La peau a-t-elle un sens ?
L’examen du corps chez les auteurs hippocratiques
Does the Skin Have Sensation? The Study of the Body in the Hippocratics
Résumés
L’étude du corps par les Hippocratiques est structurée autour des expériences sensorielles (aisthêsies) qui transitent par les orifices du corps. Tout obstacle dans leur passage entraîne des troubles sensoriels. Même si leur appareil conceptuel est principalement constitué à partir des données fournies par la surface corporelle, la vue et le toucher, les auteurs de la Collection hippocratique n’envisagent pas la peau comme organe du toucher. Au contraire, la peau (derma) est plutôt pensée comme une partie séparée de l’ensemble du corps. Tandis que le corps est doté de la perception tactile, la sensibilité tactile de la peau lui est encore étrangère, au niveau lexical aussi bien que conceptuel. Puisqu’il est anachronique de parler de « la peau sensible » chez les Hippocratiques, il est tautologique de dire « la peau insensible ».
Studying the human body, the Hippocratics focus on aisthêsies, which pass through the body and its orifices. Any obstacle may then cause sensory disorders. While the basis of the conceptual apparatus is supplied mainly by the data provided by the bodily surface, vision and touch, it does not allow the authors of the Corpus Hippocraticum to develop the idea of the skin as an organ of touch. The skin (derma) is rather perceived as a bodily part detached from the rest of the body. If the body is equipped with tactile sensibility, this latter seems to be foreign to the skin both on the lexical and conceptual levels. Therefore, from the point of view of a Hippocratic author, it would be anachronistic to say “sensitive skin”, while the expression “insensitive skin” is a mere tautology.
Entrées d’index
Mots-clés : Collection Hippocratique, sens, toucher, peau, maladie
Keywords : Corpus Hippocraticum, sense, touch, skin, disease
Texte intégral
τὸ ζῷον αἰσθητικὸν εἶναι
Aristote, De l’âme, 427a.
1Le présent article étudie comment, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique, les travaux hippocratiques envisagent le corps comme une surface et conçoivent son traitement1. La surface corporelle offre des moyens et des limites à l’expérience sensorielle (aisthêsis), qu’il s’agisse de celle du médecin comme de celle du malade. Parce que l’intérieur du corps a été fermé à l’investigation anatomique jusqu’à la brève intervention des médecins alexandrins Hérophile et Érasistrate2, les Hippocratiques, à leur époque, ne disposent que d’espaces imaginés de l’intérieur du corps et, par conséquent, ne peuvent juger de celui-ci que par son apparence et son aspect (eidos), c’est-à-dire par la surface qui s’offre aux sensations : sensations de la vue et du toucher au premier chef, certes, mais aussi du goût, de l’ouïe et de l’olfaction. Cependant, ce sont les sensations, principalement les sensations tactiles, qui, d’après le vocabulaire hippocratique, fournissent la base conceptuelle sur laquelle s’appuie la description des qualités des corps et des maladies.
2Non seulement les sensations, aisthêsies3, servent d’instruments d’investigation aux médecins, mais encore constituent l’objet même de leurs examens : on étudie notamment sept « figures », schêmata, du corps humain qui permettent de percevoir, sept figures qui sont traversées par l’aisthêsis et qui jouent le rôle des principaux lieux révélateurs des symptômes (morbides ou sains) et des renseignements sur l’état du corps tout entier.
3Puisque la surface du corps focalise l’intérêt des auteurs de la Collection hippocratique, nous étudierons leur conception de la peau, résultat du contact des éléments sans pourtant être pensée comme l’organe du toucher. Nous allons voir également comment, à travers les symptômes manifestés par la peau, sont rendues à l’évidence la perte de sensibilité par le corps et son hypersensibilité. Enfin, nous nous arrêterons sur les mécanismes qui rendent le corps sensible insensible au toucher.
Corps corrompus
4Le développement du discours médical sur le corps malade ne va pas de soi. Avant même d’aborder ce qu’il en était de ce corps-là, encore fallait-il conceptualiser le corps tout court, au sens strictement ordinaire du terme : celui d’un solide physique. La question est abordée par les philosophes de la nature qui cherchent à localiser certains des processus du devenir. Le sôma devient un tel lieu vers la fin du ve siècle avant notre ère4.
5Les Hippocratiques, pour leur part, attribuent à la multiplicité des composants du corps, le fait qu’il puisse être malade et souffrir. Sa nature d’entité hétérogène (pachus), qui se compose et se décompose, lui vaut d’être qualifié de ce qu’il y a de plus périssable, τὸ ἐπικηρότατον, par le traité De la maladie sacrée5. Cette hétérogénéité est à l’origine autant de la santé que de la maladie pour l’auteur de Nature de l’homme qui, en rejetant l’idée que l’homme est constitué d’une seule substance (du sang, du phlegme ou de la bile), insiste sur la multiplicité de sa nature :
εἰ ἓν ἦν ὁ ἄνθρωπος, οὐδέποτ´ ἂν ἤλγεεν· οὐδὲ γὰρ ἂν ἦν ὑφ’ ὅτου ἀλγήσειεν ἓν ἐών·
… si l’homme était un, jamais il ne souffrirait ; car où serait, pour cet être simple, la cause de souffrance6 ?
6Et ensuite :
Τὸ δὲ σῶμα τοῦ ἀνθρώπου ἔχει ἐν ἑωυτῷ αἷμα καὶ φλέγμα καὶ χολὴν ξανθήν τε καὶ μέλαιναν, καὶ ταῦτ’ ἐστὶν αὐτέῳ ἡ φύσις τοῦ σώματος, καὶ διὰ ταῦτα ἀλγέει καὶ ὑγιαίνει.
Le corps de l’homme a en lui sang, pituite, bile jaune et noire ; c’est là ce qui en constitue la nature et ce qui y crée la maladie et la santé7.
7Tout corps est donc multiple et c’est à ce titre que les processus morbides font partie de sa phusis.
8Mais qu’est-ce donc qu’un corps humain pour les auteurs de la Collection hippocratique ? Une sorte de boîte noire dont on ne peut que deviner l’intérieur ; un vaisseau troué d’orifices d’où suintent des liquides. Le corps physique s’offre comme une surface que caractérisent sa visibilité et sa tangibilité (bien que nos auteurs ne dédaignent pas non plus d’aller plus avant vers ce qu’il y a de gustatif et d’audible). Le corps palpé, ausculté, scruté, humé et goûté constitue précisément cette « chose épistémique8 », dont ne peut se passer aucune approche soignante.
9Le corps humain est uniquement la surface qui se donne aux sensations puisque la vue ne peut pas pénétrer à l’intérieur. La vision fournie par l’esprit, ἡ τῆς γνώμης ὄψις9, sert à incorporer l’intérieur du corps dans cette « chose épistémique ». Mutatis mutandis, on peut dire la même chose du toucher, bien que l’expression hê tês gnômês psausis (le toucher mental) ne soit jamais utilisée explicitement. Pour les Hippocratiques, le corps représente une constellation des phénomènes, sélectionnés à travers le prisme des idées sur la puissance, la causalité et le non-vu, phénomènes qui sont souvent isolés afin d’être examinés et manipulés10. Le corps, interprété en tant que chose composée et altérable, s’inscrit dans le cadre interprétatif fournis par les notions de réchauffement, de refroidissement, de croissance, de désintégration, d’absorption ou encore d’excrétion. Malgré son obscurité, ce corps est toujours accessible aux sens, sous un aspect ou sous un autre, et, à partir de la perception sensorielle, se constitue l’image conceptuelle du corps11. Nous voyons les médecins hippocratiques entrer en contact direct avec les malades, mais ce contact ne s’effectue que dans des limites imposées à l’expérience empirique médicale. Ces limites sont constituées, entre autres, par le fait que toute « expérience » et « observation » s’appuie sur des concepts de la pensée présocratique.
Observation via aisthêsi(e)s
10On peut parler de l’approche holistique de la médecine hippocratique. Elle diffère fondamentalement de la médecine contemporaine que nous connaissons, médecine qui s’est développée en spécialités de plus en plus fragmentées. La démarche hippocratique, quant à elle, « suit, dès le signal morphologique, les contours de la réaction générale de l’organisme12 ». Le holisme hippocratique s’explique par la compréhension de la maladie à l’époque : « essentiellement mobile, la maladie impose au médecin de se tenir attentif à l’ensemble du corps13. »
11L’aisthêsis est un instrument de la cartographie d’un espace objectif et du corps qui fait partie de cet espace. Elle est à la fois ce que étudie et ce à l’aide de quoi le médecin effectue ses examens. La question très importante se pose de savoir comment l’homme hippocratique perçoit. On fait pour le moment abstraction de la question du nombre des sens dans la Collection. L’auteur du Régime donne une énumération célèbre de ce qu’on peut traduire par les « sens » :
δι’ ἑπτὰ σχημάτων ἡ γνῶσις. ταῦτα πάντα ἄνθρωπος διαπρήσσεται, καὶ ὁ ἐπιστάμενος γράμματα καὶ ὁ μὴ ἐπιστάμενος. δι’ ἑπτὰ σχημάτων καὶ ἡ αἴσθησις ἡ ἀνθρώπων· ἀκοὴ ψόφου, ὄψις φανερῶν, ῥῖνες ὀδμῆς, γλῶσσα ἡδονῆς καὶ ἀηδίης, στόμα διαλέκτου, σῶμα ψαύσιος, θερμοῦ ἢ ψυχροῦ πνεύματος διέξοδοι ἔξω καὶ ἔσω. διὰ τούτων ἀνθρώποισιν γνῶσις.
La connaissance utilise sept figures. Tout cela l’homme le fait, qu’il sache les lettres ou ne les sache pas. La sensation de l’homme se produit aussi grâce à sept structures différentes : l’ouïe pour le bruit, la vue pour ce qui est visible, le nez pour l’odeur, la langue pour le goût et le dégoût, la bouche pour la conversation, le corps pour le toucher, les passages extérieurs et intérieurs pour le souffle chaud ou froid. C’est grâce à cela que l’homme a la connaissance14.
12C’est la liste la plus exhaustive portant sur les sens qui soit attestée dans la Collection, pourtant, on ne qualifie pas dans le passage sept configurations, ou figures, en tant que “organes des sens”. Il ne s’agit pas non plus des sens mais d’une sensation, aisthêsis, qui perce le corps à travers précisément ces sept lieux. De plus, la gnôsis, connaissance, dont l’usage l’équivaut à l’aisthêsis, entre dans le corps par les mêmes voies15.
13Il est, par ailleurs, étonnant que soient comptés parmi ces sept figures de la sensation, la bouche pour les discours et les passages internes et externes du corps pour le souffle. Toutefois, on peut comprendre ce classement dès lors que toute affection morbide consiste en des perturbations liées à la perméabilité corporelle aux sensations.
14En considérant l’aisthêsis comme une réponse aux stimuli, on voit dans une tout autre perspective la liste des “figures” que présente l’auteur du Régime. Il ne s’agit pas du sujet qui perçoit isolé et hors contexte, pour cette raison les schêmata ne correspondent pas à un seul individu. Le contexte médical suggère une lecture du passage du point de vue de l’examen médical durant lequel la sensation et la connaissance sont aussi bien celles du malade que celles du médecin. Helen King l’a déjà noté dans sa monographie Hippocrates’Woman, que notre passage offre « the fullest Hippocratic description of reading the body ». Cependant, elle ne résume que brièvement la lecture du corps telle qu’elle est décrite dans le chapitre 23 du Régime : « The author then links the seven Greek vowels to the seven senses of hearing, sight, smell, taste, speech, touch and breath ; together, these bring knowledge to the trained healer16. »
15Les hepta schêmata désignent, d’une part, les voies17 du corps à travers lesquelles celui-ci perçoit et d’autre part, les lieux du corps à travers lesquels une maladie se rend perceptible au médecin par des symptômes visibles, audibles, tangibles, etc. Les sept schêmata (orifices bloqués, suintants ou diversement affectés) sont donc les phares clignotants dans l’invisibilité du corps, qui signalent la maladie ou la santé.
16Perçue comme une réaction du corps aux influences aussi bien internes qu’externes, l’aisthêsis intervient à la fois dans la pratique médicale et dans les théorisations de la sensation. On assume ainsi que le corps s’inscrit dans l’espace objectif cartographié par l’aisthêsis/gnôsis et que ses contours sont définis par le statut du corps en tant qu’objet du savoir et de la manipulation technique18. Quand un médecin examine un corps malade, il observe tout d’abord ses facultés à travers l’état des sept figures précitées et s’appuie sur ce qu’en dit le patient. Pour le dire autrement, à travers sa sensation-connaissance, le médecin s’informe de la sensation du malade19.
17Plusieurs travaux de la Collection hippocratique attestent que sept figures sont considérées comme les lieux du corps humain que prend en compte la pratique médicale. Les figures constituent par elles-mêmes un échantillon qui permet d’établir une carte du corps humain dont le médecin fait constamment usage. Ainsi les descriptions des malades portent sur les yeux, les oreilles, le nez, la langue, la bouche, sur d’autres orifices et passages, sur le corps (dans son ensemble ou partie par partie). Comme le montre encore De l’officine du médecin, ces « sens », ainsi que la connaissance et la capacité de raisonnement qui leur sont associés constituent des sources de savoir importantes pour le médecin : ἃ καὶ τῇ ὄψει, καὶ τῇ ἁφῇ, καὶ τῇ ἀκοῇ, καὶ τῇ ῥινί, καὶ τῇ γλώσσῃ, καὶ τῇ γνώμῃ ἔστιν αἰσθέσθαι20. C’est en examinant, à l’aide de sa propre gnômê et de ses propres sens que le médecin procède à l’examen de la gnômê et des autres sens du malade.
18La cartographie du corps qui se déploie sur la base des sept figures est bien particulière. Le sôma n’est en effet pas encore pensé comme un corps solide en trois dimensions (longueur, largeur, profondeur). Il faut attendre Aristote pour cela21. Dans la Collection hippocratique, la distinction entre l’intérieur (esô) et l’extérieur (exô), prévaut sur la tridimensionnalité. De plus, les termes spatiaux renvoient le plus souvent à une surface continue opaque et perforée ici et là par les schêmata. Dès lors, on juge de l’intérieur par le biais de la surface qu’on peut traverser à l’aide de la réflexion qui fait office de vision mentale. On a donc plutôt affaire à un corps bidimensionnel. C’est ce que montre le traité De l’art en classant les maladies en deux catégories : celles dont le siège n’est pas difficile à voir, οὐκ ἐν δυσόπτῳ, et celles dont le siège n’est pas facile à voir, οὐκ ἐν εὐδήλῳ :
Ἐστὶ γὰρ τοῖσι ταύτην τὴν τέχνην ἱκανῶς εἰδόσι τὰ μὲν τῶν νοσημάτων οὐκ ἐν δυσόπτῳ κείμενα – καὶ οὐ πολλά – τὰ δὲ οὐκ ἐν εὐδήλῳ, καὶ πολλά. Ἔστιν δὲ τὰ μὲν ἐξανθεῦντα ἐς τὴν χροιὴν ἢ χροιῇ ἢ οἰδήμασιν ἐν εὐδήλῳ· παρέχει γὰρ ἑωυτῶν τῇ τε ὄψει τῷ τε ψαῦσαι τὴν στερεότητα καὶ τὴν ὑγρότητα αἰσθάνεσθαι, καὶ ἅ τε αὐτῶν θερμά, ἅ τε ψυχρά, ὧν τε ἑκάστου ἢ παρουσίῃ ἢ ἀπουσίῃ τοιαῦτ᾿ ἐστίν.
Il existe … d’un côté des maladies dont le siège n’est pas difficile à voir – et elles ne sont pas nombreuses –, mais de l’autre des maladies dont le siège n’est pas facile à voir, et elles sont nombreuses. Il y a tout d’abord les maladies qui font l’efflorescence à la surface du corps et dont le siège est bien visible, soit par la couleur, soit par des gonflements. Elles offrent la possibilité de reconnaître par la vue et par le toucher la dureté ou la souplesse qu’elles présentent, et de distinguer celles qui sont chaudes, celles qui sont froides, et chacun des facteurs dont la présence ou l’absence les rend telles22.
19Dans ce passage, on relèvera en particulier que sont rangées dans la catégorie du « facile à voir » des qualités fondamentales de la physique grecque comme le dur et le mou, le froid et le chaud, qui se trouvent être perceptibles par la vue et le toucher à la surface du corps et au-delà desquelles on n’a pas accès. L’importance de la surface dans l’appréhension du corps ne laisse pas les Hippocratiques détacher la vue et le toucher l’un de l’autre, sans les opposer ni privilégier l’un d’eux au demeurant.
20Un texte d’Épidémies V fournit un bon exemple du corps tel qu’il vient d’être caractérisé : opaque, obscur, à la surface duquel on s’arrête et qui, par conséquent, ne s’organise pas selon trois dimensions (diastêmata : intervalles). Il s’agit d’un homme de Malia sur lequel est passé, au niveau des côtes, tout un char avec son chargement. Il a eu les côtes fracturées et il est mort à cause de la corruption des chairs. Après avoir incisé la peau du malheureux, ἀνατμηθὲν τὸ δέρμα23, on a reconnu que « l’origine du mal se situait plus profondément que la peau » : Ἐγνώσθη τὸ εἶναι πορρωτέρω τὴν φύσιν τοῦ νοσήματος ἢ ὑπὸ τὸ δέρμα24.
21Deux dimensions sont donc attestées ici : la surface (la peau) et la profondeur (ce qu’il y a dessous). La surface (derma, chrôs, rhinos) accueille la vue et le toucher mais les arrête aussi sans les laisser aller plus loin (ce qui peut conduire à l’erreur médicale comme celle évoquée dans Épidémies V, 2625), étant donné que la chirurgie est « embryonnaire chez le médecin hippocratique »26. Ces deux sens (sans doute avec les autres mais qui sont moins systématiquement cités que cette dyade) contribuent à faire du corps hippocratique un objet conceptuel : « I believe we can conclude that the idea of an unseen and unfelt space inside the person, that is, a space concealed by the skin and located mostly below the threshold of sensation, is crucial to the emergence of the physical (human) body and, more specifically, to the emergence of that body as an object of expert care27. »
Quel toucher ?
22Que le traité Du Régime place les sept schêmata au centre de la pratique médicale peut également aider à comprendre l’expression sôma psausios, qu’on ne rencontre qu’une seule fois non seulement dans la Collection hippocratique, mais aussi dans tout le corps des textes grecs anciens. Cette expression en effet suggère bien que la perception tactile (du chaud et du froid, par exemple) est, à la fois, celle d’un être humain quelconque et du médecin qui opère sur un corps malade. On remarquera aussi que le toucher y est attribué au corps et nullement à la peau.
23Si dans le chapitre 23 du Régime le toucher prend forme du nom d’action se terminant en -sis, dans d’autres traités, il s’exprime le plus souvent par des verbes actifs ou par des participes médio-passifs. Il représente ainsi une activité, prêxis, exercée ou subie, et ne semble en effet se substantiver d’une manière régulière que dans les textes post-hippocratiques. C’est aussi une des explications du fait que nous ne pouvons pas parler du sens du toucher proprement dit : chez les Hippocratiques, il est absent en tant qu’expression toute faite et figure de pensée.
24Cette activité du toucher sert au diagnostic ou au pronostic des maladies plutôt qu’à la thérapie en vue de la guérison28. Il s’agit donc en premier lieu d’un toucher cognitif ou épistémique qui, dans les deux cas de la pratique et de la théorie médicale, fait du corps malade, de la maladie et du monde des objets de connaissance. Le médecin hippocratique, praticien et philosophe, en effet, aborde le malade de la même manière qu’il le fait du monde extérieur grâce à l’art médical qui « at least by the 4th century... had acquired a special purchase on the question of where the inquiry into nature intersects the human29 ».
25Les Hippocratiques étudient donc les phénomènes en usant de plusieurs instruments parmi lesquels le toucher joue un rôle éminent, mais essentiellement cognitif et sans fonction curative.
26Un texte néanmoins signale ce point en parlant du toucher d’une manière plus métaphorique que littérale. Il s’agit De l’art 8, qui offre deux occurrences du verbe haptô : l’auteur polémique contre ceux qui blâment les médecins de ne pas s’engager dans le traitement, οὐχ ἅπτονται, des cas désespérés. Tandis que ses adversaires insistent sur le fait que les maux incurables doivent être guéris tous comme les autres cas, καὶ ὧν μὴ προσήκει ἅπτεσθαι οὐδὲν ἧσσον ἢ ὧν προσήκει30, l’auteur soutient que les maladies qui nécessitent un grand secours, ἐπικουρίης δεῖται μεγάλης31, ne doivent pas être « touchées ».
Figurer la peau
27Revenons à l’arrière-plan sur lequel s’inscrit le développement du savoir médical issu, comme nous l’avons dit, de la vue et du toucher formant la matière de l’expérience médicale. Il s’agit du monde des éléments ou de leurs qualités, de l’interaction et du réseau desquels émerge le corps et dans lesquels il est pris32. Ainsi un même code perceptif s’applique à toute la variété des phénomènes naturels, parmi lesquels figurent les maladies.
28Ces qualités (l’humide et le sec, le chaud et le froid) « se trouvent en effet toujours requis pour analyser la nature ; le sens tactile, comme plus tard chez Aristote, organise en profondeur l’observation du médecin33 ». Le tact hippocratique explore, quant à lui, les formes et les qualités tangibles du corps et de ses parties, mais inévitablement, tout au long de l’observation médicale, le toucher (aussi bien que l’œil) ne va que rarement au-dedans de la peau et dans la profondeur du corps malade, sauf dans le cas du corps féminin.
29Le toucher n’allant pas plus loin que la peau étudie forcément ce qu’on peut appeler la surface du corps, son relief, son « peausage ». Pourtant il reste à expliquer pourquoi on ne trouve pas trace, chez nos auteurs, de référence à la peau comme organe du toucher. Le sôma psausios s’en approcherait mais de très loin. Si la peau est cet organe du toucher, elle l’est uniquement dans les relations entre deux corps : en l’occurrence du malade, elle s’offre, en tant que partie extériorisée du corps de celui-ci, au toucher du médecin. On ajoutera que c’est sur le mode analogue du contact et de l’interaction des puissances/qualités que les médecins rendent compte de la formation de la peau, comme nous le verrons plus tard.
30Comment donc la peau et le toucher sont-ils liés, si la peau n’est pas l’organe de celui-ci au sens strict du terme ? Certes une telle idée est étrangère aux auteurs de la Collection, mais ils s’intéressent néanmoins à la réactivité de la peau, à ses manières de répondre à des processus aussi bien internes qu’externes du corps. Il n’en reste pas moins que si l’on peut, par exemple, percevoir la peau en la touchant, on ne peut pas percevoir par la peau.
31Non seulement elle est la scène de processus pathologiques ou sains, mais elle est aussi figurée et produite par eux. Cela nous permet de parler de la formation “anatomique” de la peau, d’une « dermatogenèse » chez les Hippocratiques. Ainsi, dans Chairs on relève que la peau est initialement cette forme de réaction à un agôn des qualités élémentaires :
τὸ δὲ θερμὸν ἐν παντὶ τῷ σώματι, πλεῖστον δὲ < τοῦ ὑγροῦ ἐν > τῷ σώματι, καὶ τοῦ ψυχροῦ πολὺ ἐν τῷ ὑγρῷ· τοσοῦτο δέ ἐστι τοῦ ψυχροῦ ὁπόσον δύναται πῆξαι τὸ ὑγρόν· ἀλλὰ νενίκηται, ὥστε διακέχυται ὑπὸ τοῦ θερμοῦ. Ἡ δὲ ἀπόδειξις τοῦ ὑγροῦ ὅτι θερμόν ἐστιν· εἴ τις ἐθέλοι τάμνειν τοῦ ἀνθρώπου τοῦ σώματος, ὅπου ἐθέλοι, ῥεύσεται αἷμα θερμὸν καί, τέως μὲν ἂν θερμὸν ᾖ, ὑγρὸν ἔσται· ἐπειδὰν δὲ ψυχθῇ ὑπό τε τοῦ ἐνεόντος ψυχροῦ καὶ τοῦ ἐκτός, ἐγένετο δέρμα καὶ ὑμήν, καὶ εἴ τις ἀφελὼν τοῦτο τὸ δέρμα ἐάσειεν ὀλίγου χρόνου, ὄψεται ἄλλο δέρμα γινόμενον· εἰ δέ τις τοῦτο αἰεὶ ἀφαιρεῖ, ἄλλο δέρμα γίνοιτ’ ἂν πρὸς τοῦ ψυχροῦ. Τούτου δὲ εἵνεκα πλείω ἔλεξα, ὅπως ἀποδείξω ὅτι τὸ ἔσχατον τοῦ σώματος πρὸς τοῦ ἠέρος ἀναγκαίως ἔχει δέρμα γενέσθαι ὑπὸ τοῦ ψυχροῦ καὶ τῶν πνευμάτων προσβαλλόντων.
Le chaud est répandu par tout le corps, mais dans le corps, il y a énormément d’humide, et dans l’humide, beaucoup de froid ; il y en a autant qu’il en faut pour coaguler l’humide ; mais il est vaincu par le chaud, de sorte qu’il est dissous. Voici la preuve que l’humide est chaud : si on incise le corps de l’homme où que ce soit, il en coulera du sang chaud qui sera fluide tant qu’il conservera sa chaleur ; mais quand le sang se refroidit, à la fois par l’action du froid intérieur et extérieur, il se forme une peau et une membrane. Si, enlevant cette peau, on le laisse tranquille quelque temps, on verra une autre peau se former ; et autant de fois on l’enlèvera, autant de fois il en naîtra une autre par l’effet du froid. Je me suis étendu sur ce point afin de montrer que l’extérieur du corps, exposé à l’air, a dû nécessairement devenir peau par l’effet du froid et des vents qui le frappent34.
32L’autre texte, De l’usage des liquides 2, mentionne, lui aussi, le froid et le chaud, deux principes qui font de la peau une partie bien spécifique du corps. Ainsi, en s’étendant entre l’intérieur et l’extérieur et à distance du chaud interne, elle se situe dans le froid externe :
Μνηστέον δὲ καὶ ὅτι ἑκάτερον ἐφ’ ἑκατέρου τοῦ σώματος κρέσσον τοῦ δέρματος τοῦ ἔξω, ὅτι συνεχές τε ἑωυτῷ καὶ νεύρῳ ἐναίμῳ διὰ τὸ ἔξω τοῦ οἰκείου θερμοῦ ἐν τῷ ἔξω ψυχρῷ εἶναι, ἐπ’ ἀμφοῖν πυκνὰ κρατεῖται καὶ ἑκατέρων πυκνὰ δεῖται, πυκνὰ δὲ μᾶλλον θερμοῦ ἐς ἡδονήν.
Il faut se souvenir aussi que le froid ou le chaud, appliqué à l’une ou l’autre partie du corps, a raison (de la température) de la peau extérieure, parce que, contiguë à elle-même et au nerf sanguin, elle est souvent dominée par les deux, car elle est loin de la chaleur interne, dans le froid extérieur ; et elle réclame souvent l’un ou l’autre, mais plus souvent le chaud, pour le plaisir35.
33Je reviendrai ultérieurement à la description des processus afin d’éclairer le mécanisme qui rend la sensation possible tout comme ce qui le perturbe. Pour l’instant, remarquons que la peau qui échappe à la chaleur interne, ἔξω τοῦ οἰκείου θερμοῦ ἐν τῷ ἔξω ψυχρῷ εἶναι, représente une frontière commune, une sorte d’écran diffusant ce qui se passe hors et en deçà de lui. Cette espèce de façade se forme sous l’effet du vent et du froid extérieurs. Si tant est que le corps hippocratique soit engagé dans des relations fondamentalement agonistiques avec le monde qui l’entoure36, cet agôn concerne avant tout la peau. Celle-ci, tout à la fois, réagit à la confrontation constante avec les éléments et en résulte. Il s’ensuit qu’elle est un résidu, une donnée imparfaite qui se résout dans cette bataille. Quand le corps s’avère incapable de vaincre ce qui provient de l’extérieur, le pouvoir de nuire est transféré aux choses à l’intérieur37.
34De même que la peau résulte d’une condensation (solidification) de la matière sous l’effet du froid, de même, sous l’effet du froid, elle a la capacité de se densifier un peu plus et, de la sorte, d’en protéger l’intérieur. Mais, comme nous le verrons, la densité de la peau non seulement protège le corps, mais aussi est capable de l’endommager. Son endurcissement, par exemple, peut se manifester comme un des symptômes des maladies marquées par la perte de sensibilité des parties du corps, du corps entier, voire par l’engourdissement mental.
35Selon la conception hippocratique, la peau est donc une membrane poreuse qui n’isole pas le corps du monde extérieur mais qui le lie à lui et, bien qu’elle soit faite du contact (voire du combat) des éléments primordiaux, les auteurs hippocratiques ne lui accordent pas le sens tactile.
36Par ailleurs, la peau sert d’instrument de marquage qui permet de répartir les maladies en deux groupes : celles qui sont visibles et celles qu’on perçoit mal. Dans le premier cas, le « peausage » du malade acquiert des qualités particulières qui guident le pronostic et les traitements : des altérations de goût, de couleurs, de consistance, de degré hygrométrique, de relief (gonflement ou creusement). Le traité Maladies IV, quant à lui, donne des renseignements sur les qualités de la peau. Selon son auteur, la nature brûlante des purgatifs révèle, par exemple, que même les purgatifs les plus doux ulcèrent certains endroits du corps38 et que d’autres leur résistent. Il en est ainsi du ventre dont la paroi est « aussi résistante que la peau », ἰσχυρὸν ὥσπερ δέρμα. L’analogie avec les animaux fournit alors un argument décisif39 : les Libyens utilisent la peau extérieure de certains animaux pour confectionner des vêtements40 et celle de leur ventre pour confectionner des sacs, ἰσχυρὸν γὰρ χρῆμα ἡ κοιλίη ἐστίν41. L’auteur peut ainsi distinguer différentes parties du corps (ventre, phrenes, appareil digestif, voies respiratoires) en fonction de leur résistance comparée à celle des différents types de la peau42.
37Mais la Collection hippocratique abonde aussi en descriptions des états phatologiques de la peau : elle libère une odeur et a un goût, elle s’endurcit43, se condense, se dessèche, s’amollit, devient plus humide, plus fine, etc. Pourtant, il est bien rare que les auteurs fassent référence aux palpations de la peau qui leur permettent de tirer ces conclusions : τοῦ χρωτὸς ὅ τι ἂν ἀλειφθῇ44, τὸ δέρμα... ψαυόμενον ὑπείκει45 ; τὸ δέρμα λεπτύνεται τῆς κεφαλῆς, καὶ ἥδεται ψαυόμενος46. Ce dernier cas est moins clair : on ne sait pas en effet quelle partie du corps est palpée, et ψαυόμενος qualifie plutôt le malade tout entier47.
38Quoi qu’il en soit, on constate que sont impliqués les qualités élémentaires et leurs corollaires (σκληρυσμός, στερεότης, ὑγρότης, ξηρισμός, μαλθακότης, λεπτότης, παχύτης). Ils constituent le vocabulaire tactile médical et jouent le rôle d’instruments tout autant sensoriels que conceptuels dans les traitements des troubles corporels et psychiques48.
39En somme, comment la peau se présente-telle ? C’est une entité dense et froide, en quelque sorte autonome et éloignée du reste du corps. Parce qu’elle se situe à ses marges, elle représente un « lieu extrême » du corps. En même temps, la peau reste toujours exposée à tous les processus, internes ou externes, en s’éclatant par diverses aisthêsies que l’on comprend comme façons dont le corps répond aux puissances extérieures. Ainsi, la peau des Hippocratiques est douée de l’aisthêsis, mais il s’agit de la perception qui ne coïncide pas avec l’expérience subjective de la sensation. La perception cutanée reflète une interaction avec l’environnement physique49. C’est dans cette lumière qu’on peut parler de la sensibilité tactile de la peau, qui, plus tard, se développera en organe du toucher.
À l’écoute des sens
40L’objet particulier d’expertise médicale dans la Collection, l’aisthêsis, manifeste des degrés variables oscillant entre la perte totale de sensibilité et l’intolérance sensorielle. Le comportement du praticien dépend ainsi de sa vigilance au regard des aisthêsies du malade. Le traité Du médecin aborde la question en détail : l’apparence, l’odeur, les discours, l’êthos50 du médecin et ses instruments contribuent à une approche qui respecte la sensibilité altérée du malade51. L’auteur d’Épidémies VI discute, lui aussi, de la personnalité du médecin :
Αἱ τοῖσι κάμνουσι χάριτες, οἷον τὸ καθαρείως δρᾶν ἢ ποτὰ ἢ βρωτὰ ἢ ἃ ἂν ὁρᾷ, μαλακῶς ὅσα ψαύει· ἃ μὴ μέγα βλάπτει ἢ εὐανάληπτα, οἷον ψυχρὸν ὅπου τοῦτο δεῖ· ἔσοδοι, λόγοι, σχῆμα, ἐσθής, τῷ νοσέοντι κουρή, ὄνυχες, ὀδμή52.
41Il faut prendre soin, ajoute l’auteur Des humeurs, que les patients perçoivent tout avec chaque sens et qu’ils supportent bien ce qui suit : ἢν αἰσθάνωνται πάσῃ αἰσθήσει πάντων καὶ φέρωσιν οἷον ὀδμάς, λόγους, εἵματα, σχήματα, τοιαῦτα, εὐφόρως53. Remarquons l’importance prêtée aux qualités tactiles de tout ce que concerne un malade : pour ne pas l’irriter, son lit et ses vêtements doivent être doux.
42Souvent, les troubles sensoriels sont observés chez un malade en même temps que l’altération d’état de sa peau. Comme le montrent les passages qui suivent, elle devient épaisse quand une personne souffre de surdité ou amaurose partielles ; l’amincissement de la peau, au contraire, se produit comme reflétant une hypersensibilité au bruit (auditive), à la lumière (visuelle) et au vent (tactile) :
καὶ ἐκ τῶν ὀφθαλμῶν ἐσορῶντι κλέπτεταί οἱ ἡ αὐγή, καὶ δοκεῖ τὸ ἥμισυ τῶν προσώπων ὁρᾷν… καὶ τὸ δέρμα οἱ παχύνεται τῆς κεφαλῆς καὶ ψαυόμενον ὑπείκει, καὶ ἀπ᾽ ὀλίγων σιτίων ἁπαλὸς καὶ εὔχρως φαίνεται καὶ ἀκούει οὐκ ὀξέα.
…quand il regarde, la lumière se dérobe à ses yeux et il lui semble voir la moitié des visages… la peau de la tête s’épaissit et cède au toucher ; et il suffit que le malade absorbe une petite quantité d’aliments pour que sa peau paraisse veloutée et son teint bien coloré ; l’ouïe n’est pas fine54.
καὶ τὸν ἄνεμον οὐκ ἀνέχεται οὐδὲ τὸν ἥλιον, καὶ τὰ ὦτα τέτριγε, καὶ τῷ ψόφῳ ἄχθεται... καὶ τὸ δέρμα λεπτύνεται τῆς κεφαλῆς, καὶ ἥδεται ψαυόμενος.
… il ne supporte pas le vent ni le soleil ; il a des tintements d’oreille ; le bruit l’agace... la peau de sa tête s’amincit et il éprouve du plaisir55 quand on le touche56.
43Ainsi, dans ces deux cas où les maladies de la tête sont en question, on témoigne de la perte partielle de la sensibilité accompagnée d’épaississement de la peau et, dans le cas de son amincissement, d’une exaspération de la sensibilité pouvant aller jusqu’à la douleur.
44La peau est pachus ou leptê : telle est sa façon de manifester ses aisthêsies lors de l’interaction physique avec son environnement dont on a parlé précédemment. C’est de cette manière que la peau répond à et reflète les divers états d’insensibilité ou d’hypersensibilité du corps.
45Il serait pertinent de faire remarquer que le champ sémantique de termes pachutês et leptotês est assez flou. C’est ainsi qu’ils qualifient les phénomènes autant « physiques » que « mentaux ». Dans tous les cas, ils signalent la capacité (ou son absence) de percevoir, au sens large du terme. Tandis que pachus est associé plutôt à l’insensibilité, la démence, voire l’idiotie, leptos correspond à des états opposés, caractérisés par l’acuité perceptive accrue qui rend le patient et son corps vulnérables. Que les Hippocratiques associent les deux termes au derma exprime, à notre avis, leur conception de la sensibilité cutanée.
46Certains symptômes décrits en Maladies II, 72 (61) sont identiques à ce qu’éprouve le malade en Maladies II, 15 (4) :
Φροντίς· δοκεῖ ἐν τοῖσι σπλάγχνοισιν εἶναι οἷον ἄκανθα καὶ κεντεῖν, καὶ ἄση αὐτὸν λάζυται, καὶ τὸ φῶς φεύγει καὶ τοὺς ἀνθρώπους, καὶ τὸ σκότος φιλεῖ καὶ φόβος λάζεται, καὶ αἱ φρένες οἰδέουσιν ἐκτός, καὶ ἀλγεῖ ψαυόμενος, καὶ φοβεῖται, καὶ δείματα ὁρᾷ...
Anxiété. Le malade semble avoir dans les viscères comme une épine qui le pique ; il est en proie à la nausée, fuit la lumière et les hommes, aime les ténèbres ; il est en proie à l’angoisse ; la région phrénique fait saillie à l’extérieur ; il souffre quand on le touche ; il est angoissé ; il a des visions effrayantes… (trad. J. Jouanna).
47Ces troubles ont pour cause les pathologies qui affectent les sources de l’intelligence : en Maladies II, 15 (4), l’hydropisie se produit dans l’encéphale ; en Maladies II, 72 (61), le gonflement survient dans les phrenes (comparez φροντίς – φρένες οἰδέουσιν ἐκτός). Les maux des deux malades s’expriment principalement par la baisse du seuil de perception visuelle (τὸν ἥλιον – τὸ φῶς, τοὺς ἀνθρώπους ?), auditive (τῷ ψόφῳ – τοὺς ἀνθρώπους ?) et tactile (τὸ δέρμα λεπτύνεται – ἀλγέει ψαυόμενος).
48Les exemples d’états caractérisés par la diminution de la sensibilité, notamment de l’acuité tactile, ne manquent pas non plus chez les Hippocratiques. L’un d’eux est fourni par Épidémies V, 9 qui porte sur un cas de prurit suivi d’hydropisie et de la mort du malade.
Ἀθήνῃσιν ἄνθρωπος ξυσμῷ εἴχετο πᾶν τὸ σῶμα, μάλιστα δὲ τοὺς ὄρχιας καὶ τὸ μέτωπον· εἴχετο δὲ πάνυ σφόδρα· καὶ τὸ δέρμα παχὺ ἦν καθ’ ἅπαν τὸ σῶμα, καὶ οἷόν περ λέπρη τὴν πρόσοψιν, καὶ οὐκ ἂν ἀπέλαβες οὐδαμόθεν τοῦ δέρματος ὑπὸ τῆς παχύτητος. Τοῦτον οὐδεὶς ἐδύνατο ὠφελῆσαι· διελθὼν δὲ ἐς Μῆλον ᾗ τὰ θερμὰ λοετρὰ, τοῦ μὲν κνησμοῦ ἐπαύσατο καὶ τῆς παχυδερμίης· ὑδρωπιήσας δὲ ἔθανεν.
À Athènes, un homme était atteint d’un prurit sur tout le corps, particulièrement aux testicules et au front ; il était très fortement atteint. Sa peau était épaisse sur le corps tout entier. C’était comme une lèpre pour l’apparence, et l’on n’aurait pu pincer la peau à aucun endroit à cause de son épaisseur. Ce malade, personne ne pouvait le soulager. S’étant rendu à Mélos, là où sont les bains chauds, il vit certes cesser sa démangeaison et sa pachydermie, mais, devenu hydropique, il mourut57.
49La maladie que l’on n’a pas réussi à guérir est marquée d’une curieuse combinaison des manifestations cutanées58 : de fortes démangeaisons (εἴχετο δὲ πάνυ σφόδρα) sur tout le corps et de la pachudermie59. L’épaisseur se signale non seulement par la résistance de la peau aux pincements, mais aussi par la dégradation du sens tactile du malade : καὶ οὐκ ἂν ἀπέλαβες οὐδαμόθεν τοῦ δέρματος ὑπὸ τῆς παχύτητος.
50Il se peut que telle soit la façon dont l’auteur d’Épidémies V se représente l’insensibilité de la peau : elle est insaisissable. De plus, il distingue clairement entre le corps et la peau : c’est bien le corps, le front et les testicules du malade qui sont atteints de démangeaison et sont donc sensibles, mais c’est la peau, to derma, qui est pachu et insensible.
51Curieusement, les façons dont on soigne la démangeaison et l’épaississement de la peau, d’une part, et les pathologies marquées d’hypersensibilité, d’autre part, sont opposées : avantageux pour les premiers, les bains chauds sont déconseillés en cas d’hyperesthésie. Plus tard, on en trouve la raison :
Διὰ τί τοῖς κνηστιῶσι τὸ ἄγαν ζέον φίλον; ὅτι τὸ μὲν ποιοῦν τὸν κνησμὸν φλέγμα παχὺ καὶ ψυχρὸν ὄν, δυσαίσθητον ἀποτελεῖ τὸ δέρμα.
Διὰ τί δὲ καὶ ἥδονται ἐν τοῖς λουτροῖς κνηστιῶντες; ὅτι ἡ θερμότης χέει τὸ φλέγμα.
Pourquoi l’eau chaude est si agréable aux gens atteints de prurit ? Parce que le flegme qui produit le prurit, étant épais et froid, il rend la peau insensible.
Pourquoi les prurigineux aiment les bains chauds ? Parce que la chaleur fond le flegme60.
52Comme nous l’avons dit auparavant, les troubles sensoriels sont souvent accompagnés de troubles mentaux et d’autres qui atteignent la perception (par exemple délire, épilepsie, apoplexie). En d’autres mots, l’état mental du malade se reflète dans son corps tout entier et vice versa. C’est pourquoi il est important que le médecin examine le corps malade dans son ensemble. C’est aussi pourquoi l’auteur du Régime ne choisit pas le terme derma mais sôma pour définir la « figure » du toucher.
53Afin de décrire, par exemple, l’état d’engourdissement qui affecte autant la peau, les muscles, les articulations, que la voix et la pensée, il suffit parfois de se limiter à un seul mot : σκληρυσμός, « dureté », « endurcissement », « obstruction » : σκληρυσμὸς δέρματος, νεύρων, ἄρθρων, φωνῆς, γνώμης61. Si la capacité de réflexion du malade s’endurcit, ses discours eux aussi perdent leur pertinence et s’évanouissent, le patient est silencieux, parfois, il ne reconnaît pas les gens et sa peau devient dure. Il convient de mentionner qu’un tel retrait des sens (aisthêsies) du corps, décrit dans la Collection à plusieurs reprises, n’est pas toujours ni simultané ni total62.
54Le développement bien singulier que propose l’auteur du Régime dans le chapitre 35 porte, quant à lui, sur la παχύτης de l’âme des gens qu’on appelle ἠλίθιοι : niais. Ce chapitre est consacré aux différents degrés d’intelligence et aux types des gens qui se distinguent en fonction de celle-ci, laquelle correspond à des mélanges variés d’eau et du feu. Les ἠλίθιοι, parce que leur âme est humide, lente et épaisse, ne perçoivent qu’une petite quantité des aisthêsies qui pénètrent par la vue et par l’ouïe63. En revanche, un sens que les ἠλίθιοι ne « perçoivent pas moins (que d’autres personnes) » est le toucher, puisque les sensations tactiles sont aussi lentes que leur âme et donc plus faciles à percevoir :
αἱ γὰρ αἰσθήσιες τῆς ψυχῆς ὅσαι μὲν δι᾽ ὄψιος ἢ ἀκοῆς εἰσίν, ὀξέαι, ὅσαι δὲ διὰ ψαύσιος, βραδύτεραι καὶ εὐαισθητότεραι.
C’est que les sensations saisies par l’âme, quand elles y pénètrent par la vue ou l’ouïe, sont rapides, tandis que quand elles y pénètrent par le toucher, elles sont plus lentes et plus facilement saisies64.
55La réflexion sur les niais est importante pour notre propos, parce que l’auteur pose la question des rapports multiples entre l’intelligence et le fonctionnement des sens, en particulier, parce qu’il montre que l’intelligence dégradée65 n’est pas forcement suivie d’une déficience du toucher66. Ce sont plutôt les troubles de la vue et de l’audition que procure l’épaisseur de l’âme.
56Les Hippocratiques ont élaboré un vocabulaire riche pour désigner la sensibilité zéro ou diminuée : ἀναίσθητος, δυσαίσθητος, ἀπόπληκτος, νάρκη, νάρκωσις renvoient autant au corps et à ses parties qu’à l’intelligence. Néanmoins, ils ont du mal à décrire en termes identiques les déficits tactiles de la peau, celle-ci ne représentant pas un intérêt primordial au cours de l’expertise médicale. En conséquence, une large variété des cas concerne la sensibilité tactile du corps, de ses parties, des malades eux-mêmes67. Nulle part les Hippocratiques ne désignent l’(in) sensibilité tactile de la peau en usant des expressions comme ἀν- ou δυσαίσθητον τὸ δέρμα68. L’idée de la sensibilité cutanée ne surgira qu’ultérieurement69 et sera développée en particulier par Galien70. Et ce n’est que tardivement, sans doute après Aristote71, qu’on thématisera systématiquement les troubles sensoriels et leur thérapie72, y compris les troubles tactiles, ἁφῆς πάθη73.
57Pourquoi donc les Hippocratiques ignorent-t-ils la sensibilité tactile de la peau tant dans leur vocabulaire que dans leurs conceptions du corps ? En tenant compte des exemples fournis par Des chairs et De l’usage des liquides aussi bien que d’autres discutés auparavant, nous pouvons affirmer, en conclusion, que la peau, derma, doit à sa nature d’être insensible74. Dès lors, l’expression « la peau insensible » serait un pléonasme, comme « la peau sensible » serait un paradoxe.
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Notes de bas de page
1 Cet article a été rédigé grâce à mon séjour de six mois en tant que chercheuse invitée au centre ANHIMA, avec le soutien de la Mairie de Paris (bourse « Research in Paris ») en 2014-2015. Je remercie Florence Bourbon et Claude Calame pour leurs remarques, Hélène Castelli et surtout Catherine Darbo-Peschanski pour leur relecture à la fois profonde et délicate.
2 von Staden 1992.
3 Je suis les Hippocratiques, notamment, l’auteur du Régime (éd. R. Joly, S. Byl, Berlin, Akademie Verlag, 1984), dans leur usage du terme αἴσθησις au pluriel : αἰσθήσιες.
4 Holmes 2010, p. 101. Cet ouvrage que je cite largement dans l’article fournit un cadre conceptuel général permettant de mieux comprendre la peau, sa place et son rôle dans la pensée hippocratique.
5 Maladie sacrée 1 (éd. J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 2003).
6 Nature de l’homme 2 (éd. et trad. É. Littré).
7 Nature de l’homme 4 (éd. et trad. É. Littré).
8 Rheinberger 1997. D’après l’auteur de l’ouvrage, la catégorie « chose épistémique », qui fait partie du système expérimental de la recherche, signifie ce qui est à connaître par ce système.
9 Art 11 (éd. J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 1988).
10 Holmes 2010, p. 18 : « …a constellation of phenomena filtered through ideas about power, causality, and the unseen, phenomena that are often isolated in order to be investigated and manipulated. »
11 Holmes 2010, p. 19 : « it is precisely because the physical body is as much an object of mental vision as it is of the senses that it is so conceptually fertile, capable of producing new narratives and transforming existing ones. »
12 Perrin 1988. Voir l’introduction.
13 Perrin 1988, p. 27.
14 Régime 23 (trad. R. Joly).
15 L’idée d’équivalence du savoir et de la sensation présente dans le texte n’est pas rare dans la Collection, mais on y trouve la pensée, la connaissance, l’intelligence, capacité du raisonnement dans des rapports différents avec les sensations : on situe la gnômê tout à côté d’autres sens la faisant ainsi un des sens, ou bien elle comprend en elle-même les autres sens.
16 King 1998, p. 40-41.
17 La plupart d’elles sont des orifices.
18 Holmes 2010, p. 25.
19 On parlera plus loin des divers degrés de la sensibilité tactile.
20 Officine du médecin 1 (éd. É. Littré) : « [rechercher] ce qui peut se voir, se toucher, s’entendre ; ce qu’on peut percevoir en regardant, en touchant, en écoutant, en flairant, en goûtant, et en appliquant l’intelligence. »
21 Aristote, Physique IV (1), 209 a 4-5 (éd. H. Carteron, Paris, Les Belles Lettres, 1926) : Διαστήματα μὲν οὖν ἔχει τρία, μῆκος καὶ πλάτος καὶ βάθος, οἷς ὁρίζεται σῶμα πᾶν. Voir aussi la discussion de Falcon 2005, p. 31-34. Voir, par contre, Hippocrate, Du médecin 11 (éd. É. Littré).
22 Art 9 (trad. J. Jouanna).
23 Jacques Jouanna y voit un cas unique d'autopsie rapporté dans la Collection.
24 Épidémies V, 26 (éd. et trad. J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 2000).
25 Pour comprendre en quoi consiste la faute rapportée en Épidémies V, 26, nous invitons nos lecteurs à lire la description entière de l’accident.
26 Mudry 2006, p. 157.
27 Holmes 2010, p. 108.
28 À l’exception de quelques cas où le contact apparaît sous forme de négation, quand il est mieux de ne pas toucher pour contribuer à la guérison. Articulations 40 (éd. É. Littré) : Ψαύειν δὲ ὡς ἥκιστα ξυμφέρει· ἀγαθὸν γὰρ φάρμακόν ἐστιν ἐνίοτε καὶ τὸ μηδὲν προσφέρειν καὶ πρὸς οὖς καὶ πρὸς ἄλλα πολλά ; ou De l’usage des liquides 3 (éd. R. Joly, Paris, Les Belles Lettres, 1972) : ἀγαθὸν δὲ καὶ ἰσχναίνειν εὖ, ὡς τὰ τῶν ἁλιέων ἕλκεα· ταῦτα γὰρ οὐδ’ ἐκπυεῖ, ἢν μὴ ψαύῃ. Puisqu’il s’agit de la lecture proche des textes et de l’analyse du vocabulaire tactile strictement limité au toucher, je ne m’occupe pas des manipulations thérapeutiques entraînant diverses formes du contact avec une malade (massages, onctions, compresses).
29 Holmes 2010, p. 24.
30 Art 8.
31 Ibid.
32 Holmes 2010, p. 86 : « The sōma emerges through this process as a major site of becoming, through which human nature and other natures are necessarily implicated in newly elaborated webs of power. »
33 Perrin 1988, p. 6.
34 Chairs 9 (éd. et trad. R. Joly, Paris, Les Belles Lettres, 1978). Cf. Platon, Timée 76 a (éd. A. Rivaud, Paris, Les Belles Lettres, 1925).
35 De l’usage des liquides 2 (trad. R. Joly).
36 Holmes 2010, p. 137 : « … a fundamentally agonal relationship to the world around it: every encounter is a highstakes struggle for power. »
37 Holmes 2010, p. 138.
38 Maladies IV, 56 (éd. R. Joly, Paris, Les Belles Lettres, 1970) : ὁκόσα φάρμακα καθαρτικά ἐστιν ἢ ἄνω ἢ κάτω ἢ καὶ ἀμφότερα, ταῦτα ποιεῖ· πάντα καίει κάρτα, καὶ τὰ μὲν ἰσχυρὰ αὐτῶν ἢν τύχῃ ἅψασθαί τι τῶν ἁπαλῶν τοῦ σώματος, ἑλκοῖ· τὰ δὲ μαλακώτερα ἄραδον ποιεῖ, τοῦ χρωτὸς ὅ τι ἂν ἀλειφθῇ.
39 Le développement du chapitre 56 du traité a pour objectif de montrer que les aliments, y compris les purgatifs, ne passent pas dans les phrenes mais dans le ventre.
40 Chez Homère déjà, il y a de nombreux exemples d’usage des dermata d’animaux dans la fabrication des vêtements, des lits, des éléments d’armement, etc. Sur la problématique de la peau chez Homère : Gavrylenko 2012.
41 Maladies IV, 56.
42 Le chrôs est pourvu de la vulnérabilité des phrenes, tandis que le derma, tout comme la koiliê, se distingue par sa dureté.
43 Voir, par exemple, Humeurs 4 (ed. O. Overwien, Berlin, De Gruyter, 2014) : ... σκληρυσμὸς δέρματος... ὀδμαὶ χρωτός... χρὼς ἁλμυρός.
44 Maladies IV, 56.
45 Maladies II, 12 (1) (éd. J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 1983).
46 Maladies II, 15 (4).
47 Cf. le cas en Affections internes 47 (éd. É. Littré) où le malade souffre quand on le touche (son corps), οὐκ ἀνέχεται ψαυόμενος τοῦ σώματος.
48 Ce vocabulaire peut également s’appliquer aux humeurs, aux fièvres, aux états mentaux. Par exemple, Nature de l'homme 5 distingue les humeurs par la vue et par le toucher : οὔτε τὰ χρώματα ὅμοια φαίνεται προσορώμενα, οὔτε τῇ χειρὶ ψαύοντι ὅμοια δοκέει εἶναι; οὔτε γὰρ θερμὰ ὁμοίως ἐστίν, οὔτε ψυχρά, οὔτε ξηρά, οὔτε ὑγρά, elles « ne présentent ni la même couleur à la vue, ni la même sensation au toucher, n'étant ni chaudes, ni froides, ni sèches, ni humides de la même manière » (trad. É. Littré).
49 Holmes 2010, p. 111 : « sensing… does not coincide with sentience but describes, rather, physical interaction with the environment. »
50 L’auteur mentionne également l’egkrateia, maîtrise de soi, que le médecin doit exercer vis-à-vis des femmes et des jeunes filles. Médecin 1 (éd. É. Littré) : καὶ πᾶσαν ὥρην ἐντυγχάνουσι γυναιξίν, παρθένοις… ἐγκρατέως οὖν δεῖ πρὸς ἅπαντα ἔχειν ταῦτα.
51 Médecin 1-2.
52 Épidémies VI, 4, 7 (ed. D. Manetti, A. Roselli, Firenze, La Nuova Italia, 1982), trad. Manetti/Roselli : « Le attenzioni verso i malati, come l’operare in maniera pulita o ciò che riguarda le bevande o i cibi le cose che può vedere ; si sia delicati in ciò che si tocca. Altre : ciò che non fa gran danno o è facilimente riparabile, come il freddo quando ce n’è bisogno. Le visite, i discorsi, l’atteggiamento, la veste ; nei contronti del malato, la capigliatura, le unghie, l’odore. »
53 Humeurs 4, trad. Overwien : « Ob sie alles mit jedem Sinn wahrnehmen und gut ertragen wie z.B. Gerüche, Worte, Kleidung, Positionen, (anderes) dieser Art. »
54 Maladies II, 12 (1), (trad. J. Jouanna).
55 À propos du verbe ἥδεται, Jacques Jouanna note dans son édition du traité que « le passage est unique dans la Collection ; d'ordinaire on rencontre dans ce contexte les verbes indiquant la douleur et non le plaisir : ἀλγεῖ, οὐκ ἀνέχεται, ἄχθεται » (p. 227 : n. 2 de la p. 149). En effet, le cas du chapitre 15 suggère plutôt un terme opposé au plaisir. La douleur au front et aux tempes fait douter encore plus de la pertinence du verbe ἥδεται dans le passage.
56 Maladies II, 15 (4), trad. J. Jouanna légèrement modifiée : je propose « “le” touche » au lieu de « la » (on touche bien le malade mais pas sa peau : ψαυόμενος).
57 Épidémies V, 9 (trad. J. Jouanna).
58 Le cas d’Épidémies V, 9 peut être comparé au psoriasis de nos jours : les personnes qui en souffrent éprouvent la douleur cutanée, mais, en même temps, leur sensibilité tactile est bien réduite (Patruno et al. 2015). Ξυσμός de notre passage peut également correspondre à la névrodermite : plus on gratte la peau plus elle devient épaisse. Selon les dermatologues contemporains, entre 5 et 20 % des nerfs sensoriels de la peau sont sensibles au prurit.
59 Le malade a eu également l’apparence d’un lépreux, mais la lèpre de l’époque classique n’était point la lèpre médiévale, ou la maladie de Hansen. Sa cause est due soit à la bile noire (Prorrhétique II, 43), soit au phlegme (Affections 35). Elle fait partie d’une famille des lésions cutanées que nous appelons « lépro-écailleuses ». Les Anciens associent la lèpre à la « maladie d’Héraclès ». À ce propos, voir Gavrylenko 2011.
60 Alexandre d’Aphrodise, Problèmes I, 23-24 (éd. J. L. Ideler, Berlin, G. Reimeri, 1841 ; tr. personnelle).
61 Humeurs 4.
62 Voyez, par exemple, Prorrhétique I, 16, 19, 32, 34 (éd. É. Littré) ; Épidémies V, 92 et Épidémies VII, 5.
63 Ces gens sont capables de percevoir uniquement ce qui leur est déjà familier : ὅσα δὲ δι᾽ ὄψιος ἢ δι᾽ ἀκοῆς αἰσθέσθαι δεῖ, ἃ μὴ πρότερον ἐπίστανται, οὐ δύνανται αἰσθάνεσθαι, « mais ce qu’il faut percevoir par la vue et l’ouïe, s’ils ne le connaissent d’avance, ils ne peuvent le sentir » (ibid., trad. R. Joly).
64 Régime 35 (trad. R. Joly).
65 Qui, à son avis, peut être rétablie si on suit un régime particulier.
66 Pour l’idée de la résistance des parties épaisses du corps à la cognition, cf. le Timée de Platon et la discussion de Bolens 1999, p. 155.
67 Par exemple, Épidémies VII, 5 : ποδῶν ἅψιος οὐ πάνυ καταισθανόμενος, « quand on lui touchait les pieds, il ne le sentait pas vraiment » (trad. J. Jouanna).
68 Dans les cas rares on l’exprime autrement : Affections internes 47 : πρὸς δὲ τῷ δέρματι δοκέει οἵ τι προσέρπειν ; Prorrhétique I, 109 : ἐν στρώμασι καὶ ἱματίοισιν ὀδυνώδεες ; De l’usage des liquides 2. Comparez également deux versions du passage Affections internes 36 : Καὶ τὸ ἱμάτιον πρὸς τῷ σώματι προσκείμενον οὐκ ἀνέχεται ὑπὸ τοῦ κνησμοῦ (éd. É. Littré) et Καὶ τὸ ἱμάτιον πρὸς τῷ χρωτὶ προσκείμενον… (ed. P. Potter, Cambridge, Harvard University Press, London, W. Heinemann, 1988). Pourtant, chrôs y est synonyme de sôma, et son rapprochement au derma nous paraît assez délicat.
69 Aristote, Histoire des animaux III, 11, 517 b 31 (éd. P. Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1964).
70 Galien distingue les corps en fonction de la sensibilité de la peau et des chairs (αἰσθητικώτερον – δυσαισθητότερα), dans son traité De la composition des médicaments selon les genres VII (ed. C. G. Kühn, Hildesheim, G. Olms, 1965). Importante à cet égard est la contribution d’Isabelle Boehm (Boehm 2014).
71 Remarquons qu’Aristote est plutôt traditionaliste qui affirme que la peau n’est pas l’organe sensoriel : De l’âme 423 a (éd. E. Barbotin, Paris, Les Belles Lettres, 1966).
72 Joannes Actuarius, Sur le fonctionnement et les maladies de l'esprit psychique et le régime à lui prescrire I, 13, 29 (éd. J. L. Ideler, Berlin, G. Reimeri, 1841-1842) : τῆς αἰσθήσεως θεραπεύομεν.
73 Ibid., 13, 9 : Ἁφῆς δὲ πάθη... κατὰ μέρος μὲν νάρκαι τε καὶ δυσαισθησίαι καὶ ἀναισθησίαι γίνονται.
74 N’est-ce pas pour cette raison que l’auteur Des chairs n’évoque pas le toucher parmi les sens et les troubles sensoriels (chapitres 15-18) ?
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Des femmes en action
L'individu et la fonction en Grèce antique
Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet (dir.)
2013