’ūdī85.
40Mieux construit, et plus inspiré, ce tableau du monde franc par Ibrāhīm b. Ya’qūb86 : « C’est un pays immense, un vaste royaume en terre chrétienne. Le froid y est très vif et, partant, rude le climat. Mais le pays est riche en céréales, fruits, récoltes, rivières, cultures, troupeaux, arbres, miel et gibier de toute sorte. Il renferme des mines d’argent, dont on fait des sabres redoutables, plus tranchants que ceux des Indes. Les habitants, chrétiens, obéissent à un roi valeureux, fort, appuyé sur une armée considérable et dont relèvent deux ou trois villes de ce côté-ci de la mer, en plein pays musulman : il les protège depuis l’autre bord et, à chaque expédition que les Musulmans lancent contre elles, réplique par l’envoi d’une mission de secours87. Ses soldats sont d’une bravoure extraordinaire : ils ne sauraient, au grand jamais, préférer la fuite à la mort. On ne peut voir gens plus sales, plus fourbes ni plus vils : ignorant la propreté, ils ne se lavent qu’une fois ou deux dans l’année, à l’eau froide. Ils ne nettoient jamais leurs vêtements, qu’ils endossent une fois pour toutes, jusqu’à ce qu’ils tombent en lambeaux88. Ils se rasent la barbe89, qui repousse à chaque fois d’une vilaine et rude façon. Et comme on interrogeait l’un d’eux là-dessus : « Le poil, dit-il, c’est du superflu, et si vous autres [Musulmans] vous l’enlevez des parties naturelles90, pourquoi devrions-nous nous-mêmes nous en laisser sur le visage ? »
Un itinéraire en pays franc
41On se souvient de l’organisation des États slaves présentée par Ibrāhīm b. Ya’qūb. Ici, rien de tel : une fois esquissé le tableau des pays francs, le voyageur nous donne une série de renseignements isolés sur des villes ou des îles qui furent peut-être des étapes de son itinéraire91.
42Bordeaux, d’abord, qu’Ibrāhīm qualifie de chrétienne en sa majorité. Il y voit les restes du temple de Tutela et, sur les rivages, note la récolte de l’ambre et la présence d’une statue semblant dissuader les gens de s’aventurer sur l’Océan92.
43Noirmoutier ensuite, dont Ibrāhīm s’exagère la superficie, mais dont il vante les puits d’eau douce, la terre généreuse, les cultures (en insistant sur le safran) et le climat si doux, si exempt de miasmes qu’il évite à l’île les reptiles et les insectes, lesquels naissent, comme chacun sait, de principes corrupteurs.
44Saint-Malo, ville fortifiée, conserve le souvenir de Martin. Docile aux sommations d’une femme-bandit qui détrousse les voyageurs, il accepte de lui donner ses vêtements93, braies non comprises. Mais la femme ne voulant rien entendre de cette pudeur, Martin la métamorphose en une statue dans la bouche de laquelle il enfonce un cep de vigne. « Le cep poussa et fructifia, mais avec la propriété de rendre stériles tous ceux qui mangeaient de ses fruits. »
45Rouen, que nous savons alors ville normande, puisque Ibrāhīm écrit quelque cinquante ans après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, nous est donnée comme franque. Bâtie de belle pierre, sur la Seine où l’on pêche le saumon, elle produit blé et seigle en abondance, mais la vigne et le figuier y font figure d’étrangers rabougris. A Rouen, Ibrāhīm relève deux curiosités locales : un jeune homme dont la barbe, en six ans, a poussé jusqu’aux genoux, et les oies blanches, aux pattes et bec rouges, qui viennent émigrer ici par les grands froids d’hiver94.
46Utrecht, vaste ville, vit de ses troupeaux, qui lui fournissent lait et laine. Car, pour le sol, il n’y faut pas compter : stérile à force de sel, il ne produit qu’une sorte de boue, où nous reconnaissons la tourbe. L’été, quand les prairies sont un peu moins gorgées d’eau, on s’en va découper, à la pioche, cette boue sous la forme de briquettes. Séchées au soleil, qui diminue considérablement leur poids, elles donnent, en brûlant, « une flamme très vive et très chaude, comme celle qu’on voit au soufflet des verriers. La combustion ne laisse que cendre, sans aucun résidu charbonneux. »
47Aix(-la-Chapelle), en belles pierres appareillées, sur une rivière, renferme un vaste bâtiment où sourd une eau chaude. Les habitants se baignent là, mais assez loin de la source elle-même, dont ils craignent la température excessive.
48Avec Mayence, sur le Rhin, nous tenons cette fois une très grande ville, dont le territoire marie maisons et cultures : blé, orge, seigle, vignes et vergers. Mais ce qui étonne surtout, c’est le commerce : les monnaies frappées à Samarqand, aux dates de 301-302/913-914, sont le signe tangible de ces courants qui apportent ici, « à l’extrême bout de l’Occident », tout ce qui vient du « fin fond de l’Orient » : poivre, gingembre, girofle, nard, costus ou galanga.
49Immense aussi, de pierre, mais peuplée uniquement de religieux : Fulda. Comme l’a prescrit le saint fondateur95, l’entrée de la ville est interdite aux femmes. « En fait de ville », d’ailleurs, « c’est une gigantesque église, fort en honneur chez les chrétiens. » Et quelle église ! Aucune autre n’est plus vaste ni plus riche : vases sacrés, encensoirs, calices, burettes, patènes, crucifix et reliquaires, tout y est d’or ou d’argent. Couronnant le tout, deux statues : celle du saint local, visage tourné vers l’occident, et une autre, lourde de six cents livres d’or que rehaussent encore l’hyacinthe et l’émeraude96, et qui représente, mains ouvertes, le Crucifié.
50Soest, on l’a dit, nous est donnée à tort comme slave. Ibrāhīm la connaît pour ses sources d’eau salée, les seules de toute la région. On y puise avec des marmites que l’on met ensuite à chauffer. « Quand le liquide s’est épaissi et troublé, on le laisse reposer : il donne alors un sel solide et blanc. »
51A Paderborn, ville puissamment fortifiée, et « slave » comme sa « voisine », c’est de tout autres saveurs qu’il s’agit. Ici97, la source coule comme miel, un miel dont le goût est du reste éphémère, car il laisse place ensuite à celui, beaucoup moins agréable, de la noix de galle.
52Schleswig, très grande ville sur les bords de la Baltique (l’Océan, pour Ibrāhīm)98, enferme en son périmètre plusieurs sources d’eau douce. Est-elle slave ? Ibrāhīm ne le précise pas. Nous pouvons, quant à nous, maintenir cette incertitude ou bien, considérant que Soest et Paderborn sont considérées comme slaves, accorder, a fortiori, cette qualification à Schleswig : après tout, les Obodrites (Slaves) du Mecklembourg-Schwerin ne sont pas si loin, et surtout, ce que l’on nous dit des coutumes nous rappelle des traits déjà relevés pour l’Europe slave au sens large du terme, je veux dire l’Europe de l’Est tout entière. Peu de chrétiens ici, avec une seule église, mais force adorateurs de la constellation de Sirius99, qu’on honore par des ripailles, des beuveries et des offrandes animales, suspendues à des pièces de bois, devant chaque maison. Et ceci encore : la femme jouit d’une singulière liberté de mœurs, répudiant, à sa propre initiative, son mari lorsqu’elle le veut100. Tout cela, donc, barbare, sur un fond de pauvreté et de grossièreté mêlées : que dire d’un langage qui n’est qu’aboiements, et d’un sol si pauvre qu’on est forcé de compter, pour se nourrir, sur la mer, voire de se débarrasser des nouveau-nés101 ?
53Terminons sur Augsbourg102, qui « pratique d’étranges usages commerciaux. » Passe encore que les magasins y soient gardés, et leurs surveillants pécuniairement responsables de tout vol ; mais, qui plus est, la relation vendeur-acheteur ne comporte aucun marchandage : toute denrée étant exposée avec son prix, si l’une vous tente et que le second vous agrée, vous acquittez celui-ci et emportez celle-là sans autre forme de procès.
54Ainsi va, au total, le pays franc : de la conscience diffuse qu’il existe de grands ensembles politiques jusque dans ces régions perdues de l’extrême Nord-Ouest103, n’émergent que des lueurs de détail, passionnantes certes et même inespérées, mais qui, le moment des bilans venu, s’avèrent ne pas excéder le hasard heureux d’une lecture ou d’un voyage isolés : rien qui permette en tout cas de construire, comme pour les Turcs ou les Slaves, une représentation cohérente et ample.
Les Burgondes
55Burgondes (Bourguignons) ou Bulgares ? Un même mot peut, nous l’avons dit, les désigner : celui de Burgàn104. Pour être discrets, ceux-là le sont, et plus encore que les Normands. Que savons-nous d’eux ? Qu’avec les Francs et les Galiciens, ils ont été victimes des raids bulgares105, mais assaillants, à leur tour, de l’Espagne musulmane. Ibn Rusteh chiffre à trois mois le temps nécessaire pour se rendre, par mer, de Rome au pays du « roi des Burgondes ». Mais quel roi ? Datant des années 267-277/880-890 le récit de voyage106 de Hārūn b. Yaḥyä, dont s’inspire Ibn Rusteh, Marquart voit dans ce souverain le beau-frère de Charles le Chauve, Boson, jusque-là comte de Vienne, duc de Provence, duc de Lombardie, et qui devient roi de Bourgogne en 879. S’il s’agit donc bien de la Bourgogne cisjurane ou royaume d’Arles, peut-être pourrions-nous voir, derrière l’adjectif burğān par lequel Ibn Ḥawqal, un siècle après, désigne une des langues parlées au pays de Venise, le provençal ou une autre langue occitane du grand et éphémère domaine rassemblé par la politique de Boson. Mais on ne saurait en cette matière, devant des textes si rares et si énigmatiques, trancher avec la moindre apparence de précision. Les Burgondes ou Bourguignons ne sont finalement, sur cette carte de l’Europe de l’Ouest où les blancs l’emportent, guère plus qu’un nom, et un nom lui-même incertain.
L’Italie moins Rome : Francs ou Lombards ?
56L’Italie ? Quelle Italie ? le nom d’Īṭāliyā n’est guère plus, on l’a dit au début de ce chapitre, qu’un souvenir ancien, figé et accessoire. Sans doute connaît-on le pays pour une péninsule très accusée : Ibn Rusteh, Qudàma et Mas’ūdī107 étirent sur 500 milles108 le « golfe » de l’Adriatique (Aḏriyas, Adriyas), baignant les pays de Rome109 et, tout au fond, de Venise (Fanadiya). Mais cette péninsule, en fait de nom, porte ou bien celui de sa partie méridionale (Qalūriya, Calabre), ou bien ceux de peuples : Francs et Lombards.
57Les premiers, à la vérité, n’apparaissent que rarement, et uniquement pour le nord de l’Italie, Rome comprise110. Les Lombards, eux, interviennent plus massivement, mais Lu’bardiyyūn, Ankubarḏa ou Nūkubard111 recouvrent en réalité deux ensembles. Ibn Rusteh112 ne connaît que les Lombards du Nord, installés autour de Pavie, leur capitale, grande ville qui s’étendrait, dans chaque sens, sur six milles, soit environ douze kilomètres ; deux rivières au cours rapide arrosent son territoire : évidemment le Tessin et le Pô. Le pays est riche, de fruits et d’olives surtout, du moins autour de Pavie : car, en dehors de cette région heureuse, la plaine est aride et stérile113. Les Lombards, chrétiens, y mènent une existence apparentée à celle des Kurdes, vivant tantôt sous la tente114, tantôt dans des habitations de planches.
58Un fait patent en tout cas : la contrée est vaste puisqu’elle s’étendrait jusqu’aux approches de Rome115. Et, pour finir, une constatation : si les Francs devaient être explicitement mentionnés, c’eūt bien dū être ici, car l’indépendance des Lombards, sinon leur État, disparaît avec Pépin le Bref et surtout Charlemagne : or, Ibn Rusteh, pas plus que les autres auteurs, ne fait allusion à ces faits de l’histoire.
59Mais il y a Lombards et Lombards. L’usage italien distingue, on le sait, les Longobards, envahisseurs du vie siècle, des Lombards, qui sont les mêmes sans doute, mais installés. Plus intéressante, une autre tradition semble, à travers ces deux noms, référer à deux Italies : du Sud et du Nord. Ainsi fera Guillaume de Tudèle lorsqu’il passera en revue, lors du siège de la forteresse albigeoise de Termes, les différents contingents des troupes de Simon de Montfort116.
60Ces distinctions ne sont perçues que de très loin par nos textes : Ibn Rusteh, on vient de le dire, ne connaît que les Lombards du nord, et sous une forme à demi nomade. Mas’ūdī117, qui fait descendre les Lombards de Japhet, les donne comme puissants, farouches et habitant, entre autres territoires, plusieurs îles. Soumis à un duc118, ils s’étendraient depuis les parages du Maġrib jusqu’au Nord : connaissance, donc, même très vague, d’une présence lombarde dans toute l’Italie119. Considéré en bloc, ce peuple est plutôt septentrional : en compagnie des (Galiciens, des Francs et des Slaves, les Lombards mènent la guerre contre l’Espagne musulmane120. Mais l’évocation des détails nous emmène dans l’Italie méridionale : comme ville, Mas’ūdī cite Bénévent, la capitale121, Bari, Tarente et Salerne122, un temps conquises par l’Islam, et recouvrées ensuite, nous dit-il, par les Lombards.

Fig. 29. – La Méditerranée occidentale d'après Ibn Ḥawqal (traduction Wiet : cartes nos 4 et 8)
61Ibn Ḥawqal, lui, ne connaît guère que la Lombardie du Sud ; il la distingue régulièrement de sa voisine, la Calabre, enjeu des luttes entre Byzance et l’Islam, lequel, grâce à son relais sicilien, vient manifester ici ses ambitions par l’exigence d’un tribut123. Mais la distinction d’ensemble ainsi opérée n’entraîne pas, tant s’en faut, une vision claire des choses quand on passe aux détails : l’Italie n’est finalement, pour Ibn Ḥawqal, qu’un inventaire de lieux-dits, et c’est à peine si, pour quelques-uns d’entre eux, on ébauche une description124.
62Tout en haut de la péninsule italienne, au delà de Venise, la carte d’Ibn Ḥawqal indique, en marge d’une épaisse chaîne de montagnes, un défilé, dit de Skn : sans nul doute le val Sugana de la haute Brenta, qui fut, au Moyen Age, la grande voie commerciale de Venise à l’Allemagne. En deçà, le « golfe des Vénitiens » (ğūn al-Banādiqiyyīn), « avec une profusion d’îles, de peuples et de langues » : le franc, l’allemand, le burğān125, le slave et bien d’autres. Ajoutons ici quelques renseignements pris à Ibn Rusteh et Ibrāhīm b. Ya’qūb : le premier évoque, au voisinage de Venise et du côté des Slaves, un pays montagneux et boisé, « où se voient des campements de toutes sortes »126. Quant à Ibrāhīm, il parle du « bras de mer de Venise » (ḏirā Banāğiya), qui baigne, dit-il, les rivages de Rome et des Lombards (Lunqubardiya), et commence à un pays dont le nom obscur peut se lire comme celui du Frioul (Furlāna) ou d’une de ses villes : Aqwīlāya (Aquilèia). Mais le même Ibrāhīm place, on l’a vu, les Slaves aussi bien à l’ouest qu’à l’est dudit golfe127.
63Aucune ville ensuite, sur le littoral de l’Adriatique, jusqu’à Baḏrant Brindes, Brindisi), à laquelle fait curieusement face, de l’autre côté de la mer, Adran (Hydruntum, Otrante). Puis, ce sont Qassāna (Cassano Ionio), Rasyāna (Rossano ?), Quṭrūniya (Crotone), Sabrīna (Santa Severina)128, Istalū (Stilo), Ğarāğiya (Gerace), Qasṭarqūqa (= Qasṭal Lūqa, San Luca ?)129, Buwwa (Bova), Ibn Ḏaqtal130, Rayū (Rhegium, Reggio), Mantiya (Amantea), Kasaša (Cosenza)131, Masniyān (?), Šalūrī132, Malaf (Amalfi), Nābul (Naples), Ġayṭa (Gaète), Bïš (Bïs, Pise ?), Qarāra (Carrare) et Ğanwa (Gênes), cette dernière figurée sous la forme d’une île.
64Le texte d’Ibn Ḥawqal se garde bien de décrire tous ces points de la carte. Il nous donne simplement Amalfi comme une des plus riches et des plus jolies villes lombardes133. Naples, sa voisine, le lui cède sur plus d’un point, mais il est vrai qu’elle n’a pas sa pareille pour les pièces de lin qui, malgré leur taille, se vendent à très bas prix134. A ces notations, ajoutons celle d’Ibrāhīm b. Ya’qūb sur Cortona, ville « franque », dont les habitants auraient une moitié de la figure blanche comme neige et l’autre du teint habituel135.
65Seul trait marquant du paysage italien : les volcans. Avec l’Etna, Ibn Ḥawqal en évoque un autre, anonyme (le Vésuve ?), et, dans une île en face de la Calabre, une montagne « dont le feu est continu la nuit et la fumée le jour » : le Stromboli (Siranğulū, Usturunğulu)136.
66Ainsi va l’Italie : morcelée, fragmentaire et mal connue de cet Islam qui pourtant est son voisin. Aux yeux de la géographie arabe, alors presque exclusivement écrite par des Orientaux, le Maġrib, le Maġrib musulman lui-même, n’est déjà que « la manche du vêtement »137, et la Sicile, comme l’Espagne, est au bout de la manche. Mais la culture n’explique pas tout : les relations économiques sont certainement, pour la question qui nous occupe ici, beaucoup plus importantes. Mais, dira-t-on, le monde musulman commerce pourtant avec l’Europe de l’Ouest138. Sans doute ; à cette réserve près, qui est essentielle, que ce commerce est aux mains des Européens eux-mêmes, non des Musulmans. Face aux nombreux marchands anonymes, arabes et surtout persans, qui fournissaient la matière, riche et vivante, de la Relation de la Chine et de l’Inde, le monde islamique ne délègue ici que des individus isolés : un Ibrāhīm b. Ya'qūb139, un ambassadeur comme Ġazāl, un prisonnier de guerre comme Hārūn b. Yaḥyä, s’il fut jamais emmené jusqu’à Rome, font décidément figure d’exception. Leurs récits, bien mal conservés, ne peuvent faire oublier que l’Europe lointaine reste, avant tout, le refuge des on-dit et des souvenirs livresques.
Rome et les Rūm
67Heureusement, il y a Rome, Rome la Grande comme dit Ibn Rusteh140. Le volume des textes qui lui sont consacrés, si on les compare à tous les autres traitant de l’Europe de l’Ouest, est considérable. Mais ne nous enthousiasmons pas trop vite. Car comment la connaissons-nous ?
68Deux sources : les livres, surtout pour ce qui touche à l’histoire, et une description, signée Hārūn b. Yaḥyä et rapportée par Ibn Rusteh. Fait prisonnier lors d’un raid byzantin sur Ascalon, Hārūn aurait été emmené à Constantinople et, de là, aurait gagné Salonique, les pays slaves, Venise, Pavie, Rome enfin.
69Passe encore pour Constantinople ; mais au delà, l’incertitude règne. Même si l’on attribue à Hārūn les données relatives aux Slaves et à l’Italie — ce qui semble suggéré par le texte d’Ibn Rusteh141, mais n’est pas écrit noir sur blanc, loin de là — sommes-nous si sūrs qu’il s’agisse d’une relation de voyage ? En réalité, l’intervention fréquente du merveilleux142 donne à penser que Hārūn, s’il s’agit bien de lui, a pu, à Constantinople même, profiter de lectures ou de renseignements oraux143, tout comme, avant lui, mais sans quitter le monde musulman, l’avait déjà fait un Ibn Hurdāḏbeh.
70Les structures morphologiques de l’arabe impliqueraient que ce fût Rome (Rūma, Rūmiyya) qui empruntât son nom aux Romains (ar-Rūm), et non l’inverse. Mas’ūdī, pourtant, soutient ce dernier point de vue144 : Rūmīnūs, qui est, dit-il, la forme latine de Rūm, dérive du nom de la ville : Rūmās, dont les Arabes ont fait Rūmiyya. Question annexe, à la vérité, ou amusement de savants, comme on voudra. L’essentiel est ailleurs, dans le mot de Rūm : comme il désigne aussi l’Empire romain d’Orient, celui de Constantinople, les confusions, on le pressent, sont fréquentes entre Romains (avant ou après Constantin) et Byzantins.
71La grande coupure constantinienne de l’histoire de Rome est bien résumée par Ibn Hurdāḏbeh145. Constantin le Grand, nous dit-il, se transporta à Byzance (Bizanṭiya), dont il fit le siège de son Empire. Mas’ūdī, lui, entre plus avant dans les détails146. Rūm serait, par deux généalogies possibles, un descendant d’Abraham, l’une d’elles faisant apparaître Ion (Yūnān), l’ancêtre éponyme des Grecs anciens, les Ioniens (al-Yūnāniyyūn) : par quoi, on le voit, un pont est jeté entre l’Occident et l’Orient, et restituée l’unité du monde gréco-romain. Au reste Mas’ūdī souligne-t-il au passage que les Rūm finirent par établir leur domination sur les descendants de Yūnān.
72Mais cette prétendue parenté ne résiste pas à l’examen : elle n’est qu’une invention de la crédulité générale, poursuit Mas’ūdī, qui tient à remettre les choses au point. Les Grecs, en réalité, descendent de Japhet, ce qui les distingue des Rūm, issus de Sem par Abraham : distinction que vient confirmer l’histoire même du devenir romain : « dans leur langage comme dans leur littérature, les Rūm ne sont que les imitateurs des Grecs, et jamais ils n’ont pu les égaler soit pour la pureté de la langue, soit pour l’éloquence. Leur langue est plus pauvre que celle des Grecs ; le langage dans lequel ils ont coutume de s’exprimer par écrit et oralement a une syntaxe moins vigoureuse »147.
73On dira que le mot de Rūm, ici, semble bien renvoyer aux Byzantins, présentés comme successeurs — pâles peut-être, mais enfin successeurs — des Grecs. Sans aucun doute : le passage ouvre le chapitre consacré aux « rois grecs » jusqu’à Alexandre. Mais ce qui nous importe reste la confusion elle-même : eūt-il voulu écrire ces mêmes choses des Latins, Mas’ūdī n’aurait pas employé un autre terme que Rūm148. On voit donc combien il reste, malgré ses soucis de clarification historique, tributaire de la tradition qui regroupe finalement, sous un vocable unique, l’Empire byzantin et le monde romain, ce dernier envisagé sous deux faces : ce qu’il fut et ce qui, Rome d’abord, en reste.
74Sans doute celle-ci n’épuise-t-elle pas, à elle seule, tout le domaine romain à l’ouest : on a dit plus haut comment le mot de Rūm se superposait parfois à celui de Francs pour évoquer, très vaguement, l’Europe au nord de la Méditerranée, et comment l’autorité du pape conférait à Rome un statut de véritable capitale sur cet ensemble mal connu149. Mais ce sont là notations discrètes, auxquelles Rome, il faut y insister, oppose le volume des textes qu’elle inspire.
Rome : d’abord une histoire
75Les données historiques tiennent une énorme place dans l’évocation de Rome. On note par exemple la datation même de cette histoire150, l’ancienne présence des Romains dans le bassin de la Méditerranée151, et l’on souligne, à propos de leur ville, l’antiquité de son statut de capitale152. L’essentiel, pourtant, ce sont les « rois » : Mas’ūdī, mieux informé, semble-t-il, dans le Tanbīh que dans les Prairies, nous donne, avec les noms des souverains, quelques-unes des particularités de leurs règnes153. Avec eux, à partir de César, l’histoire de Rome sort de l’ombre ; avec eux elle y rentre, lorsque Constantin s’installe à Byzance.
76Ce dernier fait mérite d’être souligné. Si, jusqu’à Constantin compris, le partage du pouvoir impérial peut être, à l’occasion, mentionné154, après lui, au contraire, Rome s’efface complètement au profit de Byzance ; d’Empire d’Occident, nulle trace : Arcadius seul succède à Théodose. Et Mas’ūdī de préciser que « le maître de Rome dépendait de celui de Constantinople, reconnaissait son autorité et le représentait, ne portant ni diadème ni titre d’Empereur »155.
77Page éminente de l’histoire de Rome : le christianisme. De ce qui précéda, on ne nous dit à peu près rien156, sinon que Rome, ses souverains en tête, adorait les idoles. Son histoire religieuse157 est celle de l’invincible montée de la chrétienté face au paganisme incarné par le pouvoir. De cette galerie de rois tous idolâtres émergent, comme les plus acharnés à perdre les chrétiens, Caligula, Claude, le premier grand persécuteur, Hadrien et Decius.
78Mais rien n’y fait : de païen qu’il était encore sous Caligula, le peuple romain se laisse peu à peu gagner par la religion nouvelle, ses apôtres, son martyrologe, inexorablement liés à l’histoire de Rome et parfois à son site même : Etienne et Jacques, le fils de Zébédée, tués, avec nombre de chrétiens, sous Caligula ; Jean l’Evangéliste, mis à mort par Agrippa en Judée, pendant le règne de Claude, ou encore banni dans une île par Domitien, puis rappelé, et mort sous Trajan, à Éphèse ; Pierre et Paul enfin, tous deux crucifiés la tête en bas, sous Claude ou Néron, et tous deux inhumés à Rome158; le Christ enfin, né dans la quarante-deuxième ou quarante-troisième année du règne d’Auguste, baptisé la seizième ou dix-septième année de celui de Tibère, et mort deux ans après.
79Au bout de cette histoire, le pouvoir lui-même sera contaminé : déjà, on prête la qualité de chrétien à Philippe (l’Arabe) ; mais c’est évidemment avec Constantin, idolâtre puis converti, et sa mère Hélène, que le christianisme s’installera officiellement159.
80Rome, dès lors, c’est le Pape (Bāb)160, défini comme roi161 ou, plus souvent encore, comme patriarche162, dignité qu’il partage avec ceux de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. On prend soin de nous préciser toutefois que Rome jouit d’une prééminence certaine : car, de ces patriarcats, Jérusalem est le dernier en date, Constantinople ne remonte pas au delà du concile de Nicée, Alexandrie invoque Marc pour fondateur, mais Marc n’est pas Pierre, et si Pierre est à l’origine d’Antioche comme de Rome, Rome pourtant garde le premier rang pour avoir été sa résidence principale. Dignité essentielle, donc, que confirme la présence romaine aux conciles qui se tiennent en Orient163.
Rome et ses merveilles
81Capitale d’un Empire de 2 100 000 parasanges carrées164, Rome relève du quatrième ou cinquième climat165. Elle est baignée par la Méditerranée (mer du Rūm), ou même par l’Adriatique166 : c’est la mer, d’ailleurs, qui lui permet de maintenir ses relations avec Constantinople, car la terre est au pouvoir des peuples de l’Europe orientale qui déferlent jusqu’ici et même, on l’a dit, jusqu’à l’Espagne167.
82Rome, en tant qu’institution, c’était un Empire, c’était le Pape. Rome, en tant que ville168, ce sont les merveilles169. Et ces merveilles, d’abord, ce sont des chiffres : la cité s’étend sur 28 ou 40 milles, soit 80 ou 120 kilomètres ; elle compte 12 000 rues, avec, pour chacune d’elles, 1 223 palais, et conduites d’eaux potables et usées, 95 marchés (mais d’autres disent 100 000), pavés de marbre blanc, et 40 000 bains : Ibn al-Faqīh, comme un qui ne lésine pas, dit 600 000. Les constructions religieuses s’assurent, dans cet ensemble démesuré, la part du lion : des moines stylites, à la mode d’Orient, vivent sur 1 220 colonnes. Outre 24 églises principales, le culte est assuré dans 1 200 autres, ce nombre étant parfois multiplié par dix ou vingt170. On compte par ailleurs jusqu’à 23 000 fondations conventuelles, et 120 établissements où s’enseignent les sciences et la sagesse. Au total, l’église romaine, c’est, en chiffres, plus de 100 000 cloches171, 48 000 prêtres et diacres, 6 400 livres liturgiques, 350 candélabres, 600 vases, 21 000 croix d’or et 10 000 d’argent ou autre métal. Ville riche, ville immense, ville sainte : n’était le bruit d’une pareille masse, on entendrait, avec la rumeur du soleil à son coucher et à son lever, les chœurs des anges.
83La presqu’île où est installée Rome, pays de jardins et d’olivettes, est enfermée dans une double enceinte de marbre, aux murs épais de 6 à 8 coudées, hauts de 42 à 72, entre lesquels un canal, dit Fistulatus172, large de 46 coudées et profond de 92, court sur 42 000 plaques de cuivre, longues de 46 coudées chacune. Dix ouvertures percent l’enceinte, dont la porte Dorée et la porte du Roi. D’est en ouest, un autre canal, alimenté par un bras de mer, traverse la ville : dans son lit de cuivre, entre des quais de cuivre, sous des ponts de cuivre, il mène les bateaux jusqu’aux portes mêmes des boutiques.
84Rome, on le voit, contient trois villes en une : une Rome-Rome, dont le Tibre, même embelli, est la marque173 ; une Rome-Constantinople, avec sa presqu’île, sa porte Dorée et son enceinte complexe, comme pour sa rivale d’Orient174 ; une Rome-Ville de Cuivre, enfin, cité légendaire du bout du monde175.
85Mais entrons dans la ville. Dire qu’elle est monumentale ne revient pas seulement à poser son décor. C’est définir aussi les principes de sa vie. Des hommes en effet, on ne nous dit rien ou presque, rien, en tout cas, qui ne trouve sa raison d’être dans les fonctions des édifices et, plus généralement, de ce monstre urbain qui commerce et prie. A la semaine les affaires, au « week-end » les offices : du samedi matin au dimanche soir, « il n’y a aucun trafic : la population se rend à la prière, à part deux heures après la communion (aẖḏ al-qurbān), que l’on consacre au repas, puis on retourne à la prière »176.
86Les monuments, tout est là. L’architecture (binā’) romaine place la ville à égalité avec Constantinople, Damas et Alexandrie. Avec cette dernière, la comparaison est particulièrement honorable puisqu’on sait que, pendant les soixante-dix premières années de la métropole égyptienne, ses édifices rayonnaient si fort que les habitants n’y circulaient que vêtus de noir177.
87On a évoqué plus haut les couvents, les bains, les marchés, les églises. Sur ce somptueux ensemble de pierre s’enlèvent quelques monuments privilégiés par la légende : le marché aux oiseaux178, qui s’étendrait sur une parasange (plus de cinq kilomètres !) ; le grand marché (ou le forum ?), celui-là même où viennent les bateaux : courant d’est en ouest, le triple portique qui le compose s’orne, en son centre, de colonnes hautes de trente coudées et entièrement faites de cuivre, depuis la base jusqu’au chapiteau.
88Enfin et surtout, les églises. A tout seigneur tout honneur : pour perpétuer le souvenir des deux apôtres Pierre et Paul, au centre de la ville, la « grande église », dite aussi des Nations (kanīsat al-umam), couvre 300 coudées de long, 200 de large, 50 de haut. 360 (ou 600) portes doubles percent ses murs. A l’intérieur comme à l’extérieur, c’est un flamboiement : car tout, voûtes, colonnades, murs, plafonds, portes, et sièges où se tiennent les prêtres, tout est de cuivre doré.
89A chaque angle de l’édifice, une tour abrite « une coupole d’argent sur laquelle on bat les simandres179 » : les cloches de Rome, déjà. Au centre, l’autel, « longue table » de 24 coudées sur 12. Et enfin, comme un trésor à cette fabuleuse église, 600 croix d’or avec une perle en leur centre, auxquelles s’ajoutent 84 autres, d’or également : 12 pour rappeler le nombre des Apôtres et 72 celui de leurs disciples ; 1 200 calices pour le vin de la messe, tous d’or incrusté de perles ; 1 000 éventails composés d’or, de perles et de rubis, avec des manches d’or, et couvrant, une fois déployés, l’équivalent d’une coudée carrée de surface.
90Dans l’église — sans parler des 600 sacristains chargés des 600 lampes — officient jusqu’à 5 000 prêtres et diacres, dont les vêtements liturgiques, en brocart blanc parfois relevé de perles, peuvent coûter chacun de 100 à 150 dinars. Tout ce monde est commis à la garde de deux tombeaux d’or : ceux des apôtres Simon Pierre et Paul, l’un dans la partie orientale de l’édifice, l’autre en face. « Chaque année, à Pāques, qui tombe un jeudi, le roi vient se faire ouvrir la porte du tombeau [de Simon] et y descend muni d’un rasoir ; il rase les cheveux et la barbe de l’apôtre, lui taille les ongles, puis remonte et donne un poil à chaque personnage de l’Etat. Tel est l’usage pratiqué depuis neuf cents ans180. »
91Mais la dévotion aux Apôtres déborde le jour même de Pāques. « Gens du commun ou grands, les Romains se rasent toute la barbe, sans laisser le moindre poil au menton, et aussi le sommet du crâne. » Étonné, Hārūn b. Yaḥyä, dont Ibn Rusteh rapporte les dires181, se récrie : comment se priver de la plus belle parure de l’homme ? Réponse : « Celui qui ne se rase pas la barbe n’est pas un chrétien sincère. Quand Simon Pierre et les Apôtres vinrent chez nous, ils n’avaient ni bâton ni besace182 : de vrais pauvres, des indigents. Nous, nous étions des princes, portant brocart, trônant sur l’or. Ils nous appelèrent à la foi chrétienne et nous, faisant la sourde oreille, nous les avons pris, torturés, nous leur avons rasé le crâne et la barbe. Plus tard seulement, quand nous est apparue la vérité de leurs dires, nous nous sommes mis à raser nos barbes, pour expier. »
92La « grande église », la plus vénérée, n’est pourtant pas la première pour les dimensions. Une autre, que l’on compare au temple de Jérusalem, s’étend sur un mille de long : presque trois kilomètres ! Ici, l’autel, de vingt coudées sur six, est d’émeraude ; douze statues d’or massif, hautes de deux coudées et demie, le portent, et l’église tout entière s’illumine183 à l’éclat de leurs yeux rouges d’hyacinthe. Mais la folie du luxe s’étale surtout dans les portes : vingt-huit d’or pur, mille de cuivre, et une foule d’autres, en ébène, buis ou autre bois de qualité, toutes relevées de sculptures inestimables184.
93Ne quittons pas Rome sans un regard à une dernière merveille : la grive de cuivre, dans un arbre, de cuivre aussi, ou encore au sommet d’une coupole de plomb supportée par une tour de cent coudées de haut, au centre de l’église des deux Apôtres. Quand vient la saison des olives, le vent, soufflant dans l’oiseau, lui arrache un sifflement qui attire toutes les grives du pays, chacune arrivant avec une olive au bec et deux aux pattes ; il ne reste plus qu’à recueillir les fruits déposés et à les envoyer au pressoir, leur huile assurant, jusqu’à l’année suivante, l’éclairage des lampes de l’église des Apôtres, ou même les besoins de la ville entière185.
94Le thème est connu. Aux Indes, lorsque vient le jour de 'āšūra186, un canard de cuivre, sur une colonne de cuivre, déploie ses ailes et tend le bec, donnant ainsi une eau qui suffit, pour toute une année, aux besoins des hommes, des troupeaux et des cultures187. L’arbre métallique, avec des oiseaux que le vent fait chanter, se retrouve dans les jardins du calife al-Mutawakkil, à Sāmarrā188, mais aussi, une fois de plus, dans l’autre Rome, la « nouvelle » : à Constantinople, au palais impérial, où, en 948, l’évêque de Crémone, Liutprand, pourra contempler la merveille189.
95Rome n’est plus dans Rome, ou plutôt, comme on l’a dit, Rome n’est plus seule dans Rome. La Rome réelle existe sans doute, au prix de la transfiguration, et Marquart a cru pouvoir écrire ces mots que la description nous souffle et que l’excessive légende seule nous interdit de prononcer tout à fait : Saint-Pierrre et le Latran, par exemple190. Mais le cuivre omniprésent relègue la ville à des horizons perdus, et Constantinople, surtout, vient la couvrir de son ombre.
96Une ombre, à la vérité, maléfique : si l’Islam, depuis le Prophète dit-on, rêve de conquérir la nouvelle Rome191, il ne se peut pas que, la magie du nom aidant, l’autre Rome, la première dans l’histoire, échappe tout à fait à cette volonté de puissance. De fait, la dernière merveille que nous ayons à citer nous montre, sur un chameau, un guerrier, sabre en main, et la statue, pour laquelle on a, cette fois, préféré la pierre fragile à l’orgueilleuse éternité du métal, a un sens bien clair : « celui qui la fît, expliquent les Romains, nous a dit de ne rien craindre pour notre ville jusqu’au jour où viendra un peuple à cette image, par qui Rome sera conquise »192.
De quelques îles méditerranéennes
97Iles ou presqu’îles ? Le mot de ğazīra évoque, en réalité, une terre ou une ville que la mer, un fleuve, voire le désert, isole très fort, mais pas toujours complètement : la définition, comme on le verra, a son importance, au moins dans certains cas.
98De ces îles, nous en avons déjà évoqué quelques-unes, nébuleuses comme celles des Normands, ou d’autres, à peine connues, mais qui au moins portaient un nom : Irlande, Bretagne, Stromboli ou encore, plus curieusement, Gênes, sur la carte d’Ibn Ḥawqal. L’inventaire est évidemment incomplet : il y manque les grandes îles de la Méditerranée occidentale193, étant entendu que, s’agissant ici du monde étranger à l’Islam, on ne pourra que signaler, sans les décrire, les îles où les Musulmans exercent une autorité éminente, voire totale : Malte (Mālṭa) Pantelleria (Qawsara), la Sicile et les Baléares. Même attitude pour les îles de la Méditerranée orientale, dont la mention ou la description relèvent du chapitre suivant194.
99Ce principe de distribution posé, convenons qu’il est artificiel : nos auteurs considèrent la Méditerranée comme un ensemble, et comme un sous-ensemble les îles de cette mer, qu’elles soient d’est ou d’ouest, musulmanes ou non. Pour une fois, l’esprit de la vieille cartographie du globe, de la ṣūrat al-arḍ, continue de contester, au fil des œuvres, l’autre tendance, soucieuse, elle, d’isoler l’Islam sur la carte du monde : simple survivance de vieux modèles ou sensibilité confuse à l’unité méditerranéenne ? Peu importe. Pour nous, en tout cas, notre démarche étant ce qu’elle est, on ne pourra guère nous reprocher que d’être trop fidèle, dans le cas présent, à l’esprit de la seconde école, et de refuser l’exception où elle se laisse entraîner195.
100Ibn Rusteh et Qudāma, les premiers, donnent le ton196. La mer du Rūm, selon eux, comprendrait 162 ou 172 îles habitées et cultivées, mais soumises aux raids musulmans. Cinq d’entre elles, plus importantes, retiennent l’attention : Chypre, la Crète et la Sicile, les trois plus grandes ; puis la Sardaigne (Sardāniya, Sartāniya), qui aurait 300 milles de tour, soit un peu moins de 600 kilomètres197 ; enfin, pour Qudāma, Yābis (Ibiza, représentant l’archipel des Baléares)198, et, pour Ibn Rusteh, la Corse (Qūrnus), la plus petite : 200 milles de tour199.
101Quelques renseignements supplémentaires nous sont fournis par Ibn Hurdāḏbeh et Ibn Ḥawqal200. Le premier donne la Sardaigne comme résidence d’un patrice byzantin investi de l’autorité sur toutes les îles de la mer201 : souvenir des conquêtes de Justinien. Ibn Ḥawqal place la Corse (Quršiqa) à l’ouest de la Sicile202.
102Les Ḥudūd al-’alam203 reprennent, pour l’essentiel, le schéma d’ensemble : ils mentionnent les six grandes îles d’Ibn Rusteh et de Qudāma, mais font passer la Sardaigne, qu’il situent au sud de Rome, après la Corse (Qurnus), dont le périmètre est porté à 350 milles. Toutes ces îles, nous dit-on, sont cultivées et agréables, dotées de villes, d’une population nombreuse, soldats et marchands notamment : bref, les plus riches îles qui soient au monde. Une précision toutefois : on ne nous parle pas ici d’autres îles habitées en Méditerranée.
103Surtout — et c’est ici qu’il faut penser au sens exact du mot ğazīra — les Ḥudūd nomment, à côté des six îles précitées, deux autres qui seraient en même temps montagnes. L’une d’elles est Gibraltar (Ğabal Ṭāriq), l’autre le Ğabal al-Qilāl, qui resta longtemps énigmatique avant que Reinaud l’identifiāt à Fraxinetum : la Garde-Freinet, dans le massif des Maures204. De cette tête de pont musulmane en Provence ou, comme on nous dit, près du « pays de Rome », on nous apprend qu’elle est dominée, à l’ouest (?), par une montagne riche en gibier, en bois, de charpente ou de chauffage205, et si haute que personne n’aurait jamais pu la gravir : plutôt qu’aux Maures, somme toute modestes, il faut penser aux Alpes, dont on découvre, par temps clair, les premiers horizons à partir des belvédères du Ğabal al-Qilāl.
104C’est Iṣṭaẖrī, ici comme en maint autre passage, qui a montré la voie aux Ḥudūd : il évoque le murmure des eaux de la montagne et l’inaccessibilité du repaire, long de deux jours de marche, que les Musulmans sont venus peupler et cultiver, pour la terreur des Francs voisins206. Ibn Ḥawqal, lui aussi tributaire d’Iṣṭaẖrī, renchérit sur cette nature hostile aux gens du dehors : une seule route, et bien surveillée, mène au repaire. Mais il parle, en outre, d’une campagne fertile, ce qui élargit la vision au bas pays entre les Maures et la mer207. A considérer ce refuge si bien défendu, et assez riche, nous dit-on, pour nourrir sans difficulté ceux qui le peuplent, on croirait n’avoir affaire qu’à de tranquilles agriculteurs soucieux de leur paix ; en réalité, ce sont des soldats de la foi (muğāhidūn), une menace contre les terres franques208.
105On dira que, oubliant notre propos, nous nous sommes laissé aller à décrire une « île » musulmane, et non pas étrangère. Sans doute, mais où placer cette évocation ? Avec celle des colonies musulmanes à l’étranger, un peu plus loin209 ? Impossible : à certains traits qui les distinguent, on verra que le Ğabal al-Qilāl n’a rien à voir avec elles. Fallait-il alors le réserver pour plus tard encore, lorsque le moment sera venu de décrire le monde de l’Islam ? Je sais bien qu’Ibn Ḥawqal rattache l’« île » à la mouvance espagnole, et que ce sont des Musulmans d’Espagne, en effet, qui vinrent peupler ce réduit des Maures. Mais pour combien de temps ? Pour un siècle à peine, entre 278/891 et 362/ 973, et si hardies qu’aient été vers le nord les chevauchées de ces muğā-hidūn, leur base fut toujours très mince210.
106Rien qui permette, en tout cas, de voir dans le Ğabal al-Qilāl une frontière de l’Islam, une marche, adossée comme telle à un arrière-pays, sur fond de relations régulières : la Garde-Freinet n’est pas Narbonne, même si l’Islam s’y maintint un peu plus. Aventure, mais trop lointaine, tête de pont, mais trop isolée, le Ğabal al-Qilāl est lui-même un corps étranger dans la terre étrangère des Francs.
Conclusion
107Continent entrevu, effleuré, disions-nous plus haut à propos de l’Afrique. Et l’Europe occidentale donc ! D’un côté, deux grands ensembles, Francs et Rūm, s’y disputent des pays incertains. De l’autre, une vision parcellaire distribue tant bien que mal, à l’intérieur ou à l’extérieur de ces deux territoires, d’autres régions qui, parfois, ne sont guère que des noms. Notre tour du monde nous emmène ici aux confins de l’œcoumène. Au delà s’étendent les brumes de pays mythiques.
108Mais pour ce regard que l’Islam jette, depuis l’Orient, sur les horizons qui l’entourent, il reste encore un secteur à explorer : celui qui est au plus près de Bagdad, celui où l’étranger, pire : l’ennemi, l’ennemi de toujours, est à portée de voix et d’armes. Je veux dire le Rūm : non plus l’antique terre des Romains, mais l’Empire de la nouvelle Rome, de Constantinople.
109Pour être complète, la vision doit donc revenir maintenant vers cette mouvance byzantine que la géographie et l’histoire placent au carrefour de l’Islam et de l’Europe, orientale ou occidentale. Après quoi, il ne nous restera plus, embrassant le panorama des pays considérés, qu’à le percer sur tous ses fronts pour nous enfoncer, autant que faire se pourra, dans les pays de la légende, aux quatre coins d’un monde où l’humanité prend d’étranges formes avant de disparaître tout à fait.
Notes de bas de page
1 Cf. supra, p. 34 sq.
2 Galatia ou Gallograecia ; cf. Besnier, op. cit., p. 191-192 et 325.
3 Cf. supra, p. 37, n. 2.
4 Cf. Strabon, éd. Tardieu, t. II, Paris, 1873, p. 32, et Besnier, op. cit., p. 124-125.
5 Cf. supra, p. 46, et Besnier, op. cit., p. 337, 671.
6 Sa description, par conséquent, ne nous intéresse pas ici.
7 Cf. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. I, Paris-Leyde, 1950, p. 218-225, 310-312 et passim.
8 Ya’qūbī (supra, p. 334) les évoque, mais à propos de Séville, victime d’un de leurs raids, et sans les décrire.
9 ĠAZ (n), 14 sq.
10 Sur le débat ouvert, cf. Géographie I, p. 148, n. 2, A. Huici Miranda, dans EI (2), t. II, p. 1062, et A. A. El-Hajji, « The Andalusian diplomatic relations with the Vikings during the Ummayad period », dans Hesperis, VIII, p. 67-110 ;
11 On retrouve la même inspiration, avec des gestes différents, dans les entrevues d’émissaires musulmans auprès des souverains sassanides : exemple dans MAS (p), IV, 231-232.
12 Trad. Dozy, op. cit., p. 275.
13 On sait que les Normands sont alors désignés par le terme de Mağūs, qui désigne les Zoroastriens ; explicité par ĠAZ (n), 15 : « Mağūs et adorateurs du feu ».
14 Avec eaux courantes et jardins, au moins pour l’île où se trouve la résidence royale : ĠAZ (n), 14-15.
15 Cf. G. Chabot, dans Encyclopaedia Universalis, t. V, Paris, 1968, p. 317 i. f.-318.
16 Cf. Dozy, Recherches sur l’histoire et la littérature de l’Espagne pendant le Moyen Age, Paris-Leyde, II, 1881, p. 250 sq.
17 MAS (p), § 404 (sur l’assimilation aux Russes, cf. aussi supra, p. 334). Le texte appelle quelques explications : Mas’ūdī affirme d’abord, sur la foi des Espagnols, l’existence d’un bras de mer communiquant avec l’Atlantique et qui n’est pas « celui qui porte le phare de cuivre » (il s’agit des colonnes d’Hercule, à la jonction Océan-Méditerranée, cette dernière comprenant les rivages occidentaux de la péninsule ibérique : cf. MAS (p), § 273, D. M. Dunlop, « Baḥr ar-Rūm », dans EI (2), t. I, p. 963, A. Huici Miranda, « Djillīḳiya », ibid., t. II, p. 555) : le bras de mer désigné ici correspondrait donc à l’ensemble mer Baltique-mer du Nord-Manche ; puis, en son nom personnel, Mas’ūdī parle d’une communication entre ce bras de mer et la mer d’Azov (sur les dimensions mythiques de celle-ci, cf. supra, p. 312, n. 3), ajoutant alors qu’en fait de Normands, il s’agissait, lors des attaques contre l’Espagne, de Russes. On pourrait donc penser que Mas’ūdī laisse planer l’hypothèse de Russes venus par la Méditerranée, mais il n’en est rien ; pour n’être pas fermement explicitée, sa théorie (Russes venus, par le nord, des pays au nord de la mer d’Azov) ne s’en dégage pas moins clairement, car il conclut : « les assaillants étaient de ces Russes dont nous avons déjà parlé, car ces peuples sont les seuls à naviguer sur ces mers qui communiquent avec l’Atlantique » : or, ce n’est pas par la Méditerranée, on le sait bien, qu’arrivent alors les assaillants normands.
18 On complétera ce chapitre avec ce qui est dit, infra, chap. IX, à propos du Nord légendaire.
19 IBR (e), trad., 1053 (et n. 4-5).
20 C’est l’espèce nommée chen hyperborée.
21 IBR (e), trad., 1057 (et n. 1-2).
22 IBR (e), trad., 1057-1058.
23 Sur ce nom, cf. supra, p. 346, n. 2.
24 RST, 85, 130, QUD, 231, MAS (p), § 188, (t), 100, Ḥud, 58-59, 158, 191, 245. En RST, 130, on rectifiera la traduction (op. cit., 146) par « Grande Bretagne » : madī-nat Brṭīniya, dit le texte : la ville de la Bretagne, ou la ville nommée Bretagne, sans que la suite du texte permette de trancher.
25 Cf. A. Bourde, dans Encyclopaedia Universalis, t. X, Paris, 1968, p. 105.
26 RST, 130 : sab’atun min al-mulūk.
27 La christianisation des Anglo-Saxons commence au vie siècle, et les Bretons sont déjà chrétiens à cette date.
28 Elle est, on s’en souvient, depuis l’antiquité, un des producteurs les plus célèbres d’étain : îles Cassitérides (cf. Besnier, op. cit., p. 702, s. v. « Silurum insulae »), à l’extrémité de la Cornouailles.
29 On reviendra sur eux plus loin, au chapitre XI, dans le contexte des limites du monde musulman.
30 HUR, 90, FAQ, 82-83, RST, 79, MAS (p), § 398, 701, 747, 910 (t), 429, ISḤ, 456.
31 FAQ, 82-83, RST, 79 (trad., 87, n. 1).
32 MAS (p), § 398 ; la transition entre les deux affirmations peut être trouvée au § 922 : les Galiciens descendent de Japhet.
33 YA’Q, 355, MAS (p), § 399, 403, 910, 914, 917 (sur le rite melchite, cf. infra, à propos des Galiciens), ISḤ, 456, IṢṬ, 33, 36, ḤAW, 61-62, 109, 111.
34 Région de Tortose-Fraga-Lerida : MAS (p), § 403.
35 Et non Qārulah, comme vocalise l’éditeur (IṢṬ, 36). Sur cette terminaison en -uh, cf. IBR (e), trad., 1055, n. 3 i. f.
36 A propos de la comparaison Francs-Galiciens, MAS (p), § 910, offre un bon exemple de la difficulté où l’on se trouve parfois de distinguer entre Francs voisins de l’Espagne et Francs en général. Ces Francs que l’on compare aux Galiciens, il semble bien, ici, que ce soient en même temps les Francs tout court ou, plus précisément, ceux de France, sur lesquels on reviendra plus loin : car on nous parle à leur sujet de « vastes territoires » et de « villes nombreuses ».
37 YA’Q, 355, FAQ, 87 (et note k), MAS (t), 246, 429, IṢṬ, 33, 36 (corriger le ‘ayn en ġayn), ḤAW, 62, 109, Ḥud, 155, 158, 424-425, Besnier, op. cit., p. 377.
38 Rectifier la trad. Wiet, p. 59 : le texte arabe (p. 62) doit se lire ğīl et non ğabal : cf. Ḥud, 424 i. f.
39 YA’Q, 355, MAS (p), § 399, 928, (t), 246, 429, IṢṬ, 33, 35, 36, ḤAW, 62, 109, 111, Ḥud, 158, 424.
40 Comme les Ğāsqas, les Vascons sont parfois aussi appelés Francs et, comme pour les Vascons, il faut penser, sous ce terme de Francs, aux populations de l’autre côté des Pyrénées occidentales : vague connaissance de l’identité du peuplement de part et d’autre de la montagne ? Ibn Ḥawqal, par ailleurs, confond à l’occasion Basques et Galiciens : cf. note suivante.
41 ḤAW, 109, appelle les Vascons « chrétiens de la Galice » (naṣārä l-Galāliqa).
42 Le mot de šawka, par lequel IṢṬ 36, désigne l’énergie guerrière, est une métaphore : šawka = épine, pointe, aiguillon... Cf. supra, p. 247, n, 6.
43 YA’Q, 354-355, MAS (p), § 398-399, 403, 456, 497, 910, 917, 922, 928 (t), 246, 429, IṢṬ, 33, 35-36, ḤAW, 13-14, 60-62, 109, 111, 117, ISḤ, 456.
44 Cf. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, Paris-Leyde, 1950, t. I, p. 192, t. II, p. 66.
45 YA’Q, loc. cit., ḤAW, 111, 117.
46 MAS (p), § 403, IṢṬ, 36 (on corrigera Ubīṭ en Arnīṭ : cf. Yāqūt, Mu’ğam al-buldān, s. v., citant Ibn Ḥawqal), ḤAW, 109, 111.
47 ISḤ, 456.
48 MAS (p), § 403 (qui parle de la bataille de Zamora ; il s’agit, en réalité, de Simancas, à une centaine de km à l’est-nord-est), 917-919, et Lévi-Provençal, op. cit., t. II, p. 56 sq.
49 MAS (p), § 917 et 928, le dit expressément.
50 MAS (p), § 910.
51 Donnés même comme les plus vaillants par IṢṬ, 36 (cf. supra, n. 1).
52 MAS (p), § 919.
53 MAS (p), § 398 (t), 246, 429.
54 MAS (p), § 919 (t), 246.
55 Le mot de melkite fut, on le sait, d’abord employé par Eutychès (ve siècle) pour désigner l’orthodoxie qui le condamnait (cf. MAS (p), § 211, 736, 749). Il est impossible de le prendre au pied de la lettre, l’histoire de la chrétienté espagnole se partageant, avant la fin du vie siècle, entre l’arianisme et le catholicisme trinitaire.
56 Cf. MAS, cité supra, p. 326, n. 3.
57 MAS (p), § 398, 456, 497, ḤAW, 15, 113, et supra, p. 301, n. 1, et 305, n. 1.
58 ḤAW, 13-14, 60-62, 190-191, 199-201.
59 Cf. supra, p. 312 (et n. 3), et 347.
60 Cf. A. Huici Miranda, « Burt », dans El (2), t. I, p. 1377-1378, et ḤAW, cartes, p. 65 et 194 ; le manuscrit qui les contient est daté de 479/1086 (cf. Kramers, intr. au Kitāb ṣūrat al-arḍ, op. cit.) ; on peut donc à peu près sûrement, bien que la copie du manuscrit excède de trois décennies le terme chronologique assigné à notre étude, tabler sur les indications des cartes comme étant celles-là mêmes d’Ibn Ḥawqal (l’œuvre étant composée en 378/988).
61 Cf. B. Lewis et J. F. P. Hopkins, dans EI (2), t. III, p. 1070-1073.
62 MAS (p), § 665 (trad., n. 1), 912, 1107 et 1385.
63 IBR (e), trad., 1052 sq. Sur la qualification de Schleswig, cf. infra, p. 361.
64 La seule à ne pas entrer dans ce schéma : elle est légèrement en dehors du limes des Champs Decumates.
65 A propos de Trapani, également citée comme franque (et d’où Ibrāhīm a pu revenir au Maġrib et, de là, en Espagne : cf. Yāqut, Mu’ğam al-buldān, s. v. « Aṭrābinš », où il est dit que c’est le port où l’on s’embarque pour le Maġrib), je suis amené à réviser ce que j’écrivais dans IBR (e), trad., op. cit. La description est peut-être d’Ibrāhīm (cf. ibid., p. 1050-1051), et elle renvoie, sans doute aucun, à Trapani, mais elle ne peut renvoyer qu’à une Trapani musulmane (qui ne sera pas, par conséquent, décrite dans le présent livre). En cette fin du ive/xe siècle où écrit Ibrāhīm, en effet, la mention de « franque » ne peut s’expliquer, particulièrement pour cette partie occidentale de la Sicile qui assure ses communications avec le Maġrib et où, contrairement à ce qui se passe à l’est, l’emprise musulmane n’est pas contestable. Il faut donc en déduire que, dans le cas de Trapani, la mention de « franque » (au sens d’une référence générale aux peuples de l’Europe de l’Ouest) est de la main de Qazwīnī, qui rapporte le texte d’Ibrāhīm, mais à une époque (viie/xiiie siècle) où l’île a quitté la mouvance politique de l’Islam.
66 IBR (s), 7/180.
67 Cf. supra, p. 316.
68 Cf. supra, p. 316 et 353, MAS (p), § 911, (t), 189, 192, 199, 246-247, ISḤ, 456, ḤAW, 13-14, 190, 203, Ḥud, 155, 158.
69 MAS (p), § 911 i. f., (t), 99, (Nāmğīn : cf. supra, p. 314-316), 246 et 429 (Armānğas, Qarmānīs et (Ġūṭaš) ; ḤAW, cartes, p. 65 et 194 (supra, p. 354, n. 1), donne deux noms de graphie très incertaine (nmtīn, tmtin), à propos de langues parlées dans la région de Venise : plutôt que d’« autrichien » (namsī : trad. Wiet, 61 et 189), il doit s’agir d’allemand (nāmğīn).
70 ISḤ, 456.
71 HŪR, 90, FAQ, 82, MAS (p), § 911 sq. Pour les Francs voisins de l’Espagne, cf. supra, p. 350.
72 WAṢ, 120-121 (les Francs combattraient aussi les Rūmīs). A noter toutefois que le nom de la capitale, Drīwa, peut se rapprocher de Barīza (Paris), nom donné par MAS (p), loc. cit. ; mais cette possibilité n’enlève rien aux autres incertitudes.
73 HUR, 89-90, 155, FAQ, 6, 82, RST, 85, MAS (p), § 403 (t), 84, 120, 265, HAM, 32, ISḤ, 456, ḤAW, 13-14, 190, 203, Ḥud, 53.
74 Soit environ 385 km (RST, 85, QUD, 231). La distance réelle (si c’est bien de cette « longueur »-là qu’il s’agit, et non de celle qui mesure la pénétration à l’intérieur des terres) du golfe du Lion, de Marseille à Port-Vendres, est d’environ 200 km.
75 Alors qu’elle lui a été définitivement arrachée par Pépin le Bref en 142/759 : cf. Ch. Pellat, dans EI (2), t. I, p. 628.
76 RST, 130, MAS (t), 39, 88, 100, ISḤ, 456, et supra, p. 321-322, 335 et 346.
77 HUR, 153, MAS (t), 246, ḤAW, cartes, p. 65 et 194, WAṢ, 120-121. A remarquer que le mot de « mage » (mağūs), par lequel on désigne les adorateurs du feu dans la religion zoroastrienne, est couramment employé pour évoquer les Normands (supra, p. 346, n. 2) : même contexte « nordique » que celui que nous venons de signaler. A propos de rois, le seul dont on pourrait faire état ici (encore qu’il ne soit pas qualifié de « franc », mais de « romain » : supra, p. 355, n. 2, mais cf. aussi supra, p. 316) est Othon Ier : il aurait entretenu (IBR, dans Qazwīnī, op. cit., p. 373, trad. Jacob, op. cit., 8-9) une correspondance avec les Umayyades d’Espagne pour l’entretien d’un lieu saint, avec un olivier miraculeux ; à noter que cet arbre fait pendant ici à l’olivier coranique, localisé sur le Sinaī (Coran, XXIV, 35, MUQ, 209 et trad., 119, n. 7).
78 HUR, 92, 153-155 (repris avec quelques modifications de détail (Rāhdāniyya, Slaves au lieu de Russes) par FAQ, 270-271), MAS (t), 94, WAṢ, 120-121, Lombard, L’Islam..., p. 209 (et n. 3, avec bibl. : on précisera à ce sujet que l’article cité de la Reçue des Études juives est de C. Cahen), Monnaie et histoire..., p. 200 sq., et C. Cahen, « Quelques questions sur les Radanites », dans Der Islam, XLVIII (2), 1972, p. 333-334. A noter que, dans le texte d’Ibn Hurdāḏbeh, la description des itinéraires terrestres ne suit pas immédiatement celle des itinéraires maritimes, ceux-ci étant suivis des itinéraires des marchands russes. Mais comme on ne nous dit rien de contacts entre Russes (ou Slaves chez Ibn al-Faqīh) et Francs (au contraire de ce qui se passe avec les marchands juifs, pour la voie maritime), il faut bien admettre que ces contacts, lorsque leur mention réapparaît avec les itinéraires terrestres (maslakuhum fī l-barr), sont ceux des Francs avec les marchands juifs, ces derniers étant alors simplement désignés par le pronom personnel -hum : eux.
79 MAS (p), § 910-912 (avec extension du domaine franc, dans le passé, jusqu’à Rhodes et à l’Afrique : supra, p. 354), 914-916, 919 i. f., 1385 (même remarque sur l’extension du domaine franc).
80 Cf. supra, p. 351 (n. 2) et 355.
81 Cf. supra, p. 353.
82 De 80 ou 90 civitates gauloises officiellement reconnues par l’autorité romaine, on passe à 120 environ à la fin du ive siècle : cf. une vue d’ensemble dans M. Bordet, La Gaule romaine, Paris, 1971, p. 38 et 132.
83 Qārluh, dit seulement le texte, comme du reste pour tous les « Charles » qui suivent : sur cette graphie, cf. supra, p. 351, n. 1.
84 Le nom d’Eudes est confondu, dans une graphie très incertaine, avec celui de comte (qūmis), défini comme chef militaire (qā’id) : cf. MAS (p), § 916, trad., n. 13. Quant à la politique d’arrangements avec les Normands, elle a été l’œuvre de Charles le Gros (prédécesseur d’Eudes, et non son successeur) et de Charles le Simple (co-souverain, puis successeur d’Eudes), qui signa avec Rollon le traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 911.
85 MAS (p), § 916 i. f., déclare qu’il règne, au moment où lui-même écrit, en 336/947, depuis dix ans ; Louis IV régna en effet de 936 à 954.
86 IBR (e), trad., 1052-1053.
87 Il semble impossible, comme je l’écrivais dans IBR (e), trad., 1053, n. 1, d’identifier ces villes : allusion à la défense des villes d’Italie du Sud (et même de Rome) contre les raids arabes, ou à l’impossibilité où se trouvèrent les Musulmans d’assujettir tout à fait l’ensemble des villes du littoral sicilien ?
88 Ces traits proviennent sans doute d’une expérience directe ; ils rejoignent néanmoins des observations déjà faites sur les peuples du Nord : cf. supra, p. 216, 217, 223, 234, 281, 337.
89 Le trait est infirmé par ce qui sera dit plus loin à propos de Rouen : mais il est vrai qu’on pourra y voir une exception, avec tout le relief qu’elle mérite.
90 La question est controversée : cf. A. J. Wensinck, A Handbook of early Muhammedan Tradition, Leyde, 1960, p. 91 et 213, et H. Laoust, La profession de foi d’Ibn Baṭṭa, Damas, 1958, p. 142.
91 On renvoie ici globalement à IBR (e), trad., 1053 sq. (et annotation).
92 Ce thème sera repris infra, chap. XI, à propos des limites mythiques du monde musulman.
93 Avatar du thème de la charité de Martin se dépouillant de la moitié de son manteau.
94 Cf. supra, p. 348.
95 Ibrāhīm donne un nom (Bāğ’lb) où l’on peut reconnaître en réalité, non pas celui du fondateur, Sturm, disciple de saint Boniface, mais celui du second abbé de Fulda, Baugulf (779-802) ; le texte rappelle aussi, notamment par le mot de šahīd (martyr), le souvenir de saint Boniface lui-même, évêque de Mayence, évangélisateur des pays de Hesse, Thuringe et Bavière, mort martyr en Frise au viiie siècle et inhumé à Fulda. Quant à l’interdiction frappant les femmes, il est de fait que, jusqu’en 1397, elles se sont vu interdire l’accès de la collégiale.
96 Même si le poids de la statue est exagéré, il devait néanmoins être considérable, puisqu’on nous dit qu’elle est « fixée, par l’arrière, à une vaste et large plaque. »
97 Le texte précise le lieu près duquel se situe la source : la graphie, énigmatique, est inspirée de la racine š’r, dont une des valeurs est « poil ». On y verra peut-être une « traduction » de Haar, qui apparaît dans plusieurs toponymes de la région : Haar, Haarstrang, Haaren ; voir toutefois infra, n. 3. Sur l’identification de la source, cf. référ. dans IBR (e), trad., 1061, n. 8.
98 Elle est, plus justement, au fond du fjord de la Slie (Schlei).
99 Aš-Ši’rä ; à noter qu’on retrouve ici la même racine que supra, n. 1.
100 Sur ces thèmes, cf. notamment supra, p. 282, 286, 325 et 337. Pour les Normands, cf. supra, p. 346.
101 Un seul trait plus favorable, peut-être : « un fard indélébile avec lequel hommes et femmes rehaussent leur beauté. »
102 Ibrāhīm décrit encore Cortona (cf. infra, à propos de l’Italie) et Trapani, sur laquelle on ne reviendra plus : cf. supra, p. 344, n. 4, et 354, n. 6.
103 Détail significatif : les Francs n’apparaissent pas dans le tableau des superficies des grands États de ce monde que donne MAS (p), § 1366-1367.
104 Compte tenu des distinctions qu’on a déjà été amené à faire (cf. annotation (upra, p. 304 sq.), les textes qui nous intéressent ici sont les suivants : HUR, 92 sou le mot ne désigne peut-être pas, contrairement à ce que dit Ḥud, 423, les Bulgares du Danube ; repris dans FAQ, 83), RST, 130 (cf. Ḥud, 423), MAS (p), § 456 et 922 (seuls passages à peu près sûrs ; en (p), § 734 et 737, et en (t), 191, 194-195, 229, 248, 263, le mot de Burğān revient régulièrement à propos des guerres de Constantin (y compris contre Maxence) ou d’autres : à ce sujet, cf. supra, p. 304, n. 6, mais aussi MAS (p), § 734, trad., n. 4. En (p), § 910 (simple liste de peuples), il semble s’agir plutôt des Bulgares), (t), 249, 257 (simples mentions), ḤAW, cartes p. 65 et 194 (burğān noté comme une des langues parlées à Venise), Marquart, Streifzüge, p. 207, 269-270.
105 Cf. supra, p. 301, n. 1, 305, n. 1, 308 ; Marquart (Streifzüge, p. 68) pense que ce sont les Magyars de Parmonie qui se cachent ici derrière ces « Bulgares ».
106 On dira plus loin, à propos de Rome, la prudence avec laquelle il faut parler de ce « récit ».
107 RST, 85, QUD, 231, MAS (p), § 276, 456. Cf. également infra, p. 366.
108 Soit environ 1 000 km, distance un peu supérieure à la réalité.
109 Il faut évidemment entendre sous cette expression l’Italie centrale. Mais la possibilité d’une erreur n’est pas entièrement à rejeter : Mas’ūdī, au moins lui, parle de Rome tout court.
110 Sur Cortona, cf. infra ; ḤAW, 203, semble définir comme francs les rivages méditerranéens de l’Italie septentrionale. On reviendra plus loin sur Rome elle-même.
111 Autre graphie supra, p. 321, n. 1, et infra, p. 366. Sur la graphie Nūkarda, cf. supra, p. 224, n. 3.
112 RST, 128, trad. 144 (qui suit l’ingénieuse remise en ordre opérée par Marquart, Streifzüge, p. 239 sq., 259). Lombards du nord, aussi, dans WAṢ, 120 : puissants et possédant de nombreuses villes, les Lombards, chrétiens, sont habillés « comme les Rūm » et installés entre ceux-ci et les Francs, qu’ils combattent ainsi que les Slaves.
113 A rapprocher du trait rapporté supra, p. 321.
114 De ce point de vue, la référence aux Kurdes doit s’entendre comme une simple indication de nomadisme : cf. Ḥud, 336, n.1.
115 Cf. l’interprétation de Marquart, op. cit., p. 259, d’une phrase énigmatique d’Ibn Rusteh, selon lequel les Lombards « ne quittent pas leurs plaines à plus de vingt pas ». La référence aux approches de Rome, en tout cas, semble bien historiquement exacte : on peut y voir le souvenir des visées des derniers rois lombards, Aistulf notamment, contre la ville du pape.
116 Cf. La Chanson de la croisade albigeoise, éd. E. Martin-Chabot, Paris, 2e éd., 1960.
117 MAS (p), § 920-922.
118 Sur la lecture adākīs, fort incertaine il est vrai, cf. op. cit., § 920, trad., n. 3.
119 Cf. Ḥud, 191-192.
120 En réalité, ils se sont parfois associés aux Francs dans les luttes menées en Provence contre les Musulmans venus du Languedoc (sur ces luttes, cf. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. I, p. 55, 63) : cf. L. Musset, « Lombards », dans Encyclopaedia Universalis, t. X, Paris, 1968, p. 101. A noter aussi le rôle joué par les Italiens dans la lutte contre la base musulmane de la Garde-Freinet (qu’Ibn Ḥawqal, comme on le dira en fin de chapitre, rattache à la mouvance de l’Islam espagnol) : cf. Lévi-Provençal, op. cit., t. II, p. 160 (et n. 2). A noter aussi, sur un autre plan, que c’est encore comme peuple du Nord que les Lombards paient leur tribut à l’esclavage : HUR, 92, les associe sur ce point aux Slaves, aux Francs (et aussi, il est vrai, aux « Romains »).
121 Un manuscrit donne une graphie où pourrait se lire Nābul : Naples, qui ne fit pas partie du domaine lombard. Sur l’histoire de l’Italie du Sud du milieu du iiie/ixe siècle au milieu du suivant, cf. A. A. Vasiliev, Byzance et les Arabes, t. II/l, passim. A propos de Bénévent, MAS (p), § 920, la décrit comme arrosée par ce qu’il appelle, avec une exagération manifeste, « un des cours d’eau du monde les plus considérables et les plus curieux », le Saybāṭ ; il s’agit (cf. ibid., § 215 : Sābaṭ) du Sabbato, affluent, en rive gauche, du Calore, qu’il rejoint à Bénévent : cf. Besnier, op. cit., p. 655.
122 La « ville de Sardaigne » (madīnat Sardàniya), dit MAS (p), § 921. Je corrige à tout hasard, en pensant que Mas’ūdī a voulu, derrière une graphie qui lui semblait énigmatique, retrouver une de ces « îles » qu’il évoque, ibid., § 920, comme relevant des Lombards.
123 ḤAW, 6, 60, 62, 118, 130, 190-191, 200-201 (avec précision intéressante sur le transit des esclaves), 202-203 ; p. 110 reparaît le thème mas’ūdien de l’association avec Francs et Galiciens contre l’Espagne musulmane, mais la Calabre (!) et les Slaves s’ajoutent à ce bloc et c’est l’Espagne qui, renversant le sens des opérations, y vient porter la guerre pour s’approvisionner en esclaves.
124 ḤAW, 118, 201-203, 255, et cartes p. 8, 64-65 et 194.
125 Cf. supra, p. 355, n. 4, et 362.
126 RST, 128, Marquart, Streifzüge, p. 240 sq., Ḥud, 423-424. Venise apparaît ainsi comme le terme de l’itinéraire en pays slave dont il a été question supra, p. 313.
127 IBR (s), 7 (et 102, n. 113)/179-180, et supra, p. 355 (sur l’Adriatique, cf. aussi supra, p. 363). A noter qu’on relève également l’expression de « lac de Venise » (buhayrat Banāğiya).
128 Légèrement supérieure en latitude à Crotone, mais l’identification semble meilleure qu’avec Gasperina, plus satisfaisante pourtant pour la latitude : sur le rôle historique de Santa Severina, cf. Vasiliev, op. cit., t. II/l, p. 110, 153.
129 Ou Petracucca : cf. Vasiliev, Byzance et les Arabes, t. II/l, op. cit., p. 369.
130 Derrière ce nom a priori énigmatique se lit Pentedattilo (du grec pentadaktylos, « à cinq doigts », qui évoque la forme ramifiée du rocher où est installée cette localité, à six kilomètres de Melito di Porto Salvo) ; la seconde partie du nom arabe, Ḏaqtal, renvoie évidemment à -daktylos, la première étant une mauvaise lecture de penta-.
131 La graphie est incertaine : Ksša, Ksnta, mais, l’ordre de succession des villes aidant, l’identification paraît probable.
132 Ou Šalūrä : le pays est situé, sur la carte, nettement en arrière d’Amalfi, dans l’intérieur des terres : il semble s’agir de Calor(e), nom de deux rivières, l’une qui reçoit le Sabbato à Bénévent (supra, p. 364, n. 6), l’autre, plus au sud, affluent du Silarus (Sele), lequel se jette lui-même dans la mer Tyrrhénienne au nord de Paestum : cf. Besnier, op. cit., p. 14 et 163. Mais peut-être, malgré la position sur la carte, peut-on penser à Salerne ? Ou, malgré la graphie, à Agropoli ?
133 Pas plus que Naples, dont elle s’est détachée au ixe siècle, Amalfi ne relève du domaine lombard.
134 ḤAW, 202-203. Apparaissent encore dans le texte (et non pas seulement sur la carte), mais sous forme de simples mentions, Venise, Reggio, Šalūrī et Gaète : référ. supra, p. 366, n. 2.
135 IBR (e), trad. 1063 : peut-être faut-il penser au port d’une coiffure par les temps de chaleur, laquelle coiffure n’abriterait, du soleil et du hāle, qu’une partie du visage.
136 ḤAW, 255-256 (avec force imprécisions sur la localisation de tous ces volcans) : passage commenté dans Schwarz, Iran im Mittelalter nach den arabischen Geographen, Leipzig, t. IV, 1921, p. 293-294.
137 ḤAW, 17.
138 Sur cette question, voir une excellente vue d’ensemble dans C. Cahen, L’Islam, des origines au début de l’Empire ottoman, Paris, 1970, p. 129 sq.
139 Au demeurant juif, ce qui pouvait lui ouvrir des portes chez ses coreligionnaires d’Europe occidentale.
140 RST, 98.
141 RST, 119, 126 sq.
142 Et non pas, comme pour Ibn Fadlān (cf. supra, p. 278), de l’émerveillement. Pour ce qui touche à Hārūn, RST, 130 f., semble distinguer, par un développement spécial, certaines données relatives à Rome de celles qui seraient fournies par Hārūn. Mais la conclusion générale de la description, venant d’un auteur soucieux de vérité (cf. Géographie I, p. 193, 201), mérite d’être relevée : « Nous laissons de côté de nombreux renseignements de cet ordre, car nous répugnons à les insérer intégralement dans cet ouvrage, de crainte de dépasser les bornes et parce qu’ils ressemblent plus au mensonge qu’à la vérité, bien qu’ils soient tous consignés dans des livres qui circulent dans toutes les mains, que tout le monde approuve et considère unanimement comme très véridiques » (RST, 132, trad. 146).
143 Ainsi conclut fort sagement M. Canard, dans Vasiliev, op. cit., t. II/2, p. 380, n. 2. Sur Hārūn, cf. référ. dans RST, trad., 134, n. 3.
144 MAS (p), § 715.
145 HUR, 104.
146 MAS (p), § 664, 701, 715 (cf. trad., notes)-734 (t), 162, 237-238, 247.
147 MAS (p), § 664.
148 Au reste regroupe-t-il bien sous le même nom de Rūm les « rois » de Rome et les empereurs de Constantinople : MAS (p), chap. XXVIII et XXIX (titres).
149 Cf. supra, p. 353, 355 et 356.
150 MAS (p), § 1284, 1297.
151 Ya’qūbī parle à plusieurs reprises des Romains dont les habitants de Cyrénaïque, de Tripolitaine et de Tunisie sont ou se disent les descendants : YA’Q, 344, 347 (trad., 208, n. 2), 348 (où l’on traduira Rūm par Romains, et non par Grecs), 350 (cf. aussi HUR, 83, 91-92) ; MAS (t), 72, évoque, à travers les Ptolémées, les interventions romaines en Méditerranée, et HUR, 117-118, la ruine de Jérusalem par les Rūm (sur ce problème, cf. infra, p. 478).
152 Comparer Ḥud, 158 (Rome ancienne capitale des rois du Rūm) avec MAS (t), 246-247 : Rome capitale de l’Empire des Francs, « dans l’antiquité comme de nos jours ».
153 MAS (p), § 715-734 (t), 170, 172-189. A noter qu’Auguste, dont le personnage se confond partiellement avec celui d’Antoine, meurt de la morsure du même serpent qui tua Cléopâtre : MAS (p), § 708-712.
154 MAS (t), 188-189, 199.
155 MAS (t), 246, fait durer cette situation jusque vers 340/951 ; on comparera cette notation avec ce qui est dit p. 370, n. 5. Cf. également MAQ, IV, 64 : la plus grande ville du Rūm est Rome, mais le siège de l’Empire est à Constantinople
156 MAS (p), § 1385, signale en quelques lignes trois édifices « vénérés par les anciens Romains » : deux chez les Francs, dont un à Carthage (cf. supra, p. 354, n. 3), et l’autre en Macédoine (la Basse-Égypte pouvant être désignée sous ce terme : cf. FAQ, 57, et Yāqūt, Mu’ğam al-buldān, s. v. « Maqaḏūniya »).
157 RST, 129, MAS (p), § 128, 718, 721-722, 726-729, 734 (t), 174 sq., 201-202, 219-221.
158 MAS (t), 175-176, rapporte en outre que Pierre fut emprisonné sous Néron, puis libéré, et qu’il se rendit alors à Antioche.
159 A propos de l’Invention de la Croix par Hélène (MAS (p), § 734), on relèvera que Mas’ūdī, dans un autre passage, (t), 176, donne à Hélène un premier modèle en la personne de Protonikè, « femme de Claude » : cf. (t), loc. cit., n. 3.
160 RST, 128 ; cf. aussi supra, p. 356.
161 RST, loc. cit.
162 MAS (p), § 1291 (t), 201-202, 219. ḤAW, 202, définit Rome comme un kursī : siège (épiscopal ou patriarcal : cf. Dozy, Supplément, t. II, p. 456).
163 MAS (t), 196, 204.
164 MAS (p), § 1367, qui le distingue de l’Empire « des Rūm de Constantinople ». La superficie est comparable à celle des pays slaves : cf. supra, p. 322. Il est difficile de tirer une conclusion quelconque du chiffre donné, le rapport superficie/population (cf. référ. supra, p. 322, n. 9) étant ici par trop incertain : rareté des données relatives à la population et ambiguïté du territoire (Rūm ou Francs ?).
165 FAQ, 8, RST, 98.
166 MAS (t), 84, Ḥud, 158, et supra, p. 363 (et n. 3). Ibn Ḥawqal regroupe, lui, tous ces rivages septentrionaux de la Méditerranée dans l’Empire byzantin : cf. supra, p. 353.
167 MAS (p), § 493, (t), 245, et supra, p. 301, 304-305, 308 et 362.
168 Le texte de base de la description de Rome est celui de HUR, 113-115, repris, avec des variantes, par FAQ, 149-151, RST, 130-132, MAQ, IV, 64, et ISḤ, 456-459. RST, 128-130, ajoute les données qui viennent, peut-être, de Hārūn b. Yaḥyä. L’ensemble de ces informations se retrouvera, avec variantes, dans Yāqūt, Mu’ğam al-buldān, s. v. « Rūmiyya ».
169 Leur mention apparaît, telle quelle et sans développement, chez FAQ, 51, 255 (liste de merveilles du monde) ; dans le second de ces passages, il est aussi question, à côté de ces merveilles, d’un nīl Rūmiyya : Nil romain ? indigo romain ?
170 Isḥāq b. al-Ḥusayu donne, lui, le chiffre de 5 000.
171 Sur le sens exact du terme nāqūs, pl. nawāqīs, cf. p. 326, n. 3, et 374, n. 4.
172 De Goeje (FAQ, 150, note d) lit, derrière le nom arabe, Ostia Tiberis. C’est possible, mais le nom (qui existe, quoi qu’il en dise, chez Ibn Hurdāḏbeh) est le même que celui qui se lit ailleurs Fistulatus.
173 Ainsi, comme on va le voir, que l’église de Pierre et Paul. RST. 129, signale que Rome est exposée aux attaques musulmanes : cf. C. Cahen, dans Histoire générale des Civilisations, t. III : Le Moyen Age, Paris, 1965, p. 142, et Marquart, op. cit., p. 268.
174 La presqu’île, pour Ibn Hurdāḏbeh, serait rattachée au continent par le nord, et baignée par la mer à l’ouest, au sud et à l’est : situation qui, on en conviendra, s’apparente plus à celle de Constantinople qu’à celle de Rome (à noter toutefois que RST, 129 (d’après Hārūn b. Yaḥyä ?), ne parle de mer qu’à l’ouest). On relèvera, à propos de l’enceinte, que celle de la Constantinople de Théodose est non pas double, mais triple : sur elle et sur la porte Dorée, cf. R. Janin, Constantinople byzantine, op. cit., p. 248 sq. Un autre genre de confusion est fourni par FAQ, 108 : des hommes qu’on nous présente comme émissaires du Rūm (Empire byzantin, compte tenu du contexte) s’intitulent eux-mêmes, un peu plus loin, gens de Rome.
175 Cf. infra, chap. IX.
176 RST, 131-132. A relever aussi, ibid., 132, la mention, sans plus, de la fête des Rameaux.
177 HUR, 160 (et note c).
178 On notera qu’il en existe également un à Constantinople. Je n’en trouve pas trace chez Janin, op. cit., mais cf. P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin, Paris, 1971, p. 248.
179 Le nāqūs (supra, p. 326, n. 3) désigne donc ici, non pas la pièce sur laquelle on frappe, mais celle avec laquelle (battant extérieur ou intérieur) on frappe cette « coupole » qui paraît fixe : elle est bâtie (mabniyyatun) en argent, dit le texte (RST, 129). Pour les calices (plus loin), comparer avec les 600 vases de la p. 373.
180 RST, 129.
181 RST, 129-130 (voir aussi ISḤ, 459). Ce n’est pas, ici non plus, une preuve de la présence de Hārūn à Rome ; il a pu interroger des Romains à Constantinople même.
182 Cf. Matthieu, X, 9-10, Luc, IX, 3.
183 Le thème de l’église illuminée par ses richesses se retrouve aussi pour l’église des deux Apôtres : Isḥāq b. al-Ḥusayn, qui ne mentionne que la tombe de Simon Pierre, parle d’une colonne d’hyacinthe rouge, qui resplendit la nuit et dispense la lumière.
184 HUR, 115.
185 HUR, 116, FAQ, 72, RST, 79 (trad., 86, n. 4), 128, MAS (p), § 1422 (qui fait des olives de simples offrandes propitiatoires déposées par les habitants), ISḤ, 458 (qui place l’oiseau sur la tête d’une statue).
186 Le 10 du mois de muḥarram, jour de jeūne facultatif : cf. A. J. Wensinck, dans EI (2), t. I, p. 726.
187 FAQ, 15.
188 ŠĀB, 103.
189 Cf. Liutprand, Antapodosis, VI, 5 sq. ; cf. aussi Janin, op. cit., p. 106.
190 Marquart, Streifzüge, p. 263 sq., qui s’aide de quelques variantes fournies par Yāqūt (cf. supra, p. 372, n. 6).
191 Cf. J. H. Mordtmann, « Constantinople », dans EI (2), t. I, p. 889.
192 FAQ, 149. Autre passage intéressant dans FAQ, 108 (partiellement cité supra, p. 373, n. 5) : des envoyés du Rūm (Empire byzantin, compte tenu du contexte) à Damas, avouent qu’ils s’étaient leurrés, eux gens de Rome, en pensant que la puissance arabe serait de brève durée. Enfin, le thème de l’annonce de la ruine de Rome est à rapprocher de ce que l’on a dit pour l’Espagne, supra, p. 350.
193 Les îles légendaires de l’Ouest et du Nord extrêmes seront décrites au chap. IX.
194 Encore qu’on soit amené, comme on le verra, à donner leurs noms dès le présent chapitre, dans la mesure où les auteurs parlent, en bloc, de toutes les îles de la Méditerranée.
195 Encore ne faut-il pas exagérer cette « unité » méditerranéenne. Un représentant par excellence de la tendance « musulmane », Ibn Ḥawqal, s’il parle des îles méditerranéennes en général (ḤAW, 203), prend soin d’intégrer à la description du Maġrib musulman celle de Majorque (ibid., 114-115) et, surtout, celle de la Sicile, considérable (ibid., 118-131). Même attitude chez Muqaddasī (p. 15, 221, 231-232). Ces deux grands auteurs, on le voit, peuvent nous servir de garants.
196 RST, 85, QUD, 231.
197 Si on l’enferme dans un parallélogramme grossier, de 220 X 130 km, on arrive, on le voit, à 700 km. L’île a été l’objet de raids musulmans, mais non d’une occupation continue : cf. J. Crouther Gorlon, dans EI, t. IV, p. 167-168.
198 C’est Majorque (Mayurqa) qui représente l’archipel sur la carte d’Ibn Ḥawqal : cf. ḤAW, 65.
199 Soit un peu moins de 400 km ; le triangle grossier qu’elle figure (110 X 120 X 180 km) a un périmètre représentant, on le voit, une grandeur de l’ordre indiqué. Sur les raids musulmans, cf. C. Cahen, dans Histoire générale des Civilisations, op. cit., p. 156.
200 Cf. aussi supra, p. 364, n. 7.
201 Moins la Sicile, puisqu’elle est résidence d’un autre patrice : HUR, 109 ; en HUR, 112, sont citées Chypre, la Crète, l’île de l’Or (Favignana, à l’ouest de la Sicile) et l’île de l’Argent (Pantelleria ?). La Sardaigne, conquise sous Justinien, a relevé du diocèse d’Afrique, puis de l’exarchat d’Afrique, avant d’être l’enjeu des luttes entre Byzantins et Musulmans : cf. Bréhier, Les institutions de l’Empire byzantin, op. cit., p. 288-289, Ch. Diehl, L’Afrique byzantine, Paris, 1896, p. 107-108, 110, 536 et passim., J. Gay, L’Italie méridionale et l’Empire byzantin, Paris, 1904, p. 56, 224, 301.
202 ḤAW, 118 ; elle figure, avec la Sardaigne, sur la carte, ibid., 64 : cf. fig. 29.
203 Ḥud, 59-60, 191-192.
204 Cf. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. II, p. 157-160.
205 Ces traits peuvent toutefois se référer au Ğabal al-Qilāl lui-même.
206 IṢṬ, 51.
207 Cf. Lévi-Provençal, op. cit., p. 158, n. 2.
208 ḤAW, 204 ; sur la carte, p. 65, le Ğabal al-Qilāl est placé en face d’un grand fleuve (évidemment le Rhône) et de divers pays distribués de façon très incertaine (cf. fig. 29). A noter, à propos d’une autre île, Malte en l’occurrence, laquelle est musulmane à l’époque où écrit Ibn Ḥawqal, que celui-ci (ḤAW, 204) la donne comme peuplée seulement d’ānes et de moutons devenus sauvages, ainsi que d’abeilles : seuls abordent dans l’île les marchands qui trafiquent de ces animaux et ceux qui veulent récolter le miel.
209 Cf. chap. X.
210 Cf. Lévi-Provençal, op. cit., p. 160.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Anthropologie économique des Gouro de Côte d’Ivoire
De l’économie de subsistance à l’agriculture commerciale
Claude Meillassoux
1999
Valladolid au siècle d’or. Tome 2
Une ville de Castille et sa campagne au XVIe siècle
Bartolomé Bennassar
1999
Valladolid au siècle d’or. Tome 1
Une ville de Castille et sa campagne au xvie siècle
Bartolomé Bennassar
1999
La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du 11e siècle. Tome 2. Volume 1
Géographie arabe et représentation du monde : la terre et l’étranger
André Miquel
2001
Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930. Tome 1
Catherine Coquery-Vidrovitch
2001
Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930. Tome 2
Catherine Coquery-Vidrovitch
2001
Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Tome 2
Études sur les armées des rois de France 1337-1494
Philippe Contamine
2004