La notion de « mystères » au iie siècle de notre ère : regards païens et Christian turn
p. 109-132
Résumés
L’article propose une enquête sur l’origine et les enjeux de la catégorie des « mystères païens », souvent utilisée dans l’historiographie moderne et contemporaine et largement dépendante d’une approche christianisante. Un survol historiographique permet d’abord de souligner que la notion des « mystères » est née dans le cadre des controverses entre catholiques et protestants, en particulier autour de la pureté originelle du premier christianisme et de sa subséquente dégénérescence au contact des religions des mondes grec et romain. L’analyse des sources antiques conduit ensuite à avancer l’hypothèse d’un changement sémantique qui s’opère dans la seconde moitié du iie siècle, lorsque les auteurs chrétiens s’évertuent à fabriquer une notion large et totalisante des « mystères païens », absente des réflexions des auteurs grecs.
The paper aims to investigate the origin and issue at stake with the category of “pagan mysteries”, often used in modern and contemporary historiography and largely dependent on a Christian approach. Firstly a historiographic overview will highlight that the “mysteries” notion was born in the context of controversies between Catholics and Protestants, concerning namely the original purity of the ancient Christianity and its following degeneration through contact with the religions of the Greek and Roman worlds. The analysis of the evidence then allows to suppose a semantic change during the second half of the second century, when Christian authors try to produce an extensive category of “pagan mysteries”, which is absent in the reflections of Greek authors.
Entrées d’index
Mots-clés : mystères païens, historiographie, Julius Pollux, Athénagore, Clément d’Alexandrie
Keywords : pagan mysteries, historiography, Julius Pollux, Athenagoras, Clement of Alexandria
Texte intégral
1. Les « mystères » dans le lexique religieux des chrétiens
1Tout au long des premiers siècles de notre ère, les réflexions des auteurs chrétiens ont largement contribué à modeler, définir et resémantiser le vocabulaire religieux grec et latin1. Nombre de notions encore employées aujourd’hui lorsqu’il s’agit de décrire ce que les sciences sociales appellent le « fait religieux » ont trouvé leur première formulation dans les textes de ces auteurs chrétiens d’époque impériale. Certaines de ces notions ont été entièrement inventées par ceux-ci, comme par exemple la notion de « paganisme » (paganitas, paganismus) ; d’autres ont subi une torsion sémantique telle qu’elles ont été investies d’un sens entièrement nouveau, comme par exemple les notions de « conversion » (ἐπιστροφή, μετάνοια, conversio), d’« hérésie » (αἵρεσις, hairesis), de « communauté » (κοινωνία, communitas), ou de « foi » (πίστις, fides)2. On pourrait affirmer que les auteurs chrétiens anciens ont construit une véritable “boite à outils” conceptuelle dont a hérité le vocabulaire occidental et les conceptions qui s’y rattachent3. Ce travail sur le vocabulaire religieux participe évidemment d’un processus plus large, qui sanctionne la diffusion d’une nouvelle conception de la « religion » (religio, εὐσέβεια, etc.) telle qu’elle finira par s’imposer : comme nombre d’études récentes l’ont montré, ce sont en effet les textes chrétiens de l’Antiquité tardive qui ont modelé la catégorie moderne de « religion » et marqué, ce faisant, un tournant herméneutique fondamental par rapport aux réflexions des intellectuels des mondes grec et romain antérieurs4. D’une certaine manière, l’élaboration d’un nouveau discours chrétien sur les religions de l’Empire, désormais réparties entre « paganisme », « judaïsme » et « christianisme », fait de ces auteurs des sortes de pionniers de l’histoire des religions5.
2La notion de « mystères » (μυστήρια) n’échappe pas à ce processus, et c’est donc dans ce contexte, qui voit se mettre en place un nouveau lexique de la “religion”, qu’il faut en situer les usages chrétiens. Dans leurs traités polémiques et apologétiques, les auteurs chrétiens anciens ont cherché à souligner l’immoralité des pratiques liées aux divers cultes à mystères de l’Antiquité6 ; dans ce but, ils nous ont livré des témoignages essentiels sur ces pratiques et sur la forme des « mystères ». Ce faisant, ils ont fait de la catégorie des « mystères » une composante fondamentale du vocabulaire religieux de l’époque. Dans cette perspective, le présent article se propose d’analyser la fabrique chrétienne de la notion de « mystères païens ». Nous avançons l’hypothèse d’un changement sémantique qui s’opère dans la seconde moitié du iie siècle, lorsque les apologètes chrétiens s’évertuent à fabriquer une notion large et totalisante des μυστήρια païens7. Au demeurant, il nous semble que la catégorie moderne et a priori descriptive de « mystères » dépend encore largement du travail de ces apologètes chrétiens et de la définition qu’ils ont donnée de cette notion dans leurs traités polémiques.
3Comme notre introduction au présent dossier a cherché à le souligner, la recherche actuelle sur les cultes à mystères demeure partagée entre, d’une part, la volonté de repérer dans les sources anciennes les éléments autorisant une définition générique de la catégorie « mystères » et, d’autre part, la conscience du fait qu’une telle définition est impossible, les « mystères » ne constituant pas une forme cultuelle univoque ou un « type absolu » qui évoluerait indépendamment de tout contexte historique8. En ce sens, il est utile de se demander quand cette catégorie générique est apparue dans les textes anciens, et comment celle-ci en est venue à englober à la fois les cultes à mystères grecs (Éleusis, Dionysos, Samothrace, etc.) et les cultes dits orientaux (Isis, Mithra, Attis et Cybèle, etc.). En préliminaire de l’analyse des sources du iie siècle, il convient de parcourir quelques étapes historiographiques qui permettent de comprendre combien la notion des « mystères » a été liée à une utilisation théologique et philosophique.
2. Les « mystères », un outil pour philosophes et théologiens
4L’histoire de la notion de « mystères » est longue et complexe, mais il est important de souligner qu’elle se situe, dès l’époque moderne, dans le sillage des réflexions chrétiennes de l’Antiquité. Plusieurs intellectuels de la Renaissance témoignent d’une première redécouverte, pour ainsi dire, des « mystères païens ». Marsile Ficin, Pic de La Mirandole, Cristoforo Landino et d’autres savants de cette époque recourent ainsi abondamment, dans leurs écrits, à la notion de « mystères ». Cependant, les « mystères » auxquels ils font allusion sont d’abord les « mystères » des philosophes, puisqu’il s’agit avant tout de se réapproprier le lien entre philosophie et mystères tel qu’il était déjà attesté dans l’Antiquité. Depuis Platon au moins, la philosophie grecque s’était efforcée d’assimiler le vocabulaire mystérique et d’isoler notamment les termes techniques de l’initiation éleusinienne ou de la possession bachique de leurs contextes rituels afin de définir l’expérience de la connaissance philosophique9. L’héritage de la tradition platonicienne, et en particulier les textes des philosophes néoplatoniciens Porphyre et Jamblique, ont largement influencé la pensée de la Renaissance : comme l’a bien montré Edgar Wind, les auteurs de cette période « se souciaient moins des cultes à mystères que de leur adaptation philosophique10 ». Si les « mystères des Anciens » sont donc une catégorie bien présente et répandue dès le xve siècle, l’intérêt des savants de la Renaissance portait essentiellement sur la dimension allégorique, voire parfois ésotérique, de ces « mystères », dans la lignée des écrits néoplatoniciens.
5Pour trouver une première analyse critique des différents aspects rituels associés aux « mystères », et donc une réflexion sur ces rites que l’on appelle aujourd’hui communément « mystériques », il faut attendre le xviie siècle. C’est à cette époque, en effet, que l’on commence à s’intéresser au contenu de ces « mystères » et à leurs différentes formes cultuelles, dans le cadre d’un questionnement plus large sur les possibles rapports de dérivation entre le christianisme ancien et le « paganisme ». Le contexte historique qui donne lieu à cette interrogation est celui des Guerres de religion qui déchirent alors l’Europe. La catégorie des « mystères » devient alors un enjeu théologique, un objet des controverses entre catholiques et protestants, en particulier autour de la pureté originelle du premier christianisme et de sa subséquente dégénérescence au contact des religions des mondes grec et romain.
6Comme l’a montré Jonathan Z. Smith, cette querelle théologique apparaît déjà dans l’œuvre du philologue et pasteur genevois Isaac Casaubon, dont le traité De rebus sacris et ecclesiasticis exercitationes XVI, publié pour la première fois à Londres en 1614, offre une réponse protestante à l’histoire ecclésiastique du Cardinal et bibliothécaire du Vatican Cesare Baronio, les Annales ecclesiastici a Christo nato ad annum 1198, publiée entre 1588 et 161411. Dans une section consacrée au thème de l’eucharistie, Casaubon esquisse une réflexion sur le terme μυστήριον à partir de l’emploi qu’en faisait Paul dans ses Épîtres. L’objectif de Casaubon est de mettre en évidence le fait que, selon lui, la religion catholique dériverait des pratiques mystériques païennes, et notamment le sacrement de l’eucharistie (tant le rituel que son interprétation théologique traditionnelle). C’est ainsi que la catégorie des mystères païens fit son irruption, à l’occasion d’un débat théologique interne au christianisme. Sa reconstruction, elle, est essentiellement fondée sur les sources patristiques12. J. Z. Smith relève deux aspects du traité du savant genevois qui vont considérablement marquer la réflexion des auteurs ultérieurs : en premier lieu, c’est Casaubon qui, le premier, a délimité le lexique des « mystères » et ainsi déterminé les termes auxquels vont s’intéresser les savants des siècles suivants au moment d’étudier cette catégorie, à savoir μυστήριον, μύησις, τελεταί, τελείωσις, ἐποπτεία, μυσταγωγία ; en second lieu, il associait étroitement sa définition de μυστήριον à la notion chrétienne d’arcana doctrina, inaugurant une réflexion qui voit dans les « mystères païens » l’origine de la pratique de la disciplina arcani qui, aux premiers siècles, aurait interdit aux chrétiens de parler du mystère chrétien aux païens et aux catéchumènes13.
7Ce débat sur les mystères est resté au premier plan des études de théologie chrétienne et il a rencontré une nouvelle phase d’important développement à la fin du xixe siècle, lorsque les travaux de la ReligionsgeschichtlischeSchule allemande ont esquissé une nouvelle interprétation des origines du christianisme ; une interprétation qui s’inscrit encore une fois dans un débat théologique, à savoir les polémiques entre savants catholiques, protestants et laïcs. Il est en effet clair que, derrière leur tentative de reconstruction historique, les théologiens et philologues de Göttingen avaient des objectifs plus contingents : démontrer, encore une fois, une dérivation généalogique entre la tradition catholique et les rituels mystériques de l’Antiquité14. Bien que leurs études aient d’abord cherché à énumérer des points de comparaison généraux, sans considération pour les questions chronologiques ou pour les contextes des sources, elles ont joué un rôle déterminant dans la construction, moderne, de la notion de « mystères païens », et dans le succès qu’elle a connu15. C’est avec la ReligionsgeschichtlischeSchule que la catégorie de « religions à mystères », consacrée par l’ouvrage de Richard Reitzenstein, Die hellenistischen Mysterienreligionen (dont la première édition paraît à Leipzig en 1910), va définitivement s’imposer dans le monde académique16. Le succès de ce nouveau domaine de recherche est confirmé par les cours donnés au Collège de France par Alfred Loisy en 1912 qui seront publiés, pour la première fois en 1914, sous le titre Les mystères païens et le mystère chrétien17.
8Le fait que l’émergence de cette notion, les « religions à mystères », soit intrinsèquement liée aux polémiques théologiques internes au christianisme semble confirmé par l’absence de toute catégorie englobante pour désigner les « mystères » dans un ouvrage qui a pourtant la réputation d’être la toute première étude véritablement scientifique (en vertu de son analyse rigoureuse des sources antiques) spécifiquement consacrée au sujet, l’Aglaophamus sive de theologiae mysticae Graecorum causis, de Christian August Lobeck, publié en 1829. Les trois parties qui composent cet ouvrage analysent successivement les témoignages portants sur Éleusis (livre I), l’orphisme (livre II) et les mystères de Samothrace (livre III). L’auteur recourt souvent à des expressions liées à la notion de « mysticisme », comme doctrina mystica ou theologia mystica, et n’emploie que rarement le terme mysteria. Les enjeux de l’Aglaophamus étaient cependant très différents : il s’agissait notamment pour Lobeck de s’opposer aux thèses de l’ouvrage Symbolik und Mythologie der alten Völker de Friedrich Creuzer (publié entre 1810 et 1812) qui étaient marquées par une vision romantique de la religion grecque et fondées sur un modèle évolutionniste et biologique de l’histoire de la religion grecque18.
9Une fois retracée, même brièvement, l’histoire moderne de la notion de « mystères » dans son contexte philosophique et théologique, il convient de s’interroger sur les fondements antiques de cette notion pour comprendre les origines d’un concept si important dans l’histoire des études consacrées aux religions de l’Antiquité.
3. Regards païens sur la catégorie des « mystères païens » au iie siècle
10Dès l’époque hellénistique, et surtout à l’époque romaine, le vocabulaire mystérique connaît une large diffusion, donnant lieu à une sorte de koinê employée aussi bien dans le domaine rituel que dans les discours littéraires et philosophiques19. J’ai déjà souligné ailleurs que cette généralisation des éléments caractérisant les pratiques initiatiques est l’une des causes du recours à ce vocabulaire par les auteurs chrétiens des premiers siècles20. D’autre part, certains livres en grec de la Bible employaient le terme μυστήρια, et les évangiles synoptiques (Marc, Matthieu et Luc) comme les épîtres de Paul (ou attribuées à Paul) utilisent les termes μυστήρια ou μυστήριον pour renvoyer à une conception eschatologique ou, plus généralement, à l’enseignement chrétien21. Très tôt, les auteurs chrétiens se sont donc appropriés cette terminologie mystérique. Le mot μυστήρια apparaît par exemple à plusieurs reprises dans l’œuvre de Justin, au milieu du iie siècle, où il recouvre une palette sémantique relativement large qui va des enseignements chrétiens aux cultes à mystères traditionnels de l’Empire22. L’analyse des textes chrétiens permet de relever non seulement l’attention que portent leurs auteurs à cette catégorie, mais aussi – et c’est ce qui nous intéresse – l’exigence de définir un concept qui était loin d’être circonscrit de manière définitive.
11L’intérêt manifesté par les auteurs chrétiens n’est pas une nouveauté absolue, il faut le reconnaître. Les « mystères » faisaient déjà l’objet de traités littéraires au moins depuis le ive siècle avant notre ère. Nous avons connaissance de plusieurs ouvrages, malheureusement perdus, intitulés Περὶ μυστηρίων, comme ceux attribués à Sotadès ou à Hikésios23. Nous ignorons cependant presque tout du contenu de ces ouvrages, comme nous ignorons aussi si ceux-ci décrivaient différents « cultes à mystères » ou, au contraire, s’ils se concentraient sur les μυστήρια par excellence, c’est-à-dire les mystères d’Éleusis, comme le suggèrent par exemple les quelques fragments conservés du Περὶ μυστηρίων attribué à Mélanthios (ive siècle avant notre ère) ou de l’historien et atthidographe Philochore (iiie siècle avant notre ère)24. Le peu que nous savons sur ces ouvrages ne nous permet pas de déterminer s’il existait, à l’époque classique et hellénistique, une réflexion plus large sur la catégorie de μυστήρια ; à notre connaissance rien ne laisse entendre que ces traités incluaient dans la catégorie de « mystères » plusieurs formes cultuelles.
12Il faut attendre le tournant des ier-iie siècles de notre ère pour rencontrer une première réflexion générale sur la notion de μυστήρια. Le contexte, toutefois, n’est pas à proprement parler cultuel, mais philosophique. Le processus d’assimilation et de réélaboration philosophiques des termes mystériques que j’ai mentionné plus haut a conduit Plutarque à réfléchir sur le rapport entre la « philosophie » et les « mystères ». Peter van Nuffelen a souligné le fait que, chez le Chéronéen, les « mystères » constituent un « lieu de vérité », un dépôt de sagesse où il est encore possible d’accéder à une forme de savoir extrêmement ancien. La pratique de la philosophie fournit aux hommes une autre voie d’accès permettant d’atteindre cette sagesse ancestrale25. Philosophie et mystères sont ainsi intrinsèquement liés dans la vision platonicienne proposée par Plutarque26. Toutefois, si Plutarque esquisse plusieurs réflexions sur les mystères – comme par exemple sur le rapport des cultes à mystères avec la pratique du silence27 –, et s’il peut faire allusion aux μυστήρια sans préciser un contexte rituel spécifique, on est encore loin d’une conception englobante des « mystères » telle qu’on la trouvera chez les auteurs chrétiens. Si en revanche on regarde en dehors des réflexions philosophiques, on notera que, chez d’autres auteurs du iie siècle comme Aelius Aristide ou Lucien, l’emploi du terme μυστήρια demeure lié à des contextes cultuels précis (Éleusis bien sûr, mais aussi les rites liés à Isis et Osiris, par exemple), sans toutefois déboucher sur une conceptualisation plus large.
13La seule perspective qu’on pourrait appeler globalisante et qui se concentre sur des questions d’ordre rituel est attestée dans l’Onomasticon de Julius Pollux, professeur de rhétorique à Athènes sous le règne de l’empereur Commode (180-192). L’Onomasticon est un ouvrage unique en son genre qui nous est parvenu sous une forme incomplète, en partie abrégée par les copistes byzantins. L’œuvre de Pollux est un jalon important qui rend compte de l’extensivité lexicale des « mystères » dans le monde romain impérial. À la différence d’autres traités du même genre, il ne s’agit pas d’un lexique alphabétique ; l’ouvrage est construit selon une succession de “lemmes” thématiques réunissant les vocables du champ sémantique considéré28. Le lemme consacré aux μυστήρια, τελεταί, ὄργια vient à la suite du lemme qui répertorie le vocabulaire des festivités religieuses (καιροὶ δὲ ἱεροὶ πανηγύρεις, ἑορταί) et en constitue comme une extension. Il y répertorie une liste de substantifs, de verbes et d’adjectifs employés à propos des pratiques mystériques.
εἴη δ’ ἂν τῆς αὐτῆς ἰδέας καὶ τάδε, μυστήρια, τελεταί, ὄργια, μύσται, μυσταγωγοί, τελεσταί, ὀργιασταί. καὶ μυεῖν, μυσταγωγεῖν, μυεῖσθαι, ὀργιάζειν, τελεῖσθαι, τελεῖν. φιλοτιμότερον δὲ τῇ χρήσει τὸ τελεσιουργεῖν καὶ ἡ τελεσιουργία. ἱεροφάνται, δᾳδοῦχοι, κήρυκες, σπονδοφόροι, ἱέρειαι, παναγεῖς, πυρφόροι, ὑμνῳδοί, ὑμνήτριαι ἰακχαγωγὸς γὰρ καὶ κουροτρόφος καὶ δαειρίτης, καὶ ὅσα τοιαῦτα, ἴδια τῶν Ἀττικῶν. ὁ δὲ μυηθεὶς μεμυημένος, τετελεσμένος, ὠργιασμένος, ὥσπερ ὁ ἐναντίος ἀμύητος, ἀτέλεστος, ἀνοργίαστος. ὀνομάζονται δὲ καὶ μυστηριώτιδες σπονδαὶ καὶ μυστικαὶ ἡμέραι, ὥσπερ ἱεραί, ἄφετοι, ἄνετοι, καθιερωμέναι, κατωνομασμέναι θεοῖς, καθωσιωμέναι, καταπεφημισμέναι. τὰ δὲ μυστήρια καὶ τὰ ὄργια τελεταὶ καὶ τέλη μυστικὰ καὶ τελεσιουργίαι29.
14Dans la première phrase, qui mentionne des substantifs, se succèdent trois termes désignant des pratiques (μυστήρια, τελεταί et ὄργια), un terme désignant les initiés (μύσται), et trois termes indiquant des agents ou experts cultuels (μυσταγωγοί, τελεσταί, ὀργιασταί). La deuxième phrase (καὶ μυεῖν, μυσταγωγεῖν, μυεῖσθαι, ὀργιάζειν, τελεῖσθαι, τελεῖν. φιλοτιμότερον δὲ τῇ χρήσει τὸ τελεσιουργεῖν καὶ ἡ τελεσιουργία) énumère des formes verbales issues des mêmes racines que les substantifs cités précédemment. Vient ensuite une autre liste d’agents ou d’experts cultuels, tous au pluriel : ἱεροφάνται, δᾳδοῦχοι, κήρυκες, σπονδοφόροι, ἱέρειαι, παναγεῖς, πυρφόροι, ὑμνῳδοί, ὑμνήτριαι ἰακχαγωγὸς γὰρ καὶ κουροτρόφος καὶ δαειρίτης, καὶ ὅσα τοιαῦτα, ἴδια τῶν Ἀττικῶν. Les hiérophantes et dadouques sont, bien évidemment, liés à Éleusis. En revanche, les autres charges mentionnées par Pollux (κήρυκες, σπονδοφόροι, ἱέρειαι, παναγεῖς, πυρφόροι, ὑμνῳδοί, ὑμνήτριαι) ne sont pas propres aux mystères et peuvent désigner les agents ou experts cultuels de n’importe quelle cérémonie religieuse. On trouve cependant trois fonctions, données, elles, au singulier, qui, selon Pollux, renvoient explicitement à des emplois attiques. Deux sont des termes rares – le ἰακχαγωγὸς (le terme est attesté dans quelques inscriptions d’époque impériale)30 et le δαειρίτης (un hapax)31, « celui qui sait » – qu’il n’est pas impossible d’associer aux mystères d’Éleusis. Le troisième, κουροτρόφος, sert d’ordinaire d’épithète ou de nom à la divinité. En dernier lieu, Pollux énumère les dérivés adjectivaux des verbes μυέω, τελέω et ὀργιάζω : cette liste déroule à nouveau plusieurs adjectifs employés généralement dans le domaine religieux (ἱεραί, ἄφετοι, ἄνετοι, καθιερωμέναι, κατωνομασμέναι, καθωσιωμέναι, καταπεφημισμέναι).
15Ce passage de l’Onomasticon – qui mériterait à lui seul une étude – est particulièrement instructif en ce qu’il témoigne de la fluidité des divers vocables que le grec de la deuxième moitié du iie siècle de notre ère (sauf à imaginer des interpolations dues aux copistes byzantins) connaissait pour exprimer le champ des mystères. Même si le texte ne cite explicitement aucun culte spécifique, les contextes attique et éleusinien se laissent aisément entrevoir. Mais si ces références éleusiniennes soulignent le lien de Pollux avec la religion civique de la cité d’Athènes, elles mettent d’autre part aussi en évidence combien ce modèle athénien était emblématique dans la conception grecque des « mystères », encore au iie siècle.
16La systématisation lexicale dont témoigne l’Onomasticon ne permet pas de supposer l’existence d’une catégorie de « mystères » aux frontières bien établies. Elle montre davantage la nécessité de rassembler une terminologie encore très diverse.
4. Les auteurs chrétiens et l’invention d’une nouvelle catégorie
17Il convient donc de situer l’invention chrétienne d’une nouvelle catégorie de « mystères » dans le cadre de ces tentatives philosophiques et lexicales en cours chez les auteurs païens du iie siècle. Les réflexions sur les pratiques rituelles des mondes grec et romain dans la littérature chrétienne témoignent, dès les débuts du christianisme, d’un intérêt très sensible pour les mystères, qui se situe certainement dans le sillage de la diffusion des termes à connotation « mystérique » à cette époque. Dès les premiers textes chrétiens, les μυστήρια apparaissent comme l’un des éléments constitutifs des croyances et cultes païens. Une première différence avec l’usage païen du terme apparaît dans la plus ancienne apologie chrétienne que nous pouvons encore entièrement lire, l’Apologie de Justin – si on exclut le texte d’Aristide qui n’est conservé que dans une traduction syrienne du ive siècle et dans une paraphrase grecque d’époque byzantine. Dans le traité de Justin, rédigé dans la Rome de la moitié du iie siècle, nous trouvons le terme μυστήρια appliqué indistinctement aux rites en l’honneur de la Mère des dieux, de Perséphone, Aphrodite et Attis, de Dionysos, de Mithra et de Kronos/Saturne32. Aucun auteur grec antérieur n’avait qualifié de μυστήρια autant de cultes différents : c’est là un premier signe du nouveau regard que vont porter les auteurs chrétiens sur ces pratiques rituelles traditionnelles. Néanmoins Justin utilise la notion de « mystères » sans proposer une réflexion générale sur sa valeur dans les religions païennes.
18Quelques années plus tard, vers 175-180, le philosophe chrétien Athénagore d’Athènes semble partager la même interprétation des mystères païens que Justin : il se sert du terme μυστήρια à propos d’un culte local, le culte d’Agraulos et Pandrosos à Athènes, mais aussi pour parler d’Éleusis, des Cabires et des mystères égyptiens33. Athénagore emploie en outre l’adverbe μυστικῶς à propos de Dionysos, fils de Zeus et Perséphone, et du dieu Osiris34. À la différence de Justin cependant, Athénagore procède aussi à une première généralisation de cette catégorie : son traité apologétique, Supplique au sujet des chrétiens, adressé aux empereurs Marc Aurèle et Commode, s’ouvre sur la considération que, dans l’Empire romain, chacun a le droit de suivre ses traditions ancestrales. Selon Athénagore,
en un mot, dans les peuples et les états, les hommes accomplissent les sacrifices et les mystères qui leur plaisent (ἑνὶ λόγῳ κατὰ ἔθνη καὶ δήμους θυσίας κατάγουσιν ἃς ἂν θέλωσιν ἄνθρωποι καὶ μυστήρια)35.
19Les mystères sont pour lui, avec les sacrifices, l’élément constitutif des traditions religieuses des différents peuples de l’empire ; et Athénagore d’insister sur la très large diffusion de ces pratiques. Le thème de l’omniprésence des « mystères » dans les cultes païens sera ensuite repris et amplifié, au ive siècle, notamment par Eusèbe de Césarée, qui mettra l’accent, dans la Préparation évangélique, sur la transmission des τελεταί et des μυστήρια « dans toutes les villes et bourgades » (ἐν πάσαις πόλεσί τε καὶ κώμαις), c’est-à-dire en tout lieu36. Athénagore, lui, après avoir montré le caractère honteux des rites païens (et notamment des cultes à mystères) et répondu aux accusations adressées aux chrétiens par les païens, revient, vers la fin de sa Supplique, sur la notion de μυστήρια, qu’il emploie comme une catégorie de rituels bien précise et applicable à plusieurs formes de culte dans les mondes grec et romain :
Rien d’étonnant à ce que ces gens-là nous imputent ce qu’ils rapportent de leurs propres dieux : les mystères, en fait, ne montrent-ils pas leurs passions (καὶ <γὰρ> τὰ πάθη αὐτῶν δεικνύουσι μυστήρια) ? Mais s’ils devaient juger scandaleuses les unions sans frein ni distinction, alors il aurait fallu qu’ils haïssent ou bien Zeus, pour avoir eu des enfants à la fois de sa mère Rhéa et de sa fille Coré, et pour avoir pris comme épouse sa propre sœur, ou bien Orphée, le créateur de ces mythes, pour avoir fait Zeus plus impie et impur que Thyeste : car lui, il s’était uni à sa fille pour obéir à l’oracle, parce qu’il voulait devenir roi et obtenir vengeance37.
20Les « mystères » sont fondés donc sur les « passions » ou, mieux, les « émotions » (πάθη) des dieux qui sont évoquées dans les mythes qui s’y rattachent et qui constituent le fondement de leurs pratiques rituelles38. Cette idée n’était sans doute pas tout à fait nouvelle, si déjà Aristote associait les concepts de μυστήρια et πάθη. Selon un passage du traité Sur la philosophie, aujourd’hui perdu mais qui nous est en partie connu par les citations qu’en a faites, au tournant des ive-ve siècles, le chrétien Synésios de Cyrène (un philosophe néoplatonicien actif à Alexandrie), Aristote affirmait que
ceux que l’on initie ne doivent pas apprendre quelque chose, mais éprouver des émotions et être mis dans certaines dispositions, évidemment après être devenus aptes à les recevoir (ἀξιοῖ τοὺς τελουμένους οὐ μαθεῖν τί δεῖν, ἀλλὰ παθεῖν καὶ διατεθῆναι, δηλονότι γενομένους ἐπιτηδείους)39.
21Les deux passages d’Athénagore et d’Aristote reposent sur deux interprétations très différentes de la place des « émotions » dans les mystères. Là où Athénagore représente les dieux comme soumis au pouvoir des passions, même les plus honteuses, au même titre que les hommes, et insiste donc sur la nature humaine des divinités païennes, Aristote soulignait que l’expérience des mystères – et en particulier des mystères d’Éleusis – relevait davantage de la sphère des émotions que de la sphère de la connaissance ou de l’apprentissage.
5. Clément d’Alexandrie et la construction d’un modèle durable
22C’est à la toute fin du iie siècle que Clément, un auteur sans doute originaire d’Athènes mais résidant à Alexandrie, élabore une première réflexion systématique sur les cultes à mystères païens. Dans le Protreptique aux Grecs, un traité apologétique exhortant les païens à abandonner leurs traditions et à devenir chrétiens, Clément dédie un chapitre entier (le plus long) à la question des mystères40. Ce chapitre s’ouvre sur une question, « Faut-il que je t’énumère les mystères ? » (Τί δ᾽ εἴ σοι καταλέγοιμι τὰ μυστήρια;), en soulignant la volonté de l’auteur de procéder de manière ordonnée, comme l’indique le verbe καταλέγω (« énumérer »). Clément tient à souligner ensuite que le but n’est pas de parodier les mystères mais de révéler l’« imposture » (γοητεία) que ceux-ci révèlent. En évoquant le champ de la γοητεία, Clément active chez son lecteur l’idée qu’il est ici question de rituels hors normes, relégués du côté de la superstition ou de la magie. L’accusation de se livrer à la magie et de pratiquer des « enchantements » (ἐπῳδαί), est également attestée dans la dispute que se livrent à distance le païen Celse et le chrétien Origène41. Apulée, lui-même accusé de pratiquer la magie, témoignait d’un même glissement possible entre « magie » et « mystères »42. Cette superposition polémique de la « magie » et des « mystères » deviendra l’un des motifs les plus fréquemment exploités dans les traités de la « Grande Église » contre les hérétiques43. Pour Clément, il s’agit de démontrer le caractère insensé des pratiques rituelles païennes et d’en mettre à nu la « tromperie » (ἀπάτη) et l’« absurdité » (τερατεία)44. Pour ce faire, il affirme interpeller d’abord ceux qui ont été initiés : ceux-ci doivent être bien renseignés sur la réalité de ces pratiques, et sans doute rient-ils de leurs mythes. Malgré les destinataires païens censés être convoqués par Clément, il ne fait guère de doute que son apostrophe s’adresse également aux chrétiens, susceptibles de trouver des parallèles entre leur religion et les cultes à mystères.
23Il nous faut tout d’abord observer que, chez Clément, les termes ὄργια et μυστήρια semblent couvrir le même domaine sémantique. Le mot τελεταί apparaît également, mais il semble prendre un sens moins technique. L’exposé du Protreptique s’ouvre sur la question de l’étymologie : « il me paraît qu’il faut donner une étymologie aux orgies et aux mystères » (μοι δοκεῖ τὰ ὄργια καὶ τὰ μυστήρια δεῖν ἐτυμολογεῖν)45. Le terme ὄργια dériverait selon lui de la « colère » (ὀργή) de Déméter contre Zeus (en raison du rapt de Perséphone) ; quant au mot μυστήρια, il dériverait de la « souillure » (μύσος) perpétrée par les Titans contre Dionysos. Μυστήρια pourrait aussi, poursuit Clément, dériver d’un nom propre, celui de Myous, un personnage de l’Attique46. Ces deux étymologies construites sur une analogie tissent un lien entre les mystères et les récits mythologiques relatifs à Déméter et Dionysos. C’est néanmoins une autre explication du terme μυστήρια qui s’avère être la plus intéressante :
Πάρεστι δὲ καὶ ἄλλως μυθήριά σοι νοεῖν ἀντιστοιχούντων τῶν γραμμάτων τὰ μυστήρια· θηρεύουσι γὰρ εἰ καὶ ἄλλοι τινές, ἀτὰρ δὴ καὶ οἱ μῦθοι οἱ τοιοίδε Θρᾳκῶν τοὺς βαρβαρικωτάτους, Φρυγῶν τοὺς ἀνοητοτάτους, Ἑλλήνων τοὺς δεισιδαίμονας.
Vous pouvez, autrement, considérer les mystères comme des traditions mythiques, puisque les lettres se correspondent ; en effet, les mythes de cette espèce, plus que tous les autres, chassent les plus barbares parmi les Thraces, les plus insensés parmi les Phrygiens, et les superstitieux parmi les Grecs47.
24D’après cette explication, Clément rapproche les termes μυστήρια et μυθήρια, et associe le terme μῦθος au verbe θηρεύω, « chasser » : il semble recourir ici à un procédé connu sous le nom d’antistoichia48, qui repose sur la correspondance des consonnes (notamment entre les consonnes aspirées et non aspirées, χ et κ, φ et π) et employé par les grammairiens anciens pour expliquer certaines formes lexicales (même si le passage de μυστήρια à μυθήρια ne suit pas à la lettre la règle de l’antistoichia, car le terme μυστήρια contient une consonne de trop). Quoi qu’il en soit, le terme μυθήρια est un pur néologisme qu’il faut sans doute considérer comme une invention lexicale de Clément : d’une part, ce néologisme autorise son jeu de mots avec le verbe θηρεύω et, d’autre part, il produit une assonance avec le diminutif μυθάρια, « petits récits », un terme bien attesté dans la littérature grecque et employé notamment pour définir les fables d’Ésope, avec une légère nuance péjorative49. Pour ce qui est du Protreptique dans son ensemble, le mot ainsi forgé est tout à fait révélateur, car le lien qu’il suggère entre mystères et mythes va permettre à Clément de fonder son interprétation des « mystères païens ». Ces sont en effet des récits mythiques qui sont, pour Clément, à la base de ces pratiques rituelles.
25Clément s’attarde ensuite sur la question de l’origine des mystères, et sur les personnages que la tradition grecque identifie comme les fondateurs ou inventeurs de ces mystères : Dardanos, Èétion, Midas ou Mélampous. La section du Protreptique consacrée à cette question confirme l’idée que, selon Clément, les μυστήρια, même s’ils ont été fondés par différents personnages, sont bien, dans leur ensemble, un seul et même phénomène. Après avoir introduit son propos, Clément passe en revue les différents cultes qui participent de cette catégorie des « mystères ». Il commence par évoquer les cultes liés à Aphrodite (II, 14, 2), suivie par Déo, c’est-à-dire Déméter (II, 15, 1-3). Ce qui est intéressant pour nous, c’est que selon Clément, ces mystères sont exactement les mêmes rites que les cultes célébrés en Asie par les Phrygiens, en l’honneur d’Attis, de Cybèle et des Corybantes (ταὐτὰ οἱ Φρύγες τελίσκουσιν Ἄττιδι καὶ Κυβέλῃ καὶ Κορύβασιν). C’est par de telles analogies que Clément, dans une perspective propre aux auteurs chrétiens, fait entrer dans une seule et même catégorie religieuse des pratiques qui, dans la réalité rituelle, étaient assez disparates. Il évoque ensuite les mystères de Sabazios (Σαβαζίων… μυστηρίων) liés à l’union de Zeus, sous la forme d’un serpent, avec Coré/Phéréphatta (II, 16, 1-3)50. Il associe le contenu de ces mystères à trois fêtes grecques : les Thesmophories, les Skirophories et les Arrhéphories, qui n’ont pourtant guère de lien avec les cultes à mystères (II, 17, 1). Puis il se tourne vers les mystères de Dionysos (τὰ… Διονύσου μυστήρια), associés aux écrits que la tradition attribue au poète Orphée (II, 17, 2-18, 2)51. Puis viennent les ὄργια des Corybantes, associés à la τελετή des Cabires (II, 19, 1-4), aux mystères d’Éleusis (II, 20, 1-21, 2), à la τελετή de la Mère des dieux (II, 24, 1) et, plus loin, aux mystères d’Agra et d’Halimonte en Attique (II, 34, 2).
26Christoph Riedweg a noté que ces différents mystères sont cités par Clément dans l’ordre alphabétique, et que leur description commence par un rappel du mythe fondateur qui leur est associé, suivi des sumbola liés au culte (objets et formules initiatiques). Cette organisation serait alors la preuve que Clément utilise une source écrite païenne, en l’espèce un traité sur les mystères d’époque hellénistique52. Miguel Herrero a, quant à lui, proposé que l’organisation théogonique du passage du Protreptique concernant les mystères oriente vers l’utilisation d’un ou de plusieurs « poèmes orphiques »53. Néanmoins, il me semble d’une part qu’il n’est pas possible prouver l’existence de traités de ce type, et d’autre part que, même si Clément s’est servi d’un texte antérieur, il a certainement retravaillé sa source dans le but de créer une image des mystères qui entre dans son objectif polémique.
27La structure de cette section consacrée aux mystères procède par l’association de thématiques, ce qui a pour conséquence de proposer un exposé d’un certain nombre de cultes sans établir de frontières strictes entre ceux-ci : en lisant le texte de Clément, le lecteur pouvait percevoir les spécificités des « mystères » de Dionysos, de Déméter, des Corybantes, etc., mais néanmoins avoir l’impression que toutes ces pratiques relevaient d’une seule et même catégorie, ou représentaient diverses facettes d’une seule et même expérience religieuse.
28Clément souligne que les « mystères de Déo » (Δηοῦς μυστήρια) se rapportent à l’union entre Zeus et Déméter, qu’il présente comme la mère de Zeus en vertu d’une superposition des déesses Déméter et Rhéa. Les mystères de Déméter donc célèbrent un inceste. L’objectif est évidemment d’associer implicitement ou explicitement les cultes à mystères à des pratiques sexuelles amorales. Athénagore, on l’a vu, envisageait les « émotions » (πάθη) des dieux comme un fondement partagé par tous les mystères. Clément, lui, insiste à plusieurs reprises sur le caractère macabre qui fédère ces cultes : « vos mystères, alors, sont glorifiés par une gloire funèbre » (ἐπιτυμβίῳ τιμῇ), parce que, de fait, « il n’y a dans les mystères, pour tout dire en un mot, que meurtres et funérailles (φόνοι καὶ τάφοι54). C’est d’ailleurs pourquoi il associe les mystères aux concours funèbres55. La volonté de Clément de présenter tous les μυστήρια comme un tout unifié est encore confirmée dans la conclusion du passage qui nous occupe, où Clément affirme que son objectif est de donner une uniformité à toutes ces pratiques – « Tels sont les mystères des athées » (ταῦτα τῶν ἀθέων τὰ μυστήρια56) –, et souligne l’unité fondamentale des μυστήρια des Grecs, c’est-à-dire de ceux qui seront par la suite appelés les « mystères païens ».
29L’intérêt que Clément porte aux « mystères païens » n’est pas cantonné au Protreptique. Le même processus visant à généraliser la notion de μυστήρια pour désigner tout un ensemble de cultes païens apparaît également dans les Stromates. Dans ce traité, rédigé après son départ d’Alexandrie, Clément s’efforce de démontrer que le christianisme est la seule véritable philosophie, une philosophie bien supérieure aux autres courants philosophiques du monde grec. Il ne faut donc guère s’étonner de le voir recourir abondamment au lexique mystérique57. Ce vocabulaire ne reflète pas toujours une utilisation critique ; au contraire, Clément souligne souvent, dans les Stromates, certains aspects positifs des « mystères », afin de définir le christianisme comme une forme mystérique, réservée cependant aux « vrais gnostiques »58. Prolongeant les réflexions des penseurs platoniciens, Clément tisse un lien entre « mystères » et philosophie et affirme que les fondateurs des μυστήρια étaient des philosophes59. Il propose également une analogie entre les mystères païens et les processus de connaissance de la gnose chrétienne, les mystères nécessitant une préparation et un parcours qui commence par des « petits mystères » (τὰ μικρὰ μυστήρια) et se termine par de « grands mystères » (τὰ… μεγάλα), avant d’atteindre la contemplation finale (il emploie ici le verbe ἐποπτεύω). Le modèle est certes éleusinien, mais son utilisation dépasse et généralise ce seul cas60. À travers des rites de purification, l’initiation aux « mystères » conduit ainsi à une connaissance supérieure61.
30Ce qu’il faut souligner, c’est que l’exposé de Clément sur les « mystères », dans le chapitre II du Protreptique, a connu un grand succès, dès l’Antiquité. Plusieurs auteurs chrétiens ont repris et cité cet exposé au moment d’aborder à leur tour la question des « mystères païens ». Au ive siècle, cette nouvelle catégorie de « mystères païens » est devenue courante dans la littérature chrétienne. Dans la Préparation évangélique, Eusèbe de Césarée cite le passage de Clément dans son intégralité, celui-ci servant d’ailleurs de base à sa propre réflexion sur les cultes à mystères et la théologie des Grecs62. Mais des échos du Protreptique apparaissent aussi dans d’autres œuvres de la même époque, comme le De fide d’Épiphane63. Dans son discours Sur les lumières, Grégoire de Nazianze oppose explicitement le rite chrétien du baptême aux μυστήριον et τελετή des païens, s’appropriant les images nocturnes des pratiques mystériques qu’employait Clément64. Le traité de Clément fut également influent dans le monde latin, entre la fin du iiie et le début du ive siècle. Arnobe l’emploie à plusieurs reprises dans le livre V de l’Adversus nationes, un livre entièrement consacré aux cultes initiatiques65. Et à l’époque byzantine encore, le texte du Protreptique demeure une référence incontournable pour parler des mystères païens : dans un traité attribué à Michel Psellos, Quelles sont les opinions des Grecs sur les démons ?, le passage de Clément consacré aux mystères est repris et adapté en vue de présenter un panorama unifié des cultes à mystères dans l’Antiquité66. Le point de vue uniformisant qu’ouvrait le Protreptique sur ces cultes a ainsi été transmis aux époques ultérieures. Il en est venu à constituer la base solide de toute construction et représentation littéraire des « mystères païens ».
Conclusions
31Les traités chrétiens du iie siècle et notamment les écrits de Clément d’Alexandrie marquent un tournant dans la construction antique de la catégorie qui reste pour nous celle des « mystères ». Leur volonté de considérer tous les μυστήρια comme participant d’une seule et même réalité a largement contribué à ériger ces diverses expériences rituelles au rang de phénomène religieux homogène et cohérent, susceptible d’être isolé d’autres expériences rituelles et analysé de manière indépendante. Les « mystères païens » tels que nous les envisageons aujourd’hui sont le produit de la réflexion théologique des auteurs chrétiens anciens, et naissent dans le cadre d’un discours apologétique et polémique interne au christianisme.
32La question qu’il faut alors se poser est celle de savoir pourquoi les auteurs chrétiens anciens ont ainsi ressenti le besoin de réorganiser les diverses pratiques mystériques des mondes grec et romain. Les chrétiens, je l’ai dit, n’hésitaient pas à se servir du lexique mystérique pour désigner leurs propres rites et enseignements ; dès lors, il leur fallait également circonscrire et définir plus précisément le contenu et la valeur des « mystères païens », par opposition au mystère chrétien. Dire les mots, construire un vocabulaire partagé, est une étape fondamentale de la fabrique des discours identitaires chrétiens, dans le monde romain comme aux époques ultérieures. Présenter les cultes à mystères de manière systématique et homogène était nécessaire afin d’opposer plus facilement ceux-ci au christianisme, dans un contexte historique où ces deux phénomènes – les « mystères » et le « christianisme » –, étaient bien plus divers et complexes que ce que la littérature apologétique voudrait nous faire accroire.
33Les exposés des auteurs chrétiens du iie siècle, en partie héritiers du travail des philosophes et appelés à connaître une remarquable postérité dès l’Antiquité, ont façonné les contours d’une nouvelle catégorie religieuse où se mêlent le secret, l’initiation, l’enseignement allégorique, la connaissance de doctrines secrètes, les formules initiatiques. Cette catégorie fut très vite récupérée dans le monde romain tardif, avant de passer dans l’imaginaire des théologiens modernes et contemporains, mais aussi dans celui des historiens des religions. Reconnaître le rôle des auteurs chrétiens anciens et des théologiens modernes dans l’élaboration de la catégorie « mystères » devrait nous permettre d’étudier la diversité des pratiques rituelles rangées sous cette étiquette sur des bases nouvelles, et nous libérer de l’approche christianocentrée qui a longtemps (et ce n’est sans doute pas fini) dominé les recherches sur le sujet.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Le présent article s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche triennal (2015-2018 : « Des “mystères” grecs et romains aux “mystères” chrétiens ? Un nouveau regard sur les contacts religieux du monde impérial romain ») mené au sein de l’unité d’histoire des religions de l’université de Genève avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Je tiens à remercier sincèrement Daniel Barbu, Nicole Belayche et Philippe Borgeaud pour leurs remarques et suggestions.
2 Sur l’invention du « paganisme », Kahlos 2007 et Cameron 2011, p. 14-25 ; sur « conversion », Charles-Saget 1998 ; Stroumsa 2005, p. 42-47 et Bøgh 2014 ; sur « hérésie », Le Boulluec 1985 et Norelli 2009 ; sur « idolâtrie », Barbu 2011 et Barbu 2016 (à paraître) ; sur « communauté », Belayche, Mimouni 2003 et Filoramo 2013. Deux colloques parisiens ont exploré les origines et l’histoire du concept de « foi » : Conviction, croyance, foi : pistis et fides de Platon aux Pères (31 mai-2 juin 2012) et Conviction, croyance, foi : pistis et fides de l’Antiquité tardive au Moyen Âge (30 mai-1er juin 2013).
3 C’est ce même bagage lexical que les missionnaires chrétiens emploieront lorsque seront « découvertes » d’autres religions, en Amérique latine comme en Chine ou au Japon : voir, par exemple, Todorov 1982 ; Bernand, Gruzinski 1988 ; Goossaert 2004 et Josephson 2012.
4 Cf. Sachot 2003 ; Smith 2004 ; Borgeaud 2004, p. 205 et 2013a, p. 19-26 ; Boyarin 2004, p. 202-225 ; Schott 2008, p. 5-9 et Nongbri 2013, p. 46-64.
5 J’ai abordé cette question dans Massa 2016 (à paraître).
6 L’expression « cultes à mystères » s’est imposée dans la littérature scientifique notamment dans le but de s’opposer au paradigme des « religions à mystères » : cf. Burkert [1987] 1992, p. 14-15.
7 Dans les pages qui suivent, je me concentrerai exclusivement sur le terme μυστήρια. Pour une réflexion sur τελετή et ὄργια, voir Schuddeboom 2009.
8 Cf. « Introduction », supra p. +++.
9 Pour ne citer que quelques exemples, cf. Platon, Phèdre 254c ; Banquet 210a ; Lettres VII, 333e. À ce propos, voir Dörrie 1981 et surtout Riedweg 1987, p. 1-69.
10 Wind [1987] 1992, p. 19.
11 Cf. Smith 1990, un ouvrage capital sur la comparaison entre le christianisme ancien et les religions de l’Antiquité tardive dans l’historiographie moderne. Sur cet ouvrage, Meyer 1992 et Walt 2015.
12 Casaubon [1614] 1663 : la section consacrée à la notion de μυστήριον occupe les p. 477-499.
13 Smith 1990, p. 57-58. Sur la disciplina arcani voir Stroumsa 1992.
14 Pour ne citer que les exemples les plus représentatifs : Anrich 1894 ; Bousset 1921 et Reitzenstein 19273.
15 Sur l’historiographie, Alvar 2008 ; Alvar, Martínez Maza 2003 ; Massa 2012 et Bremmer 2014, p. 142-154.
16 Bremmer 2014, p. IX renvoie, pour la première occurrence du pluriel Mysterienreligionen, à E. Lübbert, Pindar’s Leben und Dichtungen, Bonn, 1882, p. 17.
17 Loisy [1914] 19302. À ce propos voir Roessli 2013.
18 Sur les recensions par Lobeck de l’œuvre de Creuzer, voir Marelli 2000, p. 163-165. Cf. aussi Borgeaud 2013a, p. 114-117.
19 À ce propos voir Graf 2003 ; Belayche 2013, p. 35-39 et Borgeaud 2013b. Borgeaud 2015 met en évidence les reformulations des mystères de Déméter à l’époque impériale et notamment au iie siècle.
20 Cf. Massa 2016 (à paraître). Voir aussi Hamilton 1977 ; Riedweg 1987 et Stroumsa 1992.
21 Cf. Sagesse 2, 22 ; 6, 22 ; 14, 15 et 23 ; Judith 2, 2 ; Tobit 12, 7.11 ; Ecclésiastique 27, 16 ; Daniel 2, 19.27.29.30.47 et 4, 9. Pour les évangiles synoptiques, cf. Marc 4, 11 (μυστήριον) ; Mathieu 13, 11 et Luc 8, 10 (μυστήρια) ; cf. aussi Évangile de Thomas 62, 1 (μυστήρια). Le corpus des épîtres de Paul présente presque exclusivement le singulier μυστήριον : Épître aux Romains 11, 25 ; Première épître aux Corinthiens 2, 1 et 15, 51 ; Épître aux Éphésiens 1, 9 ; 3, 3 ; 5, 32 et 6, 19 ; Épître aux Colossiens 1, 26-27 ; 2, 2 et 4, 3 ; Deuxième épître aux Thessaloniciens 2, 7 ; Première épître à Timothée 3, 9.16. Deux seules occurrences de μυστήρια : Première épître aux Corinthiens 13, 2 et 14, 2. Voir aussi Apocalypse 1, 20 ; 10, 7 et 17, 5.7 (μυστήρια). À ce propos, Bockmuehl 1990 et Stroumsa 1992. Pour une analyse du « mystère » dans d’autres textes chrétiens « non-canoniques » voir Bull et al. 2012.
22 Cf. p. ex. Justin, Apologie I, 13, 4 ; 25, 1 ; 27, 4.
23 Sotadès : FGrHist 358 F 1 ; Hikésios : FGrHist 429 F 1, Jacoby.
24 Philocore : FGrHist 328 F 1 ; Mélanthios : FGrHist 326 F 2-4, Jacoby.
25 Cf. Van Nuffelen 2007. Voir aussi Roskam 2001.
26 Sur ce rapport chez Plutarque voir Brisson 1996, p. 91-100.
27 Plutarque, De l’éducation des enfants XIV, Moralia 10e ; Du bavardage VIII, Moralia 505f.
28 Sur Pollux voir Bearzot et al. 2007.
29 Pollux, Onomasticon I, 35-36 (c’est moi qui souligne).
30 IG II2, 1092 B 31 (après 131 de notre ère) ; 3733 (en 126-127) et 4772.
31 Il s’agit peut-être d’un agent cultuel lié à Perséphone Δάειρα. Sur la figure divine appelée Δάειρα, cf. par exemple IG II2 1496, l. 103.
32 Cf. Justin, Apologie I, 25, 1 ; 56, 4 ; 66, 4 ; II, 12, 5.
33 Cf. Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens I, 1 ; IV, 1 ; XXVIII, 8-9.
34 Cf. Athénagore, Supplique XX, 2 ; XXII, 9.
35 Athénagore, Supplique I, 1 : traduction personnelle.
36 Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique XV, 1, 2.
37 Athénagore, Supplique XXXII, 1 : trad. Pouderon 1992, légèrement modifiée.
38 De manière analogue, Denys d’Halicarnasse remarque que, chez les Romains, les émotions ne jouent pas le même rôle que chez les Grecs : cf. Antiquité romaines II, 19.
39 Synésios, Dion VIII, 6 : trad. de Ph. Borgeaud. Pour un commentaire de ce passage et, plus généralement, sur le rapport entre « mystères » et « émotions », je renvoie à Borgeaud 2007.
40 Pour une analyse de ce passage voir Herrero 2010, p. 147-153 ; Jourdan 2011, p. 164-171 ; Massa 2014, p. 99-101. Sur les « mystères » chez Clément voir aussi Lugaresi 2003.
41 Origène, Contre Celse II, 34.
42 Apulée, Apologie 55.
43 À ce propos, Le Boulluec 2003.
44 Clément d’Alexandrie, Protreptique II, 14, 1.
45 Clément, Protreptique II, 13, 1. Le terme apparaît chez Eusèbe de Césarée, qui cite cependant un passage de Clément : cf. Préparation évangélique II, 3, 10. Voir aussi l’Etymologicum magnum s. v. Μυστήρια : Μυθήρια· μῦθος γὰρ ὁ λόγος. Βέλτιον οὖν, ἃ δεῖ μύσαντας τηρεῖν ἔνδον qui glose sans doute le texte de Clément. Sur les jeux phonétiques dans l’écriture de Clément, Steneker 1967, p. 4-28.
46 Clément, Protreptique II, 13, 1.
47 Clément, Protreptique II, 13, 2 : trad. personnelle.
48 Dickey 2007, p. 214.
49 Pour ces remarques grammaticales je suis débiteur des conseils de Julien du Bouchet que je tiens à remercier très sincèrement.
50 Sur cette lecture chrétienne du mythe des unions entre Zeus, Déméter et Perséphone, voir Massa 2010.
51 J’ai étudié ce passage en détail dans Massa 2014, p. 99-104.
52 Riedweg 1987, p. 117-123.
53 Herrero 2007 et Gagné, Herrero, 2009.
54 Clément, Protreptique II, 13, 1 et 19, 2. Cf. aussi IV, 55, 3.
55 Clément, Protreptique II, 34, 1.
56 Clément, Protreptique II, 23, 1.
57 Sur la récupération du langage dionysiaque chez Clément d’Alexandrie, voir Massa 2014, p. 184-189.
58 Clément, Stromates I, 13, 1 et 4 ; 55, 2 ; V, 60, 1-61, 1 ; VI, 126, 2-3. Lugaresi 2003 a bien souligné cet aspect des Stromates de Clément.
59 Clément, Stromates V, 9, 58, 4.
60 Clément, Stromates V, 11, 71, 1.
61 Clément, Stromates VII, 4, 27, 6.
62 Eusèbe, Préparation évangélique II, 3, 1-42. Cf. Massa 2016.
63 Épiphane de Salamine, De fide 10, 6.
64 Grégoire de Nazianze, Discours XXXIX, 2. Cf. aussi V, 31.
65 Sur le rapport textuel entre Clément et Arnobe, Rapisarda 1939 et Herrero 2010, p. 153-154. Contra Mora 1994.
66 Psellos, Quelles sont les opinions des Grecs sur les démons III. Sur ce passage du texte byzantin, Gautier 1988, p. 93.
Auteur
Université de Genève
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Des femmes en action
L'individu et la fonction en Grèce antique
Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet (dir.)
2013