Solon gardait-il la main dans son manteau ?
Les enjeux de l’appel à la connaissance des juges dans la controverse entre Eschine et Démosthène
Did Solon Keep his Hand in his Cloak? The Issues at Stake in the Call for Judges’ Knowledge in the Controversy between Aeschines and Demosthenes
Résumés
Dans leurs plaidoiries Contre Timarque et Sur l’ambassade, Eschine et Démosthène évoquent tous deux une statue de Solon, qui montrerait le législateur la main dans le manteau, un geste signalant sa réserve lorsqu’il s’exprimait à la tribune. La controverse autour de cette représentation a déjà été analysée pour approfondir différentes questions comme le conflit entre les deux orateurs, nos connaissances sur Solon, l’histoire de la statuaire grecque ou la réception du passé dans l’Antiquité. La querelle peut être réinterrogée grâce à l’outil heuristique du dispositif de vérité, entendu comme l’ensemble des procédures, arguments et figures rhétoriques qui permettent aux plaignants de se réclamer de la vérité. La statue se révèle alors le moyen pour Eschine comme pour Démosthène de mettre en avant l’argument de la connaissance directe des faits par les juges. Elle constitue un point de tension à partir duquel il est possible d’examiner l’articulation entre vue et savoir dans l’Athènes classique.
In their pleadings Against Timarchos and On the false embassy, Aeschines and Demosthenes both evoke a statue of Solon erected on the agora of Salamis which would show the legislator with his hand inside his cloak, a gesture indicating his moderation when he spoke in public. The controversy about this representation has already been analysed in order to deepen various questions such as the conflict between the two speakers, our knowledge regarding Solon, the history of the Greek statuary or the reception of the past in Antiquity. The quarrel can be reinterrogated thanks to the heuristic tool of the truth-telling mechanism, used here in the sense of all the procedures, arguments and rhetorical figures that allow litigants to claim the truth. Then, the statue is a privileged means for both Aeschines and Demosthenes to put forward the direct knowledge that the jurors have of the facts. It is a point of tension from which one can examine the articulation between sight and knowledge in Classical Athens.
Entrées d’index
Mots-clés : vue, statue, témoin, autopsie, Athènes
Keywords : sight, statue, witness, eyewitness, Athens
Texte intégral
1La figure de Solon1 est fréquemment utilisée dans les discours judiciaires pour être confrontée aux adversaires des plaignants2. L’autorité du législateur est invoquée pour mettre en cause la justesse des lois attaquées et, par suite, l’attitude des accusés. En s’opposant à Aristogiton, qui s’exprimait en public alors qu’il n’avait pas payé les amendes dues à la cité, Démosthène estime qu’il est scandaleux « que l’érection d’une statue de bronze sur l’Agora [d’Athènes] ait été votée pour Solon, l’auteur de ces lois, tandis que l’on vous voit témoigner de l’indifférence à ces lois-mêmes qui lui ont fait accorder des honneurs exceptionnels3 ». C’est une autre statue de Solon qui est mentionnée par Eschine dans le discours Contre Timarque pour l’opposer aux gesticulations de Timarque, l’allié de Démosthène4 : à Salamine se tiendrait une statue de Solon qui représenterait le grand homme dissimulant sa main dans son manteau, attitude illustrant sa modération et son contrôle de soi. Démosthène fait lui aussi référence à la statue érigée à Salamine dans le réquisitoire Sur l’ambassade pour distinguer les habitudes de son adversaire Eschine et celles de Solon5. Cette statue apparaît ainsi comme le noyau central de la dispute entre les deux orateurs.
2Ces deux références ont déjà été analysées à plusieurs reprises. S’il s’est d’abord agi d’approfondir nos connaissances sur Solon, les spécialistes ont ensuite délaissé la volonté de faire la lumière sur la conduite réelle du législateur pour se tourner vers la réception du personnage ou l’histoire de la statuaire grecque6. En effet, Claude Mossé et Mogens Hansen ont montré qu’une grande partie des connaissances que nous possédons à propos du personnage athénien et de son œuvre politique ne sont accessibles que grâce à la tradition indirecte et postérieure, qu’il est plus pertinent d’étudier pour elle-même7. Dans la lignée de cette approche, s’intéresser au contexte d’apparition de l’anecdote relative à la statue de Solon à Salamine permet d’étudier les stratégies mises en place par Eschine et Démosthène. La figure de Solon, utilisée à la fois par l’un et par l’autre des orateurs pour dénoncer la partie adverse, s’intègre en effet dans le dispositif de vérité élaboré par les plaignants, au sens de l’ensemble des procédures, arguments et figures rhétoriques grâce auxquels les accusateurs et défendeurs peuvent se réclamer de la vérité. Ce thème donne ainsi l’occasion de mettre en évidence une partie des éléments mobilisés par les plaignants pour faire reconnaître une affirmation comme véridique par les tribunaux attiques. En ce sens, il ne s’agit pas de comprendre qui des deux orateurs dit vrai quant à la statue installée à Salamine, mais de déterminer comment mobiliser cette figure leur permet d’affirmer que ce qu’ils disent est vrai, c’est-à-dire atteindre ce qui sous-tend son apparition dans les discours. On entre alors dans le domaine de la véridiction.
La statue de Solon chez Eschine
3Dans le discours Contre Timarque, Eschine attaque Timarque fils d’Arizélos car celui-ci lui a intenté une accusation dans le cadre de sa reddition de comptes : Eschine a fait partie des ambassadeurs envoyés auprès de Philippe pour obtenir du roi la ratification de la paix dite de Philocrate en 346 et doit rendre des comptes à ce propos dans les trente jours après son retour. Si Démosthène apparaît très clairement derrière la plainte8, il n’est pas certain qu’il ait signé l’acte d’accusation avec Timarque9. Eschine réussit à différer le procès en lançant une question préalable (ἀντιγραφή, proche ici d’une παραγραφή) visant Timarque et sa vie dissolue à travers une dokimasie des orateurs (δοκιμασία ῥητόρων) : son adversaire se serait prostitué et aurait dilapidé le patrimoine paternel, deux motifs qui lui interdirait de prendre la parole en public10. Comme il le reconnaît lui-même, Eschine doit faire face à un problème de taille : il ne possède que peu de témoins à présenter à la tribune, alors que ceux-ci constituent le moyen le plus sûr pour attester un fait dans les procès athéniens11 : faire une déposition détaillée à l’encontre de Timarque reviendrait à avouer avoir participé aux actes incriminés, à savoir une affaire de prostitution12. Pour pallier ce manque, l’orateur convoque au début de son discours les lois qui illustrent la volonté de limiter la prostitution dans la société athénienne (§ 6-36)13. Au milieu de ces rappels législatifs, Eschine fait une petite digression sur l’attitude des anciens orateurs à la tribune : Périclès, Thémistocle ou Aristide14 auraient manifesté tant de réserve (σωφροσύνη) qu’ils auraient conservé leurs mains dans leur manteau, signe qu’ils évitaient toute forme d’agitation corporelle. Il existerait « une grande preuve matérielle » (μέγα […] σημεῖον ἔργῳ) de cette posture :
Je sais bien que vous êtes tous allés à Salamine et que vous y avez vu (τεθεωρήκατε) la statue de Solon (τὴν Σόλωνος εἰκόνα), et vous seriez prêts à témoigner (μαρτυρήσαιτ’) que dans cette ville, sur la place publique, Solon est représenté tenant la main à l’intérieur [de son manteau]. C’est un bon rappel et une bonne imitation de l’attitude de Solon (ὑπόμνημα καὶ μίμημα τοῦ Σόλωνος σχήματος), selon la manière qu’il avait lui-même (τρόπον ἔχων αὐτὸς) lorsqu’il parlait au peuple des Athéniens (διελέγετο τῷ δήμῳ τῶν Ἀθηναίων)15.
4Eschine évoque une statue de Solon à Salamine dont nous ne savons que peu de choses16. Si le mot εἰκών fait à l’origine référence à toute image, il est utilisé dans les textes grecs pour désigner les statues honorifiques17. En tant que telle, la statue installée à Salamine était probablement en bronze et bénéficiait d’une situation publique particulière, comme toutes celles des membres importants de la communauté : « They were set on pedestals that raised them both literally and figuratively above the other members of the society, where they acted as models of the proper, praiseworthy citizen18. » La statue montrerait Solon dissimulant l’une de ses mains dans son himation et reproduirait la posture qu’il aurait eue, selon Eschine, lorsqu’il s’exprimait à l’Assemblée (τῷ δήμῳ τῶν Ἀθηναίων). La sculpture témoignerait ainsi de la modération du grand homme19 : John Ma a montré que l’adversaire de Démosthène déploie un paradigme visuel, dans l’idée qu’un bon comportement civique peut visuellement transparaître20. Comme l’explique Zanker, garder la main dans le manteau est une attitude qui fait partie des règles d’apparition en public : « The model orator was expected to demonstrate extreme modesty and self-control in his appearances before the Assembly, and particularly to avoid any kind of demonstrative gestures21. » La main dans le manteau apparaît comme un détail à ce point symbolique de la retenue à conserver lors d’un discours à la tribune qu’Alan Shapiro a identifié un orateur sur une amphore à figures rouges du ve siècle grâce à ses mains maintenues sous ses habits (fig. 1)22, alors que les vases conservés dépeignent très rarement des scènes de la vie publique athénienne. Les déclarations d’Eschine ont même conduit Théodore Reinach à reconsidérer la statue dite du Latran, une statue romaine en marbre présentant cette posture et attribuée à Sophocle (fig. 2) : ce serait selon lui une copie de la statue en bronze de Solon érigée à Salamine23. Dans cette hypothèse, l’œuvre salaminienne aurait été sculptée par Képhisodotos, le père de Praxitèle, et daterait des années 390. Cette nouvelle identification a néanmoins été vivement débattue à l’époque24 et n’est pas acceptée par les spécialistes de la statuaire grecque25.
5Eschine délivre sa propre analyse du geste, mais l’ambassadeur s’exprime au tribunal pour se défendre et son avis n’est pas à prendre sans précaution : selon la scholie à ce passage, Solon pourrait plutôt être représenté en train de déclamer une de ses élégies26. En effet, il a composé une élégie à propos de Salamine, au moment où il était justement interdit de le faire, afin de pousser les Athéniens à reprendre la lutte contre Mégare et récupérer l’île27. L’idée serait alors de rappeler au cœur de la vie civique salaminienne la force des liens entretenus avec Athènes28. Solon étant peut-être né sur l’île29, il pourrait aussi s’agir d’honorer un important homme politique local, sans référence précise à un contexte d’énonciation. Mais l’objectif d’Eschine n’est en aucun cas de s’attarder sur le contexte et donc le sens de cette représentation : le plaignant cherche à dresser un idéal-type au miroir duquel il pourra placer l’attitude de son adversaire Timarque30. Ce but est même explicité : « Or voyez (σκέψασθε), Athéniens, combien Solon diffère (διαφέρει) de Timarque, tout comme ces hommes [Périclès, Thémistocle et Aristide] »31. La belle posture de Solon s’opposerait au comportement de Timarque, jetant le discrédit sur le personnage dans son ensemble32. Arlene Saxonhouse pense même que l’orateur élabore ainsi un signe vestimentaire s’opposant à la franchise : « The arm outside the cloak allows for the dramatics that distract from the truth (or absence thereof) of the speech33. » En critiquant son adversaire de la sorte, Eschine va dans le sens des textes du ive siècle qui expriment à plusieurs reprises l’idée d’un changement important dans la façon dont les grands orateurs se tenaient et gesticulaient après l’époque de Périclès, Cléon étant régulièrement perçu comme le responsable de ce déclin34. Alors que Solon ne montrait pas sa main en prononçant ses discours, Timarque se serait même déshabillé en plein milieu de l’Assemblée pour donner une exhibition de pancrace, obligeant les honnêtes citoyens à détourner les yeux (§ 26)35. C’est cet élément illustrant une vie honteuse qui permet à Eschine de faire la transition avec la loi interdisant l’accès à la tribune pour ceux qui se sont mal comporté (à partir du § 28).
Juges et témoins oculaires
6L’argumentation d’Eschine est donc axée sur la construction d’une opposition stricte entre Timarque et Solon. Pour soutenir ses affirmations, Eschine a interpellé les juges, qui sont censés s’être rendus à Salamine et avoir vu la statue. Les Athéniens pouvaient en effet aller assez facilement sur l’île, comme l’illustre une loi réglementant le passage de bateaux entre Athènes et Salamine et évoquée par Eschine dans le discours Contre Ctésiphon36 : Nick Fisher imagine à partir de cette mention des transports relativement fréquents37. L’orateur transforme ainsi les juges en témoins : ils pourraient témoigner (μαρτυρήσαιτ’) que ce qu’il dit est la vérité38. L’orateur utilise d’ailleurs les Athéniens présents dans le public exactement de la même manière que s’ils étaient des témoins : il développe son argumentation sur le comportement des anciens orateurs, qu’il soutient avec un exemple précis, et évoque des individus pour confirmer ce point particulier. Eschine réussit ainsi l’exploit de se doter d’une pléthore de témoins alors qu’il a lui-même avoué en manquer. Pour transformer les juges en témoins, il s’appuie sur leur connaissance personnelle, c’est-à-dire la mémoire commune des citoyens39. Le procédé est loin d’être inédit dans les discours judiciaires conservés : les plaignants affirment à plus de deux-cent-cinquante reprises que les juges savent déjà quelque chose et en appellent directement à la mémoire des juges à près de cent-cinquante reprises, à tel point que les historiens anglo-saxons ont parlé de « “you all know” topos »40. Eschine n’a d’ailleurs pas besoin que la totalité des juges ait vu la statue : les orateurs demandent régulièrement à ceux qui ont connaissance des faits d’en informer leurs voisins41, ce qui peut tout à fait être implicite ici.
7Alors qu’il ne fait pas venir les juges à la tribune, le choix de l’optatif μαρτυρήσαιτ’ est un moyen pour Eschine d’insister sur la possibilité qu’il aurait de le faire. Les auditeurs apparaissent comme des témoins en puissance. L’adversaire de Démosthène est coutumier de ce principe, puisqu’il l’emploie encore un peu plus tard dans son discours, de manière plus franche :
Si ce procès avait lieu en dehors d’Athènes dans une ville désignée à cet effet, j’aurais alors été le premier à vous demander d’être mes témoins (ὑμᾶς ἂν ἔγωγε ἠξίωσα μάρτυράς μοι γενέσθαι), vous qui savez mieux que personne (τοὺς ἄριστα εἰδότας) que je dis vrai (ὅτι ἀληθῆ λέγω). Mais puisqu’il se déroule à Athènes, et que vous êtes aussi bien témoins que juges (δικασταὶ καὶ μάρτυρες) des faits que j’avance, mon rôle est ici de vous remettre la situation en mémoire, le vôtre de ne pas refuser de me croire (ὑμᾶς δέ μοι μὴ ἀπιστεῖν)42.
8Eschine construit un cas de figure totalement fictif dans le seul but de soutenir sa démonstration : hors d’Athènes, c’est-à-dire si les juges n’étaient pas juges, il les convoquerait comme témoins. Les individus présents dans le public sont par conséquent à la fois « juges et témoins » (δικασταὶ καὶ μάρτυρες), expression inédite dans toutes les plaidoiries préservées et extrêmement intéressante puisqu’elle juxtapose, et met donc à égalité, les deux qualités : ce que sont les auditeurs dans la réalité et ce qu’ils sont selon Eschine. Il en profite pour souligner la connaissance des juges au moyen du verbe « savoir » substantivé (τοὺς εἰδότας). Ils peuvent ainsi attester la véracité des propos de l’orateur, ce qui passe par une formule très intéressante : « que je dis vrai » (ὅτι ἀληθῆ λέγω)43. Cette expression doit être reliée à la requête située à la fin du passage cité : sachant grâce à leurs connaissances personnelles qu’Eschine dit la vérité (ἀληθῆ), les juges peuvent accorder de la confiance (μὴ ἀπιστεῖν) à ses déclarations. Ce rapprochement met en évidence le fonctionnement du dispositif de vérité, c’est-à-dire la façon dont Eschine place ses déclarations sous le signe de la vérité et peut de ce fait réclamer à son auditoire de le croire. Le passage concernant la représentation solonienne peut lui aussi être considéré de ce point de vue : comme Eschine l’explique pour introduire l’évocation de la statue, cette dernière est le moyen qu’il a trouvé de donner « une grande preuve matérielle » (μέγα […] σημεῖον ἔργῳ) de ses dires. Le mot ἔργῳ peut évidemment se rapporter à la matérialité de la statue, mais peut aussi renvoyer à l’opposition entre les faits et les paroles (ἔργα/λόγοι), récurrente dans les discours conservés44 et même dans toutes les sources de l’époque classique45. Le λόγος pouvant désigner le discours d’un plaignant, Eschine, en choisissant précisément le terme ἔργῳ, signifie qu’il ne va pas se contenter de parler mais va fournir des éléments concrets, comme le sont dans la rhétorique judiciaire les preuves que constituent par exemple les témoignages.
9C’est grâce à leur vue directe de la statue que les juges peuvent confirmer les dires d’Eschine quant à la posture de Solon, et ainsi permettre à l’orateur de se revendiquer du côté de la vérité. Le motif de la vision irrigue d’ailleurs tout ce passage du discours : Eschine utilise aussi une métaphore visuelle quand il invite les juges à regarder (σκέψασθε) à quel point s’opposent Solon et Timarque (§ 26). La possibilité d’insister sur ce moyen d’attestation repose sur l’importance de la vue en Grèce ancienne, partagée par de nombreuses sources46. Une formule d’Héraclite, rapportée par Polybe, en est un bon exemple : « Car les yeux sont des témoins plus précis que les oreilles (ὀφθαλμοὶ γὰρ τῶν ὤτων ἀκριβέστεροι μάρτυρες)47. » Les yeux et les oreilles sont ici la métonymie des deux sens de perception, établissant entre eux un rapport de supériorité : la vue est plus crédible que l’ouïe – la mention explicite des témoins (μάρτυρες) rapprochant cette sentence du contexte judiciaire. Les chercheurs ont alors tendance à voir dans la primauté de la vue un aspect de la culture grecque dans son ensemble48, et ce d’autant plus que le vocabulaire grec conduit lui-même sur cette piste, puisque la proximité entre « voir » et « savoir » est plus étroite en grec qu’en français49.
10Or Charles Segal ajoute à ce rapprochement le verbe « examiner » (θεωρεῖν), utilisé par Eschine au sujet des juges qui ont vu la statue à Salamine (τεθεωρήκατε) : « Théôria implique la même identification du savoir à la vue que le verbe courant pour “je sais” : oida (de la racine vid-, “voir”) »50. En choisissant précisément le vocable de la « théorie » pour évoquer le rapport à la représentation de Solon, l’orateur fait des juges des témoins proprement « oculaires »51 : la dimension visuelle du savoir est soulignée car elle implique une crédibilité plus établie. Le verbe θεωρεῖν est d’ailleurs particulièrement approprié ici, puisqu’il véhicule également une idée de déplacement, θεωρός pouvant notamment servir à désigner des ambassadeurs sacrés, envoyés pour assister à un festival religieux, consulter un oracle ou annoncer dans une autre cité la célébration prochaine d’un festival52. Eschine emploie le mot à une autre occasion dans le discours Contre Timarque, de manière très proche de la formule concernant la statue de Solon, lorsqu’il détaille les relations tumultueuses entre Timarque, Pittalacos et Hégésandre, dans lesquelles est intervenu Glaucon de Cholarges : « Que ce que j’avance est vrai, tous vous le savez (καὶ ταῦτα ὅτι ἀληθῆ λέγω, πάντες ἴστε). Qui de vous, en effet, n’est venu au marché aux poissons et n’y a pas vu (τεθεώρηκεν) leurs folles dépenses53. ? » Si Eschine fait certes déposer Glaucon, il compte essentiellement sur son appel à la connaissance des auditeurs pour valider son développement, car son témoin ne connaît qu’une partie des faits. La déposition n’est même convoquée, selon l’orateur, que pour se conformer aux exigences judiciaires. Du reste, bien qu’un ou plusieurs témoignages soient fournis, ce n’est pas eux qu’introduit la formule ὅτι ἀληθῆ λέγω mais le savoir des Athéniens présents dans le public54 : cette formule permet d’insister sur la valeur du savoir des juges fondé sur une expérience directe. Enfin, les juges connaissent les détails de l’affaire à la fois car ils se sont rendus au marché aux poissons, tout comme ils étaient dit être allés à Salamine, et car ils y ont assisté eux-mêmes (τεθεώρηκεν). La similitude frappante entre les deux occurrences pousse à rapprocher la course au marché athénien et le voyage à Salamine : Eschine fait des juges les témoins oculaires tout autant de la statue solonienne que des événements ayant eu lieu en plein milieu d’Athènes.
La critique de la vue indirecte chez Démosthène
11Eschine gagne son procès et Timarque est frappé d’atimie55. S’il ne convient pas de penser que les propos concernant la statue de Solon ont permis d’emporter l’adhésion des juges, force est de constater que l’argument a marqué les esprits, puisque Démosthène le reprend dans le discours Sur l’ambassade56. En 343, soit trois ans après l’affrontement au cours duquel a été prononcé le Contre Timarque, les deux hommes s’affrontent à nouveau au sujet de l’ambassade. Les partisans de Philippe, dont fait partie Eschine, apparaissent à ce moment-là dans une situation bien moins favorable : Philocrate, par exemple, a été accusé pour son comportement lors des négociations de 346 et, exilé, a été condamné à mort par contumace. Démosthène en profite pour relancer l’action contre Eschine. Dans son réquisitoire, il revient sur les déclarations de son adversaire à propos de la statue du législateur athénien :
Cette statue (τὸν μὲν ἀνδριάντα), les gens de Salamine disent qu’il n’y a pas encore cinquante ans qu’elle a été élevée ; or, depuis Solon jusqu’au temps présent, il y a environ deux cent quarante années, de sorte que non seulement l’artiste qui a modelé cette attitude (ὁ δημιουργὸς ὁ τοῦτο πλάσας τὸ σχῆμα) n’était pas contemporain de Solon, mais même son grand-père ne l’était pas57.
12Pour s’opposer après coup aux dires d’Eschine, Démosthène explique que l’artiste qui a sculpté la statue n’a pas pu connaître Solon, car il lui est largement postérieur. Son calcul est certes approximatif : comme l’a montré Douglas MacDowell, l’archontat de Solon date de 594/593, soit 251 ans avant le discours et non pas 24058. Démosthène ne connaît pas la date exacte et fait une estimation. Mais l’imprécision ne modifie pas le raisonnement : la démonstration développée dans le discours Contre Timarque se révèle sans fondement car elle s’appuie sur un élément matériel dont le lien avec la réalité ne peut être prouvé. L’idée de Démosthène est de mettre en avant la statue de Solon présente sur l’agora de Salamine en tant que représentation59, à savoir non pas comme un moyen d’accès visuel direct au grand homme mais comme une image indirecte. La mention du grand-père de l’artiste est sur ce point révélatrice : celui-ci constitue la figure familiale la plus éloignée ayant pu raconter à sa descendance ce dont il avait connaissance. Si l’ancêtre avait vécu au temps de Solon, il aurait pu transmettre directement des informations concernant la posture du législateur. On serait alors dans le cas de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours », c’est-à-dire une représentation véhiculée par un seul intermédiaire.
13Si le passage du discours eschinéen illustrait la place accordée à la vue dans la pensée athénienne du ive siècle, la réponse de Démosthène invite à reconsidérer cette importance : ce n’est pas tant la vue qui importe que la vue directe. Ce critère de validation est présent en Grèce dès le ve siècle, comme l’illustrent les réflexions d’Hérodote dans sa façon de faire de l’histoire : c’est dans l’autopsie, à savoir « l’observation personnelle des faits par l’historien »60, que réside le crédit de sa narration. Dans Le discours du particulier, Catherine Darbo-Peschanski distingue clairement opsis directe et indirecte : « L’opsis remporte l’adhésion, non parce qu’elle a intrinsèquement plus de valeur que l’akoē, mais parce qu’elle est porteuse de l’expérience directe de l’enquêteur […], en sorte que la discrimination qu’il établit alors n’oppose pas l’opsis directe à l’akoē directe, mais les deux réunies à une information au second degré61. » Ce principe est particulièrement clair avec la carte d’Aristagoras : avant les guerres médiques, le tyran de Milet cherche à persuader les autres cités grecques d’intervenir avec lui dans la révolte d’Ionie qu’il mène contre le Grand Roi Darius (498-494) et il se rend auprès de nombreux dirigeants et notamment à Sparte auprès du roi Cléomène, auquel il montre une carte inscrite sur une tablette de cuivre (χάλκεον πίνακα)62. Une représentation du monde n’est en rien inédite à Milet, patrie d’Anaximandre et d’Hécatée, mais devait être beaucoup plus singulière chez les Lacédémoniens. Aristagoras l’utilise pour décrire l’ensemble des peuples qui séparent l’Ionie de Suse, capitale des Achéménides. Il le fait de manière à montrer la proximité de la ville, afin de pousser Cléomène à s’engager dans le conflit. La carte est décrite par Hérodote comme un moyen de « tromper » (διαβάλλων) son interlocuteur63 et le roi spartiate ne s’en rend compte que lorsqu’Aristagoras lui avoue qu’il faut trois mois de marche pour atteindre l’objectif visé. La carte est l’instrument de la tromperie du tyran. Alors qu’elle est pourtant du côté de la vue, elle peut être dénoncée comme un intermédiaire entre les faits et ceux qui en sont informés.
14La carte d’Aristagoras est comparable à la statue de Solon chez Démosthène : en faisant croire à un accès direct grâce à la vue, elle crée en fait les conditions de la mystification des destinataires. La vision apparaît comme un mode d’information qui peut être placé du côté de l’expérience indirecte, de la même manière qu’un propos rapporté. La synonymie entre les visions indirectes et les discours est bien marquée par une remarque d’Hippolyte dans la pièce éponyme d’Euripide, datée de 428. Le héros, accusé par son père d’avoir contraint Phèdre au suicide après avoir tenté de la violer, évoque l’amour : « Je ne connais cet acte qu’en en ayant entendu le récit ou en en ayant vu le tableau (πλὴν λόγῳ κλύων γραφῇ τε λεύσσων)64. » Hippolyte souligne qu’il n’a jamais éprouvé personnellement ce sentiment et n’en a connaissance que grâce à des intermédiaires, qu’ils soient auditifs ou visuels. En jouant sur le caractère indirect de la vue dans les représentations iconographiques, Démosthène reprend donc un thème bien établi à Athènes depuis la deuxième moitié du ve siècle65.
15L’orateur ne s’en tient pas là : il tire ensuite avantage de l’évocation de Solon pour récupérer l’illustre personnage à son profit en le comparant à Eschine. En effet, son adversaire aurait lors du procès imité le geste de Solon en plaçant sa main dans son manteau (§ 252)66. L’une des statues d’Eschine présente justement l’orateur lui-même avec la main dans le manteau (fig. 3)67. Démosthène critique son rival à ce sujet : tandis que Solon a composé une élégie pour rattacher Salamine à Athènes alors qu’il était interdit de faire cette proposition à l’époque (§ 252), Eschine a livré Amphipolis au Grand Roi en appuyant la proposition de Philocrate (§ 253). L’idée d’opposition est explicitement exprimée par la suite : « Ce n’est pas en parlant qu’il faut garder sa main à l’intérieur [de son manteau], Eschine ; c’est en fait en allant en ambassade qu’il faut garder sa main à l’intérieur [de son manteau]68. » Démosthène sous-entend qu’Eschine a reçu de l’argent de la part de Philippe, la main sortie du manteau étant le symbole de sa corruption69. Comme l’explique Catherine Psilakis, la mention de Solon vise à retourner la figure d’autorité contre la partie adverse pour briser le lien qui a pu se former entre Eschine et Solon dans l’esprit des auditeurs du discours Contre Timarque70.
16Démosthène fait même lire l’élégie de Solon intitulée l’« Eunomie » (fr. 4 West), c’est-à-dire les bonnes lois (§ 255). De façon assez étonnante, il ne choisit pas les vers du poème composé pour persuader les Athéniens de reprendre Salamine (fr. 1 West)71 : cette décision ne s’explique que parce qu’il parle dans ce passage de la manière dont la cité doit être gouvernée. Plusieurs thèmes de l’élégie étant repris par l’orateur dans son discours, Catherine Psilakis a démontré que Démosthène tendait à annihiler la séparation entre orateur et poète : « Démosthène ne se contente pas de retourner les armes d’Eschine contre lui, il les utilise mieux en se posant comme un nouveau Solon, grâce au poème qu’il utilise et reprend à son compte, en se l’appropriant avec ses propres mots »72. Faire lire l’élégie solonienne procède donc de la stratégie rhétorique de l’orateur. Il est possible d’aller plus loin : du point de vue du dispositif de vérité mis en place par l’orateur, Démosthène fait référence au savoir des Athéniens qui l’écoutent et qui connaissent ce poème. Pour contrer l’argument d’Eschine, l’orateur recourt donc à la méthode qu’a employée son rival, laquelle se fondait sur les connaissances du public. Après avoir supprimé la possibilité pour Eschine de se prévaloir du savoir des juges quant à la statue de Solon, Démosthène peut récupérer le soutien de son auditoire grâce à une expérience qui se veut plus directe : les Athéniens présents n’ont besoin d’aucune représentation pour se rappeler de l’élégie73. Ainsi, alors que les deux orateurs se contredisent strictement dans leur démonstration, l’expérience directe, à travers la connaissance des juges, demeure l’élément central dans le dispositif de vérité des deux versions qui s’affrontent.
Conclusion
17Dans la joute oratoire qui oppose Eschine et Démosthène au cours des années 340, la statue de Solon constitue un point de tension autour duquel se noue l’articulation entre vue et savoir. D’un côté, la sculpture incarne l’image du législateur athénien : les juges peuvent selon Eschine se faire un avis sur l’attitude qu’avait Solon car une grande partie d’entre eux ont vu la statue. Reposant sur l’expérience du public présent au procès, la vision est utilisée comme un élément accréditant le discours de l’orateur. D’autre part, la statue est mise en avant par Démosthène en tant que représentation, c’est-à-dire comme une création postérieure qui n’a qu’un lien indirect avec le grand homme. Au contraire de l’autopsie, la vue se voit alors caractérisée comme un mode d’accès au savoir de seconde main : tableau, carte et statue sont assimilables à la rumeur, qui se définit par la multiplication des intermédiaires. Pour faire surgir l’expérience directe des juges relative à la figure d’autorité, l’orateur insiste quant à lui sur les compositions poétiques de Solon.
18Dans cette controverse, Eschine aurait pu répondre à la critique de Démosthène en reprenant l’idée de Platon, qui exclut les poètes de sa cité idéale car ils sont tout autant des imitateurs que les peintres74. Le recours à une élégie de Solon pour exposer le caractère du législateur pourrait donc être tout aussi discutable que la statue de bronze évoquée par Eschine. Mais ce dernier préfère aller encore plus loin dans la sollicitation des juges. À la fin du discours Contre Ctésiphon, nouvel acte dans la passe d’armes entre les deux adversaires, il adresse une requête spéciale aux juges concernant le moment où Démosthène achèvera sa propre plaidoirie, le discours Sur la couronne :
Représentez-vous alors que vous voyez (ὁρᾶν), sur la tribune où je me tiens, rangés contre l’impudence de ces gens, les bienfaiteurs de la cité. Voici Solon, l’homme qui a paré la démocratie des lois les plus belles, un philosophe, un grand législateur, qui vient, avec la réserve qui lui est propre, vous demander de ne jamais faire prévaloir les discours de Démosthène sur les serments prêtés et sur les lois75.
19L’évocation de Solon sert une nouvelle fois à mettre en avant l’importance de la modération des orateurs76. Surtout, le passage, si étonnant qu’il a été mis en cause par la critique moderne77, pousse à son comble le procédé consistant à mettre au devant des juges le vénérable personnage. Le discours s’apparente à une forme d’ἔκφρασις, au sens de « any descriptive passage or account, which is credited with the ability to present the matter described before one’s eyes, creating the illusion that one ‘sees’ what is absent or abstract78 ». Eschine s’en remet une nouvelle fois à la vue, qu’il essaie à nouveau, par un artifice oratoire, de rendre directe.
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10.1525/9780520310018 :Notes de bas de page
1 Je remercie le comité de rédaction et les responsables du suivi de la publication de Mètis. Leurs remarques ont été précieuses pour améliorer les réflexions proposées dans cet article.
2 Voir par exemple Démosthène, Contre Androtion (XXII), 25 ; Contre Timocrate (XXIV), 103 ; 106 ; 113. Navarre, Orsini (1954, p. XLI) y voient même un « poncif ». Comme l’illustre une rapide recherche dans le TLG, Solon est mentionné à plus de soixante reprises dans les discours conservés, le plus souvent pour évoquer ses lois et son travail de législateur. Voir aussi la recension de Nouhaud 1982, p. 58, qui ajoute des passages renvoyant aux lois de Solon sans exprimer le nom du législateur, et plus généralement Thomas 1994.
3 Démosthène, Contre Aristogiton II (XXVI), 23. Les citations et les textes grecs utilisés dans cet article proviennent des textes et traductions établis aux éditions Belles Lettres (CUF), les traductions étant la plupart du temps remaniées pour être au plus proche du texte grec. Il convient de préciser que, si l’authenticité des deux discours Contre Aristogiton n’avait jamais été mise en cause, Edward M. Harris (2018) vient de faire paraître une solide étude en ce sens.
4 Eschine, Contre Timarque (I), 25.
5 Démosthène, Sur l’ambassade (XIX), 251. Ce passage, tout comme celui d’Eschine, sera analysé en détail par la suite.
6 Voir les références tout au long de l’article.
7 Mossé 1979 et Hansen 1989. Plutarque (De la malignité d’Hérodote 15, Moralia 857f-858a) remarquait déjà qu’Hérodote plaçait ses propres idées dans la bouche du grand sage. Voir aussi la récente thèse de Catherine Psilakis (2014). Elle analyse en profondeur les problèmes posés par cette réception, « écran » entre Solon et nous (p. 21-27). Elle perçoit notamment le ive siècle comme une période d’idéalisation où la tradition s’éloigne du Solon historique (p. 474).
8 Eschine ne se prive pas de le souligner : voir Eschine, Sur l’ambassade (II), 96. Démosthène est aussi celui qui défend Timarque : Eschine, Contre Timarque (I), 94 ; 119 ; 125 ; 166-176.
9 Voir Martin, Budé 1927, p. 14 quant à la discussion de ce point.
10 Sur la dokimasie des orateurs, voir Fisher 2001, p. 40-53 et Feyel 2009, p. 198-207. Le deuxième motif d’inculpation ne doit pas être sous-estimé (Fisher 2001, p. 6).
11 David Mirhady (2002, p. 256) le résume dans un article important : « Marturia is the form of supporting evidence par excellence. » Voir aussi Todd 1990 ; Hansen [1991] 1993, p. 236 ; Scafuro 1994 ; Thür 2005, p. 146 et 163.
12 Voir Eschine, Contre Timarque (I), 72. Eschine appelle tout de même six fois des témoins dans son discours.
13 Sur l’interprétation de ces lois, voir Ford 1999, p. 241-249.
14 Psilakis (2014, p. 519-521) explique pourquoi ce sont précisément ces personnages qui sont évoqués et associés.
15 Eschine, Contre Timarque (I), 25.
16 La statue porte selon Richter (1965, I, p. 84) une inscription rapportée par Diogène Laërce, I, 62 (Solon 18), même s’il est difficile de savoir s’il s’agit de cette statue précise.
17 Queyrel 2013, p. 99 (§ 1).
18 Dillon 2006, p. 61.
19 Sur la formule indiquant l’« imitation » (ὑπόμνημα καὶ μίμημα τοῦ Σόλωνος σχήματος), voir Psilakis 2014, p. 526-527 et 529.
20 Ma 2006, p. 233.
21 Zanker [1995] 1996, p. 45. Voir l’ensemble des réflexions concernant la main des orateurs drapée dans leur manteau p. 43-49. Voir aussi l’importance du contexte souligné par François Queyrel (2013).
22 Shapiro 1993, p. 23-25 (fig. 4).
23 Reinach 1922. La démonstration semble avoir convaincu Catherine Psilakis (2014, p. 734-735), qui l’intègre dans son étude comme « la statue de Solon ».
24 Le débat a opposé Théodore Reinach à Franz Studniczka et Walther Amelung : voir les références bibliographiques dans Jouanna 2007, qui replace très justement la dispute dans le contexte politique de l’époque (p. 1054).
25 Richter 1965, I, p. 129 ; Zanker [1995] 1996, p. 45, n. 7. Zanker est tout de même obligé de reconnaître que Sophocle pourrait être représenté en orateur (p. 45). La démonstration de Reinach a de plus le mérite de soulever les problèmes de l’attribution à Sophocle : Sheila Dillon (2006, p. 78, n. 149) remarque que l’hypothèse selon laquelle le type de Latran reproduirait la statue de Sophocle installée dans le théâtre de Dionysos grâce à Lycurgue n’a jamais été démontrée.
26 Voir Ford 1999, p. 247, n. 58.
27 Démosthène, Sur l’ambassade (XIX), 252. Voir aussi Diogène Laërce, I, 46-47 (Solon 2-3) ; Plutarque, Vie de Solon 8.
28 Sur l’histoire des liens entre Salamine et Athènes, voir le résumé de Fisher 2001, p. 152.
29 Diodore, IX, fr. 1, 1 ; Diogène Laërce, I, 45 (Solon 1). La patrie de Solon est plus probablement Athènes : sur ce débat, voir le résumé et le renvoi aux sources d’Aude Cohen-Skalli 2012, p. 325, n. 1.
30 En étudiant l’utilisation des références historiques par les orateurs classiques, Michel Nouhaud classe l’épisode dans la partie portant sur « Les grands hommes comme révélateurs d’une opposition entre deux époques » (Nouhaud 1982, p. 172-177). Il souligne notamment l’exagération d’Eschine dans l’opposition entre Solon et Timarque.
31 Eschine, Contre Timarque (I), 26.
32 Une telle dénonciation de la gestuelle de l’adversaire se retrouve dans Démosthène, Contre Midias (XXI), 72, avec le même terme utilisé par Eschine pour parler de la « posture » de Solon (σχῆμα).
33 Saxonhouse 2006, p. 92. Noémie Villacèque (2014, p. 30) affirme ainsi que le vêtement « acquiert une place centrale dans la rhétorique de l’outrance ».
34 Aristote, Constitution des Athéniens 28, 3. Voir les analyses de Connor 1971, p. 132-134 ; Carey 1994, p. 77-79 ; Villacèque 2014, p. 27-30 ; Psilakis 2014, p. 530. Voir aussi Rhodes 1981, p. 352-354, qui liste les autres occurrences (Thucydide, Aristophane, Plutarque) et retranscrit la discussion de l’attribution à Théopompe de cette idée par Gomme (1945, p. 48, n. 1). Noémie Villacèque (2014, p. 33) affirme que Timarque apparaît comme un nouveau Cléon.
35 Il est improbable que Timarque se soit mis nu en pleine Assemblée : Fisher (2001, p. 153) préfère y voir une allusion à un glissement de son himation lors d’une discussion concernant les dangers militaires qu’affrontait Athènes. Le pancrace est en tout cas choisi à dessein : en tant que lutte autorisant tous les coups, il souligne les gesticulations de Timarque.
36 Eschine, Contre Ctésiphon (III), 158.
37 Fisher 2001, p. 151. Lambert (1997, p. 102) détaille même les nombreux voyages qui devaient exister entre les deux territoires. Psilakis (2014, p. 523-525) fait la liste des cultes civiques qui pouvaient amener les Athéniens à se rendre à Salamine, prenant au premier degré l’affirmation d’Eschine selon laquelle tous les citoyens présents au procès avaient vu la statue.
38 Les juges sont régulièrement évoqués comme des témoins : c’est le cas à vingt-cinq reprises dans les discours judiciaires. Dans le discours Contre Midias (XXI), Démosthène affirme par exemple (§ 18) : « Vous êtes tous vous-mêmes mes témoins, juges » (ὑμεῖς ἐστέ μοι μάρτυρες πάντες, ἄνδρες δικασταί). Voir Bonner [1905] 1979, p. 84 et Mirhady 2002, p. 264.
39 C’est aussi l’avis de Ruth Webb (2009, p. 135, § 7), qui parle d’une « mémoire collective soigneusement façonnée par l’orateur ». Elle mentionne sans l’analyser le passage concernant la statue de Solon (p. 138-139, § 10).
40 Ober 1989, p. 149-150 ; Hesk 2000, p. 227-231 ; Steinbock 2013, p. 42-43. Pearson (1941, p. 218-219) a quant à lui montré que les plaignants tentent, par ces déclarations, de se mettre au même niveau que les membres du public. Il a été suivi par Josiah Ober et Barry Strauss (Ober, Strauss 1990, p. 253), qui ont insisté sur la volonté des orateurs de ne pas sembler condescendants en présentant certaines informations.
41 Comme le note Robert Bonner ([1905] 1979, p. 85) dès le début du xxe siècle, « if only part of the jurors know, it was customary to ask them to inform those who sat near them ». Voir notamment dans Andocide, Sur les mystères (I), 37 ; 46 ; 69. La validité de ces occurrences a fait l’objet d’une vive critique de la part de Jon Hesk (2000, p. 227-231), fondée sur Démosthène, Contre Bœotos II (XL), 53-54 et déjà rejetée par Bonner, Smith ([1938] 1968, p. 125), suivis par Wolpert (2003, p. 541, n. 13) : « Far from calling into question the “you all know” topos, Mantitheus reaffirmed it. »
42 Eschine, Contre Timarque (I), 89. Voir encore § 121-122.
43 Cette expression revient très fréquemment dans les discours judiciaires, sous des formes plus ou moins variées : elle est utilisée dans plus de deux cents occurrences. Il est intéressant de noter qu’elle est en majorité employée pour introduire des dépositions : les juges sont, littéralement, mis à la place des témoins.
44 Cette opposition apparaît à plus de deux cents reprises. Les commentateurs y ont vu un lieu commun, mais Stephen Todd (2007, p. 216) préfère parler de « familiar contrast ergon/logos (deed/word) », ce qui exprime beaucoup mieux le rapport du motif à la société.
45 Nicole Loraux parle de « la dichotomie du lógos et de l’érgon qui pour les Grecs de l’époque classique structure toute expérience humaine » (Loraux 1981, p. 38).
46 Outre les sources détaillées ci-après, voir encore celles que liste Squire (2016, p. 10-12) pour fonder la primauté de la vue dans la culture archaïque et classique, malgré l’objectif du projet « Senses in Antiquity » de dépasser l’« ocularcentrism » (p. 8).
47 Polybe XII 27 (dans Bollack, Wismann 1972, p. 290 : fragment 101a). D’autres fragments conservés d’Héraclite s’attachent aux valeurs respectives de la vue et de l’ouïe : voir Marseglia 2015, p. 123. Voir aussi Aristote, De l’âme III, 3, 429 a 2-3 ; Métaphysique I, 1, 980 a 25-28 ; Platon, Phèdre 250 d.
48 Voir par exemple Hartog 1980, p. 272.
49 Voir Vernant 1993, p. 19 ; Lewis 1996, p. 90 ; Squire 2016, p. 13.
50 Segal 1993, p. 249.
51 Sur la valeur « spectaculaire » de θεωρεῖν, voir Goldhill 2000, p. 165-173, qui montre que θεωρός est souvent synonyme de θεατής, « spectateur ». Il détaille également la dimension active d’évaluation que possède le mot θεωρία, ce qui s’accorde au rôle des juges dans le tribunal (p. 169-171). Sur l’idée d’un regard actif, voire d’une participation du sujet regardant, voir Vendryes 1932, p. 199-206 ; Hunzinger 1993, p. XVII.
52 Ce sont les sens b, c et d que répertorie Clarence Bill (1901, p. 196), après le sens de « spectateur » (a). Il insiste sur la place du voyage et de la vision dans la θεωρία, qu’elle soit officielle ou non (p. 199). Voir aussi Prévot 1934, p. 67-69 ; Goldhill 2000, p. 166-168, qui mentionne en passant la citation du Contre Timarque.
53 Eschine, Contre Timarque (I), 65.
54 Pour un tel usage, voir aussi Andocide, Sur les mystères (I), 69 ; Démosthène, Contre Midias (XXI), 167 ; Contre Aristocrate (XXIII), 168 ; Lysias, Défense d’un anonyme accusé de corruption (XXI), 10.
55 Démosthène, Sur l’ambassade (XIX), 257 et 284.
56 Voir O’Connell 2017, p. 78-79.
57 Démosthène, Sur l’ambassade (XIX), 251.
58 MacDowell 2000, p. 309.
59 Catherine Psilakis (2014, p. 570-571) souligne que Démosthène emploie à dessein un vocabulaire appartenant au champ lexical de l’activité artistique (δημιουργός, πλάσας et σχῆμα).
60 Schepens 1980, p. V.
61 Darbo-Peschanski 1987, p. 85. Concernant Hérodote, voir aussi Hartog 1980, p. 271-272 : « L’œil ou plutôt l’autopsie : il s’agit en effet de l’œil comme marque d’énonciation, d’un “j’ai vu” comme intervention du narrateur dans son récit, pour faire preuve. »
62 Hérodote, V, 49.
63 Hérodote, V, 50. Le terme διαβάλλω est utilisé à dessein par Hérodote : son sens premier est « jeter à travers » et désigne fréquemment le fait de faire franchir la mer à des bateaux. Or Aristagoras tente précisément de convaincre Cléomène de traverser la mer avec les soldats lacédémoniens.
64 Euripide, Hippolyte 1004-1005. Pour une mise sur le même plan similaire, voir Platon, République II, 378 c 3-6.
65 Voir aussi les Doubles dits, qui datent du tournant entre le ve et le ive siècles : dans la poésie et la peinture, « le meilleur est celui qui trompe en donnant la plus grande impression de vérité (ἐξαπατῇ ὅμοια τοῖς ἀληθινοῖς ποιέων) » (Dissoi Logoi, III, 10, traduction Jean-Paul Dumont 1988). Le motif remonte peut-être plus haut dans le temps, comme en témoigne la fable « La colombe qui a soif » (Ésope, Fables 301), dans laquelle une colombe assoiffée est trompée par un cratère peint sur un tableau.
66 Comme le montre Sophie Gotteland (2006, p. 597-598), il s’agit alors pour Démosthène de démontrer qu’Eschine ne fait pas montre de réserve mais de suffisance en prenant des poses. Pour Peter O’Connell (2017, p. 76), Eschine cherche par sa posture à créer un contre-exemple visuel à la posture de Timarque.
67 Voir Richter 1965, II, p. 213 ; Dillon 2006, p. 61-63. Fisher (2001, p. 152) imagine mais rejette l’idée que la statue ait pu être votée après le triomphe d’Eschine contre Timarque, ce qui expliquerait le choix de le représenter imitant l’attitude de Solon.
68 Démosthène, Sur l’ambassade (XIX), 255. Catherine Psilakis (2014, p. 576) insiste sur l’ironie présente dans la sentence, afin de se concilier les faveurs du public.
69 Sur le geste de la main tendue, voir l’analyse de Vincent Azoulay (2017, p. 283).
70 Psilakis 2013, p. 94. Voir aussi Psilakis 2014, p. 475 : il s’agit de « revendiquer son caractère (ἦθος) en faisant œuvre d’exégète privilégié de cette figure d’autorité ». Voir enfin l’analyse détaillée (p. 571-573).
71 Les 39 vers transmis ne figurent pas ou seulement partiellement dans les manuscrits les plus sûrs : Wilamowitz en vient à penser que seuls les 16 premiers vers ont été cités dans le procès. Voir Psilakis 2013, p. 94-95 et 2014, p. 584-585.
72 Psilakis 2013, p. 100.
73 Si Démosthène n’a peut-être pas convaincu son public, son argumentation a au moins reçu la validation de Jon Hesk (2012, p. 223-224) : « The implication is that Aeschines had succeeded in duping the jury with bogus historical evidence. […] Solon’s Salamis elegy had a much better claim to being good historical evidence for Solon’s virtues than the statue. »
74 Platon, République X, 597 e-598 d et 602 c-605 c. Voir aussi Plutarque, La gloire des Athéniens 4, Moralia 348 a-b : la poésie, comme la peinture et l’histoire, est du côté de l’image et du simulacre (εἰκὼν καὶ εἴδωλον).
75 Eschine, Contre Ctésiphon (III), 257. Pour d’autres demandes à se représenter quelque chose, voir Eschine, Contre Ctésiphon (III), 153 ; 157 ; 186.
76 Pour Nouhaud (1982, p. 169, n. 115), au contraire, « Solon y symbolise la loi ».
77 Il est néanmoins réhabilité par Michel Nouhaud (1982, p. 62).
78 C’est la définition que fournit Andreas Serafim (2015, p. 98). On peut aussi, comme le fait Ruth Webb (2009, p. 133, § 5), parler d’ἐνάργεια, « cette qualité du langage qui fait “voir” les auditeurs et qui “met sous les yeux” la scène que l’orateur veut créer ». Sur l’ἐνάργεια, voir en particulier l’article de Barbara Cassin (1997) dans un ouvrage collectif sur l’évidence.
Auteur
ANHIMA UMR 8210
sironicolas@hotmail.fr
Docteur de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ANHIMA UMR 8210
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